Antoine Bello, Les producteurs (Folio) - Culture, le magazine culturel de l'Université de Liège

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Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège

Lectures pour l'été 2017 - Poches - Littérature française

                       Antoine Bello, Les producteurs (Folio)
Après Les Falsificateurs (2007) et Les Éclaireurs (2009), l'aventure éditoriale imaginée par le Français
Antoine Bello, ancien créateur d'entreprises installé à New York, trouve son terme avec ce troisième volet.
Une entreprise ambitieuse tant par son ampleur (quelque 1500 pages) que par son propos puisqu'elle
pose la question de l'écriture de l'Histoire, de la manipulation, des théories du complot, de la fabrication
des images, de la distorsion de la réalité, etc. Ce triptyque met en scène, dans les années 1990-2000,
une organisation secrète mondiale, le CFR (Consortium de Falsification du Réel), dont les membres, de
toutes nationalités, inventent des scénarios pour ensuite les installer dans la réalité en créant de fausses
sources ou en modifiant les documents existants. Par exemple, si l'un d'eux invente une ville, il doit aussi
créer une association culturelle liée à cette ville, donner des noms à ses habitants, etc. Chaque dossier
comprend donc deux parties, «scénario» et «falsification». Il est dès lors quasi impossible de savoir si tel
événement historique - le premier pas sur la lune, par exemple - a réellement eu lieu ou ne relève que de
l'affabulation. Le héros, le géographe islandais Sliv Dartunghuver, se pose des questions quant à la finalité
du CFR. Ce qui ne l'empêche pas, au cours des deux premiers tomes, d'en être un membre actif, proposant
des scénarios et réformes, tout en veillant à ce que ses activités conservent une certaine légalité. Certaines
sont limites. En 2003, par exemple, pour justifier son intervention en Irak, l'administration Bush a avancé
l'existence d'armes de destruction massive en se basant sur certains documents qui semblent avoir été
fabriqués par l'organisation. Qui, elle, se sent coupable d'avoir attisé l'antiaméricanisme de groupuscules
islamistes dans les années 1990. Tout cela est raconté dans les deux premiers tomes. Peut-être d'ailleurs
Bello en serait-il resté là (il a écrit trois autres romans dans l'intervalle) si les réseaux sociaux n'avaient
pas pris une telle ampleur. En effet, face à leur pouvoir manipulateur, leur capacité à créer des rumeurs, à
inventer ou falsifier des réalités, de quelle latitude dispose encore le CFR? C'est la question soulevée ici
sur fond d'élection d'Obama à la Maison blanche. Doublée d'une autre: certaines fins louables (par exemple
l'alerte sur les dangers provoqués par le réchauffement climatique) justifient-elles le recours à des moyens
qui le sont moins, à des travestissements de la réalité?

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                       Isabelle Monnin, Les gens dans l'enveloppe (Le Livre de Poche)
Les gens dans l'enveloppe a été l'une des curiosités de la rentrée 2015. En 2012, Isabelle Monnin achète
sur internet un lot de photos d'une famille qu'elle ne connaît pas. À partir de ces clichés montrant des
individus de tous âges immortalisés dans leur intimité familiale, au jardin ou à l'intérieur d'une maison, la
journaliste-romancière invente une histoire. Elle donne des prénoms à ses figures anonymes, imagine
des liens de parentés entre eux. Et elle demande au musicien Alex Beaupain (le complice du cinéaste
Christophe Honorez) de composer des chansons pour accompagner son texte. Une fois le roman terminé,
son auteure part sur les traces de ses personnages. Qu'elle va retrouver dans le Doubs. Et dont elle va
écrire la vraie histoire. Ce livre, accompagné du CD, se compose dès lors en deux parties, une fictive
suivie d'une réelle, séparées par un cahier photos, de manière à pouvoir mettre un visage sur les noms. La
confrontation des deux récits est tout à fait passionnante, le lecteur ne cessant d'aller de l'un à l'autre. Au-
delà de ce cas précis, c'est la relation entre fiction et réalité qui est ici subtilement interrogée.

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                       Salim Bachi, Le consul (Folio)
Dans Le consul, Salim Bachi rappelle le courage du consul du Portugal à Bordeaux, Aristides de Sousa
Mendes, qui, refusant de suivre les ordres de son pays dirigé par le dictateur Salazar, a sauvé entre trente
et cinquante mille réfugiés, dont plus de dix mille juifs, en leur délivrant des visas dès fin 1939. Rappelé
à Lisbonne en juillet 1940, mais jamais rayé de la carrière consulaire, il meurt déchu en 1954. Pendant la
guerre, le Portugal, qui est neutre, a accueilli des milliers de réfugiés sur son territoire, permettant à nombre
d'entre eux de fuir vers les États-Unis ou l'Amérique du Sud. Écrit sous la forme d'une confession à la
première personne, ce roman raconte avec précision le travail quotidien de celui qui, en 1966, sera déclaré
«Juste parmi les nations». Il a finalement été réhabilité par son pays devenu démocratique.

                       Emmanuel Carrère, Le Royaume (Folio)
Après plusieurs romans (La Moustache, La Classe de neige, L'Adversaire, adaptés au cinéma), Emmanuel
Carrère est passé à la première personne et à une forme autobiographique (Un roman russe, D'autres
vies que la mienne, Limonov), s'affirmant aujourd'hui « incapable d'écrire quoi que ce soit autrement ».
Le Royaume, son treizième livre, n'est donc pas un roman - le mot n'y figure d'ailleurs pas - mais une

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« enquête » couronnée à sa sortie, en 2014, par plusieurs prix. L'auteur d'une biographie de Philip K. Dick
est parti de cette question: comment, aujourd'hui, peut-on encore croire « réellement qu'un Juif d'il y deux
mille ans, né d'une vierge, ressuscité trois jours après avoir été crucifié, (…) va revenir juger les vivants
et les morts ». Après une première partie, dans laquelle il se souvient avoir été lui-même « touché par
la grâce » entre 1990 et 1993, au point d'aller régulièrement à la messe et de lire chaque jour un verset
de l'Évangile, il raconte, dans une seconde partie, les premières heures du christianisme. Pour ce faire
il est parti sur les traces de Paul de Tarse. La vie de ce persécuteur de chrétiens converti sur le chemin
de Damas suite à sa rencontre avec Jésus ressuscité, est racontée par Luc dans les Actes des Apôtres
qui suivent l'Évangile. Le troisième évangéliste, qui n'a pas connu Jésus, fut en effet un compagnon de
Paul, c'est donc aussi son parcours que suit Carrère. Sans omettre les zones d'ombres qui planent sur
le personnage du futur saint Paul, ni de tenter de comprendre les origines de l'antisémitisme chrétien. Le
Royaume est d'une lecture agréable, instructive, amusante, parfois, par le dilettantisme du style et les
diverses analogies avec notre actualité. Mais l'auteur se montre aussi parfois trop bavard et se perd dans
des digressions dont la pertinence n'est pas vraiment évidente.

                       Laurent Gaudé, Danser les ombres (Babel)
« Les morts sont parmi nous (…). Ceux qui nous ont été enlevés, ceux que nous nous apprêtons à pleurer,
nous allons les voir revenir. » À Saul, qui se réjouit de voir la mort « en quelque sorte… abolie », une autre
survivante du tremblement de terre qui a secoué Haïti le 12 janvier 2010 lui répond qu'au contraire que
« les morts ne peuvent rester ici simplement pour éviter aux vivants de pleurer. (…) Que ceux qui veulent
les retrouver cessent de vivre. Pour les autres, il est temps de les raccompagner. » Cet échange, situé
en toute fin de Danser les ombres, résume l'ambitieux projet de Laurent Gaudé, et dit sa totale réussite :
faire vivre côte à côte, dans le bref laps de temps qui a suivi la catastrophe, les vivants et les morts, sans
que le lecteur ne sache précisément qui est vivant et qui ne l'est plus. Au moment où la terre tremble, tous
ceux dont nous avons suivi la trajectoire sont chez Fessou, un bar de la capitale Port-au-Prince : Lucine,
venue annoncer la mort de sa sœur à l'homme qui l'avait mise enceinte ; Saul, parti deux ans à Cuba soi-
disant pour faire des études de médecine suite à l'enlèvement de sa sœur ; Ti Sourire, la jeune et souriante
infirmière ; Jasmin dit Mangecul pour son amour des femmes. Et aussi Firmin, le facteur Sénèque, un ex-
tortionnaire surnommé Matrak, Domitien, appelé Pabava, et Prophète Coicou, alias le Vieux Tess, anciens

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prisonniers politiques. Ne manque que Lily, la riche adolescente revenue de Miami pour mourir sur sa
terre natale. Laurent Gaudé s'est rendu à Port-au-Prince en 2013 et 2014 avec le photographe belge Gaël
Turine. S'imprégnant de la réalité locale, il a construit ses personnages à partir d'Haïtiens rencontrés ou
de témoignages. Après Eldorado, où il racontait la tragédie des Africains qui tentent par bateau d'atteindre
la Sicile, après Ouragan, où l'on suivait quelques personnages dans La Nouvelle Orléans dévastée par
Catarina, l'auteur du Soleil des Scorta (Goncourt 2004) trempe une nouvelle fois sa plume dans l'actualité
brûlante.

                       Laurent Binet, La septième fonction du langage (Livre de Poche)
Laurent Binet est connu pour deux ouvrages très différents : Hhhh, consacré au criminel nazi Reinhard
Heydrich, l'un des concepteurs de la solution finale, et Rien ne se passe comme prévu, reportage sur la
campagne présidentielle de François Hollande en 2012. Dans La septième fonction du langage (primé par
la FNAC et l'Interallié en 2015), l'agrégé de lettres imagine que la mort du sémiologue le 26 mars 1980,
un mois après avoir été renversé par une camionnette de blanchisserie en traversant une rue alors qu'il
sortait d'un déjeuner avec François Mitterrand et Jack Lang, n'est pas accidentelle mais est le fruit d'un
complot ourdi par une société secrète. L'enquête est menée par un policier dénommé Bayard (comme
le psychanalyste qui publie chez Minuit de très sérieux livres facétieux : Comment améliorer des œuvres
ratées? Comment parler des livres que l'on n'a pas lus? Le plagiat par anticipation), qui n'a jamais entendu
parler de l'auteur des Mythologies. Guidé par un professeur de sémiologie, Simon Herzog, il se retrouve
plongé dans un monde, le milieu intellectuel parisien de ces années dominées par les sciences humaines,
dont il ignore les règles, les codes et, bien sûr, les acteurs, Foucault, Sollers, Eco, Althusser, Deleuze,
BHL, Kristeva, ou Derrida, que Binet met en scène avec un plaisir gourmand et communicatif, lui qui, né
en 1972, n'a pas connu cette époque. Le roman est aussi ancré dans la période politique très haletante
qui précède l'élection de Mitterrand (ici entouré de Badinter, Debray, Attali, Moati, Lang, Fabius, etc.).
C'est enlevé, très drôle, assez moqueur, et plus vrai que vrai. Par exemple, l'arrivée du commissaire à
l'université de Vincennes (« une fac de gauchistes où pullulent des agitateurs professionnels qui ne veulent
pas travailler »), pour y rencontrer un prof qui étudie les chiffres et les lettres dans James Bond, est bien
vue. Et puis, c'est très documenté et érudit, l'auteur connaissant parfaitement bien son sujet. Quant au titre,
il est lié aux six fonctions du langage définies par le linguiste Jakobson.

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                       Anne Wiazemsky, Un an après (Folio)
Davantage qu'un « roman », comme indiqué sur la couverture (et même si certains noms sont changés),
Un an après est un témoignage de premier ordre et donc un précieux document historique. Replongeant
en 1968, la comédienne débutante de 21 ans, Anne Wiazemsky se fait le scribe des actes, déclarations,
voire pensées de celui qu'elle a épousé l'année précédente, Jean-Luc Godard (comme elle l'a raconté dans
Une année studieuse). Elle dépeint un amoureux parfois cassant, souvent jaloux (jusqu'à faire une tentative
de suicide), un artiste tour à tour grognon et blagueur, terriblement entêté et volontiers de mauvaise foi, et
abrupt avec ses amis. Pendant les événements de mai, solidaire des étudiants et des ouvriers, le cinéaste
adulé par un large public fait preuve d'un réel courage physique (sauf lorsqu'il casse ses lunettes). Pendant
qu'il remet en cause le cinéma, rejetant ses propres films avec la volonté d'inventer de nouvelles façons
de filmer, l'héroïne de La Chinoise tourne La Bande à Bonnot (avec Brel) et avec Bertolucci, Pasolini et
Ferreri. Tout en se déplaçant dans Paris en patins à roulettes, assez rétive à la logorrhée révolutionnaire
des étudiants. Ce livre a donné lieu au film de Michel Hazanavicius, Le Redoutable, présenté au dernier
Festival de Cannes.

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                       Armel Job, Dans la gueule de la bête (Espace Nord)
Venu tard à la littérature - à 52 ans -, ancien prof de latin et de grec et chef d'établissement à Bastogne,
Armel Job s'est imposé de livres en livres comme l'un des écrivains majeurs en Belgique francophone.
Servies par des personnages forts, ses intrigues sont riches d'une densité et d'une profondeur humaines,
mais aussi sociales et historiques, pas si fréquentes en littérature. Dans la gueule de la bête a pour
décor une ville qu'il connaît bien, Liège, pendant la Seconde Guerre mondiale. Une fois par semaine, à
La Miséricorde, un établissement tenu par des bonnes sœurs où elle est pensionnaire, Annette reçoit la
visite de ses parrain et marraine. En réalité, elle s'appelle Hannah et ce sont ses parents juifs, bravant mille
dangers, qui viennent la voir. Lui loge dans une mansarde rue Sainte-Marguerite chez une veuve dont la
fille, Angèle, se montre suspicieuse à son égard. Sa femme, Fannia, s'occupe des enfants d'un notaire
depuis la mort de leur grand-mère. Elle y a été placée, dissimulée sous le nom de Nicole, par le réseau
catholique. Chacun se méfie de chacun, les espions et délateurs courent les rues. Jean, le nouvel amoureux
d'Angèle, est-il sincère quand il affirme que la propriétaire du logement qui pourrait accueillir leur amour
demande 1500 francs de caution? Et Laja, la sœur de Fannia qui vit à Seraing avec son mari, n'a-t-elle pas
été imprudente en voulant revoir la chapellerie familiale près de la rue Grétry? Elle a en effet l'impression
d'avoir été suivie. Sur ce terreau qui renvoie à des heures sombres, l'auteur des Fausses innocences a
construit un roman fort et prenant.

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                        Christophe Boltanski, La Cache (Folio)
Il y a la grand-mère, Myriam Boltanski, auteure après la guerre d'une vingtaine de romans et d'essais sous
le pseudonyme d'Annie Lauran, les oncles, Christian et Jean-Élie, respectivement artiste plasticien et
linguiste, le père, Luc, sociologue, et aujourd'hui le fils, Christophe, grand-reporter au Nouvel Observateur
et auteur de ce premier roman, La Cache, où il raconte l'histoire de sa famille en parcourant les différentes
pièces de la maison parisienne de ses grands-parents rue de Grenelle. Un peu à la manière d'un Cluedo,
sinon que ce n'est pas un meurtre qu'il va découvrir, mais une disparition, celle de son grand-père qui,
pendant vingt mois, de l'automne 1942 à la Libération de Paris, s'est caché dans un espace aménagé sous
l'«entre-deux », une petite pièce située au premier étage entre la chambre et la salle de bain. Avant, une fois
la paix revenue, de reprendre son métier de gastro-entérologue à l'hôpital, parmi ceux qui l'avaient dénoncé
ou avaient pris sa place.

Cette maison, Christophe l'a bien connue car ses parents, qui étaient encore jeunes, le mettait souvent
chez les « Bolt ». Pour son plus grand plaisir. Elle était, selon lui, la « métonymie » de celle qui régnait
sur la tribu, sa grand- mère, une petite femme débordant d'énergie qui, résume-t-il, « nous a avalés pour
nous protéger ». Septième enfant d'une famille pauvre, adoptée par une « marraine » qui avait changé son
prénom de Marie-Élise en Myriam, elle avait attrapé la polio pendant ses études de médecine. Mais elle niait
son handicap et ses enfants et son petit-fils lui servaient de béquilles. Une femme éminemment paradoxale.
Encartée au Parti communiste, alors qu'elle était issue de la bourgeoisie catholique de l'ouest de la France
où elle possédait des terres, une famille plutôt antirépublicaine (l'un de ses frères passa par Vichy) mais
totalement désargentée, elle recevait des « camarades » en « oubliant » de leur préparer à manger - au
point qu'ils avaient fini par apporter leur frichti. Ne pouvant grossir, nourrir la famille n'était d'ailleurs pas le
premier de ses soucis. Souvent, il n'y avait pas grand-chose aux repas, son petit-fils allant se sustenter dans
la cuisine à même les plats. Le luxe côtoyait l'indigence. Ils étaient des grands bourgeois vivant comme
des clochards, des intellectuels dont les enfants n'étaient pas scolarisés. Paru en 2015, ce premier roman
saisissant a reçu le prix Femina.

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                       Kéthévane Davrichewy, L'autre Joseph (10/18)
L'un des deux « héros » de L'autre Joseph n'est autre que le futur Staline, dont l'arrière-grand-père
de l'auteure, Kéthévane Davrichewy, qui se prénommait lui aussi Joseph, a été le compagnon de jeu
enfant. Mieux, ils se ressemblent tellement que des bruits courent sur une liaison entre le préfet de la ville
géorgienne de Gori, dont le patronyme est alors Davrichachvilli, et la mère de celui qu'on surnomme Sosso,
par ailleurs souffre-douleur de son père brutal et violent. « On peut les prendre pour des frères », signale
effectivement la romancière née à Paris et auteure de trois romans. Si les deux enfants se retrouvent dans
leur détestation du catéchisme, ils ne s'aiment guère. Ils s'opposent même souvent, soit dans la même
bande, soit en leaders de clans rivaux. Jusqu'en 1907, date à laquelle ils se verront pour la dernière fois,
leurs chemins vont se croiser à plusieurs reprises. Envoyé au séminaire à Tiflis, où il se révèle être un
agitateur indomptable, Sosso est envoyé en Sibérie d'où il reviendra en ardent bolchevik. Joseph, de son
côté, collégien dans la même ville avant d'aller étudier à Paris avec un garçon de son âge, le futur Kamenev
(membre du triumvirat soviétique avec Staline et Zinoviev), s'il défend lui aussi des idées révolutionnaires,
se bat d'abord pour une Géorgie libre. Vers 1905, les deux jeunes hommes sont les chefs de deux milices
rivales à Tiflis qui se livrent à des pillages spectaculaires, couverts par la population. Joseph attendra la
mort de « l'autre Joseph » avant d'évoquer leurs supposés liens de sang. Fruit d'un long travail d'enquête,
ce roman est de bout en bout passionnant et fascinant, montrant que sous Sosso, puis Koba, perçait déjà le
monstre sanguinaire

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                       François Garde, La baleine dans tous ses états (Folio)
Né en 1959 dans le sud de la France, François Garde a été notamment sous-préfet à la Martinique et
administrateur des îles australes et antarctiques françaises. En 2012 et 2013, il a respectivement signé
deux romans tout à fait remarquables, Ce qu'il advint du sauvage blanc et Pour trois couronnes, avant de
publier un livre sur un animal auquel il a commencé à s'intéresser lorsqu'il administrait les îles Kerguelen.
C'est là que se trouvait la seule usine baleinière installée sur le sol français, Port-Jeanne-d'Arc, ouverte
             e
à la fin du 19 siècle et définitivement arrêtée en 1929. La baleine dans tous ses états porte bien son
titre puisqu'il envisage sous ses multiples facettes le plus gros animal du monde, qui peut peser jusqu'à
cent nonante tonnes, soit vingt-sept éléphants. Avec un fil conducteur qui revient à diverses reprises, par
des biais différents, le personnage de Jonas (dont la Bible dit seulement qu'il a été avalé par un « gros
poisson »). Énumérant les records liés à ce cétacé, l'auteur constate que « la baleine est au sens propre
démesurée, hors de notre compréhension ». Il la traque partout : dans les noms de rues, de places, de
communes (Sant-Clément-des-Baleine sur l'île de Ré) ou de rivières (au Québec) dans les musées et les
livres (Pinocchio, Moby Dick), dans la chasse à laquelle se livre l'homme depuis dix siècles, etc. Ou même
en vrai, comme ce corps mort venu s'échouer sur la plage du François, à la Martinique, et qu'il faudra faire
exploser. On apprend aussi que la vache est plus proche de la baleine que du cheval, ayant avec elle un
ancêtre commun et aime, comme elle, vivre en troupeaux. Ce précieux livre ne plaira pas seulement aux
amoureux des baleines ou à ceux qui veulent apprendre des choses sur ces elles, mais, plus globalement, à
tous ceux qui aiment la belle littérature.

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                       Caroline De Mulder, Nous les bêtes traquées (Babel)
Prix Rossel 2010 avec Ego Tango, la Belge Caroline De Mulder revient avec ce bien étrange roman.
« Nous les bêtes traquées, nous aimons changer souvent de pelage », écrit sa narratrice, Marie, aux tenues
extravagantes et refaite de partout, notamment des seins, lui laissant deux cicatrices « comme deux grands
sourires ». Elle partage la vie d'un célèbre avocat qui défend « les grandes causes », les demandeurs
d'asile ou les millions de personnes croupissant en prison sans procès. Il assistait à une vente de charité en
Ouzbékistan lorsqu'a eu lieu un massacre à Andijan en 2005, coûtant la vie à plusieurs milliers d'Ouzbeks.
Massacre qui est d'ailleurs raconté par ses acteurs-victimes en cours de roman. Aujourd'hui, il va témoigner
devant la Cour pénale internationale et, en attendant, se cache à Bruxelles, dans une maison de Saint-
Josse dont la cave est sous eau. Parmi les différentes voix qui interviennent, figurent notamment la sienne
et celle d'un certain Ismaïlov chargé, semble-t-il, de le surveiller. Nous les bêtes traquées est un roman d'un
abord assez complexe qui demande au lecteur de se laisser emporter par sa langue très travaillée.

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                       Jean-Claude Mourlevat, Mes amis devenus (Pocket)
Jean-Claude Mourlevat est l'auteur de plusieurs romans jeunesse joyeusement farfelus qui font le bonheur
de leurs lecteurs, notamment La Ballade de Cornebique ou La Rivière à l'envers. Mes amis devenus est
sa deuxième incursion dans la littérature adulte après Et je danse, aussi, écrit en collaboration avec Anne-
Laure Bondoux. Cinq anciens amis - trois hommes, deux femmes - se retrouvent pour quelques jours
sur l'île d'Ouessant. S'ils se sont très bien connus jeunes, ils ne se sont plus vus depuis… quarante ans.
Que sont-ils devenus ? Mentalement, mais également physiquement ? C'est la question que se pose l'un
d'eux, le narrateur parti en avance, anxieux de retrouver Mara dont il a été très amoureux. À sa suite, on
revisite leur jeunesse commune jusqu'au débarquement du quatuor. Quel plaisir de lecture! Mourlevat
met admirablement en scène les liens subtils qui relient ses héros, chargeant son roman d'émotions qui
renvoient à notre propre vécu.

                       Marie Laberge, Ceux qui restent (Pocket)
Sylvain Côté a 29 ans lorsqu'il se donne la mort le 26 avril 2000. Il laisse plusieurs proches éplorés:
Mélanie-Lyne, sa femme, qui évoque leur vie commune et voit grandir leur fils non sans inquiétude,

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incapable de comprendre qu'il ne peut exprimer de sentiments ; Vincent, son père, qui, s'adressant à son
petit-fils, mène une enquête sur le disparu, et partant sur lui-même, tandis que sa femme Muguette, qui vit
dans le déni, commence à décliner ; et son ancienne maîtresse, Charlène, une barmaid qui lui parle de sexe
comme s'il était encore vivant, sans toujours le ménager, tout en s'interrogeant sur la valeur de leur relation.
  Ce sont « ceux qui restent ». Ils prennent alternativement la parole au cours de ce roman qui s'étire sur
plusieurs années, ce qui permet de les voir grandir ou vieillir et d'assister à l'évolution de leurs relations.
Avec quelques flash-backs, notamment dans le passé de Vincent qui, plus de trente ans auparavant, est
tombé follement amoureux d'une hôtesse d'accueil plus jeune mais qu'il n'a pas suivi alors qu'il n'aimait plus
sa femme. Des intermèdes retracent la vie de Muguette, ses rapports avec sa belle-mère, la naissance de
Sylvain, sa « haine féroce » et grandissante à l'égard de son mari, le couple ne fonctionnant plus depuis
longtemps, sa dépression, etc. Plus tard, le roman avançant dans le temps, il sera encore question des
rencontres sur Internet ou de la sexualité des personnes âgées. Ce roman de l'écrivaine québécoise Marie
Laberge fourmille de mots, expressions et tournures de phrases locales et multiplie les « y » venant un peu
partout remplacer des « il », principalement chez Charlène, ce qui ne manque pas du surprendre le lecteur
francophone de ce côté-ci de l'Atlantique.

                       Romain Gary, Le vin des morts (Folio)
À l'occasion du centenaire de la naissance de Romain Gary (le 8 mai 1914), Gallimard a publié son tout
premier opus resté inédit, Le Vin des morts, écrit sous son vrai nom, Roman Kacew. Il s'agit de l'errance,
contée sous la forme d'une suite de scènes drôles et extravagantes, d'un certain Tulipe tombé dans les
souterrains d'un cimetière et qui, croisant une multitude de morts plus cocasses que redoutables, cherche
désespérément la sortie. Dans sa présentation, Philippe Brenet explique avoir trouvé des traces de ce
roman farfelu et inventif, écrit entre 1933 et 1937, dans les livres à venir de son auteur signés Ajar. Et il
raconte que le futur diplomate et prix Goncourt a offert le manuscrit, refusé par Gallimard et Denoël, à
Christel Söderlund, une jeune journaliste suédoise rencontrée à Nice en 1937.

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                      Pascal de Duve, Izo (Espace Nord)
« C'est par un bel après-midi d'été qu'il amerrit, tout doucement, sur l'océan placide de ma paisible
existence. » Dans son premier roman, paru en 1990, trois ans avant sa mort du sida, Pascal de Duve donne
vie à « l'inconnu le plus illustre », l'homme au chapeau melon des tableaux de Magritte. En lui attribuant
un nom russe, Izobretenikhoudojnika, qui signifie « né de l'imagination d'un peintre ». Izo est le récit de
son bref passage sur Terre, à Paris précisément. Cet être neuf et vierge de tout passé, répète docilement
ce qu'il entend et apprend à toute vitesse ce que tout être normal mettrait plusieurs vies à emmagasiner,
notamment les langues étrangères. Avec un Chinois, il parle chinois sans accent. Dans une soirée
mondaine, il devient mondain, populaire dans un caberdouche. Il passe du christianisme au bouddhisme,
avant d'être musulman, communiste, agnostique, etc. Il devient progressivement plus humain que les
humains. À sa sortie, ce roman plein d'humour et de clins d'œil malicieux qu'il convient de (re)découvrir,
écrit un été à Paris, a bénéficié d'une double promotion. Sa couverture a été placardée à la fois dans le
métro parisien, que fréquente assidûment son héros, et dans les cafés de Saint-Germain-des-Prés, où il fait
de nombreuses haltes.

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                       Agnès Mathieu-Daudé, Un marin chilien (Folio)
S le héros d'Un marin chilien est bien Chilien, il n'est en aucun cas marin. Même si c'est ce que croient
les Islandais qui le voient débarquer sur leur île. Il est en réalité vulcanologue et vient étudier la situation
éruptive d'un volcan du nord du territoire. Tombant amoureux de la serveuse du café où il est entré en quête
de renseignements, il n'est dès lors guère aimé de son ancien mari qui, un soir de beuverie, parvient à lui
vendre une usine désaffectée. Un homme assez brutal qui n'est autre que le frère de celui qui, à la tête
d'une compagnie d'adolescents, vit dans une ferme isolée au pied du volcan que le scientifique est venu
étudier. Tout est assez étrange dans ce très réussi premier roman d'Agnès Mathieu-Daudé. Un roman
qui pourrait être écrit par un(e) Islandais(e), tant la réalité locale, la mentalité des habitants, leur existence
quotidienne ou les particularités géographiques de l'ile semblent conformes à une réalité découverte dans
les nombreux auteurs islandais traduits en français.

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                       Pierre Assouline, Golem (Folio)
« I'm a maaaan! I'm not an animal ! » Comme le malheureux héros d'Elephant Man, Gustave Meyer refuse
d'être le monstre que, pourtant, il est convaincu être devenu. Un neurologue réputé, son plus vieil ami, qui
le soignait pour des troubles épileptiques, a en effet, à son insu, implanté dans son cerveau une électrode
décuplant sa puissance mémorielle tout en accroissant sa capacité de traitement des informations. Ce
bricolage illégal, s'il a fait de lui le champion du monde des échecs capable de battre un ordinateur, l'a
transformé en Golem, un être fait d'argile appartenant à la mythologie juive. Ces manipulations sont
défendues par un mouvement international, le transhumanisme. Suspecté d'être à l'origine de l'accident de
voiture qui a coûté la vie à sa femme, Gustave Meyer prend la fuite. Après un passage par l'Angleterre, où
il assiste à une rencontre internationale de « trans », il se lance dans une traversée de la Mitteleuropa. Il
veut « fouiller la généalogie des golems », « retrouver son autre famille » dans ses capitales qui, pendant
la Seconde Guerre mondiale, ont vu disparaître la civilisation juive. Pendant son errance, le blog médical
que tenait sa femme continue d'être alimenté par des « révélations d'outre-tombe » sur le transhumanisme,
générant un abondant forum. La lecture de Golem, roman fiévreux qui, sur fond d'enquête, distille des
éléments sur un sujet brûlant, ne manque pas d'inquiéter. « Mon roman n'est pas de la science-fiction,
commente l'écrivain-bloggeur. L'opération que je décris se pratique à des fins thérapeutiques depuis
vingt-cinq ans. Les principaux financiers du transhumanisme et de l'intelligence artificielle sont la Nasa,
Amazon, Google, Microsoft, c'est écrit sur le site de l'université de la Singularité fondée par le futurologue
transhumaniste Ray Kurzweil. C'est dire les moyens dont ce mouvement dispose. »

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                       Henri Loevenbruck, Nous rêvions juste de liberté (Le Livre de
Poche)
La lecture, et surtout la fin, du nouveau roman d'Henri Loevenbruck est un véritable coup de poing à
l'estomac! On sort le souffle coupé de cette dérive à moto au cœur d'une Amérique fantasmée décrite
dans un style qui surprendra les très nombreux lecteurs de l'auteur de romans d'héroïc-fantasy (La Moïra,
Gallica) et de thrillers historiques et ésotériques (Le Rasoir d'Ockham, Les Cathédrales du vide, Le Mystère
Fulcanelli, L'apothicaire). Son titre, Nous rêvions juste de liberté, est la phrase que lance le narrateur à son
juge. Avant de raconter comment il en est arrivé là. Hugo, 16 ans, rejeté de partout pour mauvaise conduite,
est parachuté dans un lycée catholique du centre-ville de Providence. Il devient l'ami de Freddy, le pire
bagarreur du coin, qui forme une bande avec Carlos, alias Le Chinois, et Alex, dit La fouine. Ce ne sont
pas des anges, et bientôt ils se retrouvent en centre de détention pour mineurs. C'est là qu'Hugo, devenu
Bohem, croise le chemin des 1%, ces motards qui ont choisi de vivre en marge de la société. Rendu à la
liberté, il monte sur son chopper et largue les amarres, direction Vernon où vit le frère aîné d'Alex. Ainsi
commence un périple qui mènera ses héros au cœur d'un monde formé d'hommes - et plus rarement de
femmes - qui, sans attaches, grimpés sur leurs bécanes, parcourent d'immenses étendues. Avec comme
seuls éventuels points de chute, les Motorcycle Clubs essaimés sur le territoire. Au leur, qui ne va cesser
de s'étoffer, ils donnent le nom de Spitfires, en souvenir des aventures de Biggles dont Hugo et Alex
étaient des lecteurs assidus. Ces motards, Henri Loevenbruck les a connus. Et une partie des événements
racontés dans le roman, il les a vécus vers 16-17 ans.

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                        Laurence Cossé, La grande arche (Folio - parution : 24 août)
La Grande Arche raconte, par le menu, l'histoire de la création de la Grande Arche de la Fraternité (c'est
son nom officiel) dans le quartier de la Défense. Une histoire qui méritait d'être racontée tant elle est
rocambolesque, pleine de rebondissements et de coups de théâtre. Premier étape: le choix du projet.
Quatre finalistes sont retenus parmi les 424 dossiers arrivés (sur 897 inscrits). Tous anonymes. Le gagnant
est un architecte danois totalement inconnu (y compris dans son pays), Johan Otto von Spreckelsen. Son
Cube (c'est ainsi qu'il l'appelle) est préféré, par François Mitterrand (ainsi que par Robert Lion, l'organisateur
du concours) au Mur de lumières des Français Viguier et Jodry choisi par le jury. De nombreuses questions
vont rapidement se poser. Que mettre dans l'Arche et ses 80000 m² de bureaux ? Et notamment dans son
toit, l'espace le plus convoité ? Il sera question d'un Centre international de la Communication, puis d'une
Fondation internationale des droits de l'homme. Au cœur de l'été 1983, une simulation est réalisée par le
levage d'une maquette du toit de dix tonnes.

Suites aux élections législatives de 1986 perdues par la gauche, Alain Juppé, ministre du Budget, ne pense
qu'en termes d'économies. Comme il n'est plus possible d'arrêter les travaux, c'est la question de son
occupation qui devient prioritaire. Va alors se jouer une guerre d'usure entre les différents responsables du
projet et Christian Pellerin, promoteur immobilier qui, à la fin des années 70, a été l'un des seuls à croire
en la Défense où il a fait construire plusieurs immeubles. Cette évolution déplaît fortement à « Spreck ».
Déjà, les « nuages cristallins » à l'intérieur et de part et d'autre de l'Arche figurant dans son projet initial ont
disparu. Et au fil des mois et des tractations, il a vu son ambition humaniste - « Un art de Triomphe moderne
à la gloire du triomphe de l'humanité » - remplacée par une dimension commerciale. Le coup de grâce est
la « densification des Collines », soit la construction, autour de l'Arche, de buildings plus nombreux et plus
hauts que prévus. Il fait plusieurs contre-propositions, toutes refusées, et de guerre lasse, en juin 1986,
il démissionne. Rentré au Dannemark, il ne veut plus rien savoir et meurt le 16 mars de l'année suivante.
Ainsi, il n'aura pas vu l'inauguration de son Arche le 18 juillet 1989 dans le cadre de la célébration du
bicentenaire de la Révolution française.

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                      Marie Nimier, La Plage (Folio)
Ils sont trois. L'inconnue, arrivée sur la plage déserte à l'extrémité d'une île où elle est venue deux ans
auparavant avec son compagnon d'alors. Mais la grotte où ils se sont aimés, et dont elle aurait voulu profiter
seule afin de laisser affluer les souvenirs de ce temps désormais révolu, est occupée par un homme et
une jeune adolescente. Dissimulée dans les rochers, se nourrissant des maigres aliments et sodas trouvés
dans la buvette laissée à l'abandon suite à un glissement de terrain, elle observe de loin cet étrange couple
retranché comme elle à l'abri des hommes. Avant de se faire connaître et d'apprendre que, séparé de sa
femme, le « colosse », comme elle l'appelle, passe des vacances avec sa fille qui refuse de grandir. Sur
cette trame minimaliste, Marie Nimier (La Reine du silence, Les inséparables, Photo-photo) signé un bref
roman subtilement envoutant, d'une grande richesse émotionnelle. Son écriture, d'une limpidité travaillée,
parvient à magnifiquement décrire les joies et tourments intérieurs qui habitent son héroïne sans nom et
dont, finalement, on ne sait pas grand-chose. Sinon qu'elle a été élevée par son père qu'elle n'a plus vu
depuis deux ans. Mais avec qui elle entend désormais renouer des liens.

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                        Érik Orsenna, L'origine de nos amours (Le Livre de Poche)
Erik Orsenna et son père sont liés par deux coïncidences de dates. La même semaine de juin 1975, ils
ont tous deux divorcé, l'un de sa première femme, l'autre de la mère de ses trois enfants. Et des années
après, le vieux séducteur s'est volatilisé, le lendemain du remariage de son aîné, contraignant celui-ci à
interrompre sa « lune de miel » au Pavillon Henri IV de Saint-Germain-en-Laye. Et entre ces deux moments,
ces deux-là, qui s'étaient longtemps ignorés, papa Arnoult - vrai patronyme de l'écrivain - étant convaincu
que son fils Éric (avec « c ») était du côté de sa mère, n'ont cessé de se retrouver, principalement sur leur
île de Bréhat ou au bar versaillais La Flottille. « C'est extraordinaire combien la fragilité rend humain et
intéressant, constate l'Académicien français devenu docteur honoris causa de l'ULg. La force est muette,
c'est la fragilité qui parle. » Il a attendu la mort de son père, il y a trois ans, avant d'entamer ce livre - tout en
en publiant entretemps deux autres, Mali, ô Mali et une biographie de Pasteur.

De cette complicité, le prix Goncourt pour L'exposition coloniale rend compte avec son espièglerie
coutumière. Il en profite pour parler des lointaines origines cubaines de sa famille ou de la « malédiction
familiale » qui fait rater aux hommes leurs relations amoureuses. Les Arnoult, depuis un lointain aïeul
tailleur fasciné par les Cubaines qu'il croisait à Trinidad, sont en effet séduits par toutes les femmes, laissant
voguer leur imagination. On croise également un grand-père préférant lire et manger que travailler et qui
a prédit un avenir d'écrivain à l'enfant ravi à la perspective de gagner sa vie en racontant des histoires.
Ce « besoin d'histoires » est d'ailleurs au centre de cet hommage paternel qui fait aussi, d'une certaine
manière, l'éloge du mensonge. Surtout si ce mensonge peut « faire du bien » - Éric s'inventant par exemple
une harmonieuse vie de couple pour ne pas désespérer son père.

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                      Isabelle Spaak, Une allure folle (Le Livre de Poche)
En 1981, la mère d'Isabelle Spaak tue son mari qu'elle aime mais dont elle est séparée, avant de se donner
la mort. Cette tragédie a servi de point de départ à Ça ne se fait pas, le premier livre, paru en 2004 et
couronné par le Rossel, de l'orpheline belge devenue journaliste à Paris. Et cette scène referme l'espiègle
Une allure folle qui voit la petite-fille de Paul-Henri Spaak partir sur les traces de sa famille maternelle.
Mathilde, sa grand-mère fantasque et « futile », tombe enceinte d'un riche Italien marié et coureur qui
n'envisage pas de l'épouser. Mais l'entretient largement, lui permettant de mener une existence dorée parmi
les petits « de, du et van », dans un hôtel de maître à Bruxelles ou une villa à Rochefort, en villégiature à
Cannes ou lors de luxueuses croisières. Il adopte officiellement leur fille, Anny, qui deviendra une jeune
femme également libre. Et qui, après dix ans de mariage, sans souci du qu'en-dira-t-on, n'hésitera pas
à quitter son mari et leurs trois enfants pour épouser son amant dont elle aura trois autres enfants, dont
l'auteure. Elle fut honorée à titre posthume par l'État hébreu pour avoir caché des enfants juifs pendant la
guerre.

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                       Sarah Maeght, C'est où le nord (Le Livre de Poche)
Ella, la narratrice de C'est où, le nord?, est prof de français dans un collège à Paris. Son copain, au
chômage, la quitte pour retourner vivre à Dunkerque, leur ville natale où il a trouvé du boulot. Plutôt que de
le suivre, la délaissée préfère rester seule dans son petit appartement avec Klaus, son poisson rouge. Entre
un cours sur Le Petit Prince, les plaintes de ses collègues et un retour dans sa famille, où elle retrouve sa
sœur stagiaire dans un zoo alors qu'elle déteste voir des animaux enfermés, elle sort avec son amie Lou,
une comédienne végétarienne. Ce quotidien somme toute banal est perturbé par les santons estropiés
qui lui sont adressés anonymement au collège et par le suicide d'un de ses collègues. Le tout est encore
pimenté par sa rencontre avec un garçon homosexuel qui lui crée un profil Facebook et par un séjour à
Budapest où elle retrouve sa mère et fait la connaissance d'une photographe qui l'amène à s'interroger
sur elle-même. Préfacé par Katherine Pancol, ce premier roman da Sarah Maeght est la chronique douce-
amère, où la gravité s'estompe sous l'humour, d'une jeune femme qui peine à trouver sa place tant dans sa
vie professionnelle que sociale et amoureuse

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                       Jean-Marie Blas de Roblès, L'Ile du Point Némo (Points)
En 2008, Jean-Marie Blas de Roblès a loupé de peu le Goncourt avec Là où les tigres sont chez eux,
finalement couronné par les prix FNAC et Médicis. On retrouve, dans son nouvel opus, le même goût
démesuré pour l'aventure et le grand large, les personnages multiples et les intrigues à tiroirs. L'île du
Point Némo s'ouvre sur Alexandre le Grand qui, à la tête des Macédoniens, s'apprête à affronter les
Perses. Cette scène est en réalité un rêve fait par Matias Canterel perdu dans les vapeurs de l'opium et
amateur de soldats de plomb. Flanqué de quelques comparses, dont John Shylock Holmes, le détective
engagé pour retrouver la pierre précieuse, et son majordome, ce richissime dandy part à la recherche d'un
gros diamant volé en Écosse. Cette trame est sans cesse interrompue par des digressions - en sont-elles
vraiment ? - mettant notamment en scène un certain Monsieur Wang qui a transformé une fabrique de
cigares périgourdine, en faillite, en une usine d'assemblage de liseuses numériques. Ou l'ancien patron de
cette fabrique qui lit à voix haute, pour les cigarières, des trépidantes aventures qui emportent nos héros à
travers le globe. Le tout conté avec un plaisir et une fougue communicatifs, multipliant rebondissements et
mises en abîme dans une écriture enjouée et pleine d'humour.

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                       Tanguy Viel, La disparition de Jim Sullivan (Minuit Double)
Pour écrire un bon roman américain, il faut prendre comme héros un (ex-)prof d'université (en littérature),
la cinquantaine et divorcé. Il doit avoir une vie sentimentale compliquée (il est amoureux d'une fille plus
jeune, idéalement un peu paumée, mettons une serveuse) et sa femme s'est remise en couple (avec un ex-
collègue, c'est parfait). Il boit trop (depuis le Vietnam forcément) et est vaguement dépressif (il a d'ailleurs
perdu son emploi). Il conduit une vieille Dodge et, s'il est urbain, il habitait une belle maison avec jardin et
loge désormais dans un motel. Pour le style, il faut multiplier les détails sans intérêt mais qui confèrent son
authenticité au récit: la saleté de la douche, une araignée sur un mur, le bar ceci, la route cela. C'est sur
ces poncifs que le très Français Tanguy Viel a construit son jubilatoire La Disparition de Jim Sullivan en
se mettant lui-même en scène comme auteur (ce qui n'a plus rien d'américain). Le personnage qui donne
son nom au roman est un chanteur mystérieusement disparu en 1975 dans le désert du Nouveau Mexique
(on n'a jamais retrouvé son corps) et dont l'album le plus connu s'appelle UFO (OVNI en anglais). Simple
coïncidence?

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