Nouveautés Québec français - Érudit
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Document generated on 03/13/2022 5:32 p.m. Québec français Nouveautés Le monologue au Québec Number 49, March 1983 URI: https://id.erudit.org/iderudit/55415ac See table of contents Publisher(s) Les Publications Québec français ISSN 0316-2052 (print) 1923-5119 (digital) Explore this journal Cite this article (1983). Nouveautés. Québec français, (49), 2–11. Tous droits réservés © Les Publications Québec français, 1983 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
ROMANS la corne de brume Louis C A R O N Québec français Boréal Express, Montréal, 1982, 271 p. la butte-aux-anges Louis C a r o n est un g r a n d c o n t e u r et un B e r t r a n d B. L E B L A N C puissant écrivain. Il vient e n c o r e de le prouver Directeur de la revue Leméac, Montréal, 1982, 195 p. avec le d e u x i è m e volet des Fils de la liberté. Christian Vandendorpe Cependant, c o n t r a i r e m e n t au C a n a r d de bois, Rédacteurs en chef Le dernier roman de Bertrand B . L e b l a n c s e que l'on peut, à la rigueur, qualifier de roman Aurélien Boivin (littérature) déroule à Saint-Théophile, petit village en historique, la C o r n e de b r u m e est plutôt un Vital Gadbois (pédagogie) roman d o c u m e n t a i r e et d i d a c t i q u e o ù , para- apparence tranquille de la vallée de la Gilles Bibeau (langue et société) Matapédia, au c œ u r des années 30, période doxalement, la f i c t i o n vient au secours de Comités de lecture de gloire des « b o o t l e g g e r s » gaspésiens. Le l'histoire. C'est un d o c u m e n t a i r e , car l'auteur et équipes de rédaction romancier nous présente n o n plus une famille s'est acharné à reconstituer scrupuleusement, mais tout un clan, les Pouilleux, de leur vrai dans les détails les plus infimes, l'existence Littérature n o m les Préjean, qui ont p r o f o n d é m e n t des exilés politiques de 1837-1838 en Pierre Boissonnault Aurélien Boivin marqué la vie du village. Ils vivent sur un lopin Australie, le travail q u o t i d i e n des cageux, les Roger Chamberland de terre inculte baptisé la « M o n t a g n e à c o n d i t i o n s de vie de l'époque, avec, c o m m e Esther Mercier-Croft Lavoie», puis la « B u t t e - a u x - a n g e s » , depuis toile de f o n d , — un peu floue, t o u t e f o i s —, le que la fille aînée du chef du clan a reçu la soulèvement des Métis dans l'Ouest du Pédagogie visite assidue de q u e l q u e s anges, à cet Canada en 1885. Là où l'arrangement des faits Pierre Achim Aline Desrochers-Brazeau endroit précis, mettant du même c o u p en péril et des personnages pourrait paraître le plus Vital Gadbois l'industrie illégale que son père, le Zèbe, a contestable aux yeux d'un historien, — mais Christophe Hopper montée difficilement avec l'aide de ses frères, o n n'en peut tenir grief au r o m a n c i e r , c r é a t e u r Michelle Langlois hauts en couleur, l'Udore, l'Euclide et l'Anti- de f i c t i o n —, c'est le rôle attribué à T i m Jean-Guy Milot m e : la c o n t r e b a n d e de « m i q u e l o n » . Bellerose, l'Irlandais adopté jadis par Hyacinthe Michel Page et Marie-Moitié, qui prend pour ainsi dire la L'intrigue s'amorce pour de b o n , après la Langue et société présentation d'usage, q u a n d le Zèbe, de relève nationale du Québec et se substitue à Gilles Bibeau retour du chantier pour célébrer la Noël avec l'élément proprement français, fondateur du Jean-Marie Pépin ses enfants, miséreux, troque son habit de pays. Si cette a c c o m m o d a t i o n , pour repré- Paul Warren b û c h e r o n pour celui du Père N o ë l et distribue sentative qu'elle soit de l'apport étranger à la des jouets volés au marchand général. constitution du peuple québécois, menace de Ont collaboré a ce numéro Louise Allaire-Dagenais. Maurice Arguin, T r a q u é , il mettra trois ans avant de revenir au distorsion la vérité historique, elle n'en Nicole Barsalou, Jean-Pierre Béland, Daniel village, fier de pouvoir mettre sur pied un demeure pas moins tout à fait plausible dans Bélanger, Pierre Boivin, Louis-Jacques solide réseau de d i s t r i b u t i o n d'alcool frelaté la fiction romanesque. T i m représente en Dorais, Hélène Dorion, Maurice Émond, afin de sortir le clan de la misère. Mais il n'a effet le courage, la détermination, la ténacité Benoît Falardeau, Josée Fiset, André Gauiin, d'un peuple en quête d'affirmation, en même pas c o m p t é sur la détermination de sa fille Chantale Gendron, Bernard Gilbert, Annette temps qu'il en manifeste l'esprit d'aventure Hayward, Lorne Laforge, Bernard Landriault, aînée qui le d é n o n c e au moyen d'une lettre anonyme. Les Pouilleux sont c o n d a m n é s à la parfois un peu b r o u i l l o n et hasardeux. Roger Laporte, Alonzo LeBlanc, Michel Lord, Laurent Mailhot, Pierre Maranda, Claude prison. Q u a n d il recouvre sa liberté, le Le paradoxe s'exerce aussi dans le caractère Poirier, Joachim Reinwein, Jacques Sénéchal, dernier, le Zèbe, qui connaît la délatrice après nettement d i d a c t i q u e que l'écrivain apporte à Elca Tarrab, Rémi Tourangeau. s'être interrogé pendant sa réclusion, est certaines explications, longues, c i r c o n s - victime de sa t r o p grande colère : sa f e m m e le tanciées, sur le c o m m e r c e du bois, sur les Couverture tue alors qu'il s'apprêtait à battre sa fille. cages, sur le voyage vers les terres australes, Effets spéciaux enfin sur une foule de détails destinés à L'intrigue est bien menée, du début à la f i n , et quadrichromie s i - o n fait e x c e p t i o n de l'épisode (trop long) présenter un d o c u m e n t fouillé, c o m p l e t et Point de Trame Photographies des apparitions que le romancier, pour garder authentique de l'époque. Alors p o u r r a i t - o n Francine Girard l'intérêt d u lecteur, aurait pu se contenter de croire qu'il s'éloigne de son rôle de romancier rapporter pour mieux se concentrer sur les p o u r accéder à celui de l'historien scienti- Photos activités des Pouilleux-Dalton-justiciers q u i fique d o c u m e n t é , qui a puisé aux sources et Francine Girard bernent l o n g t e m p s leurs p o u r s u i v a n t s : la veut nous le laisser voir. police montée. Cet épisode, en particulier, Cette d o u b l e distorsion n'enlève rien de Couverture et maquette t é m o i g n e du talent de conteur de Bertand B. fondamental à la qualité de ce roman, écrit Les graphoides Leblanc q u i ne m a n q u e pas d'humour. Mais il par ailleurs dans un style superbe ( d o n t sait aussi être t r a g i q u e et sérieux. l'auteur, avec un brin de jactance, soigne Secrétaire aux abonnements [Aurélien BOIVIN) parfois trop les effets) et i m p r é g n é d'une Christiane Poirier (418) 688-8798 Du lundi au jeudi, en après-midi seulement. La revue Québec français est publiée par l'Association québécoise des professeurs de français et parait quatre fois par an. Bertrand B- Leblanc Québec français C.P. 9185 Québec G1V 4B1 xr
émotion profonde et soutenue, teintée de le surveillant le nom de la rote tristesse. Souhaitons seulement que, lors Gaétan BRULOTTE Umberto ECO d'une réédition, les correcteurs de Boréal Quinze, Montréal, 1982, 122 p. Grasset, Paris, 1982, 505 p. Express prêtent plus d'attention aux nom- breuses erreurs typographiques qui déparent Plusieurs des dix nouvelles composant le Le Nom de la rose est un livre important. cet ouvrage, qui mérite un meilleur sort, le Surveillant de Gaétan Brulotte, prix Adrienne Umberto Eco, critique, sémiologue, musico- meilleur I Choquette (1982) de la Société des écrivains logue et théoricien de l'art (L'Œuvre ouverte. [Gilles DORION] canadiens de langue française, ont déjà paru Structure absente) a toujours critiqué sévè- dans les périodiques ou ont été lues à la radio rement le genre romanesque. Ayant longue- la ville aux gueux de Radio-Canada par des comédiens profes- ment étudié et commenté Brecht, il se sentait, Pauline HARVEY sionnels. sans doute, trop obligé par la nécessité de Les Éditions de la Pleine Lune, Un thème commun les unit: le respect de maintenir ses distances avec la fiction pour Montréal, 1982, 256 p. l'ordre, de la loi, parfois jusqu'à l'absurdité. s'abandonner aux passions des personnages C'est tantôt un commandant intransigeant de roman. Et pourtant, Le Nom de la rose est d'une armée presque sans homme qui cause un roman passionné qui file à grande allure et Lauréate du prix des Jeunes écrivains du la perte du surveillant d'un mur, semble-t-il qui s'accommode fort bien du récit classique Journal de Montréal, Pauline Harvey nous inutile, dans le désert de nulle part («le à succès, avec son intrigue à suspense, ses introduit dans les arcanes étranges et Surveillant»), tantôt un patron sans coeur et conflits de personnages et ses rebondis- familiers du royaume de Fhartag. Par le biais sans âme qui provoque le malheur d'un sements de l'action. Seulement, voilà, cette des aventures de trois vagabonds dont le balayeur («le Balayeur») ou d'un pauvre histoire policière, jalonnée de cadavres culot le dispute à l'imagination, le lecteur journalier («les Cadenas»), ou un juge comme dans un roman d'Agatha Christie, pénètre dans la ville de Varthal et accède («l'Exalté»), un président d'assemblée («Atelier n'est qu'un prétexte. C'est une autre histoire assez rapidement aux mystères du palais où 96 sur les inégalités»), ou la foule elle-même qui est narrée en filigrane, à travers et à même règne le roi Arteur, et toute la faune habituelle qui juge sévèrement et non sans mesquinerie l'enquête ponctuelle et fascinante du Frère qui tente de grapiller les lambeaux dispo- la conduite des héros («Figurez-vous»). Les détective Guillaume. C'est l'Histoire manuscrite nibles: Enguerrand, le Bouffon officiel, personnages sont toujours des gagne-petits du Moyen Age que le sémiologue Eco responsable des arts et des jeux royaux, au prise avec les absurdités de la vie, les transporte littéralement à travers sa petite toujours en lutte d'influence avec le sérieux inégalités sociales, la mesquinerie des patrons, histoire policière. C'est I'universdu16 e siècle, Rembrondt, conseiller politique responsable fiers d'exercer à tout prix le pouvoir. tout englué d'obscurantisme, étrangement permanent de la consolidation des assises Barthélémy n'en finit plus de répéter sans complexe, avide de lumière, gros de la d'un pouvoir jamais définitif; le prince Smine, cesse des gestes inutiles : ouvrir et fermer des Renaissance qui pointe à l'horizon, qui se dont la particularité est d'être effectivement cadenas à combinaison numérique. A la fin, décrypte, se décode et s'étale longuement une princesse, et la comtesse d'Alpenstock après avoir accompli son travail avec per- sous les yeux du lecteurétonné. La bibliothèque qui n'en finit plus d'admirer l'Italie magique et fection, il est congédié car on n'a plus besoin du monastère est l'espace privilégié du lointaine en cette période de fin Renaissance. de surveillant dans le vestiaire de l'usine. drame, c'est le lieu où le détective cherche et Comment nos trois héros, Lily, Rozie et Situation tout aussi absurde dans la nouvelle trouve, à la fin du roman, la clef de l'énigme. Cécil, réussiront-ils à trouver leur place, un éponyme et dans «Atelier 96...». Dans cette Ça, c'est le premier et gros plan fascinant du peu déchirés entre la nécessité d'assurer leur dernière nouvelle, le procès-verbal de la lecteur envoûté. Mais la bibliothèque, c'est survie en profitant des largesses empoisonnées réunion d'une association (est-ce bien une encore et surtout, si l'on sait rejoindre le plan du palais et leur appartenance naturelle au association puisqu'on l'appelle de seize noms d'ensemble derrière le suspense de l'intrigue, monde des gueux où régnent Mississipi Free différents) est un modèle : le secrétaire a le labyrinthe et les dédales inextricables du et Comédie? respecté à la lettre les délibérations de la 16e siècle, avec ses passions déchaînées et Pauline Harvey a choisi une écriture qui réunion. Même souci de bien faire, dans « le son mysticisme exacerbé. Le moine enquêteur rappelle celle des contes fantaisistes, politiques Balayeur», quand l'ouvrier, de peur de du roman n'est là que pour entraîner le lecteur et satiriques du 18e siècle. Toute en actions, déplaire à un patron exigeant balaye dans à se mettre en quête du Moyen Age. en dialogues, en rebondissements étonnants, l'égout le corps ensanglanté d'un moto- une écriture qui manie joyeusement l'ana- cycliste, victime d'un accident... Le Nom de la rose est dans la même veine chronisme et l'invraisemblance spatiale, où les romanesque que The Great Train Robbery de effets certains des aphrodisiaques voisinent Le recueil de Brulotte est écrit dans une Michael Crichton. En même temps que le avec ceux, mystérieux, d'un boomerang qui langue impeccable qui épouse souvent la lecteur revit l'histoire rocambolesque du ne serait pas un bâton, où messieurs Planters, situation décrite : phrases courtes, saccadées, célèbre vol du train postal de Londres, il est Kellogg et Nestle peuvent quand même style concis. Cette rare économie de moyen amené à découvrir les us et coutumes, la discuter avec des Macduff ou MacGrégor, où n'est-elle pas la qualité d'un bon écrivain? mentalité et la structure socio-politique de les personnages emploient soudainement Brulotte a du talent. On attend la suite de son l'Angleterre de l'époque victorienne. Mais une langue populaire qui nous est bien oeuvre bien amorcée avec le prix Robert- Eco va plus profond et plus loin queCrichton. familière. Cliche, car il a des choses à dire et sait bien les La structure de son récit est beaucoup plus [Pierre BOISSONNAULT] dire. [Aurélien BOIVIN] complexe et elle permet des échappées l niberto K.eo laville aux gueux Ma N O M DlalaA ROSE MARS 1983 Québec français 3
autant vers le passé que vers le présent du Par ses dialogues efficaces, ses descriptions la duchesse et le roturier lecteur. Si l'aventure policière du Frère succinctes et ses réflexions pénétrantes, ce Michel TREMBLAY Guillaume offre la possibilité de s'élever à une roman témoigne d'une lutte pour la justice et Leméac, Montréal, 1982, 387 p. (14,95$). vue d'ensemble du Moyen Âge, elle n'oblige la liberté. Devant la charge des sangliers, pas le lecteur à cette dimension par des «ces bêtes venues de l'autre côté de la Si la Grosse Femme d'à côté est enceinte digressions et des commentaires extra- frontière», les Polonais conservent « l'insigne avait créé à l'univers de Michel Tremblay un diégétiques, comme c'est souvent lecasdans bonheur d'espérer». passé optimiste qui semblait rendre ses The Great Train Robbery en ce qui concerne [Daniel BÉLANGER] pièces désormais impossibles, la Duchesse l'Angleterre victorienne. Dans le récit de Eco, et le Roturier (en passant par Thérèse et le plan d'ensemble historique surgit du groë Pierrette à l'école des Saints-Anges) nous plan de l'enquête policière comme fleur de la ramène peu à peu à l'atmosphère étouffante tige. Il est de l'ordre du symbole et de la rendue si célèbre par les Belles-Sœurs. Là où métaphore. Par ailleurs et par conséquent, s'annonçaient dans la Grosse Femme l'amour, cette vision du Moyen Âge que nous procure amours profanes la communication et la naissance de toute le roman de Eco, parce q u'el le aff leu re à notre Joyce Carol OATES une collectivité, s'installent maintenant la conscience par le jeu métaphorique, devient traduit de l'américain par mesquinerie, le défaitisme ou, pour ceux qui un décalque saisissant de l'Italie moderne Michel Courtois-Fourcy ont le courage d'aspirer à un avenir meilleur, secouée par la violence et le terrorisme. Québec/Amérique, Montréal, 1982, 341 p. l'échec imminent. Le héros collectif cède la Umberto Eco, avec Le Nom de la rose, a place, quoique de façon hésitante, à un réussi à concrétiser dans un récit romanesque Quelque part, non loin de la route qui mène personnage principal, Edouard, dont le rêve ses théories sur l'œuvre ouverte. Il n'a jamais de Montréal à New York, une petite ville: consiste à se déguiser en le personnage été aussi résolument brechtien. Woodslee. Géographiquement un peu à balzacien de la Duchesse de Langeais. [Paul WARREN] l'écart: l'université. Un petit monde aussi, Il semblerait en effet que la «roture» celui du département des littératures. Une vie (condition d'une personne qui n'est pas grise, routinière, remplie de mesquineries noble) n'a d'espoir qu'en se transformant en la charge des sangliers banales. Un univers de déracinés. Sans espoir noblesse, ce qui constitue évidemment une Alice PARIZEAU véritable. contradiction dans les termes. Il s'agit de se Pierre Tisseyre, Montréal, 1982, 384 p. Mais cette année scolaire qui débute ne prouver «autre», au-dessus de son milieu, devrait pas être comme les autres. En effet, les ainsi que l'annonce l'épigraphe du livre: «Il Suite de les Lilas lleurissent à Varsovie autorités de l'université ont réussi à attirer n'y a pas de mal à être né dans une basse-cour (1981), la Charge des sangliers continue de chez eux le plus grand poète anglais quand on sort d'un œuf de cygne» (Hans «dire la vérité sur cette réalité» polonaise contemporain. L'incarnation vivante de l'Art. Christian Andersen). Peu étonnant, donc, si méconnue. L'action se situe ici dans les Du sens même de l'existence humaine. Un le récit adopte comme arrière-fond — au années 1980-1981 et rend compte de l'influence témoignage de la possibilité de rédemption point de s'apparenter parfois à un roman exercée par « Solidarité » auprès de la société. de l'Homme, que le péché a jeté dans l'Ennui historique — l'univers théâtral, où de telles Afin de saboter cette «première révolution existentiel. Chacun se promet, et se fait fort, transformations sont monnaie courante. pacifique» de l'Histoire, le pouvoir «exploite d'obtenir l'amitié de celui qui, pour la Faute de pouvoir devenir comédien, Edouard la naïveté des gens qui ont derrière eux de première fois, a accepté de fouler le sol tentera d'adopter une nouvelle identité dans longues années de désinformation et de américain. la vie quotidienne, ce qui l'entraîne (« noblesse propagande» (p. 210). Au moyen de pénuries Albert St. Dennis se verra plongé dans une oblige») en France: «Il reviendrait ensuite au fictives et d'interventions arbitraires, la suite laborieuse de conférences, de séances bercail parisien jusqu'au bout des ongles et soviétisation du régime s'affirme. de lectures, de réceptions et d'entretiens Montréal ne pourrait que se rendre à ses Peuple d'espoir et de foi, les Polonais privés. Pauvre septuagénaire fatigué, usé, moindres désirs» (p. 385). tentent à nouveau de réaliser « le miracle du physiquement et mentalement diminué, le Conteur né, Tremblay plonge facilement le printemps». Les événements sont présentés vieil homme tentera de jouer le jeu, comme lecteur dans ce Montréal des années 40 où le selon plusieurs points de vue et différentes une conséquence ultime de la vie qu'il a monde du spectacle rejoint la vie des perspectives: l'alternance des personnages choisie. personnages déjà rencontrés dans les deux issus de divers milieux assure et maintient D'un chapitre à l'autre, d'une réception à premiers volets des «Chroniques du Plateau l'intrigue. Comme les références historiques l'autre, Joyce Carol Oates promènera son Mont-Royal». Mais si le réalisme y est plus explicites s'avèrent ici moins répandues que narrateur derrière l'épaule de ses person- recherché que jamais (cl. la bibliographie, dans les Lilas fleurissent à Varsovie, l'évolution nages, nous faisant découvrir la perception p. 387), le rêve s'y trouve encore plus valorisé. des personnages est mieux orchestrée. En désespérément égocentrique que chacun à Par ailleurs, la chronologie du récit, bizar- dépit de la peur et de l'angoisse provoquées de lui-même et des autres. Regard ironiqueet rement entrecoupée d'« Intercalai res», en par le climat social, la dimension fictive du impitoyable, caractéristique de la littérature empêche une lecture linéaire. texte permet une réalisation davantage américaine. Néanmoins, cette chronologie entrecoupée 'aisante des motivations individuelles. [Pierre BOISSONNAULT] n'est pas sans parfois agacer le lecteur, de Joyce Carol Oates Michel Tremblay AMOURS PROFANES • OUEKC Aiwaïaue La duchesse et le roturier HMÏM 4 Québec français MARS 1983
même que certains passages malhabiles ou qu'il est, avec, aussi grande que le désir du pain des oiseaux naïfs (par exemple, la scène originaire d'écrire, toute la confiance prévenue qui ôte André CARPENTIER racontée par l'enfant de la grosse femme). Le la peur» (p. 11). Il faut peut-être lire les VLB, Montréal, 1982, 149 p. retour subit de certains personnages des Amantes, publié en 1980, en guise de suite autres volets des «Chroniques» peut aussi puisqu'elle nous dit qu'il «est le récit Quatrième œuvre d'André Carpentier après, dérouter. Quant à l'attitude du « chroniqueur» d'événements infiniments plus récents, signes entre autres, un roman remarqué (l'Aigle envers les personnages et le milieu décrits, de l'engagement dans l'épaisseur de l'amour, volera à travers le soleil) et un recueil de elle se fait un peu plus hargneuse et dans son absolu» (p. 11). contes fantastiques (Rue Saint-Denis), Du méprisante, à notre avis. Avec les allusions à [Elisabeth FORTIN] pain des oiseaux regroupe sept récits dont la « basse-cour » et à cette roture dont « le bon quatre — et c'est déjà pour le moins étrange Dieu va avoir honte», on pourrait même dire — se déroulent dans le passé, temps qui ne que Tremblay se trouve moins loin d'un trouve que rarement sa place dans le auteur comme Albert Laberge qu'on ne l'a fantastique, qui préfère le présent et le futur, soupçonné. comme la science-fiction. [Annette HAYWARD) NOUVELLES La première nouvelle, qui donne le ton au recueil et éclaire le titre, «le Vol de Tit- Oiseau», est racontée par le pilote Charles les bonheur* Perreault «qui aime bien parsemer [ses] Jocelyne FRANÇOIS oeuvre de chair. Récits erotiques récits d'images symboliques, de personnages Editions Lacombe, Paris, 1982, 220 p. Yves THÉRIAULT singuliers et d'éléments inquiétants et drama- Illustrations Gilles Tibo tiques» et se déroule dans le Nord: peu après la Les Bonheurs, un récit tendre et touchant VLB éditeur, Montréal, 1982, 166 p. chute de son appareil, le pilote assiste à une d'un amour à la recherche du temps. Il faudra étrange cérémonie: le sorcier de la tribu qui neuf ans à Sarah et Anne avant qu'elles C'est en 1976, chez Stanké, que Thériault l'a secouru réussit à communiquer avec l'au- puissent se retrouver et s'aimer librement. publiait une première fois ces seize récits delà par l'entremise des esprits de quelques Dès le début, Sarah nous livre le désarroi, le erotiques illustrés de dessins d'une fraîcheur bêtes de la forêt : le lièvre, le hibou, l'orignal... trouble, la folie de l'abandon; elle se nourrit naïve et sensuelle par Louisa Nicol. VLB les «Le Déserteur», la deuxième nouvelle de souvenirs, d'odeurs, d'espoirs. Anne a réédite avec, cette fois, les illustrations d'une étonnante intensité dramatique, a pour choisi le mariage, les enfants. Mais au bout de somptueuses et suggestives de Gilles Tibo. cadre le lac Saint-Pierre que Gabriel quatre ans, elle appelle Sarah: «Viens». Ce Cette «œuvre de chair» s'adresse tout Beausoleil, soldat du régiment de Carignan, a sont les retrouvailles, le désir, l'amour, les autant au ventre digestif qu'au ventre sexuel. pour mission de traverser afin de conduire à confidences. Moment intense que ce cahier Yves Thériault nous met en appétit en nous Trois-Rivières trois soldats blessés. Alors d'Anne où elle livre sa perception, son décrivant avec beaucoup d'imagination et un que, surpris par un froid glacial, il veille ses analyse, ses choix, son intégration dans un vocabulaire à la fois riche et savoureux, des infortunés compagnons, lui apparaît un « halo rôle social de femme mariée puis de mère de menus gastronomiques qui constituent peut- de lumière diaphane» qui se transforme en famille. Récit intègre d'un quotidien qui être les pages erotiques les plus réussies du spectre hideux, démesuré. Le lendemain évolue tout lentement vers une prise de recueil. Comment résister au « coq en pâte de matin, il découvre ses compagnons morts et conscience irréversible. Description non la nonne Jeanne», à la «fricadelle ecclésias- que ses chiens l'ont abandonné. Il fuit vers l'Ouest. agressive et lucide de constatations existen- tique», aux «cailleteaux impubères en terrine» Une autre nouvelle, « la Nuit du conquérant», tielles troublantes: amour, maternité, accou- ou à «la perdrix sans retenue», autant de se déroule à Ville-Marie en 1674 et «Casse- chement, relations hommes-femmes. titres évocateurs qui illustrent la parfaite Cou», à Québec, en 1901. Dans «Jorge ou le Mais il faudra attendre encore. Anne devra complicité des sens, sans négliger la sensua- Miroir du mage», on assiste à un hiatus vivre une troisième grossesse et trouver la lité même des mots. chronologique: un homme est témoin, en se force physique et psychologique d'expliquer Thériault n'en est pas à ses premières rasant, de sa propre mort, qui se produit à son mari qu'elle désire vivre avec Sarah, son armes en ce domaine. L'atmosphère de effectivement, le soir même, selon la vision seul amour. joyeuse et libre sensualité de certains récits qu'il en avait eue. Autre hiatus dans « Larmes Avec comme toile de fond le contexte d'Œuvre de chair rappelle en particulier le de bébé» qui précipite la mort du héros B.B. politique effervescent de la guerre d'Algérie, roman les Commettants de Caridad où Quant à la dernière nouvelle, «la Première une évolution psychologique qui se passe en l'érotisme naît plus du raffinement d'un style Mort d'Auguste Fabre, poète, né à Sainte- douceur, malgré des déchirements affectifs et suggestif que du réalisme des descriptions. Agathe en 1929», il s'agit d'un collage qui sociaux percutants. Roman simple au discours Mais d'autres passages du recueil semblent témoigne de l'étonnante imagination de narratif direct. Roman sain qui refuse les davantage préoccupés par le besoin d'afficher Carpentier. conventions fatalistes. Récit autobiographique un éclectisme bien peu convaincant dans un Le recueil est soutenu, intéressant, même si publié aujourd'hui, sans y avoir retouché: domaine où seule importe l'intensité d'une récriture est souvent (trop) recherchée, farcie « J'étais, dit Jocelyne François, en 1967,68,69 écriture du désir. de mots abstraits et de tournures savantes. A lir et 70, cette femme qui a écrit ce roman-là tel [Maurice ÉMOND] a- [Aurélien BOIVIN] JOCELYNE FRANÇOIS Yves Thériault André Carpentier .Oeuvre de chair Du pain des oiseaux mît 1 .re c i t a erotiques récits illustré pair Tibo Préface de André Belleau Editions Lacombe vlb éditeur MARS 1983 Québec français 5
le soleil des morts quelques années. On y reconnaît, en effet, le s'agit là d'une heureuse initiative du profes- Louise DARIOS même type de personnages « nés pour un seur Alonzo Le Blanc et de ses collaborateurs Sherbrooke, Naaman, 1982, 178 p. petit pain», aux prises avec leur infériorité (!) intéressés à reconstituer le contexte histo- linguistique, et qui recherchent dans la rique et le texte authentique du plus populaire La mort est au rendez-vous dans toutes les possession matérielle un renversement de mélodrame québécois. nouvelles du dernier recueil de Louise Darios, leur condition. Globalement, l'ouvrage comprend une le Soleil des morts. Divisé en cinq parties, le Hélène et Alphonse, qui forment un couple longue présentation suivie du texte de la livre présente trois types de récits. On y âgé, viennent de se départir de leur ferme pièce découpé en quatre actes et deux retrouve en effet un heureux mélange de réa- pour s'installer en ville, chez leur fils Aurèle. tableaux dans le quatrième acte. La présen- lisme, de fantastique et de science-fiction. La Terry, la femme de celui-ci, voit d'un très tation qui fait tout l'intérêt du mélodrame nouvelle éponyme regroupe elle-même trois mauvais œil l'arrivée de ses beaux-parents. occupe plus de cent pages. El le est subdivisée courts récits qui n'ont de lien entre eux que la Déjà frustrée par l'étroitesse de leur cadre de chronologiquement en trois parties: 1) thématique qui traverse d'ailleurs tout le vie, elle accueille avec agressivité les nouveaux l'histoire vécue avant la pièce: celle d'Aurore recueil: la fatalité de la mort. Tous ces venus. Une seule chose la console: les Gagnon (1909-1920) et celle des procès de récits peuvent se lire séparément, tout comme «quatre-vingt-dix mille piastres» du beau- Marie-Anne Houde et de Télesphore Gagnon les sept contes de la cinquième partie. En fait, père, produit de la vente de la ferme. Tous ses (1920), 2) l'histoire de la pièce où figurent les le recueil est constitué de treize récits qui gestes, désormais, seront orientés vers un but circonstances de composition, de représen- illustrent, avec un art consommé du suspen- unique : accaparer cette somme, avec ou sans tation et de production, 3) enfin l'histoire dans se, la bêtise humaine et l'inéluctable marche le consentement de son mari. Et pouvoirenfin la pièce qui propose une lecture et une de l'humanité vers le néant par la faute même matérialiser ses rêves, sous forme de nouvel interprétation du manuscrit reconstitué. de l'homme. Louise Darios exploite le thème appareil de télévision, de manteau de fourrure Suivent quatre annexes de variantes de du racisme, du fascisme, pour dénoncer l'into- et de maison unifamiliale. l'œuvre et de chansons trouvées parmi les lérance. Elle se promène à travers le temps, de Le sujet n'est pas très nouveau. Les copies des rôles de comédiens. l'Inquisition espagnole au XXI e siècle. Les rapports entre les personnages non plus. Les Le principal mérite de l'ouvrage est bien morts refont surface dans les récits fantas- confrontations bru-belle-mère, en particulier, d'avoir reconstitué la partition originale de tiques et viennent déranger l'ordre du monde correspondent tout à fait au stéréotype cette pièce à grand succès (5 à 6000 tandis que la vie disparaît lentement de la terre maintes fois exploité, surtout dans un cadre représentations) encore jamais publiée dans les récits de SF. L'écriture se fait plus comique. De la même façon, la relation jusqu'ici. La lecture méthodique des deux corrosive lorsque le réalisme est abordé. époux-épouse n'est souvent pas loin de la parties du mélodrame suggérée par Alonzo Louise Darios dénonce les abus de pouvoir en caricature, celle du pauvre travailleur exploité Le Blanc est des plus pertinente dans le cadre Amérique latine — elle est elle-même par sa femme aux désirs déraisonnables. En d'une édition populaire et justifie le choix du d'origine franco-péruvienne — et la cruauté somme, des neuf personnages mis en scène, découpage présenté. La brève interprétation sciemment exercée. On sent au travers du un seul semble avoir une certaine qualité de ici avancée, appuyée sur la dualité de l'action, livre passer un vent de pessimisme. Mais présence: c'est Gustave, le concierge. Par de l'espace et du temps, permet de faire l'humour noir a le dernier mot. A la dernière ailleurs, si la subtilité des personnages laisse comprendre les raisons du succès de l'œuvre. page, il ne reste qu'un homme sur terre, sauvé souvent à désirer, l'intrigue, elle, est très parce qu'il est allergique au poisson. Un autre mérite du présent ouvrage réside construite. Les éléments du récit s'enchaînent dans l'apport d'une vaste documentation [Michel LORD] avec beaucoup de rigueur; aucune péripétie relative à la pièce de Petitjean et de Rollin. n'est laissée au hasard et même les effets Certes, les tableaux historiques et les comiques sont rarement gratuits. documents fournis n'épuisent pas la matière [Esther CROFT] et laissent le lecteur sur son appétit, mais ils suffisent à retracer l'essentiel des circons- THÉÂTRE tances entourant la création de la pièce (1921) et du film (1951). A cela, s'ajoutent des témoignages de Thérèse MacKinnon, inter- aurore l'enfant martyre prète d'Aurore, et d'Emile Asselin (Marc les manigances d'une bru Léon PETITJEAN et Henri ROLLIN Forrez), des biographies éclairantes des Paul RUEST et Roger LÉGAL Présentation de la pièce par Alonzo Le Blanc, comédiens ou des auteurs de l'œuvre, des Les éditions des Plaines, Saint-Boniface, VLB éditeur, Montréal, 1982, 273 p. précisions utiles sur les censeurs et les 1982, 93 p. critiques de l'époque. Enfin, une bibliographie L'entreprise de publier aujourd'hui l'une importante et une iconographie tirée du film Les auteurs sont franco-manitobains. La des versions d'Aurore l'entant martyre, complètent la documentation. Voilà, en bref, pièce se déroule dans un quartier de attribuée à Léon Petitjean et à Henri Rollin, une bonne contribution à l'histoire du théâtre Winnipeg. Elle aurait aussi bien pu se passer peut paraître à la critique bien-pensante une québécois permettant de mieux approfondir quelque part dans les Cantons de l'Est ou vaine tentative de faire ressusciter la « préhis- la voie du réalisme du théâtre de chez nous. dans un quartier populaire de Montréal, i l y a toire» du théâtre québécois. En réalité, il [Rémi TOURANGEAU] J l e i manigançai d u n e Iftu : soi S MORTS Paul ftotftt Roger LagA) 6 Québec français MARS 1983
DEJA UNE TRADITION Gérard Tougas DESTIN LITTERAIRE LES ESPACES M a r t Gendron LES ESPACES GLISSANTS DESTIN LITTÉRAIRE DU QUÉBEC DU QUÉBEC GLISSANTS de Gérard Tougas de Marc Gendron Voilà un livre important, don) on parlera Après avoir manifesté, avec Louise ou la 0 1 * WC AN* WDUt sans doute beaucoup. Avec une lucidité Nouvelle Julie, un authentique talent d'é- constante, l'auteur dégage les grands cou- crivain, Marc Gendron pousse encore rants de notre littérature, qu'il situe par plus loin ses investigations dans les pro- rapport aux autres littératures nationales fondeurs de l'écriture et de la conscience. de la francophonie et à la littérature amé- L E S ESPACÉES GLISSANTS, OU les étapes d'u- ricaine. Gérard Tougas, dont la réputa- ne vie d'homme, confirme l'originalité tion n'est plus à faire, nous laisse entre- d'un style et d'une pensée qui annoncent voir ce que devra être notre littérature de l'avènement d'une œuvre importante et demain et de quelle façon elle parviendra d'une voix unique dans notre littérature. à occuper une place intéressante sur le plan international. Joyce Cmal Oate» AMOURS TRISTESSA AMOURS PROFANES PROFANES de Jack Kerouac TRISTESSA de Joyce Carol Oates La peau sur les os, mais une peau de pêche et de café, et ça suffît pour faire une femme, une « Tristessa » — bien nommée, il faut le Ce n'est pas pour rien qu'on tient généra- dire, entre cauchemar et veille — une Aztèque lement Joyce Carol Oates pour la plus QUEBEC M * RKHJf des faubourgs aux yeux athées, douloureuse (lUfHH.AMCWOl* douée et la plus féconde des jeunes ro- comme le Mexique où se tapit, dans des mancières américaines. Son célèbre Belle- ruelles sombres encombrées d'odeurs, l'autre fleur a connu un immense succès interna- côté du rêve américain, ce miroir sans tain. tional, et il ne faut pas douter que son Et ça suffît pour faire un livre qui « change nouveau roman. A M O U R S PROFANES, rece- la langue », rempli d'anamorphoses extrava- vra le même accueil. C'est un Oates gantes, phrases inachevées, mots tordus, « grand c m », un très beau roman à la rapiécés, inventés, impossibles. Un roman fois cruel et tendre, que découvriront mystique et déglingué comme les vrais avec un plaisir renouvelé les lecteurs et chagrins d'amour. Désir ou délire, drogue lectrices fidèles de J.C. Oates - un uni- ou Nirvana, amour ou fantasme, nuit blanche vers où pénétreront avec ravissement ou éternité... Une seule certitude, le texte ceux qui aborderont pour la première fois lui-même, dévergondé, abandonné, il tourne l'œuvre de ce grand écrivain. autour de ce corps d'Indienne, corps malade et merveilleux, tel un papillon autour d'une ampoule nue allumée dans le noir. lent.l'.uil L t Bourhb LES HEURES UNE HISTOIRE Ha;lène Rtoux LES HEURES CREUSES CREUSES GITANE UNE HISTOIRE GITANE de Jean-Paul Le Bourhis de Hélène Rioux LE DEUXIÈME ROMAN DE, Jean-Paul Le Dans U N E HISTOIRE GITANE, Hélène Bourhis nous entraîne dans un grand Rioux met en scène des fous et des inno- voyage en auto-stop — mais aussi dans les cents, sur un fond de musique flamenco. BUM NMMOM QUtOfC A W R n u t labyrinthes de l'imaginaire et des fantas- I l y a Anne avec tous ses bijoux étince- mes, au creux d'une mythologie nord- lants, Raphaël le gitan avec son anneau à américaine où l'humain dévore l'humain l'oreille, ses pieds nus et sa révolte, parmi et où tout le monde croule et capote dans les multiples personnages qui soutiennent un univers de machines, de bruits et de ou entravent leur action, tandis que se frénésie. Après L ' E x i l intérieur, un point joue le drame de l'incompréhension et de tournant dans l'œuvre d'un écrivain qui ia fuite en avant. entend bien se faire une place sur la scè- ne des lettres québécoises. E N VENTE D A N S T O U T E S L E S B O N N E S L I B R A I R I E S MARS 1983 Québec français 7
elle, apprend très vite qu'elle ne doit pas « furieusement sartrien à vingt ans» a imaginé ESSAIS prendre de risques, qu'elle ne doit pas avoir que Sartre écrivait un testament politique confiance en elle. Ses parents ne sont-ils pas dans lequel il disait enfin toute la vérité. C'est écrits polémiques 1960-1981. là pour veiller sur elle? Et plus tard, si elle a aune rétrospective de ses divers engagements «1. la politique», développé sa féminité, un beau prince viendra que se livre alors l'écrivain. On le voit ainsi, Pierre BOURGAULT, la prendre en charge. peu après la guerre, séduit par le parti VLB éditeur, Montréal, 1982, 365 p. Mais, selon Colette Dowling, le discours qui communiste, se faire le chantre docile de tout s'adresse aux femmes aurait changé, particu- ce qu'on a voulu lui faire croire lors d'un lièrement depuis les années 70. «On nous voyage en U.R.S.S.; on le suit, plus tard, en Alors que le tome II envisagera «le disait soudain que nos vieux rêves de petites Chine et à Cuba, entonnant un naïf dithyrambe culturel», ce premier livre des écrits polé- filles étaient fades et déshonorants et qu'il y de Castro ou de Mao. Les nombreuses miques de Bourgault regroupe plus de avait mieux à désirer: l'argent, le pouvoir et, citations fascineront le lecteur d'aujourd'hui soixante des textes que l'auteur a publiés condition essentielle entre toutes, la liberté. » par le curieux type de raisonnement qui entre 1960 et 1981. On y lit, en filigrane, (p. 10) D'où le complexe de Cendrillon. Le permettait à Sartre de légitimer chez les uns révolution d'une société et sa confrontation complexe de Cendrillon, c'est le conflit qui ce qu'il condamnait chez les autres. Ainsi «Le constante avec l'idée d'indépendance du oppose chez les femmes le besoin de fascisme ne se définit pas par le nombre de territoire. Se trouvent ainsi opposés, sous la dépendance créé par l'éducation qu'elles ont ses victimes, mais par sa manière de les tuer » plume de l'auteur, le lévesquisme et le reçue, besoin qu'elles tentent de refouler et (p. 80). A propos de la classe ouvrière: "La bourgaultisme: deux approches de l'avenir de nier, et le besoin d'indépendance que la liberté qu'elle réclame ne ressemble pas à la du Québec, l'une, tassée par le pouvoir, société encourage maintenant. nôtre (...) elle renoncerait volontiers à la l'autre, restée hypothétique. Il faut noter Colette Dowling n'a probablement pas liberté d'expression (...) si on la libérait du d'ailleurs que les derniers textes du livre, révolutionné la psychanalyse des femmes. rythme lancinant des machines» (p. 60). Et assez nombreux, sont parus dans The D'autres ont parlé avant elle de ce besoin des bien d'autres, sur l'homme blanc («Abattre un Gazette et qu'ils sont traduits. Cela indique- femmes d'être prises en charge; d'autres ont Européen, c'est faire d'une pierre deux t-il l'ouverture du monde anglophone mon- déjà démontré que l'éducation était souvent à coups»), sur l'humanisme («l'exquise justi- tréalais ou le tassement d'un homme à la la base de la discrimination sexuelle. Cepen- fication du pillage»). Bret, de quoi méditer! pensée généreuse et condamné à la margi- dant, elle traite le sujet agréablement, elle Ce petit livre, écrit dans un style rapide, nalité? illustre ses théories de nombreux exemples. avec l'allégresse d'un iconoclaste, est à [André GAULIN] recommander à tous ceux qui, un jour ou Peut-être certaines femmes apprendront- elles, en lisant ce livre, à nommer leur l'autre, ont été tentés par le confort d'une angoisse? Peut-être certains hommes pensée totalitaire. le complexe de cendrillon comprendront-ils mieux les revendications [Christian VANDENDORPE] Colette DOWLING des femmes qui exigent pour leurs enfants Grasset, Paris, 1982, 285 p. une éducation non sexiste? [Michelle LANGLOIS] A six ans, quand elles arrivent à l'école, les filles ont gagné, dans leur développement, lectures de gérard bessette une année d'avance sur leurs petits cama- Textes réunis par J. J. HAMM rades. Et pourtant, elles sont rares, les Québec/Amérique, Montréal, 1982, 270 p. femmes qu'on retrouve dans les hautes sphères du pouvoir. Il semblerait même que le testament de sartre Publié dans la nouvelle collection «Litté- les étudiantes réussissent moins bien que les Michel-Antoine BURNIER rature d'Amérique. Essai», inaugurée par la garçons aux examens de fin d'études Olivier Orban, Paris, 1982, 203 p. (13,50$). publication du Destin littéraire du Québec de universitaires. Est-ce le propre de l'intel- Gérard Tougas, Lectures de Gérard Bessette ligence féminine de s'éveiller rapidement et Pendant plus de vingt ans, Sartre a dominé réunit les dix-huit communications d'un d'atteindre tout aussi rapidement ses limites ? le débat idéologique en France, légitimant par colloque qui s'est déroulé à Queen's University, D'après Colette Dowling et plusieurs sa réputation d'intellectuel toute une ligne les 7 et 8 novembre 1980, et dont Jean- chercheurs qu'elle cite abondamment, on d'action politique dans laquelle s'engouf- Jacques Hamm, le compilateur des textes, trouve la réponse à cette question dans frèrent des milliers de lecteurs subjugués. Annette Hayward et Clive Thomson furent les l'éducation. On n'élève pas les garçons et les Mais que valaient en fait ces engagements et maîtres d'oeuvre. filles de la même manière. La mère prodi- ces déclarations dogmatiques si on les Le volume est divisé en deux parties guerait plus de caresses à un garçon qu'à une examine aujourd'hui, avec le recul de d'inégales longueurs : la première, qui compte fille. Mais, elle aurait tendance à surprotéger l'Histoire? sept textes, porte sur « l'œuvre et ses davantage sa fille. Encore tout petit, le garçon Michel-Antoine Burnier, qui est l'un des lectures » ; la seconde s'intéresse aux « œuvres est encouragé à faire de nouvelles expériences, fondateurs d'Actuel, était bien placé pour se et à leurs interprétations», depuis le Libraire à se battre, à vaincre sa peur. La fille, quant à livrer à cette analyse. Lui qui a été (deux textes) et l'Incubation (trois textes), Pierre Bourgault MICHEL-ANTOINE BURNIER Ecrits polémiques LE 1960-1981 1. La politique TESTAMENT DE SARTRE OLIVIER ORBAN 8 Québec français MARS 1983
romans plus classiques, en passant par le la mour l'amort là, l'inertie de l'environnement de notre Cycle et les Anthropoïdes (deux textes Jean CHARLEBOIS, époque. L'auteur joue avec les mots, provoque chacun), jusqu'au Semestre. Aucun texte Éditions du Noroît, Saint-Lambert, 1982, (n.p.) l'inattendu. Et, en même temps qu'il pratique spécifique sur la Bagarre ni sur les Péda- ces détournements, cet humour du sens, il gogues dont on parle toutefois, à l'occasion, Recueil publié tête-bêche, avec des dessins insère dans ses poèmes un certain nombre de dans la première partie. de Birgitta L. Saint-Cyr, la Mour l'Amort est le notions critiques qui appuient, cautionnent, Voilà un ouvrage fort utile, d'une grande septième de Jean Charlebois publié aux les élans plus libres. richesse, consacré à un écrivain important de Éditions du Noroît. Sous cette couverture «La Basse continue de la mer» s'élabore la littérature québécoise. On peut déplorer, noire aux lettres rouge et argent se lisent sur un thème plus développé. Pour mieux pour les non-initiés, l'absence de bibliographie plusieurs textes mis en parallèle. D'abord la vivre la liberté que laisse appréhender et de chronologie de l'auteur. Mour: dans cet ensemble de poèmes, l'écriture, le poète va voir ailleurs. De la mer, [Aurélien BOIVIN] l'amoureux/l'amoureuse mène un dialogue on peut mieux se voir; on peut mieux couler des sens. La femme, dans sa gestualité dans ses désirs. corporelle, concrétise un érotisme prenant La dernière suite est certes la plus réussie. appui sur les forces vives de la nature. En Le texte y est plus incisif ; il inscrit maintenant mode inversé, comme un reflet dans le ouvertement ses critiques. Entre autres, un miroir, l'Amort: contrepartie de la première poème plus long que les autres sur la folie, sur section mais, également, son complément. les brèches qu'elle permet d'explorer, et sur Deux textes placés en alternance, dont l'un son traitement (le discours qui la réprime), POÉSIE est complété par un troisième niveau d'inter- éclaire particulièrement le projet de Robert vention, — marqué par un caractère typo- Giroux. On y lit la révolte, le désarroi vis-à-vis dans la matière rêvant comme graphique différent des deux premiers, — se des certitudes que le savoir dit posséder, mais d'une émeute font face. D'une part, il y a le dialogue du fils on y lit surtout, malgré quelques passages Claude BEAUSOLEIL avec la mère morte venue le visiter dans moins réussis, la volonté vivace d'« écrire Écrits des Forges, Trois-Rivières, 1981. lequel s'intercale l'italique, autrement dit le l'errance libre/la dérive de ne jamais savoir commentaire fils/poète devant cette présence tout à fait» (p. 73). Un vécu «livré aux mots», une écriture impromptue. D'autre part, dominant ce (Bernard GILBERT] empreinte du désir, des pulsions et passions premier récit, se profile l'échange voluptueux qui la sous-tendent, un texte non plus écran des deux amants et la conscience d'un monde mais miroir ; ainsi Claude Beausoleil pénètre- ravagé par diverses luttes. La mort est l'envers t-il Dans la matière rêvant comme d'une de l'amour, et vice-versa, comme le suggère la émeute. Ici, tout est indice, matière au composition du recueil; ce que l'écriture, poème: le réseau d'émotions vécues dans la avec ses jeux de mots fréquents, rend de éphémérides précédé de débris, relation à l'autre et au monde, le corps, le façon plus probante. Jean-Noël PONTBRIAND, quotidien, la ville, les lieux et le travail [Roger CHAMBERLAND] Le Noroît, Saint-Lambert, 1982, 116 p. d'écriture. Explorant les rapports je/réel, questionnant à la fois les attractions, liaisons Ceux qui ne connaissent pas le poète Jean- et structures, le sujet met en forme un projet Noël Pontbriand devraient profiter de la d'inscription qui fera de lui la source même parution de son dernier recueil pour entrer des effets de sens. La page devient ainsi le lieu l'œuf sans jaune dans un univers somptueux de la parole. du déploiement de ce je qui accepte de se Robert GIROUX Débris, dans lequel l'auteur rejoint le souffle risquer totalement, d'« écrire le tout pour le Mœbius Triptyque, 1982. lyrique de la mémoire toujours vivace sous les tout». L'écriture permet au je non seulement oppressions diverses, et Ephémérides, qui de (se) relier, d'établir les circuits du visible et Trois textes composent ce recueil. Le tient la vie haute et noble sous l'usure et la de l'invisible, du dicible et de l'indicible, mais premier donne son titre au livre. «La Basse bêtise quotidienne, manifestent d'un souffle aussi de retenir l'instant, et par là de savoir la continue de la mer» et «Non brenne et puissant, un univers riche d'images. C'est la présence. broutille mais citron roux» sont les titres des parole noble d'une désespérance où l'humour L'écriture même de Claude Beausoleil deux autres. Déjà ces titres fournissent un ponctue un texte qui met à nu, qui doute adhère à cet abandon, à cette lisibilité du je. avant-goût de la poésie de Robert Giroux. Ils tragiquement et qui se reprend pourtant aux Elle laisse circuler le(s) sens à l'intérieur forment des images surprenantes, d'une formes fragiles de l'espérance. Avec ce d'une syntaxe travaillée sans artifice et d'un liberté presque lyrique; ils annoncent des recueil, Pontbriand atteint un haut niveau du découpage du vers très efficace. Rappelant oppositions, mais aussi l'humour (l'ironie) langage, celui de l'animal faiseur de rêves qui que «finalement tout se dit», ces textes requis pour les observer et s'y situer. n'a jamais fini de proférer / de proclamer la «touchent, remuent à la fois l'être et le Dans la première suite, l'écriture travaille vie en allée parce que cette vie niche toujours langage». dans la plus grande liberté. C'est nécessaire devant soi en dépit des apparences. [Hélène DORION] pouréviter l'inertie, lafixitedelalangueet.de [André GAULIN] LECTURES Robert Giroux DE GÉRARD BESSETTE claude beausoleil dans L'oeuf sans jaune aufiw mmm la matière rêvant comme d'une émeute écrils des forges Moebius Triptyque MARS 1983 Québec français 9
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