Les missions de chantiers - Marc Riopel Histoire Québec - Érudit
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Document generated on 03/11/2022 12:32 p.m. Histoire Québec Les missions de chantiers Marc Riopel Volume 8, Number 3, March 2003 URI: https://id.erudit.org/iderudit/11212ac See table of contents Publisher(s) La Fédération des sociétés d'histoire du Québec ISSN 1201-4710 (print) 1923-2101 (digital) Explore this journal Cite this article Riopel, M. (2003). Les missions de chantiers. Histoire Québec, 8(3), 32–36. Tous droits réservés © La Fédération des sociétés d'histoire du Québec, 2003 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
AU LAC TEMISCAMINGUE la Pointe-à-la-Barbe, à quelques milles au sud de la mission Saint-Claude. M. Bonin et son cuisinier, Jean-Thomas Hébert, s'ins- Les missions de chantiers tallent à la rivière Montréal. L'année sui- vante, Edouard Piché, embauché par Tho- mas Murray de Pembroke, coupe du bois Par MARC RIOPEL, historien dans le canton Guigues. L'activité des mar- chands de bois s'intensifie de manière qu'en 1863, lorsque les pères oblats construisent Ce texte est tiré de la brochure suivante : Marc Riopel, Sur les traces des Robes noires la mission Saint-Claude, cinq chantiers sont au Témiscamingue, Ville-Marie, Société d'histoire du Témiscamingue, Collection Mai- en opération. Pendant l'été 1863, Joseph son du Colon no 3,1991, 58 pages. Cette brochure décrit le processus d'implantation Miron arrive avec sa famille à Opémica, du catholicisme sur les rives du lac Témiscamingue, au XIXe siècle. Elle présente le pour faire le commerce du bois. En 1865, travail des missionnaires auprès des j^lgonquins, des bûcherons et des colons. Nous M. Humphry fait le commerce du bois dans avons retenu ici un volet, celui des missions des chantiers forestiers. la partie supérieure du lac et construit son dépôt à l'endroit connu aujourd'hui sous le nom d'Haileybury. Un peu plus tard, k e travail des missionnaires au lac faut attendre en 1836 avant de revoir des Humphry construit un autre dépôt à la dé- Témiscamingue comporte un autre volet, marchands de bois sur les rives du lac charge de la rivière Kipawa pour approvi- la mission des chantiers forestiers. Autant Témiscamingue. Il s'agit des frères sionner ses chantiers de ce secteur. En il était important pour le clergé québécois McConnell qui coupent des arbres à la 1866, les McLaren exploitent à leur tour des de prendre pied dans des terres dites infi- pointe Opémica, sur la rive ontarienne du chantiers sur la rive ontarienne. En 1873, dèles, autant il s'avérait important de pro- lac, connu aujourd'hui sous le nom un entrepreneur construit un premier mou- téger ses acquis et de poursuivre l'encadre- McLaren's Bay. En 1840, la Compagnie de lin à scie au lac Témiscamingue. Propriété ment religieux auprès des bûcherons ca- la Baie-d'Hudson diversifie ses activités et d'Olivier Latour, ce moulin se situe un peu nadiens-français. D'autant plus que le se lance dans l'exploitation forestière au au nord de la décharge de la rivière Kipawa. temps de l'année où se déroulent les mis- Témiscamingue. Elle exerce cette activité Latour fabrique des rames servant à des- sions des chantiers favorisent l'ajout de à peine cinq ans. Les bas prix payés pour cendre les radeaux de bois. cette tâche aux missionnaires: en effet, ces le bois équarri sur les marchés obligent non En 1868, l'État québécois met en dernières missions se font pendant l'hiver seulement la Compagnie de la Baie-d'Hud- vente 5 664 milles carrés de concessions tandis que celles des Algonquins se dérou- son mais aussi les frères McConnell à aban- forestières dans la Mauricie et dans lent pendant l'été. En ajoutant les visites donner leurs chantiers en 1843. La Com- l'Outaouais supérieur. Cette dernière région des chantiers à celles des Algonquins, le pagnie fait un autre essai en 1845, mais est connue sous le nom du Bloc A du Pon- clergé concrétise son emprise religieuse sur devant les résultats peu concluants, elle tiac et englobe le Témiscamingue et une les habitants du territoire du Témisca- délaisse cette activité au lac Témisca- partie de l'Abitibi. En 1874, d'autres con- mingue, qu'ils soient Algonquins ou Cana- mingue. Vers 1858, elle débute l'exploita- cessions forestières sont mises en vente diens. tion forestière au Grand-Lac Victoria. Pen- dans la région du Témiscamingue. Ainsi, dant sept années consécutives, la Compa- au milieu des années 1870, les compagnies L'emplacement des chantiers forestiers gnie de la Baie d'Hudson embauche des suivantes exploitent des chantiers forestiers Avant d'aborder le déroulement des mis- bûcherons et des équarrisseurs pour ses autour des lacs Kipawa et Témiscamingue: sions des chantiers, traçons d'abord un bref chantiers. M. Angus Cameron agit alors à Booth, Gillies, McLaughlin et Eddy. En oc- survol des débuts de l'exploitation forestière titre de bourgeois du fort au Grand Lac. Les tobre 1880, des exploitants forestiers achè- au Témiscamingue. Au 19e siècle, deux pha- cages de bois mettent deux ans à se rendre tent 3 243 milles carrés de concessions si- ses marquent la mise en valeur des forêts au port de Québec. tuées dans le Bloc A. Puis en 1885 et 1905, témiscamiennes. La première se déroule de L'exploitation des forêts témisca- d'autres concessions sont aussi vendues aux 1799 à 1873. Il s'agit alors des débuts timi- miennes reprend au début des années 1860. enchères publiques. des de ce secteur d'activités. La seconde En 1860, Richard McConnell et ses frères Ainsi, en 1885,40 chantiers forestiers phase, 1874 à 1917, se caractérise par l'af- construisent trois chantiers forestiers au s'activent autour des lacs Témiscamingue, fermage de grandes superficies de conces- même endroit qu'auparavant. Jean-Bap- Kipawa, des Quinze, Simard et autour des sions forestières et l'assaut de pineraies tiste Jolicœur et Joseph Bonin viennent y rivières Montréal et Blanche, toutes deux témiscamiennes par les marchands de bois. travailler la même année. En 1861, ils achè- situées en Ontario. Deux mille voyageurs Un premier arbre est abattu sur les rives tent les concessions forestières de J.-R. (des bûcherons itinérants embauchés à l'ex- du lac Témiscamingue en 1799. Ensuite, il Booth, situées entre la rivière Montréal et térieur de la région) travaillent dans ces HISTOIRE QUEBEC MARS 2003 PAfiE 32
chantiers. En 1900, les exploitants fores- total, 1 459 bûcherons s'activent dans 36 Sur le lac Kipawa tiers embauchent 5 000 hommes qui utili- chantiers, exploités par 16 marchands de sent 2 000 chevaux dans leurs chantiers. bois. Le tableau 1 présente le nom du dé- Dépôt Russell: Les principaux marchands de bois de cette pôt, son personnel (nom et fonction), le nom M. Russell de Renfrew fait chantier sur les époque se nomment: J.-R. Booth, W.-C. du propriétaire du chantier, le nombre limites de M. Pearley. Edwards, Fraser & Cie, McLaren, Sheppard d'hommes qu'il contient et dans plusieurs Premier chantier Russell-Pearley: & Morse, Gillies Brothers, Hawkesbury cas, la nationalité et la religion des bûche- 28 hommes, dont 20 Canadiens, avec un Lumber, Brownson, Klock et McLaghlin. rons. foreman, M. Duncan Camel. Lors des visites des chantiers de 1885 Second chantier Russell-Pearley: et 1887, le père Mourier, un des mission- Tableau 1: Le réseau de chan- 28 hommes, dont 10 anglais, avec un naires chargés de ces missions, donne des tiers et de dépôts forestiers en foreman, M. Steward. détails fort pertinents sur l'emplacement 1885 des chantiers, le nom de l'exploitant, le Chantier de M. Charrest: nombre de bûcherons et leur religion. Ces Sur le lac Témiscamingue 20 hommes, tous Canadiens sauf un. données s'avèrent originales à plusieurs as- (faiseur de billots pour M. Pearley) Dépôt d'Young: pects. En effet, il s'agit des seules sources Dépôt de M. Edward: Commis, M. Hollrooke, le foreman de la fer- datant du 19e siècle à fournir autant de M.M. Ralph, agent, Donning, son beau- me et sa dame, monsieur et madame Aylmer. détails sur les bûcherons, leur nom, leur père, inspecteur des billots, le jeune Premier chantier de M. Young; nationalité, leur religion et sur les exploi- Rankin. 35 hommes, tous Canadiens à part sept et tants forestiers ainsi que sur l'emplacement Premier chantier de M. Edward: deux ou trois protestants, avec John des chantiers. Habituellement, les sources 34 environ, moitié anglais, moitié Cana- Nagarty comme foreman, un catholique. fournissent des détails sur les activités d'un diens, recrutés de la Gaspésie aux frontiè- Deuxième chantier de M. Young: seul marchand de bois, comme les contrats res du Haut Canada, avec un foreman, M. 35 hommes, presque tous Canadiens et ca- d'embauché des bûcherons et des draveurs Berry. tholiques, avec M. Steward comme pour le compte de l'entrepreneur George foreman, un protestant. Second chantier d'Edward: Meech dans le secteur du lac Kipawa dans Une trentaine d'hommes, avec un les années 1860,1870 et 1880. Les manus- Dépôt de M. Olivier Latour: foreman, M. Rice. crits des chantiers du père Mourier per- M. Charrest, agent, M. Baril, commis, un mettent également de valider les renseigne- jeune du nom de Sauvé, le forgeron nommé Dépôt de M. Eddy: ments généraux fournis dans les ouvrages Patenaude de Chicoutimi dans le Saguenay, L'agent de M. Eddy est un M. Brock; le cui- historiques. À titre d'exemple, Augustin quelques Autrichiens. sinier, M. Weasel, un Suisse d'origine. Chénier écrit, dans ses Notes historiques Premier chantier M. Olivier Latour: Chantier de Keesik: publiées en 1937, qu'en 1885,40 chantiers 35 hommes, parmi lesquels un Iroquois de 25 hommes, dont six Irlandais, tous catho- forestiers s'activent dans la région et qu'on Caughnawagae, 3 Autrichiens, un Italien, 4 liques sauf deux, avec un foreman, M. Allan y retrouve 2 000 bûcherons voyageurs. Les Irlandais et les autres, Canadiens, avec un Cameron. données des manuscrits Mourier, une fois foreman Irlandais, Pat Foley, et catholique, Chantier de M. John England: compilées, permettent d'établir le tableau et le commis, M. McPherson, un Écossais. Petit chantier de cinq ou six hommes, tous 1. Canadiens. Deuxième chantier de Olivier Latour: Jetons un coup d'oeil sur ces infor- 45 hommes, dont plusieurs Autrichiens, Chantier de M. John Thompson: mations, concernant les chantiers forestiers deux ou trois Irlandais et les autres, Cana- 40 hommes, moitié anglais et protestants, autour des lacs Kipawa et Témiscamingue. diens, foreman: Rémy Martel sous la direction de M. Daniel Fergusson. Pendant la saison 1885, les marchands de Premier chantier de M. McLaren : Chantier de M. Séguin : bois s'affairent dans trois grands secteurs 46 hommes, dont une vingtaine de Cana- 15 hommes, tous Canadiens et catholiques de coupe: le lac Témiscamingue, le lac diens et d'Irlandais, avec un foreman, Alex (seul chantier canadien-français). Kipawa et le lac des Loups. En général, les Wills. marchands de bois exploitent entre un et Chantier de M. Eddy: trois chantiers et un contremaître super- Second chantier de M. McClaren: 62 hommes, avec un foreman, M. John vise tous les travailleurs d'un chantier. Le Environ quarante hommes, presque tous McEwen. nombre de bûcherons dans un chantier, en Canadiens, de la région de Gatineau, avec Chantier de M. Eddy: 1885, varie entre 5 hommes pour un très un foreman, M. Monroe. 36 hommes, de nationalité et de croyance petit chantier, 40 pour un moyen et 80 pour Chantier de M. Jodouin: diverses, sous la direction de M. McClaren, un gros chantier. La moyenne de bûche- Jodouin fait des billots pour McClaren, avec un protestant. rons par chantier se chiffre ainsi à 40. Au cinq ou six hommes. HISTOIRE QUEBEC MARS 2003 PAfiE 33
Sur la Magni Sipi Premier chantier des Banques: Premier chantier Booth-Gordon: 60 hommes, de nationalités et croyances 40 hommes, sous la direction de M. Premier chantier de M. Eddy: diverses, sous la conduite de M. Spierman. Fergusson. 62 hommes, en majorité Canadiens, sauf 10 Irlandais et quelques protestants, avec Second chantier des Banques: Second chantier Booth-Gordon: un foreman, M. John Foley, un Irlandais 50 hommes, tous catholiques, sous la di- 25 hommes, sous la direction de M. Taylor. catholique. rection de M. James Paul, un protestant. Un autre groupe travaille sous la direction de Georges Laplante. Second chantier de M. Eddy: Sur TOstabwaninq *** 72 hommes (un des plus gros chantiers), En 1887, la situation générale ne d'origines diverses: Canadiens, Français, Premier chantier de M. Guilmore: change presque pas. On retrouve, toujours Anglais, Irlandais, Écossais, et des catholi- 50 hommes, sous la direction de M. selon la mission des chantiers du père ques et des protestants, sous la direction McNaughten. Mourier, 1 344 bûcherons répartis dans 30 de M. O'Neill, un Irlandais catholique. Second chantier de M. Guilmore: chantiers, pour une moyenne de 44 bûche- Troisième chantier Eddy: 58 hommes, presque tous Canadiens et ca- rons par chantier (à noter que le nombre 52 hommes, presque tous Canadiens et ca- tholiques, sous la direction de M. Filion. exact de chantiers est de 34, mais pour 4 tholiques, avec un foreman, M. Ouellette, Dépôt de M. David Moore: d'entre eux, le père Mourier ne fournit pas un jeune canadien. Pour agent, M. James Cox, pour mesureur le nombre de bûcherons. De plus, dans Dépôt de M. White: et inspecteur des billots, M. Locknam et M. quelques cas, le nombre indiqué est géné- Un autre puissant bourgeois de chantier, M. Draper, tous trois catholiques. ral, par exemple, une quarantaine de bû- Hamelin, agent, M. Roary McDonald, ins- Premier chantier de M. David Moore: cherons). Dix marchands de bois s'affai- pecteur des billots, et le cuisinier, M. Ricard. 58 hommes, de nationalité et de religion rent dans les forêts témiscamiennes, diverses, avec un foreman, M. McGilvray, principalement autour de la rivière Mont- Premier chantier White: un protestant. réal, du lac et de la rivière Kipawa, du lac 80 hommes, de nationalité et de religion Albert, du lac Bashing, du lac Bois Franc, différentes (le plus gros des chantiers pour Second chantier de David Moore: la rivière Mainganisipi (rivière aux Loups), cet hiver), avec un foreman, M. Makonike. 50 hommes, sous la direction de Patrick la rivière du Jardin et le lac Hunter Second chantier de M. White; Cox, frère de l'agent du dépôt de Moore. (Hunter's Point). Robert Hurdmann est le 50 hommes, de nationalité et de religion marchand le plus actif en 1887 avec 14 différentes, sous la conduite de M. James Sur le lac Kipawa chantiers, suivi de Eza Butler Eddy avec McClean, le commis est un jeune homme Dépôt II uni m a n n: sept, six autres possèdent deux chantiers du nom de Owens. L'agent M. Spriggs, ancien capitaine du Ja- chacun (Pearley, Russell, Moore, Gordon, son Gould, bateau à vapeur sur le Muskat Edward, Thompson) et M. Griers en ex- Rivière du Jardin ploite un seul. Lake près de Pembroke. Chantier de M. Griers: Premier chantier de M. Il uni m ami : Lorsque l'hiver est bien installé, les 25 hommes de métier, sous la conduite de 50 hommes, de nationalité et de religion missionnaires vont rendre visite à ces hom- M. Haring. diverses, sous la direction de M. Eddy. mes des chantiers forestiers. Second chantier de M. Hurdmann: Sur la Kippawa 54 hommes, presque tous Canadiens et ca- Le déroulement des missions de chantiers tholiques, sous la direction de M. Kanady, Vers le milieu du mois de janvier, lorsque la Dépôt de M. Olivier Latour: un catholique. neige couvre les chemins et que la glace Le cuisinier du dépôt est un nommé Blon- porte solidement les lacs et rivières, sonne din, de Hull, et il y a aussi un Prussien. le départ des missionnaires pour la mission Premier chantier de M. Olivier Latour: Lac Bois Franc des chantiers. Deux missionnaires partent 28 hommes, avec un foreman, M. Laporte, Dépôt Booth-Gordon: pour plusieurs semaines, se rendant de un Canadien. Une vraie petite tour de Babel: une famille chantier en chantier donner la mission ca- Second chantier de M. Olivier Latour : sauvage résidante sur le lac, la famille de tholique aux bûcherons. Ils entreprennent 31 hommes, tous Canadiens, sous la direc- Sévère Férusse, Pierre Pitanamo chef des un long périple, s'étendant de janvier à mars, tion de M. Cyrille Larocque. Algonquins du lac Kippawa, un Arabe-Sy- soit avant la période de la fonte des glaces. rien tombé là je ne sais trop comment, un Les missions des chantiers du Témis- Sur le Skunk Lake Irlandais nommé Fits-Henry, deux Cana- camingue débutent à compter de 1864, lors diens, Vachon, Morin, un Français,un jon- du premier hiver passé dans la région par Dépôt des Banques: glais, M. Gordon junior, avec plusieurs char- les Missionnaires oblats de la mission Saint- M. John Thompson est agent et M. McLean, retiers protestants. Claude. Par contre, la présence de bûche- commis. IIIS101 Kl QUEBEC MARS 2003 PAfiE 34
rons catholiques canadiens-français parmi utiliser des raquettes pour se rendre d'un le missionnaire mange avec les bûcherons des îlots de protestants préoccupe les mis- chantier à l'autre. Utilisant les raquettes et débute lentement sa préparation pour sionnaires depuis fort longtemps. Cette pour la première fois, les pères trouvent la mission. Vers 21 h 00, la mission com- préoccupation remonte en fait au début des l'expérience particulièrement pénible. Une mence avec le chant de cantiques, l'instruc- missions algonquines, dans les années 1830. fois la visite de ces chantiers terminée, ils tion religieuse, la prière du soir et, la tâ- L'exploitation forestière s'intensifie, à cette prennent la direction d'Opémican où s'élè- che la plus longue, les confessions qui se époque, dans l'Outaouais où s'activent plu- vent d'autres chantiers forestiers. Le re- terminent vers minuit. On installe un con- sieurs bûcherons dans les chantiers. Les tour à la mission Saint-Claude s'effectue fessionnal de fortune à l'aide de deux cou- missionnaires craignent pour la moralité des dans des conditions difficiles, une tempête vertes tendues dans un coin du chantier. bûcherons catholiques, puisqu'ils côtoient de neige ayant complètement effacé les tra- Une fois les confessions terminées, le mis- à chaque jour des protestants et qu'ils n'ont ces de leurs chevaux. sionnaire va se coucher sur un lit fait de aucune église ou école à proximité pour ren- Certains chantiers forestiers se si- bois équarri, recouvert de branches de sa- forcer leurs principes catholiques. tuent à proximité de la mission Saint- pin comme matelas. À 4 h 00, sonne l'heure La peur que les catholiques ne prati- Claude sur le lac Témiscamingue, tandis du lever et du début de la messe, à laquelle quent plus et abandonnent leur religion, que d'autres, la majorité en fait, s'élèvent communient les hommes confessés la veille. hante les missionnaires qui recommandent beaucoup plus loin. Les missionnaires doi- Un baril de lard ou de farine sert d'autel. à leur évêque de s'établir parmi eux ou en- vent alors préparer leurs affaires et leur Le missionnaire prêche encore, reçoit ses core de les envoyer les visiter. Ainsi, dans traîneau pour un long voyage. Ils reçoivent auditeurs dans les associations du Saint- les années 1830 et 1840, débute sur une l'aide des sœurs Grises à cette fin. Ces der- Rosaire et de la tempérance. Il fait aussi base régulière les missions auprès des bû- nières préparent les habits des missionnai- une quête parmi les bûcherons. Une fois le cherons. Ces missions se limitent, dans ces res, les couvertures, le linge sacré, les li- jour levé, les bûcherons se rendent à leur années-là, à la région de l'Outaouais. vres religieux, le vin de messe et l'autel travail et le missionnaire reprend la route Au début des missions de chantiers, portatif. Une fois le matériel préparé et les vers un autre chantier. le centre des activités des missionnaires est missionnaires prêts à partir, un charretier Dans la majorité des chantiers fores- établi à Ottawa. Par la suite, il déménage à attelle les chevaux au traîneau et prend la tiers, les missionnaires sont très bien re- Maniwaki, puis à la mission Saint-Claude direction des chantiers. Le frère Moffette çus, tant de la part des bûcherons que des du lac Témiscamingue, à compter de 1864, agit souvent à titre de conducteur des mis- contremaîtres. Par contre, il arrive que le et à Mattawa, en 1868. En 1877, trois grou- sionnaires des chantiers. L'équipage missionnaire ne se sente pas à l'aise dans pes de missionnaires se partagent les mis- s'aventure dans les forêts, utilisant des un chantier et qu'il y rencontre de l'oppo- sions des chantiers. Un premier groupe vi- chemins peu pratiqués, vaguement connus, sition lorsque celui-ci se compose en ma- site les rivières Coulonge, Rivière Noire, dont les pistes sont souvent recouvertes de jorité de gens d'autres religions. Ainsi, ra- Dumoine et des Outaouais, de Pembroke à neige. Le voyage se faisant par une tempé- conte le père Mourier, un jour il se rend la Roche Capitaine. Un second groupe se rature assez froide, il arrive fréquemment dans un chantier composé de 10 catholi- voit confier le secteur formé des lacs que les missionnaires se gèlent les pieds, ques et de 20 protestants. La mission du Témiscamingue et Kipawa, des rivières les doigts ou encore la figure. Le voyage soir et les confessions se déroulent bien. Maganasipi, Mattawa et des Outaouais, de d'un chantier à l'autre se fait pendant le Le lendemain matin, le père Mourier se la Roche Capitaine à la tête du lac Témis- jour. Parti tôt le matin d'un chantier, l'équi- prépare à chanter la messe, au milieu des camingue et du lac Nipissing. Finalement, page arrive à la fin de l'après-midi à un rires et des discussions des protestants, un troisième groupe se charge, à partir de autre campement. Une fois rendu dans un ayant même, précise-t-il, gardé leur tuque Hull du même territoire que le premier secteur précis en forêt, les deux mission- et la pipe au bec. Lorsqu'arrive le temps groupe, en plus des rivières Madawaska, naires se séparent les chantiers à visiter. de la messe, l'atmosphère ne change pas. Bonnechère et Petewawa. Si le missionnaire arrive assez tôt au Le père Mourier leur dit alors de rester Au Témiscamingue, les missionnai- chantier, il accueille les bûcherons à leur polis, de respecter le silence pendant l'of- res exercent la mission des chantiers de- retour du travail, vers 16 h 00 ou 17 h 00. fice religieux, d'enlever leur tuque et de puis leur établissement sur lesrivesdu lac Il discute avec eux, s'informe de leur état serrer leur pipe. Les protestants obéissent Témiscamingue, soit à l'hiver 1864. Cet civil, de leur provenance. Certains mission- alors sans riposter. Les missionnaires clas- hiver-là, les pères Lebret et Pian rendent naires se livrent même à quelques jeux sified les chantiers selon trois catégories: visite aux bûcherons des chantiers du lac avec les bûcherons, notamment le tir au les bons, les douteux et les mauvais. Dans Kipawa et du lac Témiscamingue. Ils par- poignet. Le père Louis Reboul, un des plus certains cas, le missionnaire refuse de dire tent de la mission Saint-Claude en traîneau, célèbres missionnaires des chantiers de la messe le lendemain si les hommes ne se tiré par des chevaux, jusqu'au lac Kipawa, Mattawa, adore particulièrement le tir au sont pas confessés la veille. Plusieurs bû- guidés et accompagnés par un Algonquin. poignet et, selon les sources consultées, il cherons, au travail dans la région, sont Les deux missionnaires doivent ensuite perd rarement une confrontation. Ensuite, anglophones et protestants. Il arrive que HISTOIRE QUEBEC MARS 2003 PAfiE 35
des chantiers réunissent uniquement de ces Tableau 2: Les missionnaires missionnaires entreprennent les missions gens d'autre religion, alors le missionnaire des chantiers, 1863-1881 des chantiers forestiers, afin de rappeler ne rencontre pas d'oreilles attentives à ses 1863 Pian et Mourier aux bûcherons catholiques leurs origines propos. 1864 Pian et Mourier et leurs principes religieux. Malgré quelques accrochages occa- 1865 Pian et Lebret Les écrits des pères oblats indiquent sionnels de ce genre, les missionnaires ne 1866 Lebret et Guéguen que les missions de chantiers connaissent rencontrent pas de grande résistance au 1867 Lebret et Guéguen des succès intéressants, tant au niveau spi- déroulement de la mission catholique. Dans 1868 Lebret et Guéguen rituel que matériel. En effet, concernant le un rapport daté de 1872, le père Vanden- 1869 Pian et Nédelec; Guéguen seul; spirituel, les bûcherons catholiques parti- berghe écrit que les visites de chantiers Nédelec et Poitras cipent, en général, assidûment à la mission rapportent l'année précédente à la congré- 1870 Guéguen et Nédelec et les bûcherons protestants n'entravent gation la somme de 1 532$. Dans une let- 1871 Poitras et Guéguen pas le travail du missionnaire, sauf en quel- 1872 Pian et Guéguen; Guéguen et tre adressée au provincial des oblats en ques occasions. Les contremaîtres de chan- Nédelec 1886, le père Therrien, directeur de la mis- tiers, la majorité du temps protestants, ne 1873 Guéguen et Poitras sion Saint-Claude, écrit que la mission des s'opposent pas à la venue du prêtre catho- 1874 Nédelec et Poitras; Guéguen et chantiers rapporte annuellement 1 000$, Nédelec lique, lui facilitant même le travail en le somme qui sert à entretenir la résidence 1875 Guéguen et Nédelec logeant et le nourrissant. Les plus gros îlots du lac Témiscamingue. 1876 Guéguen et Prévost de résistance se situent dans les chantiers Les visites des travailleurs forestiers 1877 Poitras et Guéguen, conduit par le composés presqu'uniquement de protes- ne s'arrêtent pas uniquement aux bûche- frère Moffette tants. Mais encore là, ce n'est pas tragique rons. En effet, au printemps et à l'été, les 1878 Guéguen et Prévost, conduit par le puisque le but de ces missions consiste plus missionnaires visitent également les frère Moffette à protéger les âmes des catholiques qu'à draveurs et les travailleurs du chemin de 1879 Guéguen et Prévost, conduit par le convertir celles des protestants. Au niveau fer. Lors d'une mission au Long-Sault à l'été frère Moffette matériel, la quête ramassée dans les chan- 1880 Mourier, Guéguen et frère Verrette; tiers se chiffre à 1 000 $ annuellement dans 1886, le père Mourier rencontre les tra- Mourier et Nédelec les années 1870 et 1880. Elle sert en par- vailleurs du chemin de fer entre Mattawa 1881 Mourier et Guéguen; Guéguen et tie à financer l'entretien de la résidence et le pied du lac Témiscamingue. À ces vi- Nédelec; sites, il ajoute celles des familles vivant à Saint-Claude et de ses habitants. Les som- Pian et Laverlochère autour lac l'embouchure des rivières Kipawa, Gordon mes recueillies démontrent une partie de Témiscamingue et Montréal, et celles du Long-Sault. Il pro- 1882 Guéguen et Nédelec l'appréciation des bûcherons catholiques. fite du passage d'une cage de bois pour al- 1883 Guéguen et Paradis; Mourier La réussite des missions des chan- ler y rencontrer les draveurs. Le père passe autour du lac Témiscamingue tiers était tout de même facile à prévoir une journée sur cette cage de bois, à dire 1884 Guéguen et Paradis; Mourier puisque les missionnaires travaillent en la mission et à confesser les travailleurs. Il autour du lac Témiscamingue terrain connu, auprès d'une clientèle ga- couche sous la tente levée sur ce radeau 1885 Guéguen et Mourier gnée à l'avance. Contrairement au travail de bois. Tôt le lendemain matin, des jeu- 1886 Guéguen et Mourier auprès des Algonquins, où les missionnai- nes hommes préparent un autel: certains 1887 Guéguen et Mourier res doivent imposer de nouvelles croyan- coupent des arbres, amassent de la verdure Conclusion ces, la mission des chantiers fournit l'oc- d'érable, pendant que d'autres préparent Après l'établissement permanent au milieu casion aux bûcherons de pratiquer leur un petit autel rustique. Une fois la mission des Algonquins du lac Témis-camingue, les religion. Il faut tout de même relativiser ce terminée, cinq hommes conduisent le père missionnaires poursuivent leur travail succès puisque, même s'ils participent as- Mourier en bateau à Opémican, à l'auberge d'implantation du catholicisme dans la ré- sidûment à la mission, il n'est pas certain tenue par Joseph Jodoin. Le père rencon- gion en s'attaquant cette fois-ci à un groupe que tous les bûcherons exercent quotidien- tre d'autres draveurs, campés ici et là sur connu, les bûcherons canadiens-français et nement leur religion par des prières ou le lac Témiscamingue. Puis, sa mission ter- catholiques. Le but de ces missions consiste autres gestes. Les bûcherons sont aussi minée, il embarque à bord du Mattawan, en la protection des valeurs et croyances reconnus pour leur parler entrecoupé de amarré à Opémican, et gagne la mission catholiques des bûcherons ayant été bap- nombreux sacres et jurons. La sortie des Saint-Claude, marquant la fin de sa mis- tisés et élevés selon les principes de cette bûcherons des chantiers s'accompagne sion d'été. religion. Une fois loin de leur paroisse na- souvent de longues soirées de fêtes, ce qui Dans le Codex historicus de la mis- tale et au milieu de protestants, les mis- tracasse à maintes reprises les missionnai- sion Saint-Claude, le père Mourier trace un sionnaires craignent de perdre ces bûche- res, ainsi que leurs discours en témoignent. tableau des missionnaires des chantiers fo- rons au profit du protestantisme ou de restiers de 1863 à 1881. l'athéisme. Pour contrer cette menace, les HISTOIRE QUEBEC MARS 2003 PAfiE 36
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