N 013 DOSSIER LIEUX DE CULTES VARIA ASCENSEURS D'HIER, PATRIMOINE D'AUJOURD'HUI LE PARKING 58 À BRUXELLES - N 013
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n°013 DéCEmBrE 2014 Dossier lieux De CulTes VAriA Ascenseurs d’hier, patrimoine d’aujourd’hui le parking 58 à Bruxelles UnE PUBLICATIon DE BrUXELLES DéVELoPPEmEnT UrBAIn
Le parking 58 VARIA à Bruxelles Rénovation urbaine dans le rétroviseur Sven STERKEN Faculté d’Architecture, KU Leuven Vue du Parking 58 (A. de Ville de Goyet, 2014 © SPRB).
Le site du Parking 58, rue de l’Évêque, en plein cœur du Pentagone bruxel- lois, a joué un rôle important dans le développement économique de la ville. Au cours des siècles, se sont succédés le port intérieur médiéval, le marché aux poissons aux XVII e et XVIII e siècles, et, après le voûtement de la Senne et le comble- ment des bassins, les Halles centrales, au XIXe siècle, dédiées à l'alimentation générale. Finalement, vers le milieu du XX e siècle, on y édifia un parking afin de garantir l’accessibilité du centre aux voitures. À la veille d’un nouvel épisode dans ce dossier, à l’issue duquel le bâtiment actuel devra céder sa place à un complexe mixte de bureaux et d’habitations, cet article retrace l’évolution de ce site particulier et pose la question de la valeur patrimoniale du Parking 58. La croissance du parc automobile parking. La création d’une capacité probablement sur le Downtown Center privé dans les années 1950 entraî- de stationnement supplémentaire à Garage de San Francisco de George na une augmentation des problèmes proximité du centre constituait un élé- Applegarth, dont les plans avaient été de circulation et de stationnement ment clé de ce qui s'appelait, en 1955, publiés peu avant dans Architecture à l’intérieur de la ville. On se rendait le « Plan directeur pour le Pentagone » d’Aujourd’hui et La Technique des tra- de plus en plus compte que l’avenir du groupe Tekhné, qui prévoyait l’amé- vaux 5 (fig. 5). du commerce de détail dépendait de nagement d’une artère de désencla- son accessibilité en voiture, et que vement autour de la ville (sur les les anciens bassins aménagés en anciens boulevards du Pentagone) et Parking 58, une machine à parkings à ciel ouvert ne suffiraient un réseau d'axes de pénétration cen- remonter le temps bientôt plus. De par ses antécédents sés permettre l’accès à un périphé- au sein des classes moyennes, Paul rique intérieur autour de l’Îlot Sacré Le Parking 58 était novateur et en Vanden Boeynants, échevin bruxel- (fig. 1). Une couronne de parkings fut avance sur son temps à plusieurs lois du Commerce et des Propriétés prévue pour débarrasser ce cœur his- égards. Tout d’abord, le concept d’un communales de 1953 à 1958, était torique de ses voitures 2. Le Parking 58 parking payant, où le conducteur bien placé pour entendre les aspira- fut le premier de la série. Il fut suivi gare lui-même sa voiture et paie à tions des commerçants du centre. Ses dans les années 1960 par le Parking la sortie, était inconnu en Belgique deux domaines de compétence sem- Albertine (sous le Mont des Arts), le – ce qui explique pourquoi le principe blaient d’ailleurs taillés sur mesure Parking Écuyer (rue de l’Écuyer) et le fut expliqué en long et en large dans à cet effet 1. Il comprit que la ville ne parking en plein air du rond-point de La Technique des travaux. Jusque-là, Bruxelles Patrimoines N°013 – décembre 2014 devait plus organiser elle-même le l’Europe, en face de la gare Centrale. le conducteur se voyait désigner un commerce, mais serait mieux inspirée Paul Vanden Boeynants confia le projet emplacement ou bien son véhicule de tirer parti des sites des halles cou- de nouveau parking à son ami Claude était garé par un membre du per- vertes pour moderniser le centre-ville. De Clercq, un négociant en voitures sonnel. Avec ce nouveau concept, Le Marché du Parc, au pied de la co- qui avait découvert le phénomène du le cycle comprenant l’entrée, le sta- lonne du Congrès, fut dès lors démoli parking payant aux États-Unis et qui tionnement et la sortie par l’ascen- pour faire place à la construction du avait la ferme intention de l’introduire seur ne prenait pas plus de deux Centre administratif de l’État, tandis en Europe 3. Le projet de 1956 qui, au minutes ! Le processus pouvait égale- que le Marché aux Poissons fut trans- départ, ne portait que sur la partie ment être combiné avec une révision formé en terminal d’autobus en 1952. nord de l’îlot (l’ancien Palais d’Été), ou un lavage dans le garage-service Pour pouvoir absorber l’afflux de voi- était de l’architecte bruxellois Pierre équipé d’un car wash entièrement tures prévu dans le cadre de l’Expo 58, d’Haveloose et de l’ingénieur belge automatisé. Les places au sous- Paul Vanden Boeynants proposa de d’origine polonaise Abraham Lipski 4 sol étaient louées à plus long terme remplacer les Halles centrales par un (fig. 2, 3 et 4). Ils se basèrent plus que aux commerçants du quartier, qui 105
Le parking 58 à Bruxelles Fig. 1 Le plan de circulation de Tekhné pour le centre-ville de Bruxelles (1955) (Habiter, déc. 1963, p.15 © CDBDU). Fig. 2 Simulation du projet du Parking 58 sur le site des Halles centrales (© CDBDU, Fonds Gaspard). 106
Les Halles centrales Le site du Parking 58 se trouve à l’em- La nouvelle église fut contestée à d’infrastructure qui ont eu un impact placement du premier port de Bruxelles, l’origine pour son style éclectique et majeur sur la structure et la fonction au point de la limite de la navigabilité pour la faible qualité de la construc- de l’ancien quartier portuaire. Inspirée de la Senne1. Après le creusement du tion. En raison de la chute de débris, des interventions de Haussmann à canal de Willebroeck au XVIe siècle ain- l’église dut être isolée de son parvis Paris, la proposition de Suys avait pour si que l’aménagement des différents par une palissade en 1930. En 1957, objectif de créer un nouveau centre bassins à l’intérieur des murs de la l’administration communale envisa- prestigieux capable de faire (re)venir ville, l’ancien débarcadère du port mé- gea même de la démolir et d’amé- la bourgeoisie nantie vers le cœur de diéval fut transformé en marché aux nager à son emplacement un espace la ville. Du fait de l’amélioration des poissons. Le nouveau port intérieur de de stationnement3. La construction du moyens de transport, les classes ai- Bruxelles a connu son apogée au début Parking 58, qui réduisit la pression du sées avaient en effet de plus en plus du XIXe siècle, mais le prolongement stationnement dans le quartier, fit en jeté leur dévolu sur les communes du canal vers Charleroi (1827-1832) et sorte que l’on renonça finalement à sa vertes du sud-est de la capitale. Le l’aménagement du Grand Bassin du démolition. Cinquante ans plus tard, nouvel axe devait être rythmé par une Commerce (1830) le rendirent rapide- le sort de l’église reste encore et tou- série d’édifices publics tels que la ment superflu. Les bassins furent alors jours incertain. Bourse de Commerce, une fontaine progressivement remblayés et, sur monumentale au niveau de la place une partie du bassin terminal, l’église Le voûtement de la Senne en vue de Saint-Géry et un complexe de mar- Sainte-Catherine fut construite d’après l’aménagement des boulevards du chés couverts inspiré des pavillons les plans de Joseph Poelaert, archi- centre à partir de 1865, selon les plans que Victor Baltard avait construits à tecte encore relativement inconnu à de Léon-Pierre Suys, a constitué la Paris entre 1852 et 1870. Suys pré- l’époque 2. deuxième série de grands travaux voyait, le long du nouveau boulevard Bruxelles Patrimoines N°013 – décembre 2014 La façade des Halles centrales du côté de la rue de la Vierge Noire (coll. Belfius Banque-Académie royale de Belgique © ARB-SPRB). Les Halles centrales, in BRUYLANT E., La Belgique illustrée : ses monuments, ses paysages, ses œuvres d'art, t. I, Bruylant-Christophe et Cie, Bruxelles, s.d. (vers 1890), p. 107 (© CDBDU). 107
Le parking 58 à Bruxelles Vue intérieure du Pôle Nord Vendeurs ambulants devant les Halles centrales (coll. Belfius Banque-Académie royale de Belgique © ARB-SPRB). (coll. Belfius Banque-Académie royale de Belgique © ARB-SPRB). du centre, huit pavillons d’une su- la partie nord et d’en faire une pati- Durant la Seconde Guerre mon- perficie totale de 11.000 m², où se- noire ; elle conservait ainsi son carac- diale, le Palais d’Été perdit son ca- raient centralisés tous les marchés tère public et l’installation frigorifique ractère élitaire. Il fut transformé en bruxellois (commerce de gros et de existante pouvait encore être mise cynodrome et ferma définitivement détail). Bien que seuls deux pavil- à profit. Après un incendie en 1894 ses portes en 1953. Les choses évo- lons furent finalement construits, (durant la première saison du Pôle luèrent également dans l’aile sud l’ensemble était néanmoins impres- Nord/Palais d’Été), la ville fit réaména- des Halles centrales. Dès 1933, elle sionnant par sa taille. Les halles ger l’aile nord par Alban Chambon, au- accueillit PRIBA, un hard-discounter étaient constituées de onze fermes teur notamment de l’hôtel Métropole. de la première heure, qui conclut avec espacées de 5 m, reliées par des arcs Inspiré par les Folies Bergère pari- la Ville de Bruxelles un contrat de bail en plein cintre, et séparées par une siennes, le Palais d'Été devint rapi- de trente ans pour y installer sa pre- rue couverte de 12 m de large4. Au dement le lieu de sortie le plus prisé mière grande succursale. total, les Halles centrales offraient une du Bruxelles d’avant-guerre, avec une superficie de quelque 5.000 m² d’es- programmation variée de concerts, pace commercial. L’ossature en fonte de bals de gala, de combats de boxe, était abondamment décorée à l’aide de et même un salon de l’auto en 1902 5. notes figures représentant du gibier, des vo- Après que les Halles servirent de point 1. HUBERTY, C. et VALENTE SOARES, lailles, des poissons, des fleurs et des central pour la distribution de vivres P., Le quartier Sainte-Catherine et les fruits, et de statues allégoriques du pendant la Première Guerre mondiale, anciens quais, Ministère de la Région de sculpteur Louis Samain (1834-1901). la programmation reprit durant l’entre- Bruxelles-Capitale, Bruxelles, 1994, p. 3 (Bruxelles, ville d’art et d’histoire, n° 11). deux-guerres ; il fut alors mis fin aux Le succès des halles fut toutefois de activités de patinage, ce qui permit 2. MARTINY, V.G. et alii, Poelaert et son temps, Crédit Communal de Belgique, courte durée. Tout comme la plupart la mise en place d’une infrastructure Bruxelles, 1980, p. 174-179. des autres halles de marché couvert théâtrale permanente. En 1936, on y 3. DES MAREZ, G., Guide illustré de de Bruxelles, les Halles centrales installa même une scène tournante. Bruxelles, Touring club, Bruxelles, 1918, éprouvèrent une vive concurrence p. 114. due à l’essor des coopératives et des Durant tout ce temps, les environs 4. VANDENDAELE, R., « Le métal dans l’ar- grands magasins (privés), tandis que des Halles centrales étaient le théâtre chitecture du XIXe siècle », in : MARTINY, dans la haute bourgeoisie, il était de d’une étrange alternance sociale. Si le V.G. et alii, Poelaert et son temps, op. cit., p. 78-100 (86-87). plus en plus de bon ton de se faire livrer matin, elles fourmillaient de marchands les courses à domicile. Pour préserver ambulants, de porteurs, de livreurs 5. VANHEES, B., « Een gebouw met 3 levens : het Palais d’été en de Pôle Nord la rentabilité des halles, le collège des et d’acheteurs, le soir, elles étaient in Brussel », www.retroscoop.com/maat- échevins décida dès 1893 de réaffecter prises d’assaut par la bourgeoisie. schappij.php?artikel=147, s.d. 108
pouvaient y offrir le stationnement Enfin, il faut dire que le concept struc- des câbles, les caissons étaient rem- gratuit à leurs clients. L’ensemble turel du Parking 58 était lui aussi nova- plis de béton (fig. 6). Le résultat était comprenait également une série teur. Les poutres de 32 m de long qui époustouflant : pour réaliser la portée de commerces au rez-de-chaussée soutenaient les sols en béton avaient de 30 m, il suffisait d’élever une rangée (27 dans la première phase). été fabriquées selon le procédé dit de colonnes au centre du parking. Blaton-Magnel : douze éléments pré- Cette configuration offrait un vaste Un deuxième aspect novateur était fabriqués indépendants en forme de espace libre (16 m), et donc plus d’em- le principe d’une collaboration pri- caisson étaient accolés les uns aux placements de stationnement que vé-public, selon lequel la ville cédait autres à l’aide d’une petite couche dans l’exemple de San Francisco, où le terrain en emphytéose à un pro- de mortier, tandis que des câbles en les colonnes n’étaient distantes que moteur privé (Ado et Jean Blaton acier étaient passés dans les orifices de 7 m. La manière dont le parking fut pour la société Bâtiments & Ponts) prévus à cet effet selon un tracé légè- construit était, elle aussi, particulière : pour une durée de 70 ans – un prin- rement parabolique. Le serrage des afin de ne pas exercer de charge ex- cipe que la Ville de Bruxelles appli- câbles d’acier permettait ensuite de centrique sur les colonnes de la façade querait presque systématiquement comprimer fortement les douze élé- du fait des poutres précontraintes (il dans les années 1960 dans le cadre ments et de former ainsi une longue existait un risque qu’elles soient tirées de la modernisation du centre-ville. poutre précontrainte. Après ancrage vers l’intérieur), les colonnes centrales Fig. 3 Parking 58. Plan rez-de-chaussée, 1956 (première phase), in La Tech- nique des travaux, vol. 33, nov.-déc. 1957, p. 325, fig. 6 (© CDBDU). Fig. 4 Parking 58. Vue sur la rampe à l’angle de la rue de l’Évêque, in La Technique Fig. 5 des travaux, vol 33, nov.-déc. 1957, George Applegarth, Downtown Center Garage, San Francisco (1955), in La Technique couverture (© CDBDU). des travaux, mai-juin 1956, p. 168, fig. 2 (© CDBDU). Bruxelles Patrimoines N°013 – décembre 2014 109
Le parking 58 à Bruxelles Fig. 6 Parking 58. Intérieur. La grande portée assure un maximum d’espace libre. La Technique des travaux, vol. 33, nov-déc. 1957, p. 326, fig.8 (© CDBDU). furent coulées en premier. Vinrent sur place. Reste que si le Parking 58 l’état pur. » 8 La Maison, elle aussi, ne ensuite l’assemblage des poutres surclassait son modèle américain sur tarit pas d’éloges : « Nul doute que précontraintes et, enfin, la coulée le plan de l’inventivité technique, il ne le succès de cette réalisation ne soit des colonnes de façade. Celles-ci fu- pouvait rivaliser avec lui en termes assuré et ne se transporte au-delà rent calculées et réalisées dans l’hy- de présence architecturale : contrai- de nos frontières comme le symbole pothèse de trois étages supplémen- rement à San Francisco, la rampe de l’esprit d’initiative belge dans la taires, qui furent d’ailleurs ajoutés ne pouvait ici faire office d’attraction recherche des solutions aux problè- par la suite. urbaine à l’angle de deux rues très mes qui sont communs aux grandes fréquentées, et le squelette en béton villes d’aujourd’hui. » 9 Le grand public L’élément le plus caractéristique de des façades avec son remplissage n’était cependant pas encore prêt pour l’édifice était sans conteste la rampe de verre ne permettait pas de jouir une telle révolution, porte d’entrée inclinée à l’angle de la rue des Halles pleinement de l’étonnant ballet des d’une nouvelle ère de modernité et de et de la rue de l’Évêque – comparée voitures qui montaient et descen- mobilité. D’une capacité de 750 voitu- par certains aux escaliers en coli- daient le long de la rampe (fig. 8). res avec une durée de stationnement maçon des châteaux Renaissance de moyenne de 2 heures, le volume avait Blois ou de Chambord 6 (fig. 7). D’une Le Parking 58 fut néanmoins accueilli été estimé à 3.000 véhicules par jour largeur de 8,25 m, elle permettait à avec intérêt et amplement décrit dans – un objectif ambitieux sachant qu’à deux voitures de se croiser, contrai- la presse architecturale comme une l’époque, le plus grand parking du rement à l’exemple de San Francisco solution moderne à un problème aigu centre-ville, au Marché aux Poissons, où l’accès consistait en une double et contemporain des grandes villes 7. comptait 400 places. Ces attentes rampe hélicoïdale à un seul sens de La Technique des travaux conclut par optimistes ne furent pas du tout ren- circulation. La réalisation de cette exemple en ces termes : « Le nou- contrées dans les premières années. rampe s’effectua toutefois selon les veau parking est une œuvre d’une Ce n’est qu’au début des années 1960 méthodes traditionnelles ; en rai- hardiesse remarquable et d’un fini que la voiture devint un bien d’usage son de sa forme complexe (la pente d’exécution irréprochable, où l’effet courant et que les gens s’habituè- variait par exemple entre 9 et 14 %), d’esthétique est certain, résultant de rent à l’idée d’un parking payant. À cet élément fut entièrement coulé la mise en œuvre du béton armé à partir de là, la S.A. Parking 58 (l’em- 110
Fig. 8 La partie sud des Halles centrales avec en fond la partie nord du Parking 58 (© AVB, fonds iconographiques, A 3546). Fig. 7 Parking 58. Vue intérieure depuis la rampe, in La Technique des travaux, vol 33, nov.-déc. 1957, p. 328, fig. 12 (© CDBDU). bryon de l’actuel Interparking Group) Les ambitions des promoteurs ment d’un centre sportif sur le toit de connut une expansion fulgurante. Au concernant l’exploitation du potentiel l’immeuble en 1976 témoignait de la cours des années 1960, l’entreprise commercial du site furent, elles aussi, dilution de la fonction de parking ori- construisit en effet des parkings dans revues à la hausse. Ils tentèrent tout ginelle et de la quête de rendement 13. toutes les grandes villes de Belgique, d’abord d’installer dans le bâtiment à un rythme très soutenu 10. davantage d’activités tertiaires renta- La tension entre la recherche du pro- bles, comme des bureaux et un espace fit maximal et l’attention à la qualité d’exposition. La convention initiale urbanistique atteignit son apogée À la recherche de la avec la Ville stipulait toutefois qu'au dans le différend qui allait, pendant rentabilité maximale minimum 60 % de la superficie au sol plusieurs années, opposer les promo- du bâtiment devaient être affectés au teurs et la Ville de Bruxelles au sujet Le Parking 58 fut rapidement agran- parking (avec un total d’au moins 500 du squelette en béton non recouvert du di : quatre étages et une aile latérale places). Le parking était en effet sup- Parking 58, et des énormes panneaux Bruxelles Patrimoines N°013 – décembre 2014 furent ajoutés en 1964, selon le même posé stimuler les activités commer- publicitaires placés sur la façade le procédé de construction 11. L’opération ciales sur les boulevards centraux, et long de la rue du Marché aux Poulets 14 modifia sensiblement l’aspect du bâ- non pas créer des flux de trafic supplé- (fig. 9). Ce n’est que dans les années timent. Si la hauteur restreinte, la re- mentaires par une densification fonc- 1980 qu’une vraie façade fut mise en lative transparence et certains détails tionnelle 12. Il est dès lors surprenant place. Pour d’autres, ce caractère brut tels que l’auvent à la corniche limi- qu’en 1965, la Ville de Bruxelles donna du bâtiment avait précisément un côté taient quelque peu le poids visuel de l’autorisation de transformer une par- fascinant. En 1983, le Parking 58 ser- l’édifice, ce dernier devenait à présent tie du bâtiment en bureaux afin d’y vit par exemple de décor à une scène un volume massif qui occupait non loger « temporairement » le Ministère majeure du film Mortelle Randonnée seulement tout l’îlot entre la rue des des Travaux publics. La Poste, et plus de Claude Miller, où le personnage Halles, la rue du Marché aux Poulets, tard également d’autres services ad- principal (incarné par Isabelle Adjani) la rue de la Vierge Noire et la rue de ministratifs, y occupa des bureaux. lance intentionnellement sa voiture l’Évêque, mais qui, par sa hauteur, L’introduction d’une demande de per- contre le garde-fou de l’étage supé- étouffait les artères environnantes. mis de bâtir (refusée) pour l’aménage- rieur pour s’écraser dans la rue. 111
le parKIng 58 à Bruxelles le pArKinG 58, Le défi qui se pose pour le développe- lement dans le caractère élémentaire uTopie urBAine ment futur est double : comment ce de son architecture (fig. 10a et 10b). il site peut-il continuer à jouer son rôle ressemble à une application à grande ce qui précède permet de constater historique, et quelles exigences cela échelle du concept dom-ino de 1914 que le site du Parking 58 a joué un rôle pose-t-il à sa future interprétation de le corbusier (fig. 11) : le célè- crucial dans l’histoire économique, so- architecturale ? À ce titre, l’évolution bre architecte avait compris que deux ciale et urbanistique de Bruxelles. mais des halles centrales et du Parking 58 dalles de sol supportées par six colon- cette continuité historique, par laquelle est porteuse d’enseignements. dans nes en béton permettaient toutes l’administration communale a utilisé les deux cas, leur affectation mono- les solutions de façade et compar- le site pour concrétiser ses priorités fonctionnelle initiale s’est rapidement timentages intérieurs. Le toit plat en matière de politique de la ville, est étoffée d’autres programmes. en permettrait par ailleurs de regagner aujourd’hui interrompue du fait, tout outre, l’architecture spécifique des la place que l’immeuble occupait au d’abord, de l’accord d’emphytéose de deux édifices permettait une affecta- rez-de-chaussée. c’est précisément 1956 et ensuite, 30 ans plus tard, par la tion mixte. outre son concept struc- cette « absence » de l’architecture qui vente du site à un partenaire privé. La turel novateur et son importance typo- explique la fascination de plusieurs ville de Bruxelles n’est donc plus pro- logique en tant que premier exemple générations d’étudiants en architec- priétaire du terrain et ne pèse donc plus d’un parking payant, la valeur du ture pour le Parking 58 (fig. 12a, 12b qu’indirectement sur son affectation. Parking 58 réside peut-être paradoxa- et 12c). Les différentes dalles de sol Fig. 9 Fig. 10a et 10b parking 58. façade côté rue du Marché aux poulets, vues extérieure et intérieures du parking 58 état à la fin des années 1960 (© avB, Tp 84 415). (a. de ville de goyet, 2014 © sprB). 10a 10b 112
Fig. 11 Le Corbusier, principe Dom-Ino, 1914, in LE CORBUSIER, Œuvres complètes, 1919-1929, p. 23. (© Fondation Le Corbusier). Propositions d’étudiants de la faculté d’architecture de la KU Leuven, campus Sint-Lucas Bruxelles, pour des interventions au Parking 58, développées durant une semaine de projet en 2014. Fig. 12a Curtain Wal (Tom Uyttendaele, Heleen Verheyden, Fig. 12b Tarick Astitou, Taycan Karas) Urban Forest (Lotte D’Haene, Jim Du Pan, Chee Chung Lum) Bruxelles Patrimoines N°013 – décembre 2014 Fig. 12c Urban Farming (Joannes Stockbroekx, Arthur Hubert, Youssef Abdellaoui, Rutger van Hoef). 113
Le parking 58 à Bruxelles l’ARAU proposaient des projets alter- natifs en guise de critique contre la politique urbaine (ou son absence), elle fustigeait la privatisation du site, le caractère exclusif du projet et le grand nombre de bureaux (et la pres- sion automobile y afférente) en pre- nant la structure en béton actuelle comme base pour un projet mixte avec des habitations sociales, un parc public sur le toit, une crèche de quar- tier, etc. Ceci a sérieusement relancé le débat Fig. 13 sur l’avenir du site : le rôle historique Vue du toit du parking 58 (© A. Henderick). de l’endroit dans le développement de Bruxelles exige pour l’avenir une semblent pouvoir abriter chacune un visions alternatives sur une urbanité construction urbaine ambitieuse qui univers propre, tandis que la remar- future qui met l’accent sur la liberté, fasse plus qu’offrir simplement de quable vue sur le centre-ville depuis l’espace et l’appropriation. La chose l’intimité, du luxe et du confort à un le toit plat (fig. 13) fait depuis plu- est apparue encore plus clairement groupe sélect d’habitants et d’utilisa- sieurs années figure de secret d’initié lorsque le propriétaire des lieux a teurs. En d’autres termes, il s’agit ici dans de nombreux guides de voyage. dévoilé, en 2012, ses plans pour moins d’architecture que d’urbanité : une nouvelle affectation du site avec comment une nouvelle affectation de Par son caractère semi-public dans 30.000 m² de bureaux, 1.200 m² de cette parcelle peut-elle renforcer le un centre-ville à haute densité de commerces, 5.000 m² de logements caractère mixte et public de cet endroit construction et fortement privatisé, et 859 emplacements de parking. stratégique ? Vu sous cet angle, le le Parking 58 fait en quelque sorte Avant même la divulgation officielle squelette en béton du Parking 58 ne figure de port franc dans l’imagi- du projet de Bruno Albert & Associés, fait plus nécessairement figure de naire collectif bruxellois. L’été, par une contre-proposition anonyme, chancre urbain, mais aussi de pos- exemple, on y organise des « apéros fictive, faisait déjà la ronde. Dans la sible pierre angulaire dans la revalo- sur le toit » très prisés 15. Le squelette meilleure tradition bruxelloise des risation du centre de Bruxelles. en béton du Parking 58 est ainsi de- contre-projets des années 1970 et venu une toile de projection pour des 1980, où des associations telles que Traduit du Néerlandais 114
notes Urban renewal in the rear-view mirror 1. Vanden Boeynants était député pour 7. Le Parking 58 a été décrit dans les Parking '58 in Brussels l’arrondissement de Bruxelles (1949- périodiques suivants: DE NEUVILLE, I., 1985) et, en cette qualité, membre « Le ‘Parking 58’ à Bruxelles », également de la commission Classes La Technique des travaux, n° 11-12, The site of Parking ’58, situated moyennes de la Chambre (1949-1961, 1957, p. 322-330 ; « Le ‘Parking 58’ », at the very heart of Brussels has avec des interruptions). Au sujet de La Maison, n° 7, 1957, p. 216-218 ; always played an important role Paul Vanden Boeynants et de ses « Parking Garages in Brussels », relations avec les promoteurs immo- Concrete Quarterly, n° 40, 1959, in the economic development of biliers bruxellois, voir notamment : p. 10-15. the city. Over the centuries it was TIMMERMAN, G., Main basse sur part of the medieval inland port, 8. La Technique des travaux, n°11-12, Bruxelles, EPO, Bruxelles, 1991 et DE BONGNIE, P., Les amis de VdB et 1957, p. 330. a fish market in the 17th and 18th leurs affaires, Éditions Vie ouvrière, 9. La Maison, n° 7, 1957, p. 216. centuries and, after the vaulting Bruxelles, 1970. of the Senne and the conversion 10. Société anonyme Parking 58 : 13 ans 2. LAGROU, E., « Het naoorlogse d'activité 1957-1969, Interparking, of the dock areas in the late stedenbouwkundig beleid voor de s.l., 1969. 19th century it became the Central vijfhoek », Straten en Stenen, 11. AVB, TP 82 758 (1962). Les plans Covered Market for general p. 309-359. Voir aussi STERKEN, S., « Bruxelles, une capitale en mouve- pour l’extension ont été dessinés et foodstuffs. In the middle of the ment ? 50 ans d’architecture et d’ur- exécutés par Jacques Cuisinier. 20th century, a multi storey car banisme », hors-série revue Bruxelles 12. AVB, TP 82 758, rapport au collège, park was built in order to ensure Patrimoines, 2013, p. 187-209. 25/02/1963. the accessibility of the city centre 3. Au sujet de Claude De Clercq, voir 13. AVB, TP 85 208, rapport au collège, to automobiles. On the eve of STEVENS, J., De oervader van de 24/11/1976. betaalparking, http ://janstevens. a new chapter in this story, wordpress.com/2008/02/02/de-oerva- 14. AVB, TP 84 415 (1971). En réponse à where the current building will der-van-de-betaalparking/, 2008. la proposition des propriétaires de be replaced with a mixed-use faire revêtir une partie de la façade, 4. A.V.B., TP 65 173 (1955), TP 67 641 le fonctionnaire concerné envoya un structure containing both offices (1956). Nous n’avons pas pu trouver avis on ne peut plus clair au Collège: and residential space, this article d’informations complémentaires au « Il y a lieu d’exiger d’en terminer sujet de Pierre d’Haveloose. La vie addresses the changes which this avec toutes les façades et non des et l’œuvre d’Abraham Lipski sont en fragments comme proposé par le exceptional site has undergone revanche abondamment documentées. maître de l’ouvrage. Depuis 1958, soit and also looks at the heritage Lipski fit ses études dans les années plus de treize ans, en plein centre, 30 auprès du pionnier du béton gantois value of Parking ’58. un immeuble en activité dresse sa Gustave Magnel et fonda son propre silhouette inachevée. » (rapport au bureau d’études « A. Lipski n.v. » en collège, 18/05/1972). 1947. Il contribua activement à toute une série d’immeubles en région 15. Voir par exemple www.spottedbylo- bruxelloise, mais connut surtout la no- cals.com/brussels/parking-58 www. toriété en tant qu’inventeur de la poutre lesjardinssuspendus.be Preflex. Ce type de poutre permettait des portées gigantesques avec des hauteurs de construction minimales. Au sujet de Lipski, voir : RUPUS, P., Ingenieur Abraham Lipski (1911-1982) : een monografie (mémoire de master), Bruxelles Patrimoines N°013 – décembre 2014 Universiteit Gent, 2002-2003. 5. Le lien avec le parking de San Francisco est établi dans FREDRICX, D. et DE MEYER, R., « Bâtiments commer- ciaux et industriels à Bruxelles : une architecture de béton armé », Brussel, Modernisme/Art déco, Mardaga - Direction des Monuments et des Sites, Bruxelles, 2004, p. 121-135. Pour l’exemple américain, voir « Self-Parking à San Francisco : le ‘Dowtown Center Garage’ », La Technique des travaux, n° 6, 1956, p. 168-176 et Architecture d'Aujourd'hui, n° 62, 1955, p. 102. 6. DE KOONING, M., DE MEYER, R., « Parking ’58, Brussel », A+, 179, 2002, p. 80-81. 115
colophon Comité de rédaction Éditeur responsable Jean-Marc Basyn, Stéphane Demeter, Arlette Verkruyssen, directeur général Paula Dumont, Murielle Lesecque, de Bruxelles Développement urbain de la Cecilia Paredes, Brigitte Vander Brugghen Région de Bruxelles-Capitale, CCN et Anne-Sophie Walazyc. – rue du Progrès 80, 1035 Bruxelles. Rédaction finale en français Les articles sont publiés sous la Stéphane Demeter responsabilité de leur auteur. Tout droit de reproduction, traduction et adaptation Rédaction finale en néerlandais réservé. Paula Dumont Contact Secrétariat de rédaction Direction des Monuments et des Sites- Murielle Lesecque Cellule Sensibilisation CCN – rue du Progrès 80, 1035 Bruxelles. Coordination de l’iconographie http://www.monument.irisnet.be Cecilia Paredes aatl.monuments@sprb.irisnet.be Coordination du dossier Crédits photographiques Stéphane Demeter Malgré tout le soin apporté à la recherche des ayants droit, les éventuels Auteurs / collaboration bénéficiaires n’ayant pas été contactés rédactionnelle sont priés de se manifester auprès de la Thomas Coomans, Olivia Bassem, Direction des Monuments et des Sites Johan Bellaert, Jérôme Bertrand, de la Région de Bruxelles-Capitale. Céline Cheron, Stéphane Demeter, Paula Dumont, Diane Gustin, Liste des abréviations Marianne Hiernaux, Reinout Labberton, AAM – Archives d’Architecture Moderne Harry Lelièvre, Marie-Noëlle Martou, ARB – Académie royale de Belgique Marc Meganck, Muriel Muret, AVB – Archives de la Ville de Bruxelles Sven Stercken, Stephan Van Bellingen, CDBDU – Centre de Documentation de Steven Van Bocxlaer, Johan Van Dessel, Bruxelles Developpement urbain Valérie Vermandel, Eva Weyns. DMS – Direction des Monuments et des Sites Traduction KBR – Bibliothèque royale de Belgique Gitracom, Data Translations Int. KIK-IRPA – Koninklijk Instituut voor het Kunstpatrimonium / Institut royal Relecture du Patrimoine artistique Martine Maillard et le comité de rédaction. MRAH – Musées Royaux d’Art et d’Histoire SPRB – Service public régional de Graphisme Bruxelles The Crew Communication ISSN Impression 2034-578X Dereume Printing Dépôt légal Diffusion et gestion D/2014/6860/027 des abonnements Cindy De Brandt, Dit tijdschrift verschijnt ook Brigitte Vander Brugghen. in het Nederlands onder de titel bpeb@sprb.irisnet.be « Erfgoed Brussel ». Remerciements Philippe Charlier, Emanuelle de Sart, Farba Diop, Manja Vanhaelen.
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