Les invasions d'espèces - Fédération des Sociétés pour l'Étude, la Protection et l'Aménagement de la Nature dans le Sud-Ouest - Sepanso
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o Revue Trimestrielle de la S E PA N S O N 120-121 Les invasions d'espèces Fédération des Sociétés pour l’Étude, la Protection et l’Aménagement de la Nature dans le Sud-Ouest Réalisé grâce à la participation de :
SUD-OUEST NATURE édité par la SEPANSO Fédération des Sociétés pour l'Etude, la Protection et l'Aménagement de la Nature dans le Sud-Ouest Association loi 1901 à but non lucratif e Affiliée à France Nature Environnement - Reconnue d'utilité publique S o m m a i r Editorial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 UN PHÉNOMÈNE MONDIAL La mondialisation des invasives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 Les espèces végétales introduites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 La salicaire, ange ou démon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Modes et raisons d'introduction des espèces exogènes . . . . . . . . . 8 LES PARASITES EXOGÈNES Les parasites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 Anguillicola crassus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 LE COMMERCE INTERNATIONAL Quelques chiffres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Sondage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 Trachémyde à tempes rouges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 LES EXOTIQUES DANS LA VILLE Invisibles mais présents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 Un scorpion dans la ville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 Le tigre du platane . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 IMPACT SUR LES INDIGÈNES Les exotiques en villégiature sur le Bassin . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Les écrevisses exotiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 Compétition entre visons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 LECTURES Pour parfaire vos connaissances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 LES "PESTES" VÉGÉTALES Les plantes introduites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 Plantes aquatiques exotiques et Réserves naturelles . . . . . . . . . . 32 LA RÉGLEMENTATION L'encadrement juridique des invasions d'espèces . . . . . . . . . . . . 38 Modifications anthropiques des peuplements halieutiques . . . . . 42 L'ORGANISATION DE LA LUTTE L'absence de moyens de contrôle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 La grenouille taureau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Le ragondin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 Deux expériences de gestion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 Aux prises avec l'envahisseur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 QUELLES INVASIVES DEMAIN ? Les oiseaux aussi... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 L'Ibis sacré . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 LES MOTS POUR COMPRENDRE Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 1er-2ème trimestres 2003 En couverture : Aquarelle représentant plusieurs L’idée de ce Sud-Ouest Nature spécial, relatif aux "espèces invasives", revient à espèces invasives : (de gauche à Stéphane Builles, chargé de l’animation sur les Réserves naturelles que gère no- droite et de haut en bas) tre association, la SEPANSO. Après avoir organisé plusieurs chantiers bénévoles de Buddleia, Ibis sacré, Baccharis, contrôle de Myriophylle du Brésil ou d’Ecrevisse de Louisiane dans la Réserve na- Myriophylle du Brésil, Jussie, turelle des marais de Bruges, il a, plus que tout autre, mesuré l’ampleur de ce pro- Ragondin, Tortue de Floride, blème. Loin de se décourager, il nous a proposé de poursuivre cette action en pre- Poisson-chat, Perche soleil, nant la responsabilité de cette publication. Qu’il en soit ici vivement remercié. Moule zébrée (Valérie MARACHE) Les auteurs conservent l'entière responsabilité des opinions exprimées dans les articles de ce numéro. La reproduction, partielle ou intégrale, des textes et illustrations est acceptée après autorisation préalable.
E D I TO R I A L avant-propos Les espèces invasives * En éditant ce numéro spécial de Sud-Ouest Nature, la SEPANSO ap- porte sa contribution de manière glo- bale et fédérative à une préoccupa- tion majeure, bien qu’ancienne, de u début du XXème siècle, vers 1920, des fourmis A notre époque. En effet, les introduc- tions d’espèces animales et végéta- d’Argentine arrivèrent en Europe, on ne sait au juste les ne sont-elles pas désormais comment. Sans doute avec des marchandises véhicu- considérées comme la deuxième lées dans la cale des navires. Elles connaissent depuis une ex- cause d’appauvrissement de la bio- pansion extraordinaire, formant une gigantesque colonie du diversité, juste après la destruction des habitats ? Nord de l’Italie aux rivages atlantiques de l’Espagne. Aucune agressivité entre les membres de cette immense famille, qui De plus, ne sommes-nous pas, ici dans le Sud-Ouest, particulièrement entretiennent entre eux des relations des plus amicales. Mais concernés ? Jussie, Ecrevisse de il n’en est pas de même avec les fourmis autochtones, auxquel- Louisiane, Grenouille taureau... Oui, les elles livrent des guerres sans pitié. Et les autochtones re- particulièrement concernés, par leurs culent, submergées par la vague. impacts, directs et indirects. Je ne peux m’empêcher de prendre com- Le même scénario se développe avec la jacinthe d’eau. me exemple le prestigieux Vison Originaire du Venezuela, elle vit en équilibre sur des plans d’Europe, encore présent notam- d’eau de cette région avec un charançon qui s’en nourrit. Mais ment au Nord de Bordeaux, dans la Réserve naturelle des marais de la jacinthe a aussi quitté son aire d’origine pour se répandre Bruges et aux alentours. Il est dou- sur les lacs, canaux et rivières du monde intertropical où sa blement victime et il n’avait pas be- capacité d’envahissement est tout simplement prodigieuse ; soin de cela. Tout d’abord de son une propagation qui se fait exclusivement par voie végétative cousin, le Vison américain, échappé à partir de fragments car, paradoxalement, les fleurs sont d’élevages et porteur d’un virus qui lui est fatal. Ensuite, de la bromadio- stériles. La jacinthe pose les pires problèmes aux pêcheurs et lone, anticoagulant utilisé jusqu’à au tourisme fluvial, car il faut sans cesse dégager les surfa- présent dans la lutte contre le ragon- ces aquatiques de son envahissante présence. din, lui aussi échappé d’élevages, mais parfois introduit comme ce fut Le développement du tourisme à longue distance et la mon- le cas à l'époque au bord de certains dialisation modifient radicalement les modalités de l’évolution étangs landais par un ingénieur en et en particulier la diffusion et la propagation naturelles des chef du GREF, pour lutter contre les plantes rivulaires trop envahissantes. espèces. Les hommes, par leur mobilité, sont désormais un facteur de déséquilibre pour de nombreux écosystèmes, soit Des espèces rares sont menacées, des territoires remarquables, proté- directement par leur action sur la nature, soit indirectement gés ou non, aussi. Le temps presse, en introduisant des espèces extérieures dont la prolifération mais attention, le remède pourrait peut s’avérer mortelle pour des endémiques peu aptes à faire être pire que le mal... Je pense entre face à de telles agressions compétitives. autres à la menace d’éradication chi- mique de la Jussie... Nous devons Sans aller jusqu’à l’éradication complète des vagabondes, rester vigilants ! telle qu’actuellement pratiquée en Afrique du Sud, il nous ap- Que ce Sud-Ouest Nature spécial partient de gérer au mieux les équilibres instables que nous “Espèces invasives” déclenche une générons en limitant autant que faire se peut la prolifération réelle prise de conscience à tous les intempestive des espèces invasives. niveaux, aboutissant à des mesures concrètes, tel est mon vœu le plus cher. Jean-Marie PELT Et que soient vivement remerciés les Président de l’Institut Européen d’Ecologie, auteurs des nombreux articles. Professeur émérite de l’université de Metz Pierre DAVANT, Président de la SEPANSO * Espèces exogènes entraînant des bouleversements des écosystèmes (lire p. 52) S UD -O UEST N ATURE - R EVUE TRIMESTRIELLE DE LA SEPANSO - N° 120-121
Un phénomène mondial 2 La mondialisation des invasives L 'introduction des espèces n'est pas un problème uniquement franco-français, mais bien mondial. De nombreuses plantes et animaux invasifs présents sur notre territoire pro- viennent de pays Sud-américains ou asiatiques qui eux-mêmes ont maille à partir avec des espèces européennes. Depuis 1492, 4.500 espèces dont 1.500 insectes ont déferlé sur les Etats-Unis ; en France, sur les 40 à 50.000 espèces d’insectes recensées, 2.000 à 2.500 relèvent d’une origine étrangère. La moule zébrée est un mollusque bivalve originaire de la Mer Noire et de la Mer Caspienne, son apparition dans la région des grands lacs aux Etats-Unis date de la fin des années 80 (elle serait sans doute arrivée à l’état de larve dans les eaux de ballast de navires européens qui remontent le Saint-Laurent depuis 1959). Sa prolifération (des densités atteignent plus de 700.000 individus/m²) a des répercussions biologiques et économiques très importantes. Près de 5 milliards de dollars sont dépensés chaque année par l’industrie Nord-américaine pour li- miter le colmatage et l’érosion des prises d’eau et des conduites, notamment au moyen de traitements chimiques à base de chlore très néfastes pour l’environnement. Certains espaces comme les milieux insulaires sont plus sujets aux invasions, avec souvent des conséquences écologiques irréversibles. Les marins ont involontairement introduit les rats puis, pour s’en débarrasser, ils ont libéré des mangoustes, des chats et parfois même des chiens pour limiter la prolifération des félins. La flore n’a pas été épargnée avec l’arrivée de chèvres, chevaux, lapins... qui détruisent le couvert végétal et facilitent ainsi l’érosion des sols. L’impact sur les espèces indigènes est souvent catastrophique (200 oiseaux sur les 268 espè- ces éteintes à travers le monde vivaient sur des îles). En Nouvelle-Calédonie, sur les 8.200 espèces recensées (85 % des végétaux sont endémiques), 900 espèces sont introduites. SB S UD -O UEST N ATURE - R EVUE TRIMESTRIELLE DE LA SEPANSO - N° 120-121
Un phénomène mondial 3 Les espèces végétales introduites Virginie COTTIN, Fédération SEPANSO L'introduction d'espèces exogè- nes commence à être bien connue car de plus en plus mé- diatisée, mais ce phénomène n'est pas nouveau. D e chasseur-cueilleur, l'hom- me devient, il y a environ 14.000 ans, cultivateur-éle- veur. Selon ses activités agricoles et ORIGINE ET DATE D'INTRODUCTION EN FRANCE DES FRUITS ET LÉGUMES ses migrations, de nombreuses espè- FRUITS - LEGUMES ORIGINE DATE ces opportunistes circulent et s'intro- Abricot Chine XVème siècle duisent dans ses cultures. Ail Asie Centrale XIème siècle Une preuve nous en est donnée Artichaut Bassin méditerranéen XVIème siècle par l'étude ci-contre, concernant l'ori- gine des fruits et légumes courants. Aubergine Inde XVème siècle Brocoli Rivages méditerranéens XVIème siècle Le problème actuel ne vient donc Carotte ? 2000 av. JC pas de l'introduction en elle-même mais bel et bien du caractère prolifé- Cerise ? 3000 av. JC rant de certaines espèces. Chou Frange littorale océanique En effet, quelques plantes s'avè- Chou-fleur Proche-Orient Fin XVIIème siècle rent dotées d'une capacité à prospérer Concombre Inde IXème siècle dans un milieu qui n'est pas le leur. Or Courgette Amérique Centrale 1920 ceci implique une série complexe d'interactions entre la biologie des Echalotte ? XVème siècle végétaux et l'environnement. Epinard Caucase ou Afghanistan XIIème siècle Framboise Zones montagneuses européennes Voici une énumération des exi- gences requises à l'invasion, en gar- Haricot grain Amériques 1740 dant à l'esprit le fait qu'un seul facteur Haricot vert Amérique du Sud 1540 peut devenir limitant et donc réguler Mâche France une population végétale : Maïs Amérique du Sud 1523 ! La plante doit être introduite en quan- Melon Inde XVIème siècle tité suffisante dans un milieu aux conditions écologiques proches de Noisette Corse celles de son pays d'origine. Oignon ? XVème siècle Pêche Chine XVème siècle ! Reproduction importante et modes originaux de propagation : Poire Asie Centrale Néolithique - La multiplication végétative est le Poireau ? XVème siècle principal mode de reproduction Pomme de terre Cordillère des Andes XVIème siècle pour les plantes aquatiques : frag- Radis Extrême-Orient VIIIème siècle mentation de tiges porteuses de nœud (Myriophylle du Brésil My- Tomate Mexique 1750 S UD -O UEST N ATURE - R EVUE TRIMESTRIELLE DE LA SEPANSO - N° 120-121
Un phénomène mondial 4 riophyllum aquaticum ou Lagarosi- ! Les milieux anthropisés. Il ne faut pas tira d'elle même ? phon Lagarosiphon major), rhizo- oublier non plus les facteurs humains Le sujet actuel est préoccupant mes qui permettent une grande ré- qui interviennent grandement dans le car, par leur développement excessif, sistance hivernale (Renouée du Ja- processus. On constate que les fossés, ces Attilas végétaux perturbent gra- pon Fallopia japonica), bourgeons les terrains vagues... sont des sites pri- vement les milieux. dormants ou hibernacles (Elodées) vilégiés. On retrouve le Séneçon du et tubercules axillaires et souter- Cap (Senecio inaequidens) sur des Certains prônent la non interven- rains (Potamots). terrains ayant subi des brûlis ; ainsi à tion et taxent les personnes favora- - Le mode de propagation. Les grai- Nohèdes (Pyrénées-Orientales), après bles à la régulation des invasions d'é- nes du Séneçon du Cap (Senecio in- 2 incendies en 1992 et 1993, les prés cologistes extrémistes. Mais jusqu'à aequidens) sont dotées de papus, en sont infestés à 90 %. quand nos écosystèmes, déjà affectés organes permettant une dissémina- par de nombreux maux, pourront-ils Une espèce exogène trouvant un tion éolienne. Une petite fougère endurer ces introductions massives ? milieu adéquat et possédant tous les aquatique, l'Azolla fausse fougère caractères requis au phénomène d'in- Les biocénoses sont en perpétuel- (Azolla filiculoïdes), s'accroche fa- vasion deviendra rapidement maîtres- le évolution mais ces changements cilement à tout ce qui passe à sa se de ces lieux. rapides émanent directement des acti- portée que ce soit oiseaux, mammi- vités humaines. fères, amphibiens, insectes aqua- Or, la probabilité qu'une plante re- tiques, bétail, tracteur ou bateau. quière l'ensemble des paramètres né- L'homme, en mettant en contact cessaires est minime. Selon une étude des espèces biogéologiquement éloi- ! La plante est peu appétante pour le bé- sur le devenir des espèces introduites, gnées, joue à l'apprenti sorcier et met tail et rarement consommée par l'en- seulement 1 % deviendront invasives. en péril de nombreuses espèces. tomofaune. De plus, elle peut fabri- quer des toxines. Caulerpa (Caulerpa Faut-il s'inquiéter de ce faible Il n'est pas question de faire du ca- taxifolia) réunit ces 2 atouts : elle pro- pourcentage ou penser que les espè- tastrophisme mais il faut prendre duit la caulerpenyne et, de plus, n'est ces exogènes envahissantes ont tou- conscience de l'impact écologique de pas consommée par les poissons. Le jours existé et que la nature s'en sor- ces actes et en limiter les effets. " Séneçon du Cap (Senecio inaequi- dens) est toxique pour le bétail et ses racines transmettent des substances toxiques pour les graines alentours. ! La morphologie va également jouer 9% un rôle important dans le processus d'invasion. Le caractère couvrant d'u- ne espèce lui donnera l'avantage sur les autres ainsi privées de lumière. 90 % C'est le cas des Jussies ou des Lem- nacées (famille de l'Azolla) par exemple. La phénoplasticité (allon- gement des entre-nœuds, intensifica- tion des ramifications en surface...) de certaines plantes aquatiques leur donne le moyen de s'adapter à la dy- namique du milieu. Ainsi les tiges du - Biologie et écologie des espèces végétales proliférant en France, 1997, Les études de Myriophylle du Brésil (Myriophyl- l'Agence de l'Eau, n° 68, 220 p. lum aquaticum) peuvent atteindre - Les introductions d'espèces dans les milieux aquatiques continentaux en métropole, jusqu'à 3 m de long et s'élever à 40 1996, Connaissance et gestion du patrimoine aquatique, BFPP, 500 p. cm au-dessus de la surface. Enfin cer- - Conserv'Actions, juin 2000, Revue inter-réseaux pour la conservation du patrimoine taines espèces à l'enracinement pro- naturel, n° 0, 40 p. fond sont assurées d'un ancrage soli- - Les végétaux aquatiques, janvier 2000, Vivre avec la rivière, Agence de l'Eau Adour- de et sûr comme la Renouée du Japon Garonne, 15 p. (Fallopia japonica) dont le système - Faculté des sciences de Luminy de Marseille : www.luminy.univ-mrs.fr racinaire forme un réseau profond de - Ecole Supérieure d'Informatique de Gestion de Genève : www.esigge.ch 1 m et s'étend sur 15 à 20 m. - Saveurs du monde : www.saveurs.sympatico.ca S UD -O UEST N ATURE - R EVUE TRIMESTRIELLE DE LA SEPANSO - N° 120-121
Un phénomène mondial 5 Article paru dans "La Garance Voyageuse" n° 48 Texte : Jean-Roger WATTEZ (Amiens) La salicaire, ange ou démon Dessins : Jean-Philippe SOLLELIET Chacun connaît la salicaire, une belle plan- te que l'on rencontre dans de nombreux lieux humides. Si cette espèce est tout à fait à sa place dans les écosystèmes euro- péens, son introduction en Amérique est source de gros problèmes écologiques. et les herbes indigènes ont Il peut arriver que cette plante disparu, tout comme la végéta- constitue des peuplements homogè- tion aquatique flottante et sub- nes, pauvres en espèces en certains si- mergée. tes ; on peut le constater dans l’Ouest et le Centre-Ouest de la France où les Si vous fréquentez cet endroit fossés peu profonds peuvent être co- depuis cinq à dix ans, vous aurez lonisés sur quelques dizaines de mèt- constaté que la mort de ce milieu res, mais surtout certains îlots boueux humide a été graduelle. Quelle en du lit mineur de la Loire sont parfois est la raison ? recouverts de peuplements quasi purs Il n’y a pas de mystère. La meur- de salicaire. trière est la Salicaire pourpre (Ly- Toutefois, cette extension locale L “ e couvert coloré et dense que thrum salicaria L.), une plante à forment les fleurs pourprées n’a rien de commun avec ce qui s’est fleurs robuste d’Europe introduite ac- produit en Amérique du Nord, princi- dans un grand nombre des cidentellement en Amérique du Nord plus belles terres humides du Canada palement dans le Nord-Est des États- au siècle dernier. Depuis la salicaire Unis ainsi qu’au Québec. Au siècle est d’un calme étrange. Le silence qui a envahi, lentement mais sûrement, règne dans ces endroits habituelle- dernier, des jardiniers amateurs de les terres humides et les voies d’eau plantes dites “exotiques” ont impru- ment animés frappe vos oreilles et de l’est du Canada surtout, mais aus- vous dit que quelque chose ne va vrai- demment introduit la salicaire afin de si de la Colombie-Britannique.” diversifier la flore de leurs propriétés ; ment pas. (Brochure de la Fédération canadien- ils croyaient bien faire et n’imagi- Vous ne voyez plus la famille de ne de la faune) naient pas que cette plante allochtone rats musqués qui faisait des rides sur Tournons nos regards un instant en fort esthétique allait prendre un in- l’eau. Vous n’entendez plus le cla- arrière, sur la terre d’origine de cette vraisemblable développement et mé- quement familier de la queue du cas- espèce, notre bonne vieille Europe. riter - hélas - d’être rangée parmi cel- tor et la multitude d’espèces d’oi- les que l’on désigne sous le nom de seaux chanteurs indigènes. Les œufs “pestes végétales”. ont disparu, de même que les ratons Une espèce laveurs, la sauvagine, les oiseaux de originaire d’Europe Comment en est-on arrivé là ? Di- rivage et les tortues peintes qui par- verses causes sont à envisager. Tout En Europe occidentale, la salicaire d’abord, sa “formidable” production tageaient cet habitat. est une espèce hygrophile, répandue de graines... plus de 2 millions pour La pêche est maintenant hors de dans les milieux humides, qui égaye un seul pied paraît-il ! Mais aussi sa question. Vous ne pouvez ni voir, ni les fossés, le bord des mares et des remarquable possibilité de multipli- entendre, ni même toucher l’eau, car ruisseaux grâce à ses épis de fleurs cation végétative à l’aide de l’appareil l’épaisse végétation vous empêche de pourpres ; son nom spécifique (sali- radiculaire ou même par fragmenta- pénétrer à plus de quelques mètres caire) lui vient de son voisinage habi- tion des tiges. Une fois parvenue en dans le marais. Les carex, les roseaux tuel avec les saules (salix en latin). un site qui lui convient rien ne peut S UD -O UEST N ATURE - R EVUE TRIMESTRIELLE DE LA SEPANSO - N° 120-121
Un phénomène mondial 6 arrêter son extension. re. Quant aux ennemis naturels, on sur le continent américain ?” pense au rôle joué par un ou plusieurs De surcroît, les tiges fleuries de la insectes phytophages assurant en Eu- Dans un premier temps, il impor- salicaire n’offrent pas d’intérêt pour rope une régulation naturelle des po- tait de recenser les sites envahis grâ- les herbivores qui les rejettent ; quant pulations de salicaire ; compte tenu de ce à des fiches d’enquête. au lacis des racines, il semble être peu l’abondante production de graines, on efficace pour retenir les sédiments et Quant aux mesures concrètes à peut se demander si celles-ci ne re- mettre en œuvre, elles sont diverses. les polluants, moins en tout cas que présentent pas “le pain quotidien” les racines fibreuses de la flore spon- La destruction, après arrachage des d’un ou plusieurs insectes “sémino- salicaires que l’on brûle, n’est réali- tanée. phages” présents en Europe mais in- sable que sur des populations de Cette prolifération quasi illimitée connus en Amérique du Nord. moyenne importance. L’usage d’her- entraîne une régression dramatique de À moins que de subtils mécanis- bicides permet de traiter des colonies la flore autochtone des milieux humi- mes physiologiques n’interviennent plus importantes de salicaires ; enco- des ; non seulement les plantes indi- dans la reproduction sexuée de la sa- re faut-il faire usage d’un herbicide gènes sont étouffées, mais le peu qui licaire ; la dormance des graines se- sélectif de façon à épargner la flore et subsiste est brouté par les herbivores rait-elle levée plus aisément par les la faune aquatique et hygrophile indi- puisque ceux-ci rejettent le feuillage conditions climatiques de l’Amérique gène. et la hampe florale de la salicaire... du Nord qu’en Europe ? En outre, la lutte biologique inté- La biodiversité des milieux humi- Il ne faut pas exclure qu’interfè- grée paraît représenter la méthode la des canadiens et de l’est des U.S.A. rent plusieurs de ces possibilités... plus appropriée ; l’article paru dans est ainsi considérablement amoindrie. Plant talk résume les démarches en- Quoi qu’il en soit, devant cette in- treprises aux U.S.A. : “Le Départe- L’absence de vraisemblable prolifération d’une ment des ressources naturelles de l’É- espèce conquérante, il importait de tat de l’Indiana a développé active- mécanisme régulateur réagir... ce qui fut fait, mais comme ment un programme de contrôle bio- Mais pourquoi la “gentille” lysi- l’indique un dépliant de la Fédération logique utilisant un insecte phytopha- maque rouge des fossés et des berges canadienne de la faune : “le défi à re- ge (Galerucella) ainsi qu’un charan- de l’Europe occidentale s’est-elle lever est de taille ; comment peut-on çon phytophage (Hylobius). G. Jan- transformée en une “méchan- se débarrasser des sen du Département d’entomologie et te” plante invasive outre-Atlan- milliards de salicaires de pathologie des plantes est confiant tique ? L’explication est vrai- pourpres déjà présentes dans le succès de l’opération bien que semblablement la sui- vante : en Amé- rique du Nord, les populations de sali- Portrait bot anique de la salicaire caire ne sont pas li- mitées dans leur exten- Le nom scientifique de la salicaire est Lythrum salicaria L. sion par un “mécanisme Elle fait partie de la famille des Lythracées. Cette famille régulateur”. Quel peut est voisine de celle des Myrtacées où se range -entre autres être celui-ci ? On ne le - le genre Eucalyptus ; elle fait partie de l'ordre des Myrtales. connaît pas avec pré- Les autres espèces françaises du genre Lythrum sont à la fois beaucoup plus discrètes et bien moins fréquentes. La salicaire - ou lysi- cision, mais comme il est écrit maque rouge - est une plante herbacée élégante pouvant atteindre un bon mètre dans un article récent de la re- de hauteur ; ses tiges élancées portent des feuilles allongées disposées de ma- vue anglaise Plant talk : “en nière verticillée puis opposée ; elles s'achèvent par une inflorescence allongée Amérique du Nord, L. salicaria regroupant de nombreuses fleurs d'un rose-violacé. La plante est mellifère et elle n’a pas rencontré d’ennemis possède des vertus thérapeutiques toujours en usage ; les propriétés antidiar- naturels ou de maladies”. En- rhéiques de la salicaire sont appréciées par les phytothérapeutes. L'extrait fluide de salicaire figurait autrefois à la pharmacopée. Cette belle plante possède une visageons plusieurs possibili- autre particularité : ses fleurs sont hétérostylées. Cela signifie que les stigmates tés. En ce qui concerne les mal- et les anthères occupent les uns par rapport aux autres des positions adies, on imagine l’absence différentes ; cette particularité que la salicaire partage avec certaines primevères d’un champignon parasite ou avait attiré l'attention de Darwin au XIXème siècle. d’un virus végétal plus ou JRW moins spécifique de la salicai- S UD -O UEST N ATURE - R EVUE TRIMESTRIELLE DE LA SEPANSO - N° 120-121
Un phénomène mondial 7 la régression des populations soit va- des “Américaines” se sont implantées Breve riable... Cette démarche n’éliminera en Europe occidentale et méritent el- pas la salicaire mais limitera son ex- les aussi l’appellation de “pestes vé- pansion et permettra aux espèces in- gétales”. digènes de se maintenir.” Le Jonc ténu (Juncus tenuis Il reste à envisager des mesures Willd.), par exemple, est présent dés- AUTRE EXEMPLE sur le plan administratif ; évoquons ormais dans presque tous les chemins celles qui ont été prises aux U.S.A. : forestiers. Voici un extrait de ce que rappor- “désormais 28 États des U.S.A. for- tait le journal "Le Monde" dans son mant une large ceinture s’étendant de Quant à la flore dite “canadienne”, édition des 18-19 mai 2003 : "... On l’Oregon à la Caroline du nord ont elle aussi a colonisé le vieux conti- retrouve donc Etienne-Léopold nent ; trois exemples le rappelleront. Trouvelot aux Etats-Unis, plus interdit la plantation de la salicaire ; L’Elodée du Canada (Elodea cana- précisément à Medford, dans la plusieurs États (Tennessee, Indiana) banlieue de Boston (Massachu- ont étendu cette interdiction à d’aut- densis Rich.) s’est implantée dans setts), où il s'installe en 1860. res espèces non indigènes (aux tous les fleuves, rivières, fossés, Touche-à-tout, ce dessinateur ta- étangs d’Europe occidentale à partir U.S.A.) de salicaires”, probablement lentueux se passionne pour l'éleva- aussi à certains cultivars de salicaire. des années 1840 ; on l’a désignée an- ge du ver à soie. Il élève les che- Il en est vraisemblablement de même térieurement sous le nom de “peste nilles d'un papillon indigène, le au Canada. d’eau” ! Curieusement, sa présence Polyphème d'Amérique. Mais, dési- est en recul et deux autres élodées la reux d'améliorer la production, il Tel est le bilan consternant et son remplacent peu à peu. rapporte d'un voyage en Europe impact économique très lourd - com- des œufs d'un autre papillon, le me on peut l’imaginer ! - de l’intro- La Vergerette du Canada (Erige- Bombyx disparate, inexistant out- ron canadense L.) est une espèce ru- re-Atlantique. Dès lors, une catas- duction malencontreuse, volontaire dérale plutôt xérophile apparue en trophe écologique était prévisible. et/ou accidentelle de Lythrum salica- Contée en 1896 dans les pages du ria en Amérique du Nord au XIXème Europe dès le XVIIIème siècle ; elle magazine Sky and Telescope, la colonise les friches, terrains vagues et siècle ! chronique dit que, par une nuit de cultures (après la moisson) et conti- grand vent, des œufs s'envolèrent nue à s’étendre. par une fenêtre ouverte. Conscient Des échanges de du danger, Trouvelot prévint ses pestes bilatéraux ! Enfin, la Verge d’or du canada (So- voisins, mais ceux-ci ne s'inquiétè- lidago canadensis L.) forme des peu- rent pas pour des larves d'insec- Ajoutons toutefois que les migra- plements denses, homogènes en tes. Mal leur en prit. Il fallut une tions de plantes allochtones invasives maints endroits ; au moins ceux-ci vingtaine d'années au Bombyx ne se font pas “à sens unique” ; bien ont-ils l’avantage d’être photogé- disparate pour s'acclimater et niques ! " proliférer, mais, une fois l'adapta- tion faite, la bestiole se mua en vé- ritable cauchemar. Elle colonisa une bonne partie de l'Amérique du Nord, où, aujourd'hui encore, ses chenilles ravagent des forêts en- tières en dévorant les feuilles des arbres. De ce point de vue, Etien- ne-Léopold Trouvelot n'a pas vrai- ment laissé un bon souvenir aux Etats-Unis. Mais le Français devait rapidement renoncer à la séricicul- ture et aux petites bêtes pour se tourner vers l'infiniment grand..." Précisons que les chenilles dispo- sent d'une adaptation remarqua- ble pour faciliter leur dispersion par le vent : des poils aérophores qui portent un renflement globu- leux près de la base. Elles peuvent ainsi monter à plusieurs centaines de mètres de hauteur et parcourir plus de 50 kilomètres. S UD -O UEST N ATURE - R EVUE TRIMESTRIELLE DE LA SEPANSO - N° 120-121
Un phénomène mondial 8 Stéphane BUILLES, Responsable animation des Réserves naturelles Modes et raisons d'int de la SEPANSO L'homme est un grand vecteur d'introduction d'espèces depuis très longtemps, souvent à des fins alimentaires. Rites sacrés P arties du Moyen-Orient, les - Ragondin Myocastor coypus : des in- cultures céréalières ont pro- dividus ont été relâchés sans grand gressivement gagné le Bassin Dès le néolithique, l'homme a em- succès pour faucarder la végétation méditerranéen, et avec elles de nom- porté dans les îles du Bassin méditerra- aquatique. breuses espèces qualifiées aujourd'hui néen des espèces domestiques (mou- tons, chèvres, bœufs...) mais il a égale- Philosophie de plantes messicoles (Nielle des blés Agrostemma githago, Coquelicot Pa- ment introduit des espèces sauvages paver rhoeas...). Le rythme des intro- (Renard Vulpes vulpes, Hérisson Erina- Au 19ème siècle, les membres de la ductions s'est accéléré considérable- ceus europaeus, Fouine Martes foina...). Société d'acclimatation (cet organisme ment avec la découverte du "nouveau allait devenir la Société Nationale de Ces animaux n'ont pas pu voyager monde" et surtout, depuis ces 150 der- Protection de la Nature) recevaient des clandestinement car les embarcations nières années, avec l'amélioration primes lorsqu'ils réussissaient à accli- étaient de petite taille, ils étaient peut- constante des échanges. Les déplace- mater une espèce. On jouait déjà en être utilisés lors de cérémonies ? ments d'espèces se sont accrus et com- quelque sorte à l'apprenti sorcier. plexifiés. En quelques milliers d'années, Ces transferts volontaires d'espèces l'homme a fait disparaître la faune in- Chasse-pêche digène (originaire du tertiaire) au pro- ne sont plus uniquement faits à des fins fit d'une faune moderne. Près de 27 espèces de poissons ont alimentaires ou scientifiques, mais de été introduites dans les eaux douces plus en plus pour approvisionner le marché de l'horticulture et de l'animal Lutte biologique françaises, essentiellement pour la pê- che de loisir et l'aquaculture (quelques de compagnie. - Un crapaud, introduit en Australie lâchers accidentels sont survenus, et La circulation de nombreuses espè- tropicale dans les années 30 pour lut- notamment celui du poisson chat ces passe souvent inaperçue. Elle profi- ter contre les insectes ravageurs de la Ameuirus nebulosus : en 1871, un ou- te de nos moyens de transports sur mer, canne à sucre, s'est attaqué aux lé- vrier de la compagnie transatlantique terre et air et du volume considérable zards, poissons... fait don de quelques individus au Mu- des denrées et produits de toutes sortes - Le Gambusie Gambusia affinis est un séum d'Histoire Naturelle de Paris, échangés à l'échelle de la planète. petit poisson originaire d'Amérique certains se seraient enfuis des aqua- du Nord très abondant en Aquitaine. Il riums et répandus dans la Seine par le DES biais des égouts). INTRODUCTIONS a été introduit en France en 1921 com- me auxiliaire des campagnes de dé- 50 % de ces espèces ont un impact INTENTIONNELLES moustication. Cette introduction est un direct ou indirect sur les écosystèmes. échec car, dans les eaux européennes, Cela se traduit souvent par une com- il s'alimente surtout de micro-crusta- pétition interspécifique : la Perche so- Nostalgie cés et non de larves de moustiques. leil Lepomis gibbosus consomme les Toutefois, il rentre dans le régime ali- œufs d'autres espèces ; le Black bass - Les colons ont souvent essayé de re- mentaire de nombreuses espèces, et no- constituer un environnement familier Micropterus salmoïdes s'attaque plu- tamment des oiseaux piscivores com- tôt aux alevins. en amenant dans leurs bagages des me le Martin pêcheur Alcedo atthis, le espèces de leur pays. Héron cendré Ardea cinerea, la Spa- Plusieurs espèces, aujourd'hui par- - Raton laveur Procyon lotor : certains tule blanche Platalea leucorodia... faitement acclimatées, sont classées individus seraient arrivés en Europe Cette espèce prolifique est utilisée en gibier. C'est notamment le cas du Fai- par le biais des bases militaires qui écotoxicologie pour apprécier l'im- san colchide Phasianus colchicus, ori- les possédaient comme mascottes. pact des polluants sur la reproduction. ginaire d'Asie. S UD -O UEST N ATURE - R EVUE TRIMESTRIELLE DE LA SEPANSO - N° 120-121
Un phénomène mondial 9 troduction des espèces exogènes DES INTRODUCTIONS qu'il va se mettre à proliférer. Une date marquante est l'apparition du Animaux parasités INVOLONTAIRES chemin de fer qui va intensifier les La Lucilie bouchère : elle est sans échanges entre l'Est et l'Ouest et lui doute arrivée sur le continent africain permettre de gagner progressive- avec l'importation de moutons vivants Les squatters ment la côte atlantique. Il s'embarque uruguayens infestés de larves. clandestinement en 1876 et atteint - Coques et ballasts des navires : les ba- Cette mouche pond sur les plaies les rivages de l'Allemagne où il est teaux sont l'un des vecteurs les plus des animaux et des hommes (une exterminé. Il effectue une deuxième importants pour le transport d'espè- micro-plaie peut lui suffire) ou à défaut tentative en 1917 et débarque à Bor- ces, les coques sont assié- sur les orifices naturels. gées par une multitude de squatters. Les bateaux de Ouvrages humains : type transporteur, lorsqu'ils ont leurs cales vides, doivent le canal de Suez pour garder leur stabilité Avec l'ouverture du canal remplir leurs ballasts d'eau de Suez reliant la Mer Rouge de mer. Des organismes à la Méditerranée, on parle de planctoniques (larves, grai- migration Lessepsienne. Près nes, zooplanctons...) seront de 325 espèces de la Mer rejetés parfois à plusieurs Rouge remplacent peu à peu milliers de kilomètres de les espèces autochtones des leur lieu d'origine. Les fleu- côtes égyptiennes ou syrien- ves aquitains abritent le cra- nes (44 espèces de poissons, be chinois Eriocheir sinensis 71 mollusques...). ou crabe à mitaine (du fait de l'abondante pilosité de ses pinces), arrivé sans doute sur les cô- deaux en compagnie des alliés amé- Les évadés des élevages tes européennes à l'état de larve dans ricains. Cette fois, notre coléoptère et lâchers accidentels les eaux des ballasts. Ses mœurs car- progresse rapidement et atteint la nivores et terricoles lui ont valu d'êt- Méditerranée en 1922, toute la Fran- La plupart des mammifères alloch- re classé nuisible, mais depuis une ce est colonisée à la fin des années tones (Rat musqué Ondatra zibethicus, quarantaine d'années on assiste à une 1920. Fin des années 30, alors que les Vison d'Amérique Mustela vison...) diminution des peuplements. troupes allemandes envahissent l'Eu- proviennent d'individus échappés d'éle- rope, le doryphore, lui, déferle sur vages pour la pelleterie. Les introduc- - Un "as" des transports, le Doryphore tions ont eu lieu principalement entre Leptinotarsa decemlineata : les Bor- l'Allemagne et les pays de l'Est. Tou- te l'Europe est rapidement colonisée. la fin du siècle dernier et les années 60. delais sont parfois qualifiés de "dory- phores", mais combien de personnes - Aedes albopictus est un petit mous- Le commerce de la fourrure est tel- connaissent encore l'origine de ce tique japonais qui a gagné les Etats- lement florissant au 19ème siècle que surnom ? L'histoire commence aux Unis en 1985 lors d'importations de l'on s'inquiète de la raréfaction du Ra- pieds des Rocheuses, notre petit co- pneus usés (il a voyagé dans de l'eau gondin Myocastor coypus en Argenti- léoptère jaune aux bandes rouges de pluie contenue dans la gaine ne, pourtant le berceau de l'espèce. coule des jours heureux au milieu des interne du pneu). Il transmet une diverses solanacées dont il se délec- maladie hémorragique, la dengue, et Extrait de l'encyclopédie d'A.E. te. Mais en 1850, la ruée vers l'or va est également le vecteur de plusieurs Brehm, "La vie des animaux", datant de entraîner la plantation massive de autres arbovirus responsables d'en- la deuxième moitié du 19ème siècle : pommes de terre pour répondre aux céphalites. Il s'est propagé très rapi- "C'est principalement pour en avoir la besoins alimentaires croissants. Le dement, notamment grâce aux vases peau que l'on chasse Coypou, d'après doryphore va particulièrement appré- des cimetières qui sont ses sites de les relevés officiels de la douane de Bue- cier cette nouvelle venue, à tel point ponte privilégiés. nos-Ayres, la seule province d'Entre- S UD -O UEST N ATURE - R EVUE TRIMESTRIELLE DE LA SEPANSO - N° 120-121
Un phénomène mondial 10 rios fournit 300.000 peaux. Peu qu'à Bordeaux, où il demeura à peu il diminua, et aujourd'hui, plusieurs jours. Au retour, pen- il faut en quelque sorte le proté- dant la descente du fleuve, les Les parasites ger aux environs de Buenos-Ay- huîtres qui se trouvaient dans un L res pour le préserver d'une des- état de putréfaction assez avan- es parasites sont souvent igno- truction complète. Sa chair blan- cé exhalèrent une odeur pesti- rés, pourtant ils jouent un rôle che, succulente, est mangée dans lentielle ; l'équipage incommo- majeur dans le contrôle des quelques localités par les indi- dé n'hésita pas à se débarrasser populations tant animales que végé- gènes ; en d'autres endroits, on au plus tôt des mollusques. L'o- tales, bien plus que les prédateurs la dédaigne. Dans les pays ca- pération se poursuivit en Giron- sans doute qui ne pourraient subsis- tholiques, on la sert, en carême, de entre Richard et Le Verdon. ter sans la présence de proies infec- en guise de chair de poisson." Quelques huîtres avaient survé- tées. cu et c'est ainsi que fut créé l'im- L'un des facteurs de prolifération L'installation des mense gisement huîtrier naturel des espèces invasives est l'absence qui s'étend sur 30 kilomètres, de Huîtres portugaises la rive gauche de la Gironde, de la communauté de parasites qui les affectent habituellement dans dans l'estuaire depuis Saint-Christoly jusqu'à leur aire de répartition. la pointe de Grave et au-delà, L'ouvrage paru en 1909 de envahissant même les huîtrières Beaucoup d'endoparasites ont, au Charles Boubée, "L'ostréicult- de l'île d'Oléron." cours de millions d'années, dévelop- ure àArcachon", nous donne une pé des cycles très complexes qui version de l'origine de l'huître nécessitent à chaque stade larvaire portugaise sur les côtes girondi- Phénomènes naturels un hôte spécifique (en moyenne, un nes : "Vers 1866-1867, M. Co- cycle complet requiert 3 à 4 espè- La mite asiatique aborda l'A- ycault, ostréiculteur, fut autori- ces différentes) ; si l'un vient à mérique en 1992 avec l'ouragan sé par l'administration à s'ap- manquer, le parasite ne peut se re- Andrews. Elle affecte des produire et donc se développer. provisionner d'huîtres du Tage, milliers d'arbres fruitiers en Flo- au Portugal, afin de procéder à ride, Californie, Texas, Nou- Ces parasites exogènes peuvent leur élevage sur le parc dont il veau Mexique. parfois affecter également des espè- était concessionnaire aux cras- ces indigènes ; c'est le cas notam- sats des Grahudes, en vertu d'un ment d'un plathelminthe Bucephalus arrêté du préfet maritime du 17 Mouvements polymorphus, responsable de la bu- décembre 1866. L'abondance de des armées céphalose, une parasitose qui en- ce mollusque permettait de l'ac- traîne une mortalité importante quérir à des prix très bas dans Il y a parfois des modes de chez les cyprinidae européens. le pays d'origine. Le navire por- dissémination anthropochore très surprenants. C'est le cas des Ce ver est apparu avec l'introduc- teur de la cargaison, “Le Mor- tion du Sandre (Stizostedion lucio- laisien”, chassé par la tempête, plantes propagées lors des mou- perca) et de la Moule zébrée (Dreis- vements des armées parce qu'el- fut dans l'impossibilité de fran- sena polymorpha) durant le 19ème chir les passes du Bassin d'Ar- les composaient le fourrage des siècle, deux espèces originaires cachon, vint chercher un refuge animaux. On parle de plantes d'Europe centrale et de l'Est qui ont dans la Gironde et remonta jus- obsidionales. " progressé vers l'Ouest en emprun- tant les nombreux canaux qui re- lient les bassins fluviaux (le sandre - Bulletin de la Société Archéologique d'Arcachon, 1981. a bénéficié également de nombreux - Les invasions biologiques, par François Breton, Courrier de lâchers). l'Environnement de l'INRA n° 32, 1997. Le cycle est le suivant : le premier - Biologie et écologie des espèces végétales proliférant en France, Les hôte intermédiaire est le mollusque, Etudes de l'Agence de l'Eau n° 68, 1997. le second des cyprinidae (Brème - Les introductions d'espèces dans les milieux aquatiques continentaux en Blicca bjoerkna, Gardon Rutilus ruti- métropole, Bulletin Français de la Pêche et de la Protection des Milieux lus, Vandoise Leuciscus Leuciscus) Aquatiques n° 344-345, 1997. qui seront consommés par l'hôte - Les introductions végétales : facteur d'accroissement de la biodiversité définitif, le Sandre. ou menace pour la protection de la nature ? Jacques Lambinon, Bioscome Mésogéen 15 (1), 1998. SB - Les insectes et les hommes, Michel Lamy, Albin Michel. - Les mouches, Martin Monestier, Le Cherche Midi Editeur. S UD -O UEST N ATURE - R EVUE TRIMESTRIELLE DE LA SEPANSO - N° 120-121
les parasites exogènes 11 Anguillicola crassus Docteur Patrick GIRARD, Vétérinaire consultant Exemple d'un nouveau parasite récemment introduit en France, spécifique de l'anguille. A nguillicola crassus, agent quence à la fois de la migration des responsable de l'anguillicolose, larves dans la paroi et des déchirures est un parasite spécifique de la de l'épithélium causées par la capsu- vessie natatoire des anguilles. Ce para- le buccale des vers adultes qui lais- site a été introduit en Europe, très pré- sent des marques. Macroscopique- cisément en Italie, au début des années ment, cela se traduit par une opacifi- 80 à partir d'anguilles japonaises im- cation et un épaississement de la portées. Grâce à sa grande capacité de paroi et une diminution du volume colonisation, ce parasite a ensuite pro- fonctionnel de la vessie gazeuse, gressivement envahi la majorité des voire sa totale dégradation. pays européens, dont la France où il fut détecté pour la première fois en Ca- Conséquences margue en 1987. La vitesse de nage est dimi- Anguillicola crassus appartient à la nuée et d'autres processus patho- classe des Nématodes. C'est un ver logiques peuvent être induits. rond et lisse avec une capsule buccale Toutefois, les conséquences de munie d'une couronne de crochets à l'anguillicolose sur la condition l'extrémité antérieure. Les larves se corporelle et sur les migrations nourrissent de tissus organiques, les des anguilles vers l'aire de repro- adultes, de couleur marron noir, sont duction ne sont pas établies avec cer- Le cycle du parasite passe par dif- hématophages, c'est-à-dire qu'ils se titude à ce jour. férents stades larvaires : les oeufs don- nourrissent de sang. La taille du mâle Pour ce qui concerne les mortali- nent naissance à des larves L1 dans adulte est de 1 à 2 cm, alors qu'elle tés, si l'impact pathologique de l'an- leur coque ovigère, qui vont se diffé- peut dépasser 3 cm chez les femelles. guillicolose est bien réel sur les popu- rencier en larves L2. Ces dernières mi- Anguillicola crassus est un parasite lations d'anguilles d'élevage et se tra- grent via le canal pneumatique vers le spécifique et exclusif des anguilles : duit par des mortalités parfois impor- tube digestif de l'anguille. japonaise (Anguilla japonica), améri- tantes, rien n'est prouvé chez les an- Là, elles sont excrétées dans le mi- caine (Anguilla rostrata) et, désor- guilles sauvages, exception faite d'an- lieu extérieur où, libres, elles seront en- mais, européenne (Anguilla anguilla). guilles du lac Balaton en Hongrie où suite ingérées par un hôte intermédiai- des mortalités ont été observées en rai- re chez qui elles se transforment ensui- SYMPTÔMES son des fortes densités d'individus et des températures estivales élevées. te en larves L3, infestantes pour les an- guilles. Les anguilles s'infestent en in- ET LÉSIONS gérant ces hôtes intermédiaires. Ceux- EPIDÉMIOLOGIE ci peuvent être soit des crustacés planc- Les lésions concernent essentielle- toniques (copépodes, ostracodes), soit ment la vessie gazeuse. Elles sont plus des petits poissons (cyprinidés), des Anguillicola crassus est un parasi- ou moins sévères et consistent en des larves d'insectes et d'amphibiens. Les te dit “polyxène”, c'est-à-dire dont le hémorragies, une dilatation des vais- larves L3 ingérées traversent alors la cycle nécessite le passage obligé par seaux sanguins, une hypertrophie et un paroi du tube digestif et migrent vers la plusieurs hôtes successifs. épaississement de la paroi de la vessie vessie natatoire. Dans les parois de cel- gazeuse, des nécroses localisées, et Les adultes de A. crassus sont hé- le-ci s'opère de nouvelles métamor- une pigmentation du conjonctif exter- bergés dans la vessie gazeuse où ils se phoses : d'abord en L4, puis en pré- ne. Ces lésions correspondent à une reproduisent. Une femelle de A. cras- adultes et, enfin, en adultes libres dans réaction de type inflammatoire, consé- sus peut pondre jusqu'à 150.000 œufs. la lumière de la vessie gazeuse. S UD -O UEST N ATURE - R EVUE TRIMESTRIELLE DE LA SEPANSO - N° 120-121
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