LENEW YORK DE JEROME CHARYN - The Wall Street Experience
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Grands Voyageurs ÉTATS-UNIS LE NEW YORK DE JEROME CHARYN Citizen Sidel, son dernier roman policier vient d’être traduit en français. Occasion d’interviewer celui qui a fait de New York l’objet de son étude et de sa dilection. Un New York non-conformiste, un brin destroy, avec une prédilection pour les marges, d’où émerge le renouveau. TEXTE DANIELLE TRAMARD - PHOTOS FRÉDÉRIC REGLAIN 30 31
Grands Voyageurs ÉTATS-UNIS « TRIBECA EST CHIC À CAUSE DE ROBERT DE NIRO ET DU FESTIVAL DE FILMS QU’IL A CRÉÉ »
Grands Voyageurs ÉTATS-UNIS New York « NEW YORK EST UNE VILLE PLEINE D’ÉNERGIE, DE CURIOSITÉ, DOTÉE D’UN SENS FOU DE L’AVENTURE » Interrogeons-le sur le plus grand changement que la ville ait connu : « Le SOFITEL 11 septembre. L’anxiété s’est insinuée et nous ne nous en sommes pas encore remis. Puis est venue la crise économique et l’effondrement de la Bourse. Il Un travail de décorateur est très difficile de survivre au cœur de l’Amérique. New York s’en sort moins Hôtel de luxe, il en possède tous les raffinements. Dès l’entrée, mal parce que Wall Street est toujours le centre de la richesse. » Et cette chaleureuse avec ses clubs accueillants autour du feu dans la phrase qui le dépeint tel qu’en ses livres, plein de compassion : «Vous pouvez cheminée, ses fleurs, ses bougies et ses lampes, ses tableaux à définir la valeur d’une culture par la façon dont elle traite les très jeunes et la Kandinsky et deux bronzes de chiens à museau pointu : un les très âgés, vulnérables car ils ne peuvent prendre soin d’eux-mêmes. » confort, une élégance discrète signée Pierre-Yves Rochon. New York, ville d’immigrants. Cela ne date pas d’hier. Depuis 1609, en fait, L’Oiseau de Folon, statue filiforme en fer forgé, accueille les quand Henry Hudson, un Anglais au service des Hollandais, arriva à l’embouchure hôtes. Cette étape passée, ils croiseront les photos de Paris et du fleuve qui porte aujourd’hui son nom. La Compagnie néerlandaise des de New York, une statue de la Liberté répondant à une tour Eiffel Indes occidentales s’installe à la pointe de Manhattan et, ironie du sort, achète reflétée dans l’eau. Plus loin, les After Work Parties bourdon- pour 24 dollars l’île aux Indiens. « La plus belle opération foncière de tous les nent dans le bar au plafond entouré d’une frise sur le même thème : coupole de l’Opéra et Notre-Dame succèdent à l’Empire temps », commente Jerome Charyn dans New York, Chronique d’une ville State et au Chrysler Building. Fines gravures, dessins à la plume sauvage (Découvertes Gallimard). Peter Stuyvesant, dernier gouverneur sur fond rouge, moquette panthère : un travail de décorateur. hollandais, cède l’île aux Anglais. La Nouvelle-Amsterdam devient New York. Dans la salle à manger, sous les grandes toiles Belle Époque En 1789, Washington boute les Anglais dehors avant d’être intronisé à Federal vous prendrez peut-être, au petit-déjeuner, des œufs au plat Hall, alors siège du Congrès, dans Wall Street toujours. « Manhattan est le accompagnés de délicieuses pommes de terre du Yukon… miroir fou de l’Amérique. Une ville de contrastes entre pauvres et riches, ce qui risque de devenir dangereux. Où l’on se sent bien car tout le monde est étranger. Vous vous asseyez à une table et entendez parler des langues diverses. Tous sont curieux, aussi est-ce un endroit très excitant. » Chelsea, le Village, Soho… mondialement connus pour leurs petits immeubles en brique et en fonte, à escalier de fer ne touchant pas terre pour s’échapper en cas d’incendie après avoir décroché l’échelle, fenêtres à crémaillère, certaines à Rue plantée d’arbres, Hommes d’affaires immeubles en brique, et chefs d’entreprises taxi jaune : une rue paisible internationales se retrouvent du Village. le soir au bar du Sofitel. Ground Zero Un avenir incertain Le projet de l’architecte Michael Arad a été retenu pour le U Jerome Charyn, ne voix. Un peu rocailleuse, riche en harmoniques, réfléchie lorsque Mémorial où seront inscrits les noms des victimes du auteur de Citizen Sidel nous l’avons interrogé, après avoir lu ses livres, les meilleurs sur New 11 septembre 2001 et de février 1993. Concernant le projet qui vient de paraître York, que l’on soit ou non familier de la « ville monde ». Personne de « mosquée » qui pose problème, Jerome Charyn fait en français. La photo n’en a perçu l’essence, l’évolution, les battements du cœur, comme lui. Né entendre la voix de la raison : « Ce que l’on nomme à tort la a été prise dans son dans le Bronx, d’une famille d’émigrés juifs russes passés par Ellis Island, il mosquée de Ground Zero est sujet à polémique car, en réa- appartement parisien. ne l’a pas quittée. Certes, il a voyagé, vécu à Paris quand il enseignait le cinéma lité, il ne s’agit pas d’une mosquée mais d’un centre musul- à l’Université américaine, mais il reste, d’abord et avant tout, New-Yorkais. man comprenant notamment une école, une salle de priè- Jerome Charyn habite Greenwich Village, «devenue une merveilleuse morgue». re pour les catholiques et une autre pour les juifs. Les En revanche, demandez-lui quel est son quartier préféré – il y en a tant dans cette ville –, la réponse fuse : « J’aime le Bronx par-dessus tout car il me rap- musulmans ont parfaitement le droit de construire ce pelle la tristesse de mon enfance. Quand j’y vais, je suis euphorique parce centre ici, mais peut-être serait-il préférable qu’il soit à qu’il m’a donné, à travers ses étendues vides, la capacité d’imaginer. » quelques blocs de Ground Zero. » 34 35
Grands Voyageurs ÉTATS-UNIS Le New York Stock Exchange « POUR LA PREMIÈRE FOIS DANS L’HISTOIRE DE NEW YORK, et, à droite, la statue de George Washington LES BLANCS SONT DEVENUS UNE MINORITÉ » devant Federal Hall. L’ÉCOLE fronton blanc. Maisons de ville à escalier montant vers une porte peinte. Anciennes usines, à Meatpacking notamment. Entrepôts le long de l’East River La cuisine selon Escoffier devenus immeubles d’habitation. Pour Jerome Charyn, de jolies images. Explication : « Les quartiers de Manhattan ont perdu leur énergie parce qu’il Fondé en 1984, ce restaurant repose sur une école enseignant les techniques de la cuisine française selon Escoffier. Le pro- n’y a plus la même immigration. Il y a plus de Chinois dans le Queens qu’à gramme se déroule en six mois : cuisine, pâtisserie, boulange- Chinatown et les Italiens ne viennent plus à Little Italy. Chelsea s’est embour- rie – les fondements, les sauces, nettoyer et cuire un poisson, geoisé. Tribeca est chic à cause de Robert de Niro et du festival de films qu’il faire du fromage, les bases de la pâtisserie, les recettes fran- a créé. Soho est encore un peu sauvage, mais quand les galeries poussent çaises… Avec introduction et cours intensifs en cuisine de 9 à 15 les artistes dehors, ces quartiers perdent leur vitalité et le business s’installe. heures. Les étudiants passent les deux derniers mois aux four- Les artistes viennent en premier, donnent une aura au quartier. Les requins neaux du restaurant. Cinquante-cinq chefs ayant une pratique suivent et le quartier devient un livre d’images. C’est l’un des dangers qui d’au moins dix ans enseignent quelque trois cents étudiants. Ils menacent Manhattan. Le Lower East Side était pauvre. De nouveaux immi- dirigent, à deux, des classes de vingt-quatre élèves, dont la grants lui donnent de l’énergie. » Restent deux zones qui émeuvent New- moitié de femmes. L’École a bonne réputation car des chefs Yorkais et visiteurs : « Ground Zero, et les deux gratte-ciel, l’Empire State réputés, Daniel Boulud, Jean-Georges, David Cheng… viennent Building et le Chrysler Building ». Au-delà des quartiers riches, de part et faire des démonstrations. L’examen final dure quatre heures et permet de réaliser deux plats. « Les étudiants qui sortent d’ici d’autre de Central Park, « Harlem est dans une sorte de transition. L’immobilier veulent aller dans un grand restaurant. Ils ont une passion pour occupe le terrain et les pauvres ont été poussés hors de Manhattan. » la cuisine », conclut le chef français Hervé Malivert. Franchissant la Harlem River, nous voici dans le Bronx où se passe nombre des romans de Jerome Charyn. « Pour les écrire, j’ai parcouru le Bronx avec mon frère, détective. Le sud du Bronx est en proie à la pauvreté, à la crimi- nalité, une terre de désespoir. Claremont Village est l’endroit le plus dange- reux de l’Amérique. Les chefs de gangs sont des hommes d’affaires qui font beaucoup d’argent avec la drogue. Leurs gardes du corps âgés de douze ans ont des fusils parce que les gamins de cet âge ne peuvent pas être jugés et ne vont pas en prison. Ces gamins violents sont recrutés pour vendre la Le chef Hervé Malivert Le présentateur chauffe enseigne les secrets de la salle de l’Apollo Theater la cuisine française aux qui fit connaître les grandes élèves de l’École. voix noires. Apollo Theater temple de la musique noire WALL STREET EXPERIENCE - L’ingénue dans un monde impitoyable C’est ici que de grandes voix noires – Billie Holiday, Ella C’était l’été. Décontractés, les golden boys – les cols Federal Hall où George Washington prêta le serment le New York Stock Exchange vit le jour en 1792 quand Fitzgerald, James Brown, Michael Jackson – se sont fait blancs de la finance – passaient en costume deux- d’investiture de premier président des États-Unis vingt-quatre gentlemen signèrent le Buttonwood connaître lors de l’Amateur Night du mercredi soir. Imaginez pièces ou en chemise, col ouvert, certains avec un sac d’Amérique, en 1789. Lisant avec un petit pincement Agreement, sous un platane (buttonwood). Que la un grand moment de délire, de bonheur. Sur la scène à stucs à dos. Nous étions devant la bourse de Wall Street, de cœur le nom de cette rue aux austères bâtiments Standard & Poors, agence de notation, est actuelle- plus gardée que Fort Knox. Et nous allions tournoyer gris, « cœur économique des États-Unis et capitale ment sous investigation et que la Securities & dorés, le DJ Jess, écouteurs sur la casquette, mixe et chauf- dans le quartier sous la conduite d’un ancien trader. financière du monde », rappela James. Il entreprit Exchange Commission (SEC) surveille ses futurs fe la salle qui, dansant entre les sièges, dans les allées, James travaillait chez Goldman Sachs. Disons-le tout d’expliquer le krach boursier, dû en partie, dit-il, aux employeurs. Que 10 % des opérations a lieu à la ondulant des hanches, bras levés, commence à ressentir le de suite, la moitié des informations vola très haut actifs toxiques, les CDO ou Collateral Debt Bourse, le reste se faisant sur ordinateur. Enfin que groove de la musique qui enchanta l’Amérique des années au-dessus de notre tête. Trois étudiants en économie Obligations, eut-il la bonté d’expliciter. Et de mon- des Cinq Grands de 2008, Goldman Sachs, JPMorgan 1970. Le présentateur, un Noir plein d’humour, introduit les et le père de l’un d’eux, tous très Wasp, traduisez trer un graphique où l’on voit lesdits actifs chuter de Chase, Merrill Lynch, Lehman Brothers et Bear BCBG bien que la signification exacte soit White manière dramatique, « entraînant une perte de 80 % Stearns, seuls les trois premiers subsistent. En résu- candidats et glisse ses commentaires piquants. C’est Anglo-Saxon Protestants, très au fait des opérations de l’investissement ». Nous avons appris que le nom mé, nous n’avons pas vu la salle des marchés tant l’applaudimètre, et donc le public, qui élit le vainqueur. financières, buvaient les paroles de James. de Wall Street vient du mur (wall) en bois construit espérée, mais nous nous sommes bien amusés. Nous passâmes donc au 26 Wall Street, devant pour se protéger du harcèlement des Indiens, et que Au second degré. 36 37
Ci-dessus : immeubles en brique reflétés dans un édifice près Ci-dessous : Frank Lloyd Wright a conçu dès 1943 l’architecture en Ci-dessus : plaques de verre sur squelette en béton, l’IAC Building, Ci-dessous : Flatiron, dont la silhouette en fer à repasser perce le ciel de la gare centrale. À droite, le Chrysler Building (319 m), gratte-ciel spirale du Guggenheim Museum, destiné à abriter la collection de achevé en 2007, dresse son architecture spectaculaire signée Frank de Midtown, fut achevé en 1902 par Daniel Burnham, architecte de préféré des New-Yorkais. Salomon R. Guggenheim. Gehry dans Chelsea. l’École de Chicago. 38 39
Grands Voyageurs ÉTATS-UNIS Flag (1954-55), de Jasper Johns, « BROOKLYN DEVIENT UNE EXTENSION DE MANHATTAN, LE DISTRICT maître du pop art, représentant le drapeau américain, encaustique OÙ LES JEUNES VONT A LA RECHERCHE D’EUX-MÊMES » et collages sur toile. Au MOMA. drogue et faire respecter leur loi par le voisinage. Cependant, le Bronx a été ANDAZ reconstruit. Il y a de nombreux édifices Art Déco sur l’avenue Grand Concourse. C’est très beau. » Riverdale est très vert, la classe moyenne aisée, jeunes L’hôtel des Golden Boys cadres dynamiques, juifs orthodoxes et diplomates, habite de belles maisons L’Andaz incarne une nouvelle génération d’hôtels, révélatrice de style Tudor, à colombages et pelouses fleuries. d’une tendance de l’hospitalité contemporaine. Une simplifi- « Les deux tiers de l’ensemble des immigrants de cette planète viennent aux cation qui confine au dépouillement, avec un vrai sens de États-Unis », écrivait-il en 1986 dans Metropolis. Qu’en est-il aujourd’hui ? « Il l’innovation. Témoin, dans les chambres, ce bloc multi-usages y a désormais, dans les boroughs de la périphérie une nouvelle immigration, qui pivote sur lui-même, présentant tour à tour la penderie ou puissante, venue d’Asie et d’Afrique, qui va redéfinir la ville. Pour la première les rayonnages de la salle de bains. Nous sommes au cœur de fois dans l’histoire de New York, les Blancs sont devenus une minorité. » Et Wall Street : rapidité, efficacité presque brutale. Et gain de de poursuivre : « Nous – protestants, catholiques, juifs – maîtrisons toujours temps : « Time is money ! » Avec élégance, évidemment : il ne l’économie, mais nous devenons marginaux dans tous les autres domaines. » faut pas faire fuir les golden boys… Au pied du pont de Brooklyn, quatre jeunes rappeurs noirs, marcel et cuir, David Rockwell, son architecte, est né à Chicago en 1956. Enfant, il s’intéresse au théâtre. Pas étonnant qu’il dessine la dessinent des figures acrobatiques sur des rythmes endiablés. Une joie de scène des Academy Awards, à Hollywood, en 2009. Il aime vivre manifeste mais n’oublions pas, rappelle Jerome Charyn, que « le rap l’énergie de New York. L’espace lui apparaît comme une choré- est né dans le Bronx, d’une vraie douleur qui a permis de découvrir un nou- graphie, avec les mouvements que sont les larges escaliers à veau langage ». Le pont, inauguré en 1883, mythique. Un moutonnement de monter, à descendre. Pour l’Andaz, son cahier des charges sti- têtes : piétons, bicyclettes, joggers, cols blancs de retour de Wall Street, casque pulait de l’espace, pas de comptoir à la réception : une forme sur les oreilles, couples, amis, par affinités. Noirs, Chinois, Indiens, Latinos, de générosité. entre eux. « Ensemble mais pas unis » comme nous l’a dit Ron Claiborne, jour- naliste de la chaîne ABC. En bas, l’East River coule, verte. La nuit tombe. Immeubles gris sur ciel gris, une beauté graphique. Sur les ponts, les lumières s’allument. La statue de la Liberté tend sa torche éclairée dans les ténèbres qui s’épaississent. En face, les cimes pointues de l’Empire State Building et du Chrysler Building s’illuminent. Au musée d’Ellis Island, Marjorie Eliot photo sépia d’immigrants accompagne au piano son fils et chaussons d’enfants Rudel Drears qui chante dans une vitrine... un standard du jazz. Les dimanches jazz de Marjorie Une femme de cœur ELLIS ISLAND - La porte d’entrée de l’Amérique Marjorie Eliot a inauguré, en 1993, le dimanche à 16 heures, Le bateau qui conduit à Ellis Island fait d’abord esca- main, attendant en longues files jusqu’à l’installation Unis : « Pas d’impôts écrasants, pas de rois dispen- ses « parlour entertainments », concerts de jazz dans son le à Liberty Island, où s’élève la statue de la Liberté de bancs en bois en 1912 dans la salle des registres. dieux, pas de service militaire obligatoire, pas de appartement de Washington Heights, à Harlem. Elle joue du offerte par la France à l’Amérique en 1886 pour célé- Auparavant, en 1911, on ouvrit un hôpital pour mala- knouts ni de donjons… » Après un examen de santé, piano, les yeux fermés, vivant la musique de l’intérieur, et brer le centenaire de sa déclaration d’indépendance. dies contagieuses, car 30 % des enfants atteints de ils devenaient pays des retrouvailles pour 98 % des chante, accompagnée par son fils Rudel Drears, clarinette, Puis il poursuit sa course jusqu’à Ellis Island, porte rougeole mourraient de froid en traversant le pont. immigrants, des pleurs pour 2 %. d’entrée des immigrants de 1892 à 1954. En 1900, un En 1916, on eut le souci de distraire leur attente. En Dans Metropolis, Jerome Charyn parle magnifique- et Sedric Chokroun au saxo, au trombone ou à la flûte. Ils ne palais de style Art Nouveau inspiré de la gare 1917, on suspendit les grands lustres. Tout cela trop ment d’Ellis Island, par où sont passés son père et sa répètent pas : « le répertoire de jazz consiste en une cen- Montparnasse, à Paris, fut construit pour recevoir et bien léché aujourd’hui, dans le souci de donner une mère et où l’on peut voir leur photo, nous a-t-il dit. taine de morceaux que tout musicien se doit de trier ceux qui arrivaient toujours plus nombreux, image bienveillante de l’Amérique. Bienveillante, « Un parc à bestiaux déguisé en église, où l’on vous connaître. » « Ces après-midi m’aident, dit-elle, à tenir. » fuyant la famine ou les persécutions en Europe. Cette elle le fut, en effet. L’immigration atteignit des som- marquait à la craie en vous faisant passer d’un banc Elle honore ainsi la mémoire de son fils Philip, mort un même année, un million d’âmes passèrent par Ellis mets dans les années 1880 à 1924 : 26 millions de à un autre. » Et pourtant un musée passionnant, bien dimanche de 1992. « Depuis, le dimanche n’est plus un jour Island. Un grand bâtiment sonore aujourd’hui encore, personnes d’Europe du nord, de l’est et du sud et, qu’aseptisé, carrelé de blanc. Est-ce notre imagina- haut de plafond. Il faut imaginer le désarroi des arri- dans une moindre mesure, d’Asie, du Mexique et du tion ? Subsiste l’odeur des millions de personnes qui de tristesse mais de joie. » vants après une longue traversée étouffante, pris en Canada. Une caricature explique l’attirance des États- sont passées ici. 40 41
Grands Voyageurs ÉTATS-UNIS Le lecteur aura reconnu le pont QUATRE JEUNES RAPPEURS, MARCEL ET CUIR, DESSINENT DES de Brooklyn, icône new yorkaise et promenade préférée du voyageur, FIGURES ACROBATIQUES SUR DES RYTHMES ENDIABLÉS devant la ligne des gratte-ciel… JEROME LAGARRIGUE Jerome Charyn poursuit : « Brooklyn devient une sorte d’extension de Manhattan, le district où les jeunes vont à la recherche d’eux-mêmes. La vraie Le talent d’un peintre énergie vient des marges de la ville, pas du centre, de plus en plus mort. L’art véritable vient de ces marges délabrées – par art, je veux dire les idées, pas Français de naissance, d’un père illustrateur et professeur à l’École supérieure des Arts décoratifs et d’une mère Harlémite, seulement la peinture ou l’écriture. » Et d’ajouter, ce qui en comblera d’aise il a jeté l’ancre à Brooklyn. Son atelier, dans un ancien entrepôt plus d’un : « Quand l’art est associé à la richesse, c’est du business, pas de du quartier de Red Hook, n’est-il pas au bord de la mer ? Après l’art… » Plus ancien que Manhattan, Brooklyn conserve ses brownstone houses, avoir fréquenté la Rhode Island School of Design, très cotée ici, rangées de maisons identiques à deux étages, escalier et doubles portes il est pensionnaire à la Villa Médicis en 2005-2006, comme d’entrée vitrées à imposte, bow-window à crémaillère, entresol au niveau du plasticien, Richard Peduzzi étant directeur. « Une bonne rampe trottoir, les arbres en voûte au-dessus de la rue. Le bruit et la fureur de New de lancement », dit-il. Il bifurque vers la peinture, réalisant York sont loin. « Au milieu de ce désespoir, il y a toujours une sorte d’espoir. qu’elle lui apporte plus que le dessin. Une peinture figurative, New York est une ville qui fonctionne, pleine d’énergie, de curiosité, d’un sens frôlant l’abstrait, à l’huile sur coton ou sur lin, souvent à partir fou de l’aventure. » Témoin ce jeune couple de danseurs classiques répétant d’un support photographique. Il excelle dans le portrait, qui des pas sur un trottoir de Soho, seuls au monde. Un Indien et une Blanche. « met en valeur l’humanité des gens », notamment les Moment de grâce fugitive… boxeurs, sur laquelle il revient régulièrement. En 1996, il découvre, fasciné, Gleason’s Gym (ci-dessous), où l’on vient Times Square, « village de nuit dans une ville de jour ». L’endroit le plus sur- s’entraîner du monde entier. Un côté photo-journalisme, qui lui volté de cette ville survoltée. Une énergie incroyable. Les affiches s’affolent, permet de s’arrêter, dans le détail, sur des moments atypiques. chahutent. Un cheval se cabre dans le ciel. Les informations de la chaîne ABC, dont les studios sont au coin, défilent sur un bandeau. Tout bouge, scintille et s’évanouit. Pour finir, un coup de projecteur sur les hommes qui président aux desti- nées de la ville. « Bloomberg est un maire exceptionnel : il sait l’administrer. Il n’a pas le charisme de Koch et de Giuliani, mais il est le maire le plus efficace que nous ayons eu. New York est ingouvernable et il a réussi à la gouverner ». Le peintre Jérôme Lagarrigue Le lobby du Mark, palace dans son atelier de Brooklyn, design, très visuel avec ses parmi les toiles grand format rayures noires et blanches qu’il affectionne. sous une lampe de Ron Arad. Gleason’s Gym Un ring de légende Lumière parcimonieuse, bruit sourd des poings sur THE MARK, THE PIERRE - Palaces de légende les speedbags, odeur de sueur, photos de boxeurs sur les Les palaces, comme les quartiers à la mode ou les pour le sol en marbre des salles de bains. Un décor au-dedans. Il fut vendu par appartements dans les murs : Gleason’s Gym, fondé en 1937 par Bobby Gleason, comédies musicales, appartiennent à la légende de signé Jacques Grange. Noté une lampe de Ron Arad années 1950. Les deux tiers de cet immeuble monu- reste le lieu mythique où s’entraînent les boxeurs interna- New York. Une expérience à ne pas manquer pour une qui tombe en se déroulant. L’animation du rez-de- mental sont donc des résidences privées. D’où les six halte, le cérémonial faisant partie du spectacle. En chaussée tient au bar, sièges à impression de vachet- concierges, la présence permanente de liftiers dans tionaux. Torse nu, short large, chaussures montantes à voici deux, le Mark, intime, bijou design, et le Pierre, te, tables en forme de nuage d’où son nom, The les ascenseurs et le fait que des personnalités peu- lacets, voire protège-dents, ils tapent des poings sur les icône new-yorkaise impressionnante. L’un et l’autre Cloud, et à la cuisine de Jean-Jacques Vongerichten vent habiter près de votre chambre. Caprice, le res- punching-balls ou sautent à la corde. Cent trente-deux ont leurs inconditionnels. Grands voyageurs habitués qui fait salle comble le soir dès 18 h 30. Concierge taurant contemporain à mur laqué noir, un ensemble champions et deux médaillés olympiques. Robert de Niro de l’Asie et qui savent où ils descendent pour le française, dynamique, comme la jeune femme du monochrome relevé de lampes en feuilles d’albâtre l’a fréquenté pour son rôle dans Raging Bull qui lui a valu Pierre, clientèle ambitieuse pour le Mark. bar, qui secoue ses cocktails avec vigueur… Élément et de photos en noir et blanc. Les grandes chambres l’Oscar du meilleur acteur en 1980. Parmi ses légendes, Définissent un palace : l’adresse, l’histoire, un déco- central des chambres, la commode à tiroirs incurvés incarnent le charme du vieux monde : meubles rateur, un chef et le service, simple et impeccable. et boutons noirs : un côté Art Déco évident. anciens, miroir à cadre doré, fauteuil à oreillettes, lit Jack LaMotta, Mohamed Ali et Mick Tyson. Pour mémoire, Le Mark, 1926, brique et pierre sur Madison Avenue, Le Pierre, 1930, pierre et brique sur la 5e Avenue, au haut, belles lampes à pied de verre et variateur de un match se joue en 15 rounds de trois minutes chacun. adopte un style contemporain très visuel avec ses bord de Central Park, élève sur quarante et un étages lumière, fenêtres découvrant le moutonnement vert rayures noires et blanches à la réception, motif repris son style géorgien. Grandiose au-dehors comme de Central Park… Guide pratique pages 92 à 94. 42 43
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