Le Renard - Association étudiante du Cégep de Garneau

La page est créée Caroline Denis
 
CONTINUER À LIRE
Le Renard - Association étudiante du Cégep de Garneau
Le
Renard
VOLUME 2 NUMERO 5, AVRIL 2018- REVUE ETUDIANTE DU CEGEP GARNEAU

    STAGIARE n.
    Fait pour un
    groupe social d'être
    soumis à un régime
    économique et poli-
    tique qui le prive
    de toute liberté, le
    contraint à exer-
    cer les fonctions
    économiques les
    plus pénibles sans
    autre contrepartie
    que le logement et la
    nourriture.
Le Renard - Association étudiante du Cégep de Garneau
Signes astrologiques                                                         4

Révolution des Oeillets                                                      6

Carrés jaunes                                                                12

Armes à feu USA                                                              12

Voter QS                                                                     16

Médiocratie                                                                  20

Autoritarisme libéral                                                        26

Beauté                                                                       33

Saviez-vous FRIENDS                                                          36

Chronique lecture                                                            38

Poème mort/maladie                                                           42

Les éternels métis et Le froid...                                            43

                                  Remerciements
                               Édition en chef : Juliette Samson
                                Mise en page : Pascal Rhéaume
                     Coordination de la correction : Gabrielle Charbonneau
Correction : Marion Le Nabec, Gabrielle Charbonneau, Hubert Boucher, Mathilde Lehoux, Mélina
                                            Ouellet
  Journalistes : Juliette Samson, Gabrielle-Anne Labrecque, François Trépanier-Huot, Clovis
Brochu, Adèle Giasson-Fragasso, Émilie Pilon, Édouard Nadeau-Besse, Claudy-Anne Roy, Mélina
                                            Ouellet
Le Renard - Association étudiante du Cégep de Garneau
5
Les signes
astro-pas-trop-logiques
    Par
    Mélina Ouellet

 Bélier : Je pense qu’au début, tes parents   Balance : Je sais que ça fait longtemps et
voulaient t’appeler Spatule, alors compte     que ce n’est plus vraiment d’actualité,
toi chanceux-se d’être ce que tu es aujo-     mais Suspisciousplayer69 sur Fortnite, je
urd’hui.                                      sais que tu es une Balance, alors ARRÊTE
                                              DE ME SUIVRE PARTOUT POUR ME TUER
Taureau : L’été arrive, la fin de session     À TILTED TOWER JUSTE APRÈS.
aussi. Désolé de te l’annoncer, mais il
est trop tard pour travailler ton summer      Scorpion : Tu n’es pas obligé-e d’essayer
body. Tu peux toujours te baigner en linge    de survivre, car de toute façon, tu es déjà
d’éduc.                                       mort-e à l’intérieur.
                                               Sagittaire : Bonjour cher-ère Sagittaire.
Gémeaux : Continue de te poser des ques-      Aujourd’hui, le café du cégep sera empoi-
tions sur la vie que tu n’as pas choisi de    sonné. NE BOIS PAS le café.
vivre.
                                              Capricorne : Crée-toi une chaîne YouTube
Cancer : En manque d’idée de plan de          pour devenir populaire et avoir une fan-
carrière? Prends ta vie en mains! Deviens     base qui t’apprécie pour ta « personnalité
entrepreneur.                                 ».

Lion : Être roux, c’est un talent que tu      Verseau : Yo, pas de spicy meme pour toi
développes.                                   l’année prochaine.

Vierge : Dès que ta grand-mère aura le        Poissons : Ta vie est un mensonge. Tu es
dos tourné, va sur son compte Facebook        en fait dans une téléréalité depuis ta nais-
et désactive-le. Ça évitera des malaises en   sance et on t’observe depuis la télé dans
famille plus tard.                            le monde entier. Tes proches ne sont pas
                                              qui ils prétendent être. Sauve-toi de ce
                                              monde avant qu’il ne soit trop tard!
Le Renard - Association étudiante du Cégep de Garneau
Révolution
des
Œillets
Par
Adèle Giasson-Fragasso

                         4
Le Renard - Association étudiante du Cégep de Garneau
25 avril 1974 , une date historique pour les Portugais :la libération du Portugal des mains du
dictateur Salazar

Cette révolution est le résultat de 41 ans d’une dictature catholique autoritaire et national-
iste, où le chef possédait les pleins pouvoirs et un parti unique était représenté au gouver-
nement (le seul opposant fut assassiné en 1965). Le parti portait le nom Estado Novo, nouvel
état.

António de Oliveira Salazar, devenu dictateur en 1933, était, quant à lui, un être peu charis-
matique, à l’image de son parti. Célibataire, il se disait «marié avec la patrie» et «père de tous
les Portugais». Lors de son règne, il engagea vainement le Portugal dans une guerre coloniale
(1961-1974) en tentant de défendre les restes de l’immense empire portugais (Angola, Mo-
zambique, Guinée Bissau,…)

À sa mort en 1970, il laissa entre les mains de son successeur Marcelo Caetano un pays affaibli
par une économie défaillante, une grande partie de l’argent ayant servi à la mobilisation des
militaires pour la guerre coloniale.

Nous imaginon généralement une révolution comme étant sanglante, mortelle et de longue
durée. Celle du 25 avril 1974 fût en réalité d’une douceur de fleur, comme le témoigne son joli
nom, et fut accueillie avec un enthousiasme unanime. Elle dura 24 heures et fut dirigée par
des militaires. Leur but : instaurer un régime démocratique au Portugal. Le peuple et les mili-
taires parvinrent à s’affirmer et le régime autoritaire détala comme un lapin.

                                            5
Le Renard - Association étudiante du Cégep de Garneau
Les carrés
jaunes :
bien plus qu’une vendetta contre la
stigmatisation des camisoles
 Par
 Gabrielle-Anne Labrecque
Le Renard - Association étudiante du Cégep de Garneau
Dans les dernière semaines, les médias
et les réseaux sociaux québécois ont été
envahis par une marée jaune. Les carrés
jaunes sont la manifestation d’un mou-
vement né à l’école secondaire publique
Joseph-François Perreault, ici même, à
Québec. Maintenant, ce sont des étudi-
ants d’une trentaine d’écoles secon-
daires qui se sont officiellement af-
filiées au mouvement. Le message qu’ils
véhiculent ne reçoit pas, cependant, un
accueil des plus chaleureux. Dans une
tentative visant à contrebalancer un
tant soit peu ce qui peut presque être
considéré comme une campagne de sa-
lissage, voici une revue de quelques as-
pects souvent négligés dans la couver-
ture de cette initiative étudiante.

                   7
Le Renard - Association étudiante du Cégep de Garneau
Que revendique le
mouvement ?
Ces morceaux de feutrine jaune      que la mi-cuisse et des hauts ne      tion de voir les sous-vêtements et
portent une signification bien      se superposant pas forcément          le bas des fesses. Des cours plus
particulière. Sur la page Insta-    aux pantalons. À cela s'ajoute        complets d'éducation sexuelle
gram officielle des carrés jaunes   également le désir de se voir per-    sont également au cœur du débat.
de l’école instigatrice, on peut    mettre le fait de ne pas porter de    Pour la liste complète des reven-
lire la description : « Mouvement   soutien-gorge et de ne pas avoir à    dications, rendez-vous sur la
contre le code vestimentaire sex-   se couvrir les fesses d'un chandail   page Facebook officielle des car-
iste des écoles secondaires et      lors du port d'un legging. Cepen-     rés jaunes. Il est important de
contre l’hypersexualisation des     dant, le mouvement soutient les       noter que le mouvement souhaite
femmes.» Les revendications pré-    règlements visant à empêcher          que toutes les écoles secondaires
cises comprennent notamment         les grands décolletés et les cami-    adaptent le message à la réalité
le droit de porter des camisoles,   soles trop échancrées. Il souhaite    de leur code vestimentaire.
des pantalons couvrant moins        également conserver l'interdic-

                                                    8
Le Renard - Association étudiante du Cégep de Garneau
Les carrés jaunes : bien plus qu’une vendetta contre la stigmatisation des
                                                  camisoles

La couverture médiatique
Les médias, peu importe l'actualité, semblent                choisissant un symbole similaire à celui de 2012.
avoir une tendance à tabler sur les aspects les plus         Encore aujourd'hui, le souvenir des flamboyantes
génériques. C'est ainsi que de grossières catégories         manifestations d'il y a six ans (et des autres périodes
d'événements se créent. Par exemple, de tous les             de grèves qui les ont précédées) éveille le dégoût de
événements tragiques liés à l'islam extrémiste, on           plusieurs. Si la mention du féminisme tend à jouer
ne retient que l'association à l'islam. De la maladie        en défaveur des carrés jaunes, sa nature de mouve-
mentale, de la pauvreté, de l'impérialisme américain         ment étudiant en égratigne sérieusement la réputa-
et de tous les éléments spécifiques, rien ne marque          tion.
les mémoires.
Cette fois-ci, deux associations officielles priment:
les carrés jaunes sont liés au féminisme et à la
                                                              Pourquoi ?
gauche étudiante.                                             Le but est de créer un dialogue entre les direc-
Au Québec, bien que la cause des femmes fasse                 tions et les élèves afin de revoir la réglementa-
d'importants gains d'année en année, un fait reste            tion entourant l'habillement. Pourquoi ? Eh bien,
: la révolution tranquille n'est pas bien loin der-
rière nous. Il y a peu de temps, le rôle de la femme
                                                              il s'agit de bien plus qu'une vendetta contre la
et celui de l'homme étaient très définis et différents        stigmatisation des camisoles. En effet, les causes
de ceux que nous connaissons en 2018. Ces stan-               principales mentionnées sont les suivantes :
dards ont rapidement changé et ce, sans laisser à
tous le temps de s'adapter à l'égalité grandissante.             Ce ne sont pas leurs vêtements qui créent l'hypersexual-
Pour faire une histoire courte, une certaine crainte             isation, mais bien le réflexe d'associer la visibilité de la
demeure à l'égard de l'établissement d'une nouvelle              peau à la sexualité ;
dynamique entre les hommes et les femmes. Il n'est
donc pas surprenant de constater que le lien unis-               L'application des règlements se fait de manière beaucoup
sant les carrés jaunes et le féminisme n'attire pas              plus systématique chez les filles que chez les garçons;
la sympathie de tous. Cela ne leur attire pas force-
                                                                 Les règles ne sont pas adaptées à la réalité sociale actuelle;
ments l'écoute non plus.
Pour ce qui est de la gauche étudiante, je ne men-               Le code vestimentaire entrave l'intégrité sexuelle des
tionnerai qu'une seule chose : les carrés rouges. Les            jeunes filles.
étudiants de l'école Joseph-François Perreault ont
choisi de s'inscrire dans une certaine continuité en
                                                         9
Le Renard - Association étudiante du Cégep de Garneau
Les carrés jaunes : bien plus qu’une vendetta contre la stigmatisation des
                                                   camisoles

Là où le bât blesse
La logique derrière l’initiative
Si, dans Le Devoir, la directrice de l'école Jo-                l’esprit, voici le cadeau que notre société se fait en
seph-François Perreault se dit presque insultée de              misant sur l’éducation de nos enfants et de nos ad-
voir certains jeunes associer les codes vestimen-               olescents.
taires actuels à la culture du viol, c'est que l'école
n'est perçue que comme une institution préparant                Pourtant, je me souviens, il n’y a pas plus de deux
au milieu du travail à la tête de laquelle se trouvent          ans, d’avoir vu un homme adulte se promener dans
des dirigeants qui sont personnellement respons-                une cafétéria en regardant les fesses des adoles-
ables du fonctionnement entier de leur école. Par               centes afin de s’assurer que des chandails longs
exemple, souvent, les opposants au mouvement                    cachaient leurs leggings. Je me souviens qu’il le fais-
brandissent l'argument                                                                       ait à tous les jours. Je
selon lequel les jeunes                                                                      me souviens qu’il nous
doivent s'habituer à                                                                         parlait d’hypersexuali-
s'habiller d'une manière                                                                     sation.
qui sera adéquate lor-
squ'ils seront sur le                                                                        Je me souviens que cer-
marché du travail. Or,                                                                       taines de mes amies
loin est supposée être                                                                       qui avaient de longues
l'époque où les jeunes,                                                                      jambes se voyaient re-
assis en rangs d'oi-                                                                         fuser l’entrée à certains
gnons, n'apprenaient                                                                         cours, parce que leurs
que ce dont ils avaient                                                                      robes ne les cachaient
besoin pour être effica-                                                                     pas suffisamment. J’ai lu
ces dans une chaîne de                                                                       des témoignages prove-
montage. De manière                                                                          nant de partout racon-
générale, au Québec, les                                                                     tant des histoires simi-
écoles secondaires sont                                                                      laires. J’ai entendu tant
publiques et répondent                                                                       de jeunes femmes (sur-
donc du peuple. Elles                                                                        tout des jeunes femmes,
ne répondent pas des                                                                         puisque les règles sem-
compagnies privées, et                                                                       blent ne pas s’appliquer
pas même des compag-                                                                         de la même manière
nies d'État. Elles sont                                                                      chez les garçons) ra-
supposées      enseigner                                        conter qu’on leur avait dit qu’elles dérangeaient les
aux jeunes les mécanismes de la pensée afin que ces             études des autres par leur habillement. J’ai entendu
derniers puissent contextualiser les divers éléments            tant de jeunes femmes rapporter qu’on leur avait dit
de leur vie et qu'ils soient aptes à édifier et intégrer        qu’elles n’étaient pas disposées à apprendre à cause
des ensembles complexes de connaissances.                       de leur habillement. Comme si elles n’avaient pas les
                                                                outils nécessaires. Comme si elles ne pouvaient pas
La capacité à travailler en équipe, la patience, la             mettre en pratique ou développer les mécanismes
persévérance, le respect : voilà des outils qui peu-            de la pensée que l’on se souhaite en tant que société.
vent être développés au secondaire. Ils relèvent
tous de l’esprit parce que, oui, l’esprit est un outil          C’est drôle, c’est comme si les écoles secondaires,
formidable et capable de se subdiviser en une in-               soumises à l’attachement des plus puissantes en-
finité d’outils plus spécifique. Le développement de
                                                           10
treprises à la croissance maximale, apprenaient à              nombre dans un endroit : leurs écoles qui, somme
se servir du corps comme d’un outil, comme d’une               toute, se ressemblent toutes, puisqu’elles obéissent
monnaie d’échange capable d’acheter le respect. Le             à la même opinion commune. Ils se sont regroupés
respect et la crédibilité, ça a une valeur monétaire.          et ont structuré leurs arguments pour faire face à
Le corps est donc un outil qui, bien utilisé, peut ser-        un héritage datant d’il y a des dizaines, voire des
vir à faire avancer sa carrière ou son entreprise. À           centaines d’années.
partir de ce moment-là, le corps, comme un bien                Pourtant, beaucoup d’oreilles plus puissantes, dont
marchand, n’appartient pas à l’individu qui l’habite,          celle de leurs parents, reçoivent leurs arguments
mais aux clients et aux patrons.                               avec une pointe de dégoût et de condescendance.
Or, la culture du viol se nourrit de la dépossession           Ceci est dangereux, surtout pour des gens qui red-
du corps, de la perte de l’intégrité sexuelle. Je ne           outent la colère et la révolte des étudiants, parce
doute pas des bonnes intentions des directions                 que lorsqu’ils se rendent compte que leurs argu-
d’écoles, mais certains cercles d’appauvrissement              ments ne reçoivent pas un accueil qui rend justice
doivent être brisés. La mise sur le marché de son              au sérieux de leur démarche, les jeunes grandissent
corps implique que parfois quelqu’un l’achète sans             avec l’impression que ce n’est pas par le dialogue et
qu’on s’en rende compte et qu’on n’y peut pas faire            le compromis qu’ils arriveront à se faire entendre.
grand-chose.                                                   Ce seront des comités de parents qui auront le derni-
Voilà pourquoi les codes vestimentaires exagérés               er mot sur la conclusion de ces demandes. Même
ne servent en rien nos sociétés, voilà pourquoi il             avec toutes les meilleures intentions du monde, ils
faut instaurer des cours d’éducation sexuelle dans             verront la situation depuis leur côté. Pourquoi ne
lesquels les jeunes pourront se construire une im-             pas demander à des psychologues, des sociologues
age positive et réfléchie de leur corps plutôt que de          et des anthropologues d’agir en tant médiateurs et
se la faire imposer, surtout lorsque l’on sait que les         d’évaluer le bien fondé des arguments provenant
caprices de la demande priment bien souvent sur                des deux côtés? Si des jeunes gens prennent la peine
l’offre.                                                       de faire face au reste du monde pour faire valoir
                                                               les conclusions qu’ils tirent de leur vécu, peut-être
                                                               qu’ils ont quelque chose à dire. On a mis quelqu’un
                                                               au monde, on devrait peut-être l’écouter.
Se battre pour plus grand que soi
Il existe une différence majeure entre les carrés
rouge de 2012 et les carrés jaunes de 2016: l’âge.
Les élèves se levant aujourd’hui pour faire entendre
leur opinion face aux codes vestimentaires ont, pour
la plupart, 14 ou 15 ans. Ils ne sont pas majeurs, ne
peuvent pas se présenter aux élections, n’ont même
pas le droit de vote. Cependant, ils ont la force du
                                                          11
Pourquoi les
Américains
tiennent-ils
tant à leurs
armes?
Par
Juliette Samson

                  12
La fusillade à l’école
     secondaire      Marjory
     Stoneman Douglas, en
     février dernier, était la
     dix-huitième fusillade
     en milieu scolaire en
     2018 aux États-Unis,
     soit une fréquence
     d’une fusillade tous
     les deux jours et de-
     mie. Une statistique ef-
     frayante qui, pour nous
     Québécois, est incom-
     préhensible : pourquoi
     les Américains ne re-
     streignent-ils pas l’ac-
     cès aux armes à feu afin
     de protéger les citoy-
     ens?

13
Pourquoi les Américains tiennent-ils tant à leurs armes?

La relation des Américains avec leurs armes à feu             la question du contrôle des armes à feu revient sur
est, pour le moins dire, compliquée. On constate              le tapis.
aujourd’hui qu’une partie conséquente de la pop-               Les armes à feu ont aussi une importance historique
ulation souhaite y restreindre l’accès, mais bien             aux États-Unis. C’est là qu’entre en jeu le fameux
d’autres personnes veulent continuer de pouvoir               Deuxième amendement, la pierre angulaire de l’ar-
acheter des armes librement. Même ceux qui sou-               gumentaire pro-armes. Pourtant, l’amendement est
haitent une réforme sont très modérés : il est sur-           interprété très librement par la NRA, qui jure que
tout question d’imposer une vérification d’antécé-            le texte garantit à chaque citoyen un accès illimité à
dents avant l’achat et d’empêcher l’acquisition               toute arme à feu. La réalité en est toute autre. Lor-
d’armes semi-automatiques. Ces deux restrictions              sque la Constitution a été rédigée, après la Révo-
sont déjà en place dans certains États, mais aucune           lution américaine, les Américains étaient terrifiés
politique nationale n’a été élaborée à cet effet. En          que leur nouveau gouvernement s’accapare trop de
fait, la Cour Suprême a même déclaré anticonstitu-            pouvoir et perde de vue sa mission de protéger les
tionnel en 2008 de restreindre l’accès aux armes à            droits et libertés des citoyens. Ils se sont donc ga-
feu pour un citoyen américain.                                ranti, par le Deuxième amendement, le droit de for-
                                                              mer une milice pour se révolter contre un gouver-
D’abord, il est presque impossible de réformer l’us-          nement autoritaire. Effectivement, cela comporte le
age des armes à feu à cause de la NRA—la National             droit de s’armer pour se défendre contre le pouvoir
Rifle Association, un puissant groupe d’influence             abusif. Le Deuxième amendement ne prévoit donc
dans le paysage politique américain. Non seulement            pas le droit de chacun des Américains à s’armer
les membres de cette association défendent-ils fa-            comme bon leur semble. De plus, il faut remettre
rouchement le droit de chaque Américain de por-               en contexte cette législation : les armes en 1789
ter des armes à feu sans contrainte, mais ils man-            étaient beaucoup moins destructrices qu’elles ne le
igancent également pour que leurs intérêts soient             sont aujourd’hui, et, en 2018, la possibilité pour une
toujours prioritaires à Washington. Pour ce faire,            milice de renverser le gouvernement par la force est
ils font de généreux dons, directs et indirects, à des        quasi-nulle, vu la puissance de l’armée.
politiciens durant leurs campagnes. D’ailleurs, il
n’est pas faux de penser que les Républicains sont            Quelques siècles après la rédaction du Deuxième
les plus financés par la NRA, mais les Démocrates             amendement, les Américains sont toujours méfi-
ne sont pas sans tache non plus. De plus, ils mobil-          ants du gouvernement. Ils ont un fort sentiment
isent la population pour défendre leurs intérêts, par         patriotique, mais très peu de confiance envers leurs
exemple en organisant des manifestations lorsque              dirigeants, voire une haine envers les élus qui, sel-
                                                              on eux, ne servent pas leurs intérêts ou leur veu-
                                                              lent du mal. Cette pensée s’est accentuée dans les
                                                              dernières années, permettant à la NRA de s’enrichir
                                                              en surfant sur la même vague populiste en colère
                                                              que Donald Trump. Les Américains s’arment donc
                                                              pour se défendre ou pour défendre les gens qui
                                                              dépendent d’eux. Le climat actuel d’insécurité dû à
                                                              la menace terroriste, la crise économique récente,
                                                              l’important afflux d’immigrants et la fracture poli-
                                                              tique n’ont fait qu’encourager ce phénomène. De ce
                                                              fait, les ventes d’armes, surtout d’armes semi-au-
                                                              tomatiques, ont fait un bond après les attentats du
                                                              11 septembre. Étrangement, l’élection d’Obama a

                                                         14
provoqué le même phénomène, puisque les conser-              héroïques dominantes de l’imaginaire américain
vateurs blancs ont été déstabilisés par ce change-           portent des armes à feu. Le cowboy, d’abord, qui,
ment de l’ordre social qu’ils prenaient pour acquis.         grâce à son arme, colonisait autrefois l’Ouest amér-
                                                             icain, défendant à lui seul la civilisation des attaques
Il ne faut pas non plus sous-estimer l’aspect iden-          animales et autochtones. Le militaire, ensuite, vail-
titaire des armes à feu. Effectivement, on constate          lant et courageux dans son bel uniforme, qui défend
depuis plusieurs années l’augmentation du nombre             les intérêts et la liberté de la nation américaine con-
d’armes en circulation, ainsi que la diminution des          tre de vils ennemis qui ne veulent que dominer le
foyers qui déclarent en posséder, ce qui nous amène          bon peuple innocent. Ces deux figures expliquent
à conclure à une concentration des armes dans cer-           également l’attrait des Américains pour les armes.
tains foyers. Il est aussi possible de constater que
certaines régions, par exemple les régions rurales,          Bref, il est facile pour un Québécois de trouver que
surtout sudistes, sont plus densément armées. On             la liberté de porter une arme relève de la pure idio-
remarque d’autres dénominateurs communs en-                  tie américaine. Pourtant, aussi impensable que cela
tre ces régions, du point de vue social, politique et        puisse être pour nous, les Américains ressentent un
économique. Les armes à feu sont donc une com-               attachement fondé à ce droit. Or, les mouvements
posante intégrale d’une identité, et ne sont pas             sociaux actuels prouvent que la situation est in-
collectionnées que par nécessité, mais aussi com-            tolérable : toute la tradition du monde ne compense
me marqueur culturel. Cela explique aisément la              pas le dommage qu’occasionnent les armes à feu. Il
réticence de certaines franges de la population à            faudra donc trouver un compromis entre les deux
restreindre l’accès aux armes : c’est une part d’eux-        groupes pour tenter de satisfaire la population,
mêmes qu’ils croient se voir dérober. Malheureuse-           mais le défi s’annonce difficile, puisque chacun des
ment, ces personnes sont souvent mal informées et            deux côtés est bien campé dans sa position. C’est un
croient que les mouvements pour la restriction du            débat à suivre.
port d’armes veulent leur interdire complètement
d’en posséder.

L’imaginaire est la dernière composante de l’at-
tachement aux armes à feu. En effet, les figures
                                                        15
La solidarité au XXIe siècle, ou pourquoi
voter Québec Solidaire l’automne pro-
chain
                      Par
                      Francois Trépanier-Huot
Le 27 mars dernier, le BAIP a or- qu’il subit, propose un programme        plus extrêmes, que la prise de pou-
ganisé une conférence avec Gabriel beaucoup plus ambitieux que les         voir du parti plongerait le Québec
Nadeau-Dubois au café Oxymel. Les autres regroupements, beaucoup           dans le désastre économique. Or,
très nombreux étudiants présents plus ancré dans un XXIe siècle où         n’est-ce pas les mêmes tenants de
ont découvert, bien qu’extrême- la solidarité est plus que jamais          « l’économisme » qui ont plongé le
ment synthétisées, quelques-unes nécessaire pour garantir de l’es-         monde, par leurs politiques, dans
des propositions de Québec Solid- poir à l’humanité.                       de nombreuses crises financières
aire pour la campagne électorale                                           depuis près de 30 ans, dont la plus
en vue des élections provinciales Le programme économique de Qué-          grosse a été celle de 2008-2009?
du 1er octobre prochain. Étant bec Solidaire, irréaliste?                  Ces mêmes crises ont mis de nom-
moi-même membre de Québec De               nombreuses       personnes      breuses personnes dans une situa-
Solidaire et, depuis la fin du mois martèlent que le programme             tion de pauvreté inexorable et ont
de février 2018, membre du comi- économique de Québec Solid-               favorisé la montée des gouverne-
té de coordination de Québec Sol- aire n’est pas réaliste, que le par-     ments populistes de droite, tout
idaire Portneuf, je remarque que ti ne possède aucune crédibilité          en enrichissant de façon indécen-
le parti, malgré toutes les attaques économique, voire, dans les cas les   te ceux qui étaient déjà extrême-
                                                   16
ment riches. La très large majorité      s’assurer du bonheur et de l’épa-      omie participative est une forme
de l’élite politique et économique,      nouissement personnel et collec-       d’économie où les citoyens pren-
que ce soit dans le monde ou au          tif, mais en fonction des exigences    nent les décisions démocratique-
Québec, est tellement influencée         des multinationales, des agences       ment au sein de l’entreprise, sans
par l’idéologie néo-libérale que         de notation et des traders de Wall     patron. Par exemple, les salaires
toute politique économique qui           Street.                                de l’ensemble des employés sont
diffère de ce cadre est balayée du                                              votés par les travailleurs eux-
revers de la main, sans argumen-         Au contraire, Québec Solidaire         mêmes, ainsi que la répartition
tation. C’est le TINA (There Is No       propose de redonner le contrôle        de l’investissement. Parmi les
Alternative) de Margaret Thatcher.       de leur économie aux citoyens et       autres mesures du programme
Les politiques économiques pre-          citoyennes québécois. Si une cer-      économique de Québec Solidaire,
scrites dans ce cadre, on les con-       taine place est conservée par le       on retrouve des mesures de sta-
naît bien, les Québécois y goûtent       privé, entre autres pour les PME,      bilisation afin de contrer la finan-
régulièrement depuis plus d’une          Québec Solidaire favorise la créa-     ciarisation de l’économie, notam-
vingtaine d’années : austérité,          tion d’une économie sociale et         ment par la création d’une banque
coupures et privatisation dans les       solidaire au Québec, notamment         d’État et par la réglementation du
services publiques, mise en place        par les coopératives. Une me-          système financier.
des logiques de l’entreprise privée      sure-phare à long terme serait
dans les services publics, hauss-        l’imposition de l’économie partic-     Surtout, Québec Solidaire est le
e(s) des frais de scolarité, etc. Pour   ipative au sein des entreprises éta-   seul parti qui fait vraiment de
les néolibéraux, l’économie des          tiques et nationalisées, par exem-     l’écologie un enjeu central de
pays ne doit non pas être gérée          ple dans les secteurs stratégiques     son programme (outre le Parti
de façon démocratique, afin de           de l’économie québécoise. L’écon-      Vert du Québec). La croissance
                                                         17
La solidarité au XXIe siècle, ou pourquoi voter Québec Solidaire l’automne
                                                    prochain

économique ne doit plus être un impératif abso-               conscription pour Québec Solidaire a dépassé
lu, les seuls secteurs qui devront croître seront             le nombre de membres dans la circonscription
ceux qui participeront au passage à une économie              de Mercier, celle détenue par Amir Khadir. Au
écologique, comme le transport en commun, le vélo,            rythme où augmentent les adhésions dans
les énergies renouvelables (éolienne et solaire),             Taschereau, il y aura bientôt plus de membres
la construction écologique, la récupération des               dans cette circonscription que dans Gouin,
déchets, l’agriculture biologique et bien d’autres.           celle de Gabriel Nadeau-Dubois. Au moment
                                                              où j’écris ces lignes, le premier grand rassem-
                                                              blement solidaire de Sherbrooke a accueil-
                                                              li plus de 600 personnes un lundi soir. Il y a
Québec Solidaire est-il indépendantiste?                      un fond de colère envers la médiocrité de nos
De nombreuses personnes (surtout des membres                  dirigeants politiques et économiques au Qué-
et des sympathisants du Parti Québécois) disent               bec. Si c’est présentement la CAQ qui semble
que Québec Solidaire n’est pas indépendantiste.               en profiter, ce parti ne tardera pas à révéler
Or, je leur répondrais que Québec Solidaire est plus          son vrai visage, soit un mélange entre la droite
souverainiste que jamais, la preuve la plus proban-           économique du Parti libéral et un certain con-
te étant la récente fusion avec Option Nationale.             servatisme sur des questions comme l’immi-
Je pense même que Québec Solidaire est devenu                 gration et la natalité. Bref, un retour en arrière
beaucoup plus indépendantiste que ne l’est actu-              combiné avec un appauvrissement généralisé
ellement le Parti Québécois. Québec Solidaire voit            du peuple québécois. Québec Solidaire est
l’indépendance comme un moyen et une fin en soi,              et deviendra le seul parti qui peut récupérer
c’est-à-dire que l’indépendance doit servir le dével-         cette colère populaire et redonner espoir, soli-
oppement social et un projet de société solidaire.            darité et fierté au peuple québécois.
Nous ne deviendrons indépendants politiquement
qu’une fois que nous le serons économiquement,                Sur ce, camarades, au travail!
socialement et culturellement. Québec Solidaire est
actuellement le seul parti qui fait promotion d’un
tel projet de société. Cette mentalité était peut-être
promue par le Parti Québécois à ses débuts, sous la
gouverne de René Lévesque, mais s’est aujourd'hui
convertie au néolibéralisme économique, notam-
ment lorsque Lucien Bouchard était au pouvoir.

Conclusion
Même si les sondages ne le font pas encore sentir,
Québec Solidaire connaît présentement une forte
dynamisation : le parti s’organise, de nouvelles as-
sociations régionales (dont celle de Portneuf) sont
créées et la fusion avec Option nationale a apporté
de nouveaux membres au sein du mouvement que
Québec Solidaire veut créer. Un bon exemple de
cette dynamique qui s’installe est celle de la circon-
scription de Taschereau, au centre-ville de Québec,
où récemment Catherine Dorion a été élue comme
candidate. Le nombre de membres dans cette cir-
                                                         18
La Médiocratie
  Par
  Francois Trépanier-Huot

« Rangez ces ouvrages compliqués, les livres comptables feront l’affaire. Ne soyez
ni fier, ni spirituel, ni même à l’aise, vous risqueriez de paraître arrogant. Atténuez
vos passions, elles font peur. Surtout, aucune "bonne idée", la déchiqueteuse en
est pleine. Ce regard perçant qui inquiète, dilatez-le, et décontractez vos lèvres – il
faut penser mou et le montrer, parler de son moi en le réduisant à peu de chose
: on doit pouvoir vous caser. Les temps ont changé. Il n’y a eu aucune prise de la
Bastille, rien de comparable à l’incendie du Reichstag, et l’Aurore n’a encore tiré
aucun coup de feu. Pourtant, l’assaut a bel et bien été lancé et couronné de succès
: les médiocres ont pris le pouvoir. » - Alain Deneault, La Médiocratie, p. 5.

                                         20
ou la société
« moyenne »
      21
Ce court extrait de La Médi-        sur des enjeux non dangereux        fétichisme de la marchandise.
ocratie semble a priori dur à       pour la domination médiocre.        Ce nouveau totalitarisme se
comprendre et peu concret.          Les médiocres sont l’extrême        caractérise également par un
Pourtant, l’ensemble des so-        centre incarné, des penseurs        fort culte du « mérite ». L’en-
ciétés occidentales modernes,       mous, qui se préoccupent            trepreneur est le summum
dont la société québécoise,         avant tout de satisfaire les ex-    de la réussite dans la société,
semblent se dévouer à être          igences de ceux qui ont réel-       puisqu’il est une personne qui
moyennes, médiocres, à ne           lement le pouvoir. Les idées        a développé son business seul,
plus espérer de grandes cho-        qu’Alain Deneault soutien dans      à partir de rien, ce qui le rend
ses, à ne pas avoir espoir en       son ouvrage nous serviront de       méritant. Ce culte se fait sans
des changements politiques          base afin de décortiquer ce en      égard aux différences sociales
majeur ; bref, à ce que le monde    quoi consiste la médiocratie.       et historiques comme la classe,
change. Oser parler d’autre                                             l’origine ethnique ou le sexe.
chose, d’un autre monde pos-        Un nouveau totalitarisme
sible, c’est être exclu du débat    La médiocratie est la forme         D’ailleurs, le mérite est un
avant même de pouvoir parler.       de régime totalitaire du 21e        exemple des termes de la
Il n’y aurait donc pas de solu-     siècle. Le pouvoir, dans un tel     novlangue (langage utilisé
tion au système néolibéral, qui     régime, n’est pas détenu par        dans 1984 par Orwell comme
place le marché et l’entreprise     une figure omniprésente, com-       langue du régime totalitaire)
au cœur du monde, dans le           me dans le cas des régimes to-      employée dans le régime médi-
sens de l’histoire, comme étant     talitaires du 20e siècle, mais      ocre. Afin de faire gober un
un système parfait (malgré les      plutôt par les multinationales,     message teinté de l’idéologie
crises répétitives). Toute tenta-   les grands capitalistes. La         entrepreneuriale, on emploie
tive de résistance à ce système     démocratie à ce stade se réduit     des termes séduisants de prime
serait vaine. On a tendance à       au peu de différences entre les     abord, mais qui renferment en
s’attaquer aux partis non-tra-      principaux partis politiques,       réalité une violence sociale des
ditionnels, mais il faut recon-     les options dont les idées sor-     plus abjectes. Ainsi, le terme «
naître qu’ils ont de bonnes         tent du cadre satisfaisant pour     flexibilité », qui se rapproche
idées , même si certaines d’en-     les multinationales étant sys-      du terme « liberté », est util-
tre elles sont complètement         tématiquement dénigrées par         isé pour dire en réalité qu'un
folles. Les médiocres ont ten-      la propagande de ce régime.         employé est disponible en tout
dance à faire disparaître de        C’est un régime pervers, qui        temps pour son travail, avec
telles alternatives. Ils proc-      crée l’illusion du confort chez     des horaires de plus en plus
lament même l’abolition de          une population servile et           chargés et beaucoup moins de
l’axe gauche-droite, les partis     aliénée à la fois par son travail   temps pour ses loisirs, sa fa-
politiques dominants doivent        et par ses biens de consomma-       mille ou d’autres occupations.
se réduire à de simples jeux        tion, ce que Marx appellerait le    Avec l’ubérisation de l’écono-

                                                   22
mie (économie où l’employé           Deux autres termes qui appa-          entreprise privée, d’avoir suivi
est en tout temps connecté,          raissent régulièrement dans           dogmatiquement leurs idées
consacré à son emploi com-           les régimes médiocres et qui          et d’avoir fait « les réformes
me un micro-entrepreneur ou          concerne cette fois l’État et         nécessaires », qui renvoient
un travailleur autonome) et la       les services publics sont ceux        à la nécessité quasi-scien-
chute des droits des travail-        de « clients » (pour désigner         tifique de faire des réformes
leurs et de la syndicalisation,      les personnes qui utilisent les       néolibérales. Au contraire, la
cette « flexibilisation » est de     services publics) et de « gou-        démocratie, c’est avant tout le
plus en plus présente dans nos       vernance ». Ces deux termes           débat des idées qui pourrait
sociétés. De plus, les travail-      proviennent du milieu de l’en-        nous permettre de devenir
leurs « flexibles » peuvent de       treprise, un « client » étant, sel-   une meilleure société, et ce,
moins en moins reconnaître           on le dictionnaire Larousse : «       d’après son positionnement
leur patron dans ce cadre. Les       une personne qui reçoit d’une         politique. Pour Deneault, la
manuels de management ont            entreprise contre paiement,           gouvernance est avant tout un
tellement évolué que mêmes           des fournitures commerciales          régime démocratique corrom-
les futurs patrons ne voient         ou des services », et non pas         pu à sa forme la plus extrême
plus les termes « hiérarchie         un citoyen qui reçoit des ser-        : « du principe de démocratie
» ou « autorité » au sein de         vices publics une aide fonda-         désormais corrompu découle
l’entreprise. Si c’était encore      mentale à son développement           un nouveau régime qui répond
le cas en 1960, celui-ci a été       ou à sa subsistance. Instituer        au nom de la "gouvernance" ».
remplacé par le terme « projet       un tel terme dans le langage
», qui est devenu l’un, sinon le     courant amène les individus à         L’éducation pervertie par les
terme le plus utilisé dans les       se considérer comme des cli-          médiocres
manuels destinés aux futurs          ents, dans la logique de l’util-      Comme tout régime totalitaire,
managers et même plus large,         isateur-payeur si chère aux           le régime médiocre endoctrine
car la vie des citoyens dans le      néolibéraux. Quant au terme           la jeunesse par l’éducation.
nouveau régime capitaliste           « gouvernance », il renvoie à         L’université est à l’avant-gar-
médiocre se conditionne à des        la réduction de la chose poli-        de d’une telle transformation
« projets » de vie, où l’indivi-     tique à une simple affaire de         idéologique. En effet, la sub-
du se doit d’être productif afin     gestion, comme celle de l’en-         ordination des établissements
d’être reconnu dans la société.      treprise privée. Les gouverne-        universitaires au logique du
Pour ainsi dire, il faut que les     ments se réclameront de la «          privé est de plus en plus man-
individus se considèrent tous        saine gouvernance » et d’avoir        ifeste. Les frais de scolarité,
comme des entrepreneurs.             une bonne gestion digne d’une         qui entrent dans la logique

Transformation idéologique.
C’est en effet dans ces établissements que la corruption idéologique est la plus avancé. La subordination
des établissements universitaires au logique du privé est de plus en plus manifeste. Les frais de scolarité,
qui entre dans la logique de l’utilisateur-payeur, ne sont que la pointe émergée de l’immense iceberg de la
corruption par la « gouvernance » universitaire. Les logiques de l’entreprise privée entre dans l’université
et les cours sont données par des masses de chargés de cours dont la situation est de plus en précaire. Les
grandes multinationales, qui financent les établissements universitaires délaissés par les coupures gou-
vernementales, s’assurent d’une masse de travailleurs spécialisées qui effectueront la recherche, parfois
financée à même les fonds publics restants pour la recherche, pour le compte de ces entreprises qui les
financent, au dépend de la recherche fondamentale, qui devrait pourtant être au cœur même de l’exis-
tence des universités et qui permet des découvertes fondamentales qui permettent souvent de s’attaquer
à certaines                                           23
La solidarité au XXIe siècle, ou pourquoi voter Québec Solidaire l’automne
                                                   prochain

de l’utilisateur-payeur, ne sont que la pointe            ministrateurs des universités américaines, dans
de l’immense iceberg de la corruption par la «            une logique de promouvoir leur produit, l’uni-
gouvernance » universitaire.Les grandes mul-              versité, se livrent à des campagnes de publicité
tinationales financent les établissements uni-            vantant le caractère fun et sexy de leur univer-
versitaires délaissés par les coupures gouver-            sité afin d’attirer des athlètes, le plus souvent
nementales, s’assurant ainsi l’accès à une masse          masculins et blancs, destinés à un avenir sportif
de travailleurs spécialisés qui effectureront de          d’excellence. Le résultat d’une telle politique a
la recherche au compte des entreprises. Pen-              été une véritable dépravation des mœurs dans
dant ce temps, la recherche fondamentale est              les campus américains, y compris ceux des
négligée, alors qu’elle devrait être au cœur              grandes universités de la « Ivy League » (Har-
même de l’existence des universités. Or, elle est         vard, Yale, etc.), où règne ouvertement la misog-
négligée parce qu’elle amène des découvertes              ynie, le racisme et l’alcoolisme. Les administra-
fondamentales qui permettent souvent de s’at-             teurs accommodent ces athlètes afin de ne pas
taquer à certaines entreprises privées, un exem-          perdre ses sources de revenus. On parle même
ple étant celui des compagnies de tabac qui ont           désormais d’une épidémie de viols au sein des
été poursuivies en justice à la suite des décou-          universités américaines, sans compter les nom-
vertes des effets néfastes de leurs produits sur          breux actes à caractère raciste. Selon le Journal
la santé humaine dans les universités. L’infil-           of Adolescent Health, près de 18 % des étudi-
tration de l’entreprise privée dans les conseils          antes universitaires américaines subissent un
d’administration des universités est le sommet            viol ou font l’objet d’une tentative de viol lors de
de cette soumission. Ainsi, on apprenait récem-           leur première année 3. La médiocratie politique
ment qu’un ex-dirigeant de chez Total, la grande          aura tendance à réduire son analyse d’un tel
compagnie pétrolière française, s’apprêterait à           problème à des considérations de sexe ou d’ap-
devenir recteur de l’école Polytechnique, à Mon-          partenance ethnique, alors que c’est la structure
tréal. Les universités sont littéralement en train        complète de l’université médiocre et soumise à
de devenir des entreprises qui servent des cli-           la logique entrepreneuriale et comptable qui est
ents (les étudiants, mais surtout les multinatio-         en cause dans ce cas.
nales et les compagnies) avec des employés de
plus en plus précarisés (les chargés de cours).

Ce modèle est cependant beaucoup moins
développé au Québec qu’aux États-Unis. Par
exemple, pour des raisons comptables, les ad-
                                                     24
Par
Édouard Nadeau-Besse
Il serait faux de croire que le libéral-    minante. Il n’y a pas grand-chose de
isme ne peut être totalitaire. Dans         plus à dire. Les régimes autoritaires
l’esprit commun, nous associons le          seront souvent militarisés, on peut
totalitarisme au nazisme ou au stalin-      penser aux différents régimes fas-
isme. Cette idée n’est pas erronée,         cistes en Amérique latine ou aux dic-
mais le totalitarisme ne se résume          tatures au Moyen-Orient. L’autorité du
pas uniquement à cela. Je défends ici       pouvoir et son rapport de force avec
l’idée que nous sommes arrivés col-         la population sont clairs et définis. La
lectivement à vivre sous un libéral-        politique autoritaire est, en ce sens,
isme totalitaire.                           assez simple.
Pour mieux le comprendre, il faut           Ce n’est pas le cas du totalitarisme.
d’abord comprendre ce qu’est                Bien plus subtil et bien plus insidieux,
théoriquement le totalitarisme et           le totalitarisme n’implique pas néces-
faire la distinction avec l’autorita-       sairement l’utilisation d’une autorité
risme. Tous deux sont des expres-           matérielle directe. Lorsque l’on cite
sions du pouvoir dans son imposition        les exemples du nazisme ou du stalin-
de l’idéologie. L’idéologie, ce n’est pas   isme, il y a bien évidemment une
qu’un ensemble d’idées et de valeurs        présence d’une force de répression
que l’on défend de notre gré, c’est le      directe (Gestapo, SS, KGB, etc.). La
système nerveux social. C’est l’organ-      différence avec l’autoritarisme, c’est
isme vivant qui détermine les formes        qu’à travers le totalitarisme, l’idéolo-
d’une société. L’idéologie est le déter-    gie cherche à s’imposer matérielle-
minant d’une société et donc de l’indi-     ment et immatériellement. L’objec-
vidu, composante de cette société.          tif est que l’individu internalise sa
L’autoritarisme est une forme d’impo-       soumission au pouvoir comme étant
sition de l’idéologie qui se trouve à       normal. Le meilleur exemple de cette
être autoritaire (évidemment). C’est        forme de manifestation du pouvoir
un pouvoir direct et identifiable qui       dans l’histoire, c’est la religion.
imposera par la force directe son au-       Mais comment arrivons-nous à une
torité afin d’imposer l’idéologie déter-    forme totalitaire du libéralisme?
Le totalitarisme Libéral

Slavoj Žižek et l’idéologie        qu’avec le modèle religieux,        libre choix, une plus grande
Pour mieux comprendre l’in-        il n’y a pas de morale. Cela        pression qui s’exerce sur
crustation du libéralisme ac-      s’explique par la présence de       l’individu. Le père demande,
tuellement, il est intéressant     Dieu qui, tout puissant, légiti-    oui, à ce que le fils aille voir
de se pencher un peu sur           mise toute action commise           sa grand-mère, mais il lui de-
les travaux du philosophe          en son nom, en son honneur.         mande en plus d’aimer cela.
slovène Slavoj Žižek[1]. Žižek     Cette action, toute violente        Il impose au fils comment
parle de l’idéologie comme         qu’elle peut être, est en ce        il doit se sentir, ce qui ne se
d’une force omniprésente qui       sens morale. Žižek associe le       manifeste pas dans un ordre
est déterminante de la façon       totalitarisme à cette forme         autoritaire traditionnel. Le
de penser de tout un chacun.       de fanatisme religieux. Ainsi,      pouvoir totalitaire demande
Pas étonnant qu’il se penche       sous un pouvoir libéral total-      à ce que le soumis, le dominé,
sur plusieurs travaux de la        itaire, toute action est morale     internalise sa soumission au
psychanalyse. En consultant        et légitime si elle est faite au    pouvoir en l’aimant. Ainsi, le
les travaux de Žižek, il est       nom de « Dieu », l’idéologie.       pouvoir totalitaire est cam-
possible de voir en quelle         Les défenseurs du pouvoir           ouflé et impénétrable. Les in-
manière le pouvoir postmod-        sont moraux puisqu’ils défen-       dividus de la société devien-
erne actuel s’exprime par le       dent le pouvoir.                    nent aveugles du pouvoir.
libéralisme. Dans A Pervert’s      Le danger du totalitarisme          Bien que j’ai démontré ici
Guide to Ideology, Žižek ex-       selon Žižek, c’est son ex-          la capacité du libéralisme à
plique comment nous fais-          pression non autoritaire du         exercer son pouvoir par le
ons l’expérience de la réalité     pouvoir, qui est ainsi exces-       totalitarisme, je n’ai en au-
sous la lunette de l’idéologie.    sivement plus puissante. Le         cun cas, jusqu’à maintenant,
L’idéologie qui nous déter-        pouvoir autoritaire tradition-      expliqué en quoi le libéral-
mine, c’est l’idéologie libérale   nel a la propriété d’être tan-      isme est néfaste. L’idéologie,
qui, à la suite de la chute du     gible comme pouvoir. Un père        déterminante d’une société,
bloc soviétique, s’est retrou-     autoritaire traditionnel dira à     est surtout déterminante
vée seule sur scène, libre de      son fils : « Tu viens dire bon-     d’une morale. Dans la mo-
faire ce qu’elle voulait. Avec     jour à grand-maman, c’est           rale libérale, qui semble bi-
elle vient le progressisme         non négociable, c’est ton de-       enfaitrice, se cache une force
libéral qui, en un sens, sert à    voir ». Dans cette forme d’ex-      bien plus sombre et bien plus
tuer toute tentative de mou-       pression du pouvoir, le pou-        conséquente : le capitalisme.
vements radicaux et de re-         voir est bien défini, il est donc   Parce qu’au final, dans une
mise en question du pouvoir        possible de s’y opposer, de le      structure politique et so-
libéral, et ce, par des con-       remettre en question, de se         ciétale libérale postmoderne,
cepts comme la tolérance, le       rebeller. La forme postmod-         c’est le Capital qui est le pou-
politiquement correct et au-       erne non autoritaire de ce          voir.
tre. Le progrès libéral est un     pouvoir, c’est le père qui dit
pseudo-progrès qui s’effectue      : « Ce serait bien que t’ailles
toujours et uniquement dans        voir ta grand-mère si t’as le
l’axe de l’idéologie. Ce ne sont   temps, tu sais à quel point
que des changements qui ser-       ta grand-mère t’apprécie ».
vent à perpétuer l’idéologie.      Il y a dans cette proposition,
Contrairement à ce que l’on        camouflée sous une impres-
pourrait penser, Žižek dit         sion de libre arbitre ou de

                                          28
Vous pouvez aussi lire