LE GROUPE AÉRONAVAL : UN OUTIL DE SOUVERAINETÉ - Lycée Jean-Pierre Vernant
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
LE GROUPE AÉRONAVAL : UN OUTIL DE SOUVERAINETÉ. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les affrontements navals se font à vue. Il s’agit d’infliger à l’adversaire un maximum de pertes en coulant ses navires. La révolution industrielle amène des bouleversements dans la construction navale comme dans l’armement. L’ère des cuirassés arrive. Elle sera courte. À la fin des années trente et au début des années quarante, les cuirassés les plus gros et les plus aboutis sont construits comme le Richelieu 1 en France, l’Iowa 2 aux États-Unis ou le Yamato 3 au Japon. Pourtant, dès l’été 1942, ces grands navires sont partiellement obsolètes. L’attaque japonaise sur la base de Pearl-Harbor du 7 décembre 1941 et la bataille de Midway en juin 1942 font apparaître en pleine lumière les nouveaux rois des mers : les porte-avions. Cependant, seuls, ils sont très vulnérables et ont besoin d’une escorte solide. C’est la naissance du concept de groupe aéronaval. 4 I/ Un peu d’histoire… A/ Les origines Sans beaucoup de surprise, l’histoire de l’aéronavale colle à celle de l’aviation. Dès 1909, Clément Ader imagine le principe d’un navire capable de faire décoller et de récupérer des avions. Rapidement, la marine des États-Unis se lance dans une campagne d’expérimentation. Le 14 novembre 1910 a lieu le premier décollage d’un avion dans la baie de Chesapeake. Les conditions sont très sommaires mais le Curtiss modèle D piloté par Eugène Ely décolle bien de la petite plateforme bâtie à l’avant du croiseur USS Birmingham. Quelques semaines plus tard, c’est le premier appontage qui est réalisé. Le cuirassé USS Pennsylvania a été équipé d’une petite plateforme de moins de 40 mètres de long. 1 Mis en service en 1940. 2 Mis en service en 1943. 3 Mis en service en 1941. 4 Carrier Battle Group en anglais. – N° 3 – mai 2018 Page 1
C’est à nouveau Eugène Ely qui réalise l’exploit, dans la baie de San Francisco. C’est un début timide car les navires ne sont pas en mouvement, mais c’est un début. Eugène Ely apponte sur le cuirassé USS Pennsylvania le 18 janvier 1911. Source libre Au Royaume-Uni et en France, les amiraux commencent à s’intéresser à l’affaire. Le 6 septembre 1918, la marine britannique prend livraison du premier porte-avions conçu avec un véritable pont d’envol : l’HMS Argus, un petit navire d’un peu plus de 15.000 tonnes mais équipé d’un pont continu de 160 mètres de long. Il est capable de mettre en œuvre une vingtaine de biplans comme le célèbre Sopwith Camel. 5 Dans l’entre-deux-guerres, en dépit des contraintes du traité de Washington, de nombreux porte- avions sont construits. 6 C’est l’occasion de réfléchir à la meilleure organisation de ces navires d’un nouveau genre et de régler aussi des problèmes cruciaux comme la lutte contre les incendies. Si le mazout qui sert à la propulsion du navire brûle lentement, le carburant « aviation » est une bombe en puissance. Différentes solutions sont alors testées et la marine japonaise imagine par exemple des porte-avions avec deux ponts situés à deux niveaux différents afin de séparer l’appontage du décollage. C’est le cas de l’Akagi. Il ne s’agit encore que de navires transformés, à base de navires classiques. Aux États-Unis, c’est la même chose. Les deux croiseurs de bataille USS Lexington et USS Saratoga qui en étaient encore au début de leur construction sont transformés en porte-avions. Le résultat est impressionnant et l’allure générale commence à être celle d’un porte-avions moderne, avec une étrave fermée et un ilot central. De leur côté, les Français vont transformer le cuirassé Normandie. Il devient le porte-avions Béarn, achevé en 1927 mais il est trop lent pour s’adapter aux évolutions technologiques rapides que connaissent les avions. Les premiers avions, légers, n’ont pas besoin de catapultes mais très vite, on invente les brins d’arrêt transversaux qui permettent d’arrêter en quelques mètres les avions qui viennent d’apponter. En 1931, la marine des États-Unis commence à réfléchir sérieusement à la manière d’utiliser les porte-avions. C’est un travail amorcé par un passionné d’aviation navale, le contre-amiral Joseph Masson Reeves. C’est aussi le début d’un processus qui mènera à la conceptualisation du groupe aéronaval. En 1936 aux États-Unis, deux nouveaux porte-avions de 20.000 tonnes sont lancés : l’USS Yorktown et l’USS Enterprise. Ils développent chacun une puissance de 120.000 chevaux. Les ponts ne sont pas encore blindés et composés de lattes de teck fixées sur un plancher d’acier. 5 Célèbre ? Cherchez donc pourquoi ! 6 Le traité de Washington, signé en 1922, stipule – entre autres choses – que les porte-avions ne doivent pas dépasser 27.000 tonnes. – N° 3 – mai 2018 Page 2
Au Japon, le porte-avions Kaga, lancé en 1931 est modernisé à partir de 1934. Il est alors doté d’un pont d’envol d’un seul tenant de 276,30 mètres. Sa puissance passe de 91.000 à plus de 127.000 chevaux. C’est une évolution nécessaire afin que le navire, bien plus lourd, conserve sa vitesse de pointe de près de 29 nœuds. 7 Le Hiryu 8 est mis en service en 1939. Il bénéficie de nombreuses améliorations par rapport aux précédents porte-avions japonais. Le blindage est renforcé ainsi que la protection des réservoirs de carburant « aviation ». Il est mieux armé et plus rapide puisqu’il peut dépasser les 34 nœuds. Les trois grandes thalassocraties de l’époque que sont le Japon, le Royaume-Unis et les États- Unis sont prêtes à écrire de nouvelles pages de l’histoire navale avec ces navires qui n’ont pas encore été utilisés en situation de combat. B/ La Seconde Guerre mondiale 1° La bataille de Midway Au cours de la Seconde Guerre mondiale, l’océan Pacifique va devenir le théâtre privilégié de l’affrontement de nouvelles flottes qui ne sont plus concentrées autour de cuirassés mais de porte-avions. Si l’attaque de Pearl-Harbor frappe les esprits, ce n’est pas un affrontement à proprement parler. 9 Il faut attendre le début du mois de juin 1942 à proximité de l’atoll de Midway pour assister à la première grande bataille navale organisée par des groupes aéronavals composés de plusieurs porte-avions. Ce vaste engagement est bien la matrice des forces aéronavales modernes. Pour le Japon qui provoque le combat, il s’agit de détruire les porte-avions américains qui menacent la poursuite de leurs conquêtes dans le Pacifique et ensuite de négocier une paix avec les États-Unis. Une paix qui puisse asseoir la suprématie japonaise sur la plus grande partie de l’espace Asie-Pacifique. La marine japonaise engage quatre porte-avions tandis que les États-Unis n’en ont que trois. Le déséquilibre en avions embarqués est bien moins important : 248 pour le Japon contre 233 pour les États-Unis. Les forces américaines peuvent aussi compter sur 126 avions basés sur l’atoll de Midway. Les Américains ont donc l’avantage numérique en matière de forces aériennes. Et puis ils sont aussi capables de traduire les messages échangés entre l’amirauté japonaise et les navires. Le code chiffré japonais JN-25 a été cassé. 10 L’amiral Isoroku Yamamoto, commandant les forces japonaises était convaincu que son adversaire ne pourrait pas aligner plus de deux porte-avions. Il se trompe. L’USS Enterprise et l’USS Hornet sont rejoints par l’USS Yorktown remis en état à Pearl-Harbor à une vitesse extraordinaire. Les réparations se poursuivent encore alors que le navire a repris la mer. Du côté des appareils, les Japonais disposent de bombardiers modernes mais qui ont déjà été engagés depuis des mois. De nombreux Nakajima B5N sont donc fatigués. Les Américains disposent d’un ensemble disparate où des appareils récents voisinent avec des avions obsolètes comme les bombardiers torpilleurs Douglas TBD Devastator. Dans le camp japonais, bien d’autres faiblesses viennent encore s’ajouter, comme l’insuffisance d’informations sur les mouvements de la flotte américaine ou le choix fait par les amiraux japonais de 7 Un nœud équivaut à 1852 mètres par heure. En 24 heures, un navire naviguant à 29 nœuds peut donc parcourir près de 1.300 kilomètres. 8 « Dragon volant » 9 Sur un plan qui n’est pas tout à fait anecdotique, la guerre entre le Japon et les États-Unis prive ces derniers du teck en provenance d’Indonésie. Les ponts des porte-avions américains seront dorénavant recouverts de pin Douglas. Ce dernier est moins résistant que le teck mais plus léger et modifie favorablement l’équilibre des navires en abaissant leur centre de gravité. 10 Un code de chiffrement par substitution, utilisant des tableaux de correspondance. JN pour Japanese Navy. – N° 3 – mai 2018 Page 3
scinder leurs forces. De leur côté, les Américains ont découvert la position des porte-avions japonais grâce à leurs avions d’observation. Le 4 juin 1942, à 5 heures 52 du matin le lieutenant Howard Parmele Ady, pilotant un hydravion Consolidated PBY Catalina envoie au contre-amiral Fletcher le message suivant : « Deux porte-avions et des navires de haut bord, porte-avions en tête, font route au 135 à 35 nœuds ». Le cours de la guerre va changer. L’attaque commence quelques heures plus tard par un bombardement japonais de la base aérienne de Midway. L’Amiral Chuichi Nagumo qui commande le premier groupe aéronaval décide ensuite de lancer un second bombardement mais cela oblige à déséquiper les avions de leurs torpilles pour fixer des bombes. Trois escadrons de bombardiers en piqués américains venus de l’Enterprise et du Yorktown, équipés de Douglas SBD Dautless arrivent alors au-dessus des porte-avions japonais dont les ponts et les hangars sont encombrés d’avions occupés à refaire le plein de carburant et de munitions dispersées. Le Kaga est touché par quatre bombes et les incendies ravagent le porte-avions. Il est achevé le 4 juin à 19 h 25. Le Soryu 11 est touché par trois bombes larguées par des Dauntless du Yorktown. Elles déclenchent des incendies incontrôlables et le navire coule le 4 juin à 19 h 13. L’Akagi qui sert de navire amiral à Nagumo est touché par une seule bombe mais elle explose au milieu des hangars. Les ponts des porte-avions japonais ne sont pas ou peu blindés. Comme le Kaga, l’Akagi se met à brûler comme une torche et est achevé par des torpilles tirées par des destroyers japonais le 5 juin à 5 h 20 du matin en dépit de la présence sur le navire de plus de 200 marins. L’Hiryu est touché le dernier par des bombardiers en piqué venus de l’Enterprise. Quatre bombes mettent le feu au navire et soufflent l’ascenseur. Le 5 juin à 5 h 10, réduit à l’état d’épave, il est torpillé par le destroyer Makigumo mais ne coule que quatre heures plus tard avec près de 400 marins à son bord dont le contre-amiral Tamon Yamaguchi, brillant officier. Le porte-avions Hiryu en 1939. Source libre La marine impériale ne dispose plus que de deux porte-avions lourds, le Shokaku 12 et le Zuikaku 13. Les pilote de l’aéronavale japonaise arrive cependant à couler le porte-avions Yorktown le 7 juin mais le coût de la bataille est tellement élevé pour le Japon que l’engagement de Midway est une défaite sans appel pour le pays du Soleil-Levant. Il ne dispose pas des structures industrielles capables de combler rapidement les pertes en navires et il ne dispose pas non plus du vivier suffisant en 11 Dragon bleu. 12 Grue en vol. 13 Grue bienheureuse. – N° 3 – mai 2018 Page 4
cadres pour remplacer tous les officiers morts au combat ou qui ont choisi de couler avec leur navire. Le même constat s’applique aux pilotes. D’ailleurs, la défaite n’est annoncée ni au peuple japonais ni même aux forces armées. Le bilan n’est connu que du haut commandement et de l’empereur. Les blessés sont mis à l’isolement. 2° La révélation La bataille de Midway a été le tournant de la guerre dans le Pacifique et le révélateur de la puissance des porte-avions. Les États-Unis, dans le cadre du Victory Program, vont se lancer dans la construction à la chaîne de ces nouveaux maîtres des mers. En 1944 et 1945, les cuirassés japonais Musashi et Yamato, les plus grands et les plus puissants jamais construits, sont coulés par des attaques lancées à partir de porte-avions américains. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la marine des États-Unis dispose de 28 porte-avions lourds et de 71 porte-avions d’escorte. C’est un record absolu. Vue aérienne des chantiers Kaiser de Vancouver en 1944. Le site est spécialisé dans la construction de porte-avions d’escorte. On en distingue une quinzaine en construction simultanée. Archives Bernard Crochet. – N° 3 – mai 2018 Page 5
II/ Description d’un groupe aéronaval contemporain Seules quelques marines disposent aujourd’hui d’un ou de plusieurs groupes aéronavals. Hervé Coutau- Bégarie 14 propose une classification de la puissance des marines en six rangs : Premier rang : (marines dotées d’équipements de haute technologie, capables d’actions mondiales, répétées et multiples) : États-Unis. Deuxième rang : (marines dotées d’équipements de haute technologie, capables d’actions mondiales) : France, Royaume-Uni. Troisième rang : (marines dotées d’équipements modernes et capables d’action hémisphériques) : Espagne, Russie, Pays-Bas, potentiellement le Japon Quatrième rang : (marines capables d’actions régionales) : Chine, Australie, Inde. Cinquième rang : (marines capables d’actions locales) : Égypte. Sixième rang : (marines faiblement équipées de matériels peu modernes et capables d’actions côtières). A/ Au cœur du dispositif : le porte-avions Le porte-avions est évidemment le cœur d’un groupe aéronaval. Bien plus qu’un navire, il doit être considéré comme une base aérienne flottante, capable de se déplacer d’un millier de kilomètres chaque jour. Un porte-avions est aussi une petite ville avec son hôpital, ses coiffeurs, ses points de restauration, ses cinémas et ses salles de sport. Un porte-avions nucléaire comme l’USS George H.W. Bush est armé par un équipage d’environ 6.000 hommes. Dans la marine américaine, le groupe aéronaval est aujourd’hui appelé Carrier Strike Group. Il existe actuellement, deux types de porte-avions : - Ceux qui disposent de catapultes. Ce sont les plus efficaces car ils peuvent faire décoller des appareils imposants et lourdement chargés. Ils sont dits CATOBAR pour Catapult Assisted Take-Off Barrier Arrested Recovery. Seuls les États-Unis et la France maîtrisent cette technologie ; - Ceux qui ne disposent pas de catapultes et dont la partie terminale du pont d’envol est inclinée vers le haut pour servir de tremplin. Ils sont appelés STOBAR pour Short Take-Off But Arrested Recovery. Une sous-famille des STOBAR est adaptée aux avions à décollage court et à atterrissage vertical. Ils sont appelés STOVL pour Short Take Off and Vertical Landing. B/ L’escorte de surface Le porte-avions est coûteux et fragile. Il a besoin d’être protégé. Pour ce faire, il est entouré de navires d’escorte chargés d’assurer sa protection. Dans la terminologie militaire, ces navires sont des frégates (ou des destroyers dans la marine américaine), c'est-à-dire des navires d’un peu plus de 100 mètres de long, rapides et capables de faire face à une menace aérienne ou sous-marine. Les États-Unis disposent 14 Hervé Coutau-Bégarie (1956-2012) est un géopolitologue spécialiste des questions stratégiques liées au monde de la mer. Il a fondé l’institut de stratégie comparée (I.S.C.) et a enseigné dans diverses universités françaises. – N° 3 – mai 2018 Page 6
de près de cent destroyers de la classe 15 Arleigh Burke (navires de 9.000 tonnes environ) Ces navires sont équipés du système d’arme Aegis 16 produit par l’entreprise Lockheed-Martin qui leur permet, à partir d’un radar tridimensionnel à balayage automatique de prendre en compte plus de 200 cibles navales ou aériennes situées chacune à plus de 200 milles marins. Les frégates françaises de la classe Forbin disposent du système d’arme P.A.A.M.S. 17 qui est comparable au système Aegis. Quant aux frégates françaises de la classe Aquitaine, elles sont dites « multi-missions » car, si elles sont avant tout, des navires de lutte anti sous-marine, elles peuvent aussi faire face à des menaces de surface avec des missiles antinavires 18, traiter des menaces aériennes et même toucher des cibles terrestres lointaines à l’aide du nouveau missile de croisière naval. L’escorte de surface se compose aussi de navires ravitailleurs en carburants, en vivres, en munitions et en matériel de rechange. Représentation synthétique d’un groupe aéronaval. Source : https://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/integrale-le-groupe-aeronaval-un-outil-de-precision-jdef C/ La protection sous-marine Elle est assurée par des sous-marins d’attaque et des hélicoptères, et destinée à neutraliser des menaces sous-marines. La qualité de cette protection dépend – comme pour le reste des maillons de la chaîne – de la qualité des moyens mis en œuvre. Ainsi, un sous-marin peu furtif est pratiquement inutile. La Marine nationale dispose de six sous-marins nucléaires d’attaque (S.N.A.), des bateaux de la classe Rubis. 15 Ce terme désigne tous les navires d’un même modèle. Le nom de la « classe » correspond à celui du premier navire construit dans la classe en question. 16 Égide (Aegis en anglais) était le bouclier de Zeus. 17 Principal Anti Air Missile System. Système de défense anti-aérien développé conjointement par la France, l’Italie et le Royaume-Uni. 18 Avec l’Exocet MM40 Block 3 puis le missile antinavire léger (ANL) dans les années à venir. – N° 3 – mai 2018 Page 7
Une nouvelle génération de sous-marins nucléaire arrive en France. Elle est issue du programme Barracuda. La tête de classe, le S.N.A. Suffren doit être opérationnel vers 2020. D/ La protection aérienne Elle est assurée par des moyens nombreux qui associent des avions de veille radar comme le Grumman E-2 Hawkeye, des avions de patrouille maritime et des hélicoptères. Le Grumman E-2 Hawkeye dont les ailes se replient peut être mis en œuvre à partir d’un porte-avions. Il est utilisé par les groupes aéronavals américains et par le groupe aéronaval français. Un Grumman E-2 Hawkeye survolant la base de Norfolk en Virginie. Source libre * * * Le groupe, une fois déployé, forme une bulle de deux à trois cent kilomètres de diamètre au centre de laquelle se trouve le porte-avions. Si l’ensemble des moyens est de très haut niveau et parfaitement mis en œuvre, alors le porte-avion est peu vulnérable et peut engager ses avions, « projeter de la puissance » à longue distance. Ses appareils, s’ils sont ravitaillés en vol, peuvent frapper des cibles situés à des milliers de kilomètres du navire avant de revenir se poser. Le groupe aéronaval est donc un outil essentiel dans le jeu géostratégique qui se joue en permanence entre les grandes puissances. Il est un fort marqueur de puissance, une composante de la souveraineté pour une thalassocratie ou une nation ayant des ambitions thalassocratiques. – N° 3 – mai 2018 Page 8
III/ Plusieurs dimensions A/ Politique Entre les mains d’un État, le groupe aéronaval est une carte puissante qui permet à un chef d’État d’agir en toute indépendance. B/ Géopolitique Si le groupe est vraiment opérationnel, il donne au chef d’État les moyens de peser dans des négociations, d’engager des forces de manière pratiquement planétaire et de décider une large palette d’actions qui vont de l’intimidation à la destruction en passant par la collecte du renseignement. Le Charles de Gaulle représente ainsi, dans certaines circonstances, « 42.000 tonnes de diplomatie ». C/ Militaire Sur le plan purement militaire, le groupe aéronaval est capable de délivrer des armes variées à des distances parfois très importantes. De la mitrailleuse de pont à l’arme atomique en passant par une panoplie large de torpilles et de missiles, le groupe aéronaval est le système d’armes le plus complexe jamais inventé. D/ Économique Les rares pays qui disposent de groupes aéronavals utilisent si possible tout ou partie de technologies nationales. Un groupe aéronaval opérationnel est aussi une vitrine technologique. En France, la chaudière nucléaire du Charles de Gaulle est de construction française, tout comme les S.N.A., les frégates et les avions Rafale. Mettre en œuvre des moyens aussi complexes et puissants est un bon moyen de vendre à l’étranger telle ou telle composante de l’ensemble. Ainsi, une frégate multi-missions a été vendue à l’Égypte en août 2015. 19 Une version à propulsion conventionnelle de la nouvelle classe Suffren de sous-marins d’attaque a été vendue à l’Australie en 2016. 20 L’inde réfléchit à l’achat éventuel de Rafale « Marine ». IV/ Les pays crédibles… et les autres Il ne suffit pas de faire naviguer un porte-avions et d’afficher de belles ambitions pour disposer réellement d’un groupe aéronaval opérationnel. Comme nous l’avons déjà dit, chaque maillon de la chaîne doit être de très haute qualité. Cela concerne le matériel comme le niveau d’entraînement des équipages. Actuellement seules deux nations disposent de groupes aéronavals véritablement opérationnels : les États-Unis et la France. 19 Ce navire devait initialement servir dans la Marine nationale sous le nom de Normandie. Il s’appelle désormais Tahya Misr soit « Vive l’Egypte ». 20 12 exemplaires pour un total de 34 milliards d’euros. Contrat signé le 20 décembre 2016. Ce contrat pérennise des milliers d’emplois en France. – N° 3 – mai 2018 Page 9
A/ Les États-Unis Les États-Unis disposent actuellement de 10 porte-avions nucléaires en activité 21 et de 9 groupes aéronavals opérationnels. Chaque groupe est organisé autour d’un porte-avions nucléaire de 85.000 tonnes de la classe Nimitz. Ces navires seront, dans les décennies à venir, remplacés par d’autres, plus modernes et encore plus puissants. En effet, une nouvelle génération de porte-avions nucléaires lourds arrive : 112.000 tonnes – 333 mètres de long – vitesse supérieure à 30 nœuds, catapultes électromagnétiques capables de produire 30% de sorties quotidiennes en plus, etc. Le CVN 22 78 Gerald Ford lancé le 17 novembre 2013, actuellement en phase d’essais, entrera en service vers 2020. Le CVN 79 John F. Kennedy est en construction depuis 2011 et le CVN 80 Enterprise depuis le 24 août 2017 (date de la cérémonie de découpe de la première tôle). La construction du CVN 81 est déjà planifiée. Les États-Unis sont la seule nation capable de construire des porte-avions en permanence. Le porte-avions Gerald Ford aux essais en avril 2017. Source libre 21 Le Nimitz (CVN 68), le Dwight D. Eisenhower (CVN 69), le Carl Vinson (CVN 70), le Theodore Roosevelt (CVN 71), le Abraham Lincoln (CVN 72), le George Washington (CVN 73), le John C. Stennis (CVN 74), le Harry S. Truman (CVN 75), le Ronald Reagan (CVN 76), le George H. W. Bush (CVN 77). 22 Pour Carrier Vessel Nuclear. – N° 3 – mai 2018 Page 10
Le Carrier Strike Group de l'USS Ronald Reagan en mer des Philippines en 2007. Cette configuration – avec des navires très rapprochés – est prise uniquement pour la photo. En configuration opérationnelle, le groupe aéronaval est dispersé sur une large surface. Source libre B/ La France La France dispose d’un seul porte-avions. Il est à propulsion nucléaire, c’est le Charles de Gaulle. Cela donne un groupe aéronaval qui doit se mettre en sommeil chaque fois que le porte-avions est en indisponibilité périodique d’entretien et de réparations (I.P.E.R.) ou en en arrêt technique majeur (A.T.M.). Le Charles de Gaulle a été construit entre 1994 et 2000. Il est en service depuis 2001. C’est un navire de 261,5 mètres de long et de 42.500 tonnes à pleine charge. Ses machines développent 83.000 chevaux et il peut atteindre 27 nœuds. Il peut mettre en œuvre jusqu’à 36 avions Rafale mais aussi 4 hélicoptères et deux Hawkeye. Actuellement, il est en A.T.M. Il en sortira totalement rénové et modernisé. – N° 3 – mai 2018 Page 11
Le porte-avions français Charles de Gaulle à Toulon en 2002. Source libre Le porte-avions Charles de Gaulle en compagnie du porte-avions américain Enterprise (CVN 65) en mai 2011. Source : U.S. Navy photo Photographe : Mate Airman Doug Pearlman La Marine nationale dispose de frégates modernes comme celles de la classe Forbin, spécialisées dans la lutte anti- aérienne et pivot du groupe aéronaval français. Ces dernières sont équipées du système P.A.A.M.S. La frégate Chevalier Paul de la classe Forbin en juillet 2017 en mer Méditerranée. Source libre – N° 3 – mai 2018 Page 12
Les groupes aéronavals américains et français sont hautement interopérables. Cela signifie que des unités américaines peuvent intégrer le groupe aéronaval français, que l’inverse est possible mais aussi que les Rafale de l’aéronavale française peuvent s’entraîner sur les porte-avions américains. Des McDonnell Douglas F/A-18 Hornet appontent aussi sur le Charles de Gaulle. Un avion Rafale français effectue un touch and go sur le porte-avions américain Eisenhower en 2009. Source libre. C/ La Russie La Russie ne dispose pas d’un groupe aéronaval vraiment opérationnel. 23 Elle met en œuvre son seul porte-avions, l’Amiral Kouznetsov depuis 1995. De type STOBAR, ce navire embarque actuellement une quinzaine d’avions de chasse et une douzaine d’hélicoptères. Le porte-avions russe Amiral Kouznetsov en 2012. Source libre 23 En raison des faiblesses de la marine russe en navires de soutien. – N° 3 – mai 2018 Page 13
D/ La Chine La Chine a de fortes ambitions navales, de manière à pouvoir rapidement prendre le contrôle total de la mer de Chine puis ensuite, devenir une puissance thalassocratique à part entière. Elle ne dispose cependant que d’un porte-avions STOBAR opérationnel : le Liaoning, navire de la classe de l’Amiral Kouznetsov, acheté en 1998 et opérationnel depuis peu. Il peut embarquer une quarantaine d’avions et d’hélicoptères dont 26 chasseurs Shenyang J-15. En décembre 2016, le groupe aéronaval chinois est parti en manœuvres dans l’océan Pacifique. Il a donc quitté la mer de Chine pour la première fois. Le groupe aéronaval chinois devrait stabiliser sa composition de la manière suivante : - Un porte-avions ; - Six destroyers ou frégates ; - Deux S.N.A. ; - Un pétrolier ravitailleur. Le porte-avions chinois Liaoning en 2017 dans la baie de Hong-Kong. Source libre La Chine construit actuellement aux chantiers naval de Dalian, une version nationale du Liaoning mais aussi – selon des sources chinoises – un porte-avions beaucoup plus ambitieux, de type CATOBAR et à propulsion nucléaire. E/ Le Royaume-Uni La marine britannique est en train de renouer avec une longue tradition de porte-avions, interrompue en 2005 avec le retrait du service actif du dernier des trois porte-avions légers construits dans les années soixante-dix : le HMS 24 Illustrious, le HMS Ark Royal et le HMS Invincible. Le HMS Queen Elisabeth devrait entrer en service vers 2019 et le HMS Prince of Wales est toujours en construction. 25 Ces deux navires sont des porte-avions SVTOL. 24 Her Majesty’s ship. 25 Il reprend ainsi le nom du célèbre cuirassé qui intercepta le Bismarck en mai 1941 et qui fut coulé le 10 décembre 1941 au large de la côte est de la Malaisie par des avions torpilleurs japonais. – N° 3 – mai 2018 Page 14
Le problème de la marine britannique est qu’elle ne dispose pas pour l’instant des avions nécessaires à l’utilisation optimale de ses porte-avions. Le HMS Queen Elisabeth n’est donc qu’un porte-hélicoptères en attendant l’arrivée des Lockheed-Martin F 35 B Lightning II. De plus, sa flotte de destroyers et de frégates est modeste : six destroyers lance-missiles modernes de type 45 et 13 frégates type 23 qui avouent leur âge. 26 Le porte-avions HMS Queen Elisabeth en février 2018. Source libre 26 En service depuis 1987. – N° 3 – mai 2018 Page 15
F/ L’Inde L’Inde enfin, affiche des ambitions aéronavales. La marine indienne ne dispose pourtant que d’un seul porte-avions, le Vikramaditya, 27 ancien porte-avions soviétique de type STOVL transformé en STOBAR. Il est opérationnel depuis 2013 et met en œuvre des chasseurs d’origine russe MIG 29 K qui affichent une très faible disponibilité. L’Inde termine cependant la construction de son premier porte-avions national, le Vikrant. 28 Commencé en 2009, il devrait être mis en service en 2020. C’est un navire en configuration STOBAR. Le porte-avions indien Vikramaditya en 2013 lors d’essais à la mer. Source libre Le porte-avions indien Vikrant en construction en 2015 aux chantiers navals de Cochin à Kochi dans l’État du Kerala. Source libre * * * Les groupes aéronavals sont bien au cœur de la puissance des grands États. Puissance établie ou simplement puissance affichée. Certains experts considèrent que les porte-avions sont fragiles et impossibles à protéger, que les nouvelles générations de missiles antinavires vont les rendre obsolètes. Pour l’instant, ils restent de formidables plateformes de projection de puissance. Aux frégates, aux destroyers, aux sous-marins et aux moyens de chiffrement de plus en plus sophistiqués incombe la mission de les protéger efficacement. Les États-Unis ont bien intégré ce nouveau paramètre en développant une génération de destroyers révolutionnaires dont nous reparlerons bientôt… ________________ Lycée Jean-Pierre VERNANT Au programme le mois prochain : JPV FOCUS DÉFENSE n°3 – mai 2018 – Mensuel « Devenir pilote de chasse, Responsable de la publication : Christine Margerand - Proviseur c’est difficile ? » Rédacteur : Thibault Richard, référent Défense Contact : thibault.richard@ac-versailles.fr 27 Roi légendaire d’Ujjain, célèbre pour sa sagesse. 28 Le Courageux. – N° 3 – mai 2018 Page 16
Vous pouvez aussi lire