Le Renard - Association étudiante du Cégep de Garneau
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Le Renard VOLUME 2 NUMERO 5, AVRIL 2018- REVUE ETUDIANTE DU CEGEP GARNEAU STAGIARE n. Fait pour un groupe social d'être soumis à un régime économique et poli- tique qui le prive de toute liberté, le contraint à exer- cer les fonctions économiques les plus pénibles sans autre contrepartie que le logement et la nourriture.
Signes astrologiques 4 Révolution des Oeillets 6 Carrés jaunes 12 Armes à feu USA 12 Voter QS 16 Médiocratie 20 Autoritarisme libéral 26 Beauté 33 Saviez-vous FRIENDS 36 Chronique lecture 38 Poème mort/maladie 42 Les éternels métis et Le froid... 43 Remerciements Édition en chef : Juliette Samson Mise en page : Pascal Rhéaume Coordination de la correction : Gabrielle Charbonneau Correction : Marion Le Nabec, Gabrielle Charbonneau, Hubert Boucher, Mathilde Lehoux, Mélina Ouellet Journalistes : Juliette Samson, Gabrielle-Anne Labrecque, François Trépanier-Huot, Clovis Brochu, Adèle Giasson-Fragasso, Émilie Pilon, Édouard Nadeau-Besse, Claudy-Anne Roy, Mélina Ouellet
5 Les signes astro-pas-trop-logiques Par Mélina Ouellet Bélier : Je pense qu’au début, tes parents Balance : Je sais que ça fait longtemps et voulaient t’appeler Spatule, alors compte que ce n’est plus vraiment d’actualité, toi chanceux-se d’être ce que tu es aujo- mais Suspisciousplayer69 sur Fortnite, je urd’hui. sais que tu es une Balance, alors ARRÊTE DE ME SUIVRE PARTOUT POUR ME TUER Taureau : L’été arrive, la fin de session À TILTED TOWER JUSTE APRÈS. aussi. Désolé de te l’annoncer, mais il est trop tard pour travailler ton summer Scorpion : Tu n’es pas obligé-e d’essayer body. Tu peux toujours te baigner en linge de survivre, car de toute façon, tu es déjà d’éduc. mort-e à l’intérieur. Sagittaire : Bonjour cher-ère Sagittaire. Gémeaux : Continue de te poser des ques- Aujourd’hui, le café du cégep sera empoi- tions sur la vie que tu n’as pas choisi de sonné. NE BOIS PAS le café. vivre. Capricorne : Crée-toi une chaîne YouTube Cancer : En manque d’idée de plan de pour devenir populaire et avoir une fan- carrière? Prends ta vie en mains! Deviens base qui t’apprécie pour ta « personnalité entrepreneur. ». Lion : Être roux, c’est un talent que tu Verseau : Yo, pas de spicy meme pour toi développes. l’année prochaine. Vierge : Dès que ta grand-mère aura le Poissons : Ta vie est un mensonge. Tu es dos tourné, va sur son compte Facebook en fait dans une téléréalité depuis ta nais- et désactive-le. Ça évitera des malaises en sance et on t’observe depuis la télé dans famille plus tard. le monde entier. Tes proches ne sont pas qui ils prétendent être. Sauve-toi de ce monde avant qu’il ne soit trop tard!
25 avril 1974 , une date historique pour les Portugais :la libération du Portugal des mains du dictateur Salazar Cette révolution est le résultat de 41 ans d’une dictature catholique autoritaire et national- iste, où le chef possédait les pleins pouvoirs et un parti unique était représenté au gouver- nement (le seul opposant fut assassiné en 1965). Le parti portait le nom Estado Novo, nouvel état. António de Oliveira Salazar, devenu dictateur en 1933, était, quant à lui, un être peu charis- matique, à l’image de son parti. Célibataire, il se disait «marié avec la patrie» et «père de tous les Portugais». Lors de son règne, il engagea vainement le Portugal dans une guerre coloniale (1961-1974) en tentant de défendre les restes de l’immense empire portugais (Angola, Mo- zambique, Guinée Bissau,…) À sa mort en 1970, il laissa entre les mains de son successeur Marcelo Caetano un pays affaibli par une économie défaillante, une grande partie de l’argent ayant servi à la mobilisation des militaires pour la guerre coloniale. Nous imaginon généralement une révolution comme étant sanglante, mortelle et de longue durée. Celle du 25 avril 1974 fût en réalité d’une douceur de fleur, comme le témoigne son joli nom, et fut accueillie avec un enthousiasme unanime. Elle dura 24 heures et fut dirigée par des militaires. Leur but : instaurer un régime démocratique au Portugal. Le peuple et les mili- taires parvinrent à s’affirmer et le régime autoritaire détala comme un lapin. 5
Les carrés jaunes : bien plus qu’une vendetta contre la stigmatisation des camisoles Par Gabrielle-Anne Labrecque
Dans les dernière semaines, les médias et les réseaux sociaux québécois ont été envahis par une marée jaune. Les carrés jaunes sont la manifestation d’un mou- vement né à l’école secondaire publique Joseph-François Perreault, ici même, à Québec. Maintenant, ce sont des étudi- ants d’une trentaine d’écoles secon- daires qui se sont officiellement af- filiées au mouvement. Le message qu’ils véhiculent ne reçoit pas, cependant, un accueil des plus chaleureux. Dans une tentative visant à contrebalancer un tant soit peu ce qui peut presque être considéré comme une campagne de sa- lissage, voici une revue de quelques as- pects souvent négligés dans la couver- ture de cette initiative étudiante. 7
Que revendique le mouvement ? Ces morceaux de feutrine jaune que la mi-cuisse et des hauts ne tion de voir les sous-vêtements et portent une signification bien se superposant pas forcément le bas des fesses. Des cours plus particulière. Sur la page Insta- aux pantalons. À cela s'ajoute complets d'éducation sexuelle gram officielle des carrés jaunes également le désir de se voir per- sont également au cœur du débat. de l’école instigatrice, on peut mettre le fait de ne pas porter de Pour la liste complète des reven- lire la description : « Mouvement soutien-gorge et de ne pas avoir à dications, rendez-vous sur la contre le code vestimentaire sex- se couvrir les fesses d'un chandail page Facebook officielle des car- iste des écoles secondaires et lors du port d'un legging. Cepen- rés jaunes. Il est important de contre l’hypersexualisation des dant, le mouvement soutient les noter que le mouvement souhaite femmes.» Les revendications pré- règlements visant à empêcher que toutes les écoles secondaires cises comprennent notamment les grands décolletés et les cami- adaptent le message à la réalité le droit de porter des camisoles, soles trop échancrées. Il souhaite de leur code vestimentaire. des pantalons couvrant moins également conserver l'interdic- 8
Les carrés jaunes : bien plus qu’une vendetta contre la stigmatisation des camisoles La couverture médiatique Les médias, peu importe l'actualité, semblent choisissant un symbole similaire à celui de 2012. avoir une tendance à tabler sur les aspects les plus Encore aujourd'hui, le souvenir des flamboyantes génériques. C'est ainsi que de grossières catégories manifestations d'il y a six ans (et des autres périodes d'événements se créent. Par exemple, de tous les de grèves qui les ont précédées) éveille le dégoût de événements tragiques liés à l'islam extrémiste, on plusieurs. Si la mention du féminisme tend à jouer ne retient que l'association à l'islam. De la maladie en défaveur des carrés jaunes, sa nature de mouve- mentale, de la pauvreté, de l'impérialisme américain ment étudiant en égratigne sérieusement la réputa- et de tous les éléments spécifiques, rien ne marque tion. les mémoires. Cette fois-ci, deux associations officielles priment: les carrés jaunes sont liés au féminisme et à la Pourquoi ? gauche étudiante. Le but est de créer un dialogue entre les direc- Au Québec, bien que la cause des femmes fasse tions et les élèves afin de revoir la réglementa- d'importants gains d'année en année, un fait reste tion entourant l'habillement. Pourquoi ? Eh bien, : la révolution tranquille n'est pas bien loin der- rière nous. Il y a peu de temps, le rôle de la femme il s'agit de bien plus qu'une vendetta contre la et celui de l'homme étaient très définis et différents stigmatisation des camisoles. En effet, les causes de ceux que nous connaissons en 2018. Ces stan- principales mentionnées sont les suivantes : dards ont rapidement changé et ce, sans laisser à tous le temps de s'adapter à l'égalité grandissante. Ce ne sont pas leurs vêtements qui créent l'hypersexual- Pour faire une histoire courte, une certaine crainte isation, mais bien le réflexe d'associer la visibilité de la demeure à l'égard de l'établissement d'une nouvelle peau à la sexualité ; dynamique entre les hommes et les femmes. Il n'est donc pas surprenant de constater que le lien unis- L'application des règlements se fait de manière beaucoup sant les carrés jaunes et le féminisme n'attire pas plus systématique chez les filles que chez les garçons; la sympathie de tous. Cela ne leur attire pas force- Les règles ne sont pas adaptées à la réalité sociale actuelle; ments l'écoute non plus. Pour ce qui est de la gauche étudiante, je ne men- Le code vestimentaire entrave l'intégrité sexuelle des tionnerai qu'une seule chose : les carrés rouges. Les jeunes filles. étudiants de l'école Joseph-François Perreault ont choisi de s'inscrire dans une certaine continuité en 9
Les carrés jaunes : bien plus qu’une vendetta contre la stigmatisation des camisoles Là où le bât blesse La logique derrière l’initiative Si, dans Le Devoir, la directrice de l'école Jo- l’esprit, voici le cadeau que notre société se fait en seph-François Perreault se dit presque insultée de misant sur l’éducation de nos enfants et de nos ad- voir certains jeunes associer les codes vestimen- olescents. taires actuels à la culture du viol, c'est que l'école n'est perçue que comme une institution préparant Pourtant, je me souviens, il n’y a pas plus de deux au milieu du travail à la tête de laquelle se trouvent ans, d’avoir vu un homme adulte se promener dans des dirigeants qui sont personnellement respons- une cafétéria en regardant les fesses des adoles- ables du fonctionnement entier de leur école. Par centes afin de s’assurer que des chandails longs exemple, souvent, les opposants au mouvement cachaient leurs leggings. Je me souviens qu’il le fais- brandissent l'argument ait à tous les jours. Je selon lequel les jeunes me souviens qu’il nous doivent s'habituer à parlait d’hypersexuali- s'habiller d'une manière sation. qui sera adéquate lor- squ'ils seront sur le Je me souviens que cer- marché du travail. Or, taines de mes amies loin est supposée être qui avaient de longues l'époque où les jeunes, jambes se voyaient re- assis en rangs d'oi- fuser l’entrée à certains gnons, n'apprenaient cours, parce que leurs que ce dont ils avaient robes ne les cachaient besoin pour être effica- pas suffisamment. J’ai lu ces dans une chaîne de des témoignages prove- montage. De manière nant de partout racon- générale, au Québec, les tant des histoires simi- écoles secondaires sont laires. J’ai entendu tant publiques et répondent de jeunes femmes (sur- donc du peuple. Elles tout des jeunes femmes, ne répondent pas des puisque les règles sem- compagnies privées, et blent ne pas s’appliquer pas même des compag- de la même manière nies d'État. Elles sont chez les garçons) ra- supposées enseigner conter qu’on leur avait dit qu’elles dérangeaient les aux jeunes les mécanismes de la pensée afin que ces études des autres par leur habillement. J’ai entendu derniers puissent contextualiser les divers éléments tant de jeunes femmes rapporter qu’on leur avait dit de leur vie et qu'ils soient aptes à édifier et intégrer qu’elles n’étaient pas disposées à apprendre à cause des ensembles complexes de connaissances. de leur habillement. Comme si elles n’avaient pas les outils nécessaires. Comme si elles ne pouvaient pas La capacité à travailler en équipe, la patience, la mettre en pratique ou développer les mécanismes persévérance, le respect : voilà des outils qui peu- de la pensée que l’on se souhaite en tant que société. vent être développés au secondaire. Ils relèvent tous de l’esprit parce que, oui, l’esprit est un outil C’est drôle, c’est comme si les écoles secondaires, formidable et capable de se subdiviser en une in- soumises à l’attachement des plus puissantes en- finité d’outils plus spécifique. Le développement de 10
treprises à la croissance maximale, apprenaient à nombre dans un endroit : leurs écoles qui, somme se servir du corps comme d’un outil, comme d’une toute, se ressemblent toutes, puisqu’elles obéissent monnaie d’échange capable d’acheter le respect. Le à la même opinion commune. Ils se sont regroupés respect et la crédibilité, ça a une valeur monétaire. et ont structuré leurs arguments pour faire face à Le corps est donc un outil qui, bien utilisé, peut ser- un héritage datant d’il y a des dizaines, voire des vir à faire avancer sa carrière ou son entreprise. À centaines d’années. partir de ce moment-là, le corps, comme un bien Pourtant, beaucoup d’oreilles plus puissantes, dont marchand, n’appartient pas à l’individu qui l’habite, celle de leurs parents, reçoivent leurs arguments mais aux clients et aux patrons. avec une pointe de dégoût et de condescendance. Or, la culture du viol se nourrit de la dépossession Ceci est dangereux, surtout pour des gens qui red- du corps, de la perte de l’intégrité sexuelle. Je ne outent la colère et la révolte des étudiants, parce doute pas des bonnes intentions des directions que lorsqu’ils se rendent compte que leurs argu- d’écoles, mais certains cercles d’appauvrissement ments ne reçoivent pas un accueil qui rend justice doivent être brisés. La mise sur le marché de son au sérieux de leur démarche, les jeunes grandissent corps implique que parfois quelqu’un l’achète sans avec l’impression que ce n’est pas par le dialogue et qu’on s’en rende compte et qu’on n’y peut pas faire le compromis qu’ils arriveront à se faire entendre. grand-chose. Ce seront des comités de parents qui auront le derni- Voilà pourquoi les codes vestimentaires exagérés er mot sur la conclusion de ces demandes. Même ne servent en rien nos sociétés, voilà pourquoi il avec toutes les meilleures intentions du monde, ils faut instaurer des cours d’éducation sexuelle dans verront la situation depuis leur côté. Pourquoi ne lesquels les jeunes pourront se construire une im- pas demander à des psychologues, des sociologues age positive et réfléchie de leur corps plutôt que de et des anthropologues d’agir en tant médiateurs et se la faire imposer, surtout lorsque l’on sait que les d’évaluer le bien fondé des arguments provenant caprices de la demande priment bien souvent sur des deux côtés? Si des jeunes gens prennent la peine l’offre. de faire face au reste du monde pour faire valoir les conclusions qu’ils tirent de leur vécu, peut-être qu’ils ont quelque chose à dire. On a mis quelqu’un au monde, on devrait peut-être l’écouter. Se battre pour plus grand que soi Il existe une différence majeure entre les carrés rouge de 2012 et les carrés jaunes de 2016: l’âge. Les élèves se levant aujourd’hui pour faire entendre leur opinion face aux codes vestimentaires ont, pour la plupart, 14 ou 15 ans. Ils ne sont pas majeurs, ne peuvent pas se présenter aux élections, n’ont même pas le droit de vote. Cependant, ils ont la force du 11
Pourquoi les Américains tiennent-ils tant à leurs armes? Par Juliette Samson 12
La fusillade à l’école secondaire Marjory Stoneman Douglas, en février dernier, était la dix-huitième fusillade en milieu scolaire en 2018 aux États-Unis, soit une fréquence d’une fusillade tous les deux jours et de- mie. Une statistique ef- frayante qui, pour nous Québécois, est incom- préhensible : pourquoi les Américains ne re- streignent-ils pas l’ac- cès aux armes à feu afin de protéger les citoy- ens? 13
Pourquoi les Américains tiennent-ils tant à leurs armes? La relation des Américains avec leurs armes à feu la question du contrôle des armes à feu revient sur est, pour le moins dire, compliquée. On constate le tapis. aujourd’hui qu’une partie conséquente de la pop- Les armes à feu ont aussi une importance historique ulation souhaite y restreindre l’accès, mais bien aux États-Unis. C’est là qu’entre en jeu le fameux d’autres personnes veulent continuer de pouvoir Deuxième amendement, la pierre angulaire de l’ar- acheter des armes librement. Même ceux qui sou- gumentaire pro-armes. Pourtant, l’amendement est haitent une réforme sont très modérés : il est sur- interprété très librement par la NRA, qui jure que tout question d’imposer une vérification d’antécé- le texte garantit à chaque citoyen un accès illimité à dents avant l’achat et d’empêcher l’acquisition toute arme à feu. La réalité en est toute autre. Lor- d’armes semi-automatiques. Ces deux restrictions sque la Constitution a été rédigée, après la Révo- sont déjà en place dans certains États, mais aucune lution américaine, les Américains étaient terrifiés politique nationale n’a été élaborée à cet effet. En que leur nouveau gouvernement s’accapare trop de fait, la Cour Suprême a même déclaré anticonstitu- pouvoir et perde de vue sa mission de protéger les tionnel en 2008 de restreindre l’accès aux armes à droits et libertés des citoyens. Ils se sont donc ga- feu pour un citoyen américain. ranti, par le Deuxième amendement, le droit de for- mer une milice pour se révolter contre un gouver- D’abord, il est presque impossible de réformer l’us- nement autoritaire. Effectivement, cela comporte le age des armes à feu à cause de la NRA—la National droit de s’armer pour se défendre contre le pouvoir Rifle Association, un puissant groupe d’influence abusif. Le Deuxième amendement ne prévoit donc dans le paysage politique américain. Non seulement pas le droit de chacun des Américains à s’armer les membres de cette association défendent-ils fa- comme bon leur semble. De plus, il faut remettre rouchement le droit de chaque Américain de por- en contexte cette législation : les armes en 1789 ter des armes à feu sans contrainte, mais ils man- étaient beaucoup moins destructrices qu’elles ne le igancent également pour que leurs intérêts soient sont aujourd’hui, et, en 2018, la possibilité pour une toujours prioritaires à Washington. Pour ce faire, milice de renverser le gouvernement par la force est ils font de généreux dons, directs et indirects, à des quasi-nulle, vu la puissance de l’armée. politiciens durant leurs campagnes. D’ailleurs, il n’est pas faux de penser que les Républicains sont Quelques siècles après la rédaction du Deuxième les plus financés par la NRA, mais les Démocrates amendement, les Américains sont toujours méfi- ne sont pas sans tache non plus. De plus, ils mobil- ants du gouvernement. Ils ont un fort sentiment isent la population pour défendre leurs intérêts, par patriotique, mais très peu de confiance envers leurs exemple en organisant des manifestations lorsque dirigeants, voire une haine envers les élus qui, sel- on eux, ne servent pas leurs intérêts ou leur veu- lent du mal. Cette pensée s’est accentuée dans les dernières années, permettant à la NRA de s’enrichir en surfant sur la même vague populiste en colère que Donald Trump. Les Américains s’arment donc pour se défendre ou pour défendre les gens qui dépendent d’eux. Le climat actuel d’insécurité dû à la menace terroriste, la crise économique récente, l’important afflux d’immigrants et la fracture poli- tique n’ont fait qu’encourager ce phénomène. De ce fait, les ventes d’armes, surtout d’armes semi-au- tomatiques, ont fait un bond après les attentats du 11 septembre. Étrangement, l’élection d’Obama a 14
provoqué le même phénomène, puisque les conser- héroïques dominantes de l’imaginaire américain vateurs blancs ont été déstabilisés par ce change- portent des armes à feu. Le cowboy, d’abord, qui, ment de l’ordre social qu’ils prenaient pour acquis. grâce à son arme, colonisait autrefois l’Ouest amér- icain, défendant à lui seul la civilisation des attaques Il ne faut pas non plus sous-estimer l’aspect iden- animales et autochtones. Le militaire, ensuite, vail- titaire des armes à feu. Effectivement, on constate lant et courageux dans son bel uniforme, qui défend depuis plusieurs années l’augmentation du nombre les intérêts et la liberté de la nation américaine con- d’armes en circulation, ainsi que la diminution des tre de vils ennemis qui ne veulent que dominer le foyers qui déclarent en posséder, ce qui nous amène bon peuple innocent. Ces deux figures expliquent à conclure à une concentration des armes dans cer- également l’attrait des Américains pour les armes. tains foyers. Il est aussi possible de constater que certaines régions, par exemple les régions rurales, Bref, il est facile pour un Québécois de trouver que surtout sudistes, sont plus densément armées. On la liberté de porter une arme relève de la pure idio- remarque d’autres dénominateurs communs en- tie américaine. Pourtant, aussi impensable que cela tre ces régions, du point de vue social, politique et puisse être pour nous, les Américains ressentent un économique. Les armes à feu sont donc une com- attachement fondé à ce droit. Or, les mouvements posante intégrale d’une identité, et ne sont pas sociaux actuels prouvent que la situation est in- collectionnées que par nécessité, mais aussi com- tolérable : toute la tradition du monde ne compense me marqueur culturel. Cela explique aisément la pas le dommage qu’occasionnent les armes à feu. Il réticence de certaines franges de la population à faudra donc trouver un compromis entre les deux restreindre l’accès aux armes : c’est une part d’eux- groupes pour tenter de satisfaire la population, mêmes qu’ils croient se voir dérober. Malheureuse- mais le défi s’annonce difficile, puisque chacun des ment, ces personnes sont souvent mal informées et deux côtés est bien campé dans sa position. C’est un croient que les mouvements pour la restriction du débat à suivre. port d’armes veulent leur interdire complètement d’en posséder. L’imaginaire est la dernière composante de l’at- tachement aux armes à feu. En effet, les figures 15
La solidarité au XXIe siècle, ou pourquoi voter Québec Solidaire l’automne pro- chain Par Francois Trépanier-Huot Le 27 mars dernier, le BAIP a or- qu’il subit, propose un programme plus extrêmes, que la prise de pou- ganisé une conférence avec Gabriel beaucoup plus ambitieux que les voir du parti plongerait le Québec Nadeau-Dubois au café Oxymel. Les autres regroupements, beaucoup dans le désastre économique. Or, très nombreux étudiants présents plus ancré dans un XXIe siècle où n’est-ce pas les mêmes tenants de ont découvert, bien qu’extrême- la solidarité est plus que jamais « l’économisme » qui ont plongé le ment synthétisées, quelques-unes nécessaire pour garantir de l’es- monde, par leurs politiques, dans des propositions de Québec Solid- poir à l’humanité. de nombreuses crises financières aire pour la campagne électorale depuis près de 30 ans, dont la plus en vue des élections provinciales Le programme économique de Qué- grosse a été celle de 2008-2009? du 1er octobre prochain. Étant bec Solidaire, irréaliste? Ces mêmes crises ont mis de nom- moi-même membre de Québec De nombreuses personnes breuses personnes dans une situa- Solidaire et, depuis la fin du mois martèlent que le programme tion de pauvreté inexorable et ont de février 2018, membre du comi- économique de Québec Solid- favorisé la montée des gouverne- té de coordination de Québec Sol- aire n’est pas réaliste, que le par- ments populistes de droite, tout idaire Portneuf, je remarque que ti ne possède aucune crédibilité en enrichissant de façon indécen- le parti, malgré toutes les attaques économique, voire, dans les cas les te ceux qui étaient déjà extrême- 16
ment riches. La très large majorité s’assurer du bonheur et de l’épa- omie participative est une forme de l’élite politique et économique, nouissement personnel et collec- d’économie où les citoyens pren- que ce soit dans le monde ou au tif, mais en fonction des exigences nent les décisions démocratique- Québec, est tellement influencée des multinationales, des agences ment au sein de l’entreprise, sans par l’idéologie néo-libérale que de notation et des traders de Wall patron. Par exemple, les salaires toute politique économique qui Street. de l’ensemble des employés sont diffère de ce cadre est balayée du votés par les travailleurs eux- revers de la main, sans argumen- Au contraire, Québec Solidaire mêmes, ainsi que la répartition tation. C’est le TINA (There Is No propose de redonner le contrôle de l’investissement. Parmi les Alternative) de Margaret Thatcher. de leur économie aux citoyens et autres mesures du programme Les politiques économiques pre- citoyennes québécois. Si une cer- économique de Québec Solidaire, scrites dans ce cadre, on les con- taine place est conservée par le on retrouve des mesures de sta- naît bien, les Québécois y goûtent privé, entre autres pour les PME, bilisation afin de contrer la finan- régulièrement depuis plus d’une Québec Solidaire favorise la créa- ciarisation de l’économie, notam- vingtaine d’années : austérité, tion d’une économie sociale et ment par la création d’une banque coupures et privatisation dans les solidaire au Québec, notamment d’État et par la réglementation du services publiques, mise en place par les coopératives. Une me- système financier. des logiques de l’entreprise privée sure-phare à long terme serait dans les services publics, hauss- l’imposition de l’économie partic- Surtout, Québec Solidaire est le e(s) des frais de scolarité, etc. Pour ipative au sein des entreprises éta- seul parti qui fait vraiment de les néolibéraux, l’économie des tiques et nationalisées, par exem- l’écologie un enjeu central de pays ne doit non pas être gérée ple dans les secteurs stratégiques son programme (outre le Parti de façon démocratique, afin de de l’économie québécoise. L’écon- Vert du Québec). La croissance 17
La solidarité au XXIe siècle, ou pourquoi voter Québec Solidaire l’automne prochain économique ne doit plus être un impératif abso- conscription pour Québec Solidaire a dépassé lu, les seuls secteurs qui devront croître seront le nombre de membres dans la circonscription ceux qui participeront au passage à une économie de Mercier, celle détenue par Amir Khadir. Au écologique, comme le transport en commun, le vélo, rythme où augmentent les adhésions dans les énergies renouvelables (éolienne et solaire), Taschereau, il y aura bientôt plus de membres la construction écologique, la récupération des dans cette circonscription que dans Gouin, déchets, l’agriculture biologique et bien d’autres. celle de Gabriel Nadeau-Dubois. Au moment où j’écris ces lignes, le premier grand rassem- blement solidaire de Sherbrooke a accueil- li plus de 600 personnes un lundi soir. Il y a Québec Solidaire est-il indépendantiste? un fond de colère envers la médiocrité de nos De nombreuses personnes (surtout des membres dirigeants politiques et économiques au Qué- et des sympathisants du Parti Québécois) disent bec. Si c’est présentement la CAQ qui semble que Québec Solidaire n’est pas indépendantiste. en profiter, ce parti ne tardera pas à révéler Or, je leur répondrais que Québec Solidaire est plus son vrai visage, soit un mélange entre la droite souverainiste que jamais, la preuve la plus proban- économique du Parti libéral et un certain con- te étant la récente fusion avec Option Nationale. servatisme sur des questions comme l’immi- Je pense même que Québec Solidaire est devenu gration et la natalité. Bref, un retour en arrière beaucoup plus indépendantiste que ne l’est actu- combiné avec un appauvrissement généralisé ellement le Parti Québécois. Québec Solidaire voit du peuple québécois. Québec Solidaire est l’indépendance comme un moyen et une fin en soi, et deviendra le seul parti qui peut récupérer c’est-à-dire que l’indépendance doit servir le dével- cette colère populaire et redonner espoir, soli- oppement social et un projet de société solidaire. darité et fierté au peuple québécois. Nous ne deviendrons indépendants politiquement qu’une fois que nous le serons économiquement, Sur ce, camarades, au travail! socialement et culturellement. Québec Solidaire est actuellement le seul parti qui fait promotion d’un tel projet de société. Cette mentalité était peut-être promue par le Parti Québécois à ses débuts, sous la gouverne de René Lévesque, mais s’est aujourd'hui convertie au néolibéralisme économique, notam- ment lorsque Lucien Bouchard était au pouvoir. Conclusion Même si les sondages ne le font pas encore sentir, Québec Solidaire connaît présentement une forte dynamisation : le parti s’organise, de nouvelles as- sociations régionales (dont celle de Portneuf) sont créées et la fusion avec Option nationale a apporté de nouveaux membres au sein du mouvement que Québec Solidaire veut créer. Un bon exemple de cette dynamique qui s’installe est celle de la circon- scription de Taschereau, au centre-ville de Québec, où récemment Catherine Dorion a été élue comme candidate. Le nombre de membres dans cette cir- 18
La Médiocratie Par Francois Trépanier-Huot « Rangez ces ouvrages compliqués, les livres comptables feront l’affaire. Ne soyez ni fier, ni spirituel, ni même à l’aise, vous risqueriez de paraître arrogant. Atténuez vos passions, elles font peur. Surtout, aucune "bonne idée", la déchiqueteuse en est pleine. Ce regard perçant qui inquiète, dilatez-le, et décontractez vos lèvres – il faut penser mou et le montrer, parler de son moi en le réduisant à peu de chose : on doit pouvoir vous caser. Les temps ont changé. Il n’y a eu aucune prise de la Bastille, rien de comparable à l’incendie du Reichstag, et l’Aurore n’a encore tiré aucun coup de feu. Pourtant, l’assaut a bel et bien été lancé et couronné de succès : les médiocres ont pris le pouvoir. » - Alain Deneault, La Médiocratie, p. 5. 20
ou la société « moyenne » 21
Ce court extrait de La Médi- sur des enjeux non dangereux fétichisme de la marchandise. ocratie semble a priori dur à pour la domination médiocre. Ce nouveau totalitarisme se comprendre et peu concret. Les médiocres sont l’extrême caractérise également par un Pourtant, l’ensemble des so- centre incarné, des penseurs fort culte du « mérite ». L’en- ciétés occidentales modernes, mous, qui se préoccupent trepreneur est le summum dont la société québécoise, avant tout de satisfaire les ex- de la réussite dans la société, semblent se dévouer à être igences de ceux qui ont réel- puisqu’il est une personne qui moyennes, médiocres, à ne lement le pouvoir. Les idées a développé son business seul, plus espérer de grandes cho- qu’Alain Deneault soutien dans à partir de rien, ce qui le rend ses, à ne pas avoir espoir en son ouvrage nous serviront de méritant. Ce culte se fait sans des changements politiques base afin de décortiquer ce en égard aux différences sociales majeur ; bref, à ce que le monde quoi consiste la médiocratie. et historiques comme la classe, change. Oser parler d’autre l’origine ethnique ou le sexe. chose, d’un autre monde pos- Un nouveau totalitarisme sible, c’est être exclu du débat La médiocratie est la forme D’ailleurs, le mérite est un avant même de pouvoir parler. de régime totalitaire du 21e exemple des termes de la Il n’y aurait donc pas de solu- siècle. Le pouvoir, dans un tel novlangue (langage utilisé tion au système néolibéral, qui régime, n’est pas détenu par dans 1984 par Orwell comme place le marché et l’entreprise une figure omniprésente, com- langue du régime totalitaire) au cœur du monde, dans le me dans le cas des régimes to- employée dans le régime médi- sens de l’histoire, comme étant talitaires du 20e siècle, mais ocre. Afin de faire gober un un système parfait (malgré les plutôt par les multinationales, message teinté de l’idéologie crises répétitives). Toute tenta- les grands capitalistes. La entrepreneuriale, on emploie tive de résistance à ce système démocratie à ce stade se réduit des termes séduisants de prime serait vaine. On a tendance à au peu de différences entre les abord, mais qui renferment en s’attaquer aux partis non-tra- principaux partis politiques, réalité une violence sociale des ditionnels, mais il faut recon- les options dont les idées sor- plus abjectes. Ainsi, le terme « naître qu’ils ont de bonnes tent du cadre satisfaisant pour flexibilité », qui se rapproche idées , même si certaines d’en- les multinationales étant sys- du terme « liberté », est util- tre elles sont complètement tématiquement dénigrées par isé pour dire en réalité qu'un folles. Les médiocres ont ten- la propagande de ce régime. employé est disponible en tout dance à faire disparaître de C’est un régime pervers, qui temps pour son travail, avec telles alternatives. Ils proc- crée l’illusion du confort chez des horaires de plus en plus lament même l’abolition de une population servile et chargés et beaucoup moins de l’axe gauche-droite, les partis aliénée à la fois par son travail temps pour ses loisirs, sa fa- politiques dominants doivent et par ses biens de consomma- mille ou d’autres occupations. se réduire à de simples jeux tion, ce que Marx appellerait le Avec l’ubérisation de l’écono- 22
mie (économie où l’employé Deux autres termes qui appa- entreprise privée, d’avoir suivi est en tout temps connecté, raissent régulièrement dans dogmatiquement leurs idées consacré à son emploi com- les régimes médiocres et qui et d’avoir fait « les réformes me un micro-entrepreneur ou concerne cette fois l’État et nécessaires », qui renvoient un travailleur autonome) et la les services publics sont ceux à la nécessité quasi-scien- chute des droits des travail- de « clients » (pour désigner tifique de faire des réformes leurs et de la syndicalisation, les personnes qui utilisent les néolibérales. Au contraire, la cette « flexibilisation » est de services publics) et de « gou- démocratie, c’est avant tout le plus en plus présente dans nos vernance ». Ces deux termes débat des idées qui pourrait sociétés. De plus, les travail- proviennent du milieu de l’en- nous permettre de devenir leurs « flexibles » peuvent de treprise, un « client » étant, sel- une meilleure société, et ce, moins en moins reconnaître on le dictionnaire Larousse : « d’après son positionnement leur patron dans ce cadre. Les une personne qui reçoit d’une politique. Pour Deneault, la manuels de management ont entreprise contre paiement, gouvernance est avant tout un tellement évolué que mêmes des fournitures commerciales régime démocratique corrom- les futurs patrons ne voient ou des services », et non pas pu à sa forme la plus extrême plus les termes « hiérarchie un citoyen qui reçoit des ser- : « du principe de démocratie » ou « autorité » au sein de vices publics une aide fonda- désormais corrompu découle l’entreprise. Si c’était encore mentale à son développement un nouveau régime qui répond le cas en 1960, celui-ci a été ou à sa subsistance. Instituer au nom de la "gouvernance" ». remplacé par le terme « projet un tel terme dans le langage », qui est devenu l’un, sinon le courant amène les individus à L’éducation pervertie par les terme le plus utilisé dans les se considérer comme des cli- médiocres manuels destinés aux futurs ents, dans la logique de l’util- Comme tout régime totalitaire, managers et même plus large, isateur-payeur si chère aux le régime médiocre endoctrine car la vie des citoyens dans le néolibéraux. Quant au terme la jeunesse par l’éducation. nouveau régime capitaliste « gouvernance », il renvoie à L’université est à l’avant-gar- médiocre se conditionne à des la réduction de la chose poli- de d’une telle transformation « projets » de vie, où l’indivi- tique à une simple affaire de idéologique. En effet, la sub- du se doit d’être productif afin gestion, comme celle de l’en- ordination des établissements d’être reconnu dans la société. treprise privée. Les gouverne- universitaires au logique du Pour ainsi dire, il faut que les ments se réclameront de la « privé est de plus en plus man- individus se considèrent tous saine gouvernance » et d’avoir ifeste. Les frais de scolarité, comme des entrepreneurs. une bonne gestion digne d’une qui entrent dans la logique Transformation idéologique. C’est en effet dans ces établissements que la corruption idéologique est la plus avancé. La subordination des établissements universitaires au logique du privé est de plus en plus manifeste. Les frais de scolarité, qui entre dans la logique de l’utilisateur-payeur, ne sont que la pointe émergée de l’immense iceberg de la corruption par la « gouvernance » universitaire. Les logiques de l’entreprise privée entre dans l’université et les cours sont données par des masses de chargés de cours dont la situation est de plus en précaire. Les grandes multinationales, qui financent les établissements universitaires délaissés par les coupures gou- vernementales, s’assurent d’une masse de travailleurs spécialisées qui effectueront la recherche, parfois financée à même les fonds publics restants pour la recherche, pour le compte de ces entreprises qui les financent, au dépend de la recherche fondamentale, qui devrait pourtant être au cœur même de l’exis- tence des universités et qui permet des découvertes fondamentales qui permettent souvent de s’attaquer à certaines 23
La solidarité au XXIe siècle, ou pourquoi voter Québec Solidaire l’automne prochain de l’utilisateur-payeur, ne sont que la pointe ministrateurs des universités américaines, dans de l’immense iceberg de la corruption par la « une logique de promouvoir leur produit, l’uni- gouvernance » universitaire.Les grandes mul- versité, se livrent à des campagnes de publicité tinationales financent les établissements uni- vantant le caractère fun et sexy de leur univer- versitaires délaissés par les coupures gouver- sité afin d’attirer des athlètes, le plus souvent nementales, s’assurant ainsi l’accès à une masse masculins et blancs, destinés à un avenir sportif de travailleurs spécialisés qui effectureront de d’excellence. Le résultat d’une telle politique a la recherche au compte des entreprises. Pen- été une véritable dépravation des mœurs dans dant ce temps, la recherche fondamentale est les campus américains, y compris ceux des négligée, alors qu’elle devrait être au cœur grandes universités de la « Ivy League » (Har- même de l’existence des universités. Or, elle est vard, Yale, etc.), où règne ouvertement la misog- négligée parce qu’elle amène des découvertes ynie, le racisme et l’alcoolisme. Les administra- fondamentales qui permettent souvent de s’at- teurs accommodent ces athlètes afin de ne pas taquer à certaines entreprises privées, un exem- perdre ses sources de revenus. On parle même ple étant celui des compagnies de tabac qui ont désormais d’une épidémie de viols au sein des été poursuivies en justice à la suite des décou- universités américaines, sans compter les nom- vertes des effets néfastes de leurs produits sur breux actes à caractère raciste. Selon le Journal la santé humaine dans les universités. L’infil- of Adolescent Health, près de 18 % des étudi- tration de l’entreprise privée dans les conseils antes universitaires américaines subissent un d’administration des universités est le sommet viol ou font l’objet d’une tentative de viol lors de de cette soumission. Ainsi, on apprenait récem- leur première année 3. La médiocratie politique ment qu’un ex-dirigeant de chez Total, la grande aura tendance à réduire son analyse d’un tel compagnie pétrolière française, s’apprêterait à problème à des considérations de sexe ou d’ap- devenir recteur de l’école Polytechnique, à Mon- partenance ethnique, alors que c’est la structure tréal. Les universités sont littéralement en train complète de l’université médiocre et soumise à de devenir des entreprises qui servent des cli- la logique entrepreneuriale et comptable qui est ents (les étudiants, mais surtout les multinatio- en cause dans ce cas. nales et les compagnies) avec des employés de plus en plus précarisés (les chargés de cours). Ce modèle est cependant beaucoup moins développé au Québec qu’aux États-Unis. Par exemple, pour des raisons comptables, les ad- 24
Par Édouard Nadeau-Besse
Il serait faux de croire que le libéral- minante. Il n’y a pas grand-chose de isme ne peut être totalitaire. Dans plus à dire. Les régimes autoritaires l’esprit commun, nous associons le seront souvent militarisés, on peut totalitarisme au nazisme ou au stalin- penser aux différents régimes fas- isme. Cette idée n’est pas erronée, cistes en Amérique latine ou aux dic- mais le totalitarisme ne se résume tatures au Moyen-Orient. L’autorité du pas uniquement à cela. Je défends ici pouvoir et son rapport de force avec l’idée que nous sommes arrivés col- la population sont clairs et définis. La lectivement à vivre sous un libéral- politique autoritaire est, en ce sens, isme totalitaire. assez simple. Pour mieux le comprendre, il faut Ce n’est pas le cas du totalitarisme. d’abord comprendre ce qu’est Bien plus subtil et bien plus insidieux, théoriquement le totalitarisme et le totalitarisme n’implique pas néces- faire la distinction avec l’autorita- sairement l’utilisation d’une autorité risme. Tous deux sont des expres- matérielle directe. Lorsque l’on cite sions du pouvoir dans son imposition les exemples du nazisme ou du stalin- de l’idéologie. L’idéologie, ce n’est pas isme, il y a bien évidemment une qu’un ensemble d’idées et de valeurs présence d’une force de répression que l’on défend de notre gré, c’est le directe (Gestapo, SS, KGB, etc.). La système nerveux social. C’est l’organ- différence avec l’autoritarisme, c’est isme vivant qui détermine les formes qu’à travers le totalitarisme, l’idéolo- d’une société. L’idéologie est le déter- gie cherche à s’imposer matérielle- minant d’une société et donc de l’indi- ment et immatériellement. L’objec- vidu, composante de cette société. tif est que l’individu internalise sa L’autoritarisme est une forme d’impo- soumission au pouvoir comme étant sition de l’idéologie qui se trouve à normal. Le meilleur exemple de cette être autoritaire (évidemment). C’est forme de manifestation du pouvoir un pouvoir direct et identifiable qui dans l’histoire, c’est la religion. imposera par la force directe son au- Mais comment arrivons-nous à une torité afin d’imposer l’idéologie déter- forme totalitaire du libéralisme?
Le totalitarisme Libéral Slavoj Žižek et l’idéologie qu’avec le modèle religieux, libre choix, une plus grande Pour mieux comprendre l’in- il n’y a pas de morale. Cela pression qui s’exerce sur crustation du libéralisme ac- s’explique par la présence de l’individu. Le père demande, tuellement, il est intéressant Dieu qui, tout puissant, légiti- oui, à ce que le fils aille voir de se pencher un peu sur mise toute action commise sa grand-mère, mais il lui de- les travaux du philosophe en son nom, en son honneur. mande en plus d’aimer cela. slovène Slavoj Žižek[1]. Žižek Cette action, toute violente Il impose au fils comment parle de l’idéologie comme qu’elle peut être, est en ce il doit se sentir, ce qui ne se d’une force omniprésente qui sens morale. Žižek associe le manifeste pas dans un ordre est déterminante de la façon totalitarisme à cette forme autoritaire traditionnel. Le de penser de tout un chacun. de fanatisme religieux. Ainsi, pouvoir totalitaire demande Pas étonnant qu’il se penche sous un pouvoir libéral total- à ce que le soumis, le dominé, sur plusieurs travaux de la itaire, toute action est morale internalise sa soumission au psychanalyse. En consultant et légitime si elle est faite au pouvoir en l’aimant. Ainsi, le les travaux de Žižek, il est nom de « Dieu », l’idéologie. pouvoir totalitaire est cam- possible de voir en quelle Les défenseurs du pouvoir ouflé et impénétrable. Les in- manière le pouvoir postmod- sont moraux puisqu’ils défen- dividus de la société devien- erne actuel s’exprime par le dent le pouvoir. nent aveugles du pouvoir. libéralisme. Dans A Pervert’s Le danger du totalitarisme Bien que j’ai démontré ici Guide to Ideology, Žižek ex- selon Žižek, c’est son ex- la capacité du libéralisme à plique comment nous fais- pression non autoritaire du exercer son pouvoir par le ons l’expérience de la réalité pouvoir, qui est ainsi exces- totalitarisme, je n’ai en au- sous la lunette de l’idéologie. sivement plus puissante. Le cun cas, jusqu’à maintenant, L’idéologie qui nous déter- pouvoir autoritaire tradition- expliqué en quoi le libéral- mine, c’est l’idéologie libérale nel a la propriété d’être tan- isme est néfaste. L’idéologie, qui, à la suite de la chute du gible comme pouvoir. Un père déterminante d’une société, bloc soviétique, s’est retrou- autoritaire traditionnel dira à est surtout déterminante vée seule sur scène, libre de son fils : « Tu viens dire bon- d’une morale. Dans la mo- faire ce qu’elle voulait. Avec jour à grand-maman, c’est rale libérale, qui semble bi- elle vient le progressisme non négociable, c’est ton de- enfaitrice, se cache une force libéral qui, en un sens, sert à voir ». Dans cette forme d’ex- bien plus sombre et bien plus tuer toute tentative de mou- pression du pouvoir, le pou- conséquente : le capitalisme. vements radicaux et de re- voir est bien défini, il est donc Parce qu’au final, dans une mise en question du pouvoir possible de s’y opposer, de le structure politique et so- libéral, et ce, par des con- remettre en question, de se ciétale libérale postmoderne, cepts comme la tolérance, le rebeller. La forme postmod- c’est le Capital qui est le pou- politiquement correct et au- erne non autoritaire de ce voir. tre. Le progrès libéral est un pouvoir, c’est le père qui dit pseudo-progrès qui s’effectue : « Ce serait bien que t’ailles toujours et uniquement dans voir ta grand-mère si t’as le l’axe de l’idéologie. Ce ne sont temps, tu sais à quel point que des changements qui ser- ta grand-mère t’apprécie ». vent à perpétuer l’idéologie. Il y a dans cette proposition, Contrairement à ce que l’on camouflée sous une impres- pourrait penser, Žižek dit sion de libre arbitre ou de 28
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