LE MÉTIER DE BIBLIOTHÉCAIRE EN FÉDÉRATION WALLONIE-BRUXELLES - JANVIER-FÉVRIER 2014 - Bibliothèques.be
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L A R E V U E D E S B I B L I O T H È Q U E S D O S S I E J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 4 LE MÉTIER DE BIBLIOTHÉCAIRE EN FÉDÉRATION WALLONIE- BRUXELLES Lectures 184, janvier-février 2014 184 33
D O S S I E R Sommaire Bibliothèque de Namur © Philippe Herbet Introduction 3. Un peu d’histoire Autoformation et « Social » en bibliothèque. . . . . . . . . . . . . . . . . 35 - Histoire de la Lecture publique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 par Florence RICHTER par Bruno LIESEN rédactrice en chef de Lectures assistant et collaborateur scientifique, Archives, Patrimoine et Collections spéciales – 1. Le profil du métier Réserve précieuse, ULB - Pablo Picasso disait : « Le métier, c’est ce qui ne s’apprend pas » - Libres propos en matière de déontologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 Fonctions et tâches en bibliothèque. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 par Jean-Claude TRÉFOIS par Philippe COENEGRACHTS bibliothécaire en chef honoraire, Bibliothèque centrale du Hainaut président du Conseil des bibliothèques 4. Près de chez nous - Brève sur le Référentiel de compétences. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 par Annie LIÉTART - Investir dans la qualité : le personnel dans le secteur bibliothécaire flamand. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 - Quelles compétences pour quels bibliothécaires en 2014 ?. . . 40 par Maarten VANDEKERCKOVE par Jean-François FÜEG agentschap Sociaal-Cultureel Werk voor Jeugd en Volwassenen, directeur du Service de la Lecture publique, Domeinverantwoordelijke openbare bibliotheken, Vlaanderen ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles - Le point sur la Flandre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 - Réflexion de l’APBD. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 par Maike SOMERS par Françoise DURY bibliothecaris in residence, Locus vzw présidente de l’APBD - Le métier de bibliothécaire : comparaison avec la France. . . . . . 90 - Réflexion de la FIBBC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 par Yves ALIX par Jean-Michel DEFAWE inspecteur, Inspection générale des bibliothèques (France) président de la FIBBC - Le métier de bibliothécaire en Europe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 2. La formation par Vincent BONNET directeur du Bureau européen - Le bibliothécaire de formation, des associations de bibliothèques, cheville ouvrière de la promotion de la lecture. . . . . . . . . . . . . . . . 49 d’information et de documentation (EBLIDA) par Viviane BESSEM professeur honoraire à la Haute Ecole de la Province de Liège, 5. Enquête et Sondage en Fédération Wallonie-Bruxelles et à l’IPEPS Liège - Je travaille à la bibliothèque…, et moi je suis usager… - Faut-il faire des études pour être bibliothécaire ?. . . . . . . . . . . . 56 Enquête auprès de 12 bibliothécaires, et quelques usagers. . . . 101 par Natacha WALLEZ par Hugues DORZÉE, maître de formation pratique, rédacteur en chef adjoint d’Imagine Haute École Paul-Henri Spaak, Institut d’enseignement supérieur social des sciences - Je suis étudiant bibliothécaire, et j’aime ça ! . . . . . . . . . . . . . . . 111 de l’information et de la documentation (IESSID) Sondage réalisé par Nicolas BORGUET Service de la Lecture publique, - Brève sur la méthodologie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60 Paulette TEMMERMAN par Guy LÉONARD Secrétaire de rédaction de Lectures, Jean-François FÜEG et Florence RICHTER. - Bibliothécaire ou documentaliste ? Auprès des étudiants de 2e année 2013-2014 Des professionnels de l’I&D !. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 dans les Écoles de bibliothécaires en FWB par Guy DELSAUT administrateur, Association belge de Documentation (ABD-BVD) - La formation continuée du personnel des bibliothèques publiques en FWB . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66 par Laetitia DELVOIE coordinatrice de la Formation des bibliothécaires, Service de la Lecture publique 34 Lectures 184, janvier-février 2014
D O S S I E R INTRODUCTION Autoformation et « Social » en bibliothèque par Florence RICHTER rédactrice en chef de Lectures D ans ce dossier de Lectures, on ne nouvelle technologie du numérique : à ce pro- parle que de nous, ou presque. pos, l’enthousiasme n’est pas absolu. Comme Nous ? Les bibliothécaires en face à toute nouvelle technique humaine, on Fédération Wallonie-Bruxelles. évalue les avantages et les inconvénients. On Les auteurs évoquent les nombreuses évolu- parle beaucoup et partout des atouts évidents tions du métier, ces dernières années : on lira du numérique ; mais rappelons ici deux lourds les articles de l’actuel président du Conseil problèmes, à savoir le coût écologique des ma- des bibliothèques publiques, d’un membre du tériaux et de leur utilisation, ainsi que la très groupe de réflexion sur le Référentiel de com- réelle standardisation des outils numériques pétences, du directeur du Service de la Lecture et de leurs usagers : voir à ce propos l’article, publique au ministère, des présidents des asso- signé par Thibault Le Texier, le 29 octobre ciations professionnelles, de plusieurs experts 2013, sur le site de La vie des idées, et intitulé en formation, d’un historien de la Lecture « Misère de l’Humanité numérique ». publique et d’un ancien directeur de biblio- À lire aussi, le récent ouvrage Contre le colo- thèque centrale qui évoque la déontologie, et nialisme numérique : manifeste pour conti- aussi d’un administrateur de l’ABD rappelant nuer à lire de Roberto Casati (éd. Albin Michel, la proximité entre les bibliothécaire et docu- 2013) qui écrit : « accéder à l’information, ce mentaliste - tous deux des professionnels de n’est pas lire ; lire, ce n’est pas comprendre ; l’Information & Documentation (I&D) . Pour et comprendre, n’est pas encore apprendre. Il terminer avec une enquête d’un journaliste nous faut inventer les moyens de résister à la auprès de bibliothécaires et d’usagers aux pro- culture de l’impatience […] choisir utilement fils divers, mais aussi avec un sondage original, entre des parcours qui capturent l’attention et réalisé en septembre dernier pour ce dossier d’autres qui la protègent. » La fameuse « lec- de la revue Lectures, auprès d’étudiants de la ture approfondie » doit (re)trouver sa place 2ème année académique 2013-2014, grâce à la dans (et / ou hors de) l’univers numérique. collaboration de leurs professeurs. On repense ici à l’essai de Nicholas Carr au Ce dossier exceptionnel interroge aussi des titre explicite : Internet rend-il bête ? (éd. spécialistes du métier près de chez nous : en Laffont, 2011) qui citait des études de cogni- Flandre bien sûr, et en France, mais encore tivistes concernant les effets sur le cerveau dans quelques autres pays européens où l’on humain, d’une part de la lecture sur écran, et découvre des bibliothécaires mutants ! d’autre part via codex. Les études en Sciences Un grand merci à tous pour ces contributions humaines (et Sciences dites dures) se sont essentielles. en effet emparées de la question : voici une seule référence en la matière, le récent et très nuancé dossier « Générations numériques : Manifeste pour la « lecture approfondie » des enfants mutants ? » (in Sciences humaines, octobre-novembre 2013). Le constat est sans Chaque contributeur au présent dossier appel : la « culture du zapping » doit être évoque à sa manière la modernisation évi- régulée par un usage approprié des potentia- dente, efficace et dynamique des biblio- lités formidables du numérique, car « l’enjeu thèques publiques d’aujourd’hui, en Belgique est ici de préserver, pour les nouvelles généra- ou ailleurs. Bien sûr, on cite l’importance de la tions, une forme d’intelligence plus profonde Lectures 184, janvier-février 2014 35
D O S S I E R […] les jeunes adultes retiennent plus les racontent : il s’agit d’un des domaines d’ac- accès (liens) que les contenus eux-mêmes et tions les plus vivants, en Fédération Wallonie- leur synthèse. » (Olivier Houdé, « Les écrans Bruxelles et en Flandre, par exemple. changent-ils le cerveau ? »). À ce propos, encore deux références qui com- On songe encore au congrès mondial de l’IFLA plètent les expériences évoquées par les au- en 2012, où l’on s’est interrogé sur une déon- teurs du dossier de Lectures. Très utile, paru tologie renouvelée du métier de bibliothé- en 2013 dans la collection « Boîte à outils » caire via la lutte contre la « googelisation des de l’Enssib, et coordonné par Georges Perrin : esprits », évoqués par ex. dans deux articles Favoriser l’insertion professionnelle et l’accès à signés par Mireille Lamouroux : « IFLA 2012 : l’emploi : les atouts des bibliothèques ; ce livre focus sur l’éthique et l’évolution des métiers » aborde la question sous trois angles (travailler, et « IFLA 2012 : focus sur la formation en ligne se former, entreprendre). et les outils nomades » (in Documentaliste – En outre, il faut lire absolument Des pauvres à Sciences de l’information, ADBS, mars 2013). la bibliothèque : enquête au Centre Pompidou, par Serge Paugam et Camila Giorgetti (éd. PUF, coll. « Le lien social », 2013) ; cette en- L’autoformation et le « Social » quête de type qualitatif met en évidence des constats parfois étonnants sur la présence des L’un des autres leitmotive essentiels répé- personnes défavorisées en bibliothèque : leur tés dans les articles du présent dossier paraît présence réelle et régulière « alors qu’on as- l’évolution vers une bibliothèque, certes plus socie souvent la pauvreté à l’analphabétisme centrée sur les gens (et plus seulement sur les ou à l’inculture ; des usages spécifiques de la documents), mais articulée autour des préoc- bibliothèque ; des relations contrastées avec cupations des individus en autoformation et les autres usagers ; et bien sûr un rapport aux questions sociales. normes différent. » On le sait, fréquenter une L’autoformation est évoquée par Yves Alix qui bibliothèque peut s’avérer essentiel « pour constate que le bibliothécaire devient petit à conjurer un processus de disqualification petit « médiateur de l’information, […] une sociale ». Parmi les observations inattendues nouvelle espèce d’experts qui [aident] à gérer de cette enquête à la BPI, que penser de cet les modes d’accès au savoir » ; et l’analyse est homme à la santé précaire et disposant mani- proche chez Philippe Coenegrachts qui clôt festement de peu de ressources matérielles, son propos par cette réflexion : « Et demain ? qui s’asseyait toujours près de la fenêtre dans Demain, nous devrons continuer à évoluer, l’espace presse, mais se retrouvait rarement nous adapter, nous former pour être toujours isolé : on le découvrait très souvent entouré plus en phase avec les besoins et attentes d’une ou plusieurs personnes qui l’écoutaient de nos publics, pour être en phase avec les attentivement, car il « tenait salon »… c’était évolutions du savoir, de la connaissance, des une sorte de savant ayant ses disciples, qui techniques. » discutait de nombreux sujets, souvent histo- riques, notamment avec des bibliothécaires du La bibliothèque, lieu d’intégration sociale, évo- lieu. Ce profil d’usager en bibliothèque est sans lue continuellement. Les auteurs du dossier le doute plus courant qu’on le croit. • 36 Lectures 184, janvier-février 2014
D O S S I E R 1. LE PROFIL DU MÉTIER Pablo Picasso disait : « Le métier, c’est ce qui ne s’apprend pas » À l’origine, le bibliothécaire était de manière générale par Philippe COENEGRACHTS quelqu’un au savoir président du Conseil des bibliothèques publiques très étendu, voire même érudit, ses compétences étaient vastes et devaient toucher tous les A domaines de la u fil du temps le métier a évo- marchés publics, que ce soit pour rédiger un connaissance. Les lué, les bénévoles de 1921 ont cahier spécial de charges ou simplement des études actuelles cédé petit à petit leurs places à critères de choix. comportent d’ailleurs des professionnels, notamment toujours un certain grâce au décret de 1978. Les diplômes ou formations d’origine sont eux nombre de cours de aussi de plus en plus diversifiés pour faire face à culture générale. Celui de 2009, a entériné une situation bien tous ces besoins. Bien sûr, le bon vieux graduat connue depuis quelques années déjà : il n’y en bibliothéconomie et documentation, bacca- a plus un métier de bibliothécaire mais des lauréat maintenant, reste la base du métier mais métiers de la lecture. Informaticiens et ani- ce qui est de plus en plus recherché, ce sont des mateurs occupent maintenant des postes sub- personnes avec des parcours professionnels riches ventionnables aux termes de la législation. Et et multiples. Et tout menant à tout, nous citerons il y en a bien d’autres. l’exemple de cette bibliothèque où l’on retrouve deux licenciés en philosophie à des postes aussi Remarquons tout d’abord que les métiers sont différents que gestionnaire de réseau informa- très différents selon la taille de la bibliothèque. tique et coordinateur de projets culturels. Lorsque l’équipe est réduite à une personne et demi, il est certain que la polyvalence deman- On assiste également à une spécialisation en dée est bien plus grande, même si l’on assiste fonction des publics rencontrés. L’exemple le déjà à une certaine spécialisation puisque sou- plus connu étant celui des bibliothécaires jeu- vent dans ces petites unités le bibliothécaire nesse, mais on pourrait aussi imaginer de trou- est à temps plein et l’animateur à mi-temps. ver de plus en plus de bibliothécaires « publics éloignés ». Les compétences attendues sont très variées : ce sont des compétences liées à la gestion Autre distinction, celle liée au type de docu- des documents, la gestion des partenariats, la ment, médiathécaire, ludothécaire, arthoté- gestion des réseaux, la gestion informatique, caire, gestionnaire de fonds locaux, régionaux, la gestion du personnel, la gestion adminis- voire même précieux. Dans les grandes biblio- trative, la gestion financière. Et il faudra bien thèques, on assiste aussi à une spécialisation les assumer à un moment ou à un autre, seul, suivant les domaines du savoir, tel étant spé- en équipe ou avec une aide extérieure. Qui cialisé en histoire, tel en sciences humaines, tel n’a pas été confronté aux difficultés liées aux en beaux-arts, tel en BD. Lectures 184, janvier-février 2014 37
D O S S I E R On le voit, la palette est large, très large même - informaticien : fonction très variée elle et c’est aussi ce qui fait l’intérêt de ce métier, aussi. Cela peut aller du simple technicien de ces métiers. Pour ceux qui le souhaitent, il de maintenance, capable de dépanner une est intéressant/utile/nécessaire/obligatoire imprimante, jusqu’au gestionnaire de ré- (biffer les mentions inutiles !) d’acquérir et de seau, en passant par le développeur. développer des compétences supplémentaires. - gestionnaire d’EPN : fonction de plus en plus courante vu le développement de Passons maintenant en revue quelques tâches ceux-ci en bibliothèque. Tâches et compé- ou métiers actuels en bibliothèque, tout en tences très variées également allant de la gardant à l’esprit que certains d’entre nous maintenance des ordinateurs à l’animation sont concernés de près ou de loin par à peu de formations individuelles ou collectives, près tous ce qui sera évoqué ci-dessous : en passant par l’aide à la recherche. - bibliothécaire : plus ou moins spécialisé, On le voit à travers ce bref aperçu, les métiers plus ou moins polyvalent… de la bibliothèque et de la lecture sont mul- - chauffeur : plus les réseaux se développent tiples, l’évolution est en marche depuis long- et plus il est nécessaire d’assurer le trans- temps déjà. Les plus « expérimentés » d’entre port des documents à travers ces réseaux. nous ont commencé à travailler à une époque L’instauration de bibliothèques à vocation où les PC n’existaient pas, où les claviers encyclopédique et des catalogues collec- étaient ceux des machines à écrire (méca- tifs a emballé le prêt inter bibliothèques niques !), certains ont même connu le temps et les dépôts dans les institutions les plus où le libre-accès n’existait pas, où le biblio- diverses. thécaire trônait derrière son guichet et allait - magasinier : plus les documents voyagent vous chercher dans ses réserves les précieux et plus ils doivent être manipulés. Ce qui livres qu’il jugeait adaptés à vos goûts ou à signifie trier les retours, les retirer des vos besoins. Que de chemin parcouru, que de rayons, les mettre en caisse, déballer les changements vécus, que d’évolutions, que de caisses, ranger les livres. révolutions ! - technicien de surface : plus il y a de visi- teurs, individuels ou collectifs et plus im- Et demain ? portante sera son intervention. Demain, nous devrons continuer à évoluer, - directeur : ce terme recouvre des réalités nous adapter, nous former pour être toujours bien différentes. Il s’agit bien plus d’une plus en phase avec les besoins et les attentes fonction que d’un grade. Certains direc- de nos publics, pour être en phase avec les teurs de bibliothèques en région wallonne évolutions du savoir, de la connaissance, des peuvent aussi bien être de niveau D6, B1, techniques. B3, A1, A3 ou A5. Ils peuvent aussi bien être à la tête d’une implantation unique ou d’un Des bibliothécaires, j’en ai rencontré beau- réseau d’une vingtaine d’implantations. Ils coup mais chaque fois que j’ai eu l’occasion de peuvent diriger une équipe de quatre per- parler avec eux, j’ai été frappé par la passion sonnes aussi bien que de cinquante per- qu’ils mettaient dans leur vie professionnelle, sonnes. Ils peuvent être seul responsable et me revenait alors en tête cette pensée de de la bibliothèque ou être secondés par un Diderot : « Il faut être enthousiaste dans son - staff plus ou moins important. animateur : une fonction qui elle aussi métier pour y exceller. » • recouvre des réalités très différentes. Ses tâches peuvent être très variées : visites de classes, conception et réalisation d’expo- sitions, création d’événements, ateliers de lecture et d’écriture, conception d’anima- tions pédagogiques, heure du conte, ate- liers créatifs. 38 Lectures 184, janvier-février 2014
D O S S I E R Brève sur le « Référentiel de compétences » pour le métier de bibliothécaire en FWB par Annie LIÉTART chef du Service des bibliothèques de la Ville de Namur Élaborer un référentiel n’est pas une mince affaire. Et la profession de bibliothécaire, en pleine (r)évolution, recèle de multiples facettes. A ussi convient-il avant tout de niques d’animations, maîtrise de la sauvegarde réfléchir à la notion même de des richesses d’hier et de l’utilisation des pro- « bibliothécaire », ce personnage duits de demain. multiforme qui pourra tout à la fois exercer ses activités dans des domaines La quadrature du cercle, disiez-vous ? Sans aussi divers que la documentation industrielle, doute. Il n’empêche que le groupe de tra- les institutions scientifiques, voire des services vail, au fil de réunions aussi nombreuses que d’archives et, bien sûr, la lecture publique où il constructives, revisite le programme existant, sera tout autant catalographe que « initiateur le revitalise, l’ancre dans le monde contem- au plaisir de la lecture ». porain et l’ouvre aux perspectives nouvelles en créant des modules innovants. De cette Multitâches, participant activement à la ré- manière, il a l’ambition de procurer à chacun, flexion sur le livre électronique, initiateur de selon sa spécificité de breveté ou de bachelier, nombreuses actions visant à la promotion du les outils nécessaires à la mise en œuvre des livre et de la lecture sous toutes ses formes, nouvelles missions des bibliothèques, à la ges- diffuseur de culture(s), oeuvrant autant « hors tion de ressources contemporaines, à la maî- les murs » que dans des locaux plus clas- trise des flux d’informations et de techniques siques,… le bibliothécaire-documentaliste mé- managériales. rite bien une formation plurielle, riche, ouverte sur des horizons évolutifs. Après de longs mois de travail, celui-ci est en passe d’aboutir. Rendez-vous en septembre Un groupe de travail inter-réseaux de l’Ensei- 2014, pour découvrir une formation flambant gnement de Promotion sociale a donc été constitué à l’initiative de la Commission de neuve ! • concertation de l’enseignement de promotion sociale. À l’intérieur d’un volume horaire spé- cifique correspondant à la formation de plein exercice, des représentants de l’ Inspection, des professionnels de la formation et des techniciens de terrain œuvrent à la rédaction d’un programme assurant à la fois formation générale et acquisition de connaissances spé- cifiques, compétences scientifiques et tech- Lectures 184, janvier-février 2014 39
D O S S I E R Quelles compétences pour quels bibliothécaires en 2014 ? En trois décennies, les compétences attendues des bibliothécaires ont par Jean-François FÜEG beaucoup évolué. Ceux directeur du Service de la Lecture publique que le décret de 1978 identifiait avant tout comme des techniciens de la bibliothéconomie et I des passeurs de culture, ls sont familiers des ateliers d’écriture, Le plan de développement de la lecture exercent aujourd’hui un community managers ou gestionnaires (PDL) métier polymorphe, ils de réseau et le pilotage stratégique de ont acquis une expérience l’action n’a plus de secret pour eux. Et Aux termes du décret, la bibliothèque est re- en matière de gestion puisqu’il agit sur un territoire, le bibliothécaire connue, et donc subventionnée, sur base d’un de projet, ils se sont noue des partenariats avec les acteurs locaux projet de cinq ans, qui doit être agréé par le frottés à l’alphabétisation, des mondes culturel et social. Cette mutation ministre, sur proposition de l’Administration à l’animation et a été prise en compte par le décret de 2009. et du Conseil des Bibliothèques publiques. La aux rencontres grande nouveauté par rapport aux législations intergénérationnelles. Le décret relatif au développement des pra- antérieures c’est que l’État n’indique plus tiques de lecture organisé par le réseau public ce qu’il y a lieu de faire, ce qui est pertinent de la lecture et les bibliothèques publiques pour toutes les bibliothèques quelle que soit est axé sur la question du développement de la réalité sociale et culturelle des communes la lecture. Il substitue la « bibliothèque pro- qu’elles desservent mais laisse la possibilité de jet » à la « bibliothèque institution de prêt ». construire un projet adapté à la réalité du ter- Il cherche à rendre possible toutes les initia- ritoire. De ce point de vue, le décret de 2009 tives visant à améliorer l’efficacité des biblio- est un décret de liberté. L’analyse des réali- thèques dans leur mission de rencontre de la tés locales est donc très importante pour la demande de lecture, qu’elle soit exprimée ou construction du plan. pas. L’émergence de nouvelles pratiques est évi- Les axes fondamentaux du décret sont : demment liée aux changements que la société - Travailler sur la demande ; a connus. La place prise par les technologies de - Travailler dans une perspective de dévelop- l’information et de la documentation, l’arrivée pement stratégique ; des réseaux sociaux, l’identification progres- - Travailler avec les autres intervenants, sive de la bibliothèque comme troisième lieu en développant des synergies tant avec de vie plus que comme institution de prêt les partenaires associatifs comme par n’ont pas été décrétées. En ce sens, la légis- exemple les centres culturels, les asso- lation de 2009 s’adaptait à une réalité nou- ciations d’alphabétisation ou les maisons velle. Mais tout effort législatif procède d’une de jeunes qu’avec les institutions comme volonté politique et le décret a clairement les centres publics d’action sociale et les balisé l’avenir du secteur. La bibliothèque du écoles. XXIe siècle est au service du développement 40 Lectures 184, janvier-février 2014
D O S S I E R © Étienne Bernard des pratiques de lecture, elle inscrit son action dans les programmes, un accompagnement au dans une perspective d’éducation permanente, changement était indispensable. elle se fixe elle-même des objectifs pertinents en fonction des réalités de son territoire. Ceci C’est pourquoi le Service de la Lecture pu- a évidemment des implications de taille en ce blique a travaillé depuis quelques années, sur qui concerne les compétences attendues des des programmes de formation spécifiques, bibliothécaires. parmi lesquels il faut rappeler les formations au plan de développement de la lecture, les Il y a quelques mois, le Conseil supérieur de accompagnements, individualisés des opéra- l’enseignement de promotion sociale a d’ail- teurs et le programme de projets pluriannuels leurs modifié le profil professionnel du biblio- de développement de la lecture qui a réelle- thécaire, notant qu’il intervient « dans les ment permis de mettre les équipes à la tâche bibliothèques publiques, au service du déve- sur les enjeux qui sont au cœur du décret de loppement des pratiques de lecture sur le 2009. Une attention particulière a été portée territoire de compétence où il exerce sa pro- sur le pilotage de projet. La méthode utilisée fession. L’exercice de celle-ci doit donc se com- était fondée sur l’échange entre bibliothécaire prendre dans le cadre global de la politique ayant participé aux programmes de projet socioculturelle définie par les législations en pluriannuel entre 2008 et 2013. Il s’agissait la matière. » Lors de la rencontre entre biblio- de faire émerger collectivement les difficul- thécaires, étudiants en bibliothéconomie et tés, les réussites, les pistes nouvelles d’action enseignants des hautes écoles, qui s’est tenue née du processus. De cette manière, ce sont le 22 octobre 2012 à Charleroi, il est apparu les acteurs de terrain eux-mêmes qui ont, à la que les cours avaient déjà largement intégré lumière des expériences nées de tous les pro- ces réalités nouvelles. Dans l’enseignement de jets menés dans le cadre de cette expérience plein exercice, un groupe de travail « réfléchit pilote qui ont mis en évidence les compé- sur l’adaptation de l’enseignement à l’esprit du tences nouvelles qu’ils souhaitaient acquérir nouveau décret […] [et] a pour mission d’exa- ou améliorer. Ceci a, notamment conduit à miner les passerelles entre le métier ancien et la création de la brochure Construction d’un les nouveaux aspects du métier»1. Cette prise plan de développement de la lecture local. La en compte du changement permettra certai- démarche se poursuit à travers l’organisation nement d’améliorer l’adéquation entre forma- de huit séminaires d’échange d’expériences tion de base et exigences du métier mais pour qui déboucheront sur autant d’outils embras- toute une génération, formée à une époque sant les domaines les plus divers de l’action 1 « Partagez l’aventure des bibliothèques », Les Cahiers où les notions de méthodologie de projet ou des bibliothèques publiques dans le cadre du des bibliothèques, n° 24, d’évaluation continue étaient inexistantes développement des pratiques de lecture. septembre 2013, p. 28. Lectures 184, janvier-février 2014 41
D O S S I E R La nécessité de disposer de profils plus diversi- la bibliothèque en termes de portefeuille de fiés dans les bibliothèques a conduit à aborder compétences reste problématique. la difficile question de la spécialisation. Le bi- bliothécaire de 1978 était polyvalent, catalo- Lors de la rencontre entre bibliothécaires gueur, gestionnaire de collection et en contact étudiants et enseignants évoquée plus haut, avec le public. En raison des changements Stéphane Decissy, bibliothécaire dirigeant de métier qu’implique l’évolution des biblio- à Schaerbeek, avait pointé les compétences thèques, le législateur a prévu que de nou- non strictement bibliothéconomiques qui lui veaux profils professionnels puissent y être semblaient indispensables au bibliothécaire engagés et présentés au subventionnement. Il contemporain : s’agit en particulier d’informaticiens et d’ani- - les notions de base en sociologie des or- mateurs, généralement issus d’associations ganisations : systémique, stratégie, dyna- socioculturelles subventionnées mais aussi mique de groupes ; d’instituteurs, de logopèdes, d’assistants so- - le travail en équipe : notions de conscience ciaux ou de formateurs en langues étrangères. collective, de solidarité, d’assertivité. Il y a aussi la question du leadership pour le per- Depuis 2006, et la revendication très claire sonnel dirigeant ; exprimée par le secteur lors de la rencontre de - la gestion de projet : stratégie, opportuni- La Marlagne de pouvoir diversifier les profils2, té, faisabilité, mise en œuvre, planification, cette question a toujours fait l’objet de ten- évaluation ; sions. D’une part, les bibliothécaires restent - la communication et l’animation : connais- attachés à une vision polyvalente du métier, sances techniques en matière de commu- tout en reconnaissant d’autre part, qu’elle est nication écrite, vidéo, photo, réflexion sur difficile à maintenir dans une perspective de le positionnement institutionnel, l’image diversification des actions de la bibliothèque. institutionnelle de la bibliothèque, prise de Et de ce constat naît une insécurité profes- parole en public, animation de groupes ; sionnelle, exprimée de manière caricaturale - les notions de professionnalisme : rigueur, par un collègue au lendemain du vote du dé- neutralité, déontologie, serviabilité, cha- cret : « demain, nous ferons tout et n’importe leur humaine. Ces notions sont rarement quoi, on sera des animateurs de club Med. »3 Il abordées dans les cours, or elles sont y a en fait un nœud où le bibliothécaire entend essentielles pour un travail où l’on est en protéger son excellence du métier fondée sur contact avec le public4. la connaissance de la bibliothéconomie, se rend compte de la nécessité de maîtriser de Ces quelques lignes résument l’enjeu. Il nous nouveaux savoirs et accepte l’arrivée dans faut aujourd’hui continuer à organiser le ré- son pré carré de collaborateurs issus d’autres seau et ses opérateurs d’appui pour parvenir secteurs. à les rencontrer, revisiter la formation de base, mobiliser les imaginations, acquérir collective- Cette possibilité, même si elle est une réponse ment des compétences nouvelles et embras- à des demandes du secteur, a parfois inquiété ser avec générosité cette réalité qui s’offre à les bibliothécaires professionnels pour des raisons un rien corporatistes. Il faut cepen- nous. • dant avoir à l’esprit que, d’une part le décret s’accompagne d’un refinancement, ce qui 2 Voir à ce sujet Lectures devrait permettre d’augmenter le niveau glo- n°148, novembre-décembre 2013, pp. 22 et suivantes. bal d’emploi et que, d’autre part, il n’est pas question d’organiser des bibliothèques sans 3 « Le nouveau décret, bibliothécaires. Par ailleurs, vu l’évolution en questions des bibliothécaires (IV) », dans : Lectures n°174, cours, il est évident que de nombreux biblio- janvier-février 2012, pp. 4-7. thécaires acquièrent des compétences nou- 4 « Partagez l’aventure des velles, notamment en animation. Malgré tout, bibliothèques », op. cit., p. 26. le fait de penser les ressources humaines dans 42 Lectures 184, janvier-février 2014
D O S S I E R Réflexion de l’APBD par Françoise DURY Il était une fois des présidente de l’APBD dizaines de bibliothécaires réunis en ateliers à La Marlagne, en réponse à l’invitation de celle qu’on appelait la Communauté française. Le but de la journée était de dresser D le portrait professionnel éjà, le bibliothécaire formé dans « anime » ; pour inculquer, aux jeunes d’abord, du bibliothécaire du les années quatre-vingt avait du aux plus âgés ensuite, le goût de la lecture, milieu des années deux mal à se reconnaître dans ce ta- les programmes d’animations ont fleuri : mille, donc de parler bleau collectif kaléidoscopique. heures du conte, lectures vivantes, rencontres des NTIC (aujourd’hui Peu de participants étaient conscients que d’auteurs, conférences-débats, expositions on a ôté le N !) c’est-à- se dessinaient devant et par eux les contours d’ouvrages surprenants ou mal connus… Ce dire d’Internet en salle d’une future législation qui synthétiserait processus qui a mené le bibliothécaire hors de de lecture, du public à leurs pratiques, leurs espoirs, leurs craintes… son bureau s’est prolongé « hors les murs » : désigner désormais au et les amplifierait. non seulement au-devant de ses usagers mais pluriel, des catalogues Aujourd’hui, sollicitée pour participer à des de tous les citoyens, là où ils travaillent, se promis à mutualisation, jurys de recrutement, je suis régulièrement ca- récréent, réfléchissent, se réunissent (salles de des animations pour tastrophée de constater à quel point les candi- village, associations et clubs, homes, crèches enfants et adolescents, de datures collent mal aux profils requis, non par et écoles, voire rues). la politique d’acquisition, manque de diplôme ni parfois d’expérience des liens avec les écoles, mais parce que les exigences ont évolué. etc. Bien des choses ont changé dans le métier, Mutualisation liées tant au contexte socio-économico-cultu- rel qu’au décret. Le deuxième changement a pour nom mu- tualisation, indispensable à l’heure où les communes raclent leurs fonds de tiroirs. Sortir de son bureau Heureusement, dans le chef des bibliothé- caires, les mises en commun ne concernent Le premier changement, amorcé lors de cette pas seulement les finances mais tout autant journée à La Marlagne, a consisté à sortir le les idées, méthodes et savoir-faire voire les bibliothécaire de son bureau. Pour certains, revendications (cf. la mobilisation autour de la sacro-sainte catalographie, précédée des la rémunération des auteurs sur le prêt). En recherches liées aux acquisitions et accom- lecture publique, la culture de la mutualisa- pagnée du cortège d’indexations, occupait tion, déjà encouragée par le décret de 1978 largement le temps de travail ; restaient alors qui avait établi la pyramide des institutions les heures passées au comptoir de prêt afin de de prêt, s’est enracinée à tous niveaux : tant conseiller les lecteurs et les aider dans leurs entre entités d’un réseau local (désormais re- recherches. Or peu à peu, la lecture n’allant groupées sur base d’une convention) qu’entre plus de soi, les documents ont exigé qu’on les réseaux locaux (voir par exemple, les ordres Lectures 184, janvier-février 2014 43
D O S S I E R © Étienne Bernard du jour des réunions des bibliothécaires du social... Des richesses certes mais dont l’har- Namurois toutes les cinq à six semaines) et monisation réclame écoute et patience et est entre opérateurs d’appui qui se concertent extrêmement chronophage ! De plus, face à tous les trimestres. De belles réalisations sont certains partenaires anciens (écoles et centres nées de ce « réseautage » : distribution de sacs culturels) ou nouveaux (Points Culture), il y a recyclables aux lecteurs, expositions itiné- lieu de préciser de manière plus fine le « qui rantes, conservation partagée des périodiques, est qui » ou le « qui fait quoi » voire le « qui création d’outils d’évaluation, bulletins de paie quoi » afin que les partenariats restent liaison, opérations d’envergure de promotion des opérations gagnant-gagnant. de la lecture comme « Aux livres, citoyens » ou « Le printemps des bibliothèques »… L’aboutissement le plus remarquable est l’éta- Débroussailler l’information blissement progressif des catalogues collec- tifs qui, outre l’amélioration de la qualité de Un autre changement essentiel tient à notre recherche, vise une réduction des tâches tech- monde hyper-médiatisé et globalisé. Le foi- niques ; les provinces, qui cherchent à asseoir sonnement des contenus, de qualités diverses, fermement leur légitimité, trouvent d’ailleurs oblige le bibliothécaire à devenir un « dé- là un terrain d’action à leur mesure. broussailleur d’informations » pour répondre Cette notion de mutualisation des ressources aux besoins de ses publics. Plus encore, il doit a aujourd’hui débordé du Réseau de lecture. tenir compte des compétences de ses usagers : À l’heure où les budgets sont malmenés par à l’ère de l’interactivité, leurs apports, sous les l’application du principe de subsidiarité et la formes les plus diverses, ne sont pas à négliger. crise économique, les partenariats permettent, La participation citoyenne tant convoitée est outre des économies d’échelle, de traiter de à ce prix mais la canaliser exige clairvoyance manière plus efficiente les inégalités sociocul- et diplomatie. turelles (auxquelles la notion d’accès à la lec- ture pour tous est intrinsèquement liée). Les bibliothécaires sont désormais confrontés aux Plus de charge administrative regards et méthodes des opérateurs culturels privés et publics, des mouvements d’éduca- Enfin, un constat récurrent des bibliothécaires tion permanente, des associations à caractère (et d’autres agents des pouvoirs publics) est 44 Lectures 184, janvier-février 2014
D O S S I E R Bibliothèque communale Hergé, Etterbeek l’augmentation de la charge administrative. bien du mal à éviter une équipe à deux vi- Le développement des partenariats (avec leur tesses. La seconde, est pour le monde de l’en- cortège de contacts et réunions), le contrôle seignement à qui il incombe de former les bi- toujours plus strict des actes des pouvoirs bliothécaires de demain et déjà d’aujourd’hui. publics (avec ses obligations de rapports aux Le temps d’adaptation des méthodes et pro- divers échelons de la hiérarchie, d’évaluation grammes ne lui est pas toujours laissé ; l’infor- des actions et des agents, de marchés pu- mation sur les exigences du terrain ne lui par- blics…) et enfin le travail par objectifs et/ou vient pas toujours efficacement. Il en résulte projets (plans, fiches opérationnelles, tableaux qu’un jeune diplômé, sans un compagnonnage de bord, évaluations…) ont indéniablement auprès d’un bibliothécaire imprégné de tous gonflé le travail administratif des dirigeants de les changements cités et apte à les lui trans- bibliothèque. Les moyens de communication - mettre, est rarement capable d’occuper immé- qui permettent de répondre à tout le monde, diatement un poste à responsabilité. L’APBD tout le temps, tout de suite - augmentent la a fait de la formation des professionnels son pression sur chacun. Certains diront qu’ils cheval de bataille pour les cinq ans à venir. Elle n’ont plus le temps de « faire leur métier », offre les expertises variées de ses membres d’autres, que leur métier a simplement beau- aux écoles qui le souhaitent. Quant à son dis- coup évolué. positif phare, il prend la forme d’un parcours qui aborde un type de public selon diverses fa- cettes : les tout-petits en 2013-14, les seniors Formation adéquate en 2014-15. Elle espère à terme permettre la valorisation des acquis de ces formations afin Ces diverses évolutions engendrent deux dif- que soient reconnues aux participants des ficultés majeures. La première, concerne les compétences spécifiques complémentaires. bibliothécaires en place depuis longtemps : Quelle (r)évolution que cette transforma- ils rechignent au changement « parce qu’on a tion d’un métier de bibliothécaire-technicien toujours fait comme ça » et que leurs lecteurs (y compris technicien en animation) en celui fidèles sont très satisfaits de leurs services de bibliothécaire-exhausteur (comme on dit (mais les non-lecteurs ?) corollairement, elle « exhausteur de goût » en moins péjoratif !) concerne les responsables qui doivent impli- de culture partagée. Et quel défi pour ceux qui quer chacun dans le processus en cours et ont exercent cette belle profession ! • Lectures 184, janvier-février 2014 45
D O S S I E R Réflexion de la FIBBC Il est normal pour une fédération professionnelle comme la nôtre, qui se par Jean-Michel DEFAWE veut la porte-parole des président de la FIBBC bibliothèques et des bibliothécaires, de relayer les problèmes de terrain Cinq ans pour le nouveau décret tions les plus traditionnellement ancrées et vécus aujourd’hui par les rend plus difficile une vision sereine de l’ave- travailleurs du secteur mais Première pièce à déposer au dossier : notre nir. Notre façon même de travailler est remise aussi de mener une réflexion législation qui va fêter ses cinq premières an- en cause. Deux exemples pour illustrer notre prospective sur le métier nées d’existence. Elle a apporté au monde de propos. de bibliothécaire. L’instant la lecture publique un souffle nouveau atten- Une enquête française de l’ENSSIB du 23 présent est d’ailleurs propice du depuis plus de trente ans. Ce texte légis- mai 2013 a révélé la suprématie du choix car nous sommes, en effet, à latif important a voulu placer la bibliothèque des lecteurs dans la recherche d’informa- la croisée de plusieurs pistes au cœur des pratiques de lecture, d’écriture, tions sur Internet par rapport à l’appel à une qui seront déterminantes de productions et d’en faire un lieu d’excel- bibliothèque. Plus concrètement, pour des pour le futur. Merci donc lence dans ces domaines. Il a encouragé les recherches « loisirs et vie pratique », Internet à la revue Lectures de bibliothécaires à mettre en place, dans chaque sera préféré à raison de 28% contre 6,8% permettre de nous exprimer espace local, un plan de développement, pour les bibliothèques. Pour trouver des infor- dans ses colonnes. espèce de colonne vertébrale de son action mations pour les enfants dans leurs études, réfléchie et planifiée dans le temps, en inci- la tendance sera la même (Internet 48%, bi- tant les équipes de terrain à faire évoluer leurs bliothèques 19,7%). Enfin, dans le choix d’un structures dans des projets novateurs, ouverts nouveau roman, les librairies sont en tête avec vers d’autres services diversifiés. Partenariat, 40,4%, les bibliothèques suivent avec 14,4% partage et enrichissement mutuel faisaient et Internet dépasse juste la barre des 10%. Il partie également des pistes tracées. Un regret faut bien le constater : les bibliothèques ne cependant pour ce texte : un certain manque possèdent plus de prérogatives dans cette de souffle ou d’espaces de liberté pour mieux organisation de la connaissance et relever le développer au départ des bibliothèques pu- défi de l’enjeu documentaire devient de plus bliques des actions spécifiques face aux tech- en plus difficile. Le métier, manifestement, se nologies de l’information au regard du support doit de changer. traditionnel. Les bibliothèques 2.0 ont du mal à prendre de l’extension. Ensuite, l’intérêt marchand de grands groupes mondiaux s’est tourné depuis quelques années vers le domaine de la connaissance, de l’image La société de l’information et de l’information. Pour être bien conscient de l’ampleur de l’action, il suffit d’avoir en Une deuxième motivation à se pencher sur le tête les millions de livres numérisés depuis métier de bibliothécaire s’impose par les bou- dix ans par Google dans les bibliothèques leversements énormes générés par la société sans l’accord des auteurs et des éditeurs mais de l’information qui s’attaque à nos convic- avec l’absolution en 2013 de la justice améri- 46 Lectures 184, janvier-février 2014
D O S S I E R caine. Il faut également ne pas perdre de vue Notre bibliothécaire francophone fait circu- l’immense trésor de droits sur des photos du ler au mieux ses collections en tentant d’être monde entier dont s’est approprié Microsoft attentif à leur taux de rotation, au renou- et l’action de concurrence aux bibliothèques vellement de celles-ci, aux demandes de ses américaines menée par Amazon. Ainsi depuis lecteurs. Il est aussi l’organisateur (gentil, un an et demi, tout abonné à Amazon Premium l’organisateur) d’animations, de processus de se voit offrir une tablette Kindle sur laquelle il créativité dans sa bibliothèque, d’expositions peut télécharger, gratuitement d’une base de ou d’éléments plus festifs. données de dix millions d’ouvrages, un certain Il veille à ne pas perdre de vue qu’il se doit nombre de livres mais aussi les films qu’il sou- d’être un expert manager-administratif face à haite. Le géant de la librairie en ligne débarque des exigences administratives en évolution et en Europe avec un programme semblable al- pas en simplification, négociateur permanent légé. Nos bibliothécaires sont-ils prêts à cette dans le maquis de la législation, de la règle- confrontation ? mentation et un producteur de rapports tant vers son pouvoir organisateur que vers ses multiples pouvoirs subsidiants. Zoom sur une profession Le bibliothécaire dans notre Communauté est en pleine mutation… également bien conscient de son rôle de pas- seur entre les publics, de facilitateur d’accès L’analyse réalisée annuellement par le Service aux contenus, à l’information, à la culture. Il de la Lecture publique révèle, de façon géné- veille ensuite à être le coach de son équipe de rale, qu’en 2011 le personnel profession- travail. Prêt à tout, il doit se révéler également nel rémunéré dans les bibliothèques de la architecte d’intérieur pour que se développent Fédération Wallonie-Bruxelles était de 1 158 dans sa structure des lieux accueillants et atti- ETP (83,5% sont qualifiés, 16,5% ne le sont rants pour tous. Il veille, enfin, à être le grand pas). S’y rajoutent 845 volontaires prestant un communicateur de ce qui se passe dans son peu plus de 8.500 heures par semaine. centre. Nous pouvons apporter une précision en ce qui concerne les bibliothécaires relevant d’as- De tels êtres aussi complets peuvent-ils vrai- bl. On peut, en effet, y visualiser un peu plus ment exister ? Venez les rencontrer dans nos de 195 ETP subventionnés dont la plus grande bibliothèques ! Soyons un peu sérieux : on partie (plus de 35%) a entre 46 et 55 ans. Le attend beaucoup de nos bibliothécaires, trop personnel est donc plus âgé dans les biblio- peut-être… Même s’ils sont intégrés dans une thèques publiques de droit privé que dans les équipe le plus souvent petite, il est impossible autres secteurs socioculturels de la Fédération pour eux d’être polyvalents et au top niveau Wallonie-Bruxelles. partout. Sur le terrain, leur nombre ne per- met pas souvent de faire face à la multiplicité À l’image de dieux hindous comme Shiva aux des tâches et, rarement multidisciplinaires, multiples bras, le bibliothécaire doit faire face elles ne disposent pas de toute la palette des au même moment à de multiples challenges. compétences requises. Enfin, elles ont peu de Son métier est donc en pleine évolution dans temps pour se projeter dans l’avenir, réfléchir notre Communauté. C’est un être poussé à au passage de l’imprimé à l’immatériel dans devenir de plus en plus hybride et à présenter nos bibliothèques et au travail indispensable des visages multiples. pour travailler davantage sur les contenus que Il est d’abord, de moins en moins, le catalo- sur les supports. graphe traditionnel. Le partage des rôles tradi- tionnels des bibliothécaires par une informati- sation bien comprise (mais parfois un peu trop Les moyens octroyés coûteuse pour les pouvoirs locaux) a réduit, de façon importante, un travail qui s’effectuait En cette période de crise, les moyens finan- auparavant dans chacune des bibliothèques, ciers octroyés ne sont pas à la mesure des sans partage. enjeux à rencontrer par les bibliothèques. Tant Lectures 184, janvier-février 2014 47
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