OPINIONS - Louis Bachelier

La page est créée Anthony Guillou
 
CONTINUER À LIRE
OPINIONS - Louis Bachelier
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page1

                  OPINIONS
                  & D É B AT S
                                                                      Numéro Spécial - Octobre 2015

                  Gouvernance mondiale de la lutte contre
                  le réchauffement climatique
                  The Negotiating effective institutions
                  against climate change

                       Christian Gollier & Jean Tirole
OPINIONS - Louis Bachelier
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page2

           SOMMAIRE                                                       CONTENTS

                            Résumé                                                                                     8

                      I.    Le changement climatique est un problème de Patrimoine Commun                              9
                      1.1 Arrêtons de temporiser                                                                       9
                      1.2 Deux “bonnes” raisons pour l’inaction                                                        10
                      1.3 Nous devons accepter que le coût de la mitigation climatique
                          soit élevé à court terme                                                                     11

                      II.   Pour un prix uniforme du carbone                                                           13
                      2.1   Approche économique vs. Politique d'injonction et de contrôle                    13
                      2.2   Tarification du carbone et inégalités                                            14
                      2.3   Comment construire les bons signaux de prix                                      15
                      2.4   Deux instruments économiques possibles pour une tarification carbone cohérente 17
                      2.5   Des tentatives avortées ou insatisfaisantes pour favoriser l'approche économique 18

                      III. Un système d'engagements volontaires :
                           un attentisme stratégique dans les négociations internationales actuelles                   21

                      IV. Comment négocier un ratio prix/quantité et des transferts                                    23
                      4.1 Négociation unidimensionnelle : prix uniforme du carbone
                          ou objectif global d'émissions                                                               23
                      4.2 Simplifier la négociation de compensation à n-dimensions
                          (Fonds Vert ou allocation de permis gratuits)                                                26

                      V.    Prix vs. quantités                                                                         29
                      5.1 Comment assurer l'application d'un accord sur le climat                                      30
                      5.2 Volatilité des prix dans un schéma de tarification carbone
                          et un schéma de cap-and-trade                                                                32
                      5.3 L'incohérence temporelle des politiques de tarification carbone
                          et de cap-and-trade                                                                          33

                      VI. Crédibilité de l’accord international stable :
                          coopération internationale par la politique de la carotte et du bâton                        34

                      VII. Remettre les négociations sur la bonne voie                                                 35

                      BIOGRAPHIE                                                                                        6
                      NOTES                                                                                            38
                      BIBLIOGRAPHIE                                                                                    70

      Opinions & Débats N°Spécial - Octobre 2015
      Publication de l'Institut Louis Bachelier
      Palais Brongniart - 28 place de la Bourse 75002 Paris 䉬 Tél. : 01 73 01 93 40 䉬 www.institutlouisbachelier.org
      http://www.labexlouisbachelier.org
      DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : Jean-Michel Beacco 䉬 CHEF DE PROJETS : Cyril Armange
      CONTACT : cyril.armange@institutlouisbachelier.org
      CONCEPTION GRAPHIQUE : Vega Conseil 01 48 85 92 01
OPINIONS - Louis Bachelier
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page3

                       Abstract                                                                                                      45

                 I.    Climate change is a global commons problem                                                                    46
                 1.1 We must put an end to the waiting game                                                                          46
                 1.2 Two “good” reasons for inaction                                                                                 47
                 1.3 We must accept the fact that climate mitigation is costly in the short run                                      48

                 II.   A uniform carbon price is necessary                                                                           50
                 2.1   Economic approach vs. command-and-control                                                                     50
                 2.2   Carbon pricing and inequality                                                                                 51
                 2.3   Computing the right price signals                                                                             51
                 2.4   Two economic instruments for price coherence                                                                  53
                 2.5   Failed or unsatisfactory attempts at pushing the economic approach                                            54

                 III. Pledge and review: The waiting game in the current international
                      negotiation                                                                                                    56

                 IV. Negotiating a price/quantity and negotiating transfers                                                          58
                 4.1 The one-dimensional negotiation: uniform carbon price
                     or a global emission target                                                                                     58
                 4.2 Simplifying the compensation n-dimensional negotiation
                     (Green Fund or allocation of permits)                                                                           60

                 V.    Price vs. quantity                                                                                            63
                 5.1 The enforceability problem                                                                                      64
                 5.2 Price volatility under a carbon price and under cap-and-trade                                                   66
                 5.3 The potential time inconsistency of carbon price and cap-and-trade policies                                     66

                 VI. Enforcing a stable international agreement:
                     The carrot-and-stick approach to promote international cooperation                                              67

                 VII. Putting the negotiation back on track                                                                          68

                 BIOGRAPHY                                                                                                           42
                 NOTES                                                                                                               70
                 BIBLIOGRAPHY                                                                                                        73

                                                                                                             OPINIONS
                                                                                                             & D É B AT S
                                                                                                                                                Numéro Spécial - Octobre 2015

                 Les articles publiés dans la série “Opinions & Débats” offrent aux spécialistes, aux
                 universitaires et aux décideurs économiques un accès aux travaux de recherche les plus
                                                                                                             Gouvernance mondiale de la lutte contre
                 récents. Ils abordent les principales questions d’actualité économique et financière et      le réchauffement climatique
                                                                                                             The Negotiating effective institutions

                 fournissent des recommandations en termes de politiques publiques.                          against climate change

                                                                                                              Christian Gollier & Jean Tirole

                 The Opinion and Debates series sheds scientific light on current topics in economics and
                 finance. Bringing together several types of expertise (from mathematicians, statisticians,
                 economists, lawyers, etc.) this publication makes recommendations in the formulation and
                 implementation of public economic policy.
OPINIONS - Louis Bachelier
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page4

                                          EDITO

                                                                 Par Jean-Michel Beacco
                                                                 Directeur général de l'Institut Louis Bachelier

               Il est temps de prendre au sérieux la lutte contre le réchauffement climatique. Tel est le
               message qui sous-tend l’article que nous présentons dans ce numéro d’Opinions et Débats.
               Le rendez-vous de la COP 21 est proche, mais son manque d’ambition et d’engagement
               effraie chercheurs, climatologues et économistes. Après avoir relayé, en début d’année, les
               recommandations émises par la Chaire Economie du Climat en vue d’un accord efficace,
               notre publication se fait l’écho des voix de Christian Gollier et Jean Tirole. Ils s’attèlent à la
               difficile tâche d’essayer de sauver une conférence internationale qui semble prendre la voie
               d’une simple liste d’intentions.

               Un accord reposant sur la base d’engagements volontaires hétéroclites, difficilement
               mesurables et vérifiables, signerait l’échec de la lutte contre le réchauffement climatique.
               Cette dernière doit au contraire reposer sur une action unifiée de la part des Etats fondée sur
               un prix universel du carbone croissant dans le temps. Un constat qui soulève d’emblée
               certaines difficultés, car comment créer un système efficace, à la fois contraignant et juste
               pour toutes les nations ?

               Etant donné la direction prise par la COP 21, un progrès réel consisterait, en premier lieu, à
               adopter une posture commune et à décider d’une trajectoire d’action qui contraindrait les
               Etats à réduire progressivement leurs émissions de gaz à effet de serre. Ces actions doivent
               être coordonnées par un prix unique de la tonne de carbone – prix crédible, reflet des
               dommages environnementaux à venir. Ce prix pourrait par exemple émerger d’un marché
               mondial de permis d’émission négociables dont l’allocation initiale ferait l’objet d’une négo-
               ciation fondée sur le principe de responsabilité commune mais différenciée. Cependant, point
               d’efficacité sans sanctions, comme l’ont prouvé les précédentes tentatives dans ce domaine.
               Elles ont également démontré à quel point l’absence d’autorités de régulation compétentes
               pénalisait la lutte contre le réchauffement. Les auteurs proposent donc une solution commune
               à ces deux enjeux : imposer des sanctions financières en s’appuyant sur des institutions
               préexistantes et reconnues. Ainsi, l’OMC et le FMI feraient leur entrée dans le jeu, afin de
               mettre en place des systèmes de taxes aux frontières ou de pénalités venant s’ajouter aux
               dettes souveraines des Etats contrevenants. Une proposition qui a le mérite d’une certaine
               simplicité, comparativement à la création de nouvelles instances internationales. Une
               simplicité qui se traduirait par un gain de temps, car l’urgence est bel est bien là. Urgence de
               sauver une conférence internationale, urgence de freiner le réchauffement climatique et de
               mettre un terme à la tragédie des biens communs qui se joue à l’échelle de la planète.

   4   LABEX LOUIS BACHELIER
OPINIONS - Louis Bachelier
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page5

                 It is time to take the fight against global warming seriously. That is the message behind
                 the article that we are presenting in this issue of “Opinions & Débats”. The lack of
                 commitment and ambition that characterizes the upcoming COP 21 frightens scientists,
                 climatologists and economists. After having relayed the recommendations of the Climate
                 Economics Chair for an effective agreement earlier this year, our publication now echoes
                 the voices of Christian Gollier and Jean Tirole. They tackle the difficult task of attempting
                 to save an international conference that is taking the path of a simple list of intentions.

                 An agreement on the basis of heterogeneous voluntary commitments that are difficult to
                 measure and verify, would signal the failure of the fight against global warming. The latter
                 should instead depend on a unified action by States based on a universal carbon price
                 that increases over time. This observation immediately raises certain difficulties – that of
                 creating an effective system which is both binding and fair to all nations.

                 Given the direction taken by COP 21, real progress would be, first and foremost, to adopt
                 a common position and to decide a course of action that would force States to
                 progressively reduce their emissions of greenhouse gases. These actions should be
                 coordinated by a single price per ton of carbon – a credible price that would reflect future
                 environmental damage. The said price could emerge from a global market of tradable
                 emission permits whose initial allocation would be subject to negotiations based on the
                 principle of common but differentiated responsibility. However, there would be no
                 efficiency without sanctions, as demonstrated by earlier attempts in this area. They also
                 demonstrated how the lack of competent regulatory authorities weakened the fight against
                 global warming. The authors therefore propose a common solution to these two issues:
                 impose financial sanctions enforced by existing and recognized institutions. Accordingly,
                 the WTO and the IMF could join the game by setting up systems of border taxes or
                 penalties, added to the sovereign debts of delinquent States. This proposal would have
                 the merit of simplicity compared to the creation of new international bodies. Simplicity
                 would result in precious time saved in the face of urgency: the urgency of saving a vital
                 international conference, the urgency of curbing global warming and the urgency of ending
                 the “tragedy of the commons” that is occurring worldwide.

                                 Prochain Numéro Opinions & Débats / Next publication

                           Valorisation des investissements longs et développement durable
                        The Valuation of Long-Term Investments and Sustainable Development
                                                      Christian Gollier
                                                 Toulouse School of Economics

                                                                                                                5
OPINIONS - Louis Bachelier
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page6

        BIOGRAPHIE

                                                                                          Christian GOLLIER
                                                Christian Gollier est actuellement directeur général de la Tou-
                                                louse School of Economics (TSE). Par ailleurs, il est directeur de
                                                recherche à l'Institut d’Economie Industrielle (IDEI), et profes-
                                                seur d’économie à l’Université de Toulouse 1-Capitole. Il est
                                                également membre du conseil d'administration de l’entreprise
                                                d’assurance AG2R-La Mondiale.
                                                  Christian Gollier a publié plus d’une centaine d’articles dans
                                                  des revues scientifiques internationales. Il est également éditeur
                     associé, éditeur ou co-éditeur de revues scientifiques telles que Geneva Risk and
                     Insurance Review, Journal of Risk and Uncertainty, Journal of Risk and Insurance,
                     Management Science, Finance Research Letters et plus récemment Mathematics and
                     Financial Economics. Il a également publié 7 livres sur le risque dont The Economics of
                     Risk and Time (MIT Press), qui a remporté le “Paul A. Samuelson Award” (2001) ainsi
                     que le “Prix Risques-les Echos” (2002). En 2012, il a publié chez Pricenton University
                     Press un livre intitulé Pricing the Planet’s Future, qu’il a présenté au “6th Arrow Lecture”
                     à l’Université Columbia. Il publie aussi régulièrement des tribunes dans la presse écrite,
                     notamment dans Les Echos et Le Monde.
                     En complément à ses activités de chercheur internationalement reconnu, Christian Gollier
                     a une riche expérience de l'enseignement à travers le monde. Avant de rejoindre
                     l'Université de Toulouse, il a enseigné à l'Université de Louvain (Belgique), de Californie
                     à San Diego (USA), et de HEC (Paris). Il a également été professeur associé à l'Ecole
                     polytechnique, et chercheur invité à Duke, Harvard et MIT.
                     Il est titulaire d'un doctorat en économie, et d'une maîtrise en mathématiques appliquées
                     de l'Université de Louvain. Parmi les récompenses et distinctions qui lui ont été
                     décernées, on compte : Membre junior de l'Institut Universitaire de France, le prix Ernst
                     Meyer, le prix Royale Belge, Robert C. Witt Research Award, le Kulp-Wright Book Award,
                     et le ARIA Award pour le meilleur papier présenté au premier World Congress Risk and
                     Insurance (2005). Il a également été président de Risk Theory Society et de European
                     Group of Risk and Insurance Economists. Finalement, il est l'un des principaux auteurs
                     des 4e et 5e rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur le changement
                     climatique (IPCC, 2007 et 2013), qui a obtenu le Prix Nobel de la Paix en 2007. Il conseille
                     plusieurs gouvernements (France, UK, USA, Norvège) sur leur politique d’évaluation des
                     investissements publics.
                     Ses recherches s'étendent des domaines de l'économie de l'incertain à l'économie de
                     l'environnement en passant par la finance, la consommation, l'assurance et l'analyse des
                     coûts-bénéfices, avec un intérêt particulier pour les effets durables à long terme.

   6   LABEX LOUIS BACHELIER
OPINIONS - Louis Bachelier
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page7

                                                                                          Jean Tirole
                                            Jean Tirole est président de l’Ecole d’Economie de Toulouse
                                            (TSE), directeur scientifique de l'Institut d'Economie Industrielle
                                            (IDEI) à Toulouse, membre fondateur et président du comité
                                            exécutif de l’Institute for Advanced Study in Toulouse (IAST),
                                            professeur invité au MIT et directeur d'études cumulant à
                                            l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Il est égale-
                                            ment membre de l’Académie des Sciences Morales et
                                            Politiques (élu au fauteuil de Maurice Allais) et du Conseil
                                            d’Analyse Economique (CAE).
                  Ingénieur général des Ponts et Chaussées, il est ancien élève de l'Ecole polytechnique
                  (promotion 1973), docteur de troisième cycle en mathématique de la décision (1978,
                  Paris IX) et docteur en économie (1981, MIT). Il a enseigné à l'Ecole Nationale des Ponts
                  et Chaussées (1981-1984) et au MIT (1984-1991), et a été enseignant invité dans de
                  nombreuses universités.
                  Il a publié plus de 200 articles dans les revues internationales ainsi que 11 livres dont
                  Game Theory (avec Drew Fudenberg), A Theory of Incentives in Regulation and
                  Procurement (avec Jean-Jacques Laffont), The Prudential Regulation of Banks (avec
                  Mathias Dewatripont), Competition in Telecommunications (avec Jean-Jacques Laffont),
                  The Theory of Industrial Organization, The Theory of Corporate Finance, et Inside and
                  Outside Liquidity (avec Bengt Holmström). Il travaille actuellement sur les liens entre
                  économie et psychologie, sur la crise financière et la réglementation bancaire, ainsi que
                  sur divers problèmes d’économie industrielle.
                  Ancien Sloan fellow et Guggenheim fellow, il est Docteur Honoris Causa de l'Université
                  Libre de Bruxelles, de l’Université de Londres (London Business School), de l’Université
                  de Montréal (HEC), de l’Université de Mannheim, de l’Université d’Athènes, de l’Université
                  de Rome 2 Tor Vergata, des universités Hitotsubashi (Tokyo) et Lausanne, de l'Institut
                  Universitaire Européen de Florence et de l'Université Luis Guido Carli (Rome).
                  En 1993, il a été élu membre étranger de l'American Academy of Arts and Sciences ainsi
                  que de l'American Economic Association. Il a été président de l'Econometric Society en
                  1998 et de l’European Economic Association en 2001. Il reçut en 1993 le prix Yrjö
                  Jahnsson de l'European Economic Association (décerné à partir de 1993 tous les deux
                  ans au meilleur économiste européen de moins de 45 ans), et le distinguished-fellow
                  prize de l'université de Munich en 1996. En 2007, il reçut la médaille d’or du CNRS, et
                  est le seul économiste avec Maurice Allais à avoir eu cet honneur. En 2008, il fut le
                  premier récipiendaire du BBVA Frontiers of Knowledge Award dans la catégorie
                  économie, management et finance. Il reçut en 2010 le prix Claude Lévi-Strauss, ainsi
                  que le prix en finance décerné conjointement par l’institut de mathématiques de Berkeley
                  (MSRI) et le Chicago Mercantile Exchange, et en 2013 le Ross Prize. En 2014, il a reçu
                  le Nemmers Prize et le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en
                  mémoire d'Alfred Nobel.

                                                                                                                 7
OPINIONS - Louis Bachelier
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page8

            Gouvernance mondiale de la lutte contre le réchauffement climatique
                                               Christian Gollier et Jean Tirole*

                                                     Toulouse School of Economics
                                          et Institute for Advanced Study in Toulouse (IAST)
                                                             16 octobre 2015

                                                                  Résumé

                    En matière de négociation sur le climat, le phénomène du passager clandestin, qui
                    résulte de l'absence de cadre réglementaire commun, est aggravé par les préoccupations
                    concernant les fuites de carbone et la volonté d'obtenir des compensations lors de
                    négociations futures. Les négociations actuelles fondées sur des “contributions
                    volontaires” (INDC) permettent de faire des promesses séduisantes et de crier victoire
                    alors qu'en réalité elles servent surtout à pérenniser l'attentisme de la communauté
                    internationale. Le problème de passager clandestin ne pourra être résolu que par
                    l'élaboration d'un système cohérent de tarification carbone.

                    Nous proposons une feuille de route pour le processus de négociation internationale.
                    Les négociateurs doivent revenir aux fondamentaux : le besoin d'un prix uniforme
                    de carbone international, un mécanisme de mesure et de contrôle, et un système de
                    gouvernance accepté par tous. Selon le principe de subsidiarité, chaque pays sera
                    libre d'élaborer sa propre politique nationale de climat. Nous proposons un schéma
                    d'application qui fait appel à des sanctions financières et commerciales pour inciter
                    tous les pays à participer et à respecter les conditions de l'accord. Enfin, quel que
                    soit le mécanisme économique choisi, tarification uniforme du carbone ou système
                    de cap-and-trade, il y aura des arbitrages sur lesquels plusieurs points de vue
                    raisonnables peuvent coexister. Nous expliquons les motifs pour lesquels nous
                    donnons notre préférence à un accord international de type droits d’émission
                    négociables (cap-and-trade).

                    *
                        Nous remercions François-Marie Bréon, Dominique Bureau, Bruno Bensasson, Frédéric
                        Chevalier, Peter Cramton, Axel Ockenfels, Christian de Perthuis, Steven Stoft et Martin Weitzman
                        pour leurs commentaires et regards critiques. Cet article constitue une version traduite de
                        Gollier et Tirole (2015) publié par Economics of Energy & Environmental Policy.

                    L’étude reflète les vues personnelles des auteurs et n’exprime pas nécessairement la position de l’AMF et du
                    Laboratoire d’Excellence Louis Bachelier Finance et croissance durable.

   8   LABEX LOUIS BACHELIER
OPINIONS - Louis Bachelier
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page9

             We are faced now with the fact that tomorrow is today. ... Over the bleached bones and jumbled residues
             of numerous civilizations are written the pathetic words “Too late”.

             Aujourd'hui, nous nous trouvons en face d'une réalité : nous sommes déjà demain. … Au-dessus des
             ossements blanchis par le temps et des ruines de tant de civilisations on peut lire les mots "Trop Tard".
             Martin Luther King,
             4 avril 1967, Riverside Church, New York City

             1. Le changement climatique
                est un problème de Patrimoine
                Commun
             Avant de parler des institutions nécessaires pour combattre le changement climatique,
             permettez-nous de rappeler quelques évidences.

             1.1. Arrêtons de temporiser

             En l'absence de mesures collectives et déterminées de la part de la communauté
             internationale, le changement climatique risque de compromettre de manière dramatique
             et pérenne le bien-être des générations à venir. Si les conséquences précises de notre
             inaction sont encore difficiles à quantifier, il est clair que maintenir le statu quo serait
             catastrophique. Le cinquième Rapport d'évaluation du GIEC (GIEC 2014) estime que
             la température moyenne augmentera entre 2,5°C et 7,8°C avant la fin du 21ème siècle,
             après avoir connu une augmentation de près de 1°C au cours du siècle dernier. Nos
             émissions de gaz à effet de serre (GES) n'ont jamais été aussi élevées. Limiter
             l'augmentation à 2°C représente donc un défi énorme, surtout dans un contexte
             mondial de croissance démographique où un nombre toujours plus important de pays
             accèdent à un niveau de vie occidental. Pour réussir, nous devrions transformer
             radicalement notre mode de consommation de l'énergie, la façon de nous chauffer,
             de concevoir et localiser nos logements, transporter les personnes, produire des biens
             et des services.

              Émissions anthropiques de CO2 : taux historiques et actuels
             Malgré l'émergence, depuis une trentaine d'années, d'un solide corpus d'informations scientifiques
             traitant de l'impact sur le climat de l'augmentation de concentration de CO2 dans l'atmosphère
             terrestre, les émissions de GES n'ont jamais été aussi élevées ; elles sont passées de 30 GtCO2eq/an
             en 1970 à 49 GtCO2eq/an en 2010. Selon le GIEC, environ la moitié du CO2 de sources anthro-
             pogéniques entre 1750 et 2010 a été émise durant les 40 dernières années, principalement à cause
             de la croissance démographique et l'absence d'actions en faveur de la lutte contre le changement
             climatique.

                                                                                                                         9
OPINIONS - Louis Bachelier
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:35 Page10

       Figure 1 : Emissions de CO2 depuis 1750

                       CO2 Combustibles Fossiles, Ciment, Torchage et FOLU (Gt)

                                                                                             Source : GIEC (2014)

                               1.2. Deux “bonnes” raisons pour l'inaction

                               Les bénéfices liés à la mitigation climatique (atténuation du changement) en grande
                               majorité sont globaux et lointains, tandis que les coûts de cette mitigation sont locaux et
                               immédiats. L'inaction actuelle s'explique par ces aspects géographiques et temporels.

                               Le changement climatique est un problème de Bien Commun. A long terme, la plupart
                               des pays tireront un bénéfice net d'une réduction massive des émissions globales de
                               GES ; les incitations individuelles à cette réduction sont, cependant, négligeables. La
                               majorité des bénéfices liés aux mesures de mitigation prises par un pays donné profite
                               en réalité à d'autres pays. En gros, un pays donné supporte 100% du coût de sa poli-
                               tique verte et reçoit disons 1% des bénéfices de cette politique si le pays en question
                               représente 1% de la population mondiale et subit un risque moyen face aux dégâts
                               potentiels liés au changement climatique. En plus, la majorité des bienfaits de cette
                               politique ne bénéficie pas aux électeurs actuels mais plutôt aux générations futures.

                               Par conséquence, les pays n'internalisent pas les bénéfices de leurs politiques de
                               mitigation, et donc les taux d'émission restent élevés et le changement climatique
                               s'accélère. Il est reconnu que le problème du passager clandestin (free rider) conduit
                               à la “Tragédie des Biens Communs” (Hardin 1968), comme le démontre une multitude
                               d'études de cas dans d'autres domaines. Par exemple, lorsque des éleveurs partagent
                               une même parcelle de pâturage, cela mène habituellement au surpâturage ; en effet,
                               chaque éleveur veut bénéficier individuellement d'une vache supplémentaire sans tenir
                               compte du fait que ce bénéfice est compensé par une perte collatérale chez un autre
                               éleveur dont le bétail aura moins d’herbe à brouter. De la même façon, chasseurs et
                               pêcheurs n'internalisent pas le coût social de leurs prises. La surpêche et la chasse
                               excessive ont contribué à l'extinction de nombreuses espèces depuis le Dodo, oiseau
                               emblématique de l'Île Maurice, jusqu'à l'ours des Pyrénées et le bison des Grandes
                               Plaines d'Amérique du Nord. Diamond (2005) démontre comment la déforestation de

  10   LABEX LOUIS BACHELIER
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:36 Page11

             l'Île de Pâques a entrainé l'effondrement de toute une civilisation. On trouve d'autres
             exemples de la Tragédie des Biens Communs dans le domaine de la pollution de l'eau
             et de l'air, des embouteillages, ou de la sécurité internationale.

             Ostrom (1990) a démontré comment des petites communautés stables sont capables,
             dans certaines conditions, de gérer leurs ressources locales communes sans tomber
             victime de cette tragédie, grâce à des mécanismes automatiques d'incitation et de
             sanction. Ces approches informelles pour limiter le problème de passager clandestin
             ne sont évidemment pas applicables au changement climatique, car dans ce cas les
             parties prenantes sont les 7 milliards d'habitants actuels de la planète ainsi que leur
             future descendance. Trouver une solution au problème des externalités mondiales est
             complexe, car il n'existe aucune autorité supranationale pour mettre en œuvre et faire
             respecter une approche classique d'internalisation des coûts telle que proposée par
             la théorie économique pour gérer ce bien commun, approche souvent mise en œuvre
             au niveau national.1

             De surcroît, la présence de ce que l'on appelle des “fuites de carbone” peut décourager
             tout pays ou région qui contemplerait la mise en œuvre d'une stratégie d'atténuation
             unilatérale. Plus précisément, imposer des coûts supplémentaires aux industries
             nationales fortement émettrices de GES porte atteinte à leur compétitivité. Par
             conséquent, la production se déplace vers des pays moins responsables, ce qui mène
             de facto à une simple redistribution de production et de richesse sans bénéfice
             écologique notoire de cette politique unilatérale. D'une manière similaire, la réduction
             de la demande d'énergies fossiles de la part des pays vertueux tend à faire baisser
             les cours de ces énergies, ce qui à son tour entraîne une augmentation de la demande
             d'énergies fossiles et des émissions de GES de la part des pays non-vertueux. Le
             phénomène des fuites de carbone a également pour effet de réduire le bénéfice
             climatique net des efforts consentis par tout regroupement incomplet de pays
             vertueux. La version temporelle du phénomène des fuites carbone est le Paradoxe
             Vert, selon lequel une politique environnementale forte peut avoir comme impact
             paradoxal d'aggraver la situation - au moins dans le court terme. Par exemple, un
             engagement politique pour un avenir vert peut pousser les producteurs de pétrole à
             augmenter la production pour répondre à la demande courante des consommateurs.
             Dans la mesure où les technologies de séquestration du CO2 ne sont pas encore
             arrivées à maturité, les politiques d'atténuation constituent une menace pour la rente
             pétrolière, et nous devons nous attendre à une réaction de la part des détenteurs de
             cette rente.

             1.3. Nous devons accepter que le coût de la mitigation climatique
                  soit élevé à court terme

             La bonne nouvelle est qu'un accord international efficace sur le climat produira une
             plus-value sociale importante pour tous les habitants de la planète. L’économie
             politique du changement climatique est cependant défavorable : comme nous l’avons
             noté, les coûts liés à un tel accord sont immédiats alors que la majorité des avantages
             arriveront dans un avenir lointain, et bénéficieront à des individus qui ne sont pas
             encore nés et a fortiori ne sont pas des électeurs. En un mot, la mitigation climatique
             est un investissement à long terme. De nombreux militants et hommes politiques font

                                                                                                        11
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:36 Page12

                       la promotion des politiques de mitigation comme source de “croissance économique”.
                       Le fait qu'aucun pays (à l'exception de la Suède - qui a un prix du carbone très élevé,
                       mais a construit des exemptions pour la production d’électricité et les achats
                       industriels) ne fait, même vaguement, sa part, devrait en dire long : Pourquoi un pays
                       renoncerait-il à la consommation de biens et loisirs pour se comporter de façon anti-
                       écologique ? La situation est encore plus sombre pour des économies en crise ou en
                       développement. En réalité, la lutte contre le changement climatique implique une
                       réduction de la consommation à court terme en faveur des investissements verts qui
                       porteront les fruits d'un environnement meilleur seulement dans un avenir lointain. Une
                       telle politique concentre la croissance sur l'investissement au détriment de la
                       consommation. Un système de tarification carbone, s’il est mis en place, incitera des
                       ménages à investir dans des panneaux photovoltaïques ou à acheter des voitures
                       électriques coûteuses – des choix qui à priori ne leur procurent pas d’augmentation de
                       bien-être immédiate – au lieu de consacrer ces sommes à d'autres biens et services.

                       Bien entendu, des pays peuvent bénéficier d'avantages connexes, ou “co-bénéfices”,
                       à la mise en place d’une politique verte. Par exemple, des choix verts pourraient
                       contribuer à réduire l'émission d'autres polluants (les centrales au charbon émettent
                       à la fois du CO2 et du SO2, un polluant local) ; dans un esprit analogue, certains pays
                       pourraient encourager leurs habitants à manger moins de viande rouge, non pas pour
                       lutter contre le réchauffement climatique mais pour réduire la prévalence des maladies
                       cardiovasculaires. Le fait de remplacer le lignite, un charbon sale, par le gaz et le
                       pétrole en Occident après la Seconde Guerre Mondiale a constitué un progrès sanitaire
                       et environnemental spectaculaire, par exemple en éliminant le smog londonien.

                       Nous pourrions donc voir certaines mesures unilatérales prises par des pays soucieux
                       de leur seul intérêt national (sans parler de l'avantage politique de mesures visant à
                       apaiser l'opinion nationale et internationale). Mais ces mesures “zéro ambition” (pour
                       reprendre une formule de Robert Stavins) seront largement insuffisantes pour générer
                       les effets qui rendraient le réchauffement climatique gérable.

       Changement climatique et rente pétrolière
       Un des défis majeurs de la lutte contre de changement climatique vient de l'importante rente des
       énergies fossiles dont bénéficient les pays riches en ressources naturelles. Cette rente existe parce
       que les ressources non-renouvelables sont rares et parce que nous anticipons leur épuisement ou
       à tout le moins un coût marginal d'extraction progressivement plus élevé. La difficulté réside en ce
       que ces réserves sont énormes, comme le démontre la Figure 2. La quantité cumulée (bleu foncé)
       de gaz, charbon et pétrole consommée depuis le début de la Révolution Industrielle est en réalité
       faible comparée aux réserves actuelles prouvées de combustible fossile. Même si nous rajoutons
       au schéma une estimation pour la consommation d'énergies fossiles jusqu'à la fin du 21ème siècle
       (bleu clair) selon un scénario “statu quo”, nous terminerons le siècle avec une bonne partie de ces
       réserves encore intacte. Mais si, durant les 200 années à venir, nous brulons l'ensemble des réserves
       de combustibles fossiles de la planète, il en résultera une augmentation du taux de GES bien au-
       delà des limites acceptables, une situation dévastatrice pour la planète. Si à l'avenir la collectivité
       mondiale réussissait à mettre en place une politique climatique efficace et crédible, la rente des com-
       bustibles fossiles cesserait d'exister. Les conséquences stratégiques et politiques de cette
       dynamique expliquent en partie les difficultés rencontrées pour arriver à un accord avec des pays
       riches en hydrocarbures.

  12   LABEX LOUIS BACHELIER
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:36 Page13

             Figure 2 : Consommation historique et réserves actuelles prouvées de combustibles fossiles
                 Réserves Carbone (Gt CO2)

                                                                                  Source : IPCC (2014)

             D'une manière générale, la lutte contre le changement climatique induit des coûts
             collectifs à court terme, et crée ainsi des difficultés politiques pour des décideurs
             bienveillants favorables à un accord international ambitieux. Pour résumer, nos
             investissements dans un mode de vie responsable ne nous apportent pas davantage
             de bien-être en termes nets s’ils restent isolés. Même en supposant qu'il n'existe
             aucune fuite, ces investissements bénéficieront plutôt aux générations lointaines vivant
             pour la plupart dans d'autres pays que le nôtre. Ainsi, l'action est collectivement
             efficace mais l'inaction est individuellement optimale.

             2. Pour un prix uniforme du carbone
             2.1. Approche économique vs. Politique d'injonction et de contrôle

             Comme nous l'avons vu plus haut, le cœur du problème des externalités du change-
             ment climatique réside dans le fait que les acteurs économiques n'internalisent pas
             les dommages qu'ils causent à d'autres acteurs économiques lorsqu'ils émettent des
             GES. Pour intégrer le problème du passager clandestin, les économistes ont depuis
             longtemps proposé une approche qui consiste à encourager des acteurs écono-
             miques à internaliser les externalités négatives de leurs émissions de CO2 (le principe
             du “pollueur-payeur”). Pour ce faire, on fixe le prix du carbone à un niveau correspon-
             dant à la valeur actualisée du dommage marginal causé par l'émission, en obligeant
             tous les émetteurs à payer le prix ainsi fixé. Étant donné que toutes les molécules de
             CO2 produisent un même dommage marginal quel que soit l'identité de l'émetteur, la
             nature et la localisation de l'activité génératrice des émissions, le prix de toute tonne

                                                                                                          13
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:36 Page14

                       de CO2 doit être le même. Imposer un prix du carbone uniforme à tous les agents éco-
                       nomiques du monde entier garantirait la mise en œuvre de toutes les mesures de
                       mitigation dont le coût est inférieur au prix du carbone. L'approche garantit également
                       que la réduction des émissions nécessaire pour atteindre les objectifs globaux de CO2
                       atmosphérique soit réalisée au coût global minimum. Contrairement à l'approche éco-
                       nomique, les politiques de régulation fondées sur la contrainte (d'injonction et de
                       contrôle : “command and control”), c’est-à-dire les normes différenciées par source
                       d'émission, les standards et normes technologiques2, les réductions de pollution uni-
                       formes, les subventions/taxes qui ne sont pas une fonction du taux de pollution réelle,
                       les normes différenciées par âge des équipements, la politique industrielle, etc. créent
                       de fortes disparités du prix implicite du carbone pour les différents types d'émission.
                       Il a été démontré empiriquement que les politiques d'injonction et contrôle augmentent
                       considérablement le coût des politiques de l'environnement.

                       Les pays occidentaux ont fait quelques tentatives pour réduire les émissions de GES,
                       notamment en subventionnant directement des technologies vertes : tarifs élevés de
                       rachat de l'électricité d'origine solaire et éolienne, systèmes de bonus-malus en faveur
                       des voitures basses-émissions, subventions à l'industrie des biocarburants, etc. Pour
                       chaque programme mis place, on peut estimer un prix implicite du carbone, c.-à-d. le
                       coût social du programme par tonne de CO2 économisée. Dans le secteur de
                       l'électricité, les estimations de l'OCDE vont de 0 € (voire moins) à 800 €. Dans le
                       secteur du transport routier, le prix implicite du carbone peut atteindre 1000 €, en
                       particulier pour des biocarburants. La très grande hétérogénéité des prix implicites du
                       carbone utilisés dans les politiques publiques démontre clairement l'inefficacité de
                       l'approche d'injonction et contrôle. De même, tout accord global sur le climat qui ne
                       s'appliquerait pas à l'ensemble des régions du monde serait tout aussi inefficace, car
                       le prix du carbone serait nul dans les pays non-signataires de l'accord.

                       Si les économistes ont de bonnes raisons de se méfier des politiques d'injonction et
                       contrôle, ils comprennent également que ces politiques représentent parfois une
                       solution alternative (de second choix) lorsque des difficultés de mesure ou de collecte
                       d'informations rendent l'approche économique trop complexe et/ou lorsque les
                       consommateurs actualisent trop l’avenir. C'est la justification type par exemple de
                       l'élaboration des standards d'isolation pour les logements. Dans la mesure du
                       possible, cependant, il est préférable d'éviter l'approche d'injonction et contrôle.

                       2.2. Tarification du carbone et inégalités

                       Les inégalités de revenu et de richesse sont souvent citées comme motif de rejet du
                       système de prix uniforme du carbone. Les problèmes liés aux inégalités entre les
                       différentes régions du monde sont omniprésents dans les études sur le changement
                       climatique, comme le remarquent Posner et Weisbach (2010). D'une part, si les
                       populations pauvres émettent proportionnellement plus de CO2, la tarification du
                       carbone aggravera immédiatement les inégalités (Cremer et al 2003). Mais d'autre
                       part, comme les populations pauvres seraient particulièrement vulnérables aux effets
                       du changement climatique, réduire les émissions de GES diminuera les inégalités dans
                       l'avenir. Cependant, comme les marchés nationaux et internationaux de crédit sont
                       imparfaits, les pays pauvres utilisent des taux d'actualisation très élevés, ce qui les

  14   LABEX LOUIS BACHELIER
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:36 Page15

             conduit à arbitrer en faveur du court-terme et de la survie immédiate au détriment du
             risque climatique à long terme. Cela veut dire que le prix du carbone serait plus bas
             dans ces pays, même en tenant compte des dommages futurs causés à d'autres pays.

             La réalité des inégalités internationales nous amène à poser la question du partage
             du fardeau climatique. Le principe de responsabilité commune mais différenciée, par
             exemple, est redistributif parce que les pays riches sont en général ceux qui ont
             historiquement le plus contribué à l'accumulation des GES dans l'atmosphère. Cette
             question est certes importante, mais on ne devrait certainement pas chercher la
             solution dans un abandon du principe du prix unique comme on l’a fait à l’occasion
             du Protocole de Kyoto en 1997. Les parties au Protocole de Kyoto dits Hors Annexe I
             n'ont aucune obligation aux termes du protocole et ne devaient subir aucune
             tarification du carbone ; ce qui a fait dérailler le processus de ratification du Protocole
             par le Sénat des États-Unis. Le mécanisme de développement propre (MDP) élaboré
             à Kyoto avait comme objectif de pallier au problème de couverture géographique
             imparfaite ; son succès a été limité et l'approche n'a pas été satisfaisante compte tenu
             d'un problème de fuite de carbone. Un exemple : si les pays de l'Annexe 1 payaient
             pour protéger la forêt d'un pays moins développé, cela augmentait le prix des biens
             qui auraient été produits grâce à la déforestation (viande, soja, huile de palme, bois)
             et encourageait d'autres pays à déboiser. Le principe de MDP a également un effet
             pervers : l'incitation à construire ou maintenir en vie des usines polluantes pour ensuite
             réclamer des crédits CO2 en échange de leur fermeture ou mise aux normes.3

             La solution au problème des inégalités proposée par le Protocole de Kyoto était
             d'exonérer les pays Hors Annexe 1 des obligations de la tarification carbone. Mais,
             introduire des distorsions de prix pour réduire des inégalités constitue toujours une
             solution de second choix. Partout dans le monde, les politiques qui consistent à
             manipuler les prix agricoles pour soutenir les revenus des agriculteurs ont conduit à
             d’énormes surplus et un modèle de production notoirement inefficace qui ont écrasés
             les petits producteurs dans certains pays en développement. On court le même risque
             dans l'élaboration des politiques du climat si on laisse des objectifs de redistribution
             influencer la tarification et les signaux de prix donnés aux acteurs économiques. Au
             niveau national, on devrait recourir à l'impôt sur le revenu autant que possible pour
             redistribuer les revenus de manière transparente. Au niveau international, il est
             préférable d'organiser des transferts forfaitaires en faveur des pays pauvres, ce qui
             est possible si l'on passe par les revenus générés par la tarification carbone. Étant
             donné que nous émettons aujourd'hui environ 50 GtCO2 par an, un prix carbone de
             30 $/tCO générerait une rente verte de $ 1.500 milliards par an, soit environ 2% du
             PIB mondial.

             2.3. Comment construire les bons signaux de prix

             La plupart des investissements d'infrastructure et R&D visant à réduire les émissions
             de GES ont des caractéristiques communes : leur coût est irréversible et leur effet sur
             les taux d'émissions sont étalés sur une longue période. Les programmes de mise aux
             normes énergétiques des bâtiments résidentiels portent effet pendant des décennies ;
             des centrales hydroélectriques durent des siècles. Dans ces secteurs, ce qui
             déclenche la décision d'investir n'est pas le prix actuel du CO2 mais plutôt une

                                                                                                           15
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:36 Page16

               anticipation de prix plus élevés du CO2 à l'avenir. Le bon signal de prix est donc donné
               par une prévision plausible de l'évolution du prix du carbone. Deux facteurs plaident
               en faveur d'un prix du carbone qui augmente avec le temps. Premièrement, parce que
               la courbe de dommages climatiques croît de façon convexe avec la concentration de
               GES, les dommages climatiques marginaux augmenteront à l’avenir du fait de notre
               incapacité à stabiliser la concentration atmosphérique de CO2. Ensuite, si nous fixons
               un plafond absolu de concentration des GES, le calcul pour déterminer l'évolution du
               prix optimal du carbone compte tenu de cette borne supérieure est équivalent à un
               problème d'extraction optimale d'une ressource non-renouvelable. Selon la Règle
               d'Hotelling, le prix du carbone devrait donc progresser à un taux analogue à celui du
               rendement d'un investissement sans risque (Chakravorty et al 2006). Toute politique
               du climat devra donc intégrer des questions d'engagement et crédibilité liées à
               l'élaboration d'une tarification carbone à long terme. C'est un défi particulièrement
               difficile à relever compte tenu des incertitudes qui touchent à la fonction de dommages
               climatiques, aux objectifs globaux de concentration de GES atmosphérique et à la
               vitesse à laquelle la R&D verte développera des technologies énergétiques bas-
               carbone matures. Nous en parlerons plus en détail dans les sections 5.3 et 5.4.

               Depuis environ 20 ans, les pouvoirs publics mandatent des commissions visant à
               estimer le coût social du carbone (CSC). En France, la Commission Quinet (Quinet
               2009) a appliqué un taux d'actualisation de 4% et a recommandé un prix du carbone
               (par tCO2) partant de 32€ en 2010, progressant jusqu'à 100€ en 2030 pour arriver à
               une fourchette entre 150 € et 350 € en 2050. Aux États-Unis, l’US Interagency Working
               Group (2013) a proposé trois estimations différentes en fonction de trois taux
               d'actualisation possibles (2,5%, 3% et 5%). En prenant un taux d'actualisation réel
               de 3%, ils ont estimé un CSC partant de $32 en 2010, pour atteindre $52 en 2030 et
               $71 en 2050.

       Le Coût Social du Carbone
       Bien que le 5ème rapport du GIEC (GIEC 2014) en parle peu, il existe aujourd'hui une littérature abon-
       dante à propos du coût social du carbone. Pour envoyer le bon signal aux acteurs économiques, le
       prix du carbone doit être égal à la valeur actuelle des dommages marginaux générés par l’émission
       d'une tonne de CO2 marginale. Estimer le CSC est un exercice complexe car les dommages clima-
       tiques sont incertains et ne se concrétiseront que dans un avenir éloigné. Le choix du taux d'actu-
       alisation met en jeu des hypothèses de risque et de durée. Si on estime que les dommages
       climatiques futurs sont statistiquement indépendants de la croissance du PIB mondial, on doit utiliser
       un taux réel d'actualisation relativement bas, disons 1%, pour calculer la valeur actuelle de ces dom-
       mages (Weitzman 1998 et 2001, Gollier 2012). Cependant, la plupart des modèles standards d'éval-
       uation intégrée, comme le modèle DICE de Nordhaus, sont construits sur le principe que les
       dommages climatiques sont positivement corrélés à la croissance de la consommation (Dietz et al
       2015). A titre d'exemple, Nordhaus (2011) se base sur les résultats des simulations du modèle RICE-
       2011 par la méthode de Monte-Carlo intégrant 16 variables d'incertitude estimées pour conclure :
       “les scénarios où le réchauffement climatique est particulièrement élevé sont ceux dans lesquels la
       richesse future est également en moyenne plus élevée.” Dans des termes habituellement utilisés
       pour la théorie financière, ceci implique que le beta des investissements verts est positif et que le
       taux d'actualisation à appliquer est plus proche du taux moyen de rendement sur actions que du
       taux sans risque (Gollier 2014).

  16   LABEX LOUIS BACHELIER
OD CLIMAT Gollier-Tirole_OD Nouveau pages intérieures 22/10/15 13:36 Page17

             Pour illustrer l'incertitude qui pèse sur l'évaluation du CSC, nous reproduisons en Figure 3 l'analyse de
             Nordhaus (2011). Il s'est servi de son modèle d'évaluation intégrée RICE en incluant des paramètres
             dont nous ne connaissons pas la valeur exacte, tels que le taux futur de croissance économique et la
             sensibilité du climat aux variations de concentration de GES dans l’atmosphère. La Figure 3 représente
             la fonction de densité statistique du CSC 2015, exprimé en dollars par tonne de carbone. Notez qu’une
             tonne de carbone génère 3,7 tonnes de CO2, ainsi, l'estimation de Nordhaus du CSC moyenne à 44
             $/tC correspond à 12 $/tCO2, soit une valeur considérée comme basse comparée aux estimations
             couramment citées.

             Figure 3 : Coût social du carbone (en $/tC) - Distribution et densité

                                                                                  Source : Nordhaus (2011)

             2.4. Deux instruments économiques possibles pour une tarification
                  carbone cohérente

             Les deux instruments économiques servant à élaborer un système efficace de lutte
             contre le changement climatique impliquent respectivement une tarification carbone
             et un mécanisme de droits d’émission négociables (cap-and-trade : plafonnement
             et échange)4. Les deux stratégies admettent la subsidiarité des politiques climatiques
             au niveau de chaque pays. Pour fonctionner, toutes deux dépendent d'un accord
             international avec une couverture suffisante des émissions globales, et donc d'une
             approche “I will if you will” (je le ferai si vous le faites). Les deux nécessitent des politiques
             de mise en œuvre, de contrôle et de vérification. En effet, la condition préalable à toute
             action efficace de mitigation climatique est bien la mise en place de mécanismes de
             mesure d'émissions crédibles et transparents.

             • Tarification carbone
             Dans la première stratégie, celle d'une tarification carbone, tous les pays se mettraient
             d'accord sur un prix moyen minimum pour les émissions de GES, et chaque pays col-
             lecterait les sommes correspondantes sur son territoire. Tous les pays auraient donc
             un même prix pour des émissions de GES5. Le prix carbone serait le ratio des recettes

                                                                                                                         17
Vous pouvez aussi lire