Le téléphone portable à la loupe - Le téléphone portable à la loupe

 
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Le téléphone portable à la loupe

Le téléphone portable à la loupe

Avec 1,6 millions de téléphones portables fabriqués en 2010, le nombre d’appareils sur le marché est
supérieur au nombre d’utilisateurs . En Europe de l’Ouest, aux États-Unis comme au Japon, la
moyenne se situe autour de 1,1 téléphones portables par personne tandis que leur durée de vie ne
dépasse pas deux ans et demi . Sur les marchés émergents, le secteur est en plein essor. Quel
scénario circulaire appliquer au téléphone portable et pour quel bénéfice, tel est l’objet de l’article que
nous proposons ci-dessous.

En 2010, le volume des Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques (DEEE) pour
l’informatique et les télécommunications est estimé à 750 milles tonnes pour l’Union Européenne et
devrait augmenter d’environ 10% au cours des quatre prochaines années.

Le volume des déchets ne donne cependant pas d’indication sur leur valeur intrinsèque, et s’agissant
des téléphones portables, les matières premières et les composants qu’ils contiennent constituent de
véritables ressources. Dans un téléphone d’environ 150 grammes, on retrouve de l’or, de l’argent, et
des terres rares, autrement dit, même en petite quantité, il s’agit de matières de grande valeur. Et
pourtant, avec un taux de collecte et de recyclage très faible, la quasi-totalité de ces éléments est
complètement perdue.

En Europe, les 160 millions d’appareils jetés et non collectés représentent une perte matérielle
estimée à 500 millions de dollars par an. Avec un taux de collecte plafonnant autour de 15% en
Europe, et une tendance accrue à la compacité, pratiquement aucun des composants n’est réutilisé
ou re-manufacturé, tandis que le marché de l’occasion – bien qu’en rapide expansion –représente à
peine 6% du marché primaire .
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Afin de comprendre le rôle du modèle circulaire sur le marché de la téléphonie mobile, nous avons
appliqué une méthode d’évaluation de la circularité à un téléphone portable standard de moyenne
gamme coûtant environ 36 dollars . Nous avons d’abord évalué les impacts économiques des
différentes options circulaires rapportées au téléphone portable puis pris en compte les bénéfices
environnementaux qui pouvaient en découler (en nous concentrant sur les réductions d’émissions de
gaz à effet de serre).

Actuellement, le taux de collecte des appareils est relativement bas, notamment en raison des
différents types de contrats qui dans la plupart des cas n’incite pas à les rapporter – soit en moyenne
après 24 mois d’utilisation. Nous n’avons donc pas identifié de véritable potentiel économique, mis à
part pour le marché de la revente. Bien entendu, le modèle circulaire pâtit aujourd’hui du manque
d’initiatives incitant les gens à retourner leur téléphone ainsi que d’une logistique inverse inadaptée.
Par ailleurs de nombreux appareils sont en mauvais état à la fois en termes de fonctionnalité et
d’aspect, quant à la demande pour les téléphones de seconde main, elle varie en fonction des
modèles.

Avec le manque cruel de terres rares et de certains autres métaux précieux, le recyclage des
mobiles s’est considérablement accru l’année passée. Aujourd’hui, la part de téléphones dirigés vers
le recyclage a augmenté de 9%, mais seulement une petite proportion de la vingtaine de matériaux
qu’ils contient est effectivement récupérée .
Le modèle circulaire

© Braungart&McDonough, Stahel, EMF

Pour bénéficier de l’avantage économique qui découlerait du maintien des téléphones portables,
ou au moins certains composants au sein d’un cycle fermé, seulement quelques changements
seraient nécessaires à court terme (voir figures 1 & 2) :

Augmenter la collecte globale de 15 à 50% (approchant l’objectif de la réglementation des DEEE
qui préconise une collecte de 65% d’ici à 2016) . Un meilleur système de récupération permettrait en
effet aux fabricants, aux opérateurs du reconditionnement et aux vendeurs de réaliser des économies
d’échelle, ce qui pourrait justifier des investissements importants, des chaînes de production
simplifiées, et donc améliorer l’attrait pour ces cycles en augmentant leur efficacité. La collecte peut
être encouragée par des modèles de bail/rachat, un meilleur dialogue avec le client et, dans certaines
cas, par un système de dépôt. Mais cette collecte devra être suivie par un traitement plus automatisé
et des méthodes d’extraction et de tri avant destruction. Pour une plus grande efficacité, une fois
atteint le niveau de circularité le plus ‘avancé’, le secteur du téléphone portable devra unir ses efforts
pour créer un système de collecte commun (opérateurs, revendeurs, fabricants et entreprises de
logistique inverse). De tels efforts concertés sont essentiels pour pouvoir surmonter l’ensemble des
pertes de qualité tout au long de la chaîne de valeur inverse.
Fig. 2

© Ellen MacArthur Foundation

Revendre le téléphone ‘tel quel’ après un reconditionnement minimal et un re-packaging. Notre
analyse montre qu’un vendeur de téléphones d’occasion peut réaliser un profit de 6 dollars, (soit une
marge de 30%) par appareil en plaçant le produit sur le marché avec une réduction de 40% et en
dépensant 17 dollars dans le processus de collecte, comprenant les initiatives de rachat, de
marketing et de reconditionnement. Le marché du téléphone d’occasion gagnerait à fournir des
garanties telles que l’effacement complètement les données personnelles, mais garantir également
l’emploi de matériaux permettant un allongement de la durée de vie du produit.

Démanteler les composants réutilisables et adapter le design afin de rendre ce processus plus
aisé et rapide. Seuls 10 ou 12 éléments d’un téléphone mobile standard peuvent être facilement
réutilisés: appareil photo, écran, batterie et chargeur. Ces pièces qui ont le plus de valeur sont
relativement faciles à démonter et pourraient être employés dans la fabrication de nouveaux appareils
ou encore pour les services après-vente. L’un des facteurs-clés repose sur la standardisation des
composants (écrans, appareils photos) et des matériaux entre différents modèles, voire entre
différentes marques par le biais d’accords de standardisation industrielle. Un autre facteur décisif
consisterait à concevoir des produits qui puisse être facilement désassemblés (facilité d’accès,
assemblage plutôt que collage des éléments par exemple) afin d’améliorer le ratio entre la valeur de
la matière et des composants récupérés et la main d’œuvre nécessaire pour l’extraire. Enfin la mise
en place d’un processus d’approvisionnement inverse plus automatisé serait par ailleurs bienvenu.

Comme le montre la figure 2, on estime que les coûts de remise à neuf d’un téléphone bas de
gamme pourraient être réduits d’environ 50% par appareil (1 dollar dédié à la collecte et au
transport, 3,5 dollars pour le démontage, et 1,9 dollars pour le tri initial) à la condition que les
changements liés au scénario de transition soient mis en œuvre. Qui plus est, les coûts inhérents au
processus de réemploi des matières et au recyclage pourraient également être réduits de 0,7 dollar,
grâce à des transports plus efficaces et un tri initial également mieux adapté. Avec ce scénario, la re-
fabrication entraînerait jusqu’à 50% d’économies sur le coût total de production du téléphone. Le
programme de recyclage pourrait quant à lui entraîner jusqu’à 20% d’économies sur le coût des
matières premières. Il est à noter par ailleurs que le réemploi complet d’un téléphone n’implique
aucun nouvel apport de matière.

Bien qu’une économie de 6 à 7 dollars par téléphone puisse sembler négligeable étant généralement
inférieure à la marge de profit moyen sur un nouvel appareil (jusqu’à 25% du prix de vente sur
les gammes standard et bon marché), pouvoir capter une part significative des 190 millions de
téléphones portables peut représenter une source de valeur pour les fabricants, comme le montre
notre étude de cas. Du point de vue de l’OEM (Original Equipment Manufacturer), la revente
représente dans une certaine mesure une menace pour le marché des nouveaux produits. En
revanche les activités de remise à neuf réduisent les coûts matériels en apportant des composants
manufacturés supplémentaires et ne constitueront pas une menace pour les ventes des nouveaux
produits tant que ceux-ci sont proposés comme ‘neufs’ et sans remise. De telles pratiques
commerciales circulaires offrent également une solution au problème généralisé d’exportation des
déchets électroniques dans les pays en voie de développement et de mauvais traitement des
appareils en fin de vie. En augmentant leurs activités circulaires, les fabricants pourraient ainsi
bénéficier d’une image plus positive auprès du public.

D’un point de vue macroéconomique, la transition vers une économie circulaire aurait un impact
majeur sur la consommation de matières et d’énergie aussi bien que sur la balance commerciale du
marché européen de la téléphonie mobile. Avec un scénario de transition dans lequel 50% des
appareils sont collectés (parmi lesquels 38% sont réutilisés, 41% sont remis à neuf et 21% sont
recyclés), les économies sur les coûts matériels de production pourraient s’élever à 1 milliard de
dollars (environ 30% du total des coûts matériels de production du secteur), et les économies sur les
coûts de production d’énergie à 60 millions de dollars par an (environ 16% du total des coûts de
production d’énergie du secteur). Ces économies se réfèrent aux coûts engagés dans le processus
de production des téléphones, mais des économies supplémentaires apparaissent aussi en amont
dans d’autres étapes de la chaîne de valeur10. Dans un scénario avancé avec 95% de collecte et
une égale répartition entre la réutilisation et le reconditionnement, les économies de matière et
d’énergie sont estimées chaque année à plus de 2 milliards de dollars pour les matières et 160
millions de dollars pour l’énergie, en tenant compte de la matière et l’énergie utilisées dans le
processus inverse. En considérant l’extraction des matières et l’ensemble du processus de fabrication
des pièces et des produits, les réductions d’émissions de gaz à effet de serre provenant des activités
circulaires pourraient s’élever à 1,3 millions de tonnes d’équivalent CO2 dans un état de transition et
à environ 3 millions de tonnes (ou 65% des émissions de la production primaire) dans le cas d’une
collecte à 95%.

Avec une production primaire de téléphones portables en grande partie située hors d’Europe, les
revendeurs et les entreprises de recyclage, d’ordinaire géographiquement proches du marché, sont
également hors CE. Néanmoins comme les activités de remise à neuf comprennent également le
recyclage des matières résiduelles, le processus est supposé avoir lieu en Europe (également pour
ne pas être confronté à la question de l’exportation illégale d’e-déchets – bien que les marchés de
réexportation puissent également être intégrés, étant donnés les écarts de coûts de la main
d’œuvre). En conséquence, l’effet positif des pratiques commerciales circulaires sur l’excédent de la
balance commerciale européenne atteindrait 1 à 2 milliards de dollars en raison de la réduction des
importations globales de nouveaux téléphones et composants et des apports de matière.

Pousser le concept encore plus loin, en améliorant les conceptions afin de rapporter plus de
composants dans la boucle de remise à neuf et en permettant aux téléphones portables de parcourir
le cycle non pas une seule fois, mais éventuellement plusieurs fois à travers le cycle de vie d’un
produit, pourrait même conduire à une optimisation plus grande et à une baisse plus importante des
coûts de production de matière et d’énergie sur le marché.

Notes:

1. Statistiques de Gartner sur les ventes d’appareils mobiles, Février 2011.
2. CIA World Economic Factbook, 2011.
3. Jaco Huisman et al. Révision de la Directive 2002/96 sur les Déchets d’Équipements Électriques et
Électroniques – Rapport Final, document de travail de l’Université des Nations Unies, Août 2007 ;
Jaco Huisman, Remaniement des DEEE : de 4kg à 65% : les conséquences de la conformité,
document de travail de l’Université des Nations Unies, Mars 2010.
4. Agence Gouvernementale des États-Unis pour l’Environnement (EPA), Gestion des Déchets
Électroniques aux États-Unis au cours de l’année 2009, document de travail de l’EPA, Mai 2011 ;
Eurostat, statistiques capitales et données des DEEE, 2011.
5. Les ‘téléphones portables standards’ incluent les téléphones bons marchés et les appareils de
communication de base tels que définis par Gartner et excluent les Smartphones. Pour nos calculs
nous avons considéré un échantillon de quatre téléphones portables vendus à des prix compris entre
30 et 60 dollars HT.
6. Les éléments de terre rare contenus dans les téléphones portables comprennent le néodyme, le
terbium et l’erbium – Marc Humphries, Les Éléments de Terre Rare : La Chaîne d’Approvisionnement
Global, Rapport du Service de Recherche du Congrès, Septembre 2010.
7. Roland Geyer et Vered Doctori Blass, ‘L’économie de la réutilisation des téléphones portables et du
recyclage’, Journal International de l’Industrie Avancée, 2010, Volume 47, pp. 515-525.
8. Commission Européenne, ‘Proposition de Directive du Parlement Européen et du Conseil sur les
Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques (DEEE)’, Proposition de directive, COD
2008/0241, Décembre 2008.
9.Les coûts pour le processus de démontage complet pourraient être réduits de 2,5 dollars par
téléphone ; 0,8 dollar supplémentaire par téléphone pourrait être économisé dans la collecte et le
transport, aussi bien que dans le processus de sélection initial.
10. Le recyclage des métaux entraîne une réduction de la consommation d’énergie dans la phase
d’extraction mais est implicitement pris en compte dans la valeur matérielle des métaux recyclés, et
non pas dans les économies des coûts d’énergie.
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