L'INNOVATION DISRUPTIVE DANS LES SYSTEMES DE SANTE - Mémoire de fin d'études
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L’INNOVATION DISRUPTIVE DANS LES SYSTEMES DE SANTE Mémoire de fin d’études EXECUTIVE MBA 2010-2011 EM LYON Sous la direction de Philippe RIOT – EM Lyon : Référent n°1 Gérard De POUVOURVILLE – ESSEC Santé : Référent n°2 Caryn MATHY 10/10/2011
Remerciements Je profite de l‘occasion qui m‘est donnée pour remercier quelques personnes pour leur aide, soutien ou contribution. A ce titre, c‘est à Philippe RIOT que je rends hommage au travers ce mémoire. Grâce à ces immenses qualités pédagogiques et humaines, je lui dois une vraie passion pour la stratégie, tout économiste de la santé que je sois ! C‘est ensuite à Gérard de Pouvourville que je dois mes remerciements les plus sincères car il a accepté de jouer le jeu du second référent, acceptant pour se faire de consacrer son temps précieux à la lecture de ce mémoire, de se déplacer et surtout d‘apporter sa contribution à cette réflexion encore naissante, alors qu‘il avait déjà été sollicité dans le cadre de ma thèse de Doctorat, 13 ans plus tôt. Je ne saurai dire aussi toute ma reconnaissance à Laurent, mon compagnon, qui a joué de nombreux rôles dans la rédaction de ce mémoire. D‘abord en faisant preuve de détachement par rapport à mes indisponibilités récurrentes tout au long de ce MBA mais aussi pendant la rédaction de ce mémoire, ensuite en m‘aidant à éclaircir mes idées qu‘il a patiemment écoutées ou en jouant les contradicteurs, en trouvant parfois le bon mot qui se refusait à moi et surtout, surtout, en me soutenant dans ce projet et celui plus global de recommencer à publier des articles de recherche. Je remercie également mes « bonnes âmes » (Claire et Geneviève) pour leur aide à la correction orthographique et grammaticale qui m‘est essentielle puisque ma propension à progresser en la matière s‘avère limitée, et ce depuis toujours . De même, je remercie mes parents (Danielle et Jean-Pierre) qui m‘ont également servi de correcteurs ; ils doivent espérer que j‘en finisse enfin (!) de mes études car ils avaient déjà subis les affres de la thèse de doctorat et de ces quelques 400 pages. Enfin, je souhaite également dire mes remerciements à quelques professeurs de l‘EM de Lyon qui ont apporté de l‘eau à mon moulin par leurs conseils et recommandations de lecture diverses, leur écoute - Frédéric Delmar, Paul Millier, Brice Dattee, Philippe Silberhan - ainsi qu‘à Chantal Poty et Muriel Chaumat pour l‘énergie, la patience et le soutien dont elles abreuvent les executives MBA. Caryn MATHY 2
Résumé L‟accroissement du rythme des dépenses de santé au-delà de celui du PIB de nos sociétés développées pose le problème de leurs financements et/ ou de la solvabilité des systèmes de protection socialisée à court, moyen et long termes. Cela n‟est certes pas nouveau mais dans un contexte de ralentissement économique général des pays développés et de dette croissante, les réformes structurelles de nos systèmes de santé apparaissent désormais inéluctables. Au-delà de ces aspects financiers, il apparaît de plus que ces systèmes de santé sont loin d‟être toujours efficients au regard des résultats sanitaires attendus. Nonobstant les réformes qui se sont enchainées depuis la fin des 30 glorieuses, la croissance des dépenses n‟est pas maitrisée et tout laisse à penser qu‟elle va croître fortement dans les 40 prochaines années. Par ailleurs, si l‟amélioration de l‟état de santé de nos populations développées est indéniable, il existe de nombreuses sources d‟inefficacité dans l‟offre de soins et sa gestion. Les solutions traditionnellement préconisées (baisse des remboursements, hausse des cotisations, dérégulation, maitrise médicalisées, etc..) sont certes intéressantes et utiles mais jusqu‟à un certain niveau et il est aujourd‟hui vraisemblable que celles-ci ne permettront pas de garantir, à termes, une offre sanitaire de qualité et financièrement accessible à tous. Le déficit de la branche maladie de la sécurité sociale en France est pour moitié structurel. Dans ce tableau particulièrement noir, on note toutefois une analyse atypique de la situation et surtout des solutions innovantes pour résoudre ce nœud gordien. Il s‟agit de la théorie de l‟innovation disruptive, développée principalement par Christensen. Cette théorie vient en outre d‟un courant de pensée peu commun des analyses du champ sanitaire, initialement investi par les économistes, puisqu‟il s‟agit de l‟analyse stratégique des changements organisationnels et du paysage compétitif de l‟industrie. Cette théorie s‟appuie sur les travaux de Schumpeter (1942) et le concept de destruction créatrice qui met en exergue la question de l‟innovation comme moteur de changement structurel et de croissance économique. Selon l‟auteur, la croissance économique émerge via une destruction créatrice, où le « vieux » est détruit de manière continue permettant ainsi de libérer de nouvelles ressources pour le « nouveau ». Cette théorie suggère donc que les entreprises (ou les systèmes) seraient inévitablement confrontées à des changements discontinus et permanents qui rendraient alors leurs compétences d‟origine (ou leur fonctionnement) obsolètes. Leur position dominante serait alors affaiblie, voire gommée, et expliquerait les changements permanents du paysage compétitif. L‟accumulation de changements discontinus pourrait être à l‟origine de la notion d‟innovation disruptive1, qui peut être définie comme une technologie qui a été jugée sous performante par les consommateurs traditionnels mais portant en elle de nouvelles performances, intéressant de nouveaux acteurs. Ces nouvelles performances seraient alors susceptibles de bouleverser radicalement le paysage compétitif et le système économique d‟une sphère donnée dans la mesure où ces innovations conduisent à remplacer les produits, services, technologies, process, ou 1 Nous expliquons le choix de ce vocable dans le cœur du mémoire, sachant que Christensen utilise le terme anglo-saxon de « disruptive innovation » Caryn MATHY 3
encore systèmes, complexes et coûteux en d‟autres, moins complexes et moins coûteux, qui, à termes, envahissent le marché traditionnel, rejetant de fait les firmes antérieurement dominantes. Ces innovations disruptives sont à distinguer des innovations radicales ou incrémentales. Elles sont distinctes également des innovations qualifiées de « sustaining » car elles répondent à la demande d‟un autre réseau de valeur que celui constitué des clients existants. De multiples travaux de recherche ont été conduits sur le concept de l‟innovation disruptive et ont donnée lieux à de nombreuses controverses et amendements, sans que toutes les zones d‟ombre et les questions que pose cette théorie soient totalement éclaircies. Il s‟agit en particulier de la question des segments de marché sur lesquels s‟ancre l‟innovation disruptive, celle des marchés ciblés, celle du réseau de valeur sous-jacent sur lequel l‟innovation s‟appuie et, enfin, celle des business modèles des entreprises innovantes. En dépit de ces questions, il n‟en demeure pas moins que la théorie de l‟innovation disruptive, appliquée au champ de la santé, donne un éclairage tout à fait nouveau sur les réponses qui pourrait être envisagées pour aboutir à un système de santé moins coûteux et donc accessible à une plus large proportion de la population tout en étant de meilleure qualité. Dans le champ de la santé, comme dans n‟importe quel secteur industriel, l‟innovation disruptive repose sur trois éléments: 1) un déclencheur technologique, 2) un business modèle innovant, 3) un nouveau réseau de valeur. Or ces éléments sont disponibles dans le secteur sanitaire. En particulier, le formidable développement des connaissances dans le domaine médical permet aujourd‟hui de faire appel à une médecine de précision, dans la majorité des pathologies et non plus à une médecine intuitive, principalement administrée par des médecins, experts dont la formation est longue et dont le travail repose principalement sur le diagnostic intuitif et la reconnaissance de phénomènes- types, amélioré par les années de pratique. Cette évolution (progressive) entraîne deux changements importants. Le premier est une simplification des traitements: des affections traitées par des spécialistes au stade intuitif peuvent être prises en charge par des généralistes au stade empirique, puis par des infirmières, voire les patients eux-mêmes, au stade de la précision. Le second changement est la conséquence du premier : le coût induit par la prise en charge s‟abaisse continuellement ; il est moins cher de faire soigner par une infirmière avec des médicaments de précision que de mobiliser un spécialiste dans un hôpital. Si la simplification et l‟abaissement des coûts ne se sont pas encore réalisés, cela tient au fait que la prise en charge des patients est restée figée dans un système basé sur deux modèles économiques: l‟hôpital et le cabinet de médecine, ayant été inventés il y a un siècle lorsque la médecine relevait exclusivement d‟un raisonnement intuitif. Or Christensen estime qu‟on peut distinguer trois business modèles possibles en santé comme dans n‟importe quelle industrie: le magasin de solutions, le process à valeur ajoutée, et le réseau facilitateur. Magasin de solutions: les fournisseurs de solutions sont formés et structurés pour diagnostiquer et résoudre des problèmes uniques et complexes. Ce sont par exemple les consultants, avocats, etc. Les hôpitaux et les médecins ont émergé historiquement comme des fournisseurs de solutions, en cohérence avec l‟aspect intuitif de la médecine. Typiquement, les fournisseurs de Caryn MATHY 4
solutions s‟engagent sur les moyens, non les résultats, et sont donc payés en honoraires. Process à valeur ajoutée: un modèle de process à valeur ajoutée consiste à transformer un actif en un actif ayant une valeur supérieure. Ce sont par exemple les restaurants, fabricants de voitures, etc. Dans le domaine médical, c‟est l‟exemple de certaines cliniques américaines spécialisées dans le traitement de pathologies dont le protocole de prise en charge est ultra- standardisé. Ces établissements accueillent le patient dès lors que le diagnostic est établi et le prennent en charge de manière rapide et efficace : le coût et le taux d‟insatisfaction ou de non-guérison sont substantiellement plus bas que ceux des hôpitaux. Typiquement, les acteurs qui réalisent des process à valeur ajoutée s‟engagent sur le résultat, et non pas sur les seuls moyens, car leur approche industrielle leur permet de garantir celui-ci. Réseau facilitateur: un réseau facilitateur organise l‟échange entre participants en créant de la valeur à partir de la notion de mutualisation, comme les assurances santé aux Etats-Unis ou certaines mutuelles en France. Il se rémunère la plupart du temps sous forme de cotisations payées par les membres du réseau. Ce type d‟acteur est particulièrement adapté à des patients atteint de maladies chroniques qui peuvent s‟échanger des informations entre eux ou des savoir-faire/savoir-être. La raison d‟être de ces réseaux peut également être de promouvoir la « bonne santé » ou le « bon comportement » de leurs membres afin de diminuer les coûts induits par la maladie. Le troisième élément de rupture est la création d‟un nouveau réseau de valeur autour des trois modèles économiques précédemment décrits. Les recherches de Christensen ont montré depuis longtemps que la principale difficulté des innovateurs est qu‟ils tentent souvent d‟inscrire leur innovation dans un réseau de valeur existant qui inévitablement l‟absorbe et la transforme. Au contraire, les innovateurs qui réussissent créent, ou contribuent à créer, un nouveau réseau de valeur. Il s‟agit d‟un écosystème de sociétés ou d‟individus interconnectés les uns avec les autres, dont les business modèles sont cohérents entre eux – et divergent des précédents. Imaginer que l‟innovation disruptive puisse changer le système de santé nécessite en conséquence de changer le réseau de valeur actuellement organisé autour de deux acteurs principaux: l‟hôpital et le cabinet de médecine, auxquels s‟ajoute les tutelles et/ou système de protection. Cela passe par l‟inclusion de nouveaux acteurs et par la redéfinition du rôle des acteurs existants en plus de la présence d‟une technologie disruptive, comme par exemple celle sous-jacente au dossier médical informatisé. Dans ce cas, la technologie permet de créer un nouveau réseau de valeur qui fait intervenir les trois types d‟acteurs: magasin de solutions, process à valeur ajoutée, et réseaux facilitateurs. La création de cet écosystème nécessite toutefois un appuie des tutelles sous la forme d‟amendement de la législation ou la mise en place de standard technologiques, comme l‟interopérabilité des systèmes d‟information. Sans cette intervention, l‟innovation disruptive sera, au mieux, repoussée dans le temps et au pire annihilée. Compte tenu de ces éléments, et de l‟urgence à résoudre le problème de la solvabilité du système de santé français, nous avons examiné quelle était sa capacité à opérer un changement disruptif au travers plusieurs exemples actuels : celui de la chirurgie ambulatoire comme process à valeur ajoutée susceptible d‟être une solution disruptive à l‟hospitalisation traditionnelle que l‟on peut assimiler au magasin de Caryn MATHY 5
solutions, celui des technologies de l‟information et de la communication (TIC) en santé et de la télémédecine, assimilés à un réseau facilitateur comme solution disruptive aux deux autres business modèles ainsi que celui des réseaux d‟accompagnement des patients et du transfert de compétences qui fonctionnent selon une même logique que celle des TIC en santé. Dans ces quatre cas, on constate que si des avancées ont été faites et que les technologies sont suffisamment matures pour opérer un changement disruptif dans notre système de santé, les obstacles sont encore nombreux. Ils sont liés principalement au régulateur qui tarde à mettre en place les conditions nécessaires à ces avancées : l‟écosystème. Les freins sont législatifs, réglementaires, financiers mais peut être et surtout politiques, syndicalistes, corporatistes, etc. De telles modifications impliquent nécessairement une destruction de compétences/ressources antérieures qui ne peuvent laissés indemnes les acteurs actuels du système de santé. Ces problèmes renvoient en conséquence à la question de « comment faciliter l‟acquisition de compétences/ressources nouvelles pour faire en sorte de limiter les obstacles à ces changements ». Les réponses seront sans aucun doute complexes et longues à mettre en œuvre, sans parler du fait qu‟il est rarement dans les préoccupations immédiates du régulateur de s‟investir dans ce champ de réflexion. Pourtant l‟urgence est là ! Enfin, il faut mentionner que si la question de la destruction des ressources/compétences se pose cruellement dans nos systèmes de santé de pays développés, elle est probablement plus limitée dans le contexte des pays émergents ou pauvres. Leurs systèmes de santé étant vierges ou peu avancés, les technologies disruptives devraient pouvoir leur apporter une solution efficace et peu coûteuse quant à la mise en place de leurs systèmes. Mais cette thématique nécessiterait sans doute à elle seule un autre mémoire. Caryn MATHY 6
TABLE DES MATIERES 1 INTRODUCTION .......................................................................................................................... 9 2 SANTE, DEPENSES ET REGULATION .................................................................................. 11 2.1 Evolution des dépenses et projections : toujours en hausse .................................................... 12 2.2 Crise économique et dépenses de santé : le cas du déficit français ........................................ 14 2.3 Régulation du système de santé : des réponses limitées ......................................................... 15 3 INNOVATION ET CHANGEMENT ECONOMIQUE ............................................................ 18 3.1 Innovation discontinue : définition, conséquences et origine ................................................. 19 3.1.1 Définition .......................................................................................................................... 20 3.1.2 Conséquences pour la firme .............................................................................................. 20 3.1.3 Raisons internes de l‟échec des firmes dominantes .......................................................... 20 3.1.4 Raisons externes de l‟échec des firmes dominantes .......................................................... 21 3.2 Théorie de l‟innovation disruptive .......................................................................................... 22 3.2.1 Technologie et innovation disruptives .............................................................................. 22 3.2.2 Sustaining, disruptive, radical, incremental innovation .................................................... 23 3.2.3 Segments bas et nouveaux marchés : les cibles des innovations disruptives .................... 24 3.2.4 Value network ................................................................................................................... 24 3.2.5 Raisons de l‟échec des firmes dominantes à développer des innovations disruptives ...... 25 3.3 Compléments, amendements et controverses sur la théorie des innovations disruptives ....... 26 3.3.1 Segment haut et marché existant ....................................................................................... 26 3.3.2 Marché et diffusion ........................................................................................................... 26 3.3.3 Business modèle, réseau, valeur et réseau de valeur ......................................................... 27 3.3.3.1 Business modèle ....................................................................................................... 28 3.3.3.2 Réseau….. ................................................................................................................ 29 3.3.3.3 …et valeur ................................................................................................................ 30 3.3.3.4 Réseau de valeur ....................................................................................................... 31 3.3.3.5 Réseau de valeur nouveau versus existant ................................................................ 32 3.3.4 Résumé des controverses et amendements ....................................................................... 34 4 INNOVATIONS DISRUPTIVES DANS LA SANTE ................................................................ 37 4.1 The Innovator‟s Prescription : l‟innovation disruptive appliquée à la santé ........................... 37 4.1.1 Problèmes de la santé et réponse de Christensen .............................................................. 37 4.1.2 Eléments constitutifs des innovations disruptives ............................................................. 38 4.1.3 Applications dans le champ de la santé............................................................................. 39 4.1.3.1 Déclencheur technologique en santé ........................................................................ 39 4.1.3.2 Business modèles innovants en santé ....................................................................... 39 4.1.3.2.1 Business modèle de type magasin de solutions dans la santé .......................... 40 4.1.3.2.2 Business modèle de type process à valeur ajoutée (VAP) dans la santé .......... 41 4.1.3.2.3 Business modèle de type réseaux facilitateurs dans la santé ............................ 42 4.1.3.2.4 Articulation des business modèles entre eux .................................................... 43 4.1.3.3 Le réseau de valeur disruptif .................................................................................... 43 4.1.3.4 Conséquences sur les systèmes de santé .................................................................. 44 4.1.3.4.1 Régulation ........................................................................................................ 44 4.1.3.4.2 Technologies de l‟information et les réseaux facilitateurs ............................... 45 4.1.3.4.3 Industrie pharmaceutique et des dispositifs médicaux ..................................... 46 4.1.3.4.4 Changements dans la formation médicale et la structure des offreurs de soins 47 Caryn MATHY 7
4.2 Etat du changement disruptif du système de santé français ? ................................................. 48 4.2.1 Chirurgie ambulatoire et business modèle VAP ............................................................... 48 4.2.1.1 La mixité des business modèles : l‟exemple des CHU ............................................. 49 4.2.1.2 Historique et définition de la chirurgie ambulatoire ................................................. 50 4.2.1.3 Evolution de la chirurgie ambulatoire en France et comparaisons ........................... 50 4.2.1.4 Explications du retard français ................................................................................. 52 4.2.1.4.1 Aspects culturels .............................................................................................. 52 4.2.1.4.2 Aspects organisationnels .................................................................................. 52 4.2.1.4.3 Les aspects structurels ...................................................................................... 53 4.2.1.4.4 Aspects financiers ............................................................................................ 53 4.2.1.4.5 Politique et stratégie institutionnelles .............................................................. 54 4.2.1.4.6 Etat disruptif de la chirurgie ambulatoire en France ? ..................................... 55 4.2.2 TIC en santé et télémédecine en France ............................................................................ 56 4.2.2.1 TIC en santé.............................................................................................................. 57 4.2.2.1.1 Problématiques et polémiques.......................................................................... 57 4.2.2.1.2 Quelques chiffres ............................................................................................. 58 4.2.2.1.3 Création de valeur…. ....................................................................................... 58 4.2.2.1.4 …. Pour qui ? ................................................................................................... 60 4.2.2.2 Télémédecine en France : des avancées à petits pas pour de grands enjeux ............. 61 4.2.2.2.1 Définitions........................................................................................................ 62 4.2.2.2.2 Expérimentations plus ou moins significatives ……… ................................... 62 4.2.2.2.3 …. Qui devrait permettre un déploiement de la télémédecine d‟ici 1 à 3 ans .. 64 4.2.3 Réseaux d‟accompagnement des patients ......................................................................... 64 4.2.3.1 Rappel sur les ALD .................................................................................................. 65 4.2.3.2 Sophia : un exemple ................................................................................................. 66 4.2.3.3 Résultats de Sophia et perspectives .......................................................................... 66 4.2.4 Coopération entre professionnels et délégation de tâches ................................................. 67 4.2.4.1 Coopération entre professionnels de santé ............................................................... 68 4.2.4.2 Protocole de transfert d‟actes : le début d‟une longue histoire ................................. 69 4.2.4.3 Nouveaux métiers : contexte, enjeux et perspectives ............................................... 69 4.2.4.4 Ophtalmologie en France et ailleurs : un exemple ................................................... 71 5 CONCLUSION ............................................................................................................................. 74 6 GLOSSAIRE ................................................................................................................................. 77 7 BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................ 78 8 ANNEXES ..................................................................................................................................... 82 8.1 Annexe 1 : La tablette en passe de supplanter le PC .............................................................. 83 8.2 Annexe 2 : Dépêches APM sur la télémédecine en France .................................................... 85 Caryn MATHY 8
L’INNOVATION DISRUPTIVE DANS LES SYSTEMES DE SANTE MEMOIRE DE FIN D‘ETUDE "We can't solve problems by using the same kind of thinking we used when we created them." Albert Einstein 1 INTRODUCTION Selon la Direction de la Recherche, des Etudes, de l‟Evaluation et des Statistiques (DREES) du Ministère de la Santé français, en 2010, le montant des dépenses courantes de santé s‟élève à 234,1 milliards d‟euros, soit 12,1 % du produit intérieur brut (PIB) (Fenina, et al., 2011). La Consommation de Soins et de Biens Médicaux (CSBM), qui est l‟un des principaux agrégats utilisés pour comptabiliser la consommation de santé, atteint 175 milliards d‟euros, soit 9% du Produit Intérieur Brut (PIB). Elle a progressé en valeur moins rapidement qu‟en 2009 (+2.3 % après +3.2 %). Par ailleurs, fin juillet, la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2011 a révisé le déficit de l'assurance maladie, tous régimes confondus, à -10,2 milliards d'euros pour 2011. Le déficit de la sécurité sociale dans son ensemble est révisé à - 19,5 milliards d'euros, après 23,1 milliards en 2010. La loi confirme par ailleurs une progression de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) à 167,1 milliards d'euros (+2,9%) pour 2011 et une progression fixée à 2,8% en 2012, 2013 et 2014. Entre 2003 et 2010, le déficit cumulé de la branche maladie de la sécurité social atteindrait 67,7 Md€. De ces quelques chiffres, il en découle un constat sans appel concernant les dépenses et la consommation de santé en France : celles-ci ne cessent de progresser, elles ne sont pas (ou difficilement) maîtrisées et évoluent plus rapidement que le PIB. De plus, au-delà d‟un effet conjoncturel négatif (la crise), le déficit de l‟assurance maladie est structurel. Du reste, ce constat est largement partagé par les pays développés et laisse entrevoir des difficultés financières quasi-insurmontables pour les pays émergents (et à fortiori pauvres) qui souhaitent mettre en place un système de santé performant, en terme de santé publique, si celui-ci doit être structuré à l‟image de celui des pays développés. Au-delà de ces dérapages budgétaires, ces dépenses de santé ne sont, de plus, pas efficientes comme le rappelait Jean-Philippe Vinquant, secrétaire général du Haut Conseil pour l'Avenir de l'Assurance Maladie (HCAAM), lors des premières universités d'été de la performance en santé organisées par l'Agence Nationale d'Appui à la Performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) les 19 et 20 septembre derniers. Ce constat est partagé par de nombreux chercheurs ou Caryn MATHY 9
organisations internationales et vient, du reste, de faire l‟objet d‟une étude comparative par des chercheurs britanniques classant le système de santé français au 13ème rang des 19 pays développés étudiés (Prittchard, et al., 2011). Cela pose donc la question de « comment parvenir à un système de santé à la foi efficient en terme de dépenses mais également en termes d‟outcome sanitaire. En conséquence, la solution ne saurait résider en une « simple » réduction des remboursements et/ou une augmentation des cotisations. Conférences, études et bien sûr ouvrages se multiplient sur la question. Paru en 2010 aux États-Unis, l‟un d‟entre eux est cependant particulièrement marquant. Il s‟agit de du livre de Clayton Christensen, Jerome Grossman et Jason Hwang : « The Innovator‘s prescription » (Christensen, et al., 2010). Christensen est un spécialiste mondialement reconnu de l‟innovation (Christensen, et al., 2008, 2004, 1997) et ces deux co-auteurs sont médecins. Les auteurs partent de deux observations qu‟ils font. La première est que la santé subit une transformation profonde, et que le mécanisme qui en est la cause est le même (n‟en déplaise aux spécialistes du secteur sanitaire qui considèrent que la santé est un monde à part) que celui qui a transformé d‟autres industries avant: c‟est le mécanisme de l‟innovation disruptive. La seconde observation est que la limite des tentatives de réforme du secteur de santé provient de ce que le problème est mal posé et que le débat porte principalement sur l‟opposition entre une solution publique versus privée. Or là n‟est pas la question selon les auteurs. Il s‟agit, pour eux, de savoir comment il est possible d‟accéder à des soins de qualité à un coût abordable. La solution qu‟ils proposent est celle d‟utiliser, l‟innovation disruptive comme agent de transformation vertueux du système de santé. Cette vision tout à fait innovante mérite d‟être exposée, analysée et discutée dans un contexte spécifique : celui de la France. La suite de ce mémoire s‟organisera de la manière suivante : après avoir rappelé l‟état des dépenses de santé françaises, leurs évolutions et leurs perspectives dans la partie n°2, nous exposerons la théorie de l‟innovation disruptive de Christensen, de manière générale ainsi que ces prémices et verrons les questions soulevées par celle- ci, dans partie n°3. Dans la partie n°4, nous verrons enfin comment elle peut s‟appliquer au champ de la santé, quels sont les mécanismes et les conditions qui permettraient d‟aboutir à un changement disruptif des systèmes de santé et en particulier si le système de santé français est susceptible d‟utiliser l‟innovation disruptive pour offrir des soins de qualité à un coût socialement acceptable, à quelles conditions et à quel horizon de temps. Pour se faire nous prendrons plusieurs exemples spécifiques français. Caryn MATHY 10
2 SANTE, DEPENSES ET REGULATION Entre 1960 et 2008, la santé de la population des pays de l‟OCDE a fait des progrès majeurs (OCDE, 2010). Ainsi l‟espérance de vie à 65 ans est aujourd‟hui de 20 ans pour les femmes et de 17 ans pour les hommes. Bien que des inégalités socio- économiques persistent, l‟amélioration de la santé se poursuit de manière régulière. Ces bons résultats tiennent à l‟élévation des niveaux de revenu, de l‟instruction et à l‟amélioration des soins de santé eux-mêmes. La qualité et l‟efficacité (à soigner) des systèmes de soins ainsi que leur accessibilité n‟ont jamais été aussi bonnes. Par ailleurs, de nombreux pays ont lancé récemment des réformes qui devraient permettre d‟assurer une couverture aux personnes les plus démunies ou non assurées (Mexique, Turquie, USA). Les pays de l‟OCDE sont plus proches que jamais d‟une couverture maladie universelle pour un ensemble de services de soins basiques. Ces réformes sont importantes car, en période de crise financière, des populations importantes se retrouvent démunies face aux coûts liés à un mauvais état de santé. Cette crise économique est par ailleurs lourde de conséquences pour les états et leurs finances dans la mesure où ce sont les premiers contributeurs (même indirects) aux dépenses de santé : voir graphique ci-dessous (DREES, 2010). En tout état de cause, ce sont bien les états qui gèrent les difficultés budgétaires de nos systèmes de santé et leurs déficits (voir graphique ci-dessous (DREES, 2010). Caryn MATHY 11
Dans cette partie, nous verrons donc 1) quelle est précisément l‟évolution des dépenses de santé mais aussi quelles en sont les perspectives, 2) quel est l‟impact de la crise économique sur ces dépenses et en particulier en France et, enfin, 3) si les instruments de la régulation des dépenses de santé peuvent inverser la tendance haussière observée jusqu‟à présent. 2.1 Evolution des dépenses et projections : toujours en hausse D‟après l‟OCDE, l‟activité économique dans les pays membres a progressé moins rapidement que leurs dépenses totales de santé2. Ainsi, au cours de l‟année 2008, les Etats membres ont en moyenne consacré 9 % de leur PIB à la santé, contre 7,8 % en 2000 (OCDE, 2010). La France consacrait 11.2% de son PIB à la santé en 2008, soit 2,2 points au-dessus de la moyenne (DREES, 2010). Elle est donc le pays ayant enregistré le plus de progression en termes de dépenses attribuées à la santé après les Etats-Unis, puisque ces derniers avaient alloué 16 % de leur PIB à la santé. La France se plaçait ainsi à un niveau légèrement supérieur à celui de la Suisse (10,7 %) et de l‟Allemagne (10,5 %). Pour l‟Irlande, cette part a évolué de 1,2 point, passant de 7,5 % en 2000 à 8,7 % en 2008. Quant à l‟Espagne, cette part était de 9 % en 2008 contre 7,5 % en 2000. 2 La dépense totale de santé (DTS) est le principal agrégat utilisé pour les comparaisons internationales entre les pays de l‟OCDE, de la communauté européenne (Eurostat) et de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) depuis 2003. Caryn MATHY 12
Ainsi, dans le détail, les dépenses annuelles de santé des pays de l‟OCDE s‟élèvent en moyenne à 3 060 dollars par habitant. Aux Etats-Unis, ces dépenses se chiffrent à 7 538 dollars par habitant pour l‟année 2008, soit plus du double de la moyenne des pays de l‟OCDE. La France est au- dessus de cette moyenne en termes de dépenses de santé, avec 3 696 dollars par habitant. La Suisse et la Norvège ont également alloué une grande partie de leur budget à la santé, avec des dépenses supérieures de 50 % à la moyenne enregistrée par l‟OCDE. En général, les Etats membres de l‟OCDE ont consacré 16 % de leurs dépenses publiques à la santé, contre 12 % en 1990. Les facteurs d‟augmentation (progrès technologiques, attentes de la population, accroissement des revenus et vieillissement démographique) vont continuer d‟orienter les dépenses de santé à la hausse. D‟après les projections de l‟OCDE, selon les hypothèses retenues, les dépenses publiques de santé pourraient croître de 50 à 90% d‟ici 2050. Ainsi, les dépenses publiques de santé et de soins de longue durée pourraient atteindre 13% du PIB en 2050 (contre 7% en moyenne en 2005). Evidemment cette moyenne occulte de très fortes variations entre les pays, en particulier liées à la structure démographique de leur population. Caryn MATHY 13
2.2 Crise économique et dépenses de santé : le cas du déficit français Selon les études menées par la DRESS (Simon, et al., 2010), lors des périodes de conjoncture dégradée, un décrochage entre les dépenses de santé et le PIB apparaît. Les dépenses de santé continuent de s‟accroître alors que le PIB ralentit, voire se replie. Ainsi, en France en 1993, la chute de l‟activité immobilière et les attaques de change contre le Franc ont conduit à une année de stabilisation du PIB tandis que les dépenses de santé ont continué à croître à un rythme comparable aux années précédentes. Toutefois, alors que la dépense de santé continue de croître nettement plus vite que le PIB l‟année de la crise, la reprise économique lors des années suivantes s‟accompagne généralement d‟une moindre hausse par rapport au PIB des dépenses de santé. Ce mécanisme confirme le décalage de l‟évolution de la dépense de santé par rapport à celle du PIB en période de difficultés économiques. Ces décrochages en période de conjoncture dégradée entre l‟activité économique et les dépenses de santé se traduisent par des évolutions marquées de la part des dépenses de santé dans le PIB. L‟année où un pays connaît un ralentissement économique ou une récession, la part des dépenses de santé dans le PIB va croître fortement. Puis, dans les années qui suivent, le poids des dépenses de santé dans la richesse nationale va se replier ou se stabiliser selon l‟ampleur des mécanismes de réajustements opérés. Comme le souligne le rapport de la Caisse Nationale Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS) de 2011, la crise économique mondiale qui s‟est déclenchée en 2008 a généré une récession sans précédent en France, avec un recul du PIB de -2,6% en volume en 2009. Elle a entraîné pour l‟assurance maladie, comme pour l‟ensemble des finances publiques, une perte de recettes massive liée à la montée du chômage et à la contraction de la masse salariale : celles-ci ont baissé de près de 1%, ce qui ce qui n‟était jamais arrivé depuis la création de la sécurité sociale (CNAMTS, 7 juillet, 2011). Le redressement progressif des comptes, avec un déficit ramené de 11,8 milliards d‟euros en 2004 à 4,4 milliards d‟euros en 2008, a été ainsi brutalement interrompu, le déficit ayant plus que doublé en 2009 pour atteindre 10,6 milliards d‟euros. Le retour à la croissance en 2010 a permis de limiter la dégradation du déficit du régime général à 11,6 MD€, et les perspectives économiques de 2011 permettent d‟anticiper une situation meilleure que celle qui avait été prévue par la loi de financement de la sécurité sociale. Le Projet de Loi de Finance de la Sécurité Sociale (PLFSS) rectificatif table sur un déficit de 10,3 milliards d‟euros, inférieur de 1,2 milliard aux prévisions initiales, du fait d‟une révision à la hausse de l‟hypothèse d‟évolution de la masse salariale du secteur privé (de 2,9% à 3,2%). Caryn MATHY 14
Au regard de l‟ampleur sans précédent de la crise que la France a traversée, la situation financière en sortie de crise apparaît finalement relativement maîtrisée pour la CNAMTS. Le déficit 2010 est de même niveau, en euros courants, que celui de 2004, alors que la situation économique n‟a rien de comparable. La différence vient de ce que les dépenses de santé ont parallèlement accéléré au début des années 2000, créant un effet de ciseaux avec les recettes. A l‟inverse, l‟effort continu de maîtrise des dépenses qui s‟est poursuivi depuis a contribué à limiter le déficit. Si l‟on raisonne d‟ailleurs non pas en euros courants, mais en euros constants, ou en pourcentage par rapport à l‟ONDAM ou au PIB, les déficits actuels sont inférieurs aux niveaux atteints en 2003 et 2004, comme l‟a souligné le HCAAM dans son dernier rapport annuel (HCAAM, 2010). Toutefois, ce déficit, qui s‟inscrit dans un contexte plus général de besoins de financement des administrations publiques élevés, conduit à reporter sur les générations futures des dépenses de soins qui devraient être financées dans l‟année, majorant ainsi l‟endettement public. Par ailleurs, au-delà d‟une conjoncture économique dégradée, le déficit de la CNAMTS a une composante structurelle qui contribue pour près de 50% aux 10,3 MD€ de déficit prévus en 2011. Le déficit structurel est lié au fait que tendanciellement, les dépenses d‟assurance maladie augmentent plus rapidement que le PIB, qui retrace à long terme les évolutions des recettes. A niveau de prélèvement donné, il y a donc un écart entre les dépenses et les recettes, et le déficit s‟accroit d‟année en année à hauteur de cet écart. Le HCAAM a analysé les voies d‟un redressement du déficit structurel et appelle avant tout à mener des actions en profondeur pour rendre le système plus efficient : « efforts résolus sur la maîtrise des dépenses injustifiées et l‟optimisation de l‟offre de soins, seuls à même de desserrer l‟étau financier et d‟apporter des solutions durables à l‟équilibre du système ». 2.3 Régulation du système de santé : des réponses limitées Dans la mesure où les dépenses de santé en France sont plus ou moins « co-pilotées » par l‟Etat et l‟assurance maladie, l‟allocation des ressources et l‟efficience des dépenses arrivent au premier plan de leurs préoccupations. Plus particulièrement, l‟hôpital au sens large3, qui représente un peu plus de 46% de la Consommation de soins et de Biens Médicaux4 (CSBM), selon les comptes 3 L‟hôpital est ici entendu dans un sens générique, comme tout au long de ce mémoire. Il recouvre donc les structures publiques, ESPIC et privés à but lucratif, sauf mention spécifique. Notons que pour ce qui concerne la CSBM, les dépenses des honoraires des médecins et chirurgiens libéraux Caryn MATHY 15
nationaux de la santé de 2010, fait l‟objet d‟une attention particulière sans être néanmoins le seul visé (voir tableau ci-dessous) (Fenina, et al., 2011). Les plans de maîtrise des dépenses de santé se sont succédés aux cours de ces 40 dernières années sans toutefois donner les résultats escomptés comme nous l‟avons vu précédemment. La France se situerait cependant parmi les pays qui maîtrisent le mieux leurs dépenses sur la période 2004 à 2008 (CNAMTS, 7 juillet, 2011). Cela s‟expliquerait par les nombreuses mesures sur la décélération des soins ambulatoires et des médicaments ainsi que des gains obtenus dans la délivrance des soins : ajustement des tarifs et des niveaux de remboursement, développement des génériques et maîtrise des volumes, mise en place de la tarification à l‟activité (T2A), convergence tarifaire des hôpitaux et cliniques, développement de la chirurgie ambulatoire, développement des référentiels de bonnes pratiques et de prise en charge, etc. Si l‟assurance maladie identifie encore un grand nombre de sujets qui pourraient être sources d‟efficience tant en termes de santé publique qu‟en termes financiers, il n‟en demeure pas moins que la France, comme tous les pays développés, est confrontée à un déficit structurel de ses dépenses de santé. A propos de la sécurité sociale, notons intervenants dans les cliniques privées ne sont pas comptabilisées dans les « soins hospitaliers » mais dans les « soins ambulatoires » sous la ligne « médecins ». 4 La CSBM est l‟un des principaux agrégats relatant de la consommation de soins en France ; l‟autre agrégat qui est couramment utilisé est la « dépense courante de santé » (DCS). Outre les postes inclus dans la CSBM, la DCS comprend les soins aux personnes âgées en établissement, les indemnités journalières versées par l‟assurance maladie, les subventions reçues par le système de santé (c‟est-à- dire les prises en charge par l‟assurance maladie de certaines cotisations sociales des professionnels de santé), les dépenses de prévention organisée (individuelles ou collectives), de recherche et de formation médicales ainsi que les coûts de gestion de la santé. Caryn MATHY 16
que dans son rapport de septembre 2011, La Cours des Comptes note que : « Jamais le déficit de la sécurité sociale n‟a atteint un niveau aussi élevé qu‟en 2010. A -29,8 Md€, le déficit cumulé des régimes de base et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) a un caractère historique. Il a plus que triplé en deux ans (- 8,9 Md€ en 2008). Le niveau exceptionnellement élevé des déficits ne s‟explique que partiellement par la crise économique. Moins de la moitié de celui du régime général provient de la faiblesse de la conjoncture : les facteurs structurels expliquent environ 0,7 point d‟un déficit qui a représenté 1,2 point de PIB en 2010.5 » (Cours des comptes, 2011, p.3). Et d‟ajouter : « Revenir à l‟équilibre des comptes sociaux est ainsi un impératif premier et essentiel » (Cours des Comptes, 2011). Concernant les dépenses de santé, La Cours des Comptes mentionne que : « L‟effort accru de rétablissement des comptes doit par priorité concerner l‟assurance maladie, dont le déficit représente près de la moitié de celui du régime général. Certes l‟ONDAM a été respecté en 2010, pour la deuxième fois seulement depuis son institution. Ce résultat en soi positif, s‟il est dû à un pilotage plus fin et plus ferme de la dépense, est aussi lié à des facteurs circonstanciels. La tenue dans la durée d‟un ONDAM resserré nécessite d‟amplifier considérablement les efforts et de mobiliser avec constance toutes les marges d‟efficience possibles. » (Cours des Comptes, 2011, p.4) De toute évidence, la solution n‟est pas simple. Les économistes de la santé débattent du sujet depuis plusieurs décennies : les uns prônant une libéralisation du système tandis que les autres, au contraire, une décentralisation, en passant bien évidemment par la dérégulation sous toutes ses formes. Pourtant, une solution innovante est apparue depuis peu : celle de l‟innovation disruptive6 qui pourrait être à l‟origine d‟un changement de paradigme des systèmes de santé. C‟est cette théorie et ses implications, que nous exposons et analysons dans la partie suivante. 5 La cours de comptes poursuit par : « Leur accumulation entretient une spirale d‟accroissement de la dette sociale : l‟endettement du régime général préfinancé par l‟agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) a doublé d‟une année sur l‟autre pour atteindre 49,5 Md€ et celui porté par la caisse d‟amortissement de la dette sociale (CADES) est de 86,7 Md€, soit un total de 136,2 Md€ fin 2010. Comme l‟a déjà exprimé la Cour, notamment dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin dernier, la dette sociale constitue en elle-même une anomalie. Aucun de nos grands voisins européens n‟accepte des déséquilibres durables de sa protection sociale. » 6 Nous expliquons dans la partie suivante le choix de ce vocabulaire. Caryn MATHY 17
3 INNOVATION ET CHANGEMENT ECONOMIQUE Comme nous l‟avons vu précédemment, les systèmes de santé des pays développés, dont celui de la France, sont globalement confrontés à une augmentation de leurs dépenses qui est supérieure à celle de leurs recettes. Le déficit généré est d‟autant plus grave qu‟il est structurel, au-delà des effets amplificateurs négatifs de phénomènes économiques comme la crise que nous traversons depuis 2008. Malgré les innombrables réformes visant à réduire les coûts et/ou à augmenter les recettes, il semble que la solution de long terme ne se situe pas à ce niveau mais à un autre, plus structurel et systémique. Les travaux de Schumpeter (Schumpeter, 1942) et le concept de destruction créatrice (creative destruction) ont donné lieu à de multiples développements et en particulier sur la question de l‟innovation comme moteur de changement structurel et de croissance économique. Selon l‟auteur : « Le capitalisme (..) constitue, de par sa nature, un type ou une méthode de transformation économique et, non seulement il n'est jamais stationnaire, mais il ne pourrait jamais le devenir. Or, ce caractère évolutionniste du processus capitaliste ne tient pas seulement au fait que la vie économique s'écoule dans un cadre social et naturel qui se transforme incessamment et dont les transformations modifient les données de l'action économique : certes, ce facteur est important, mais, bien que de telles transformations (guerres, révolutions, etc.) conditionnent fréquemment les mutations industrielles, elles n'en constituent pas les moteurs primordiaux. Le caractère évolutionniste du régime ne tient pas davantage à un accroissement quasi- automatique de la population et du capital, ni aux caprices des systèmes monétaires - car ces facteurs, eux aussi, constituent des conditions et non des causes premières. En fait, l'impulsion fondamentale qui met et maintient en mouvement la machine capitaliste est imprimée par les nouveaux objets de consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les nouveaux marchés, les nouveaux types d'organisation industrielle - tous éléments créés par l'initiative capitaliste. (…) depuis le four à charbon de bois jusqu'à nos hauts fourneaux contemporains, ou de l'histoire de l'équipement productif d'énergie, depuis la roue hydraulique jusqu'à la turbine moderne, ou de l'histoire des transports, depuis la diligence jusqu'à l'avion. L'ouverture de nouveaux marchés nationaux ou extérieurs et le développement des organisations productives, depuis l'atelier artisanal et la manufacture jusqu'aux entreprises amalgamées telles que l‘U.S. Steel, constituent d'autres exemples du même processus de mutation industrielle - si l'on me passe cette expression biologique – qui révolutionne incessamment7 de l'intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs. Ce processus de Destruction Créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme : c'est en elle que consiste, en dernière analyse, le capitalisme et toute entreprise capitaliste doit, bon gré mal gré, s'y adapter » (Schumpeter, 1942, p.93). 7 A strictement parler, ces révolutions ne sont pas incessantes : elles se réalisent par poussées disjointes, séparées les unes des autres par des périodes de calme relatif. Néanmoins, le processus dans son ensemble agit sans interruption, en ce sens qu'à tout moment ou bien une révolution se produit ou bien les résultats d'une révolution sont assimilés. Caryn MATHY 18
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