LE GROUPE AÉRONAVAL : UN OUTIL DE SOUVERAINETÉ - Lycée Jean-Pierre Vernant

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LE GROUPE AÉRONAVAL : UN OUTIL DE SOUVERAINETÉ - Lycée Jean-Pierre Vernant
LE GROUPE AÉRONAVAL : UN OUTIL DE
                    SOUVERAINETÉ.
                Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les affrontements navals se font à vue. Il s’agit d’infliger à
l’adversaire un maximum de pertes en coulant ses navires. La révolution industrielle amène des
bouleversements dans la construction navale comme dans l’armement. L’ère des cuirassés arrive. Elle sera
courte. À la fin des années trente et au début des années quarante, les cuirassés les plus gros et les plus
aboutis sont construits comme le Richelieu 1 en France, l’Iowa 2 aux États-Unis ou le Yamato 3 au Japon.
Pourtant, dès l’été 1942, ces grands navires sont partiellement obsolètes. L’attaque japonaise sur la base de
Pearl-Harbor du 7 décembre 1941 et la bataille de Midway en juin 1942 font apparaître en pleine lumière les
nouveaux rois des mers : les porte-avions. Cependant, seuls, ils sont très vulnérables et ont besoin d’une
escorte solide. C’est la naissance du concept de groupe aéronaval. 4

I/ Un peu d’histoire…

            A/ Les origines

       Sans beaucoup de surprise, l’histoire de l’aéronavale colle à celle de l’aviation. Dès 1909, Clément
Ader imagine le principe d’un navire capable de faire décoller et de récupérer des avions.

        Rapidement, la marine des États-Unis se lance dans une campagne d’expérimentation. Le 14
novembre 1910 a lieu le premier décollage d’un avion dans la baie de Chesapeake. Les conditions sont très
sommaires mais le Curtiss modèle D piloté par Eugène Ely décolle bien de la petite plateforme bâtie à
l’avant du croiseur USS Birmingham. Quelques semaines plus tard, c’est le premier appontage qui est
réalisé. Le cuirassé USS Pennsylvania a été équipé d’une petite plateforme de moins de 40 mètres de long.

1
    Mis en service en 1940.
2
    Mis en service en 1943.
3
    Mis en service en 1941.
4
    Carrier Battle Group en anglais.

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C’est à nouveau Eugène Ely qui réalise
l’exploit, dans la baie de San Francisco.
C’est un début timide car les navires ne sont
pas en mouvement, mais c’est un début.

     Eugène Ely apponte sur le cuirassé USS Pennsylvania
     le 18 janvier 1911. Source libre

        Au Royaume-Uni et en France, les
amiraux commencent à s’intéresser à
l’affaire.

        Le 6 septembre 1918, la marine britannique prend livraison du premier porte-avions conçu avec un
véritable pont d’envol : l’HMS Argus, un petit navire d’un peu plus de 15.000 tonnes mais équipé d’un pont
continu de 160 mètres de long. Il est capable de mettre en œuvre une vingtaine de biplans comme le célèbre
Sopwith Camel. 5

        Dans l’entre-deux-guerres, en dépit des contraintes du traité de Washington, de nombreux porte-
avions sont construits. 6 C’est l’occasion de réfléchir à la meilleure organisation de ces navires d’un nouveau
genre et de régler aussi des problèmes cruciaux comme la lutte contre les incendies. Si le mazout qui sert à
la propulsion du navire brûle lentement, le carburant « aviation » est une bombe en puissance. Différentes
solutions sont alors testées et la marine japonaise imagine par exemple des porte-avions avec deux ponts
situés à deux niveaux différents afin de séparer l’appontage du décollage. C’est le cas de l’Akagi. Il ne s’agit
encore que de navires transformés, à base de navires classiques. Aux États-Unis, c’est la même chose. Les
deux croiseurs de bataille USS Lexington et USS Saratoga qui en étaient encore au début de leur
construction sont transformés en porte-avions. Le résultat est impressionnant et l’allure générale commence
à être celle d’un porte-avions moderne, avec une étrave fermée et un ilot central. De leur côté, les Français
vont transformer le cuirassé Normandie. Il devient le porte-avions Béarn, achevé en 1927 mais il est trop
lent pour s’adapter aux évolutions technologiques rapides que connaissent les avions.

       Les premiers avions, légers, n’ont pas besoin de catapultes mais très vite, on invente les brins d’arrêt
transversaux qui permettent d’arrêter en quelques mètres les avions qui viennent d’apponter.

       En 1931, la marine des États-Unis commence à réfléchir sérieusement à la manière d’utiliser les
porte-avions. C’est un travail amorcé par un passionné d’aviation navale, le contre-amiral Joseph Masson
Reeves. C’est aussi le début d’un processus qui mènera à la conceptualisation du groupe aéronaval.

       En 1936 aux États-Unis, deux nouveaux porte-avions de 20.000 tonnes sont lancés : l’USS Yorktown
et l’USS Enterprise. Ils développent chacun une puissance de 120.000 chevaux. Les ponts ne sont pas encore
blindés et composés de lattes de teck fixées sur un plancher d’acier.

5
    Célèbre ? Cherchez donc pourquoi !
6
    Le traité de Washington, signé en 1922, stipule – entre autres choses – que les porte-avions ne doivent pas dépasser 27.000 tonnes.

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Au Japon, le porte-avions Kaga, lancé en 1931 est modernisé à partir de 1934. Il est alors doté d’un
pont d’envol d’un seul tenant de 276,30 mètres. Sa puissance passe de 91.000 à plus de 127.000 chevaux.
C’est une évolution nécessaire afin que le navire, bien plus lourd, conserve sa vitesse de pointe de près de 29
nœuds. 7 Le Hiryu 8 est mis en service en 1939. Il bénéficie de nombreuses améliorations par rapport aux
précédents porte-avions japonais. Le blindage est renforcé ainsi que la protection des réservoirs de carburant
« aviation ». Il est mieux armé et plus rapide puisqu’il peut dépasser les 34 nœuds.

        Les trois grandes thalassocraties de l’époque que sont le Japon, le Royaume-Unis et les États-
Unis sont prêtes à écrire de nouvelles pages de l’histoire navale avec ces navires qui n’ont pas encore
été utilisés en situation de combat.

           B/ La Seconde Guerre mondiale

                      1° La bataille de Midway

        Au cours de la Seconde Guerre mondiale, l’océan Pacifique va devenir le théâtre privilégié de
l’affrontement de nouvelles flottes qui ne sont plus concentrées autour de cuirassés mais de porte-avions. Si
l’attaque de Pearl-Harbor frappe les esprits, ce n’est pas un affrontement à proprement parler. 9 Il faut
attendre le début du mois de juin 1942 à proximité de l’atoll de Midway pour assister à la première grande
bataille navale organisée par des groupes aéronavals composés de plusieurs porte-avions. Ce vaste
engagement est bien la matrice des forces aéronavales modernes. Pour le Japon qui provoque le combat, il
s’agit de détruire les porte-avions américains qui menacent la poursuite de leurs conquêtes dans le Pacifique
et ensuite de négocier une paix avec les États-Unis. Une paix qui puisse asseoir la suprématie japonaise sur
la plus grande partie de l’espace Asie-Pacifique. La marine japonaise engage quatre porte-avions tandis que
les États-Unis n’en ont que trois. Le déséquilibre en avions embarqués est bien moins important : 248 pour
le Japon contre 233 pour les États-Unis. Les forces américaines peuvent aussi compter sur 126 avions basés
sur l’atoll de Midway. Les Américains ont donc l’avantage numérique en matière de forces aériennes. Et
puis ils sont aussi capables de traduire les messages échangés entre l’amirauté japonaise et les navires. Le
code chiffré japonais JN-25 a été cassé. 10 L’amiral Isoroku Yamamoto, commandant les forces japonaises
était convaincu que son adversaire ne pourrait pas aligner plus de deux porte-avions. Il se trompe. L’USS
Enterprise et l’USS Hornet sont rejoints par l’USS Yorktown remis en état à Pearl-Harbor à une vitesse
extraordinaire. Les réparations se poursuivent encore alors que le navire a repris la mer. Du côté des
appareils, les Japonais disposent de bombardiers modernes mais qui ont déjà été engagés depuis des mois.
De nombreux Nakajima B5N sont donc fatigués. Les Américains disposent d’un ensemble disparate où des
appareils récents voisinent avec des avions obsolètes comme les bombardiers torpilleurs Douglas TBD
Devastator.
Dans le camp japonais, bien d’autres faiblesses viennent encore s’ajouter, comme l’insuffisance
d’informations sur les mouvements de la flotte américaine ou le choix fait par les amiraux japonais de

7
    Un nœud équivaut à 1852 mètres par heure. En 24 heures, un navire naviguant à 29 nœuds peut donc parcourir près de 1.300 kilomètres.
8
    « Dragon volant »
9
    Sur un plan qui n’est pas tout à fait anecdotique, la guerre entre le Japon et les États-Unis prive ces derniers du teck en provenance d’Indonésie. Les ponts des
porte-avions américains seront dorénavant recouverts de pin Douglas. Ce dernier est moins résistant que le teck mais plus léger et modifie favorablement
l’équilibre des navires en abaissant leur centre de gravité.
10
     Un code de chiffrement par substitution, utilisant des tableaux de correspondance. JN pour Japanese Navy.

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scinder leurs forces. De leur côté, les Américains ont découvert la position des porte-avions japonais grâce à
leurs avions d’observation. Le 4 juin 1942, à 5 heures 52 du matin le lieutenant Howard Parmele Ady,
pilotant un hydravion Consolidated PBY Catalina envoie au contre-amiral Fletcher le message suivant :
« Deux porte-avions et des navires de haut bord, porte-avions en tête, font route au 135 à 35 nœuds ». Le
cours de la guerre va changer.

       L’attaque commence quelques heures plus tard par un bombardement japonais de la base aérienne de
Midway. L’Amiral Chuichi Nagumo qui commande le premier groupe aéronaval décide ensuite de lancer un
second bombardement mais cela oblige à déséquiper les avions de leurs torpilles pour fixer des bombes.
Trois escadrons de bombardiers en piqués américains venus de l’Enterprise et du Yorktown, équipés de
Douglas SBD Dautless arrivent alors au-dessus des porte-avions japonais dont les ponts et les hangars sont
encombrés d’avions occupés à refaire le plein de carburant et de munitions dispersées.

        Le Kaga est touché par quatre bombes et les incendies ravagent le porte-avions. Il est achevé le 4
juin à 19 h 25.
        Le Soryu 11 est touché par trois bombes larguées par des Dauntless du Yorktown. Elles déclenchent
des incendies incontrôlables et le navire coule le 4 juin à 19 h 13.
        L’Akagi qui sert de navire amiral à Nagumo est touché par une seule bombe mais elle explose au
milieu des hangars. Les ponts des porte-avions japonais ne sont pas ou peu blindés. Comme le Kaga, l’Akagi
se met à brûler comme une torche et est achevé par des torpilles tirées par des destroyers japonais le 5 juin à
5 h 20 du matin en dépit de la présence sur le navire de plus de 200 marins.
        L’Hiryu est touché le dernier par des bombardiers en piqué venus de l’Enterprise. Quatre bombes
mettent le feu au navire et soufflent l’ascenseur. Le 5 juin à 5 h 10, réduit à l’état d’épave, il est torpillé par
le destroyer Makigumo mais ne coule que quatre heures plus tard avec près de 400 marins à son bord dont le
contre-amiral Tamon Yamaguchi, brillant officier.

     Le porte-avions Hiryu en 1939. Source libre

       La marine impériale ne dispose
plus que de deux porte-avions lourds, le
Shokaku 12 et le Zuikaku 13.

       Les pilote de l’aéronavale japonaise
arrive cependant à couler le porte-avions
Yorktown le 7 juin mais le coût de la bataille est tellement élevé pour le Japon que l’engagement de Midway
est une défaite sans appel pour le pays du Soleil-Levant. Il ne dispose pas des structures industrielles
capables de combler rapidement les pertes en navires et il ne dispose pas non plus du vivier suffisant en

11
      Dragon bleu.
12
      Grue en vol.
13
      Grue bienheureuse.

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cadres pour remplacer tous les officiers morts au combat ou qui ont choisi de couler avec leur navire. Le
même constat s’applique aux pilotes. D’ailleurs, la défaite n’est annoncée ni au peuple japonais ni même aux
forces armées. Le bilan n’est connu que du haut commandement et de l’empereur. Les blessés sont mis à
l’isolement.

                  2° La révélation

       La bataille de Midway a été le tournant de la guerre dans le Pacifique et le révélateur de la
puissance des porte-avions. Les États-Unis, dans le cadre du Victory Program, vont se lancer dans la
construction à la chaîne de ces nouveaux maîtres des mers.

       En 1944 et 1945, les cuirassés japonais Musashi et Yamato, les plus grands et les plus puissants
jamais construits, sont coulés par des attaques lancées à partir de porte-avions américains.

        À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la marine des États-Unis dispose de 28 porte-avions lourds
et de 71 porte-avions d’escorte. C’est un record absolu.

  Vue aérienne des
  chantiers Kaiser de
  Vancouver en 1944. Le
  site est spécialisé dans
  la construction de
  porte-avions d’escorte.
  On en distingue une
  quinzaine             en
  construction
  simultanée.

  Archives       Bernard
  Crochet.

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II/ Description d’un groupe aéronaval contemporain

Seules quelques marines disposent aujourd’hui d’un ou de plusieurs groupes aéronavals. Hervé Coutau-
Bégarie 14 propose une classification de la puissance des marines en six rangs :

Premier rang : (marines dotées d’équipements de haute technologie, capables d’actions mondiales, répétées
et multiples) : États-Unis.
Deuxième rang : (marines dotées d’équipements de haute technologie, capables d’actions mondiales) :
France, Royaume-Uni.
Troisième rang : (marines dotées d’équipements modernes et capables d’action hémisphériques) : Espagne,
Russie, Pays-Bas, potentiellement le Japon
Quatrième rang : (marines capables d’actions régionales) : Chine, Australie, Inde.
Cinquième rang : (marines capables d’actions locales) : Égypte.
Sixième rang : (marines faiblement équipées de matériels peu modernes et capables d’actions côtières).

          A/ Au cœur du dispositif : le porte-avions

        Le porte-avions est évidemment le cœur d’un groupe aéronaval. Bien plus qu’un navire, il doit
être considéré comme une base aérienne flottante, capable de se déplacer d’un millier de kilomètres
chaque jour. Un porte-avions est aussi une petite ville avec son hôpital, ses coiffeurs, ses points de
restauration, ses cinémas et ses salles de sport. Un porte-avions nucléaire comme l’USS George H.W. Bush
est armé par un équipage d’environ 6.000 hommes. Dans la marine américaine, le groupe aéronaval est
aujourd’hui appelé Carrier Strike Group.

          Il existe actuellement, deux types de porte-avions :

     -    Ceux qui disposent de catapultes. Ce sont les plus efficaces car ils peuvent faire décoller des
          appareils imposants et lourdement chargés. Ils sont dits CATOBAR pour Catapult Assisted Take-Off
          Barrier Arrested Recovery. Seuls les États-Unis et la France maîtrisent cette technologie ;

     -    Ceux qui ne disposent pas de catapultes et dont la partie terminale du pont d’envol est inclinée vers
          le haut pour servir de tremplin. Ils sont appelés STOBAR pour Short Take-Off But Arrested
          Recovery. Une sous-famille des STOBAR est adaptée aux avions à décollage court et à atterrissage
          vertical. Ils sont appelés STOVL pour Short Take Off and Vertical Landing.

          B/ L’escorte de surface

       Le porte-avions est coûteux et fragile. Il a besoin d’être protégé. Pour ce faire, il est entouré de
navires d’escorte chargés d’assurer sa protection. Dans la terminologie militaire, ces navires sont des
frégates (ou des destroyers dans la marine américaine), c'est-à-dire des navires d’un peu plus de 100 mètres
de long, rapides et capables de faire face à une menace aérienne ou sous-marine. Les États-Unis disposent

14
   Hervé Coutau-Bégarie (1956-2012) est un géopolitologue spécialiste des questions stratégiques liées au monde de la mer. Il a fondé l’institut de stratégie
comparée (I.S.C.) et a enseigné dans diverses universités françaises.

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de près de cent destroyers de la classe 15 Arleigh Burke (navires de 9.000 tonnes environ) Ces navires sont
équipés du système d’arme Aegis 16 produit par l’entreprise Lockheed-Martin qui leur permet, à partir d’un
radar tridimensionnel à balayage automatique de prendre en compte plus de 200 cibles navales ou aériennes
situées chacune à plus de 200 milles marins. Les frégates françaises de la classe Forbin disposent du
système d’arme P.A.A.M.S. 17 qui est comparable au système Aegis. Quant aux frégates françaises de la
classe Aquitaine, elles sont dites « multi-missions » car, si elles sont avant tout, des navires de lutte anti
sous-marine, elles peuvent aussi faire face à des menaces de surface avec des missiles antinavires 18, traiter
des menaces aériennes et même toucher des cibles terrestres lointaines à l’aide du nouveau missile de
croisière naval.
        L’escorte de surface se compose aussi de navires ravitailleurs en carburants, en vivres, en munitions
et en matériel de rechange.

     Représentation synthétique d’un groupe aéronaval.
     Source : https://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/integrale-le-groupe-aeronaval-un-outil-de-precision-jdef

            C/ La protection sous-marine

       Elle est assurée par des sous-marins d’attaque et des hélicoptères, et destinée à neutraliser des
menaces sous-marines. La qualité de cette protection dépend – comme pour le reste des maillons de la
chaîne – de la qualité des moyens mis en œuvre. Ainsi, un sous-marin peu furtif est pratiquement inutile. La
Marine nationale dispose de six sous-marins nucléaires d’attaque (S.N.A.), des bateaux de la classe Rubis.

15
     Ce terme désigne tous les navires d’un même modèle. Le nom de la « classe » correspond à celui du premier navire construit dans la classe en question.
16
     Égide (Aegis en anglais) était le bouclier de Zeus.
17
     Principal Anti Air Missile System. Système de défense anti-aérien développé conjointement par la France, l’Italie et le Royaume-Uni.
18
     Avec l’Exocet MM40 Block 3 puis le missile antinavire léger (ANL) dans les années à venir.

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LE GROUPE AÉRONAVAL : UN OUTIL DE SOUVERAINETÉ - Lycée Jean-Pierre Vernant
Une nouvelle génération de sous-marins nucléaire arrive en France. Elle est issue du programme Barracuda.
La tête de classe, le S.N.A. Suffren doit être opérationnel vers 2020.

         D/ La protection aérienne

        Elle est assurée par des moyens nombreux qui associent des avions de veille radar comme le
Grumman E-2 Hawkeye, des avions de patrouille maritime et des hélicoptères. Le Grumman E-2 Hawkeye
dont les ailes se
replient peut être mis
en œuvre à partir
d’un porte-avions. Il
est utilisé par les
groupes aéronavals
américains et par le
groupe       aéronaval
français.

Un      Grumman         E-2
Hawkeye survolant la base
de Norfolk en Virginie.

Source libre

                                                  *            *
                                                       *

        Le groupe, une fois déployé, forme une bulle de deux à trois cent kilomètres de diamètre au centre de
laquelle se trouve le porte-avions. Si l’ensemble des moyens est de très haut niveau et parfaitement mis en
œuvre, alors le porte-avion est peu vulnérable et peut engager ses avions, « projeter de la puissance »
à longue distance. Ses appareils, s’ils sont ravitaillés en vol, peuvent frapper des cibles situés à des milliers
de kilomètres du navire avant de revenir se poser.

      Le groupe aéronaval est donc un outil essentiel dans le jeu géostratégique qui se joue en
permanence entre les grandes puissances. Il est un fort marqueur de puissance, une composante de la
souveraineté pour une thalassocratie ou une nation ayant des ambitions thalassocratiques.

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III/ Plusieurs dimensions

            A/ Politique

        Entre les mains d’un État, le groupe aéronaval est une carte puissante qui permet à un chef d’État
d’agir en toute indépendance.

            B/ Géopolitique

       Si le groupe est vraiment opérationnel, il donne au chef d’État les moyens de peser dans des
négociations, d’engager des forces de manière pratiquement planétaire et de décider une large palette
d’actions qui vont de l’intimidation à la destruction en passant par la collecte du renseignement. Le Charles
de Gaulle représente ainsi, dans certaines circonstances, « 42.000 tonnes de diplomatie ».

            C/ Militaire

       Sur le plan purement militaire, le groupe aéronaval est capable de délivrer des armes variées à des
distances parfois très importantes. De la mitrailleuse de pont à l’arme atomique en passant par une panoplie
large de torpilles et de missiles, le groupe aéronaval est le système d’armes le plus complexe jamais inventé.

            D/ Économique

        Les rares pays qui disposent de groupes aéronavals utilisent si possible tout ou partie de technologies
nationales. Un groupe aéronaval opérationnel est aussi une vitrine technologique. En France, la chaudière
nucléaire du Charles de Gaulle est de construction française, tout comme les S.N.A., les frégates et les
avions Rafale. Mettre en œuvre des moyens aussi complexes et puissants est un bon moyen de vendre à
l’étranger telle ou telle composante de l’ensemble. Ainsi, une frégate multi-missions a été vendue à l’Égypte
en août 2015. 19 Une version à propulsion conventionnelle de la nouvelle classe Suffren de sous-marins
d’attaque a été vendue à l’Australie en 2016. 20 L’inde réfléchit à l’achat éventuel de Rafale « Marine ».

IV/ Les pays crédibles… et les autres

        Il ne suffit pas de faire naviguer un porte-avions et d’afficher de belles ambitions pour disposer
réellement d’un groupe aéronaval opérationnel. Comme nous l’avons déjà dit, chaque maillon de la chaîne
doit être de très haute qualité. Cela concerne le matériel comme le niveau d’entraînement des équipages.

       Actuellement seules deux nations                                      disposent          de      groupes         aéronavals           véritablement
opérationnels : les États-Unis et la France.

19
     Ce navire devait initialement servir dans la Marine nationale sous le nom de Normandie. Il s’appelle désormais Tahya Misr soit « Vive l’Egypte ».
20
     12 exemplaires pour un total de 34 milliards d’euros. Contrat signé le 20 décembre 2016. Ce contrat pérennise des milliers d’emplois en France.

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A/ Les États-Unis

        Les États-Unis disposent actuellement de 10 porte-avions nucléaires en activité 21 et de 9 groupes
aéronavals opérationnels. Chaque groupe est organisé autour d’un porte-avions nucléaire de 85.000 tonnes
de la classe Nimitz.

        Ces navires seront, dans les décennies à venir, remplacés par d’autres, plus modernes et encore plus
puissants. En effet, une nouvelle génération de porte-avions nucléaires lourds arrive : 112.000 tonnes – 333
mètres de long – vitesse supérieure à 30 nœuds, catapultes électromagnétiques capables de produire 30% de
sorties quotidiennes en plus, etc.

       Le CVN 22 78 Gerald Ford lancé le 17 novembre 2013, actuellement en phase d’essais, entrera en
service vers 2020. Le CVN 79 John F. Kennedy est en construction depuis 2011 et le CVN 80 Enterprise
depuis le 24 août 2017 (date de la cérémonie de découpe de la première tôle). La construction du CVN 81
est déjà planifiée. Les États-Unis sont la seule nation capable de construire des porte-avions en
permanence.

                                                        Le porte-avions Gerald Ford aux
                                                        essais en avril 2017.

                                                        Source libre

21
   Le Nimitz (CVN 68), le Dwight D. Eisenhower (CVN 69), le Carl Vinson (CVN 70), le Theodore Roosevelt (CVN 71), le Abraham Lincoln (CVN 72), le
George Washington (CVN 73), le John C. Stennis (CVN 74), le Harry S. Truman (CVN 75), le Ronald Reagan (CVN 76), le George H. W. Bush (CVN 77).
22
   Pour Carrier Vessel Nuclear.

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Le Carrier Strike Group de l'USS Ronald Reagan en mer des Philippines en 2007. Cette configuration – avec des navires très rapprochés –
  est prise uniquement pour la photo. En configuration opérationnelle, le groupe aéronaval est dispersé sur une large surface.

  Source libre

        B/ La France

       La France dispose d’un seul porte-avions. Il est à propulsion nucléaire, c’est le Charles de Gaulle.
Cela donne un groupe aéronaval qui doit se mettre en sommeil chaque fois que le porte-avions est en
indisponibilité périodique d’entretien et de réparations (I.P.E.R.) ou en en arrêt technique majeur (A.T.M.).

        Le Charles de Gaulle a été construit entre 1994 et 2000. Il est en service depuis 2001. C’est un navire
de 261,5 mètres de long et de 42.500 tonnes à pleine charge. Ses machines développent 83.000 chevaux et il
peut atteindre 27 nœuds. Il peut mettre en œuvre jusqu’à 36 avions Rafale mais aussi 4 hélicoptères et deux
Hawkeye.

        Actuellement, il est en A.T.M. Il en sortira totalement rénové et modernisé.

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Le porte-avions français Charles
     de Gaulle à Toulon en 2002.

     Source libre

Le porte-avions Charles de Gaulle en
compagnie du porte-avions américain
Enterprise (CVN 65) en mai 2011.

Source : U.S. Navy photo
Photographe : Mate Airman Doug
Pearlman

        La    Marine    nationale
dispose de frégates modernes
comme celles de la classe Forbin,
spécialisées dans la lutte anti-
aérienne et pivot du groupe
aéronaval français. Ces dernières
sont    équipées    du   système
P.A.A.M.S.

    La frégate Chevalier Paul de la
    classe Forbin en juillet 2017 en
    mer Méditerranée.

    Source libre

                                 – N° 3 – mai 2018   Page 12
Les groupes aéronavals américains et français sont hautement interopérables. Cela signifie que des
unités américaines peuvent intégrer le groupe aéronaval français, que l’inverse est possible mais aussi que
les Rafale de l’aéronavale française peuvent s’entraîner sur les porte-avions américains. Des McDonnell
Douglas F/A-18 Hornet appontent aussi sur le Charles de Gaulle.

Un avion Rafale français
effectue un touch and go sur
le porte-avions américain
Eisenhower en 2009.

Source libre.

            C/ La Russie

       La Russie ne dispose pas d’un groupe aéronaval vraiment opérationnel. 23 Elle met en œuvre son seul
porte-avions, l’Amiral Kouznetsov depuis 1995. De type STOBAR, ce navire embarque actuellement une
quinzaine d’avions de chasse et une douzaine d’hélicoptères.

      Le    porte-avions
      russe       Amiral
      Kouznetsov      en
      2012.

      Source libre

23
     En raison des faiblesses de la marine russe en navires de soutien.

                                         – N° 3 – mai 2018                                         Page 13
D/ La Chine

       La Chine a de fortes ambitions navales, de manière à pouvoir rapidement prendre le contrôle total de
la mer de Chine puis ensuite, devenir une puissance thalassocratique à part entière. Elle ne dispose
cependant que d’un porte-avions STOBAR opérationnel : le Liaoning, navire de la classe de l’Amiral
Kouznetsov, acheté en 1998 et opérationnel depuis peu. Il peut embarquer une quarantaine d’avions et
d’hélicoptères dont 26 chasseurs Shenyang J-15. En décembre 2016, le groupe aéronaval chinois est parti
en manœuvres dans l’océan Pacifique. Il a donc quitté la mer de Chine pour la première fois. Le groupe
aéronaval chinois devrait stabiliser sa composition de la manière suivante :

     -     Un porte-avions ;
     -     Six destroyers ou frégates ;
     -     Deux S.N.A. ;
     -     Un       pétrolier
           ravitailleur.

 Le porte-avions chinois
 Liaoning en 2017 dans la
 baie de Hong-Kong.

 Source libre

       La Chine construit actuellement aux chantiers naval de Dalian, une version nationale du Liaoning
mais aussi – selon des sources chinoises – un porte-avions beaucoup plus ambitieux, de type CATOBAR et
à propulsion nucléaire.

          E/ Le Royaume-Uni

       La marine britannique est en train de renouer avec une longue tradition de porte-avions, interrompue
en 2005 avec le retrait du service actif du dernier des trois porte-avions légers construits dans les années
soixante-dix : le HMS 24 Illustrious, le HMS Ark Royal et le HMS Invincible. Le HMS Queen Elisabeth
devrait entrer en service vers 2019 et le HMS Prince of Wales est toujours en construction. 25 Ces deux
navires sont des porte-avions SVTOL.

24
    Her Majesty’s ship.
25
    Il reprend ainsi le nom du célèbre cuirassé qui intercepta le Bismarck en mai 1941 et qui fut coulé le 10 décembre 1941 au large de la côte est de la Malaisie
par des avions torpilleurs japonais.

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Le problème de la marine britannique est qu’elle ne dispose pas pour l’instant des avions nécessaires
à l’utilisation optimale de ses porte-avions. Le HMS Queen Elisabeth n’est donc qu’un porte-hélicoptères en
attendant l’arrivée des Lockheed-Martin F 35 B Lightning II.

       De plus, sa flotte de destroyers et de frégates est modeste : six destroyers lance-missiles modernes de
type 45 et 13 frégates type 23 qui avouent leur âge. 26

                                            Le porte-avions HMS Queen Elisabeth en
                                            février 2018.

                                            Source libre

26
     En service depuis 1987.

                               – N° 3 – mai 2018                                                      Page 15
F/ L’Inde

       L’Inde enfin, affiche des ambitions aéronavales. La marine indienne ne dispose pourtant que d’un
seul porte-avions, le Vikramaditya, 27 ancien porte-avions soviétique de type STOVL transformé en
STOBAR. Il est opérationnel depuis 2013 et met en œuvre des chasseurs d’origine russe MIG 29 K qui
affichent une très faible disponibilité.

       L’Inde termine cependant la construction
de son premier porte-avions national, le Vikrant.
28
   Commencé en 2009, il devrait être mis en
service en 2020. C’est un navire en configuration
STOBAR.
                         Le porte-avions indien Vikramaditya en
                         2013 lors d’essais à la mer.

                         Source libre

                                                                                 Le porte-avions indien Vikrant en construction
                                                                                 en 2015 aux chantiers navals de Cochin à Kochi
                                                                                 dans l’État du Kerala.

                                                                                 Source libre

                                                                                                *                 *
                                                                                                         *

                                                         Les groupes aéronavals sont bien au cœur de la
puissance des grands États. Puissance établie ou simplement puissance affichée. Certains experts considèrent
que les porte-avions sont fragiles et impossibles à protéger, que les nouvelles générations de missiles
antinavires vont les rendre obsolètes. Pour l’instant, ils restent de formidables plateformes de projection de
puissance. Aux frégates, aux destroyers, aux sous-marins et aux moyens de chiffrement de plus en plus
sophistiqués incombe la mission de les protéger efficacement. Les États-Unis ont bien intégré ce nouveau
paramètre en développant une génération de destroyers révolutionnaires dont nous reparlerons bientôt…
                                             ________________

                                                                                    Lycée Jean-Pierre VERNANT
Au programme le mois prochain :
                                                                        JPV FOCUS DÉFENSE n°3 – mai 2018 – Mensuel
« Devenir pilote de chasse,
                                                                  Responsable de la publication : Christine Margerand - Proviseur
c’est difficile ? »                                               Rédacteur : Thibault Richard, référent Défense
                                                                  Contact : thibault.richard@ac-versailles.fr

27
     Roi légendaire d’Ujjain, célèbre pour sa sagesse.
28
     Le Courageux.

                                          – N° 3 – mai 2018                                                                       Page 16
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