Nouveautés Québec français - Érudit

 
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Québec français

Nouveautés

Numéro 164, hiver 2012

URI : https://id.erudit.org/iderudit/65882ac

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Éditeur(s)
Les Publications Québec français

ISSN
0316-2052 (imprimé)
1923-5119 (numérique)

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Citer ce compte rendu
(2012). Compte rendu de [Nouveautés]. Québec français, (164), 4–21.

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                                                                      Cet article est diffusé et préservé par Érudit.
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                                                                      l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à
                                                                      Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.
                                                                      https://www.erudit.org/fr/
ANTHOLOGIE                             prix littéraires et la maison              BANDE DESSINÉE
                                              s’est constitué un public
       PHILIPPE MOTTET                        fidèle, ouvert aux nouveautés,             ROBERT LEPAGE
       et GILLES PELLERIN                     friand de textes stimulant les             et MARIE MICHAUD [FRED
       Vingt-cinq ans de nouvelles.           neurones. L’éclatement des                 JOURDAIN - mise en images]
       Une anthologie québécoise              anciennes formes et des règles,            Le dragon bleu
       Avant-propos de Philippe Mottet        le fantastique, le réalisme                Alto et EM, Québec
       L’instant même, Québec                 réinventé ont trouvé leurs                 2011, [n. p]
       2011, 315 pages                        adeptes. Car la relève scrute la

    L   ors de sa fondation en 1986,
        L’instant même poursuivait
                                              vie avec une fulgurance et une
                                              intensité époustouflantes –
                                              caractéristiques pour le genre – et
                                                                                       A    daptation en bande dessinée
                                                                                            de la pièce de théâtre écrite
                                                                                       par Robert Lepage et Marie
    le but de publier des recueils            s’empare de sujets peu ou pas            Michaud, Le dragon bleu nous
    de nouvelles, pari audacieux et           explorés encore, comme l’inceste,        transporte dans une Chine
    geste unique dans le monde                le mal de vivre des adolescents,         contemporaine en pleine méta-
    francophone. Il est vrai que              les conditions familiales, l’altérité,   morphose. Nous y retrouvons trois
    le « petit genre » avait pris de          pour ne nommer que ceux-là.              personnages : Pierre Lamontagne,
    l’expansion. À cette époque,                  À la lecture de cette antho-         un Québécois installé à Shanghai,
    des revues montréalaises                  logie de trente et une nouvelles,        où il possède une galerie d’art ;
    contribuaient à la croissance             on constate non seulement                Claire Forêt, son ancienne amou-
    exponentielle de textes brefs             l’étonnante variété de thèmes            reuse, venue en Chine adopter
    (Liberté, Mœbius, XYZ. La revue           et de formes, mais surtout l’évo-        une petite fille ; Xiao Ling, une
    de la nouvelle, Imagine…, entre           lution des stratégies narratives.        jeune artiste chinoise exposant
    autres). Cependant, l’éditeur de          Présentés par cinq tranches de           ses œuvres dans la galerie de
    Québec ne se limitait pas aux             lustres, les textes ont été choisis      Pierre. Pour chacun, la vie est sur
    recueils du monde francophone,            dans le but de faire ressortir les       le point de changer, que ce soit
    mais se lançait également                 particularités de la « nouvelle          à cause de décisions gouverne-
    dans l’exploration d’œuvres               nouvelle » ; de Jean-Paul Baumier        mentales menaçant l’existence
    canadiennes anglaises, chiliennes,        à Marie-Claude Malenfant, en             de la galerie de Pierre, de l’échec
    irlandaises, mexicaines,                  passant par les incontournables,         de l’adoption pour Marie ou
    allemandes, argentines, russes...,        Gilles Pellerin, dont on aurait          d’une grossesse inattendue pour
    et ce, même si la nouvelle                souhaité lire un second texte,           Xiao Ling. Ils devront déterminer
    n’avait pas la « cote » et que le         tiré d’Ï (i tréma), Pierre Yergeau,      comment ces événements
    monde de l’édition de langue              Danielle Dussault, Diane-Monique         transformeront leur vie et leurs       dans la présentation des dialo-
    française déclarait qu’elle ne se         Daviau, Nicolas Dickner et son           relations les uns avec les autres,     gues (phylactères, disposition en
    vendait pas ou trop peu, alors            superbe « L’Ancien monde »,              entre fuite en avant, résignation      bas de page accompagnée de
    que, dans les pays anglophones            Sylvie Massicotte, Roland Bour-          et confiance. La mise en images        vignettes représentant les inter-
    et germaniques, les lecteurs lui          neuf, Lori Saint-Martin (une             que Fred Jourdain fait de cette        locuteurs, monologue dispersé
    demeuraient attachés. Depuis,             merveille, son « Mon père, la            pièce de théâtre se détache            dans l’ensemble d’une page…) et
    la situation a changé. Bon                nuit »), Pascale Quiviger. Et puis,      de certaines conventions de la         des illustrations (actions décrites
    nombre des recueils de L’instant          on demeure ébloui devant l’éven-         bande dessinée pour permettre          par une succession de cases,
    même ont été couronnés de                 tail des années 2006-2010, avec          au dessin de s’évader de la case       illustrations occupant une page
                                              les Guillaume Corbeil, Louise            traditionnelle ou au dialogue de       ou une double page, présenta-
                                              Cotnoir, Natalie Jean, David             sortir à l’occasion du phylactère.     tions plus abstraites d’un panda
                                              Dorais et un étincelant bijou de         Bien que la case et la bulle soient    et d’idéogrammes chinois). Enfin,
                                              Stéphanie Kaufmann. Le choix             présentes à certains moments           la présence constante du motif du
                                              vous met l’eau à la bouche. Vous         de l’album, l’illustration occupe      trio tout au long de l’album (trois
                                              y trouverez de courts exemples           régulièrement toute la double          personnages, trois langues, les
                                              du genre qui se prêtent de façon         page, transformant alors l’espace      trois gorges du Yang-Tsé-Kiang…)
                                              idéale au travail en classe, à           du livre en espace scénique, le        se poursuit jusque dans le triple
                                              chaque niveau : il y en a pour           théâtre devenant pour ainsi dire       dénouement s’offrant aux person-
                                              tous. Ou encore, laissez vaga-           portatif. Même si le livre peut très   nages, les différentes possibilités,
                                              bonder vos élèves, ils trouveront        bien se lire en faisant abstraction    présentées par des dialogues
                                              ce qui les interpelle.                   de la pièce théâtrale dont il est      identiques et des illustrations ne
                                                  Cette anthologie, à un prix          inspiré (je n’ai moi-même pas vu       différant que par la position des
                                              plus qu’abordable, est une               cette pièce), nous pouvons recon-      personnages, permettant aux
                                              bonne façon de les inciter à lire        naître une certaine influence de       trois protagonistes de trouver les
                                              et d’éveiller leur intérêt pour le       la scénographie particulière de        uns chez les autres un espoir de
                                              « petit genre ».                         Lepage dans la façon dont Jour-        rédemption.
                                                                  HANS-JÜRGEN GREIF    dain joue d’une hétérogénéité                                 CHRISTINE OTIS

4   Québec français 164 | H I V E R 2 0 1 2
NOUVEAUTÉS

   ÉTUDE                                    à l’atomisation de la figure d’écri-     caractère factuel […], introdui-       romanesque, qu’elle prenne la
                                            vain, en passant par diverses            sant d’autre part, sous le sérieux     forme de la rage ou de l’impréca-
   ROBERT DION                              variations imaginatives sur leurs        de l’admiration indéfectible, le       tion » (p. 18).
   et FRANCES FORTIER                       trajectoires. Le deuxième chapitre       germe d’une puissante ironie »             Pour Harel, « la méchanceté,
   Écrire l’écrivain.                       nous permet d’appréhender les            (p. 127). L’ouvrage constitue un       si on l’insère à l’intérieur d’une
   Formes contemporaines                    diverses transpositions (reprises,       outil précieux pour qui veut saisir    logique de l’interlocution, si
   de la vie d’auteur                       échos, recadrages, reformula-            les singularités du procès biogra-     on la considère à l’intérieur
   Les Presses de l’Université              tions) que fait subir l’écrivain à       phique que propose la littérature      des récits de l’imagination
   de Montréal, Montréal                    l’œuvre du biographé dans ce             contemporaine, « prise comme           comme pivot d’un dialogue
   2010, 191 pages                          geste de réinterprétation et de          elle l’est entre le souvenir d’une     difficile avec l’autre, possède
   (Coll. « Espace littéraire »)            réappropriation que convoque             longue lignée et les impératifs du     une valeur heuristique qu’il ne
                                            la fiction biographique. Le troi-        présent » (p. 16).                     faut pas négliger » (p. 17). Ainsi,

D      epuis quelques années, la
       critique littéraire fait état d’un
retour du sujet dans les œuvres
                                            sième chapitre aborde le discours
                                            sur l’œuvre et expose les méca-
                                            nismes par lesquels les écrivains          SIMON HAREL
                                                                                                       MARIE-HÉLÈNE VOYER   de l’écorché-vif à l’emporté-vif,
                                                                                                                            du fantasme d’illimitation au
                                                                                                                            décollement créateur, l’essayiste
de fictions contemporaines. En              se jouent de la fonction critique          Attention écrivains                  explore autant de figures
effet, on a vu se multiplier, à partir      de la biographie : certains poin-          méchants                             d’auteurs, autant de concepts,
des années 1980, les romans à               tant de façon ludique l’inanité            Les Presses de l’Université Laval    autant de pistes pour mieux
caractère biographique, les auto-           d’une critique objective, d’autres         Québec, 2010, 181 pages              comprendre la mécanique
fictions ou encore les récits de            déniant littéralement la fonction                                               complexe de cette « fabrique de
filiation. Basé sur un impression-
nant corpus (quelque 350 œuvres
publiées pour la plupart depuis
                                            critique du biographique. Dion
                                            et Fortier montrent bien par là
                                            la teneur critique des fictions
                                                                                     D     ans Attention écrivains
                                                                                           méchants, Simon Harel
                                                                                     propose une plongée dans l’uni-
                                                                                                                            la méchanceté » (p. 71) et pour
                                                                                                                            mieux circonscrire « l’aire de
                                                                                                                            jeu, contrainte des baroudeurs
cette date dans les principales             biographiques actuelles, où « il         vers singulier de la méchanceté        de l’absurde et du désespoir »
langues occidentales), l’ouvrage            semble que le narratif et l’argu-        littéraire. Portant son regard sur     (p. 106).
de Robert Dion et Frances Fortier           mentatif […] ne s’opposent ni ne         des auteurs aussi variés que Bern-         Harel montre bien comment
propose une véritable radiogra-             se relaient, mais […] se déversent       hard, Cioran, Houellebecq, Céline,     la méchanceté littéraire, plus
phie des « textes consacrés aux             plutôt l’un dans l’autre » (p. 119).     Mavrikakis et Lê, il s’intéresse à     qu’un simple exercice de style
écrivains par des écrivains » (p. 9).       Finalement, le quatrième chapitre        tous ces cas de figure où l’écrivain   ou qu’une simple posture d’écri-
Les fictions biographiques présen-          fait état des diverses modalités         « par une rigueur absolue, tente       vain, « cristallise les tensions
tées dans cet ouvrage partagent             de détournement des pratiques            de faire de la méchanceté une          à l’œuvre dans le langage »
certaines caractéristiques : outre          traditionnelles (appareil de notes,      technique, une éthique et un art       (p. 121). De la même manière,
le recours à la fiction, ces textes         péritexte, etc.) et des formes           de vivre » (p. 177). Au fil de son     il met en relief le caractère
« prennent en écharpe la vie                anciennes (recueils de vies, hagio-      essai, il traque et débusque les       diffus de cette méchanceté
d’auteurs réels et proposent une            graphies, portraits littéraires, etc.)   « schèmes organisateurs de cette       qui témoigne « d’une violence
interprétation éminemment                   de la biographie et nous permet          méchanceté » (p. 172) et relève        infra-ordinaire, celle que nous
subjective de la vie ou de l’œuvre          de saisir comment, « par un effet        les « facteurs qui contribuent à       connaissons, dont nous sommes
du biographé » (p. 13).                     paradoxal, la transposition d’un         cette valorisation littéraire de la    témoins, qui ne prend pas l’as-
    Par le biais du concept de              procédé habituel de la critique          mécréance » (p. 108). Plutôt que       pect sanguinolent de meurtres,
transposition, les deux auteurs             et de la biographie sérieuses »          de faire l’apologie de la méchan-      d’attentats ou encore de géno-
proposent un parcours d’analyse             (p. 127) contribue à opérer des          ceté, il propose d’« évaluer à sa      cides » (p. 133), mais qui joue
qui permet de mieux circonscrire            renversements au sein des textes         juste valeur ce retour en force        « à chaque fois […] le ratage de
les stratégies employées par les            étudiés, « minant d’une part [leur]      de l’authenticité dans le discours     la rencontre d’autrui » (p. 178).
écrivains pour réinvestir, non sans                                                                                         C’est donc à une « méchanceté
ludisme, le matériau documen-                                                                                               nécessaire » que l’auteur nous
taire, « signalant du coup sinon                                                                                            invite à réfléchir, « celle qui nous
une contestation radicale, à tout                                                                                           éclabousse pour mieux nous
le moins une réserve à l’endroit de                                                                                         faire réagir » (p. 163) car, pour lui,
l’entreprise biographique » (p. 20).                                                                                        la méchanceté littéraire gagne
    L’ouvrage est découpé selon                                                                                             avant toute chose « à être saisie
« quatre champs d’application                                                                                               sous son aspect libérateur ».
du concept de transposition,                                                                                                Après tout, l’écriture littéraire
qui correspondent à autant de                                                                                               de la méchanceté illustre bien
types et renvoient à autant de                                                                                              comment « [l]a culture se
chapitres : le vécu, l’œuvre, la                                                                                            résume à ce franchissement
critique et le genre » (p. 15). Ainsi,                                                                                      rendu possible à chaque fois,
le premier chapitre aborde les                                                                                              à cette (trans)incarnation qui
différentes modalités du « vécu                                                                                             justifie, le temps d’une lecture,
transposé » : de la survivance                                                                                              de vivre autrement » (p. 179).
fictionnalisée des grands auteurs                                                                                                             MARIE-HÉLÈNE VOYER

                                                                                                                              H I V E R 2012 | Québec français 164   5
PIERRE NEPVEU                          vingt-cinq chapitres, qui sont         la grande ville anonyme, un Miron      que le peuple québécois assurera
       Gaston Miron.                          suivis de 100 pages de notes.          angoissé, tourmenté, hésitant,         son avenir et c’est la seule façon
       La vie d’un homme                      Voilà qui témoigne d’un travail        peu sûr de lui quant à la qualité      d’y parvenir. Car la langue, aux
       Boréal, Montréal                       de bénédictin, qui a nécessité dix     de son écriture et à la valeur de      yeux du poète militant, du poète
       2011, 900 pages                        ans de patientes recherches pour       ses poèmes, qu’il trouve souvent       engagé, est le fondement d’une
                                              recueillir, compulser, classer des     insignifiants. Sans être voyeur,       nation.

    P    ierre Nepveu était le cher-
         cheur tout désigné pour écrire
    la biographie de Gaston Miron.
                                              milliers de documents : livres,
                                              archives publiques et privées,
                                              correspondance, notes diverses,
                                                                                     Nepveu nous entraîne dans
                                                                                     l’intimité de cet homme profon-
                                                                                     dément malheureux en amour – il
                                                                                                                                Avec un souci d’exactitude et
                                                                                                                            une minutie exemplaire, Nepveu,
                                                                                                                            par petites doses et avec finesse,
    Poète lui-même, il a été mêlé à           sans oublier les nombreux témoi-       a même songé au suicide –, ce          nous livre, çà et là, les circons-
    la vie littéraire de Montréal et au       gnages d’ami(e)s et de critiques       qui le dérange profondément,           tances de création de plusieurs
    mouvement poétique québécois.             littéraires, pour nous offrir Gaston   lui qui, en plus, se trouve laid.      poèmes, souvent rédigés à la
    Il a souvent croisé notre poète           Miron. La vie d’un homme, titre        Nepveu permet encore à ceux            suite d’une passion amoureuse,
    national, au verbe haut, l’auteur,        qui n’est pas sans rappeler Vie        et celles qui ne l’ont pas côtoyé,     passagère ou éphémère, telle « La
    à son grand désarroi, d’un seul           d’un homme, de Guiseppe Unga-          aux non-initiés, de faire des          marche à l’amour » ou « La vie
    livre, L’homme rapaillé, qui a            retti, cité en épigraphe, à côté       découvertes, surprenantes pour         agonique » et plusieurs autres.
    marqué notre histoire littéraire. Ce      d’une autre citation, de Miron         d’aucuns. Ainsi ceux-là seront         Lui qui connaît si bien la poésie
    recueil, magistral pour certains, a       lui-même : « Je n’ai pas de biogra-    surpris de constater la grande         de Miron pour l’avoir longtemps
    bien failli ne jamais être édité, car     phie, mais mes poèmes sont             timidité de cet homme souvent          fréquentée, et qui s’est longue-
    Miron, un écrivain perfectionniste        autobiographiques ».                   solitaire, mais qui, une fois mêlé     ment et solidement documenté,
    et étonnamment très timide,                   Il faut dire, d’entrée de jeu,     à un groupe, devient si volubile       nous permet encore de constater
    comme nous le présente son                que Nepveu n’a rien laissé au          que parfois il en vient à déranger,    les nombreuses transformations
    biographe, avait toujours refusé          hasard, même si Miron, qui fut         voire à se comporter comme un          que le poète, si exigeant dans
    de réunir ses poèmes éparpillés           de plusieurs combats, emprunte         adolescent oubliant les bonnes         son désir d’atteindre la perfection
    dans divers journaux et revues,           diverses voies. Ce héros, le           manières, ainsi que le révèle sa       et fidèle à l’enseignement du
    jusqu’à ce que, en 1970, ses amis         biographe le suit à la trace, depuis   première rencontre avec celle          vieux Boileau, a fait subir à ses
    Jacques Brault et Georges-André           sa naissance à Sainte-Agathe-          qui fut sa dernière compagne,          vers, qu’il jugeait fautifs ou « en
    Vachon le convainquent. Paru              des-Monts, dans les Laurentides        Marie-Andrée Beaudet. Mais             souffrance », comme il le répète
    cette année-là aux Presses de             et ses « montagnes râpées du           il s’est assagi au cours des ans       souvent. C’est ce qui explique
    l’Université de Montréal, le recueil      Nord », le 8 janvier 1928, jusqu’à     et s’est donné corps et âme à          cet éternel chantier auquel il
    obtient le prix de la revue Études        sa mort, survenue à Montréal, le       sa poésie et à celle des autres,       s’est soumis, une bonne partie
    françaises et devait rapidement           14 décembre 1996. Entre ces deux       surtout, qu’il a publiée avec          de sa vie. Mais ce travail ne s’est
    marquer la littérature et la poésie       dates extrêmes, se déploie toute       amour et passion aux éditions          pas fait sans heurt. Encore moins
    québécoises, l’histoire littéraire,       une vie, qui ne fut pas toujours       de l’Hexagone, dont il a été le        dans la précipitation. N’a-t-il pas
    voire le Québec tout entier tant          de tout repos. Certes l’enfance et     cofondateur et le directeur litté-     mis plusieurs années avant de
    son impact a été considérable.            l’adolescence ont été heureuses        raire pendant plusieurs années.        publier L’homme rapaillé dans la
        La biographie de Nepveu               pour l’aîné de la famille, sans trop   Et s’il n’a publié qu’un unique        collection «Typo ». Il aura fallu
    peut être elle aussi considérée           d’histoire, jusqu’à la mort du père,   recueil sous son nom, en plus de       un geste presque d’éclat de
    comme un événement littéraire             l’industriel Charles-A. Miron, en      Deux sangs, qu’il a signé, en 1953,    Jean Royer, alors directeur litté-
    et culturel. Imaginons : 800 pages        1940, disparition qui marque une       avec son ami Olivier Marchand,         raire à l’Hexagone, pour que le
    de texte, divisées en cinq parties,       rupture très nette pour le jeune       c’est qu’il s’est beaucoup donné       recueil paraisse, avec toutefois la
    selon les dates charnières de             homme, contraint de quitter sa         ailleurs. On connaît encore mieux,     mention « édition non définitive »,
    la vie du poète, et réparties en          famille pour le juvénat des Frères     grâce à son biographe, son long        qui le deviendra cependant, avec
                                              du Sacré-Cœur, à Granby, puis          et difficile combat en faveur de       la disparition du poète.
                                              pour le noviciat, où il devient le     l’indépendance du pays qu’il a             L’ouvrage de Nepveu dépasse
                                              Frère Adrien. Il tâte déjà de la       profondément aimé, seule issue         largement la biographie d’un
                                              poésie et quelques-uns de ses          possible, à ses yeux, pour assurer     poète militant, le seul qui,
                                              poèmes, publiés dans le journal        sa propre naissance et celle de        jusqu’ici, a eu droit à des funé-
                                              de la communauté, attirent             son peuple, qu’il est allé rejoindre   railles nationales, dans l’église de
                                              l’attention. Mais la vie religieuse    sur la place publique (« je suis       Sainte-Agathe-des-Monts, où il
                                              lui pèse et il quitte la commu-        avec les miens sur la place            avait été baptisé. Par la grandeur
                                              nauté. Tout en restant fidèle          publique º et mon poème a pris         et l’importance de son « héros »,
                                              à sa foi, il se cherche pendant        le mors obscur de nos combats »        Nepveu a été forcé de nous
                                              quelques années, s’adaptant            (« Sur la place publique. Recours      proposer, pour notre plus grand
                                              difficilement à sa nouvelle vie,       didactique »). Et comment oublier      bonheur, une histoire culturelle et
                                              lui qui est pauvre, sans métier,       cet autre combat qu’il a mené          littéraire d’une époque charnière
                                              membre à part entière de ceux          pour défendre la langue française,     de l’histoire du Québec, depuis
                                              qu’il appelle « la petite race »       qu’il sait menacée par la présence     la parution de Refus global, en
                                              (p. 101). Le lecteur découvre alors,   envahissante de l’anglais. Pour        passant par la crise d’Octobre
                                              avec son installation à Montréal,      lui, c’est par la langue française     1970, qui a conduit Miron en

6   Québec français 164 | H I V E R 2 0 1 2
NOUVEAUTÉS

prison, comme un criminel,
jusqu’aux sombres lendemains du
Référendum de 1995 où, pour une
deuxième fois, déplore le poète,
les Québécois ont dit à nouveau
NON à leur naissance et à l’avène-
ment d’un vrai pays.
    Nepveu nous a donné un vrai
cadeau et il nous faut le remercier
à la fois pour la qualité de son
écriture, qui ne verse jamais dans
le jargon des seuls spécialistes,
pour la justesse de ses jugements,
toujours posés et judicieux, et
pour la prodigieuse érudition
dont il fait preuve, sans faire
étalage de pédantisme et sans                                                                                            l’Église catholique, en lutte
jamais donner de leçon. Voilà un                                                                                         constante avec l’État pour assurer
ouvrage touchant, émouvant,                                                                                              son hégémonie dans les domaines
qui se veut encore un modèle                                                                                             de l’assistance sociale, de l’édu-
du genre. Ce livre témoigne                                                                                              cation et des lois ouvrières, d’où
d’un amour inconditionnel du                                                                                             son intérêt à promouvoir le
biographe pour son héros, un                                                                                             développement des mouvements
grand homme, qui a marqué le                                                                                             catholiques, comme l’Association
Québec et les Québécois. Reste                                                                                           catholique de la jeunesse cana-
maintenant au Québec à lui                                                                                               dienne-français (ACJC).
témoigner sa reconnaissance en                                                                                              Le chapitre trois, l’un des
baptisant de son nom un édifice         sa parution. Il faut encore noter         qui supplante le naturalisme,          plus importants, est consacré
public, comme la Bibliothèque           d’emblée que Lucie Robert est             l’arrivée de revues influentes,        aux agents de la vie littéraire
nationale du Québec. Rien de            devenue codirectrice de ce tome           telles L’Action française, bientôt     et culturelle de cette période,
moins, car Gaston Miron le mérite       avec Denis Saint-Jacques, en              condamnée par Rome, La Nouvelle        mouvementée et effervescente.
amplement pour tout ce qu’il            remplacement de Maurice Lemire,           Revue française, La Revue des Deux-    Est présenté ici un échantillon
a accompli pour la poésie et la         le fondateur du projet, qui a pris        Mondes, la culture américaine de       de 98 hommes et de 38 femmes
littérature québécoises.                une retraite bien méritée.                grande consommation (déjà !) et        qui ont fait leur marque, dans
                      AURÉLIEN BOIVIN       Sous-titré « Le nationaliste, l’in-   quelques autres manifestations,        diverses sphères d’activités, selon
                                        dividualiste et le marchand », trois      voilà autant d’événements et           leur lieu d’origine, la formation
  DENIS SAINT-JACQUES                   types de meneurs « dont Lionel            d’éléments qui influencent le          qu’ils ont reçue, souvent à
  et LUCIE ROBERT [dir.]                Groulx, Louis Dantin et Albert            courant d’idées et, partant, la        l’université, même chez les
  La vie littéraire au Québec           Lévesque donnent des exemples             littérature et la culture du Québec,   femmes, nombreuses à y accéder,
  Le nationaliste, l’individualiste     représentatifs » (p. 4), ce tome suit     qui commencent à s’ouvrir au           ou à l’étranger, à Paris et à Rome,
  et le marchand                        le plan éprouvé des autres de la          monde.                                 notamment, leur état civil, les
  Tome VI : 1919-1933                   série. Le lecteur a d’abord droit à           Le deuxième chapitre, « Les        professions qu’ils ont exercées. On
  Les Presses de l’Université Laval     un bref mais fort utile regard sur        conditions générales », précise        jette même un regard rapide sur
  Québec, 2011, XV, 748 pages           les déterminations qui agissent,          les conditions sociohistoriques        les générations littéraires, celle des
                                        depuis l’étranger, la France et les       propres à jeter un nouvel éclai-       aînés, celle dite médiane et, enfin,

L   e sixième tome de La vie
    littéraire au Québec couvre
la période de 1919 à 1933, soit
                                        États-Unis surtout, sur la littéra-
                                        ture canadienne-française. Paris,
                                        sans surprise, continue d’exercer
                                                                                  rage sur divers aspects de la vie
                                                                                  et de la réalité de l’époque quant
                                                                                  à la démographie, l’économie,
                                                                                                                         celle de la jeune génération. Les
                                                                                                                         sous-chapitres sur les pratiques
                                                                                                                         associatives et la vie théâtrale
depuis la fin de la Première            son pouvoir et son attrait sur            l’éducation, les arts et la culture.   nous éclairent sur la promotion
Guerre mondiale, jusqu’au cœur          la littérature et la culture d’ici,       On assiste alors au triomphe sans      du nationalisme et de la littérature
de la Crise économique, qui sévit       tout comme le Vatican, obligé             équivoque du libéralisme, aux          nationale, sur les réseaux de
depuis le krach de 1929, et à l’avè-    toutefois de « composer avec les          tensions entre divers courants         L’Action française de l’abbé
nement de la modernité, qui se          nationalismes montant au Canada           d’idées de même qu’entre les           Groulx, du Cercle Ville-Marie et
manifeste en 1934 avec la publi-        comme en Europe » (p. 10), alors          communautés linguistiques et           de l’École littéraire de Montréal,
cation du journal L’Ordre d’Olivar      que les États-Unis « font du              religieuses. On insiste encore,        qui reprend ses activités à partir
Asselin, de La Relève, sous l’impul-    cinéma l’industrie culturelle domi-       avec la crise économique qui           de 1919. C’est toutefois la création
sion de Paul Beaulieu et de Robert      nante du monde occidental, tout           s’accentue, sur le clivage entre les   des « Individualistes de 1925 »,
Charbonneau, et des Demi-civilisés      en en développant une nouvelle,           classes sociales, sur la montée du     une association peu connue
de Jean-Charles Harvey, un roman        celle de la radio » (ibid.). Les          capitalisme et du corporatisme,        autour d’Alfred DesRochers, qui
qui fait scandale au moment de          « années folles », le surréalisme,        qui ne laisse pas indifférente         attire l’attention, par son souci

                                                                                                                           H I V E R 2012 | Québec français 164   7
de « pratiquer les échanges               Potvin, c’est l’éditeur Édouard           NOUVELLE                           d’avoir côtoyé tant de souffrance,
    d’idées, les correspondances              Garand qui marque la période                                                 en un si court laps de temps.
    et les rencontres sur une très            avec sa collection « Le roman             RÉJEAN BONENFANT                       L’auteur, un Trifluvien, immor-
    vaste échelle » (p. 168). Plusieurs       canadien ». Près de cent romans           Quelques humains,                  talise avec sensibilité et tendresse
    membres sont aussi liés au                sont ainsi publiés dans des cahiers       quelques humaines                  des destins marqués au fer rouge.
    Mouvement littéraire des Cantons          qui se vendent 25 sous et qui             Joey Cornu éditeur, Rosemère       Les thèmes explorés sont abon-
    de l’Est, qui a marqué la vie             obtiennent beaucoup de succès,            2011, 216 pages                    dants : paradis artificiels, suicide,
    littéraire et artistique de l’Estrie      dont ceux de Jean Féron, qui en                                              maladie mentale, prostitution,
    entre 1925 et 1934. Quant au
    théâtre, il n’est pas en reste avec
    l’avènement de diverses troupes,
                                              publie à lui seul pas moins de
                                              vingt-huit, d’Ubald Paquin (neuf)
                                              et d’Emma-Adèle Bourgeois (ou
                                                                                      P   résenté sous forme de
                                                                                          nouvelles, le recueil Quelques
                                                                                      humains, quelques humaines de
                                                                                                                           solitude, violence sexuelle,
                                                                                                                           pauvreté, amours brisées. Dans
                                                                                                                           « Requiem pour un gisant », par
    comme les Veillées du bon vieux           madame Lacerte, six). Le grand          Réjean Bonenfant est davantage       exemple, le lecteur plonge dans
    temps (dès 1920), celle de Barry-         succès de la période revient à          une collection de portraits de       le drame de Charles, orphelin
    Duquesne ou d’Olivier Guimond             Claude-Henri Grignon et son             personnages, de tous âges, tous      de parents morts tragiquement,
    (Tizoune), l’arrivée de dramaturges       Un homme et son péché, qui fera         plus écorchés les uns que les        qui prépare son dernier voyage.
    importants, comme Henry                   aussi carrière à la radio, puis à       autres. On pourrait même y voir      « Il se rend compte qu’il porte
    Deyglun, et les premiers grands           la télévision. Quant aux récits         un hommage aux existences            en lui le chaud et le froid ; que,
    succès, comme celui qu’obtient            brefs, ils continuent de véhiculer      fulgurantes plutôt qu’à celles       vivant, une partie de lui-même
    Aurore l’enfant martyr, dès 1921.         l’idéologie agriculturiste. Plusieurs   qui s’apparentent aux longs          est peut-être morte ». Dans
        « Le marché du livre », tel est       femmes se lancent dans la               fleuves tranquilles. Dans ce         « Portrait de la madame », il
    l’objet du quatrième chapitre, qui        nouvelle et multiplie les recueils,     recueil, rien n’est rose bonbon.     fait la connaissance de Louise,
    s’intéresse à la circulation du livre,    alors que Marie-Claire Daveluy,         On plonge dans des fragments         entraînée dans les dérives de
    aux bibliothèques et, surtout, à la       Marie-Rose Turcot, Michelle Le          de vie qui happent, on perçoit       son amoureux cocaïnomane, qui
    percée notoire de la radio, qui fait      Normand, Marie-Laure D’Auteuil          des concentrés d’émotions qui        tentera de garder le cap en inté-
    son apparition, tout en orientant         assurent les premiers pas de la         remuent forcément le lecteur,        grant une maison de thérapie.
    la carrière de certains littérateurs      littérature de jeunesse. Au théâtre,    qui ne peut ressortir indemne            Au moyen d’une plume incisive
    qui vont s’y consacrer, comme             le genre comique est des plus                                                et poétique, Bonenfant dépeint
    Robert Choquette, Jovette-Alice           populaires, avec la farce, le vaude-                                         le monde avec lucidité en faisant
    Bernier et Jean Narrache (pseudo-         ville, la comédie. Mais le théâtre                                           émerger de leur enveloppe les
    nyme d’Émile Coderre).                    dit sérieux, le drame (parfois bour-                                         êtres humains que nous pourrions
        Les deux chapitres suivants           geois) et la tragédie continuent à                                           croiser sur la rue, qui portent
    portent sur la prose d’idées :            attirer le public.                                                           souvent le masque du silence. Il
    l’essai, avec Groulx, le frère                Le dernier chapitre porte sur la                                         laisse voir les blessures invisibles
    Marie-Victorin, qui tâte déjà             réception et permet de se fami-                                              de ces êtres et en montre les
    de l’essai scientifique, Arthur           liariser avec le travail de certains                                         sentiers tortueux, qui labourent
    Saint-Pierre, Édouard Montpetit,          critiques influents, comme Louis                                             inévitablement l’existence. La
    Esdras Minville, et quelques              Dantin, par exemple, et avec des                                             lecture terminée, on se surprend
    femmes, comme Madeleine et Éva            éditeurs comme Albert Lévesque.                                              à regarder autour de soi en
    Circé-Côté. Victor Barbeau, Jean-             Voilà certes un ouvrage                                                  se demandant qui aurait pu
    Charles Harvey, Albert Pelletier          d’envergure et de grande qualité,                                            fréquenter des univers aussi trash.
    s’intéressent à la littérature et à       qui nous offre, dans une langue                                                  Dans un format en tête-bêche,
    la critique. L’histoire, la grande,       agréable et accessible, un portrait                                          avec de magnifiques illustrations
    fait de grands pas avec notam-            de la vie littéraire et culturelle                                           de Martin Gagnon-Blanchette, le
    ment Thomas Chapais et l’abbé             de la période visée. Il faut le lire                                         lecteur découvre sept portraits
    Groulx, qui publient leurs cours,         à petites doses pour en savourer                                             d’hommes, « Quelques humains
    alors que la petite s’enrichit de         toutes les nuances. Il peut rendre                                           porteurs de coquilles », et sept
    monographies, de biographies et           de précieux services à ceux et                                               portraits de femmes, « Quelques
    de chroniques. Quant au chapitre          celles qui veulent enrichir leurs                                            humaines démaquillées », avec
    6, consacré à la prose d’imagina-         connaissances sur divers sujets                                              au centre un face-à-face où
    tion, il nous permet d’assister à         qui ont marqué le Québec entre                                               un humain et une humaine
    l’arrivée, entre autres, de quelques      1919 et 1933, en particulier les                                             portent l’espoir des jours
    écrivaines marquantes, telles             grands débats de société entre                                               heureux. Malgré des thèmes
    Simone Routier et Alice Lemieux,          Groulx et Chapais au sujet du                                                lourds relevant du désarroi, ce
    mais qui dérangent aussi, comme           sens à donner à la guerre de la                                              recueil porte en son cœur une
    Medjé Vézina, Éva Senécal et              Conquête, l’impact qu’a exercé                                               lumière, une foi en l’avenir. En
    Jovelle-Alice Bernier, dont le            Albert Lévesque sur l’édition et                                             effet, certains réussiront « à
    roman La chair décevante ne fait          combien d’autres. On attend le                                               allumer les lampadaires des
    pas l’unanimité, en 1931. Si le           tome suivant, qui sera vraisembla-                                           grands boulevards qui borderont
    roman de la terre prolifère, avec         blement le dernier.                                                          désormais leur vie ».
    des chefs de fil comme Damase                                   AURÉLIEN BOIVIN                                                                 JULIE AYOTTE

8   Québec français 164 | H I V E R 2 0 1 2
NOUVEAUTÉS

                                                                                CAMILLE DESLAURIERS                  Retriever ; Alexandra ne supporte
                                                                                Eaux troubles                        plus la vie chronométrée à la
                                                                                L’instant même, Québec               maison et fait une fugue. Qui
                                                                                2011, 99 pages                       enseigne sait par où passe Amélie,
                                                                                                                     combien il est vertigineux de se
                                                                                CAROLE DAVID                         trouver sur un fil de fer, quand
                                                                                Hollandia                            la direction du vent change
                                                                                Héliotrope, Montréal                 constamment et, en regardant
                                                                                2011, 91 pages                       en bas, de se rendre compte
                                         CLAIRE DÉ                              (série « K »)                        qu’il n’y a pas de filet. Alors elle
                                         Hôtel Septième-ciel                                                         avance avec une bonne dose de
                                         Triptyque, Montréal
                                         2011, 153 pages                     C     es deux petits livres sont de
                                                                                   la dernière actualité pour
                                                                             ceux et celles qui enseignent
                                                                                                                     tact, beaucoup d’intelligence et,
                                                                                                                     surtout, du nez.
                                                                                                                         Carole David s’y prend autre-

                                         D     ans la nouvelle « Hôtel
                                               Septième-ciel », au
                                         fil d’une conversation
                                                                             dans les classes de deuxième
                                                                             cycle du secondaire, autrement
                                                                             dit, aux élèves les plus difficiles :
                                                                                                                     ment dans Hollandia.
                                                                                                                     D’un objecteur de conscience
                                                                                                                     étatsunien, Joanne a eu un fils,
                                         piquante, la narratrice – alter     humeur imprévisible, problèmes          Max. Après l’amnistie, le père est
                                         ego de Claire Dé – confie à         personnels réels ou imagi-              retourné chez lui, dans le Maine.
                                         Baudelaire que son siècle l’a       naires, situations conflictuelles       Un jour, quand Joanne rentre à
                                         traitée d’auteure érotique…         avec l’autorité (parents, école),       la maison, tout est sens dessus
                                         « Ne vous en faites pas, ça         penchant pour la délinquance,           dessous ; les cambrioleurs ont été
                                         leur passera, ça leur passe         questionnements identitaires.           particulièrement haineux. Max a
                                         toujours » (p. 145), lui répond         Dans Eaux troubles, un recueil      disparu. Déjà, il avait préparé sa
                                         le poète. Et c’est bien ce          de quatorze nouvelles, Camille          mère, disant qu’il allait « rompre
                                         que nous lui souhaitons, car        Deslauriers nous plonge dans            avec tout le monde ». Il est parti
endosser une étiquette réductrice ne cadre pas vraiment avec la              le quotidien d’Amélie Larose,           aux Pays-Bas, chercher la tombe
personnalité de celle qui, d’entrée de jeu, se dépeint facétieusement        qui remplace un collègue                de son grand-oncle aviateur, dont
sous les traits d’une ogresse misanthrope (« Rencontre avec une              malade. Fraîchement émoulue             l’Avro Lancaster a explosé dans
ogresse »). D’ailleurs, même si Dé s’est laissé « désirer » longtemps –      de l’université, elle se rend           le feu de l’artillerie allemande.
son dernier livre date tout de même de 1998 –, son nouveau recueil           compte que, avec ces élèves-            Ce qu’il découvre lui donne de
de nouvelles ne relève pas de la littérature érotique. Sauf peut-être la     là, il faut y aller doucement.          la maturité. Quand il retourne
dernière page…                                                               Quelques exemples : Nicolas             chez lui, il annonce à sa mère qu’il
   Hôtel Septième-ciel regroupe plutôt des histoires qui sécrètent           vient d’apprendre que son père          part pour rejoindre son père. Il a
un certain vague à l’âme rêveur, aigrelet ou consterné. Elles ont            est mort au combat en Afgha-            compris sa chance d’être, il trou-
souvent pour cadre la ville de Montréal, que l’auteure, après un             nistan ; Moema en a assez de se         vera sa voie.
séjour prolongé en Europe, semble s’approprier avec bonheur.                 faire appeler « tête de cresson »           Les deux recueils sont liés par
« Drôle d’oiseau » relate une rencontre sur le mont Royal avec un            à cause de ses cheveux crépus ;         une exceptionnelle économie de
ornithologue excentrique, « En quelques pas, rue Ontario » donne             Amélia, enfant adoptée, monte           mots, qui mène chez Deslauriers
lieu à une petite leçon d’histoire au sujet du premier gouverneur            sur le parapet d’un pont, non pas       à des épisodes d’une doulou-
de la Nouvelle-France conquise. Certaines nouvelles font renaître            avec l’intention de se suicider,        reuse brièveté (impossible de ne
des souvenirs d’enfance attachants : la fantaisie parentale (« Quatre        mais parce qu’elle veut rejoindre       pas mentionner sa plus proche
mottons de poils »), le décès soudain d’une copine de classe (« Lesley       sa vraie mère, en Thaïlande ;           parente, Annie Saumont), où le
Chadwick »). Tandis que d’autres évoquent avec une ironie féroce les         Pierre-Luc pleure la mort de            non-dit, les événements fulgu-
aléas du métier d’écrivain. Le texte incisif « Une espèce menacée »          son meilleur copain, un Golden          rants prennent le dessus. Les
nous transporte au Salon du livre de Montréal devenu, dans l’esprit
de celle qui l’a sûrement fréquenté, le Salon annuel des Toiles
d’araignées. « L’échapper belle à au moins quatre reprises » salue
avec un humour mélancolique les quatre fois où l’auteure a frôlé la
mort. Mais avec Dé, la Faucheuse risque fort de faire antichambre
longtemps, car l’écrivaine s’est « emberlucoquée du principe selon
lequel, en assimilant un mot inusité, la mort se tiendra à distance. »
Comme les mots inhabituels nourrissent son style fantaisiste… « Ce
n’est pas aujourd’hui que cette chipie jouera les trouble-fête » (p. 118).
   Hôtel Septième-ciel réunit dix-huit textes brillants, dans lesquels
Dé se dévoile avec une générosité insoucieuse. Avec la drôlerie d’un
clown triste un peu bougon, elle nous raconte ses histoires d’une
plume hérissée qui chatouille. Bref, voici une lecture vivifiante qui
chasse l’ennui à grands coups de plumeau.
                                                       GINETTE BERNATCHEZ

                                                                                                                       H I V E R 2012 | Québec français 164   9
adolescents et leurs ombres sont          est revenu en signant un recueil                                            leur autorité, Yance cherche
     dessinés avec une précision telle         de contes et de nouvelles                                                   à comprendre comment on
     que le lecteur ne peut s’empê-            simplement nommé, au propre                                                 peut en arriver là. « Trompe
     cher de glisser dans leur peau,           comme au figuré : Nuages.                                                   l’oreille » met en scène un
     il éprouve leur détresse. David,              Plusieurs de ces textes étaient                                         musicien fauché qui se perd
     dans une narration admirable-             parus une première fois dans                                                en divagations paranoïaques
     ment maîtrisée, condense la vie           diverses revues littéraires, mais                                           après avoir loué sa cave à un
     d’une mère et de son fils comme           Karch a eu l’idée de les agencer                                            mystérieux individu. Cette
     l’aurait fait Emmanuèle Bernheim :        en fonction de l’atmosphère qui                                             nouvelle, vaguement surréaliste,
     utilisation du présent, focalisa-         s’en dégage. Ainsi chaque partie                                            passe par le journal intime
     tions changeantes, un texte entre         du recueil évoque les humeurs                                               et baigne dans un climat
     la nouvelle et le roman, ciselé,          du climat (métaphoriquement,                                                étrange qui ajoute à la tension.
     réduit à l’essentiel et... hypno-         les états d’âme des personnages)                                            Dans « La Corriveau », une
     tisant par le ton. Chez les deux          associées à certains types de                                               femme violentée se révolte en
     auteures, pas un mot de trop.             nuages. Sous l’intitulé « Cirrus »,                                         emprisonnant l’hydre à deux
     Les traits des personnages sont à         il a regroupé des narrations qui                                            têtes qui veut la détruire. « La
     peine esquissés, et pourtant, rien        laissent poindre l’appréhension                                             cage dorée » retient derrière
     ne manque. Ils sont là, grandeur          d’un futur peu rassurant : un           CLAUDE-EMMANUELLE YANCE             les barreaux un chanteur
     nature, tourmentés ou heureux,            mari sentimental rattrapé par           Cages                               vieillissant prisonnier de son
     révoltés ou résignés, mais imman-         le troisième âge, un médecin            Lévesque éditeur, Montréal          public, tandis que « Bonne nuit,
     quablement touchants, vivants.            reniant le serment d’Hippocrate         2011, 131 pages                     beaux rêves ! » évoque avec
         Si les ados vous importent,           afin de léguer un poème à               (Coll. « Réverbération »)           inventivité Le joueur de flûte de
     ces deux petits livres peuvent            la postérité, une institutrice                                              Hamelin des frères Grimm. Dans
     vous suggérer des façons
     pour mieux les aimer.
                           HANS-JÜRGEN GREIF
                                               recluse au milieu des milliers
                                               de dessins que ses élèves ont
                                               faits pour elle... La seconde
                                                                                     E    n 1987, Claude-Emmanuelle
                                                                                          Yance obtenait le prix
                                                                                     Adrienne-Choquette pour son
                                                                                                                           un dernier récit d’inspiration
                                                                                                                           mystique intitulé « Où est
                                                                                                                           Dieu ? », l’écrivaine se penche
                                               partie du recueil, « Cumulus »,       premier recueil : Mourir comme        sur l’encagement d’une jeune
        PIERRE KARCH                           réunit des histoires qui nous         un chat. Quelques années plus         religieuse tourmentée qui doit
        Nuages                                 offrent le merveilleux en guise       tard, elle nous offrait Alchimie de   se plier aux rites et aux exercices
        Lévesque éditeur, Montréal             de consolation : un amoureux          la douleur puis, pendant vingt        de la vie communautaire.
        2011, 164 pages                        transi qui tente de mettre en         ans, plus rien. En explorant             Chez Yance, l’idée de la
        (Coll. « Réverbération »)              pratique L’art d’aimer d’Ovide, le    durant toutes ces années le           cage devient obsessionnelle.
                                               voyage plein de péripéties d’un       milieu de l’édition, on peut          Bien réelles, fabriquées avec

     A    u début des années soixante,
          Pierre Karch a entamé
     une longue carrière dans
                                               éternel pantouflard, la trahison
                                               inavouée d’une fillette…
                                               Enfin, un « Nimbus » sombre et
                                                                                     cependant imaginer qu’elle
                                                                                     ait cédé à la tentation de se
                                                                                     remettre à l’écriture. Ainsi,
                                                                                                                           des planches, des ferrures et
                                                                                                                           des clous, ses cages imposent
                                                                                                                           au fil des pages leur évidence
     l’enseignement de la littérature.         opaque obscurcit les dernières        cet automne, elle signait un          symbolique. « N’était-ce pas
     Un parcours jalonné de plusieurs          pages du livre. Ce poids lourd        troisième recueil de nouvelles,       leurs rêves qui, à force d’être
     publications : romans (dont Noëlle        n’augure rien de bon pour ceux        Cages, dans lequel elle aborde le     tus, barricadés au plus secret
     à Cuba), nouvelles, essai… En             qui devront affronter la maison       thème de l’enfermement.               d’eux-mêmes, avaient fini par
     septembre, treize ans après la            de retraite, la perte de leurs            Dans son essai sur la nouvelle    les rendre fous, faute de pouvoir
     parution de son dernier livre, il         repères et la mort qui rôde.          québécoise, Gaëtan Brulotte           prendre corps ? » (p. 112), se
                                                   Le livre rassemble vingt-sept     commentait un texte de Yance          demande le narrateur de la
                                               nouvelles qui empruntent des          en parlant d’un « espace qui se       nouvelle « Bonne nuit, beaux
                                               formes et des perspectives diffé-     rapetisse de façon hallucinante »     rêves ! ». Poser la question c’est
                                               rentes. Plusieurs s’inscrivent dans   jusqu’à la mort. Or, dans son         y répondre. En nous proposant
                                               un registre étrange, facétieux        dernier livre, l’écrivaine laisse     une vision constructive de
                                               ou onirique. D’autres palpitent       souvent une clé sur la porte de la    l’avenir, ce petit recueil, écrit
                                               d’une émotion quasi religieuse.       cage qu’elle érige autour de ses      dans une prose souple et
                                               Ces histoires, au demeurant fort      personnages. Encore doivent-ils       imagée, travaille à raisonner nos
                                               bien écrites, échappent à l’ici et    la trouver…                           peurs.
                                               au maintenant, même celles qui            À huit ans, on peut                                GINETTE BERNATCHEZ
                                               sont ancrées dans la réalité. En      difficilement s’évader de l’enfer
                                               fait, les personnages de Karch        sans aide. « L’enfant de la cage »
                                               semblent accéder à une dimen-         raconte l’histoire de deux sœurs
                                               sion singulière à laquelle on         retenues captives par leurs
                                               ne peut s’ouvrir qu’en gardant        parents. En se focalisant sur la
                                               la tête dans les nuages…              guerre absurde et cruelle menée
                                                               GINETTE BERNATCHEZ    par deux adultes pour asseoir

10   Québec français 164 | H I V E R 2 0 1 2
NOUVEAUTÉS

  POÉSIE

  MICHEL BEAULIEU
  Poèmes (1975-1984)
  préface de Denise Brassard
  Les Éditions du Noroît, Montréal
  2011, 327 pages

U     n hiver s’installe en un
      soir de novembre, où
entrer en l’œuvre de Michel
Beaulieu convoque les sens
et la mémoire à créer tout ce
qui ne relève désormais plus
d’aucune appartenance. Un
homme est mort depuis la
parution de ces poèmes, mais
de cet homme Montréal surgit
encore et pour toujours – grande
fresque éclairant « la rauque
vie quotidienne º où chacun
se promène en épouillant ses
flancs » –, dans une nuit à aimer
ce qu’est l’existence, sous les         demeure º de cette misère des          forme magnifiquement portée             en me niant ». L’œuvre se rend
couvertures aux mille couleurs          hommes », et « je t’écris pour         par le regard et la sensibilité         jusqu’au bout de la douleur
oubliées par la chaleur des             cette éternité º courbée dans un       des œuvres de Jean-Sébastien            pour y décrocher une rage aussi
corps en partage, avec le cœur          instant » avant de courir entre        Denis, qui refusent de concéder         sombre que la peine qui ne rompt
du poète qui arrache la réalité         ces poèmes ayant défié la mort,        une victoire au vide qui nous           pourtant pas la mémoire du corps
pour la rendre immortelle afin          me rapprochant de la fin d’un          sépare de l’indicible. Il s’agit bien   disparu que l’amoureux revoit
d’irriguer « ce goût de toi º au        commencement éclaté où se crée         d’une rencontre entre ces deux          partout dans la beauté même du
plus profond de ton cri ». Un           un nouvel univers lorsque nous         hommes et l’art, puis entre notre       monde : « ton visage désormais
poète est mort hier, mais par une       rions sans nous retenir de vivre       solitude et la leur qui deviennent,     c’est la neige ». Voilà un recueil
éternité échappée des mains de la       et de nous aimer. Comme tous           dès lors, un lieu impossible à          qui procède d’une poéticité rare,
finitude, sa poésie fait en sorte que   les hommes je mourrai un jour,         tuer. Recueil en équilibre entre        puissante et admirable.
je « te rencontre sur les vagues        plus libre et heureux de vivre         des conceptions de la poésie                           JEAN-FRANÇOIS LEBLANC
de l’hiver º à la fin d’une année       amoureusement cette vie auprès         placées aux antipodes l’une de
trop tôt commencée » au sein de         de toi, que je ressens dans « cet      l’autre et qui se regardent trop          RENÉ LAPIERRE
laquelle je deviens « plus fragile      immortel instant º que le destin       souvent en chiens de faïence              Aimée soit la honte
que la neige parmi ta voix ». Un        parcourt ».                            pour des cendres qui ne valent            Les Herbes rouges, Montréal
homme meurt en moi au moment                           JEAN-FRANÇOIS LEBLANC   pas tellement la peine d’être             2010, 98 pages
où ce lyrisme se détermine sans                                                réclamées, Géométrie fantôme va
cesse « dans l’espoir que rien ne         JEAN-PHILIPPE BERGERON et
                                          JEAN-SÉBASTIEN DENIS
                                          Géométrie fantôme
                                                                               au-delà de ces tensions, arrimant
                                                                               à chacune d’elles couleurs et
                                                                               mots comme des fragments
                                                                                                                       O     n reprend en soi le lyrisme
                                                                                                                             inéluctable de René Lapierre
                                                                                                                       et tout s’ouvre à notre cœur.
                                          Poètes de brousse, Montréal          d’éternité concassés dans l’encre       Récent opus frôlant le corps de
                                          2011, 85 pages                       des poèmes et des toiles, qui           « l’Amérique triste de Chandler »,
                                                                               vibrent de la souffrance d’un           où chaque ville est un royaume

                                        C   ’est à l’épicentre du défi que
                                            propose la matérialité à la
                                        métaphysique que le lyrisme
                                                                               amour emporté dans la mort :
                                                                               « Le sang répandu dans ton corps,
                                                                               ravalé : l’univers arrête, et tourne
                                                                                                                       laissé à l’abandon des rêves
                                                                                                                       en soldes, Aimée soit la honte
                                                                                                                       participe d’une ode à l’avenir, à
                                        de Jean-Philippe Bergeron              un peu dans ton sang. […] J’isole       la possibilité de croire que nous
                                        accouche d’un récital biologique       partout les parties du corps,           serons plus forts, plus libres, plus
                                        et amoureux qu’il libère comme         j’aménage une survie mutilée.           fiers. Fixé, on y accroche nos
                                        un cri. Titre important de la très     […] Je conçois ton hologramme,          réflexions méritées : « Jusqu’où
                                        belle collection « Enluminures »       j’y plante du feutre, du sang, les      faut-il être lyrique ? ». La réponse
                                        des éditions Poètes de brousse,        graisses, le chrome, un cri. […]        se dresse dans l’expérience de
                                        ce recueil se considère à la fois      l’épreuve qui m’explose, me rend        l’écriture sans être trafiquée :
                                        par la modernité qu’il offre tant      muet, m’élimine, me sacre, me           « Laisse tomber. Dis seulement
                                        dans son discours que dans sa          rend avide d’être tué, t’éternise       les choses comme elles sont ».

                                                                                                                         H I V E R 2012 | Québec français 164   11
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