Le Lien - N 416 - Eglise catholique en Algérie
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Le Lien Diocèse d’Oran 2, rue Saad Ben Rebbi 31007 Oran el Makkari ALGÉRIE N°416 mai - juin - juillet 2019
ÉDITORIAL HOSPITALITE… Dans la tradition musulmane, le mois de Ramadan est idéalement le mois de l’hospitalité. Cette hospitalité se manifeste de bien des manières : rassemblement des familles autour du repas de rupture du jeûne, soutien aux plus pauvres et aux plus isolés, lecture en continu et communautaire du Coran pour laisser davantage de place à Dieu en soi. Nous faisons régulièrement l’expérience de cette hospitalité par l’invitation de telle ou telle famille à venir «rompre le jeûne ». Mais le mois de Ramadan, par ses rites, son atmosphère et le jeûne, dessine aussi une frontière entre ceux qui en sont et ceux qui n’en sont pas. Jamais autant que durant ce saint mois, nous nous sentons à la fois étrangers et accueillis. Accueillis parce que largement étrangers à une culture, une religion, une appartenance. Chacun de nous se situe comme il l’entend, pour certains en différence assumée, pour d’autres en adaptant son rythme de vie à celui dont on partage le quotidien, pour d’autres encore en jeûnant plus ou moins strictement. Ce mois est à la fois attendu car riche en occasions de rencontres humaines, et aussi un peu redouté tant il bouscule nos fragiles équilibres. Cette année, ce mois de Ramadan, comme déjà les années précédentes, a été marqué d’une pierre blanche grâce à la quinzaine de soirées de Ramadan organisées au Centre Pierre Claverie ou dans d’autres lieux du diocèse (CDES, bibliothèque Sofia, bibliothèque biomédicale, bibliothèque du Centre Pierre Claverie, soirées du groupe de marche du frère César…). Pour ne parler que d’Oran ! Soirées spirituelles, festives, culturelles, musicales, organisées à notre initiative ou en partenariat avec des associations oranaises, ces soirées auront attiré des centaines de personnes, essentiellement des jeunes. Ce fut un réel bonheur de sentir battre le cœur d’une société civile et d’une jeunesse qui force le respect. La soirée du 16 mai, deuxième célébration de la journée internationale du Vivre Ensemble en Paix, a par exemple rassemblé les quinze associations oranaises qui ont organisé des manifestations diverses à Oran dans la quinzaine précédente. Une nouveauté cette année : l’organisation d’un repas de rupture du jeûne participatif avec ceux qui le souhaitaient. C’est un geste fort de venir vivre ce moment à la fois familial et quasi-religieux hors de chez soi, et chez des chrétiens. Nous étions soixante-dix pour cette première édition. Quelques jours plus tard, c’est une association de jeunes oranais qui organisait une des très belles soirées de ce mois. Avant la soirée, une magnifique table d’une cinquantaine de convives avait été dressée par leurs soins dans la cour du Centre, nous étions invités chez nous à partager ce repas de rupture du jeûne avec eux ! Ce moment fut pour moi très emblématique de ce que nous avons vécu durant tout le mois : la réciprocité de l’hospitalité. Nous avons ouvert largement nos portes et accueilli aussi bien que nous le pouvions tous ceux qui ont manifesté le désir d’organiser ou de participer à une soirée de Ramadan. En ce sens, nous avons offert l’hospitalité. Mais en même temps, souhaiter organiser une soirée au Centre Pierre-Claverie, ou y participer, est un signe d’ouverture qui n’est pas sans lien avec l’hospitalité. En Algérie, l’Église est accueillie par ceux qu’elle accueille. Ce qui est vrai pour toutes les activités de notre vie quotidienne prend dimension symbolique particulière en période de Ramadan. Cette année, ces soirées ont été, avec la prière, le partage et quelques journées de jeûne, ma façon privilégiée de vivre un beau mois de Ramadan. + fr. Jean-Paul Vesco op 2
JOURNEE INTERNATIONALE DU VIVRE ENSEMBLE EN PAIX 2019 La JIVEP à Oran, ce n’est plus seulement la « Journée Internationale du Vivre Ensemble en Paix » mais le nom d’un Collectif d’Associations de la ville. Et la « Journée » n’est plus de 24 heures mais une « Quinzaine du Vivre Ensemble en Paix » ! Quinze associations ont travaillé ensemble pendant plusieurs mois. « Vivre ensemble c’est faire ensemble ! » Une journée, c’est trop peu : du 1er au 16 mai, un programme débordant d’initiatives a été établi. Du début (avec la randonnée populaire au Murdjajo en passant par Santa Cruz) à la fin (avec la soirée de clôture au Centre Pierre Claverie), le diocèse a été protagoniste de tant de beaux moments de fraternité. Deux moments marquants : Le samedi 4 mai, l’association SDH a organisé un teambuilding dont le slogan était : « Coopérons pour bâtir la paix ». Le lieu choisi ? L‘« Esplanade du Vivre ensemble en Paix » du sanctuaire Notre- Dame de Santa Cruz, la première place au monde dédiée au Vivre Ensemble. Différents jeux et activités étaient proposés à une trentaine de jeunes ; quelques étudiants et focolarini présents ont pu s’y joindre. Ensemble, en se donnant les mains, ils ont représenté le mot « PAIX ». « Cette esplanade désormais est pour vous ! », a lancé l’évêque Jean-Paul Vesco aux associations réunies pour la soirée finale : 365 jours du vivre ensemble en paix sont possibles à Santa Cruz ! Le dimanche 5 mai, la Chorale Spirit (Fondation Djanatu El Arif) et la Chorale du Diocèse ont animé une soirée spirituelle au Théâtre Régional d’Oran. Si chacun chante son répertoire « traditionnel », c’est beau, mais si on chante ensemble c’est magnifique ! « Allahu mahabba, Allahu nûrun, Allahu hayâtunâ » : Dieu est amour, Dieu est lumière, Dieu est notre vie, à partir de ce refrain, d’autres versets en arabe ont été composés. Une seule chorale des jeunes « de toute langue, peuple et nation » … et religion ! Quelle révélation ! LISTE DU COLLECTIF JIVEP 2019 : - ASSOCIATION AMEL - ASSOCIATION ASPEIN - ASSOCIATION BEL HORIZON - CISP ONG - ASSOCIATION CHOUGRANI - ASSOCIATION DIOCESAINE D’ALGERIE - FONDATION DJANATU AL ARIF - ASSOCIATION FARD - ASSOCIATION GRAINE DE PAIX - ASSOCIATION LE PETIT LECTEUR - ASSOCIATION LES NOMADES ALGERIENS - ASSOCIATION REVE DE VIE POSITIVE (ARV+) - ASSOCIATION SANTE SIDI EL HOUARI (SDH) - THEATRE REGIONAL D’ORAN (TRO) Si vous cherchez des informations sur la page Facebook du Collectif JIVEP pour voler le secret d’une telle réussite, vous trouverez une seule indication utile : « Seul je vais plus vite, Ensemble on va plus loin » ! 3
JOURNEE DU VIVRE ENSEMBLE EN PAIX A SIDI BEL ABBES Un mois avant, le 16 mai, en plein ramadan, nous nous sommes réunis à une douzaine de personnes pour préparer ensemble cette après-midi du 15 juin : étudiants, chrétiens, voisins, jeunes adultes artistes, membres de la Fondation Emir Abdel Kader, jeunes et plus âgés membres de la Zaouya Allaouiya, collaborateurs divers, les spiritains. L’esprit que nous voulons : une dizaine de participations diverses limitées chacune à dix minutes… expression du vivre ensemble dans la diversité culturelle et religieuse. Chacun va préparer son intervention : artistique, spirituelle, lectures de messages, panneaux et les affiches sont faites. Et donc un mois après, nous voilà prêts pour cette demi-journée du vivre ensemble dans la paix. D’abord, bien sûr, l’accueil dans la grande salle pour nous saluer et se mettre dans le bain en regardant les panneaux d’expositions préparés par les uns et les autres : panneaux sur l’origine de la journée internationale du Vivre dans la paix, panneaux sur la visite du pape au Maroc, panneaux sur deux prix « Nobel » de la paix : Nelson Mandela et Rigoberta Menchu. Puis, on se rassemble dans la chapelle, aménagée pour privilégier la bonne écoute : presque 100 personnes, c’est une bonne surprise mais surtout, le bonheur de voir une assemblée diverse. Un artiste de SBA, passé maitre dans l’art des contes et des marionnettes, nous introduit à cette après-midi. Avec une courte vidéo et des prises de paroles des responsables, on rappelle l’origine et le sens de cette journée internationale : vivre ensemble en paix, c’est se reconnaître différents par nos cultures et nos religions, respecter le chemin de chacun, reconnaître les richesses des uns et des autres, ce qui nous unit comme la foi en Dieu et le respect de toute vie. Ce n’est pas toujours facile et cela s’apprend. Un artiste photographe présente des clichés qui montrent des personnes en situation de précarité : ces photos, ce n’est pas du « voyeurisme » c’est pour montrer des personnes pauvres, exclues : leur donner la parole par la photo : comme des interpellations qui nous sont faites pour nous mettre au service de la dignité de tous. Des jeunes adultes parlent de leur musique : Flamenco, chants du sud de l’Algérie, chants oranais ; c’est cela aussi s’ouvrir au vivre ensemble de différentes cultures. Lectures de messages du Cheikh Bentounès et du Pape François sur le Vivre ensemble dans la paix lus par Jean Marc et Michel, spiritains, deux membres de la Zaouiya Alaouiya et de la fondation Janatu al-Arif. Chants musulmans soufis, chants chrétiens par un groupe d’étudiants de la paroisse avec le Père Henry. Prise de parole du président des étudiants étrangers à SBA et président aussi de notre communauté chrétienne : sens et réalités du vivre ensemble pour des étudiants sub-sahariens ; prise de parole pour dire la nécessité, la difficulté et la joie de construire le Vivre ensemble dans leurs pays d’origines. Il a aussi souligné cette manière de vivre ensemble ici en Algérie : difficultés, parfois racisme, mais souvent bonne entente. Il appelle les parents à éduquer les enfants au respect de toute personne, quelles que soient son origine ou sa religion. Le Vivre ensemble dans la paix doit faire vraiment partie de l’éducation des enfants faite par les parents, par la religion et par l’école. Nous avions déjà souligné cela dans notre réunion de préparation. Chants flamenco par un jeune adulte algérien : chanter la vie. Le Vivre ensemble passe aussi par l’enrichissement mutuel entre cultures. Bonne après-midi bien vivante, avec de la diversité de personnes et de modes d’expressions. Rencontres interpersonnelles enrichissantes. Comme toute journée « temps fort » avec de bons messages : c’est à vivre après chaque jour. Jean-Marc BERTRAND 4
LA FETE DES DIX-NEUF BIENHEUREUX Le décret de béatification lu le 8 décembre lors de la cérémonie de Santa Cruz fixait la fête liturgique des nouveaux bienheureux au 8 mai, date de la mort du frère Henri Vergès et de la sœur Paul-Hélène Saint-Raymond en 1994. Le mercredi 8 mai, la communauté chrétienne et quelques amis ont donc célébré pour la première fois à la cathédrale cette fête des Bienheureux Pierre Claverie, ses compagnes et ses compagnons. À la fin de la messe, tout le monde s’est dirigé vers la tombe de Pierre Claverie pour y déposer dix-neuf lumières marquées du nom de chacune et chacun. Et en ce troisième jour de ramadan, tout le monde put prendre le repas du soir, une paella, dans la cour du Centre, à l’heure prescrite. VEILLEES DE RAMADAN Pendant ce mois de ramadan, environ quatorze veillées nocturnes de différents styles ont été organisées au Centre Pierre-Claverie et dans les deux bibliothèques du CDES. Il serait fastidieux de les énumérer toutes, mais quelques-unes méritent de rester dans les archives. Le 9 mai, la bibliothèque du Centre Pierre-Claverie, avec Alice et ses amis, annonçait une veillée des « mille-et-une saveurs ». Chacun était invité à préparer sur place ou chez soi un plat de sa région ou de son pays. Dans les cours du Centre, les visiteurs pouvaient goûter, moyennant une petite participation, à des plats de divers pays africains, préparés par les étudiants, ou à ceux de la tradition familiale algérienne. Le 16 mai est devenu depuis l’an dernier, sur décision unanime de l’ONU répondant à une initiative algérienne, la « Journée internationale du Vivre-Ensemble en paix ». Un concert en plein air, avec les 2 chorales musulmane et chrétienne, a eu lieu au Centre Pierre-Claverie, suivi de vidéos dans la salle de conférence, montrant les initiatives qui, pendant la quinzaine précédente, avaient préparé la journée du 16. Le lendemain 17 mai, les Drôles-Madaires, troupe d’improvisation théâtrale bien connue au Centre Pierre-Claverie, a présenté un spectacle en plein air, suivi d’une quête pour les enfants nécessiteux organisée par l’association « Donacœurs ». Le 25 mai, un grand repas se tenait dans les cours à l’heure de la rupture du jeûne, avec des plats préparés tant par la cuisine du Centre Pierre-Claverie que par les participants. En fin de soirée, le Dr Ali-Hikmet Sari, président du Club de la Culture Soufie, a présenté les grandes étapes du soufisme iranien. Avec son club en effet, depuis plusieurs années, il suit les traces de la vie terrestre de Sidi Boumédienne (de l’Andalousie au Maroc et en Algérie) et celles de son influence (ce qui, l’an dernier, l’a conduit en Iran et prochainement l’emmènera peut-être jusqu’en Inde). Les chapitres de sa conférence étaient séparés par le jeu de deux grands artistes : Khalil Baba-Ahmed au violon et Walid Hakim 5
au luth. La mystique et la musique en effet ont ceci de commun qu’elles échappent aux limites des mots. Le 27 mai, c’était le tour des « Nomades Algériens », une association de jeunes Oranais qui veulent faire connaître les différentes facettes de la culture algérienne. Ils ont passé toute la journée avec les jeunes de la chorale étudiante, préparant ensemble à la fois le repas du soir et la veillée nocturne. Celle-ci a présenté la culture « gnawa », c’est- à-dire celle que les esclaves originaires de « Guinée » ont développée au Maghreb. On a entendu le « guembri », un luth très rudimentaire, et les « qraqeb » (ou karkabous), sortes de castagnettes dérivées, nous a-t-on dit, des menottes qui entravaient les esclaves. Des contes, admirablement déclamés, faisaient revivre l’odyssée d’un esclave ou une légende du Hoggar. Les étudiants rythmaient les chants des « Nomades » ; ceux- ci rythmaient les chants des étudiants, pris dans la tradition sud-africaine et camerounaise. Le groupe existait depuis une journée seulement, mais tous jouaient ensemble comme des complices associés depuis longtemps. En partant, une personne qui avait bien compris l’enjeu de la soirée disait à un étudiant : « Félicitations. Et merci pour votre présence ici. » 6
AU CIMETIERE MILITAIRE FRANÇAIS DE PETIT LAC Actuellement, le cimetière militaire français de Petit Lac, à Oran, est en pleine rénovation. À cette occasion, les autorités ont décidé d’y restaurer la chapelle qui menaçait de tomber en ruine pour qu’elle devienne un lieu muséal. Le 16 juin, M. Driencourt, ambassadeur de France, et Mgr Vesco, évêque d’Oran, ont inauguré cette chapelle restaurée. M. Bernard Paquelier, directeur du service des Anciens Combattants à l’ambassade, a rappelé l’histoire de ce cimetière où, après 1965, ont été regroupés les corps de plus de 10 000 militaires dispersés dans de nombreux endroits du pays. Et le P. J.-P. Vesco a lu une lettre écrite par le pasteur Dietrich Bonhoeffer, engagé avec toute sa famille dans la résistance au régime nazi. Il était alors en prison militaire à Tegel (Berlin) et il écrit à sa fiancée Maria von Wedemeyer à la Pentecôte 1944 : Ma Maria bien-aimée ! Un message pour Pentecôte – tu viendras certainement me voir et cela vaut cent lettres réunies, mais quand tu rentreras à Bundorf, à nouveau seule, il faut que tu trouves une lettre, pour que tu sois heureuse et moi aussi, même de très loin. (Par bonheur, en ce moment cela ne va pas trop mal !) Que dois-je souhaiter pour toi et pour moi ? Je ne peux rien dire d’autre, bien que cela franchisse rarement mes lèvres, je souhaite que cette Pentecôte soit bénie pour nous deux. La bénédiction – cela veut dire une proximité de Dieu qui soit visible, sensible et qui devienne efficace. La bénédiction demande à être transmise, et passe par d’autres personnes. Celui qui est béni est lui- même une bénédiction. Soyons-le l’un pour l’autre, ainsi que pour tous ceux qui sont confiés à notre travail ou à notre intercession. Il n’y a rien de plus grand que lorsqu’une personne est une bénédiction pour les autres, n’est-ce pas ? Non seulement une aide, un compagnon, un ami, mais une bénédiction. C’est beaucoup plus. C’est ainsi qu’il doit en être dans notre couple. Prions pour cela. C’est ainsi que nous voulons fêter Pentecôte. Dietrich Bonhoeffer, Maria VON WEDEMEYER, Lettres de fiançailles. Cellule 92 (1943-1945), éd. Labor et Fides 1998, p. 239 8
LE SEJOUR DES SEMINARISTES DE LA « MISSION DE FRANCE » UN VOYAGE REMPLIS DE SIGNES… Il est compliqué de résumer un séjour de dix jours en Algérie. Dix jours durant le temps de Pâques. Ce séjour est rempli de signes ! Signes d’accueil, de fraternité, de dialogues, de partages, de découvertes. Et si ces signes étaient justement des signes de Pâques, passage de la mort à la vie. Pour nous, ce fut le passage d’un bord à l’autre de la Méditerranée. Mais surtout il fut un passage d’une tradition, d’une culture à une autre. J’ai ouvert mes yeux et mon cœur sur la réalité algérienne : un peuple et une Église. Un peuple qui marche vers plus de démocratie et de justice depuis quelques mois. Une Église minoritaire qui tient sur l’implication de tous pour faire des ponts avec les Algériens que les chrétiens côtoient et construire une Église qui fait signe ! Une Église signe de dialogue, de partage et de paix. Si un sacrement est un signe, alors nous avons eu la chance de recevoir le sacrement de la rencontre ! Une première rencontre avec le frère Christophe, qui à travers la parole de Jean-Marie Lassausse nous a donné un témoignage de vie donnée au service du Christ. Une vie faite de doutes, de questionnements mais aussi de fidélité, une vie ouverte et donnée à la société algérienne au cœur du monastère de Tibhirine, une vie qui est bien un signe pour nous au service du Christ ! Une autre rencontre signifiante au cœur de ma semaine à Oran : un dîner dans une famille dont la mère française est catholique et ses enfants algériens musulmans. « C’est le même Dieu de toute façon ! » nous a-t-elle lancé. Elle qui se fait amener régulièrement à la messe par ses enfants… Cela résonne comme un cri, un message fort pour nous exhorter à vivre ce dialogue interreligieux dans la simplicité du cœur. Ce dîner fut un signe de la rencontre dont les paroles résonnaient de partage de traditions et de dialogue pour nous mener vers une vérité recherchée à plusieurs voix : Chrétiens et Musulmans, Français et Algériens… A Tlemcen ou à Oran, le sacrement de la rencontre et de la fraternité étaient présents au quotidien comme une invitation à vivre et à le reconnaître au cœur de ma vie. Henri VEDRINE RELECTURE D’UN SEJOUR EN ALGERIE Par ce voyage en Algérie, j’ai découvert une réalité d’Église dont plusieurs visages m’ont interpellé. Une Église humble et discrète L’Église d’Algérie est d’abord petite par le nombre de personnes. Cela m’a marqué en particulier à Ghardaïa, où nous avons célébré la messe dominicale dans la petite salle qui constitue la cathédrale de ce diocèse, avec une seule personne n’appartenant pas à notre groupe : une religieuse espagnole. À Tlemcen aussi, où j’ai vécu le Triduum pascal, la communauté chrétienne réunie était constituée d’un petit nombre de personnes dont un bon nombre de « permanents » de l’Eglise, religieux ou Focolare, le reste de la communauté étant essentiellement constitué d’étudiants subsahariens. Ce constat me rappelle que nous avons souvent tendance à juger d’une réalité ecclésiale par le nombre de personnes qu’elle représente. Or, ce que j’ai vécu en Algérie m’amène à orienter mon regard vers la profondeur de ce qui se vit plutôt que par le nombre. En effet, le rayonnement de l’Église en Algérie est faible si l’on 9
regarde extérieurement ou sociologiquement. Mais celui-ci se fait sentir si l’on regarde intérieurement. J’ai été touché par la profondeur de certaines vies vécues comme des signes en terre d’Islam dans la discrétion. Je me rappelle ainsi du dîner dans le modeste appartement des Petites Sœurs de Jésus à Oran, qui pour la plupart d’entre elles sont installées en Algérie depuis longtemps et vivent une présence auprès des Algériens dans le service, par l’insertion dans le tissu associatif par exemple. Dans l’échange que nous avons eu avec elles, elles ont insisté sur l’importance de la durée pour la construction d’une relation humaine, dans leur expérience en Algérie. Quand je leur ai demandé ce qu’elles font, Roselyne a dit si justement : « Ce qui compte, ça n’est pas ce que nous faisons ; l’essentiel, c’est la vie intérieure, et à partir de là, ça rayonne. » J’ai senti que leur présence discrète peut être un signe de la présence du Christ pour qui est disposé à Lui ouvrir son regard. Une Église vivante et universelle J’ai été sensible à la vitalité de l’Église d’Algérie. Ses membres en sont des « pierres vivantes » acteurs de la vie de l’Église tant dans sa dimension liturgique que communautaire ou de service. Ainsi à Tlemcen, j’ai été touché de voir combien les jeunes prenaient leur place dans la communauté. Plusieurs d’entre eux participaient à la préparation des célébrations et de temps de convivialité, à l’animation des chants, à l’animation d’un temps de partage sur l’amour de Dieu… Ils prennent leur part dans la vie de la communauté en prenant des initiatives. Il se sentent responsables de ce qui est vécu. Cela m’a particulièrement marqué car ceux qui s’engagent ainsi sont des jeunes, présents depuis peu de temps dans la communauté, qui viennent d’une autre culture et qui pour ces raisons peuvent ne pas être familiers avec les codes locaux, ne pas savoir comment s’y prendre, ce qu’il faut faire… Et cela fait aussi écho pour moi aux responsabilités que chacun peut prendre dans sa communauté ecclésiale en France. Les personnes que j’ai rencontrées en Algérie sont aussi des témoins de l’universalité de l’Église : étudiants subsahariens, personnes en situation de migration, « permanents d’Église » (religieux ou volontaires), en majorité Européens… quelle diversité d’origine ! Tous ensemble font Église, riches de leur diversité, unis par leur foi. Leur foi chrétienne les rassemble et se prête à vivre l’œcuménisme, rassemblés ensemble en Église. Quand on est peu nombreux, la communion au nom du Christ prime devant des différences de confessions… Cette diversité se vit par des éléments concrets comme les chants : pendant les célébrations, la chorale varie la langue du répertoire et tous chantent ensemble, dans la langue des uns et des autres ! Les lectures sont souvent lues en français et en anglais, et à Tlemcen, une personne traduisait en direct en anglais toute la liturgie célébrée en français, pour permettre aux non francophones de vivre la célébration. Nous étions en Algérie au moment de Pâques, mais c’était déjà la Pentecôte ! Une Église au service, œuvrant pour la construction du Royaume avec tous Une question se pose à l’Église en Algérie : quel est le sens de sa présence, dans un pays à majorité musulmane, avec si peu de Chrétiens algériens ? Le contexte culturel algérien l’oblige à la discrétion, mais j’ai perçu que l’Église vit le service de tous, en cherchant à construire le Royaume, avec tous ceux qui sont prêts à coopérer avec elle, là où elle est. J’ai ainsi été impressionné par les nombreuses activités proposées à tous au Centre Pierre Claverie d’Oran : ateliers éducatifs pour les enfants, ateliers de couture pour les femmes, troupe de théâtre, spectacles et conférences… L’Église est aussi impliquée dans la gestion de bibliothèques universitaires fréquentées par de nombreuses personnes de la société algérienne. Par ces activités l’Église est en lien avec la population algérienne et crée du lien au sein de la population, en étant comme un levain dans la pâte. Elle est une Église de la rencontre : non pas seulement une Église qui va à la rencontre des autres, mais aussi un lieu qui permet la rencontre de tous. Par ces découvertes, j’ai pu questionner ma conception de l’Église, et par tous ces visages d’Église que j’ai rencontrés, je me suis demandé comment ce que j’en ai perçu peut se déplacer sur le visage de l’Église en France. Antoine 10
AU CLUB D’ÉVEIL Le CLUB D’ÉVEIL du Centre-Pierre Claverie a pour vocation d’accueillir les enfants en bas âge de trois à quatre ans et de leur assurer une formation de base en dispensant les enseignements en langue française. La classe dont nous nous occupons, ma collègue et moi, est composée de vingt enfants : quatorze Algériens et six migrants. 1- Adaptation à la vie de l’école. La peur des autres : quand ils arrivent le premier jour au centre, une attitude de peur se lit sur leur visage. L’insécurité dans un lieu inconnu : ils se voient perdus dans ce nouvel environnement si différent de leur lieu d’origine, ils ont peur de toucher les objets et les jouets pourtant mis à leur disposition. Concrètement, nous avons des chansonnettes, des jeux de psychomotricité auxquels nous jouons ensemble afin de les aider à aller vers les autres et à se sentir chez eux à l’école. 2- L’expression de soi : Ils expriment rarement leurs désirs (répondre aux questions, envie d’un jouet ou aller aux toilettes). Nous les maîtresses, en utilisant les gestes de politesse, en les aidant à demander la permission et puis à satisfaire leur demande, nous les aidons à exprimer leurs désirs et leurs besoins en utilisant les chansonnettes, les historiettes (la collection de Choupi et autres). 3- La découverte de la nature : Chaque jour nous faisons le rituel du matin, c’est-à-dire la météo et le jardinage, sur un programme établi pour la semaine : par exemple, nous visitons chaque matin des petites plantes (oignons, haricots) pour en prendre soin. Nous leur faisons découvrir que nous sommes en relation avec la nature. Que prendre soin d’elle, c’est prendre soin de nous. Les enfants sont très contents de les arroser chaque matin, de voir comment les plantes grandissent et de regarder leur verdure. 4. Résultat : Après deux ou trois mois d’intenses activités, de formation patiente et de suivi permanent, on note chez les enfants des changements positifs ; ils deviennent plus gais, plus joyeux d’être ensemble (Algériens, migrants) se partageant des jouets et se racontant de petites histoires entre eux. Par exemple quand un enfant migrant est absent, son voisin algérien demande de ses nouvelles à ses camarades ; l’adaptation et l’intégration se maîtrisent peu à peu, la joie de vivre ensemble domine dans l’ensemble de la classe. Les parents rencontrés ne cessent d’exprimer leur satisfaction et leurs remerciements pour les changements positifs opérés dans la vie de leur enfant à partir de la formation qu’ils ont reçue. Avec ma collègue Khadidja, nous voudrions dire combien notre collaboration nous a rapprochées et nous a remplies de bonheur en constatant l’épanouissement des enfants dans leurs familles. Notre gratitude est grande à l’égard des responsables du Centre Pierre Claverie, et en particulier Mme Muriel de Failly, pour leur accompagnement. Avec joie, nous recueillons déjà les inscriptions des enfants pour une nouvelle année en CLUB d’ÉVEIL. Séraphine TCHUIDJANG 11
UNE ANNEE DE GRACE « Tout est bien qui finit bien. » Le titre de cette comédie écrite par William Shakespeare s’accorde littéralement au déroulement de l’année académique 2018-2019 à Mascara. En effet, nous avons remarqué avec satisfaction l’assiduité des fidèles adhérents à notre bibliothèque depuis le début de l’année jusqu’à la fin. Nous avons enregistré un nombre croissant d’élèves, étudiants ou travailleurs pour les cours de soutien dans certaines matières et pour l’apprentissage du français et de l'anglais. Parmi les douze professeurs qui interviennent dans notre plateforme, certains ont décidé, à l’approche des échéances, de donner des cours gratuitement aux élèves en classe d’examen. Cette initiative a été saluée par beaucoup de parents d’élèves qui fréquentent le centre El Amel. Cependant, une nouveauté est à signaler : avec la sœur Jyoti, une Mascarienne a accepté de faire cours bénévolement à un groupe d'enfants en préscolaire mais aussi à un groupe d’enfants autistes trois matinées par semaine. Avec l'aide du club de lecteurs qui se réunit une fois par mois, beaucoup de conférences concernant divers thèmes ont été organisées cette année à El Amel. Par ailleurs, dans le cadre des activités sportives, il faut noter qu'une centaine de jeunes femmes de 16 à 50 ans et une vingtaine de filles de 6 à 13 ans ont été inscrites pour la gymnastique avec trois monitrices. En plus de cela, une quinzaine suivent des séances de yoga chez la sœur Lucie. La zumba, l’aérobic et le yoga qui constituent les sports les plus prisés au sein de notre plateforme ont été assidûment pratiqués cette année, trois fois par semaine. À toutes ces activités mentionnées s’ajoute la célébration de l'Aïd el Fitr par une trentaine d’étudiants subsahariens musulmans dans notre plateforme, le Ribat es-Salam qui se tient chaque deuxième mardi du mois. Cette rencontre où musulmans et chrétiens se réunissent pour penser le Vivre ensemble en paix est sans doute l'une des multiples grâces de la béatification de nos bienheureux martyrs. C'est même dans ce sens qu'une grotte mariale baptisée « Notre-Dame du vivre ensemble » est en construction à Mascara. Toute personne qui croit que l’harmonie du monde dépend du vivre ensemble en paix entre des hommes et des femmes de cultures et de religions différentes peut désormais faire un pèlerinage à Mascara ! Enfin tout le personnel et les bénéficiaires des activités du centre El Amel se sont dits très satisfaits de cette année qui tire à sa fin. Bertrand MBELLA, cssp Mascara 12
UNE ANNEE SABBATIQUE EN ALGERIE, QUELLE IDEE ? Une année sabbatique, c’est UNE année. Difficile de rendre compte d’une telle expérience d’autant plus que l’année n’est pas totalement accomplie. Et peut-être aussi parce que c’est « APRÈS » que l’on recueille les fruits «d’une année de grâce accordée par le Seigneur ». Accordée par le Seigneur et par l’évêque du diocèse de Créteil (banlieue est-sud-est de Paris) dont je suis originaire, et accordée également par l’évêque d’Oran qui m’accueille dans son diocèse. D’ailleurs, pour pouvoir mieux apprécier ma première relecture de cette année sabbatique, peut-être vous demandez- vous d’où je viens, de quelle histoire, et comme on me l’a si souvent demandé « pourquoi une année sabbatique en Algérie ? » Trois motifs : le premier est lié à la manière dont je suis entré en relation concrète avec l’Algérie (car j’avais bien sûr été touché par les lectures des bienheureux Charles de Foucauld, Christian de Chergé, Christophe, Pierre Claverie… mais ce n’était pas vraiment du « concret »), le deuxième motif est suscité par un événement qui est venu secouer ma vie de prêtre, le troisième motif est un concours de circonstances qui me rendait disponible. Je suis entré en relation concrète avec l’Algérie à l’occasion d’une journée mondiale de prière pour les vocations. J’avais demandé aux paroissiens de rechercher les connaissances originaires de notre paroisse devenus prêtres, religieux, religieuses, couples ou laïcs engagés en vue d’une veillée- témoignages. L’un des noms de la liste de ces personnes que les paroissiens m’ont donnée est prêtre à Oran en Algérie. Il avait été baptisé et avait suivi le catéchisme dans notre paroisse. Il a répondu à ma recherche et nous sommes restés en contact. Je l’ai accueilli lors de ses passages en région parisienne pour une conférence dans les différentes paroisses où je me trouvais. Un jour (ou plutôt un soir au resto), il me dit : « A tout âge, on peut venir en Algérie pour un temps. Un prêtre du diocèse de Limoges rentre bientôt, il a dans les 70 ans, il a passé plusieurs années avec nous ». Je pense que cette année sabbatique aura été un approfondissement de ma vocation de baptisé. Réentendre Dieu m’appeler… Me laisser rencontrer autrement par Lui… Comme Moïse me déchausser pour me laisser rencontrer dans ce qui fait mon humanité avec ses fragilités, ses péchés, ses capacités, ses dynamiques…. Relire mon histoire d’alliance avec Dieu… Avec l’Eglise d’Algérie je me suis trouvé témoin privilégié de la venue du Christ à la manière de Jean-Baptiste…. Et la béatification de Pierre Claverie et de ses 18 compagnes et compagnons m’a confirmé dans la vision d’une Eglise en phase de sanctification – sans frontières ni de culte ni de dogmes ni de culture – une Eglise du ciel – « Signe de fraternité dans le ciel de l’Algérie pour le monde ». L’événement qui a secoué ma vie de prêtre est l’expulsion d’un squat sur la commune dont j’étais le curé. Je me suis trouvé auprès des « mille de Cachan », puisqu’il s’agissait de mille personnes, des familles, prises au piège d’une expulsion décidée sans véritablement de négociation par la préfecture. Les représentants de ces familles venues principalement d’Afrique m’avaient demandé, ainsi qu’au pasteur protestant (originaire de RDC) de la région, d’exercer la médiation avec le préfet, dans la mesure où il l’accepterait (ce qui n’a jamais été vraiment le cas). J’ai vécu 13
trois mois, loin de la vie paroissiale ordinaire, au cœur d’un conflit socio-politique qui se reproduit si souvent. En sortant de cette expérience, je m’interrogeais sur les ressources spirituelles pour vivre une telle implication, sur la dimension missionnaire ou apostolique du ministère de prêtre. Cette année sabbatique m’aura invité à aller plus loin, sur « l’autre rive », dans l’expérience de la réconciliation possible, au cœur des ruptures de l’histoire des personnes, des peuples, des communautés. Vivre une Eglise présente sur les « lignes de fracture » selon la phrase connue de Pierre Claverie. L’autre rive, celle d’où viennent ceux qui réussissent le voyage mais aussi celle où restent ceux qui seront peut-être « refoulés » un jour ou l’autre… Et comme j’aimerais aller encore plus loin au-delà d’une autre rive encore celle du désert où un vivre mieux, autrement et en paix, est à générer. Et comme j’aimerais que les rives ne soient plus infranchissables mais passages heureux pour un aller-retour, un aller-venir de liberté, de créativité, d’échange, et de fraternité. J’ai 61 ans, je suis prêtre depuis 35 ans. Je suis né et j’ai vécu dans un rayon de 30 km dans la banlieue est-sud-est de Paris où j’ai vécu la plupart des facettes de l’exercice du ministère : aumônier, accompagnateur, curé, responsable de service, conseiller… etc. J’ai vécu l’accueil de beaucoup de nationalités du monde dans cette dense agglomération en limite parisienne. Depuis huit ans, j’étais responsable d’un secteur de six paroisses d’une commune populaire du diocèse. L’évêque de mon diocèse annonçait en conseil épiscopal, où il m’avait appelé neuf ans plus tôt, le départ d’un « train d’années sabbatiques » pour répondre de manière alternée aux demandes de plusieurs prêtres. Un des prêtres du diocèse rentrait de dix-huit années comme fidei donum, il pouvait prendre ma suite. Concours de circonstances, correspondance de fins de mandats, je postulais pour prendre le train (qui s’avèrera être un avion) et donner cette 35ème année de presbytérat à l’Eglise d’un autre pays… Ailleurs ! Et les subtilités d’attribution de visa rendirent possible l’Algérie. En situation d’étranger sur cette terre qui nous connait trop et pas assez. Ministère de « visitation » des paroisses, des communautés, de quelques amis. Participation à la préparation de l’événement de la béatification, au service des responsables pastoraux en particulier le curé d’Oran. Accompagner des « chercheurs de Dieu ». Participer au Ribat es- Salam. Soutenir la formation Monica. Disponible pour accueillir, recueillir, se recueillir, pour découvrir, s’ouvrir… Lire… Être présent à l’événement, aux personnes, aux demandes… Au rythme du quotidien du centre Pierre Claverie. Essayer de comprendre pourquoi certains sont attirés par cette Eglise, ce Jésus-Christ… Les histoires qui se croisent dans les communautés sont tellement diverses, uniques, et communes à toute humanité… Un peuple qui se lève pour sa dignité, pour sa liberté, pour la justice… Une quinzaine du « vivre ensemble en paix » pendant un ramadan si contrasté jour et nuit… Je ne pourrai pas vivre les responsabilités qui me seront confiées à mon retour de la même manière, ni écouter les personnes en voyage… les Musulmans… et en particulier les Algériens, comme avant… Oui, il y aura « un avant et un après » cette année sabbatique que vous m’avez permis de vivre en m’accordant votre confiance, en m’accueillant si chaleureusement, en me permettant de vivre une expérience de foi, d’espérance et d’amour. Traditionnellement, l’année sabbatique s’accompagne d’une remise de dette…. Envers vous, elle est immense… Merci, et louange à Dieu. L’évêque du diocèse de Créteil me nomme, au 1er septembre, curé de la paroisse Saint Michel du Mont-Mesly à Créteil et doyen de cette ville de 90 000 habitants. J’accompagnerai l’équipe diocésaine du Secours Catholique. Marc LULLE 14
« POURQUOI SE RACONTER QUAND ON PEUT SE DONNER ? » Durant ces 17 années de présence à Tlemcen, je me suis seulement efforcé, pour ma part, de semer et de susciter de l’amitié au sein de la population de ce pays : – comme témoin, à l’évidence imparfait, de l’Évangile de Jésus-Christ, au sein d’une Eglise de la rencontre – et comme Français, bien malgré lui solidaire d’un lourd passé colonial et désireux d’apporter une infime contribution à la réconciliation de nos deux pays et à la construction d’un avenir commun apaisé, dans le respect mutuel des différences de cultures et de conviction religieuses. Je reconnais avec bonheur que cette amitié m’a été rendue au centuple. Cette sensibilité à la « réalité algérienne » n’est pas récente chez moi puisque, pendant trente- trois ans, mon parcours de prêtre-ouvrier dans une usine de métallurgie de la région lyonnaise m’a amené à la côtoyer presque quotidiennement : la majorité du personnel ouvrier en était, en effet, algérienne. Camarade de travail et longtemps délégué du personnel, j’ai vécu avec eux la fin de ce que l’on a appelé les « trente glorieuses », les restructurations successives et à chaque fois les compressions de personnel, sources de tension, de frustration et parfois d’injustices. A la différence de certains clercs, je n’étais guère tenté d’idéaliser ces compagnons immigrés, parfois rudes et facilement manipulables. Pourtant, je crois sincèrement avoir vécu avec certains d’entre eux une véritable fraternité et c’est assez naturellement que, l’âge de la retraite professionnelle se profilant, j’ai vraiment désiré poursuivre cette relation privilégiée avec « l’autre Algérie » en devenant moi-même immigré, non par nécessité économique mais par choix. C’est ainsi qu’avec l’accord de nos responsables religieux, Jean-Paul Vesco et moi-même avons débarquée du Djezaïr II à Alger, le 6 octobre 2002, avant de rejoindre le 1er novembre, le presbytère de Tlemcen qui nous était proposé par l’ancien évêque d’Oran, où trois Jésuites nous accueillirent et nous réservèrent deux belles années de collaboration harmonieuse. L’ancien évêque d’Oran, Mgr Alphonse Georger, nous confiait la responsabilité de la petite communauté catholique de Tlemcen et nos supérieurs religieux la tâche de tenter de jeter des passerelles en direction de la société tlemcénienne, autrement que par le biais exclusivement religieux de l’œcuménisme officiel. A la vérité, je n’étais guère préparé à cette tâche pastorale, ayant vécu, en France, d’abord au sein d’une petite communauté de prêtres-ouvriers, décimée progressivement par les décès et les départs, puis seul pendant vingt ans, en dehors des structures paroissiales. Ici, à Tlemcen, avec mes confrères successifs, nous nous sommes efforcés de veiller à la cohésion de cette communauté paroissiale, en fait assez diverse, et recomposée chaque année par l’arrivée de nouveaux étudiants subsahariens, chance évidente mais aussi facteur de précarité. Jean-Paul Vesco y a investi beaucoup de ses forces et peut légitimement être fier de la réussite de cette intégration. Puis, ces dernières années, le drame des migrants nous a rejoints, ici à Tlemcen, surtout au travers d’un ministère de présence amicale auprès de ceux qui étaient incarcérés dans les centres de détention de la région. Mais, ma véritable vocation, je l’ai vécue, pour mon bonheur, au sein de la population tlemcénienne, commerçants du voisinage, petits vendeurs « informels » autour du marché, si souvent malmenés, tout-venant, jeunesse perdue comme ils se désignaient eux-mêmes, étudiants désireux de progresser dans la maîtrise de la langue française ou encore voisins très estimés qui ne laissaient jamais passer les fêtes musulmanes sans nous en faire goûter les douceurs… Je garderai un souvenir lumineux de beaucoup de ces rencontres, le plus souvent fortuites et que j’imaginais sans lendemain, d’autant plus que l’absence de maîtrise de l’arabe dialectal – un de mes regrets – limitait forcement les échanges, 15
sans pour autant empêcher la communication. Voilà ce que j’ai essayé de faire : tisser des liens, semer de l’amitié, sans désir de prosélytisme, sans jouer les censeurs ou les redresseurs de tort. Imprudences ou erreurs n’ont certainement pas manqué mais j’ai toujours cru à la fidélité dans l’amitié. Et le nombre de gens qui me saluent aujourd’hui dans la rue me fait penser que je n’y ai peut-être pas totalement échoué. C’est à tous ceux-là que je pense aujourd’hui et c’est d’abord à eux que je voudrais dédier l’honneur qui m’est fait. A mes yeux, l’Évangile se vit au cœur de cette humanité désemparée, cabossée, que l’on voit aujourd’hui redresser la tête et retrouver joyeusement et pacifiquement sa fierté. Comme Michel de Certeau, je crois que « le mouvement missionnaire n’a pas pour but de conquérir, mais de reconnaître Dieu là où jusqu’ici il n’était pas perçu ». J’avoue – et c’est une de mes nombreuses limites – j’avoue n’avoir que peu de goût pour la pesanteur inévitable des institutions et la multiplication des instances. Je crois davantage à la vie secrète qui se fraie un chemin malaisé dans les interstices de nos sociétés. Une correspondance de Georges Bernanos avec un écrivain sud-américain, lue dans ma jeunesse, me survient très souvent en mémoire : « Je ne suis pas ceci, je ne suis pas cela… qu’importe ce que vous n’êtes pas ! Je répète que ceux-là seuls à travers le monde qui ont besoin de nous pourraient dire ce que nous sommes puisqu’ils savent ce qui leur manque et qu’ils trouvent en nous. Pourquoi se raconter quand on peut se donner ? » Gérard JEANNINGROS LES 10 MISSIONS PRIORITAIRES D'UN AUMONIER La maison Dar es-Salam située à Tlemcen dans le diocèse d’Oran a abrité du 12 au 15 mai dernier la session interdiocésaine annuelle de formation pour la pastorale universitaire qui a réuni plus d'une quinzaine d’aumôniers. L’exhortation apostolique Christus vivit du pape François et un corpus contenant les récits ou les témoignages d’étudiants finissants ayant vécu en Algérie ont été les documents de base de cette formation. Dans son analyse de Christus vivit, Jean Toussaint, l’animateur principal de cette formation nous a fait repérer les dix missions prioritaires d'un aumônier de jeunes que sont : donner la première place au kérygme, créer des espaces inclusifs, prendre en compte les liens intergénérationnels, diversifier les propositions, former des leaders, une pastorale populaire, missionnaire, vocationnelle et une pastorale de l’accompagnement et du discernement. Ces dix missions permettent à un aumônier d’être toujours attentif aux jeunes dont il a la charge. D’une part, l’objectif de cette formation, basée à la fois sur le document magistériel traitant de la question de la pastorale des jeunes et sur le récit de la vie de nos étudiants avant, pendant et après leur séjour en Algérie, était de voir ce que l’Église attend des jeunes et de ceux qui les accompagnent aujourd’hui. D’autre part, l’objectif était aussi de voir ce que l’expérience de ces jeunes nous renvoie comme point d’attention ou d’interpellation. Nous avons, par ailleurs, discuté, lors de cette rencontre, de la question œcuménique du rapport avec le groupe des « rachetés », mais aussi celle de l’organisation des Journées Algériennes des Jeunes (JAJ). Il est ressorti de ces discussions que désormais les JAJ doivent s’organiser tous les trois ans afin de permettre à beaucoup de nos jeunes de prendre part à cet événement ecclésial au moins une fois dans leur vie en Algérie avant de partir ailleurs. Bertrand MBELLA 16
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