LE SYMPTOME : une crise de l'interface psychique/social

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LE SYMPTOME :
    une crise de l'interface psychique/social

                                  par
                  Georges ROUAN & Marcel THAON
                       (Université de Provence)

1/ Problématique :
A/ LES TROIS CHAMPS DE LA SOCIALE-CLINIQUE :
                      Le point de vue que nous présentons concerne l'étude du
développement des systèmes psychologiques de liaison et d'inter-action. Il
implique toute une série de présupposés, le principal est que il est fructeux de se placer à
l'intersection des champs du psychisme individuel et du social pour observer le point de
rencontre entre l'individu et les formations externes qui l'entourent. Ce qui est alors pertinent
ne concerne ni :

           - Le désir individuel dans sa dimension a-temporelle et a-topique, tel que Freud
(1905) a pu le décrire en son temps et tel que la psychanalyse l'a depuis repris. L'objet
externe y demeure contingent/reste diurne", élément du "magasin des accessoires", trace en
creux autour de laquelle s'enroule le trajet de la pulsion.

            - Le phénomène social, dans sa dimension trans-individuelle, indépendante des
personnes qui le compose. La "société" est un macro-objet qui n'apparait pas dans le champ
de notre investigation.

            Mais plutôt la zone interstitielle d'échanges entre le dedans et le dehors où les
informations se transmettent dans un sens entre l'individu et son environnement, dans l'autre
entre les champs différenciés qui bordent le sujet : famille, culture, groupes sociaux.

           La Clinique des Systèmes Relationnels concerne donc trois champs:

              1/LE GROUPE, SES PRECURSEURS, SES FONCTIONS : Nous nous intéressons
ici aux relations inter-psvchiques collectives dont l'étude s'ouvre sur celle des relations
psychiques dans la famille mais qui peut aussi concerner les situations de groupe : la
fonction d'étayage sur le groupe (chez l'adolescent par exemple) ou des représentants
psychiques du groupe (dans l'idéologie par exemple) a été étudiée par René Kaës et permet
de rendre compte des inter-liaisons qui se tissent entre le sujet et ses groupes d'apartenance
tels qu'ils lui fournissent des appuis narcissiques. Nous

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avons nous même étudié le fonctionnement réciproque des liens qui unissent le parti
communiste à ses membres à travers un épisode de crise dans la vie d'une cellule.

     2. LE        CHAMP          ETABLI          PAR LA  CULTURE         :             L'OBTET
INTERMEDIAIRE: L'organisation culturelle sur laquelle s'étaye le sujet lui           fournit des
associations toutes-prêtes: des émotions contenues dans une enveloppe                  culturelle
partageable entre un groupe d'individus donné. Les objets culturels sont alors        triplements
articulés : au sujet, au groupe et à l'histoire.

             - Au sujet: car c'est à lui de donner vie à des associations qui ne sont que
potentiellement contenues par l'objet. La rencontre avec l'objet peut toujours être manquée,
l'articulation se défaire.
             - Au groupe: car l'objet culturel est la construction d'un groupe et ne trouve de
sens que dans celui-ci. L'investissement groupai détermine la radiance de l'objet culturel
pour le sujet, et même son existence.
             - A l'histoire: car un objet de culture change de contenance au fil du temps. Celle-
ci dépend de mouvements d'investissement dans le groupe tels que des objets se chargent ou
se vident d'associations en contrepartie des mouvements d'investissement (erotiques ou
idéalisés) ou de désinvestissement. L'exemple d'un objet comme l'ordinateur permet de
réfléchir aux avatars d'un outils devenu pour un temps un contenant narcissique imaginaire,
tel qu'un mot acquiert des représentations et articule des émotions potentielles.

              La culture et ses objets prennent alors le statut d'objets intermédiaires ou
d'articulateurs relationnels/émotionnels. Ils fournissent des points de jonction aux psychés
pour peu qu'ils fonctionnent sur le modèle de la métaphore. Une de nos taches sera de
réfléchir au statut des objets externes que nous fournissons aux enfants dans le cadre des
prises en charge thérapeutiques : nous faisons l'hypothèse que les jouets à utiliser que
Mélanie Klein désignait comme les équivalents des associations libres de la cure d'adultes,
mais sont plutôt des formations intermédiaires qui rendent qui rendent compte de
l'articulation nécessaire entre deux appareils psychiques et de l'état de leur relation.

             De tels objets ne sont intermédiaires que s'ils sontl'occasion de la rencontre à
travers eux de deux psychés différentes et qui se constituent en conséquence de cette
rencontre là.. Sans la co-présence des trois éléments (deux psychés et un objet culturel) qui
fondent la relation, il n'y a pas de relation intermédiaire, et il devient possible de construire
une typologie des relations à l'objet qui irait de la modalité fusionnelle où l'objet n'est pas
constitué à la symbolisation, en passant par l'investissement pervers qui promeut l'objet (réel
ou idéologique) au rang de leurre narcissique et fait disparaître l'autre dans sa singularité.
Peut-être pourrait-on remplacer dans la terminologie métapsychologique le terme de
symbole qui renvoie à l'objet, par celui de relation symbolique qui désigne sa fonction
d'articulation entre les psychés.

        3. LA RENCONTRE INTER-INDIVIDUELLE : LIENS DANS LE TRAVAIL
CLINIQUE : L'intérêt récent pour les recherches sur les inter-actions bébé-mère (W.

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Bion, S. Lebovici, L. Kreisler, P. Gutton, M. Pinol) montre que l'attention se porte peu à peu
- après une longue période strictement développementaliste - sur les systèmes inter-actifs.
Nous portons cet intérêt vers les situations inter-actives de la pratique clinique. Un postulat
que nous empruntons à D. MELTZER (1981) oriente notre démarche : le travail clinique
consiste en l'observation de la rencontre entre deux psychés - en particulier dans leur
versant infantile- et des effets de celle-ci. Nous nous servons donc des concepts de la
métapsychologie qui rendent compte des articulations entre le sujet et l'autre :
l'identification, la projection et l'introjection dans les situations cliniques. Une notion comme
celle de contre-transfert permet de réfléchir à la partie des processus psychiques qui
témoigne d'un contact entre les appareils psychiques, tel que des lignes associatives de
l'interlocuteur - ou même des ruptures dans ces lignes associatives - produisent des effets
d'échos ou de prolongement dans la pensée libre du thérapeute (cf M. de M'UZAN, 1969).
La relation clinique est ainsi conçue comme un échange constant de représentations dont
les achoppements montrent les points communs de résistance. Nous donnerons plus loin un
exemple des échanges qui s'établissent entre le patient et le thérapeute, dans la ligne des
travaux de Michel de M'Uzan (1974).

B/LA QUESTION DU SYMPTOME DANS LE POINT DE VUE SOCIAL-CLINIQUE:
            Dans ces trois champs, il est ainsi possible de travailler la question du rapport
dedans/dehors chez le sujet à partir du postulat qu'il existe des systèmes évolutifs
d'articulâteurs entre l'interne et l'externe qui peuvent prendre au moins deux états
différenciés :

            Un état symbolique du lien, tel que celui-ci permet la proximité d'objets
hétéroclites dans le champ inter-individuel, dans la mesure où les deux parties de l'interface
sont maintenues séparées, psychiquement et culturellement, par une articulation. Le lien est
une association fondée par un eccart.

             Un état de crise du lien qui, de notre point de vue, définit le symptôme, dans
lequel les deux portions se touchent, frottent l'une contre l'autre et produisent des zones
d'irritation contre lesquelles viennent lutter des mécanismes de défenses individuels et
groupaux - souvent répétitifs sinon ritualisés - qui retardent l'apparition proprement patholo-
gique du symptôme.

             Dans l'optique d'un analyse fine des influences réciproques de la position
personnelle du sujet et des éléments culturels sur l'issue de la crise, il pourrait être fructueux
d'étudier les situations où l'intermédiaire culturel cesse de fonctionner comme double
articulateur du dedans et du dehors : les appuis culturels du délire par exemple.

           1° En partant de la formation de compromis;

                       Chez Freud le symptôme est défini comme une formation de
compromis entre le désir et la défense. L'un et l'autre sont des processus internes au sujet,
même si la seconde topique introduit la présence des objets externes interdicteurs sous la
forme des identifications/introjections aux interdits parentaux.

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L'extérieur a alors une sorte d'existence "en creux" dans l'individu, essentiellement confondu
aux processus défensifs.

            2° L'interface entre le psychique et le social ; Dans l'optique d'une observation
des interfaces, nous nous proposons de définir le symptôme du point de vue social-clinique
comme :

                      - UN SIGNE : celui d'une irritation des interfaces. L'échec de la
fonction de séparation de la culture (pour le groupe) ou de l'appareil à penser (pour
l'individu) qui signe la mise en contact des objets hétérogènes. Pour prendre un
Concept plus classique dans la clinique psychanalytique le symptôme montre l'échec
des processus décrits par D. WINNICOTT sous le nom d'espace transitionnel et qui
concerne pour l'adulte la capacité qu'a la culture - en tant qu'articulateur - d'assurer la
co-présence d'objets, de mentalités et de préoccupations hétéroclites sous le primat de
l'illusion. Du côté de l'individu, ce processus intermédiaire/tampon assuré par les
investissements de la culture s'appelle la symbolisation : elle demande à l'individu
de supporter l'eccart entre sa pensée et les objets externes. Elle demande à la culture
du groupe (ou du sous-groupe) de supporter les eccarts entre les individus qui la
composent (cf les travaux de R. KAES sur l'idéologie).

          - UNE CRISE : La crise d'une désarticulation qui produit des réactions à
l'endroit même de la dé-liaison. Réactions qu'il est possible alors de décrire
séparément des deux côtés :

                     - Du côté du groupe : comme tentative d'expulsion du corps
devenu étranger et de nouvelle affectation dans une fonction connue.
                      > Du côté du sujet : souvent en plusieurs étapes, comme tentative de
maintenir le statut-quo - par le recours à la maladie par exemple - puis d'utiliser la
projection défensive pour maintenir éloignés les éléments irritatifs ou la négation
omnipotente des différences, en une série qui apparaît à l'observateur extérieur paranoïde et
fait donc penser à la psychose, bien que le lien établi ne soit narcissique qu'en apparence
(réactivement à un désaccordage entre les éléments).

             Nous résumerons notre argumentation en quatre points. Pour le point de vue
social-clinique :

           - Le rapport du sujet à l'environnement dramatise la question de l'articulation
produite par l'individu et/ou fournie par la culture et qui conjoint/sépare les éléments en co-
présence. Nous observons donc les intermédiaires.

            - Le symptôme signe la présence d'une crise                      dans       l'articulation
interne/externe telle que, du point de vue phénoménologique, la jonction souple des
éléments n'est plus assurée et que la distinction entre les espaces semble disparaître.

            - La crise produit dans le groupe qui l'accueille des réactions défensives
d'au moins deux ordres :
                       * Une désorganisation intégrée, qui concerne le groupe tout entier et
qui tend à être intégré à son fonctionnement muet, par exemple sous forme ritualisée.

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* Une désorganisation complète, qui peut ne concerner que des
éléments particuliers du groupe, des maillons faibles qui servent rétroactivement au groupe
à ne pas éclater totalement.

             - Ce point de vue permet d'observer le point d'intersection entre le psychique et le
social tel les processus qui régissent l'un tendent - en temps de crise -à se reverser dans
l'autre. La prise en compte de groupes sociaux comme les sections de partis politiques, par
exemple, permet de repérer des mouvements lors desquels la désorganisation du groupe
institué est confondue avec des effondrements psychiques personnels. Ceci témoigne de la
capacité des groupes comme des individus à s'illusionner sur la complémentarité qui existe
entre le psychique et le social, et à dénier la séparation épistémologique des deux champs.
C'est cette capacité d'illusion qui assure le plus souvent le fonctionnement des structures
articulatoires tant qu'elle fonctionne sous le primat de la symbolisation. C'est elle qui préside
à l'effondrement de la distinction sujet/objet par temps de crise.

/// Vignettes cliniques :
                              Nous allons maintenant vous exposer quelques bribes cliniques
qui serviront à illustrer les propos quelques peu arides que nous avons tenus jusqu'ici.
Chacune est choisie pour rendre compte d'un aspect des turbulences rencontrées à l'interface
du social et du psychique.

             1°/ Du langage au bruitage : une crise de l'interface
                            Le premier exemple procède de la clinique individuelle et
sert à attirer l'attention sur le fait que les symptômes comme les délires portent sur le point
d'articulation du sujet avec son environnement.

            Il s'agit d'un patient paranoïde, sinon paranoïaque, dont une partie des
préoccupations porte sur le bruit infernal fait par les voisins la nuit et les opérations à mener
pour contrecarrer l'envahisseur sonore. Une cuisinière fait s'entrechoquer les assiettes de la
communauté où il vit pendant qu'elle fait la vaisselle. Une 'vieille bonne femme' allume la
télévision dans le réfectoire adjacent. Un partie féminine d'un supposé 'couple' à l'étage
supérieur déplace des meubles toute la nuit et fait exprès de laisser claquer les talons de ses
souliers pour lui rappeler qu'il est seul la nuit. Des solutions diverses sont essayées : faire
hurler le poste radio ; sortir toute la nuit ; insérer des boules Quiès dans les oreilles. Mais cela
ne sert à rien : les boules Quiès aussitôt introduites ouvrent les vannes des bruits internes du
corps. Le fracas du sang qui circule rend impossible tout sommeil. Les conversations avec
des collègues deviennent bientôt des dialogues de sourd : après quelques échanges, les
paroles de l'interlocuteur semblent disparaître dans un brouhaha informe, fait de bruits de
mastication, de clefs qui s'entrechoquent,               de pets et de rots sonores.             La
communication intelligible est coupée par le vacarme de la vie.

           —* Remarques théoriques sur la communication : Cet exemple nous incite à
repenser au double ancrage de la communication qui vient soutendre les angoisses
déclenchées par la relation à l'autre. Pour se défendre des inquiétudes

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persécutrices provoquées par les liens - qui renvoient bien sûr à la haine de la scène primitive,
mais plus généralement à la colère déclenchée par toute liaison, la colère de devoir reconnaître
qu'il existe une interface iréductible entre soi et l'environnement - le patient mène une
campagne anti-bruit destinée à rompre la communication en s'appuyant sur la double
caractéristique de la parole d'être un son autant qu'un message. Comme l'écrivait Roland GORI
en 1978, dans "Le corps et le signe dans l'acte de parole" (Dunod), la parole est placée dans l'axe
qui unit le corps (d'où la parole est issue) et le code (le message). La relation qui unit le bébé et
la mère joue sur le paradoxe de messages qui se véhiculent sur une matière sonore au départ
primordiale sur le code. La voix de la mère et sa mélodie inextricablement mélangée aux
informations visuelles, hors de tout code, fournit une structure liante au bébé et à laquelle celui-
ci va s'identifier de telle manière qu'il absorbe le message avant de le comprendre. Les travaux
cliniques sur les groupes (D. Anzieu, 1974 ; R. Kaës, 1976) nous apprennent à reconnaître
l'importance de ces signes de liaison que sont, du côté du code, les éléments communs de
vocabulaire qui permettent de se reconnaître les uns les autres comme appartenant au même
groupe, et, du côté du corps, les équivalents sociaux de la matière sonore : bourdonnements
discrets de la collectivité au travail, signes vestimen- taires d'appartenance.

            Le patient évoqué ici révèle l'importance des signes de liaison à l'autre en
les détruisant. Wilfrid Bion le montrait en 1959 à propos de la psychose, l'attaque contre les
liens sert au malade à se débarrasser, avec son lien perceptif au monde, du monde extérieur
douloureusement hors de sa toute puissance. Deux processus se conjoignent alors, qui nous
introduisent à la psychologie des articulations:

             - Le malade se vit comme un corps-passoire : d'abord identifié aux murs minces de
sa chambre, il se retire sur son corps, se bouche les orifices, mais le son entre tout de même.
L'articulateur psycho-social maintient la séparation comme l'adéquation entre le sujet et l'objet,
le dedans et le dehors ; perdu il est remplacé par un vécu subjectif d'envahissement bien connu
dans la psychose, et qui, du point de vue que nous adoptons révèle l'importance et les fonctions
des conjonctions potentielles fournies par la culture. Le métier de cette personne lui
fournissait avant le déclenchement de la crise un modèle culturel d'articulation aux autres
qui prônait l'acceptation indiscriminée des autres, le refus de la possession (pas de maison à
soi), le don. L'image inversée du contenu présent de son délire.

            - Le malade sépare avec la matière même de la com- munication, les mots qui
deviennent une pâte sonore. Ceci nous montre qu'en fait la fonction de lien communicatif du
langage n'est pas inscrite dans sa définition d'existence, mais dans l'investissement qu'en font le
sujet comme ses interlocuteurs. Il se retrouve coupé des autres par l'outil même qui relie et privé
de lieu pour exister dans un contenant séparé/sécure/stable.

            - Du point de vue de la relation clinique, il va présenter une sensibilité exacerbée à
tout se qui peut se relier et être séparé, particulièrement des objets inanimés de
l'environnement qui viendront représenter les relations inter-subiectives donnant ainsi un
exemple concret de la problématique théorique que nous essayons de construire, il remarque
immédiatement les prises électriques et téléphoniques débranchées, l'intermittence suspecte de
la lumière en cas d'orage, les

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espaces séparant les meubles, etc.. La liaison culturelle perdue aménage deux séries de
représentations disjointes : les objets externes ; le psychique qui entrent en opposition/clivage.

            2°/ CRISE DANS LA CULTURE : le poids des mots, le choc des photos :
                       Un exemple portant sur l'articulation            du     groupe       et de
l'environnement par l'intermédiaire de sa culture permettra de mieux repérer les processus à
l'œuvre lorsque la culture cesse de faire son office d'espace de jonction : l'envahissement du
groupe par des représentations venues du dehors.
            Il s'agit de l'effet d'un événement réel - le bombardement d'Hiroshima en 1945 par
 les américains - sur une partie de la culture américaine : le gorupe des écrivains et des lecteurs
 de science-fictiojn de l'époque.

            —? Pourquoi ce groupe? Parce que la SF qui véhicule un imaginaire psychosocial
sur la science a partie liée avec la découverte de l'atome.

             —> Dans quel processus? Depuis 1926, date d'introduction véritable du genre aux
U.S.A., les écrivains avaient créé une quantité immense d'armes imaginaires avec lesquelles
ils pulvérisaient planètes et univers entiers, pour le plus grand plaisir de multiples lecteurs. Ce
sont les récits de space opéra qui étaient les plus populaires à l'époque.

          —* Avec quelles conséquences? La nouvelle de l'éclatement de la première bombe
atomique produit une série de conséquences :

                      - Toute-puissance : Pendant quelques mois le genre est traversé
d'une vague de toute-puissance basée sur ces constatations plus ou moins véridiques :
                               •¦ Nous avions raisoQ de telles armes existent.
                               "•* Nous avions prédit exactement ce qui s'est passé. Nous
savons avant les autres! Il se raconte que Cleve CARTMILL qui venait de publier quelques
mois auparavent dans Astounding, Deadline, un récit sur la construction de la bombe atomique,
s'est vu soupçonner d'espionnage par le FBI.
                               «•* Le genre SF est enfin reconnu et nous avec, dans la foulée.
                               !
                                 «~ L'Homme est maintenant le maître de l'Univers.

           Ceci est confirmé par des éditoriaux de l'époque dans la revue Astounding.

                     - Traumatisme : Et puis les nouvelles arrivent du Japon, petit à
petit, elles confirment la puissance de la bombe atomique, mais rappellent aussi
qu'elle sert à détruire et mutiler des êtres de sang et pas des symboles sur un papier.
Cela produit un effet de choc en retour, de telle façon que le genre SF entre dans une
crise d'écriture et d'édition qui durera plusieurs années (jusqu'en 1949) : les principaux
écrivains n'écrivent plus ou plus rien d'intéressant. Les ventes diminuent, en particulier
celles de la revue associée à la découverte de la bombe. La thématique abordée
sombre dans l'ennui : il ne s'invente plus d'armes nouvelles, on se contente de mettre
la bombe atomique à toutes les sauces comme si l'imagination manquait tout à coup.
La mode des épopées spatiales et des grands conflits avec des races extra-terrestres
passe même. Cette retombée sur Terre révèle la perte de l'articulation dedans

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dehors qui était fourni jusqu'alors par le genre littéraire, micro-culture du groupe
concerné. Jusqu'alors le genre fournissait une structure lâche dans laquelle venaient se
conjoindre sans se rencontrer :
                                  *¦ L'imaginaire des auteurs, leur subjectivité.
—» Pourquoi? L'hôpital psychiatrique ne fournit que peut de modèles de
l'articulation possible sain d'esprit / fou. La différence, invisible à l'œil nu, ne peut se fonder
directement sur du visible. L'identification entre le soignant et le malade en est d'autant plus
difficile qu'elle ne se fonde pas ici encore sur une articulation possible, mais deviendrait
facilement à une indifférenciation (cf le film LILITH ou un infirmier tombe amoureux d'une
patiente psychotique et devient fou). Deux représentation clivées s'imposent alors :
                        - Le fou et l'équipe soignante mélangés. Très prégnante chez les visiteurs
de pavillons de psychiatrie communautaire. Qui est le fou? L'articulation est niée par la
disparition d'une solution de continuité.
                        - Le fou encadré par l'équipe : Représentation du garde-chiourme de prison
ou du contenant-poubelle. La poubelle hospitalière ne peut être une représentation adéquate de
l'articulation équipe/malades : dans une poubelle, toute sorte d'objets hétéroclites sont entassés
(mélangés), sans servir les uns aux autres.

OBSERVATION 1: EVITER LA JONCTION. Fermeture hermétique entre les deux surfaces
pour éviter le contact. Toute une série d'artifices permettent de marquer la différence et
équivalent aux galons dans l'armée : la blouse blanche, des dispositions spatiales comme celles
qui amènent l'équipe à rester dans des endroits privilégiés (la cage de verre, l'infirmerie). Mais
ces artifices deviennent vite des rituels :
                       - Passage des couverts au feu (oralité dangereuse).
                       - Douches quotidiennes et changement de vêtements.

OBSERVATION 2 : REINTEGRER LA DIFFERENCE. Construction d'un clivage interne à
l'équipe. Mais le centre du système défensif concerne la négation de la différence psychique
et son remplacement. Dans l'exemple choisi, deux remplacements :
                        **• EXTERNE : la folie devient la syphilis. On craint "d'attraper la
syphilis" (c'est pour cela qu'on passe le couverts au feu). Les malades sont décrits en termes de
différences physiques : ce sont des "estrasses", des "pédés", des "clochards".
     et surtout:        *• INTERNE : La différence crainte est remplacée par la différence
des sexes. Un antagonisme très important sépare les portions d'équipes :
                                  - Matin / Après-midi
                                  - 7h / 9h (ergothérapeutes, psycho- logues, etc..)
                                  - Hiérarchie.

et surtout :                    - Hommes / femmes: que ce soit entre les pavillons ( le
pavillon adjacent est 'tenu' par les femmes) ou à l'intérieur du pavillon ("les femmes, il faut les
donner au cochons ; les cochons leur mangent les yeux ; les arabes ils en veulent même pas").
La différence des sexes a remplacé la différence psychique.

VERIFICATION DE L'HYPOTHESE

           Cette hypothèse de travail ne peut se vérifier que si le réseau défensif se déritualise
en un point du temps et laisse place à une crise proprement dite. C'est ce qui c'est passé un jour
où le médecin-chef a décidé de faire changer les mœurs du pavillon en obligeant l'équipe à
partager plus la vie quotidienne des malades. Il a créé ainsi des groupes de vie lors desquels
chaque membre de l'équipe devait s'occuper

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particulièrement de quatre malades et les suivre le long de la journée. Les réactions ne se sont
pas fait attendre :
             - Eviteraient par l'externe : Une défense qui garde la possibilité de maintenir la
cohésion du groupe des soignants en exportant le problème au dehors par : L'organisation de
sorties constantes avec les malades.
             - Fuite dans l'externe : Par la disparition d'une partie des membres du groupe par
fait de maladie et de vacances prématurées (le changement est décidé en juin).
             - Irruption du fantasme de base : devenir fou. Des membres de l'équipe ne
peuvent supporter le situation et se laissent aller à des discours proches du délire ("Je vais partir
à l'émeraude" ; "Donnez moi une poche de glace" ; "La folie passe sous les portes et les
fenêtres").

CONCLUSION : Cet exemple permet de réfléchir à la situation dans laquelle l'impossibilité à
penser la liaison des différents (car impossibilité à penser les ressemblances) ouvre à la
confusion des différents seulement évitée par des rituels en miroir inversé qui retournent la
question sur l'intérieur de l'équipe.

         4°/ UNE CRISE DANS LE PSYCHO-SOCIAL : dans une cellule du parti
communiste :

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