MADAME FAVART - Opéra Comique
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MADAME FAVART Opéra-comique en trois actes de Jacques Offenbach. Livret d’Alfred Duru et Henri Chivot. Créé aux Folies-Dramatiques le 28 décembre 1878. Direction musicale - Laurent Campellone Mise en scène - Anne Kessler - sociétaire de la Comédie-Française Dramaturgie - Guy Zilberstein Scénographie - Andrew D. Edwards Costumes - Bernadette Villard Chorégraphie - Glyslein Lefever Lumières - Arnaud Jung Cheffe de chant - Marine Thoreau La Salle Assistante musicale - Béatrice Berrut Assistant chorégraphie - Mikaël Fau Assistante mise en scène - Jeanne Pansard-Besson Assistante costumes - Alice Cambournac Madame Favart - Marion Lebègue Charles-Simon Favart - Christian Helmer Production Opéra Comique Coproduction Bru Zane, Opéra de Limoges, Théâtre de Caen Suzanne - Anne-Catherine Gillet Dans le cadre du 7e Festival Palazzetto Bru Zane Paris Hector de Boispréau - François Rougier Partitions éditées et mises à dispostion par le Palazzetto Bru Zane Le major Cotignac - Franck Leguérinel Le marquis de Pontsablé - Éric Huchet Biscotin - Lionel Peintre AVEC L'AIMABLE PARTICIPATION DE PARTENARIAT MÉDIA Durée estimée : 2h30, entracte compris Spectacle en français, surtitré en français et en anglais Le sergent Larose - Raphaël Brémard Enfant - Solal Dages-Des-Houx (20, 22, 30 juin) / Colin Renoir-Buisson (24, 26, 28 juin), Rencontre avec les artistes de la production mardi Maîtrise populaire de l’Opéra Comique 4 juin à 19h | Introduction au spectacle, 45 min. Chœur de l’Opéra de Limoges avant la représentation | Chantez Madame Favart, 45 min. avant la représentation Direction Edward Ananian-Cooper Orchestre de Chambre de Paris 2 3
À LIRE AVANT LE SPECTACLE Lorsqu’au XIXe siècle, on désignait l’Opéra Comique – à la Chambre des députés, au gouvernement, dans « Ma foi, il n’y a plus que l’Opéra Comique qui soutienne la réputation de la France. » la presse – comme « le théâtre du genre éminemment national », on y associait Voltaire à Justine Favart, lettre du 14 décembre 1765 Par Agnès Terrier les Favart. Sur leur scène parisienne, ils avaient peint leur époque, mais Les personnages de fiction sont et même trissés. 200 représentations aussi reconstitué des images du monde ingénieusement conçus par Chivot se succédèrent, suivies par des reprises – la Chine, la Turquie. Leurs idées et et Duru (librettistes entre autres de aux Bouffes-Parisiens en 1884, aux À propos de son arrière-grand-père, Pays-Bas autrichiens à la tête de l’armée le couple. Après sa mort, son mari (le La Fille du tambour-major d’Offenbach, Menus-Plaisirs en 1888, à l’Apollo en 1911 leurs pièces avait séduit Gluck, Haydn, le maréchal de Saxe, George Sand française lors de la Guerre de Succession « Molière de l’opéra » d’après Voltaire) des Chevaliers de la Table ronde et 1913. Entretemps l’œuvre avait paru Mozart… Pendant que l’Europe des écrivait : « Madame Favart est un gros d’Autriche. Quand il engagea en 1746 avait cessé d’écrire. Elle le dominait monarchies se déchirait, ils participaient d’Hervé, des Cent Vierges de Lecoq, en 1879 à Vienne, Leipzig et Berlin, puis péché dans sa vie, un péché que Dieu les Favart à venir diriger son « théâtre aux encore dans la mémoire collective, à l’Europe de la culture. de La Mascotte d’Audran). L’intrigue à Londres et New York. seul a pu lui pardonner. » armées », puis la Monnaie de Bruxelles, à travers récits biographiques et est impeccablement échevelée – Mais la mort d’Offenbach en 1880 avait Madame Favart – nom de scène il avait gagné le surnom de « Vainqueur adaptations théâtrales. Cette Lorsqu’Offenbach, musicien européen s’il mais moins que les authentiques été suivie de près par la création des de Justine Duronceray, épouse Favart de Fontenoy » par son autorité et son intellectuelle, amie de Crébillon et en fut, décida de résumer sa démarche tribulations de Justine et Charles- Contes d’Hoffmann à l’Opéra Comique. – était connue des romantiques qui génie tactique. Il était aussi « le plus bel de Voltaire, cette autrice et actrice artistique et de dire son amour Simon. Chaque scène est prétexte Ce chef-d’œuvre testamentaire conquit raffolaient des histoires d’artistes et de homme de son temps » (Grimm). Actrices vedette, réformatrice en France du jeu à la France, il écrivit Madame Favart. à déployer les arts du spectacle, rapidement les scènes internationales théâtre, où réalité et fiction se mêlent et danseuses ne lui résistaient pas plus dramatique et du costume de scène, Cet opéra-comique présente une facture jusqu’aux coulisses de La Chercheuse et éclipsa peu à peu des ouvrages dans un vertigineux mais éclairant que les bataillons impériaux. était restée fidèle à son mari : quel classique avec 23 numéros musicaux – d’esprit, un opéra-comique de 1743 comme Madame Favart. désordre. Sand mit tout son talent dans À part Madame Favart, dont la conquête modèle pour les épouses ! Un tel certains typiques d'Offenbach, signé Favart et Trial, donné à l'acte III. Le bicentenaire du compositeur a incité Consuelo (1842), vie d’une cantatrice même demeure incertaine. dévouement relativisait presque 27 ans d'autres inspirés de l’art forain des Une précision historique cependant : l’Opéra Comique, accompagné par dans l’Europe des Lumières, tandis Or les romantiques prisaient aussi de carrière et 42 créations. Favart. Au cœur de l’œuvre, une q u o i q u e p r é t e n d e l ’ h e u re u x le Palazzetto Bru Zane, à ranimer cette qu’au théâtre triomphaient Kean (1836) l’héroïsme des faibles, surtout celui des artiste transformiste mais probe, dénouement, Favart n’a jamais reçu œuvre inspirée de son histoire, mais de Dumas, puis Adrienne Lecouvreur femmes endurant épreuves et dangers La rue Favart était connue des Parisiens. charismatique mais solidaire, gaie du roi ses mandats à la tête de jamais jouée dans ses murs. Anne Kessler, (1849) de Scribe et Legouvé. pour sauver leur couple. De Leonore- Elle desservait la salle de l’Opéra mais intrépide. En écho à Flaubert, l’Opéra Comique, alors troupe foraine femme de théâtre comme Justine, fait Lecouvreur avait été, avant Justine Fidelio à Floria Tosca, en passant par Comique depuis son édification en 1783. Offenbach a dû affirmer : « Madame et non théâtre officiel. Que Justine ait le pari de la comédie en conservant Favart, la grande passion du maréchal nombre d’égéries d’opéra-comique et du Justine était alors décédée depuis 11 ans, Favart, c’est moi ! » en revanche assisté Charles-Simon tous les dialogues parlés. Laurent de Saxe. Cet aristocrate avait tout pour boulevard, que de courageuses fiancées mais Charles-Simon l’avait associée à Caractérisation des personnages dans cette tâche ne fait aucun doute. Campellone, qui a réhabilité Fantasio, devenir, lui aussi, un personnage de et épouses attendrissaient les publics ! l’hommage – une idée du duc de Choiseul, historiques et paroles des chansons restitue la profondeur de cette partition fiction, d’abord parce que Saxon, donc Justine avait formé avec Charles-Simon donateur du terrain. Le couple Favart doivent à l’étude de Pilgrim et Gozlan Le Théâtre des Folies-Dramatiques éclectique. Les chanteurs de la Nouvelle n’affectant pas l’image de la France. Favart un couple trop idéal pour n’être avait joué un rôle-clé dans l’évolution parue en 1858. Maurice de Saxe produisit Madame Favart le 28 décembre Troupe Favart y déploient la polyvalence Ce fils adultérin du roi de Pologne, pas célébré par une société fondée sur et le rayonnement de l’institution : n’apparaît pas, remplacé par un 1878, avec une excellente distribution. artistique qu’implique le genre, et dont entré au service de Louis XV, envahit les le mariage. Tant pis si elle avait dominé il appartenait au patrimoine français. gouverneur d'opérette, plus truculent. De nombreux numéros furent bissés, jouait si bien notre héroïne. 4 5
ARGUMENT ACTE I ACTE II ACTE III Alors que le maréchal de Saxe assiège À Douai, Hector va fêter sa prise Au camp de Fontenoy, le maréchal Tournai avec l’armée française, de fonction. Les Favart jouent les souffrant n’a pas encore constaté débarquent dans une auberge d’Arras domestiques. Mais le gouverneur l’absence de sa comédienne préférée. le major Cotignac et sa fille Suzanne. Pontsablé survient, à la poursuite Cotignac attend avec les soldats Cotignac veut obtenir du gouverneur de Madame Favart sur ordre du le spectacle que doivent donner les Pontsablé un poste de lieutenant de police maréchal – en fait pour revoir celle qu’il Favart, en présence de Louis XV. pour son futur gendre. Mais Suzanne aime prend pour l’épouse d’Hector. Justine Or Suzanne n’est pas comédienne un greffier, Hector de Boispréau, prêt à le mystifie, mais doit révéler comment et Favart n'est pas inspiré ! briguer le poste pour obtenir sa main. elle a obtenu la charge d’Hector. Justine et Hector paraissent, travestis L’aubergiste Biscotin cache Favart, ex- Suzanne craint de lui céder sa place en marchands. Justine va révéler au roi directeur de théâtre que le maréchal d’épouse et se travestit en domestique. les persécutions qu’elle subit. Elle est de Saxe veut emprisonner pour lui ravir Forcée de subir la cour de Pontsablé, priée de monter en scène, tandis que son épouse, la comédienne Justine. Justine apprend que la t ante Suzanne et Hector s’éclipsent. Or Justine vient rejoindre son mari sous d’Hector pourrait l’identifier car elle Pendant le spectacle, Cotignac révèle l’habit d’une chanteuse des rues. Après l’a vue jouer à Paris. Elle se travestit à Pontsablé que celle qu’il a courtisée avoir charmé les clients de l’auberge, donc en douairière pour envoyer n’est pas sa fille. Pontsablé fait rattraper elle retrouve Hector, son ami d’enfance. Pontsablé sur une fausse piste. Suzanne et Hector. Mais Justine obtient Son art du travestissement met les Hélas, la véritable tante survient un triomphe, et le roi la gratifie de deux soldats en déroute. Puis elle embobine et annonce que Madame Favart cadeaux : la révocation de Pontsablé le gouverneur : convaincu d’avoir affaire se dissimule sous le costume d’une et la nomination de Favart à la tête à l’épouse d’Hector, il lui concède servante. Pontsablé embarque donc de l’Opéra Comique. le poste convoité. Hector peut emmener Suzanne, avec Favart. Suzanne à Douai, avec les Favart qu’il fait passer pour ses domestiques. 6 7
INTENTIONS Les maîtres d’œuvre du spectacle se livrent à un entretien croisé MADAME FAVART EST UNE ŒUVRE DE LA MATURITÉ : musical incroyable et si savoureux, ou des comédies musicales à venir. QUELLES SONT SES CARACTÉRISTIQUES ? avec la dextérité des cordes Sa simplicité apparente, pour (évoquant la légèreté d’une dire le rapport vital de l’homme génoise) et la répétition de certains à la lumière du jour – et à l’amour mots : on dirait vraiment un gâteau –, est irrésistible. Mais le plus en musique. bel air est à mon sens le menuet Laurent Campellone : de la vieille que chante Madame Madame Favart présente Les récitatifs sont parmi les plus Favart à l’acte II. Avec cette danse une homogénéité d’inspiration accomplis qu’Offenbach ait de cour, Offenbach regarde avec particulièrement remarquable sur les composés avec ceux de Fantasio. tendresse en arrière, dit son amour trois actes. On sent qu’Offenbach a D’une grande économie de moyens, des maîtres du passé, comme soigné sa partition et que son savoir- ils sont très expressifs, préparent Rameau. Anne Kessler faire y est à son apogée. Il utilise des remarquablement les airs et Mise en scène recettes qu’il maîtrise à la perfection les transitions, sans une note et qu’il parvient encore à magnifier, superflue. comme les couplets – forme obligée Laurent Campellone pour un sujet XVIIIe –, la tyrolienne, Beaucoup d’airs sont splendides. Direction musicale la chanson de garnison, le duo Celui de Favart à l’acte III, d’amour, les ensembles virtuoses la romance « Quand je cherche et rapides – trio, quatuor. D’autres dans ma cervelle », est sublime. morceaux sont d’une grande Ici nous tenons une excellente subtilité : l’air de l’échaudé chanson, d’une facture tout à fait par exemple, d’un raffinement proche des chansons populaires 8 9
À QUASI 60 ANS, OFFENBACH SE RETOURNE AVEC PLAISIR ET TENDRESSE VERS LE PASSÉ… Christian Helmer Charles-Simon Favart Laurent Campellone : et des Contes d’Hoffmann. Avec ce menuet, Elle s’adresse en effet à un parenthèse magique petit orchestre mozartien, doté d’une incursion baroque, le petit d’un unique hautbois, d’un diable des boulevards, qui basson, de deux cors. Certes, s’amusait si souvent du passé, contrairement aux deux titres rend un hommage sincère et cités, Madame Favart n’était pas splendide au grand classicisme. destiné à l’Opéra Comique, dont Glyslein Lefever Marion Lebègue Et puis le sujet de cet air, les l’orchestre présentaient d’amples Chorégraphie Madame Favart quatre saisons de l’amour, évoque proportions. Mais Offenbach Vivaldi, Arcimboldo, mais sans opère ici un choix stylistique, mélancolie. Offenbach nous dit lié au XVIIIe siècle de l’action qu’il faut être reconnaissant à dramatique, et aussi au fond du l’égard du passé, se réjouir de sujet, qui raconte la naissance vivre encore par ses souvenirs, du projet théâtral des Favart. Guy Zilberstein : Favart en 2019, il est Lionel Peintre se féliciter qu’à l’inspiration de la Offenbach a vécu une aventure Avec Madame Favart, question, pour le XXIe Biscotin jeunesse succède l’expérience de similaire avec l’opérette. créé en 1878, le XIXe siècle siècle de l’incertitude la maturité. Je retrouve tout à fait Il se souvient qu’il n’avait de la frivolité regarde et de l’interrogation, Offenbach dans cet optimisme le droit, aux Bouffes-Parisiens le XVIIIe des guerres et de contempler le XIXe et dans ce rapport joyeux de 1855, qu’à des effectifs réduits. des lumières, d’un œil qui s’interroge sur au passé qui va bien au-delà On l’appelait alors « le petit à la fois intrigué et amusé. celui qui l’a précédé : de la mélancolie. Mozart des Champs-Élysées ». L’Europe, où se situe exercice vertigineux qui L’orchestration de Madame l’action, est un champ contraint à une mise en L’orchestration de l’œuvre Favart en dit long sur sa nostalgie, de bataille, et le maréchal perspective, qui exige une s’en ressent, très étonnante à l’égard de ses succès de de Saxe se partage forme dramaturgique et à une époque d’orchestrations jeunesse comme à l’égard entre stratégie militaire scénographique sortant pléthoriques, et aussi comparée du XVIIIe siècle qui a nourri et stratégie amoureuse. du cadre de référence aux grandes partitions de Fantasio son art. En montant Madame ordinairement retenu. 10 11
L’ŒUVRE MET D’AILLEURS LE PROCESSUS CRÉATIF EN SCÈNE, MONTRANT QUE LES FAVART ONT FAIT DE LA VIE UN THÉÂTRE. Anne Kessler : Madame Favart est un personnage très humain. Elle a beau diriger le mouvement et paraître sous les Marine Thoreau La Salle projecteurs, elle ne relègue pas Favart au Cheffe de chant second plan. On le voit dans l’ombre ou près de la coulisse, écrivant, commentant, produisant. Il n’est pas écrasé et l’incarnation le fait vivre Guy Zilberstein : pleinement. Le rôle de Madame Favart a quant Anne Kessler a inscrit le récit à lui des dimensions imposantes, mais n’est pas des aventures du couple Favart écrasant. Il est solaire, et le personnage montre dans l’atelier de couture de tant de couleurs et de facettes qu’il nourrit l’Opéra Comique. Ce sont alors l’interprète autant que l’inverse. les couturières et les tailleurs, occupés à produire les costumes Madame Favart est un hymne à la femme, de ce qui sera prochainement mais pour une fois moins à l’inspiratrice qu’à le spectacle, qui deviennent la créatrice. On y voit Charles-Simon apprendre les personnages de l’œuvre, qui ou réapprendre le théâtre auprès de Justine. se propulsent dans l’action, et qui Elle est sa muse, et il n’est en rien son Pygmalion. s’emparent de la parole. S’agit- Ceci étant, l’admiration de son époux est peut- il d’évoquer une bataille, et l’on être son moteur à elle ! N’a-t-elle pas besoin assiste à sa reconstitution, par le de lui comme spectateur ? Elle change sans cesse fils d’une des couturières, sagement de costumes, mais elle lui reste fidèle et demeure présent dans l’atelier, avec ses la vertu incarnée. Travestissement après soldats de plomb. Nous ne sommes Franck Leguérinel travestissement, quelles preuves d’amour elle lui pas dans la métaphore, plutôt dans Le major Cotignac offre ! À ce jeune couple très amoureux, le roi l’art de la transposition qu’Anne a bien raison de donner un théâtre : ils incarnent Kessler et Andrew. D. Edwards toutes les facettes du spectacle vivant. ont choisi de pratiquer. 12 Le Central costumes de l'Opéra Comique 13
Anne-Catherine Gillet Suzanne Raphaël Brémard Le sergent Larose François Rougier Hector de Boispreau MADAME FAVART EST AUSSI UN AUTHENTIQUE OPÉRA-COMIQUE : COMMENT S’ÉQUILIBRENT THÉÂTRE ET MUSIQUE ? Anne Kessler : Offenbach Les situations scéniques Quoique la partition comporte des sait magnifiquement se prolongent dans le chant, qui airs sublimes – c’est une véritable bien raconter des histoires en apporte la profondeur et l’émotion, machine à tubes –, je ne perçois combinant musique et dialogues. l’enthousiasme dans l’expression. pas cette pièce comme le prétexte Le rapport entre le parlé Quand le cœur explose, la parole à une suite de numéros brillants, et le chanté est extrêmement parlée n’est plus possible ! appelant les applaudissements équilibré. Le dialogue, qui ne sonne Il me semble que le chant est qui interrompraient le mouvement jamais désuet, pose habilement à la parole ce que le vol est dramatique, mais comme un les situations et les personnages, à la marche… Avec une note bien tout organique. Les situations tout en finesse et en humour. placée, on exprime une émotion partent d’une vérité et nécessitent Les personnages s’y dessinent bien, qui dépasse tout, qui emporte de jouer de façon très authentique. avec dignité : aucun n’a besoin d’être l’auditeur. Puis, après le chant, C’est assez difficile dans la mesure nourri pour exister, aucun ne vient la parole se reprend très bien. où le tempo de l’action est rapide. « servir la soupe ». Les répliques Mais nous avons une très belle permettent de croire à leur sincérité La fluidité entre parole et chant troupe d’interprètes qui savent et à leur enthousiasme. se renforce au fil des répétitions. s’écouter et coexister. 14 15
LE CHŒUR JOUE-T-IL UN RÔLE IMPORTANT ? Laurent Campellone : qui emporte et étourdit alors La partition présente la société, avec le développement un usage du chœur que je n’avais des transports, la circulation plus jusqu’à présent jamais vu chez rapide des biens, des personnes, Offenbach. Non seulement il est des idées. La partition traduit cette présent dans plus de la moitié irruption de la vitesse dans le XIXe des numéros de la partition siècle finissant, et le chœur en est (une proportion haute chez en quelque sorte le thermomètre. Offenbach), mais il est presque Musicalement, c’est un défi pour toujours utilisé allegro – le premier les choristes, habituellement gâtés passage legato n’apparaissant par les partitions de cette époque, que huit mesures dans le finale y compris celles d’Offenbach. de l’acte 2. Ce chœur vif, frénétique Eux qui ont toujours les moyens évoque très bien la fuite en avant d’exprimer beaucoup de couleurs des personnages, poursuivis par sont ici confrontés à une écriture les hommes du maréchal de Saxe. très rythmique, avec peu Mais il reflète aussi la frénésie de valeurs longues. Il nous faut propre au théâtre de boulevard travailler la variété des intentions contemporain. Car Offenbach, afin de ne pas tout chanter Éric Huchet comme Feydeau et Courteline, de la même façon. Le marquis de Ponsablé sent et traduit l’accélération 16 17
MADAME FAVART PEUT-IL ÊTRE MIS EN RAPPORT AVEC LES CONTES D’HOFFMANN, OUVRAGE CONTEMPORAIN D’OFFENBACH ? Laurent Campellone : Le livret de Madame Favart me fait penser au Mariage de Figaro avec ses deux couples, leur chassé-croisé, le personnage d’amoureuse qu’est Suzanne… Pontsablé, lui, serait plutôt un genre de baron Ochs du Rosenkavalier, concentrant le pire du XVIIIe aristocratique. Mais je ne peux m’empêcher non plus de mettre Madame Favart en rapport avec Les Contes d’Hoffmann : dans leur rapport aux femmes, Favart m’apparaît comme l’anti-Hoffmann. Hoffmann égrène les amours déçues et est perdu par les femmes, tandis que Favart ne cesse d’être sauvé par des femmes différentes qui s’avèrent toujours la même. Justine sait concentrer toutes les femmes qui échappent à Hoffmann, elle est la somme de ces figures : celle qui fait voyager, rêver, qui rend fou et qui protège. Elle est enfin la Nicklause de Favart, qui le sauve de tous les dangers. Favart, lui, est une mise en abyme du poète, qui se renferme pour créer, qui lutte avec l’inspiration. En miroir, Offenbach nous parle de ce que c’est que créer, et nous dit qu’à l’artiste qu’il est, il faut toutes ces femmes. Cette femme, qui change constamment, sauve en tout cas son poète, Favart. 18 19
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JACQUES OFFENBACH « Me voici sur la scène. (1819-1880) Offenbach est là, très pâle, grelottant sous un paletot d’hiver. – Je suis souffrant, me dit-il, je n’ai pas dormi... Il n’a pas fini Fils d’un musicien de synagogue, Jacob Offenbach décide d’imiter son confrère les scènes officielles : à l’Opéra Offenbach naît à Cologne le 20 juin Hervé qui a créé les Folies-Nouvelles avec le ballet Le Papillon, à l’Opéra cette phrase et le voilà 1819. Sa famille envoie le jeune en 1854. Le 5 juillet 1855, il fonde les Comique avec Barkouf, qu’une cabale qui prend la direction violoncelliste étudier à Paris, seule Bouffes-Parisiens au Carré Marigny. fait échouer. Il prend sa revanche de la répétition. métropole où un artiste juif peut faire Il doit se limiter au genre de l’opérette avec La Chanson de Fortunio, acclamé Il a soudainement carrière. À 14 ans, Offenbach arrive en un acte et sans chœur, mais il profite aux Bouffes-Parisiens. Il fait un premier dans la ville dont il va assimiler l’esprit de l’Exposition universelle qui se tient voyage à Vienne où sa musique retrouvé le mouvement, et devenir l’incarnation musicale. en face. Le succès est immédiat. L’hiver connaît une grande vogue, d’où sortira la force, la vie. Il ôte son venu, il installe son théâtre dans l’opérette viennoise. paletot et l’envoie sur Après un an au Conservatoire puis le passage Choiseul et ouvre avec Ba- le fauteuil, il bat la mesure deux dans l’orchestre de l’Opéra Ta-Clan. En 1856, il lance un concours Avec le duc de Morny, il écrit Comique, le jeune musicien fait jouer d’opérette dont les lauréats sont M. Choufleuri restera chez lui le… et raille à tour de bras, tenant et en 1836 au Jardin Turc des valses Bizet et Lecocq. Il écrit une trentaine le drame romantique dans Le Pont entraînant tout le monde de sa composition, puis se lance dans d’œuvres en un acte, et monte aussi des soupirs. En 1862, il abandonne à la pointe de son archet. une carrière de musicien de salon et Rossini et Mozart. la ruineuse direction des Bouffes- Que d’esprit dans cette de virtuose. Mais le théâtre lyrique Parisiens et entame une collaboration l’attire. Entrecoupée de retours Offenbach obtient l’autorisation avec le « Kursaal » de Bad Ems, station physionomie si originale ! à Cologne où on le joue aussi, d’élargir les proportions de ses thermale mondaine : huit ouvrages Que d’énergie dans sa carrière piétine. Des concerts donnés spectacles et crée Orphée aux Enfers y seront créés jusqu’en 1867. ce petit corps si frêle, entre 1843 et 1854 ne lui permettent en 1858. Devenu à la mode, il est si délicat, si chétif ! » pas d’être reçu à l’Opéra Comique. naturalisé en 1860 et reçoit la Légion 1864 une année capitale : à Vienne, Sa nomination en 1850 comme d’honneur en 1861. Si Geneviève l’opéra romantique Die Rheinnixen Ludovic Halévy, directeur de la musique à la Comédie- de Brabant a moins réussi en 1859, n’obtient qu’un succès d’estime Jacques Offenbach vers 1878 Notes et Souvenirs, Paris, 1889 Française est une solution d’attente. Offenbach débute en 1860 sur mais à Paris, le décret sur la liberté 22 23
« Tu sais si je suis accessible du côté du cœur ; c’est une bête de corde, lorsqu’on la touche et qu’on y fait vibrer un son, on peut être sûr que je réponds par une profusion d’accords. » RESTAURER L’OPÉRA-COMIQUE Offenbach à Ludovic Halévy, lettre du 24 juillet 1869 Par Jacques Offenbach Le titre de mon opéra- Madame Favart n’a point de ces comique suffit à en hautes visées. Mes prétentions déterminer les véritables se bornent à l’opéra-comique proportions. Justine Favart, en effet, français tel que l’ont connu c’était l’incarnation de la chanson nos pères : l’opéra-comique qui fit des théâtres lui ouvre de nouvelles La guerre franco-prussienne remet à la fois des pièces à grand spectacle française. Un tel sujet ne pouvait la gloire des Grétry, des Dalayrac, salles. La Belle Hélène inaugure une tout en question. Offenbach, d’origine et des opéras-bouffes. Mais ils sont qu’inspirer une comédie à ariettes, des Monsigny, des Nicoló [Nicolas période faste. Les librettistes Meilhac allemande, est un bouc émissaire coûteux. Quasiment ruiné, Offenbach agrandie, développée. Isouard], pour ne citer que les plus et Halévy et les artistes Hortense idéal. Sa musique est accusée d’avoir effectue en 1876 une éprouvante mais illustres, et la fortune des théâtres Schneider et José Dupuis le secondent. démoralisé les Français. On lui lucrative tournée aux États-Unis. Madame Favart porte, il est vrai, qui l’exploitaient. L’opéra-bouffe devient un phénomène reproche aussi des liens avec le pouvoir À son retour, Le Docteur Ox et Maître ce titre « opéra-comique », mais avec de société, le symbole d’une époque. impérial – ils n’ont jamais existé. Pétronilla sont moins bien accueillis, Hérold, Auber, Boieldieu, Halévy, Et nous avons tant et si bien oublié tandis que Madame Favart et La Fille Adam, et surtout depuis ces grands la tradition qu’un retour au véritable En 1866 se succèdent Barbe-Bleue puis Si le climat moral né de la défaite oblige du tambour-major (1879) cultivent une maîtres, l’opéra-comique s’est opéra-comique peut sembler à bien La Vie parisienne. Pour l’Exposition Offenbach à changer sa manière, veine patriotique pour reconquérir à ce point développé qu’il a brisé des gens une audacieuse innovation, universelle de 1867 paraît La Grande- les quarante partitions créées de 1871 le public. son cadre et tend de plus en plus alors que ce n’est à proprement Duchesse de Gérolstein. Offenbach à 1881 prouvent qu’il est toujours aussi à se confondre avec un genre aux parler qu’un essai de restauration. est joué dans cinq théâtres parisiens fécond sous la République. Offenbach meurt le 5 octobre 1880 alors plus grandes allures. à la fois, dont l’Opéra Comique avec qu’il travaille à son opéra fantastique Robinson Crusoé. En 1868, Le Château Après Boule-de-Neige, nouvelle Les Contes d’Hoffmann. Le triomphe Depuis le vaudeville, qui fut son à Toto réussit moins que La Périchole. version de Barkouf, Offenbach se de ce 110e ouvrage scénique le 10 février berceau, l’opéra-comique a fait Hervé et Lecocq ne parviennent tourne vers la féerie au Théâtre de 1881 couronne la conquête de l’Opéra du chemin ; la juste balance entre Lettre au directeur du Grand-Théâtre de Marseille, parue dans Le Figaro pas à détrôner Offenbach. En 1869, la Gaîté, qu’il dirige de 1873 à 1875. Comique, dont Fantasio constituait le poète et le musicien a été faussée ; du 29 janvier 1879, publiée dans alors que Vert-Vert est créé à la salle Le Roi Carotte, Orphée aux Enfers la précédente étape en 1872. aujourd’hui la symphonie règne dans M. Offenbach nous écrit Favart, La Princesse de Trébizonde et remanié, Geneviève de Brabant l’orchestre et le récitatif absorbe éd. Jean-Claude Yon, Actes Sud / Les Brigands confirment sa domination. remaniée, Le Voyage dans la lune sont Jean-Claude Yon le dialogue. Palazzetto Bru Zane, 2019 Page de titre de la partition piano-chant de Madame Favart, Choudens, 1879. 24
JUSTINE DURONCERAY FAVART, Justine Favart en Bastienne dans Les Amours de Bastien et Bastienne en 1753, UNE ARTISTE COMPLÈTE gravure d’après le dessin de Carle van Loo. À L’ÉPOQUE DES LUMIÈRES « Messieurs, ces sabots donneront des souliers Entretien avec Raphaëlle Legrand aux comédiens ! » QUI ÉTAIT « MADAME lui permettait de jouer toutes sortes la mort de son épouse. Dans ces pages Proche de l ’étymologie latine FAVART » ? de personnages, dont les travestis, émouvantes, le dramaturge rend (consuetudo, habitude) par le biais de chanter aussi bien en style français hommage à l’actrice, insistant sur de l’italien (costume, coutume), Née en 1727 en Avignon de parents qu’en style italien. À 37 ans, elle s’était ses innovations scéniques. prononcé à l’italienne (« Costoumé » musiciens, élevée à la cour de Stanislas reconvertie dans les rôles de jeunes précise en 1740 le Dictionnaire Leszczynski à Lunéville, en Lorraine, mères conçus pour elle. QUELLE RÔLE A-T-ELLE JOUÉ de l’Académie), le terme désignait Marie-Justine-Benoîte Duronceray DANS L’HISTOIRE DU COSTUME en peinture l’« usage des différents était une enfant de la balle. Danseuse, Pendant sa carrière, en 1762, la Comédie DE SCÈNE ? temps, des différents lieux auxquels actrice et chanteuse, s’accompagnant Italienne fusionna avec l’Opéra le peintre est obligé de se conformer. » au clavecin, à la harpe et à la guitare, Comique. À la Foire comme dans la Charles-Simon affirmait : « Ce fut elle débuta à 18 ans à l’Opéra Comique nouvelle institution, qui prit le nom e l l e q u i l a p re m i è re o b s e r va Quand on évoque la réforme du costume de la Foire Saint-Germain, sous le nom de Comédie Italienne, Justine Favart le costume : elle osa sacrifier les théâtral au xviii e siècle, on cite de mademoiselle Chantilly. Elle épousa triompha dans les opéras-comiques agréments de la figure à la vérité généralement à la fois la Clairon et Lekain quelques mois plus tard le dramaturge en vaudevilles, agrémentés d’ariettes des caractères. » Autrement dit : elle à la Comédie Française, la Saint-Huberty Charles-Simon Favart, qu’elle suivit de style italien à partir des années renonça à la coquetterie au profit à l’Opéra, Justine Favart et parfois à Bruxelles. De retour à Paris, elle fut 1750 – notamment dans les œuvres de de la représentation réaliste des Joseph Caillot à la Comédie Italienne. reçue à la Comédie Italienne en 1749, et son mari, et dans les siennes propres. personnages. Le mot « costume » ne Ces interprètes ont en effet joué un rôle y tint la vedette jusqu’à sa mort en 1772, La première biographie de Justine fut désignait pas uniquement les « habits », majeur dans l’invention d’une nouvelle soit de 22 à 45 ans. Son style polyvalent rédigée par Charles-Simon peu après mais aussi les accessoires et la gestique. conception de l’illusion théâtrale. 26 27
« On doit pardonner tous les torts, Justine Favart en Roxelane dans Soliman II ou les Trois excepté celui d’être ennuyeux : la Comédie Italienne propose Ainsi que Justine l’exposait dans COMMENT JUSTINE Sultanes en 1761, dessin celui-là est irréparable. » sa parodie, Les Amours de Bastien et le prologue de la Fête d’Amour, elle S’EST-ELLE DÉMARQUÉE par Coeuré, gravure par Prud’hon. Bastienne, comme elle le fait pour les concevait le plan de ses pièces, DE ROUSSEAU DANS BASTIEN Justine Favart, Il eut tort titres à succès de l’Opéra. Très proche choisissait les effets comiques, ET BASTIENNE ? du Devin, cette parodie est davantage sélectionnait les vaudevilles – ces airs un hommage et un prolongement connus qui agrémentaient chaque La peinture des mœurs paysannes qu’une satire. Fait exceptionnel, elle pièce sur de nouvelles paroles. Puis elle y est plus précise, et Bastien et Mais la pionnière, c’est Justine. remporte un succès tel qu’elle devient donnait son canevas en prose à versifier Bastienne disent dans un style Dans une lettre au directeur des une pièce autonome. Jusqu’à être à un ami lettré, et faisait relire le tout patoisant ce que Colin et Colette spectacles à Vienne, Charles-Simon jouée à Vienne, en français, puis dans par Charles-Simon. Justine est donc exprimaient dans la langue élégante Favart le clame : « J’ose dire que ma une traduction allemande. Dont le bien l’autrice principale du tome V de de Rousseau. Les épisodes nouveaux femme a été la première en France jeune Mozart fera un singspiel en 1768. ce Théâtre, comme en attesta Charles- orientent l’innocence des amours qui ait eu le courage de se mettre Simon. Il est dommage que, dans au village vers la grivoiserie légère comme on doit être, lorsqu’on Or la pièce est de Justine. Elle le fichier de la Bibliothèque nationale et ambiguë que Favart développait la vit avec des sabots dans Bastien figure dans le tome V du Théâtre de de France, la confusion règne dans son œuvre depuis La Chercheuse et Bastienne. » M. Favart, publié par Charles-Simon dans les attributions. L’autrice est d’esprit. Comme interprète, Justine De fait, la Clairon s’inspira du costume en 1763 : il s’agit en réalité du recueil invisibilisée par son mari dramaturge. met en œuvre un réalisme très de sultane de Justine pour jouer Roxane des six pièces (quatre parodies, deux Si bien qu’en 2010, l’Opéra Comique nouveau, portant une véritable robe dans Bajazet à la Comédie Française. originales) dont Justine a revendiqué a programmé La Fille mal gardée de villageoise, des sabots et une Et l’Opéra l’imita à son tour pour une l’auctorialité. Écrites en collaboration de Favart, une pièce… de Justine ! petite croix d’or, fixés par la célèbre reprise en 1763, à Fontainebleau, de avec Harni de Guerville, Lourdet Il faudrait par ailleurs s’interroger sur gravure de Van Loo. Ces éléments de Scanderberg, qui met en scène le héros de Santerre ou Guérin de Frémicourt, la contribution de Justine aux pièces trivialisation créent un « effet de réel albanais face à l’expansion ottomane. ces pièces illustrent l’« écriture en de Charles-Simon, lorsqu'elle en a créé » : les Favart concilient le désir de faire société » courante dans ce répertoire. le personnage principal… rire et le désir de « faire vrai ». BASTIEN ET BASTIENNE FAIT LE LIEN ENTRE JUSTINE ET MOZART… « Madame Favart fait les délices de tout Paris, et si elle n’a pas Le Devin du village de Rousseau entièrement créé le genre dans lequel elle excelle, elle l’a du moins porté avait été représenté à l’Opéra à un degré de perfection qu’il n’était pas possible d’imaginer. » le 1 er mars 1753, après sa création à Fontainebleau. Le 4 août 1753, Mercure de France, octobre 1754 28 29
« C’est à Justine Favart, à son initiative, qu’on doit les premiers La différence d’âge était importante essais qui aboutirent à la transformation de la Comédie Italienne entre les époux : lors de leur mariage, Justine avait 18 ans et Charles-Simon 35. en une seconde scène lyrique vouée au genre de l’opéra-comique. » Charles-Simon pouvait ainsi se donner des allures de Pygmalion. Formé d’un Arthur Pougin, Madame Favart, 1912 dramaturge et d’une actrice, le couple semblait fonctionner sur le mode de la complémentarité : Le choix musical amusa le public On la découvre dans le tome 2 en société, et dont on louait la faculté averti, qui connaissait les originaux, du Théâtre de M. Favart, regroupant d’improviser des couplets jusque sur « Le joli couple à mon avis, avec des hommages à Rousseau, des les pièces de la période 1752-1754. Dans son lit de mort, a participé à la création Que Favart et sa femme ! RAPHAËLLE LEGRAND citations de Mondonville et de Rameau Tircis et Doristée, pièce en vaudevilles, musicale de toutes ses pièces. Quel auteur met dans ses écrits – considérés alors, en pleine querelle deux airs lui sont attribués : « Air : Plus d’esprit et plus d’âme ? Musicologue et professeure des Bouffons, comme les champions De Madame Favart » et « Air : De Justine QUEL STATUT AVAIENT Est-il pour l’exécution à Sorbonne-Université, de la musique française. Quelques ». Ces airs miniatures sont réduits à une AU MILIEU DU XVIIIe SIÈCLE Actrice plus jolie ? Raphaëlle Legrand y a fondé mois avant la parution de la Lettre mélodie sans basse continue, propre LES FEMMES INTERPRÈTES ? On prendrait l’un pour Apollon et co-dirige le Groupe de sur la musique française de Rousseau à l’édition, et ne conservent donc pas Et l’autre pour Thalie. » Recherche Interdisciplinaire et des Observations sur notre instinct la mémoire de l’arrangement orchestral Les chanteuses lyriques étaient (Gabriel-Charles de Lattaignant, 1761) sur la Musique et les Arts pour la musique de Rameau, ce pot- qui les accompagnait. La nécrologie les plus visibles des musiciennes Justine Favart en vieille fée du Spectacle et le Centre pourri plaçait Rousseau au niveau des publiée dans les Spectacles de Paris professionnelles. Leurs talents étaient dans La Fée Urgèle en 1765. En réalité, Justine n’était pas la Galatée de Recherche Interdisciplinaire compositeurs français les plus renommés. après la mort de Justine précise : appréciés à l’égal de ceux des hommes, de son Pygmalion mais bien plutôt sur les Musiciennes. En pleine querelle, la Comédie Italienne « Son mérite en ce genre était peu et leurs salaires se révélaient souvent Pa r m i e l l e s f i g u re n t l e s p l u s sa collaboratrice. Charles-Simon Ses recherches portent proposait donc une parodie promouvant connu, parce que sa modestie identiques. Leur indépendance importantes de la seconde moitié du d’ailleurs n’aura plus le goût d’écrire sur l’opéra et l’opéra-comique Le Devin du village. L’opéra-comique l’empêchait d’en tirer avantage. » financière offrait aux plus réputées XVIIIe siècle, toutes connues sous leur après la mort de son épouse. On doit en France au XVIIIe siècle, préparait sa mutation vers la comédie le choix entre mariage et célibat. nom d’épouses : Justine Favart, Marie- considérer cette artiste comme une notamment Rameau. mêlée d’ariettes de Monsigny, Philidor, D’une façon générale, je soutiens que Cependant, l’excommunication les Thérèse Laruette (1744-1837), Marie- créatrice polyvalente, engagée sur Elle a publié Comprendre Grétry et Dalayrac. la personne qui choisit les vaudevilles frappait à l’instar des actrices. Tandis Jeanne Trial (1746-1818) et Rose Dugazon tous les fronts, actrice, chanteuse, la musique baroque à travers dans un opéra-comique, en puisant que bien des chanteuses mariées (1755-1821). Leurs carrières furent musicienne, dramaturge et compositrice. ses formes (Harmonia Mundi, JUSTINE ÉTAIT PAR AILLEURS dans un fonds commun de mélodies renonçaient à la scène, les « filles stables, comme la vie théâtrale d’alors, Au XIXe siècle, ces aspects de son 1997), Regards sur l’opéra- COMPOSITRICE À SES HEURES. attribuées ou anonymes, en devient d’opéra » menaient généralement régie par le système des privilèges. activité ont été gommés pour ne garder comique, trois siècles de vie en quelque sorte, et partiellement, une vie de libertinage. À la Comédie Justine exerça pendant 23 ans. Dans que l’image plus conventionnelle d’une théâtrale (CNRS Éditions, Alors qu’elle revendiquait son statut l’autrice. À ce titre, Justine Favart, qui Italienne, comme sur les scènes les comptes rendus de spectacle, interprète, certes pleine d’esprit. 2002, avec N. Wild), Rameau d’autrice, elle n’a pas fait de même revendiquait cette part de l’invention foraines, les chanteuses mariées à des son prénom disparut derrière Beaucoup d’autres femmes des Lumières et le pouvoir de l’harmonie pour son activité de compositrice. dans les pièces qu’elle écrivait artistes étaient assez nombreuses. la dénomination « Madame Favart ». sont à remettre ainsi en lumière. (Cité de la Musique, 2007). 30 31
PORTAIT DE MADAME FAVART Justine Favart vers 1760, pastel de Maurice Quentin PAR SON MARI de La Tour, Saint-Quentin, musée Antoine Lécuyer. Une gaieté franche et naturelle Au retour d’un voyage en Lorraine, elle fut Dans Bastienne, elle mit un habit En un mot, elle n'épargnait et ne négligeait rendait son jeu agréable et piquant. arrêtée aux barrières de Paris vêtue d'une de laine tel que les villageoises rien pour augmenter le prestige de l'illusion Elle n'eut point de modèles, et en servit. robe de Perse. On en trouva deux autres le portent ; une chevelure plate, une théâtrale. Propre à tous les caractères, elle les dans ses coffres. Ces étoffes étaient alors simple croix d'or, les bras nus et des rendait avec une vérité surprenante. sévèrement prohibées. On voulut les sabots. Cette nouveauté déplut Les talents qu'elle possédait n'étaient rien Soubrettes, amoureuses, paysannes, saisir, mais elle eut la présence d'esprit à quelques critiques du parterre mais en comparaison des qualités de son cœur : rôles naïfs, rôles de caractère, tout de dire, dans un baragouin moitié français un homme sensé les fit taire en disant : une âme sensible, une probité intacte, une lui devenait propre. En un mot, elle moitié allemand, qu’elle était étrangère, « Messieurs, ces sabots-là donneront générosité peu commune, un fond de gaieté se multipliait à l'infini, et l'on était étonné qu’elle ne savait pas les usages de France des souliers aux comédiens ! » inaltérable, une philosophie douce constituaient de lui voir jouer, le même jour, dans quatre et qu’elle s’habillait à la façon de son pays. Dans la comédie des Sultanes, on vit son caractère. Elle ne s'occupait que des moyens pièces différentes, des rôles entièrement Elle persuada si bien que le premier pour la première fois les véritables de rendre service, elle en cherchait toutes les opposés. La Servante maîtresse, Bastien commis de la barrière, qui était resté habits des dames turques : ils avaient occasions, et quoiqu'elle fût souvent payée et Bastienne, Ninette à la cour, plusieurs années en Allemagne, pris été fabriqués à Constantinople avec d'ingratitude, elle disait : « On a beau faire, Les Sultanes, Annette et Lubin, La Fée sa défense, la laissa passer et lui fit les étoffes du pays. Cet habillement, on ne m'ôtera point la satisfaction que je sens Urgèle, Les Moissonneurs, etc., ont prouvé beaucoup d'excuses. tout à la fois décent et voluptueux, à obliger. » Elle n'employait jamais son crédit pour qu'elle saisissait toutes les nuances ; trouva encore des contradicteurs. […] elle-même, mais pour être utile aux autres. […] et que n'étant jamais semblable à elle- Ce fut elle qui, la première, observa Dans l'intermède intitulé Les Chinois, Elle ne cherchait point à faire sa cour, elle même, elle se transformait et paraissait le costume : elle osa sacrifier représenté à la Comédie Italienne, elle s'occupait de sa profession : sa harpe, son réellement tous les personnages les agréments de la figure à la vérité parut, ainsi que les autres acteurs, vêtue clavecin, la lecture étaient ses seuls amusements. qu'elle représentait. Elle imitait des caractères. Avant elle, les actrices exactement selon l'usage de la Chine : si parfaitement les différents idiomes qui représentaient des soubrettes, des les habits qu'elle s'était procurés Charles-Simon Favart, et dialectes que les personnes dont paysannes, paraissaient avec de grands avaient été faits dans ce pays, de même témoignage du 15 mai 1762, publié dans le vol. I elle empruntait l'accent la croyaient paniers, la tête surchargée de diamants que les accessoires et les décorations, de Mémoires et correspondance littéraires leur compatriote. et gantées jusqu'aux coudes. qui avaient été dessinés sur les lieux. et anecdotiques de Favart, Paris, 1808 32 33
CHARLES-SIMON FAVART EN PERSONNAGE PRINCIPAL Entretien avec Flora Mele QUEL AUTEUR ÉTAIT Le théâtre était une question d’explorer ses collaborations avec de FAVART ? de technique plutôt que pure nombreux collègues : sa femme Justine, invention. Favar t s’ét ait créé son secrétaire Monsieur Chevalier, Charles-Simon Favart (1710-1792) un véritable « laboratoire à pièces », Fagan, Voisenon, Lourdet de Santerre… était principalement joué à l’Opéra une bibliothèque où il conservait les Comique, dont il fut directeur, papiers d’auteurs comme Fuzelier Car Favart pratiquait l’écriture puis à la Comédie Italienne après et Pannard. Après leur création, les en équipe. Plus exactement, ce travail la fusion des deux troupes en 1762. pièces devenaient en effet la propriété collectif allait de la conception, Charles-Simon Favart en 1760, par Duronceray, Mais deux de ses pièces furent aussi de la troupe, ce que Beaumarchais en passant par l’écriture, jusqu’à frère de Justine, et Justine Favart en 1753 par Cochin fils. jouées à l’Opéra : le ballet comique allait changer en 1777 en créant la « mise en spectacle ». Impliquer des Don Quichotte chez la Duchesse en la Société des Auteurs dramatiques. acteurs à toutes les étapes et y associer Dans une lettre du 30 janvier 1762, Française, théâtre « d’auteurs ». cette pièce. Tout ce déchaînement 1743, avec une partition de Boismortier, Favart savait exploiter les idées qu’il y une artiste polyvalente comme Justine Favart raconte : « Je croyais que d’après Deux mois plus tard, la fusion de l’Opéra des auteurs jaloux n’ayant pu nuire et l’opéra-ballet Cythère assiégée trouvait pour ses spectacles de l’Opéra garantissaient la réussite du spectacle. le joli conte de M. de Marmontel, il était Comique avec la Comédie Italienne à son succès, on a eu recours aux écrits en 1775, avec des musiques signées Comique ; on procédait de même aisé de faire un petit rien agréable, pour a lieu : « La réunion de l’Opéra Comique satiriques et à des horreurs auxquelles Gluck et Berton. Il publia de 1763 à 1772 à la Foire et aux Italiens. Par ailleurs, FAVART ÉTAIT TRÈS POPULAIRE. peu qu’on eût l’adresse de le rendre attire toujours beaucoup de monde aux on est toujours en butte quand ses « comédies, parodies et opéras- la plume recherchée de Favart théâtral ; mais je ne m’attendais pas que Italiens, mais surtout Annette et Lubin. on a le bonheur de réussir. Misérable comiques », dans les dix tomes de son se nourrissait d’une grande connaissance Plusieurs créations ont connu un succès cette bagatelle eût pu réussir au point C’est un succès fou. On nous reproche métier que celui d’un auteur ! Si ses Théâtre de M. Favart et Mme Favart, de chefs-d’œuvre littéraires tels mémorable, comme Annette et Lubin, de faire déserter les autres théâtres. qu’il y a trop d’esprit ; mais je réponds ouvrages tombent, on le méprise ; Justine étant l’autrice du cinquième. que Le Roman comique, Le Roland opéra-comique parodique de Justine, C’est une espèce d’enthousiasme […]. à cela que nous n’avons pas eu le temps s’ils ont du succès on veut l’en punir. » Pour ce directeur de théâtre, Furieux, Don Quichotte… inspiré de faits réels mis en conte Toutes les loges sont toujours louées d’être plus bêtes. » l ’a r t d ra m at i q u e re l eva i t Ses manuscrits nous sont parvenus moral par Marmontel, puis remanié par d’avance ; et, dès trois heures, il n’y Cependant, le succès fait des Ce travail proche des réalités d’un artisanat , du « recyclage presque intégralement. Ce fonds, Justine dans l’auto-parodie L’Amour naïf a plus de billets. » Par « autres théâtres », jaloux : en mai 1762, « Jamais un bon scéniques avait rendu Favart, grâce permanent » de matériaux divers. conservé entre autres à la BnF, permet (dont j’ai analysé le précieux manuscrit). il faut comprendre la Comédie ouvrage n’a excité plus de cabale que aussi à Justine, si attentif aux questions 34 35
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