LE MOT DU PRÉSIDENT - Les Cuisiniers de France

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LE MOT DU PRÉSIDENT - Les Cuisiniers de France
LE MOT DU PRÉSIDENT

Chers sociétaires,
Mes chers amis,

Afin de casser l’ennui du confinement,
toute la rédaction de la Revue Culinaire
s’est mobilisée afin de sortir ce numéro.

La décision du gouvernement de fermer
tous les commerces qui ne sont pas de
première nécessité et plus particuliè-
rement les cafés, bars et restaurants
plonge notre profession dans de pro-
fondes difficultés. La plupart de nos en-
treprises sont de petite taille et ne pos-
sèdent pas de trésorerie suffisante pour
faire face à cette fermeture dont nul ne
connaît le terme. Beaucoup d’entre nous
sont très inquiets pour l’avenir de leur
établissement, d’autant que les mesures
prises par le gouvernement, si elles sont
une bonne chose, paraissent largement
insuffisantes pour pallier la perte d’ex-
ploitation subie par nos confrères.

Dans cette affaire, les assurances restent
silencieuses, nous sommes nombreux à
attendre un geste fort du gouvernement
pour les obliger à prendre leur part de
ce désastre économique.                         Le confinement nous a obligés à repor-
                                                ter le déjeuner des disciples d’Antonin
En avril, nous fêtons le centenaire de la       Carême. Il aura normalement lieu le
Revue Culinaire (avril 1920-avril 2020).        14 septembre au Pavillon Dauphine.
Pour cette occasion, j’ai demandé à nos         L’assemblée générale ainsi que les élec-
directeurs et à notre journaliste Gérard        tions sont reportées au mois d’octobre.
Gilbert de travailler à un ouvrage d’ar-        Pour l’instant, nous espérons pouvoir
chives retraçant ces cent années de la          maintenir la journée familiale le 13 juin.
vie de notre société. Chaque sociétaire
en recevra un exemplaire.                       Dans l’intervalle, soyez prudents, pre-
                                                nez bien soin de vos familles, de vos
J’ai une pensée toute particulière pour         proches et surtout restez bien confinés
nos estimables sociétaires, les plus an-        chez vous afin que l’on se retrouve tous
ciens et aussi les plus fragiles et les plus    en parfaite santé à la fin de ce bien triste
vulnérables. Malgré la fermeture imposée        moment.
de nos bureaux, nous restons, les deux
directeurs et moi-même, à leur service. Ils     À tous patience et courage, nous fini-
peuvent nous joindre sur nos portables          rons par vaincre ce virus.
ou par mail à tout moment.
Nos coordonnées se trouvent sur notre           Votre bien dévoué,
site www.cuisiniersdefrance.fr.
Je leur recommande de rester chez eux,          Christian Millet
d’éviter toute sortie inutile, de bien res-     Président
pecter les normes de sécurité quand
ils vont faire leurs courses et de bien
prendre soin d’eux et de leurs proches.

                     La Revue Culinaire N°925    mai/juin 2020                                 1
LE MOT DU PRÉSIDENT - Les Cuisiniers de France
Les plaisirs du Soleil Levant.
                                                                             L’âme secrète du Japon révélée dans deux parfums d’exception :
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                                                                             et de sorbets conçues par Gérard Cabiron, MOF desserts glacés 2007,
                                                                             c’est cela aussi partager le meilleur.
- Crédit photo : Patrick Rougereau

                                         Pour commander en ligne, rendez-vous sur transgourmet.fr ou par téléphone au
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LE MOT DU PRÉSIDENT - Les Cuisiniers de France
Sommaire

              D.R.
                                                   N° 925
                                                   MAI / JUIN 2020

                                                   4
                                                   EN COUVERTURE
                                                   Gilles Goujon
                                                   32
                                                   TENDANCE
                                                   L’Auberge des Glazicks
                                                   46
                                                   ON EN PARLE
                                                   Mathieu Allinei
                                                   58
p.4                                p.32            MONSTRE SACRÉ
                                                   Pierre Troisgros
                                                   64
                                                   BOULANGER
                                                   Anthony Courteille
                                                   70
                                                   TRANSMISSION
                                                   L’Union compagnonnique
                                                   78
                                                   CENTENAIRE
                                                   La Revue Culinaire
                                                   84
                                                   UN PLAT, UN CHEF
                                                   Emmanuel Martin
                                                   86
                                                   ANTINUISIBLES
                                                   Société Aurouze

       p.46                        p.58            89
                                                   PORTRAIT
                                                   Bruno Turbot
                                                   90
                                                   HOMMAGES
                                                   Michel Roux
                                                   92
                                                   LIVRE
                                                   À DÉGUSTER

p.64
p.68                               p.78
                                                   En couverture, Gilles Goujon, © Guilhem Canal
        La Revue Culinaire N°925   mai/juin 2020                                         3
LE MOT DU PRÉSIDENT - Les Cuisiniers de France
4   La Revue Culinaire N°925   mai/juin 2020
LE MOT DU PRÉSIDENT - Les Cuisiniers de France
En couverture

         Gilles Goujon
         1 – «Haute cuisine, cousue main»
         Petit poisson deviendra grand pourvu que Dieu lui prête vie ! Grand,
         Gilles Goujon le sera devenu et même très grand, tout en veillant à
         conserver la modestie de son petit homonyme aquatique qui ne se
         plait que dans les eaux limpides, pures et rapides. Goût commun pour
         l’authenticité et la vivacité (d’expression) d’une cuisine qui fête, cette
         année, son dixième anniversaire triplement étoilé.

       Il y aura deux œufs qui feront toujours parler d’eux !          lant… La belle perle translucide que l’on casse d’un
       Celui de Christophe Colomb, symbolisant l’idée lu-              coup de maillet sur l’huître Tarbouriech… Les fausses
       mineuse chère aux amateurs de système D. Et l’œuf               coquilles de couteau et de moules – criantes de vérité !
       Carrus, monument de goût qui ne manque pas d’in-                – de la recette « Coquillages et crustacés sur la vague
       géniosité non plus. On le déguste et on se souvient le          abandonnée ». Ou encore la recette « Sur les traces
       restant de sa vie de gourmet de cette recette immortelle        du lièvre » avec les… crottes en préambule !
       qui métamorphose un œuf en chef-d’œuvre tout en lui             Plaisantes diableries, jongleries, escamotages, illu-
       conservant son aspect originel.                                 sions qui ne doivent pas occulter qu’au-delà du désir
       Une prouesse née du désir d’aller à l’essentiel du pro-         de séduire et d’amuser, ces tours de prestidigitation
       duit, après que Gilles s’est aperçu d’un travers dans           participent à sublimer le goût du plat avant tout.
       lequel il est facile de tomber quand on a obtenu le             La coquille Saint-Jacques éphémère ? C’est un bouillon
       MOF : jouer la surenchère dans les effets de manches            de poule à la réglisse qui l’escamote, se mariant en
       ou plutôt de col tricolore. En s’évertuant à présenter          grandes noces gustatives à la purée d’artichaut en bari-
                     à chaque service des plats de concours            goule. La perle de l’huître ? Une giclée de jus d’huître,
« Au-delà de aux techniques des plus sophistiquées à                   citron, huile de noisette, réveillant en sursaut la belle,
l’exploit, quel des clients moins passionnés par cette ap-             légèrement fumée au bois de hêtre, reposant dans sa
souvenir ? » proche           de haut vol que par les émotions
                     gustatives que suscite un nouveau talent.
                                                                       coquille. Fausses coquilles de moules et de couteaux ?
                                                                       Pâte filo, encre de seiche, algues métamorphosées en
       « Je faisais une cuisine d’apparence très technique,            berceaux croustillants dorlotant les farces. « Sur les
       bonne, mais qui posait question : au-delà de l’exploit          traces du lièvre », la crotte en préambule ? Effilochée
       quels souvenirs ces assiettes, laissent-elles ? Ne sont-elles   de lièvre, oignons, abricots secs, couverture Tanéa à
       pas trop complexes pour le client ?»                            70 %, venant en contrepoint de la sauce chocolat amer.

         Spirituelle
         Demeure une alternative : que l’académisme généré
         par le concours le plus prestigieux d’entre tous pour
         cerner au plus près les règles conventionnelles et les
         techniques les plus abouties soit détourné au profit
         du ludique, ou mieux, du spirituel dans le sens de la
         vivacité d’esprit qui s’exprime dans beaucoup de mets.
         Tels le chapeau du prestidigitateur créant la surprise,
         l’enchantement, la coquille de noix de Saint-Jacques
         éphémère, disparue sous le filet d’un bouillon brû-

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LE MOT DU PRÉSIDENT - Les Cuisiniers de France
Cousu main
     En écho, des desserts, comme la figue sauvage des
     vignes des Corbières, glace fleur d’oranger en écrin
     soufflé à l’anis, « cloche figue » en sucre escamotée à
     son tour par la sauce chaude aux épices. Ou encore, le
     vrai-faux citron de Menton délicatement cassant, fourré
     d’une crème thym-citron et meringue croustillante dont
     la fraîcheur éclate en bouche, comme une prune sous
     le soleil de juillet.
     Cette finition, ce goût du détail et plus encore ces détails
     de goût, c’est ce qu’exprime la sculpture de son ami
     poète Robert Cros, située à l’entrée du restaurant: une
     boîte de conserve « écran-écrin », sertissant un goujon
                                aux arêtes zigzagantes, sym-
« Goût du détail                bolisant le tracé du pied de
et détails de goût » biche de la machine à coudre
                                sur le tissu. Avec cette ins-
     cription « Haute cuisine, cousue main ». C’est bien de
     « cousu main » dont il s’agit, à l’image de notre haute
     couture, qui symbolise la perfection dans le savoir-faire.
     Nonobstant, l’écueil du genre est évité : la préciosi-
     té. Maniérisme qui serait d’ailleurs fort mal assorti
     à la générosité louée par la critique dès sa première
     étoile, notamment incarnée par le « Dos de cochon
     noir de Thibault rôti couenne et gras, jus d’un Fréginat,
     pommes en l’air et pommes par terre au boudin noir ».
     Des plats terriens et de son terroir d’adoption, défi-
     nissant sa cuisine comme contemporaine, française
     et régionale, soulignée d’un extraordinaire plateau de
     fromages :

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LE MOT DU PRÉSIDENT - Les Cuisiniers de France
« Je ne m’interdis rien, je ne rejette aucune technique     back : Gilles a une dizaine d’années et le nez collé sur
       pour parvenir à l’essentiel : le goût ! La technique qui    la télé quand apparaît Paul Bocuse :
       s’apprend doit faire le lit du goût que l’on apporte avec   « La première fois que je l’ai vu à la télé, c’était pour une
       son cœur, sa culture et son histoire. »                     pub Rosières. Il m’hypnotisait ! J’attendais chacune de
                                                                   ses apparitions. J’ai alors dit à ma mère “je veux faire
       Obsession du goût                                           comme lui !” »
                                                                   Adolescent, il emboîte le pas de sa mère, serveuse au
                                                                   Palais des Congrès de Béziers pour arrondir ses fins
     Connivence avec ses origines qu’il aime bien illustrer        de mois. Mariages, baptêmes, communions, il a l’im-
     par la métaphore de l’arbre : les racines plongent dans       pression d’être « un marchand de bonheur ». Le voilà
     la terre nourricière qui permettent au tronc de grandir       destiné à travailler en salle quand, à Valras Plage, il
     et de s’étoffer en branches feuillues porteuses de fruits,    est émerveillé par un chef qui, dans son coin, fignole,
     d’un projet, d’un rêve.                                       sourire aux lèvres, des petits sujets pour l’apéritif. Il se
     Le sien ? Il ne s’en est jamais caché, ayant fait sienne      dit alors que le métier de cuisinier est vraiment plein
     cette phrase d’Oscar Wilde : : « Viser la lune, car même      d’imprévus, de contradictions « oui chef ! Non chef ! ».
     en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles ! » Base de      Voilà un homme sévère, rigoureux, que l’on respecte,
     lancement : ses racines en pays cathare, là où il ancre       craint, le petit doigt sur la couture du pantalon. Et, le
     ses certitudes dans cette terre qui, comme l’exige le ca-     service terminé, il est là, dans sa cuisine, à faire des
     tharisme, ne doit appartenir qu’à ceux qui la travaillent.    petites souris avec des olives !
                  Cette « terre des corbeaux » parmi les           Il sera donc chef, d’abord apprenti à la Compagnie du
« Pas à pas, derniers grands bastions du savoir-faire à            Midi, le buffet huppé de la gare de Béziers. Auprès d’un
homme par l’ancienne que Gilles, obsédé du goût, va                chef qui n’a qu’une seule référence, Auguste Escoffier.
                  explorer pas à pas, homme par homme, ne          Bon tremplin pour devenir lauréat du Meilleur Appren-
homme ! » tardant pas à leur rendre hommage dans                   ti du Languedoc-Roussillon avant de faire son service
     les intitulés de ses recettes. Ici, c’est Didier Pailhèz      militaire, y passant permis de biologie et chimie avec
     pour ses lapins, plantes médicinales ou aromatiques.
     Là, Éric Dalou pour ses pintades, les frères Puccini
     pour leurs asperges, le maraîcher William Saury pour
     ses petits pois, Benoît Deloffre pour ses légumes. Et
     bien sûr Jean-Ba Gaschard dont le nom de la ferme
     familiale Carrus s’est taillé une renommée universelle
     à cause de l’œuf pondu par des poules choyées d’un
     mélange blé, maïs, orge et coquillages apportant un
     incomparable moelleux au jaune qui coule… noir.

       Monsieur Paul
       Et cela depuis quinze ans, au lendemain d’un coup de
       colère, assorti de huit mois de recherches intensives :
       « Agacé de voir tout le monde inventer de faux œufs, je
       me suis donné comme défi d’en inventer un sans avoir
       recours à la chimie, remplaçant le jaune par le noir de
       truffe. »
       L’œuf « pourri de truffe » est né servi sous un sabayon
       aux champignons et lamelles de truffes, et accompagné
       d’une brioche truffée et d’un cappuccino de champi-
       gnons.
       Avant que son succès ne l’agace à son tour, lui qui
       affirme n’avoir qu’une spécialité, celle de ne pas en
       avoir, et qui propose une carte en perpétuelle évolution.
       Tout en faisant une exception lorsqu’il s’agit de rendre
       hommage, ce dont il n’a jamais été avare. Hommage à
       son terroir, ses hommes et bien sûr, hommage à Roger
       Vergé, auquel il dédiera plus tard son « Poupeton, fleur
       de courgette, cristal farci d’un sorbet homard ».
       Mais pour l’heure, nous n’en sommes pas là ! Flash-

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LE MOT DU PRÉSIDENT - Les Cuisiniers de France
18/20 de moyenne… De quoi être destiné à la cuisine
         moléculaire !

         Roger Vergé
      Puis il entre commis au Ragueneau des frères Rou-
      quette qui, pour avoir engrangé de belles adresses sous
      leurs toques, ne sont pas fâchés d’apprendre que leur
      commis a envoyé sa candidature au Moulin de Mou-
      gins*** et que Serge Chollet, beau-fils et chef de Roger
      Vergé, lui a répondu favorablement :
      « Ils m’ont dit : " Bravo ! fonce ! ", sans exiger le moindre
      préavis. J’ai appelé en PCV au Moulin de Mougins.
      Cinq jours plus tard, j’étais devant le pionnier de la
« Chef ! Merci Cuisine du Soleil. Je n‘en croyais pas
                       mes yeux ! Monsieur Vergé n’imagine
d’avoir remis pas à quel point j’ai été marqué par mon
les pendules passage chez lui.
                       C’est mon mentor. Je ne le remercierai
à l’heure ! »          jamais assez. Quelle claque ! Je suis tom-
      bé de haut, moi qui croyais tout savoir. Puis il m’a pris
      sous son aile. Un jour, il m’appelle. Serge Chollet et
      Christian Morisset, son second, me disent en chœur,
      l’œil goguenard « Tu vas te faire découper ! » J’arrive
      dans son bureau craignant le pire : « T’es bien chez nous,
      petit? Bon ! Alors tu montes à L’Amandier de Mougins**
      travailler avec Francis Chauveau ! » Rigueur, gentillesse,
      découverte des produits, créativité. Ah ! ces poupetons,
      sa sauce Mathurini et son homard au poivre rose ! »

         Gérard Clor
         Commis puis chef de partie, il passe du beurre à l’huile
         d’olive avant de poursuivre sa découverte de la cui-
         sine méditerranéenne au Petit Nice** à Marseille, chez
         Jean-Paul et Gérald Passédat :
         « Gérald absent, je suis tout de suite tombé dans le
         grand bain, bombardé second. Fallait que je sois sur
         tous les fronts, n’en ayant pas l’expérience. Ça partait un
         peu dans tous les sens, j’étais chaud-bouillant, mais je
         m’en suis sorti, enrichi d’une notion qui m’échappait :
         la rentabilité ! »
         Fin 1985. Le voilà catalogué comme ayant du caractère.
         Suffisamment pour inquiéter ses amis d’apprendre qu’il
         va seconder Gérard Clor, autre sacré tempérament en
         quête de retrouver son deuxième macaron égaré en
         1981. Entre eux, c’est garanti sur facture : ça va faire
         des étincelles, en guise d’étoile ! Mais non ! L’Escale
         à Carry-le-Rouet récupère sa 2e étoile dans la foulée,
         en 1986 :
         « Têtes de cochon qui s’en dédient ! Notre duo a bien
         fonctionné. C’est Gérard qui m’a conforté dans l’obses-
         sion viscérale du goût, le goût, le goût ! »

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LE MOT DU PRÉSIDENT - Les Cuisiniers de France
Fontjoncouse                                                huit ans (2010). Avant cela, le titre de MOF, décroché à
                                                            la seconde tentative, en 1996 – « ça m’a donné l’impres-
Leur duo de « haut goût » perdurera jusqu’en 1991,          sion d’être devenu un énarque des fourneaux ! » –, puis
avant que le couple ne s’installe à son compte à Fontjon-   la première étoile (1997) couronnant « Le Carpaccio de
couse. Entre-temps, Gilles a fait un aller-retour d’un      pigeon au foie gras », la deuxième (2001) récompensant
an chez Claude Giraud, au Réverbère**, qui souhaite         « La Galette d’estafilade en crème de verjus ».
lui confier un projet qui n’aboutira pas.                   La note d’un inspecteur du Michelin est plutôt pro-
1992. Fontjoncouse, tout le monde descend. Vingt-huit       metteuse : « Ce dîner fut enthousiasmant, écrit-il, j’ai le
ans d’arrêt ! Quelque part en Corbières, le pays des cor-   sentiment que la cuisine de Gilles Goujon est parvenue
beaux. Le pari fait penser à celui que Bernard Loiseau      à une belle maturité qui positionne le chef parmi les
s’est lancé en 1975 en s’installant. Mais en plus fou :     postulants à une troisième étoile dans les prochaines
Saulieu (3 548 habitants), Fontjoncouse (92 habitants) !    années, même si les desserts sont en léger retrait. A revoir
Bernard attendra seize ans le Graal (1991), Gilles dix-     dans l’année. »

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LE MOT DU PRÉSIDENT - Les Cuisiniers de France
Repère
     Ne leur reste plus qu’à patienter, dans cette Auberge
     du Vieux Puits que Gilles et Marie-Christine veulent
     à leur image, chaleureuse, confortable, accueillante,
     au style très professionnel et lissé, mais sans signe
     distinctif de genre pour que tout un chacun se sente
     chez soi… Gilles et Marie-Christine entourés de leur
     équipe, Vincent Labarsouque en tête, que l’heure ve-
     nue, Enzo (24 ans) aux fourneaux et Axel (19 ans)
     en salle, viendront étoffer. Sans oublier Paul natif de
     Fontjoncouse, le meilleur ami d’Enzo, lui aussi un
     enfant de l’Auberge, passionné de cuisine.
     En attendant cette transmission si chère à Gilles Gou-
     jon, d’immenses feuilles stylisées courent, en suspen-
     sion sur les murs de la salle à manger, baignée de la
     limpidité que confère la tramontane au ciel de l’Aude.
     Symbolisant le souffle du talent de l’esprit, tandis qu’en
     contrepoint, la sagesse des racines demeure. Symbo-
     lisée par les entailles ménagées dans les tables où les
     couteaux de chaque convive sont plantés. Fidélité au
     « pépé L’Abbé » qui, son repas terminé, plantait la
     lame dans une rainure du bois de la table de la ferme.
     Gilles Goujon est aussi l’une de ces toques phares
     dans la grande Histoire de notre gastronomie qui ont
     vocation de repère, pour sa cuisine aux fondations
     françaises, contemporaines et régionales :
     « En 1998, ma deuxième étoile obtenue, un journaliste
     branché m’a annoncé que je faisais partie de cette nou-
     velle génération de cuisiniers locavores ! C’est comme ça
     que j’ai appris que j’étais locavore sans le savoir. Tous
     les chefs dignes de ce nom sont des éclaireurs de leur
     terroir, privilégiant producteurs et produits de proximité
     d’excellence. Mais il faut raison garder. Pour un chef
     occitan, le homard d’excellence le plus proche se trouvera
     toujours en Bretagne ! »
                                                Gérard Gilbert

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