OPINIONS - Louis Bachelier
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OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page1 OPINIONS & D É B AT S Numéro Spécial - Octobre 2015 Gouvernance mondiale de la lutte contre le réchauffement climatique The Negotiating effective institutions against climate change Christian Gollier & Jean Tirole
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page2 SOMMAIRE CONTENTS Résumé 8 I. Le changement climatique est un problème de Patrimoine Commun 9 1.1 Arrêtons de temporiser 9 1.2 Deux “bonnes” raisons pour l’inaction 10 1.3 Nous devons accepter que le coût de la mitigation climatique soit élevé à court terme 11 II. Pour un prix uniforme du carbone 13 2.1 Approche économique vs. Politique d'injonction et de contrôle 13 2.2 Tarification du carbone et inégalités 14 2.3 Comment construire les bons signaux de prix 15 2.4 Deux instruments économiques possibles pour une tarification carbone cohérente 17 2.5 Des tentatives avortées ou insatisfaisantes pour favoriser l'approche économique 18 III. Un système d'engagements volontaires : un attentisme stratégique dans les négociations internationales actuelles 21 IV. Comment négocier un ratio prix/quantité et des transferts 23 4.1 Négociation unidimensionnelle : prix uniforme du carbone ou objectif global d'émissions 23 4.2 Simplifier la négociation de compensation à n-dimensions (Fonds Vert ou allocation de permis gratuits) 26 V. Prix vs. quantités 29 5.1 Comment assurer l'application d'un accord sur le climat 30 5.2 Volatilité des prix dans un schéma de tarification carbone et un schéma de cap-and-trade 32 5.3 L'incohérence temporelle des politiques de tarification carbone et de cap-and-trade 33 VI. Crédibilité de l’accord international stable : coopération internationale par la politique de la carotte et du bâton 34 VII. Remettre les négociations sur la bonne voie 35 BIOGRAPHIE 6 NOTES 38 BIBLIOGRAPHIE 70 Opinions & Débats N°Spécial - Octobre 2015 Publication de l'Institut Louis Bachelier Palais Brongniart - 28 place de la Bourse 75002 Paris 䉬 Tél. : 01 73 01 93 40 䉬 www.institutlouisbachelier.org http://www.labexlouisbachelier.org DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : Jean-Michel Beacco 䉬 CHEF DE PROJETS : Cyril Armange CONTACT : cyril.armange@institutlouisbachelier.org CONCEPTION GRAPHIQUE : Vega Conseil 01 48 85 92 01
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page3 Abstract 45 I. Climate change is a global commons problem 46 1.1 We must put an end to the waiting game 46 1.2 Two “good” reasons for inaction 47 1.3 We must accept the fact that climate mitigation is costly in the short run 48 II. A uniform carbon price is necessary 50 2.1 Economic approach vs. command-and-control 50 2.2 Carbon pricing and inequality 51 2.3 Computing the right price signals 51 2.4 Two economic instruments for price coherence 53 2.5 Failed or unsatisfactory attempts at pushing the economic approach 54 III. Pledge and review: The waiting game in the current international negotiation 56 IV. Negotiating a price/quantity and negotiating transfers 58 4.1 The one-dimensional negotiation: uniform carbon price or a global emission target 58 4.2 Simplifying the compensation n-dimensional negotiation (Green Fund or allocation of permits) 60 V. Price vs. quantity 63 5.1 The enforceability problem 64 5.2 Price volatility under a carbon price and under cap-and-trade 66 5.3 The potential time inconsistency of carbon price and cap-and-trade policies 66 VI. Enforcing a stable international agreement: The carrot-and-stick approach to promote international cooperation 67 VII. Putting the negotiation back on track 68 BIOGRAPHY 42 NOTES 70 BIBLIOGRAPHY 73 OPINIONS & D É B AT S Numéro Spécial - Octobre 2015 Les articles publiés dans la série “Opinions & Débats” offrent aux spécialistes, aux universitaires et aux décideurs économiques un accès aux travaux de recherche les plus Gouvernance mondiale de la lutte contre récents. Ils abordent les principales questions d’actualité économique et financière et le réchauffement climatique The Negotiating effective institutions fournissent des recommandations en termes de politiques publiques. against climate change Christian Gollier & Jean Tirole The Opinion and Debates series sheds scientific light on current topics in economics and finance. Bringing together several types of expertise (from mathematicians, statisticians, economists, lawyers, etc.) this publication makes recommendations in the formulation and implementation of public economic policy.
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page4 EDITO Par Jean-Michel Beacco Directeur général de l'Institut Louis Bachelier Il est temps de prendre au sérieux la lutte contre le réchauffement climatique. Tel est le message qui sous-tend l’article que nous présentons dans ce numéro d’Opinions et Débats. Le rendez-vous de la COP 21 est proche, mais son manque d’ambition et d’engagement effraie chercheurs, climatologues et économistes. Après avoir relayé, en début d’année, les recommandations émises par la Chaire Economie du Climat en vue d’un accord efficace, notre publication se fait l’écho des voix de Christian Gollier et Jean Tirole. Ils s’attèlent à la difficile tâche d’essayer de sauver une conférence internationale qui semble prendre la voie d’une simple liste d’intentions. Un accord reposant sur la base d’engagements volontaires hétéroclites, difficilement mesurables et vérifiables, signerait l’échec de la lutte contre le réchauffement climatique. Cette dernière doit au contraire reposer sur une action unifiée de la part des Etats fondée sur un prix universel du carbone croissant dans le temps. Un constat qui soulève d’emblée certaines difficultés, car comment créer un système efficace, à la fois contraignant et juste pour toutes les nations ? Etant donné la direction prise par la COP 21, un progrès réel consisterait, en premier lieu, à adopter une posture commune et à décider d’une trajectoire d’action qui contraindrait les Etats à réduire progressivement leurs émissions de gaz à effet de serre. Ces actions doivent être coordonnées par un prix unique de la tonne de carbone – prix crédible, reflet des dommages environnementaux à venir. Ce prix pourrait par exemple émerger d’un marché mondial de permis d’émission négociables dont l’allocation initiale ferait l’objet d’une négo- ciation fondée sur le principe de responsabilité commune mais différenciée. Cependant, point d’efficacité sans sanctions, comme l’ont prouvé les précédentes tentatives dans ce domaine. Elles ont également démontré à quel point l’absence d’autorités de régulation compétentes pénalisait la lutte contre le réchauffement. Les auteurs proposent donc une solution commune à ces deux enjeux : imposer des sanctions financières en s’appuyant sur des institutions préexistantes et reconnues. Ainsi, l’OMC et le FMI feraient leur entrée dans le jeu, afin de mettre en place des systèmes de taxes aux frontières ou de pénalités venant s’ajouter aux dettes souveraines des Etats contrevenants. Une proposition qui a le mérite d’une certaine simplicité, comparativement à la création de nouvelles instances internationales. Une simplicité qui se traduirait par un gain de temps, car l’urgence est bel est bien là. Urgence de sauver une conférence internationale, urgence de freiner le réchauffement climatique et de mettre un terme à la tragédie des biens communs qui se joue à l’échelle de la planète. 4 LABEX LOUIS BACHELIER
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page5 It is time to take the fight against global warming seriously. That is the message behind the article that we are presenting in this issue of “Opinions & Débats”. The lack of commitment and ambition that characterizes the upcoming COP 21 frightens scientists, climatologists and economists. After having relayed the recommendations of the Climate Economics Chair for an effective agreement earlier this year, our publication now echoes the voices of Christian Gollier and Jean Tirole. They tackle the difficult task of attempting to save an international conference that is taking the path of a simple list of intentions. An agreement on the basis of heterogeneous voluntary commitments that are difficult to measure and verify, would signal the failure of the fight against global warming. The latter should instead depend on a unified action by States based on a universal carbon price that increases over time. This observation immediately raises certain difficulties – that of creating an effective system which is both binding and fair to all nations. Given the direction taken by COP 21, real progress would be, first and foremost, to adopt a common position and to decide a course of action that would force States to progressively reduce their emissions of greenhouse gases. These actions should be coordinated by a single price per ton of carbon – a credible price that would reflect future environmental damage. The said price could emerge from a global market of tradable emission permits whose initial allocation would be subject to negotiations based on the principle of common but differentiated responsibility. However, there would be no efficiency without sanctions, as demonstrated by earlier attempts in this area. They also demonstrated how the lack of competent regulatory authorities weakened the fight against global warming. The authors therefore propose a common solution to these two issues: impose financial sanctions enforced by existing and recognized institutions. Accordingly, the WTO and the IMF could join the game by setting up systems of border taxes or penalties, added to the sovereign debts of delinquent States. This proposal would have the merit of simplicity compared to the creation of new international bodies. Simplicity would result in precious time saved in the face of urgency: the urgency of saving a vital international conference, the urgency of curbing global warming and the urgency of ending the “tragedy of the commons” that is occurring worldwide. Prochain Numéro Opinions & Débats / Next publication Valorisation des investissements longs et développement durable The Valuation of Long-Term Investments and Sustainable Development Christian Gollier Toulouse School of Economics 5
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page6 BIOGRAPHIE Christian GOLLIER Christian Gollier est actuellement directeur général de la Tou- louse School of Economics (TSE). Par ailleurs, il est directeur de recherche à l'Institut d’Economie Industrielle (IDEI), et profes- seur d’économie à l’Université de Toulouse 1-Capitole. Il est également membre du conseil d'administration de l’entreprise d’assurance AG2R-La Mondiale. Christian Gollier a publié plus d’une centaine d’articles dans des revues scientifiques internationales. Il est également éditeur associé, éditeur ou co-éditeur de revues scientifiques telles que Geneva Risk and Insurance Review, Journal of Risk and Uncertainty, Journal of Risk and Insurance, Management Science, Finance Research Letters et plus récemment Mathematics and Financial Economics. Il a également publié 7 livres sur le risque dont The Economics of Risk and Time (MIT Press), qui a remporté le “Paul A. Samuelson Award” (2001) ainsi que le “Prix Risques-les Echos” (2002). En 2012, il a publié chez Pricenton University Press un livre intitulé Pricing the Planet’s Future, qu’il a présenté au “6th Arrow Lecture” à l’Université Columbia. Il publie aussi régulièrement des tribunes dans la presse écrite, notamment dans Les Echos et Le Monde. En complément à ses activités de chercheur internationalement reconnu, Christian Gollier a une riche expérience de l'enseignement à travers le monde. Avant de rejoindre l'Université de Toulouse, il a enseigné à l'Université de Louvain (Belgique), de Californie à San Diego (USA), et de HEC (Paris). Il a également été professeur associé à l'Ecole polytechnique, et chercheur invité à Duke, Harvard et MIT. Il est titulaire d'un doctorat en économie, et d'une maîtrise en mathématiques appliquées de l'Université de Louvain. Parmi les récompenses et distinctions qui lui ont été décernées, on compte : Membre junior de l'Institut Universitaire de France, le prix Ernst Meyer, le prix Royale Belge, Robert C. Witt Research Award, le Kulp-Wright Book Award, et le ARIA Award pour le meilleur papier présenté au premier World Congress Risk and Insurance (2005). Il a également été président de Risk Theory Society et de European Group of Risk and Insurance Economists. Finalement, il est l'un des principaux auteurs des 4e et 5e rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur le changement climatique (IPCC, 2007 et 2013), qui a obtenu le Prix Nobel de la Paix en 2007. Il conseille plusieurs gouvernements (France, UK, USA, Norvège) sur leur politique d’évaluation des investissements publics. Ses recherches s'étendent des domaines de l'économie de l'incertain à l'économie de l'environnement en passant par la finance, la consommation, l'assurance et l'analyse des coûts-bénéfices, avec un intérêt particulier pour les effets durables à long terme. 6 LABEX LOUIS BACHELIER
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page7 Jean Tirole Jean Tirole est président de l’Ecole d’Economie de Toulouse (TSE), directeur scientifique de l'Institut d'Economie Industrielle (IDEI) à Toulouse, membre fondateur et président du comité exécutif de l’Institute for Advanced Study in Toulouse (IAST), professeur invité au MIT et directeur d'études cumulant à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Il est égale- ment membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques (élu au fauteuil de Maurice Allais) et du Conseil d’Analyse Economique (CAE). Ingénieur général des Ponts et Chaussées, il est ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1973), docteur de troisième cycle en mathématique de la décision (1978, Paris IX) et docteur en économie (1981, MIT). Il a enseigné à l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées (1981-1984) et au MIT (1984-1991), et a été enseignant invité dans de nombreuses universités. Il a publié plus de 200 articles dans les revues internationales ainsi que 11 livres dont Game Theory (avec Drew Fudenberg), A Theory of Incentives in Regulation and Procurement (avec Jean-Jacques Laffont), The Prudential Regulation of Banks (avec Mathias Dewatripont), Competition in Telecommunications (avec Jean-Jacques Laffont), The Theory of Industrial Organization, The Theory of Corporate Finance, et Inside and Outside Liquidity (avec Bengt Holmström). Il travaille actuellement sur les liens entre économie et psychologie, sur la crise financière et la réglementation bancaire, ainsi que sur divers problèmes d’économie industrielle. Ancien Sloan fellow et Guggenheim fellow, il est Docteur Honoris Causa de l'Université Libre de Bruxelles, de l’Université de Londres (London Business School), de l’Université de Montréal (HEC), de l’Université de Mannheim, de l’Université d’Athènes, de l’Université de Rome 2 Tor Vergata, des universités Hitotsubashi (Tokyo) et Lausanne, de l'Institut Universitaire Européen de Florence et de l'Université Luis Guido Carli (Rome). En 1993, il a été élu membre étranger de l'American Academy of Arts and Sciences ainsi que de l'American Economic Association. Il a été président de l'Econometric Society en 1998 et de l’European Economic Association en 2001. Il reçut en 1993 le prix Yrjö Jahnsson de l'European Economic Association (décerné à partir de 1993 tous les deux ans au meilleur économiste européen de moins de 45 ans), et le distinguished-fellow prize de l'université de Munich en 1996. En 2007, il reçut la médaille d’or du CNRS, et est le seul économiste avec Maurice Allais à avoir eu cet honneur. En 2008, il fut le premier récipiendaire du BBVA Frontiers of Knowledge Award dans la catégorie économie, management et finance. Il reçut en 2010 le prix Claude Lévi-Strauss, ainsi que le prix en finance décerné conjointement par l’institut de mathématiques de Berkeley (MSRI) et le Chicago Mercantile Exchange, et en 2013 le Ross Prize. En 2014, il a reçu le Nemmers Prize et le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel. 7
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page8 Gouvernance mondiale de la lutte contre le réchauffement climatique Christian Gollier et Jean Tirole* Toulouse School of Economics et Institute for Advanced Study in Toulouse (IAST) 16 octobre 2015 Résumé En matière de négociation sur le climat, le phénomène du passager clandestin, qui résulte de l'absence de cadre réglementaire commun, est aggravé par les préoccupations concernant les fuites de carbone et la volonté d'obtenir des compensations lors de négociations futures. Les négociations actuelles fondées sur des “contributions volontaires” (INDC) permettent de faire des promesses séduisantes et de crier victoire alors qu'en réalité elles servent surtout à pérenniser l'attentisme de la communauté internationale. Le problème de passager clandestin ne pourra être résolu que par l'élaboration d'un système cohérent de tarification carbone. Nous proposons une feuille de route pour le processus de négociation internationale. Les négociateurs doivent revenir aux fondamentaux : le besoin d'un prix uniforme de carbone international, un mécanisme de mesure et de contrôle, et un système de gouvernance accepté par tous. Selon le principe de subsidiarité, chaque pays sera libre d'élaborer sa propre politique nationale de climat. Nous proposons un schéma d'application qui fait appel à des sanctions financières et commerciales pour inciter tous les pays à participer et à respecter les conditions de l'accord. Enfin, quel que soit le mécanisme économique choisi, tarification uniforme du carbone ou système de cap-and-trade, il y aura des arbitrages sur lesquels plusieurs points de vue raisonnables peuvent coexister. Nous expliquons les motifs pour lesquels nous donnons notre préférence à un accord international de type droits d’émission négociables (cap-and-trade). * Nous remercions François-Marie Bréon, Dominique Bureau, Bruno Bensasson, Frédéric Chevalier, Peter Cramton, Axel Ockenfels, Christian de Perthuis, Steven Stoft et Martin Weitzman pour leurs commentaires et regards critiques. Cet article constitue une version traduite de Gollier et Tirole (2015) publié par Economics of Energy & Environmental Policy. L’étude reflète les vues personnelles des auteurs et n’exprime pas nécessairement la position de l’AMF et du Laboratoire d’Excellence Louis Bachelier Finance et croissance durable. 8 LABEX LOUIS BACHELIER
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page9 We are faced now with the fact that tomorrow is today. ... Over the bleached bones and jumbled residues of numerous civilizations are written the pathetic words “Too late”. Aujourd'hui, nous nous trouvons en face d'une réalité : nous sommes déjà demain. … Au-dessus des ossements blanchis par le temps et des ruines de tant de civilisations on peut lire les mots "Trop Tard". Martin Luther King, 4 avril 1967, Riverside Church, New York City 1. Le changement climatique est un problème de Patrimoine Commun Avant de parler des institutions nécessaires pour combattre le changement climatique, permettez-nous de rappeler quelques évidences. 1.1. Arrêtons de temporiser En l'absence de mesures collectives et déterminées de la part de la communauté internationale, le changement climatique risque de compromettre de manière dramatique et pérenne le bien-être des générations à venir. Si les conséquences précises de notre inaction sont encore difficiles à quantifier, il est clair que maintenir le statu quo serait catastrophique. Le cinquième Rapport d'évaluation du GIEC (GIEC 2014) estime que la température moyenne augmentera entre 2,5°C et 7,8°C avant la fin du 21ème siècle, après avoir connu une augmentation de près de 1°C au cours du siècle dernier. Nos émissions de gaz à effet de serre (GES) n'ont jamais été aussi élevées. Limiter l'augmentation à 2°C représente donc un défi énorme, surtout dans un contexte mondial de croissance démographique où un nombre toujours plus important de pays accèdent à un niveau de vie occidental. Pour réussir, nous devrions transformer radicalement notre mode de consommation de l'énergie, la façon de nous chauffer, de concevoir et localiser nos logements, transporter les personnes, produire des biens et des services. Émissions anthropiques de CO2 : taux historiques et actuels Malgré l'émergence, depuis une trentaine d'années, d'un solide corpus d'informations scientifiques traitant de l'impact sur le climat de l'augmentation de concentration de CO2 dans l'atmosphère terrestre, les émissions de GES n'ont jamais été aussi élevées ; elles sont passées de 30 GtCO2eq/an en 1970 à 49 GtCO2eq/an en 2010. Selon le GIEC, environ la moitié du CO2 de sources anthro- pogéniques entre 1750 et 2010 a été émise durant les 40 dernières années, principalement à cause de la croissance démographique et l'absence d'actions en faveur de la lutte contre le changement climatique. 9
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page10 Figure 1 : Emissions de CO2 depuis 1750 CO2 Combustibles Fossiles, Ciment, Torchage et FOLU (Gt) Source : GIEC (2014) 1.2. Deux “bonnes” raisons pour l'inaction Les bénéfices liés à la mitigation climatique (atténuation du changement) en grande majorité sont globaux et lointains, tandis que les coûts de cette mitigation sont locaux et immédiats. L'inaction actuelle s'explique par ces aspects géographiques et temporels. Le changement climatique est un problème de Bien Commun. A long terme, la plupart des pays tireront un bénéfice net d'une réduction massive des émissions globales de GES ; les incitations individuelles à cette réduction sont, cependant, négligeables. La majorité des bénéfices liés aux mesures de mitigation prises par un pays donné profite en réalité à d'autres pays. En gros, un pays donné supporte 100% du coût de sa poli- tique verte et reçoit disons 1% des bénéfices de cette politique si le pays en question représente 1% de la population mondiale et subit un risque moyen face aux dégâts potentiels liés au changement climatique. En plus, la majorité des bienfaits de cette politique ne bénéficie pas aux électeurs actuels mais plutôt aux générations futures. Par conséquence, les pays n'internalisent pas les bénéfices de leurs politiques de mitigation, et donc les taux d'émission restent élevés et le changement climatique s'accélère. Il est reconnu que le problème du passager clandestin (free rider) conduit à la “Tragédie des Biens Communs” (Hardin 1968), comme le démontre une multitude d'études de cas dans d'autres domaines. Par exemple, lorsque des éleveurs partagent une même parcelle de pâturage, cela mène habituellement au surpâturage ; en effet, chaque éleveur veut bénéficier individuellement d'une vache supplémentaire sans tenir compte du fait que ce bénéfice est compensé par une perte collatérale chez un autre éleveur dont le bétail aura moins d’herbe à brouter. De la même façon, chasseurs et pêcheurs n'internalisent pas le coût social de leurs prises. La surpêche et la chasse excessive ont contribué à l'extinction de nombreuses espèces depuis le Dodo, oiseau emblématique de l'Île Maurice, jusqu'à l'ours des Pyrénées et le bison des Grandes Plaines d'Amérique du Nord. Diamond (2005) démontre comment la déforestation de 10 LABEX LOUIS BACHELIER
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:36 Page11 l'Île de Pâques a entrainé l'effondrement de toute une civilisation. On trouve d'autres exemples de la Tragédie des Biens Communs dans le domaine de la pollution de l'eau et de l'air, des embouteillages, ou de la sécurité internationale. Ostrom (1990) a démontré comment des petites communautés stables sont capables, dans certaines conditions, de gérer leurs ressources locales communes sans tomber victime de cette tragédie, grâce à des mécanismes automatiques d'incitation et de sanction. Ces approches informelles pour limiter le problème de passager clandestin ne sont évidemment pas applicables au changement climatique, car dans ce cas les parties prenantes sont les 7 milliards d'habitants actuels de la planète ainsi que leur future descendance. Trouver une solution au problème des externalités mondiales est complexe, car il n'existe aucune autorité supranationale pour mettre en œuvre et faire respecter une approche classique d'internalisation des coûts telle que proposée par la théorie économique pour gérer ce bien commun, approche souvent mise en œuvre au niveau national.1 De surcroît, la présence de ce que l'on appelle des “fuites de carbone” peut décourager tout pays ou région qui contemplerait la mise en œuvre d'une stratégie d'atténuation unilatérale. Plus précisément, imposer des coûts supplémentaires aux industries nationales fortement émettrices de GES porte atteinte à leur compétitivité. Par conséquent, la production se déplace vers des pays moins responsables, ce qui mène de facto à une simple redistribution de production et de richesse sans bénéfice écologique notoire de cette politique unilatérale. D'une manière similaire, la réduction de la demande d'énergies fossiles de la part des pays vertueux tend à faire baisser les cours de ces énergies, ce qui à son tour entraîne une augmentation de la demande d'énergies fossiles et des émissions de GES de la part des pays non-vertueux. Le phénomène des fuites de carbone a également pour effet de réduire le bénéfice climatique net des efforts consentis par tout regroupement incomplet de pays vertueux. La version temporelle du phénomène des fuites carbone est le Paradoxe Vert, selon lequel une politique environnementale forte peut avoir comme impact paradoxal d'aggraver la situation - au moins dans le court terme. Par exemple, un engagement politique pour un avenir vert peut pousser les producteurs de pétrole à augmenter la production pour répondre à la demande courante des consommateurs. Dans la mesure où les technologies de séquestration du CO2 ne sont pas encore arrivées à maturité, les politiques d'atténuation constituent une menace pour la rente pétrolière, et nous devons nous attendre à une réaction de la part des détenteurs de cette rente. 1.3. Nous devons accepter que le coût de la mitigation climatique soit élevé à court terme La bonne nouvelle est qu'un accord international efficace sur le climat produira une plus-value sociale importante pour tous les habitants de la planète. L’économie politique du changement climatique est cependant défavorable : comme nous l’avons noté, les coûts liés à un tel accord sont immédiats alors que la majorité des avantages arriveront dans un avenir lointain, et bénéficieront à des individus qui ne sont pas encore nés et a fortiori ne sont pas des électeurs. En un mot, la mitigation climatique est un investissement à long terme. De nombreux militants et hommes politiques font 11
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:36 Page12 la promotion des politiques de mitigation comme source de “croissance économique”. Le fait qu'aucun pays (à l'exception de la Suède - qui a un prix du carbone très élevé, mais a construit des exemptions pour la production d’électricité et les achats industriels) ne fait, même vaguement, sa part, devrait en dire long : Pourquoi un pays renoncerait-il à la consommation de biens et loisirs pour se comporter de façon anti- écologique ? La situation est encore plus sombre pour des économies en crise ou en développement. En réalité, la lutte contre le changement climatique implique une réduction de la consommation à court terme en faveur des investissements verts qui porteront les fruits d'un environnement meilleur seulement dans un avenir lointain. Une telle politique concentre la croissance sur l'investissement au détriment de la consommation. Un système de tarification carbone, s’il est mis en place, incitera des ménages à investir dans des panneaux photovoltaïques ou à acheter des voitures électriques coûteuses – des choix qui à priori ne leur procurent pas d’augmentation de bien-être immédiate – au lieu de consacrer ces sommes à d'autres biens et services. Bien entendu, des pays peuvent bénéficier d'avantages connexes, ou “co-bénéfices”, à la mise en place d’une politique verte. Par exemple, des choix verts pourraient contribuer à réduire l'émission d'autres polluants (les centrales au charbon émettent à la fois du CO2 et du SO2, un polluant local) ; dans un esprit analogue, certains pays pourraient encourager leurs habitants à manger moins de viande rouge, non pas pour lutter contre le réchauffement climatique mais pour réduire la prévalence des maladies cardiovasculaires. Le fait de remplacer le lignite, un charbon sale, par le gaz et le pétrole en Occident après la Seconde Guerre Mondiale a constitué un progrès sanitaire et environnemental spectaculaire, par exemple en éliminant le smog londonien. Nous pourrions donc voir certaines mesures unilatérales prises par des pays soucieux de leur seul intérêt national (sans parler de l'avantage politique de mesures visant à apaiser l'opinion nationale et internationale). Mais ces mesures “zéro ambition” (pour reprendre une formule de Robert Stavins) seront largement insuffisantes pour générer les effets qui rendraient le réchauffement climatique gérable. Changement climatique et rente pétrolière Un des défis majeurs de la lutte contre de changement climatique vient de l'importante rente des énergies fossiles dont bénéficient les pays riches en ressources naturelles. Cette rente existe parce que les ressources non-renouvelables sont rares et parce que nous anticipons leur épuisement ou à tout le moins un coût marginal d'extraction progressivement plus élevé. La difficulté réside en ce que ces réserves sont énormes, comme le démontre la Figure 2. La quantité cumulée (bleu foncé) de gaz, charbon et pétrole consommée depuis le début de la Révolution Industrielle est en réalité faible comparée aux réserves actuelles prouvées de combustible fossile. Même si nous rajoutons au schéma une estimation pour la consommation d'énergies fossiles jusqu'à la fin du 21ème siècle (bleu clair) selon un scénario “statu quo”, nous terminerons le siècle avec une bonne partie de ces réserves encore intacte. Mais si, durant les 200 années à venir, nous brulons l'ensemble des réserves de combustibles fossiles de la planète, il en résultera une augmentation du taux de GES bien au- delà des limites acceptables, une situation dévastatrice pour la planète. Si à l'avenir la collectivité mondiale réussissait à mettre en place une politique climatique efficace et crédible, la rente des com- bustibles fossiles cesserait d'exister. Les conséquences stratégiques et politiques de cette dynamique expliquent en partie les difficultés rencontrées pour arriver à un accord avec des pays riches en hydrocarbures. 12 LABEX LOUIS BACHELIER
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:36 Page13 Figure 2 : Consommation historique et réserves actuelles prouvées de combustibles fossiles Réserves Carbone (Gt CO2) Source : IPCC (2014) D'une manière générale, la lutte contre le changement climatique induit des coûts collectifs à court terme, et crée ainsi des difficultés politiques pour des décideurs bienveillants favorables à un accord international ambitieux. Pour résumer, nos investissements dans un mode de vie responsable ne nous apportent pas davantage de bien-être en termes nets s’ils restent isolés. Même en supposant qu'il n'existe aucune fuite, ces investissements bénéficieront plutôt aux générations lointaines vivant pour la plupart dans d'autres pays que le nôtre. Ainsi, l'action est collectivement efficace mais l'inaction est individuellement optimale. 2. Pour un prix uniforme du carbone 2.1. Approche économique vs. Politique d'injonction et de contrôle Comme nous l'avons vu plus haut, le cœur du problème des externalités du change- ment climatique réside dans le fait que les acteurs économiques n'internalisent pas les dommages qu'ils causent à d'autres acteurs économiques lorsqu'ils émettent des GES. Pour intégrer le problème du passager clandestin, les économistes ont depuis longtemps proposé une approche qui consiste à encourager des acteurs écono- miques à internaliser les externalités négatives de leurs émissions de CO2 (le principe du “pollueur-payeur”). Pour ce faire, on fixe le prix du carbone à un niveau correspon- dant à la valeur actualisée du dommage marginal causé par l'émission, en obligeant tous les émetteurs à payer le prix ainsi fixé. Étant donné que toutes les molécules de CO2 produisent un même dommage marginal quel que soit l'identité de l'émetteur, la nature et la localisation de l'activité génératrice des émissions, le prix de toute tonne 13
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:36 Page14 de CO2 doit être le même. Imposer un prix du carbone uniforme à tous les agents éco- nomiques du monde entier garantirait la mise en œuvre de toutes les mesures de mitigation dont le coût est inférieur au prix du carbone. L'approche garantit également que la réduction des émissions nécessaire pour atteindre les objectifs globaux de CO2 atmosphérique soit réalisée au coût global minimum. Contrairement à l'approche éco- nomique, les politiques de régulation fondées sur la contrainte (d'injonction et de contrôle : “command and control”), c’est-à-dire les normes différenciées par source d'émission, les standards et normes technologiques2, les réductions de pollution uni- formes, les subventions/taxes qui ne sont pas une fonction du taux de pollution réelle, les normes différenciées par âge des équipements, la politique industrielle, etc. créent de fortes disparités du prix implicite du carbone pour les différents types d'émission. Il a été démontré empiriquement que les politiques d'injonction et contrôle augmentent considérablement le coût des politiques de l'environnement. Les pays occidentaux ont fait quelques tentatives pour réduire les émissions de GES, notamment en subventionnant directement des technologies vertes : tarifs élevés de rachat de l'électricité d'origine solaire et éolienne, systèmes de bonus-malus en faveur des voitures basses-émissions, subventions à l'industrie des biocarburants, etc. Pour chaque programme mis place, on peut estimer un prix implicite du carbone, c.-à-d. le coût social du programme par tonne de CO2 économisée. Dans le secteur de l'électricité, les estimations de l'OCDE vont de 0 € (voire moins) à 800 €. Dans le secteur du transport routier, le prix implicite du carbone peut atteindre 1000 €, en particulier pour des biocarburants. La très grande hétérogénéité des prix implicites du carbone utilisés dans les politiques publiques démontre clairement l'inefficacité de l'approche d'injonction et contrôle. De même, tout accord global sur le climat qui ne s'appliquerait pas à l'ensemble des régions du monde serait tout aussi inefficace, car le prix du carbone serait nul dans les pays non-signataires de l'accord. Si les économistes ont de bonnes raisons de se méfier des politiques d'injonction et contrôle, ils comprennent également que ces politiques représentent parfois une solution alternative (de second choix) lorsque des difficultés de mesure ou de collecte d'informations rendent l'approche économique trop complexe et/ou lorsque les consommateurs actualisent trop l’avenir. C'est la justification type par exemple de l'élaboration des standards d'isolation pour les logements. Dans la mesure du possible, cependant, il est préférable d'éviter l'approche d'injonction et contrôle. 2.2. Tarification du carbone et inégalités Les inégalités de revenu et de richesse sont souvent citées comme motif de rejet du système de prix uniforme du carbone. Les problèmes liés aux inégalités entre les différentes régions du monde sont omniprésents dans les études sur le changement climatique, comme le remarquent Posner et Weisbach (2010). D'une part, si les populations pauvres émettent proportionnellement plus de CO2, la tarification du carbone aggravera immédiatement les inégalités (Cremer et al 2003). Mais d'autre part, comme les populations pauvres seraient particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique, réduire les émissions de GES diminuera les inégalités dans l'avenir. Cependant, comme les marchés nationaux et internationaux de crédit sont imparfaits, les pays pauvres utilisent des taux d'actualisation très élevés, ce qui les 14 LABEX LOUIS BACHELIER
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:36 Page15 conduit à arbitrer en faveur du court-terme et de la survie immédiate au détriment du risque climatique à long terme. Cela veut dire que le prix du carbone serait plus bas dans ces pays, même en tenant compte des dommages futurs causés à d'autres pays. La réalité des inégalités internationales nous amène à poser la question du partage du fardeau climatique. Le principe de responsabilité commune mais différenciée, par exemple, est redistributif parce que les pays riches sont en général ceux qui ont historiquement le plus contribué à l'accumulation des GES dans l'atmosphère. Cette question est certes importante, mais on ne devrait certainement pas chercher la solution dans un abandon du principe du prix unique comme on l’a fait à l’occasion du Protocole de Kyoto en 1997. Les parties au Protocole de Kyoto dits Hors Annexe I n'ont aucune obligation aux termes du protocole et ne devaient subir aucune tarification du carbone ; ce qui a fait dérailler le processus de ratification du Protocole par le Sénat des États-Unis. Le mécanisme de développement propre (MDP) élaboré à Kyoto avait comme objectif de pallier au problème de couverture géographique imparfaite ; son succès a été limité et l'approche n'a pas été satisfaisante compte tenu d'un problème de fuite de carbone. Un exemple : si les pays de l'Annexe 1 payaient pour protéger la forêt d'un pays moins développé, cela augmentait le prix des biens qui auraient été produits grâce à la déforestation (viande, soja, huile de palme, bois) et encourageait d'autres pays à déboiser. Le principe de MDP a également un effet pervers : l'incitation à construire ou maintenir en vie des usines polluantes pour ensuite réclamer des crédits CO2 en échange de leur fermeture ou mise aux normes.3 La solution au problème des inégalités proposée par le Protocole de Kyoto était d'exonérer les pays Hors Annexe 1 des obligations de la tarification carbone. Mais, introduire des distorsions de prix pour réduire des inégalités constitue toujours une solution de second choix. Partout dans le monde, les politiques qui consistent à manipuler les prix agricoles pour soutenir les revenus des agriculteurs ont conduit à d’énormes surplus et un modèle de production notoirement inefficace qui ont écrasés les petits producteurs dans certains pays en développement. On court le même risque dans l'élaboration des politiques du climat si on laisse des objectifs de redistribution influencer la tarification et les signaux de prix donnés aux acteurs économiques. Au niveau national, on devrait recourir à l'impôt sur le revenu autant que possible pour redistribuer les revenus de manière transparente. Au niveau international, il est préférable d'organiser des transferts forfaitaires en faveur des pays pauvres, ce qui est possible si l'on passe par les revenus générés par la tarification carbone. Étant donné que nous émettons aujourd'hui environ 50 GtCO2 par an, un prix carbone de 30 $/tCO générerait une rente verte de $ 1.500 milliards par an, soit environ 2% du PIB mondial. 2.3. Comment construire les bons signaux de prix La plupart des investissements d'infrastructure et R&D visant à réduire les émissions de GES ont des caractéristiques communes : leur coût est irréversible et leur effet sur les taux d'émissions sont étalés sur une longue période. Les programmes de mise aux normes énergétiques des bâtiments résidentiels portent effet pendant des décennies ; des centrales hydroélectriques durent des siècles. Dans ces secteurs, ce qui déclenche la décision d'investir n'est pas le prix actuel du CO2 mais plutôt une 15
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:36 Page16 anticipation de prix plus élevés du CO2 à l'avenir. Le bon signal de prix est donc donné par une prévision plausible de l'évolution du prix du carbone. Deux facteurs plaident en faveur d'un prix du carbone qui augmente avec le temps. Premièrement, parce que la courbe de dommages climatiques croît de façon convexe avec la concentration de GES, les dommages climatiques marginaux augmenteront à l’avenir du fait de notre incapacité à stabiliser la concentration atmosphérique de CO2. Ensuite, si nous fixons un plafond absolu de concentration des GES, le calcul pour déterminer l'évolution du prix optimal du carbone compte tenu de cette borne supérieure est équivalent à un problème d'extraction optimale d'une ressource non-renouvelable. Selon la Règle d'Hotelling, le prix du carbone devrait donc progresser à un taux analogue à celui du rendement d'un investissement sans risque (Chakravorty et al 2006). Toute politique du climat devra donc intégrer des questions d'engagement et crédibilité liées à l'élaboration d'une tarification carbone à long terme. C'est un défi particulièrement difficile à relever compte tenu des incertitudes qui touchent à la fonction de dommages climatiques, aux objectifs globaux de concentration de GES atmosphérique et à la vitesse à laquelle la R&D verte développera des technologies énergétiques bas- carbone matures. Nous en parlerons plus en détail dans les sections 5.3 et 5.4. Depuis environ 20 ans, les pouvoirs publics mandatent des commissions visant à estimer le coût social du carbone (CSC). En France, la Commission Quinet (Quinet 2009) a appliqué un taux d'actualisation de 4% et a recommandé un prix du carbone (par tCO2) partant de 32€ en 2010, progressant jusqu'à 100€ en 2030 pour arriver à une fourchette entre 150 € et 350 € en 2050. Aux États-Unis, l’US Interagency Working Group (2013) a proposé trois estimations différentes en fonction de trois taux d'actualisation possibles (2,5%, 3% et 5%). En prenant un taux d'actualisation réel de 3%, ils ont estimé un CSC partant de $32 en 2010, pour atteindre $52 en 2030 et $71 en 2050. Le Coût Social du Carbone Bien que le 5ème rapport du GIEC (GIEC 2014) en parle peu, il existe aujourd'hui une littérature abon- dante à propos du coût social du carbone. Pour envoyer le bon signal aux acteurs économiques, le prix du carbone doit être égal à la valeur actuelle des dommages marginaux générés par l’émission d'une tonne de CO2 marginale. Estimer le CSC est un exercice complexe car les dommages clima- tiques sont incertains et ne se concrétiseront que dans un avenir éloigné. Le choix du taux d'actu- alisation met en jeu des hypothèses de risque et de durée. Si on estime que les dommages climatiques futurs sont statistiquement indépendants de la croissance du PIB mondial, on doit utiliser un taux réel d'actualisation relativement bas, disons 1%, pour calculer la valeur actuelle de ces dom- mages (Weitzman 1998 et 2001, Gollier 2012). Cependant, la plupart des modèles standards d'éval- uation intégrée, comme le modèle DICE de Nordhaus, sont construits sur le principe que les dommages climatiques sont positivement corrélés à la croissance de la consommation (Dietz et al 2015). A titre d'exemple, Nordhaus (2011) se base sur les résultats des simulations du modèle RICE- 2011 par la méthode de Monte-Carlo intégrant 16 variables d'incertitude estimées pour conclure : “les scénarios où le réchauffement climatique est particulièrement élevé sont ceux dans lesquels la richesse future est également en moyenne plus élevée.” Dans des termes habituellement utilisés pour la théorie financière, ceci implique que le beta des investissements verts est positif et que le taux d'actualisation à appliquer est plus proche du taux moyen de rendement sur actions que du taux sans risque (Gollier 2014). 16 LABEX LOUIS BACHELIER
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:36 Page17 Pour illustrer l'incertitude qui pèse sur l'évaluation du CSC, nous reproduisons en Figure 3 l'analyse de Nordhaus (2011). Il s'est servi de son modèle d'évaluation intégrée RICE en incluant des paramètres dont nous ne connaissons pas la valeur exacte, tels que le taux futur de croissance économique et la sensibilité du climat aux variations de concentration de GES dans l’atmosphère. La Figure 3 représente la fonction de densité statistique du CSC 2015, exprimé en dollars par tonne de carbone. Notez qu’une tonne de carbone génère 3,7 tonnes de CO2, ainsi, l'estimation de Nordhaus du CSC moyenne à 44 $/tC correspond à 12 $/tCO2, soit une valeur considérée comme basse comparée aux estimations couramment citées. Figure 3 : Coût social du carbone (en $/tC) - Distribution et densité Source : Nordhaus (2011) 2.4. Deux instruments économiques possibles pour une tarification carbone cohérente Les deux instruments économiques servant à élaborer un système efficace de lutte contre le changement climatique impliquent respectivement une tarification carbone et un mécanisme de droits d’émission négociables (cap-and-trade : plafonnement et échange)4. Les deux stratégies admettent la subsidiarité des politiques climatiques au niveau de chaque pays. Pour fonctionner, toutes deux dépendent d'un accord international avec une couverture suffisante des émissions globales, et donc d'une approche “I will if you will” (je le ferai si vous le faites). Les deux nécessitent des politiques de mise en œuvre, de contrôle et de vérification. En effet, la condition préalable à toute action efficace de mitigation climatique est bien la mise en place de mécanismes de mesure d'émissions crédibles et transparents. • Tarification carbone Dans la première stratégie, celle d'une tarification carbone, tous les pays se mettraient d'accord sur un prix moyen minimum pour les émissions de GES, et chaque pays col- lecterait les sommes correspondantes sur son territoire. Tous les pays auraient donc un même prix pour des émissions de GES5. Le prix carbone serait le ratio des recettes 17
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