PHILIPPE 1 ER D'ORLÉANS, Monsieur - Le Courrier Royal
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Couverture : S.A.R. Philippe 1er de France, Duc-Pair d’Orléans, dit Monsieur Christophe Frayssines de Montvalen OFFICIER DE LA COURONNE 87000 LIMOGES
Introduction Quand on se questionne sur les grandes familles de France, on ne peut échapper à celle qui est devenu aujourd’hui l’une des plus intéressantes de l’histoire de France, celle d’Orléans. Famille ducale, puis royale par le jeu du hasard politique, elle exprime un sentiment d’attachement car elle incarne la vie moderne des familles de notre époque. L’actuelle Maison Royale de France, dynastie capétienne dont la filiation remonte à 852, souveraine depuis 987, est actuellement la branche de Bourbon-Orléans, issus du second fils de Louis XIII1, Philippe 1er (1640-1701), Monsieur, frère puîné de Louis XIV qui donna Philippe II d’Orléans (1674-1723), Régent de France de 1715 à 1723 pour la minorité de Louis XV. Le choix des prénoms des princes était important, surtout quand il s’agissait, comme ici, d’une branche dynastique encore récente. Louis XIII, ayant à baptiser deux garçons avait donné au premier son propre prénom (Louis) et choisi pour le second un autre prénom traditionnel de la famille, Philippe, qui n’avait pas été porté par un roi de France depuis trois siècles. Le sort voudra que plus aucun souverain français ne soit ainsi nommé et que ce prénom devienne un apanage de la branche cadette des Orléans. A ce prénom était jointe l’appellation de duc d’Anjou. Je dis bien « appellation » car les titres, dans la famille royale, n’étaient ni héréditaires ni gagés sur une terre et ne servaient que de dénomination commode à des princes dont la naissance seule marquait le rang. La doctrine qui présidait à ces attributions de titres par le Roi n’était pas rigoureuse, et les cadets de la Maison de France, au cours des siècles, avaient porté bien des appellations, le jeu des naissances, des décès et des descendances venant à tout moment modifier l’ordre des préséances. Pourtant, à plusieurs reprises, ce créa une tradition, les rois avaient conféré à leur second fils le titre de duc d’Orléans, ville qui avait été longtemps la seconde de l’exigu domaine royale des premiers Capétiens. Cela explique pourquoi l’actuelle famille d’Orléans est la quatrième famille à porter ce nom, les trois autres, également capétiennes, étant toutes éteintes. Monsieur, fils puiné de Louis XIII et frère du Grand Soleil Louis XIV, était un homme complexe, à la personnalité délicate. Sa naissance privilégiée, dénaturée pourtant par la malchance en fit un personnage historique en perpétuelle conflit avec son époque. Conscient de sa lignée, il pérennisa sa filiation en fondant ce qui deviendra l’actuelle Maison de France. Homosexuel notoire non refoulé et assumé, il était cependant doué pour la guerre, ce que son frère Louis XIV lui refusera de reconnaître, surement par jalousie, assurément pour éviter de lui faire de l’ombre. Sa vie sentimentale, riche en rebondissements nous amène à mieux déchiffrer Philippe 1er d’Orléans, surtout grâce au témoignage de sa seconde épouse, la Palatine. Voici un modeste portrait de ce grand prince. 1 Louis XIII de Bourbon-Vendôme (1601-1643), Dauphin de France (), puis Roi de France et de Navarre (1610).
S.A. le Prince Philippe 1er de FRANCE, Fils de France et Duc d’Anjou (de sa naissance jusqu’en 1668), Monseigneur le Duc d’Anjou ; Monsieur le 14 mai 1643 ; 1er Duc d’Orléans, de Chartres et de Valois, Seigneur de Montargis et Pair de France le 10 mai 1661 (apanages reçu de son oncle, S.A.R. le Prince Gaston de France (1608-1660), fils de France, Duc d’Orléans, de la 3ème Maison) ; 1er Duc de Nemours et Pair de France, 1er Marquis de Coucy, de Folembray et de Mézières, 1er Comte de Dourdan et de Romorantin, 1er Baron de Combrailles le 3 septembre 1672 (concessions de Louis XIV, son frère) ; 1er Prince de Joinville et de La Roche-Sur- Yon, 1er Duc de Châtellerault, de Saint-Fargeau, de Beaupréau et Pair de France, 1er Marquis de Mézières, 1er Comte de Mortain et de Bar-sur- Seine, 1er Vicomte d’Auge et de Domfront, et 1er Baron de Beaujolais le 26 mai 16932 ; 8ém Duc de Montpensier et Pair de France le 20 avril 1695 (officiellement à titre héréditaire par lettres patentes), Duc de Montpensier. –- Né le 21 septembre 1640 au Vieux Château de Saint-Germain-en-Laye. –- Parrain : S.A.R. le Prince Gaston Jean-Baptiste de France (1608-1660), Fils de France et Duc d’Orléans (son oncle paternel) ; Marraine : ladite, S.M. Henriette-Marie de France (1609-1669), Fille de France, depuis Reine consort douairière d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande (sa tante paternelle). –- Décédé le 9 juin 1701 au Château de Saint-Cloud ; Inhumé le 23 juillet en l’église de l’Abbaye Royale de Saint-Denis (son cœur fut déposé dans la chapelle Sainte-Anne de l'église royale de l'abbaye du Val- de-Grâce et ses entrailles déposées dans l'église de Saint-Cloud). –- Fils cadet de S.M.T.C. Louis XIII de Bourbon (1601-1643), Roi de France et de Navarre, et de S.A.R. la Princesse Anne de Habsbourg (1601-1666), Archiduchesse d’Autriche, Infante d’Espagne, de Portugal et des Algarves, Princesse des Pays-Bas et de Bourgogne ; Frère de S.M.T.C. Louis XIV de Bourbon (1638-1715), Roi de France et de Navarre. Par testament du 27 février 1685 de S.A.R. la Princesse Anne Marie Louise d’Orléans (1627-1693), Petite-Fille de France, Duchesse 2) de Montpensier et Pair de France, dite la Grande Mademoiselle (fille de Gaston d’Orléans, second fils d’Henri IV et frère de Louis XIII). Cette dernière avait disposé de ses biens en faveur de son cousin germain Philippe de France (1640-1701), Monsieur, frère du Roi, qu’elle avait désigné son héritier universel et qui hérita alors des principautés de Joinville, du Luc et de La Roche-sur-Yon, des duché de Montpensier, de Châtellerault et de Saint-Fargeau, du marquisat de Mézières, des comtés de Mortain et de Bar-sur- Seine, des vicomtés d’Auge et de Domfront, de la baronnie de Beaujolais, des seigneuries d’Argenton et de Berry, du Dauphiné d’Auvergne et du Sénéchalat Héréditaire de Champagne, et de nombreuses autres rentes. Monsieur est la tige de la Quatrième Maison d’Orléans, devenue Maison Royale de France en 1883.
– Neveu de S.A.R. le Prince Gaston de France (1608-1660), Fils de France, Duc d’Orléans, et de S.A.S. le Prince Henri de Bourbon (1601-1682), Duc de Verneuil ; Cousin germain de S.A.R. la Princesse Anne Marie Louise d’Orléans (1627-1693), Petite-Fille de France, Duchesse de Montpensier, de S.A.R. la Princesse Elisabeth d’Orléans (1646-1696), Petite-Fille de France, Duchesse d’Alençon et de Guise, de S.A.S. le Prince Louis de Bourbon-Vendôme (1612-1669), Duc de Vendôme et de Beaufort, de S.A.S. la Princesse Elisabeth de Bourbon-Vendôme (1614-1664), Duchesse de Nemours, du Prince Charles III de Lorraine-Guise (1620-1692), Duc d’Elbeuf, et de Louis-Charles Gaston de Nogaret de La Valette (1627- 1658), Duc de Candale, dit de Foix. – Comme frère puîné de son frère, lors du sacre de Louis XIV au trône français, Monsieur représenta l’avènement sous le nom du Duc de Bourgogne ; – Chevalier des Ordres du Roi (ordres de Saint-Michel et de Saint-Esprit) le 8 juin 1654 ; – Chevalier de l’Ordre de la Toison d’Or en 1701 (Espagne). Blasonnements : d’azur à trois fleurs de lys d’or posée 2 & 1, à la bordure de gueules (en tant que Duc d’Anjou (de 1640 à 1661) ; Puis : d’azur à trois fleurs de lys d’or, posées 2 & 1, au lambel d’argent au trois pendants (Bourbon-Orléans) ; Ornements extérieurs : Manteau d’azur crépi d’or et doublé d’hermine maintenu par des cordes d’or finissants en pompons de même, le tout surmonté de la couronne des Princes du Sang de France & Pairs de France ; Colliers des Ordres du Roi (Saint-Michel & Saint-Louis). Penchons-nous sur l’arbre généalogique ascendant de ce nouveau-né, fondateur et chef de la quatrième Maison d’Orléans et par qui divers sangs passeront par lui à la famille d’Orléans. Philipe de France : à gauche, en 1659 (16 ans), lors de l’attribution de l’insigne de commandement des armées du Roi ; A droite, en 1661 (18 ans), lors de l’attribution de la couronne ducal d’Orléans. Il était Bourbon, bien entendu, descendant de Saint Louis (1214-1270) à la fois par ses pères et par la Maison d’Alençon (Valois-Alençon). Par son arrière-grand-mère Jeanne III d’Albret (1528-1572), Reine de Navarre, il descendait aussi de la première Maison d’Orléans, et donc de Charles V de Valois (1403-
1461). Sa mère, Anne d’Autriche et sa grand-mère Marie de Médicis (1575-1642) lui avaient apporté, par cinq lignes différentes, le sang de Charles de Valois-Bourgogne (1433-1477), Duc de Bourgogne, dit Le Téméraires (un autre Valois issu de France). Mais on peut être frappé par la proportion importante, dans son ascendance, de sang allemand : cinq bisaïeuls sur huit, contre deux français et un italien. Il est à noter que ces Allemands eux-mêmes, comme pour toutes familles princières, étaient fortement mêlés d’autres races : on y découvre l’Aragon, la Castille et les Jagellon de Pologne. Enfin, le sang des Médicis apporta à l’hérédité de Philippe de France une composante non négligeable. La Régente et mère de Louis XIV (à gauche) et de Philippe de France, Duc d’Anjou (à droite), muni de l’insigne du cordon bleu de Saint-Louis. De son père, Philippe de France n’aura hérité ni le tempérament maladif ni la névrose : il ne lui prit que l’élégance de manières et peut-être une propension à des goûts particuliers que l’on retrouve chez les homosexuels. Ces goûts, avaient-ils été suscité et encouragés pour raison d’État ? Dès lors, la petite enfance de Philippe de France fut marquée par un goût manifeste pour la société des femmes, qu’il s’amusait dès qu’il le pouvait à habiller et à coiffer. Le Cardinal-Duc de Richelieu (1585-1642) mourut en décembre 1642, Louis XIII en mai 1643. Philippe de France avait été trop jeune pour en souffrir et même en comprendre la gravité car il n’avait que 2 ans, mais il eut probablement conscience du changement de décor : abandonnant le triste Palais du Louvre, la Régente Anne d’Autriche s’installa au Palais-Cardinal qui devint le Palais-Royal, à Paris. Cette
demeure, qui abritera six générations de princes d’Orléans, se transformera peu à peu sous l’impulsion de ses propriétaires. Lors de la Fronde des Princes mené par Louis II de Bourbon (1621-1686), Prince de Condé, Philippe de France, alors tout jeune Duc d’Anjou, donna le prétexte à sa mère de quitter la capitale pour Saint-Germain-en-Laye car il avait contracté la petite vérole ! Au milieu de cette alternance de guerre et de paix entre les grands de l’époque, les deux enfants royaux grandissaient. La majorité de Louis XIV avait été fixé en septembre 1651 (à 13 ans) et on s’efforçait de le préparer à son futur métier de roi. Et Philippe ? Il était l’héritier présomptif de la Couronne, et le demeura encore durant 6 ans. En 1643, lui conférait, par droit de naissance, le titre de Monsieur, porté depuis 1560 environ par le premier des frères du souverain. Dès lors et durant quarante années, cette appellation allait être pour Philippe 1er le symbole de sa prééminence sur tous les autres titres de la Cour Louis-quatorzienne, bien plus ronflants. Il est d’usage de souligner que les Ducs d’Orléans ne cessèrent d’éveiller, à tort ou à raison, la suspicion, sinon la crainte de la branche aînée des Bourbons. Et cela depuis les méfaits de Gaston de France (1608- 1660), Duc d’Orléans et Chef de la troisième Maison de Bourbon-Orléans, lui-même frère de Louis XIII, et supportant malaisément sa condition de cadet. Mais, eût-il été l’aîné qu’il eût conspiré contre lui-même ! Ce second fils d’Henri IV noua en effet de redoutables complots contre le Cardinal-Duc de Richelieu, principal Ministre de Louis XIII, puis contre le Cardinal Mazarin, ministre de la Régence d’Anne d’Autriche, mère du futur Louis XIV (neveu de Gaston d’Orléans). Mais ces complots dont l’objectif était de porter un coup à l’autorité du souverain, finissent par l’assigner à résidence dans le château de Blois. Gaston d’Orléans sacrifia sans hésiter ses complices, ses meilleurs amis pour obtenir son pardon. Ce n’était pourtant pas un lâche ! Il avait même prouvé son courage militaire en plusieurs circonstances, mais un machiavélisme quasi pathologique, un déloyalisme inhérent à sa nature, et finalement le manque de caractère vouaient par avance ses tentatives à Louis XIV et Philippe de France, frère, jamais rivaux. l’échec et supplantaient toujours ses rares qualités. Il finit par obtenir pour lui et sa famille des titres et des honneurs, garantissant ainsi pour le roi la paie du Royaume. Dès lors, dans la Maison Royale de France et chez les courtisans, le nom d’Orléans devint en quelque sorte synonyme de complot. Lorsque Gaston d’Orléans mourut en 1660, Louis XIV octroya le titre de duc d’Orléans à son frère puiné, Philippe de France. Il mit tout en œuvre pour affaiblir, voire pervertir ses vertus. Cette situation ne modifia pas le rang de Philippe de France, déjà second du Royaume. L’héritage de son oncle Gaston d’Orléans comportait également bien des titres et gouvernements enviables, que Philippe 1 er revendiqua. Louis XIV et son principal ministre Julio Mazarin (1602-1661) comprirent qu’il ne fallait plus maintenir dans le Royaume la création d’un État dans l’État, au souvenir de ce prince de France toujours impliqué dans la conspiration ; mais ils comprirent également que les titres et l’argent maintiendraient Philippe 1er dans une étroite dépendance. Par lettres patentes de mars 1661 de Louis XIV faisait enregistrer par le Parlement de Paris (10 mai), par la Chambre des Comptes (1 er juin), par la
Cour des Aides (18 juillet) et par la Chambre des Eaux et Forêts (9 août), l’attribution en apanage des duchés d’Orléans, de Chartres et de Valois « pour les tenir en pairie » et la seigneurie de Montargis à son frère, le Prince Philippe de France, Duc d’Anjou. Afin qu’il soit « un apanage convenable à la dignité de sa naissance et dont la grandeur et l’étendue soient plus conformes à l’affection du Roi qui désire ainsi lui donner moyen d’entretenir plus honorablement sa Maison selon la dignité du sang dont il est issu ». Ainsi, Philippe de France reçut-il l’apanage et l’appellation du duché d’Orléans, qui lui revenait de droit. Pour la sixième fois, ce titre fut conféré à un cadet de la famille royale et, pour la première fois, il devait durablement faire souche : durant près de deux siècles, la Maison d’Orléans jouera un rôle essentiel dans l’histoire du Royaume. Avec ce titre, Philippe 1er d’Orléans reçu le blason célèbre : de France (d’azur à trois fleurs de lys d’or posées 2 et 1), au lambel d’argent à trois pendants, que portera tout sons lignage. Philippe 1er se vit également attribuer les duchés de Chartres et de Valois et, dans ce dernier fief, le château de Villers-Cotterêts, un domaine construit par François 1er (1494-1547) au milieu de forêts accueillantes à la chasse, et qui fut l’une des principales résidences des Orléans. Monsieur reçu bien d’autres fiefs encore : les duchés de Nemours, Châtellerault, Saint- Fargeau et Beaupréau, et d’autres marquisats, comtés, baronnies et seigneuries. Philippe 1er d’Orléans possédait en propre le château de Saint-Cloud. En 1661, Philippe 1er avait 20 ans, de petite taille, juché sur des talons rouges, bouclé, pommadé, fardé, parait de diamants et de dentelles ou de velours, couvrit de rubans et de parfums. Déjà guettée par l’embonpoint, il manifesta une sorte de boulimie qu’il transmettra à plusieurs de ses descendants. Il avait du moral, mais d’une personnalité double : il pouvait être courageux ou veule, généreux ou sournois, élégant ou ridicule. Il léguera à tous ses descendants on goût du mécénat et des instincts de collectionneur. Premier parti de France, il aimait peu les femmes, mais pour raison d’État, Louis XIV le maria en 1661 à sa cousine, la Princesse Philippe 1er d’Orléans. Henriette d’Angleterre. C’est Anne de Gonzague-Clèves (1616-1684), Princesse Palatine de Bavière, qui poussa cette union permettant pour le même coup de servir le politique extérieur du Roi. Pour l’occasion, le Palais Royal, qui appartenait au souverain, fut assigné comme résidence au jeune couple, à l’exception de deux enclaves : la galerie des Illustres de Richelieu (affectée à l’Académie Royale de Peinture et Sculpture jusqu’en 1692), et le théâtre du cardinal (attribué à Jean- Baptiste Poquelin, dit Molière). La jeune duchesse, désormais troisième dame de France, tomba dans une Cour effrénée de licence, où l’adultère, la sodomie et le saphisme s’étalaient son complexe, accompagnée d’l’hypocrisie, de la calomnie et de toutes les vilenies morales qu’on imagine dans un milieu clos où la réussite était le seul but. La religion ne servant qu’à effacer les fautes au dernier moment, quand on l’appelait à temps. Dès lors, en avril 1661, Louis XIV, qui se morfondait à Fontainebleau auprès de la Reine Marie- Thérèse d’Autriche (1638-1683), enceinte, y appela les Orléans. Ce fut pour le souverain et Henriette d’Angleterre une vie inimitable, faite de jeux dans le parc, de bains dans les bassins, de promenades dans les bois. Furent-ils amants ? Qui les en eût empêchés ? Pourtant, Philippe 1er d’Orléans en fut ulcéré. Il enragea de sa situation fasse et de cette nouvelle humiliation. Monsieur, dès lors, utilisa le seul moyen qui lui restait, viril s’il en fut, car il savait, quand il le fallait, agir en homme : il fit valoir ses droits, ses devoirs, et rendit Henriette d’Angleterre enceinte. A ce rôle de représentation hautement symbolique, Philippe 1er, tout au long de sa vie, ne faillira pas, et y trouvera d’ailleurs l’avantage de la
répercussion des honneurs habituelle à toute société hiérarchisée. Il eut quatre enfants : Marie-Louise, Reine d’Espagne, Philippe Charles, Duc de Valois, mort à deux ans, une fille mort-née et enfin Anne Marie, Reine de Sardaigne. Au Palais Royal, Monsieur accumula des tableaux de maîtres. Ces activités lui servaient de diversion dans l’extraordinaire imbroglio d’intrigues entre le Roi, lui-même, Henriette d’Angleterre mais aussi Olympe Mancini (1637-1708), Comtesse de Soissons, Armand de Gramont (1637-1673), Comte de Guiche (fils du Maréchal de Gramont), ou encore François-René Crespin du Bec (1621-1688), Marquis de Vardes. Imbroglio qui occupa les années 1661 à 1665 et auquel se mêla parfois la politique extérieure. Au pire moment, le Roi, lassé de naviguer à vue dans cette eau infectée de requins, frappa le premier : Mme de Soisson et le Comte de Guiche furent exilés, le Marquis de Vardes emprisonné. Philippe 1er d’Orléans qui, en l’affaire, perdit deux de ses amis, ou du moins se disaient comme tel, n’eut pas la force de suivre le courant de ces intrigues de Cour. Le Chevalier de Lorraine et son protecteur, le Duc d’Orléans En janvier 1665, la Reine mère Anne d’Autriche meurt d’un cancer du sein. Philippe 1er, comme beaucoup d’invertis, fut passionnément attaché à sa mère, et sa peine avait été infiniment plus grande que celle du Roi son frère. Mais l’incorrigible Monsieur fut vite distrait de sa douleur par l’apparition de celui qu’on nommera bientôt « l’Archiminion ». Car Philippe 1er, homosexuel forcé à l’inaction, fut notoirement connu pour son libertinage ainsi que pour ses parures extravagantes et son train de vie dispendieux. Il aura plusieurs favoris dont le Marquis Alexis Henri de Châtillon (1653-1737), le Comte de Guiche, bien sûr, mais aussi et surtout durant trente ans, Philippe de Lorraine-Armagnac (1643-1702), plus connu sous le nom du Chevalier de Lorraine ; Cet « archiminion », d’une grande beauté, manipula Philippe 1er jusqu’à sa mort, logé au Palais Royal avec lui, et intriguant contre ses deux femmes (allant jusqu’à être soupçonné d’avoir fait empoisonner la première, Elisabeth d’Angleterre, ce qui lui valut un exil à Rome). Philippe 1er fut conquis pour longtemps par cet éphèbe un peu gras, personnage machiavélique sans scrupule, pétri de vices et d’une totale sécheresse de cœur. Ce dernier sut se faire aimer sans jamais commettre l’imprudence de feindre un quelconque sentiment. Le Chevalier de Lorraine provoqua également la colère de Louis XIV en « initiant » très jeune (1682) un de ses fils légitimé, Louis de Bourbon (1667-1683), Comte de Vermandois.
Madame avait bien eu besoin de chercher diversion dans les belles-lettres : entre les deux époux, l’atmosphère était devenue irrespirable. La Duchesse eut, en 1667, l’impudence d’accueillir à Saint- Cloud son demi-neveu, James Scott (1649-1685), 1er Duc de Monmouth, bâtard de Charles II d’Angleterre (1630-1685) et de sa maîtresse Lucy Walter (v.1630-1658). Elle s’empressa de coqueter avec ce beau prince, ce qui ranima la jalousie de Monsieur. En même temps, Louis XIV négociait avec Charles II par l’intermédiaire d’Henriette d’Angleterre, qui employa à son tour comme messager secret, en cachette de son époux, Daniel de Cosnac (1628-1708), Evêque d’Orléans, qui était venu en secret à Paris. Monsieur l’apprit par le Chevalier de Lorraine et donna ordre d’aller arrêter le prélat. Mais Cosnac n’eut que le temps de cacher les lettres de Madame sous son oreiller. Cet intriguant, se prétendant malade, demanda un lavement, se le fit administrer, se fit donner un bassin dans son lit, et réussit, presque sous les yeux des témoins présents, à placer les lettres de Madame au fond Philippe 1er de France, Duc d’Orléans, tenant le bâton de du récipient avant de les recouvrir… ! Commandement des Armées du Roi. En juin 1670, Philippe 1er d’Orléans accueilli le duc consort, de retour, avec une froideur extrême, et la confina au château de Saint-Cloud. Cinq jours plus tard, elle fut prise de vomissement et, le lendemain, expirait. Certes, Monsieur était influençable, frivole et prodigue. La Cour, aussi hypocrite qu’impitoyable, se gaussait de son physique qui devint par l’âge de plus en plus disgracieux, et de ses outrances vestimentaires. La Cour encore, s’indigna de ses excès et de sa passion pour le jeu. Elle afficha mépris et dédain à l’égard de son homosexualité et jugea scandaleuses les fêtes qu’il donnait en son château de Saint-Cloud. Pendant qu’elle faisait courir la rumeur que Monsieur aurait laissé empoisonner par ses favoris sa femme, Louis XIV sembla se réjouir de ces penchants qui assuraient la défaveur de son cadet et lui fournissaient autant d’occasion d’abaisser d’avantage un possible rival. Monsieur se montra pourtant toujours loyal et ne lui porta jamais ombrage. Malgré ses amours masculines, ce « vice ultramontain », le Duc d’Orléans fréquentait l’Église avec assiduité et se régalait de la dialectique fleurie des prédicateurs. L’indispensable Anne de Gonzague-Clèves alla faire le second mariage de Philippe 1er, comme le premier. Elle attira l’attention du Roi sur une de ses cousines, fille de l’Electeur Palatin, Princesse de 19 ans dont on ne connaissait guère que le prénom d’Élisabeth, Liselotte pour les intimes familiaux. Comme Henriette d’Angleterre, la Princesse Charlotte-Élizabeth de Bavière descendait des Stuart. Le mariage eu lieu en 1671, au bout d’une année de négociation. Aussi volumineuse et hommasse qu’il était efféminé et fluet, trois enfants naitront de cette étrange union.
Mais Philippe 1er d’Orléans brûlait d’être utile au Royaume, et d’acquérir de vrais mérites. Les sentiments qui l’animaient ne ressemblaient en rien à ceux du triste Gaston d’Orléans, son oncle. Louis XIV lui permis en 1671 de participer à une des dernières campagnes de la Guerre de Hollande : Monsieur se conduisit admirablement, et entra glorieusement à Zutphen. Ses soldats prétendirent qu’il craignait plus le hâle du soleil pour son teint que les balles des mousquets. En juin de la même année, Madame accoucha d’un fils, le Prince Alexandre-Louis. Dans cette nouvelle vie consacrée à l’amour de son mignon, à l’amitié de sa femme et à la gloire des armes, Monsieur crut le passé oublié et donna à nouveau à son aîné le titre de Duc de Valois, pour conjurer définitivement le mauvais sort. En vain : moins de trois ans plus tard, les médecins envoyèrent l’enfant au tombeau. Cependant, les efforts méritoires de Philippe 1er et les vertus des médailles avaient encore porté leurs fruits : en août 1674, au château de Saint-Cloud, Madame était délivrée d’un gros garçon. Le bébé s’accrocha à l’existence et reçu le même prénom que son père. A côté de la dynastie des Louis s’établirent celle des Philippe. Le Philippe 1er de France, vêtu des attributs des Princes de France (Fils de titre de Duc de Valois étant pris par France), Duc d’Orléans et Chevalier des Ordres du Roi. son frère, on lui conféra celui de Duc de Chartres, qui avait été porté par Gaston d’Orléans et faisait partie de l’apanage des Orléans. Par la mort de l’aîné, ce qui était hasard devint coutume. Le titre de Duc de Valois, frappé de malédiction, ne fut plus utilisé, et tous les aînés de la famille portèrent durant cent cinquante ans le titre de Duc de Chartres : c’était le delphinat des Orléans. Assuré d’une descendance, Monsieur avait atteint une sorte de point d’équilibre : il s’entoura toujours de mignons, entre lesquels il partageait ses faveurs, mais ne négligeait pas pour autant son épouse. En septembre 1676 naissait encore une fille, Mademoiselle de Chartres, qui fut nommé comme sa mère Élisabeth-Charlotte. Monsieur jugea son devoir accompli : cet homosexuel avait eu six enfants en deux mariages. Toujours courtois, il proposa à Madame de faire chambre à part. Cette dernière accepta la proposition. Louis XIV confia à son frère un autre commandement et Monsieur, contre toute attente, avait révélé ses qualités de stratège en battant le Stathouder Guillaume III d’Orange-Nassau (1650-1702) à la bataille de Cassel en 1677. Il y avait longtemps qu’un Fils de France ne s’était pas ainsi illustré. Cette victoire provoqua un grand enthousiasme, sauf chez Louis XIV, furieux d’avoir entendu la foule crier sur le passage des deux frères : « Vive le Roi et Monsieur qui a gagné la bataille ! » Le souverain ne renouvela pas l’expérience. Force était de constater la supériorité de son frère dans le domaine des armes. Il jalousait sa gloire. Monsieur dut remettre l’épée ou fourreau et se contenter de jouer les inutilités brillantes. L’époque, sinon des revers, du moins des non-victoires, était venue, en un moment où, justement, les grands généraux se faisaient rares. Le Roi mesura-t-il la faute qu’il avait commise en brisant la carrière militaire de son frère ? Il était trop tard. Sur cet échiquier européen difficile, Louis XIV crut placer une pièce en faisant envahir le Palatinat, sous prétexte d’y défendre pour Madame un héritage
auquel elle n’avait aucun droit et ne prétendait nullement. Une armée commandée par le Dauphin, le lourd Louis de France (1661-1711), fut chargée d’occuper le pays. Madame s’en montra très affecté, pleura et cria. Mais les armées de François Michel Le Tellier (1641-1691), Marquis de Louvois, ravagèrent le Palatinat, en 1687-88, sans autre profit qu’un gigantesque pillage. La succession de Louis XIV semblait largement assurée, avec un fils, le Dauphin, et trois petits-fils : Louis de France (1682-1712), Duc de Bourgogne, Philippe de France (1683-1746), Duc d’Anjou (futur Philippe V d’Espagne) et Charles de France (1686-1714), Duc de Berry. Ces quatre princes n’aimaient guère la seconde épouse (morganatique) du Roi, Françoise d’Aubigné (1635-1719), Marquise de Maintenon. Cette dernière pouvait redouter leur attitude en cas de disparition du Roi. En revanche, elle pouvait s’appuyer sur ceux qu’elle avait élevés, qu’elle considérait comme ses propres enfants, les bâtards, nés de Louis XIV de de Françoise-Athénaïs de Rochechouart de Mortemart (1640-1707), Marquise de Montespan. Ces « légitimés de France » que le Roi chérissait, étaient quatre : Louis-Auguste de Bourbon (1670-1736), Duc du Maine, Louise-Françoise de Bourbon (1673-1743), Mademoiselle de Nantes, Françoise- Marie de Bourbon (1677-1749), Mademoiselle de Blois, et Louis-Alexandre de Bourbon (1678- 1737), Comte de Toulouse. L’étrange couple royal s’entendait pour pousser ses enfants irréguliers le plus haut possible dans la voie des honneurs, en cherchant à les assimiler à des princes du sang. Pour cela, un moyen, le mariage. En mélangeant les lignes légitimes et Le jeune Duc de Chartres, fils aîné de Monsieur. illégitimes, Louis XIV pensait supprimer les différences et affirmer peu à peu la barre de bâtardise. C’était en même temps rehausser son prestige en montrant que, pour les princes de sa famille, épouser un de ses bâtards était encore un honneur. Le premier à se dévouer fut un Prince du Sang, Henri III de Bourbon (1643-1709), Prince de Condé (fils du Grand Condé), demi fou qui permis le mariage en 1685 de son fils Louis III (1668-1710), Duc de Bourbon, d’Enghien et de Montmorency, avec Mademoiselle de Nantes : une première alliance du sang de Saint Louis avec « la boue infecte du double adultère », pour reprendre l’expression du mémorialiste de la Cour Louis quatorzième, je fameux Louis de Rouvroy (1675-1755), Duc de Saint-Simon. Mais Madame de Maintenon faisait plus haut encore : faire un jour épouser à Mademoiselle de Blois, alors âgée de 11 ans, un Petit-Fils de France, premier Prince du Sang après son père, Philippe de Chartres en personne. La partie fut rude à jouer, le Duc et la Duchesse d’Orléans ayant en commun la passion de leur rang. Mais le Roi, stratège, était habitué à préparer son terrain et n’ignorait pas que Monsieur ne savait rien refuser à ses favoris, le Chevalier de Lorraine en particulier. Le Roi utilisa en effet l’influence du Chevalier de Lorraine pour faire consentir Philippe 1er au mariage de son fils aîné Philippe avec Mademoiselle de Blois, une bâtarde royale légitimée. Chose faite, en décembre 1688, le cordon du Saint-Esprit, récompense de courage, de service et de loyauté, fut donné au Chevalier de Lorraine. Même la Légion d’Honneur sera rarement aussi scandaleusement décernée. Pour faire « passer la pilule », Louis XIV fit à son frère et à sa belle-sœur un somptueux cadeau de mariage : le Palais Royal, jusque-là seulement prêté aux Orléans.
Philippe 1er aura en outre accumulé quelque vingt millions de rente sans même trouver le bonheur ! Il sera à la fin de sa vie à la tête de 1 100 000 livres de pensions, c’est-à-dire d’une fortune qui fut en un siècle la toute première d’Europe. De plus, la Maison d’Orléans avait six résidences principales : autre le Palais Royal à Paris, le château de Saint-Cloud et celui du château de Villers-Cotterêts, il y avait les appartements de Saint-Germain, du château royal de Versailles et de Fontainebleau ; enfin. Pour chacune de ces résidences, une pléthore de serviteurs et un budget d’entretien établis et gérés habilement. En avril 1693, sa cousine, la Grande Mademoiselle, Anne Marie Louise d’Orléans (1627-1693), fille et héritière de Gaston d’Orléans, meurt. Monsieur, son plus proche parent, hérita. Il entreprit alors de nouveaux travaux de ses domaines et accrut encore ses extraordinaires collections. Au Palais-Royal, il récupéra également sur l’Académie de Peinture et Sculpture, transférés au palais du Louvre, la Galerie de la Bibliothèque et y ajouta en retour sur la rue de Richelieu une galerie neuve décorée entre 1694 et 1705. Dans l’angle des deux bâtiments, sera aménagé, à l’emplacement de la Comédie-Française actuelle, un petit jardin planté d’orangers et d’arbustes rares que les enfants d’Orléans fréquenteront durant un demi-siècle. L’ancien Palais-Royal, en 1679. En même temps, à Paris, à Saint-Cloud, dans l’appartement de Monsieur à Versailles, s’entassaient des trésors : trois à quatre cents pièces, des tableaux de maîtres par centaines, une vaisselle d’argent qui, avec les surtouts de table, se comptait par centaines de kilos, des pierreries sorties de la caserne d’Ali- Baba : diamants en bagues, en boucles, en boutons, en nœuds, en plaques d’ordres, parures de rubis, de perles, d’émeraudes, de saphirs, à raison d’une cinquantaine de chaque… Le bel adolescent à l’œil de velours qui, sous le Cardinal Mazarin, émouvait filles et garçons, s’était mué, dira le Duc de Saint-Simon, en « un petit homme ventru, monté sur des échasses, toujours paré comme une femme, plein de bagues, de bracelets, de pierreries, portant une longue perruque tout étalée en devant, noire et poudrée, et des rubans partout où il en pouvait mettre, plein de toutes sortes de parfums, et en toute choses la propreté même » : ce dernier trait à remarquer, dans une Cour où pareille caractéristique n’était guère fréquente. On soupçonnait même Monsieur de mettre « imperceptiblement du rouge » pour aviver encore ses lèvres purpurines. Ainsi bien reconnaissable et veillant bien sûr à être reconnu et honoré selon son
rang, le prince organisait des fêtes éblouissantes où se déployait sa bonne grâce naturelle et, disons- nous, caractérielle. Monsieur songea également à la carrière de son fils et tâcha à le pousser auprès du Roi. Mais, à ce jeu, il n’était pas de taille. En 1694 toujours, le Duc du Maine était nommé Grand Maître de l’Artillerie et le Duc de Vendôme, Louis Joseph de Bourbon (1654-1712), bâtard descendant d’Henri IV, fut nommé Général des Galères. Ce dernier épousera d’ailleurs en 1710 la Princesse Marie-Anne de Bourbon-Condé (fille du Grand Condé), une Princesse du Sang de France. Mais rien pour le Duc de Chartres. Monsieur fit des reproches au Roi, qui promit le gouvernement de la Bretagne, pour le donner quelques jours plus tard à son autre bâtard, le Comte de Toulouse. Nouvelle scène du Duc d’Orléans à son frère, qui s’en tira par quelques bonnes paroles et l’intervention habituelle du Chevalier de Lorraine. Mais ce fut la dernière fois que ce dernier joua les intermédiaires : quand, au printemps 1696, père et fils apprirent que le Roi refuserait désormais tout commandement au Duc de Chartres, Monsieur comprit qu’en l’affaire du mariage ils avaient été dupés. Se rappelant qui l’y avait poussé, Philippe 1 er retira au triste Philippe de Lorraine-Armagnac sa confiance et sa présence, pour se consoler vite dans les bras d’un garçon plus jeune et plus vigoureux du nom de La Carte, un gentilhomme sans sous provenant du Poitou. Philippe 1er, fut ensuite pris dans l’euphorie des évènements extérieurs. La paix avait été signée à Ryswick (novembre 1697) et se conclut traditionnellement par un mariage : le Duc de Bourgogne, petit-fils du Roi, épousait la Princesse Marie-Adélaïde de Savoie (1685- 1712). Or celle-ci n’était autre que la petite-fille de Monsieur et d’Henriette d’Angleterre, et le Duc d’Orléans, fou de joie, voyait ainsi sa descendance promise au trône de France. En ces années 1697 et 1698, on ne parlait qu’épousailles chez les Orléans. C’est d’abord le mariage de Marie-Adélaïde où Louis XIV avait exprimé le désir que la Cour fût magnifique : elle le fut, et le moins somptueusement orné ne fut certes pas l’heureux grand-père de la mariée. Quelques mois plus tard (octobre 1698), Monsieur et Madame mariaient leur fille Élisabeth-Charlotte d’Orléans au Duc Léopold 1er de Lorraine, prince souverain. La cérémonie souleva des problèmes d’étiquette insolubles. A Bar-le-Duc, les conjoints furent mariés par des abbés déguisés en évêques, le prélat ayant refusé d’officier parce qu’on ne voulait pas lui donner au fauteuil en présence du Duc de La Princesse Marie-Adélaïde de Savoie, Dauphine Lorraine. L’union fut heureuse, ce qui n’était de France (petite-fille de Philippe 1er). pas fréquent dans la famille d’Orléans. Enfin, troisième union aussi somptueuse, quoique bien différente : comme les rois de France mariaient leurs favorites, Monsieur avait trouvé une épouse pour son mignon, et même une fille de duc. L’éloignement du Chevalier de Lorraine avait rapproché Philippe 1er de sa femme, et les vieux époux, auxquels plus d’un quart de siècle de chicanes avait enfin enseigné l’indulgence mutuelle, se faisaient désormais bon visage. Ils se rejoignirent dans les goinfreries, bien qu’affichant des goûts gastronomiques différents, et avaient le même embonpoint. Mais alors que Madame équilibrait sa santé par des chasses et des marches en plein air, Monsieur enragé sédentaire, gonflé comme une baudruche, prête à exploser, présentait malgré les inévitables saignées, toutes les caractéristiques de l’apoplectique. En septembre 1699, au château de Fontainebleau, il eut un léger coup de sang.
De retour de Fontainebleau, en novembre 1700, Philippe 1er d’Orléans avait convoqua tout son entourage dans son cabinet de Saint-Cloud afin d’annoncer les décisions prises relatives à la Succession d’Espagne, Mais, en réalité il riait jaune, car parmi les successeurs possibles, son gendre, le feu roi d’Espagne, Charles II de Habsbourg (1661- 1700), époux de sa fille la Princesse Marie-Louise, avait omis de mentionner les Orléans, aussi proche de lui que Louis XIV et sa descendance. Philippe 1er protesta, en vain ; Louis XIV, ne voulant pas que son frère régnât au-delà des Pyrénées, le frustra des droits qu’il tenait de leur mère Anne d’Autriche, Infante d’Espagne : Ce fut le petit-fils du Roi, Philippe de France (1683-1746), Duc d’Anjou, qui prit sa place lors de la Succession d’Espagne. Observons cependant que Charles II d’Espagne avait là un mauvais choix ; s’il avait désigné le Duc de Chartres, Louis XIV n’aurait pu qu’accepter, et les Orléans auraient régné avec bonheur. La face du monde en eût sans doute été changée. Philippe 1er se résigna alors à devenir le « petit homme ventru monté sur des échasses » d’après le témoignage du fameux mémorialiste Louis XIV de la Cour Louis quatorzième, Louis de Rouvroy, Duc de Saint- Simon. Monsieur reçut pourtant en compensation : à ce nouveau roi d’Espagne, Philippe V de Bourbon- Anjou, âgé de 18 ans, on donna pour épouse la sœur de la Duchesse de Bourgogne, c’est- à-dire la seconde petite-fille de Monsieur et d’Henriette d’Angleterre, la Princesse Marie-Louise de Savoie (1688-1714). Mais ce mariage accentua la mainmise française sur la couronne espagnole. La guerre de Succession d’Espagne en découla. Preuve encore d’une nouvelle aversion du Roi pour son neveu-gendre le Duc de Chartres, pour lequel il s’obstina à lui refuser tout commandement. Ulcéré, juché sur ses talons-échasses, le teint enluminé, Philippe 1er, à pleine voix, osa demander au Roi son frère ce qu’il pensait faire d’un garçon de 27 ans qui s’ennuyait ?! Rien n’y fit, les deux frères se quittèrent furieux l’un de l’autre. Le Duc d’Orléans regagna Saint-Cloud l’esprit triste, ce qui lui ressemblait peu. Sa boulimie n’en fut accentuée. Il se gava de sucreries entre les repas et, au cours de ces derniers, s’empiffra à en perdre la respiration. Son teint vira au cramoisi et chacun le suppliait de se faire saigner. Madame était également atteinte d’une Le Duc Philippe 1er d’Orléans. fièvre tierce qui la tint au lit plusieurs semaines. Contrairement à son habitude et malgré la prière de son frère, Louis XIV, qui venait de faire saisir une lettre de sa belle-sœur particulièrement injurieuse à l’égard de son épouse morganatique (Madame de Maintenon), s’abstint de paraître à Saint-Cloud. Le Duc d’Orléans, façonné par soixante ans de soumission, aurait pu une fois de plus capituler. Mais il s’obstinât, voulant défendre son fils. En juin 1701, il pénétra dans le cabinet du Roi à Marly. Sentant venir l’orage, Louis XIV prit le premier l’offensive et reprocha aigrement à son frère les humiliations dont le Duc de Chartres, entré dans la débauche, accablait son épouse, fille légitimée du Roi. Le ton feutré s’éleva vite, et les éclats de
voix allèrent, dans ce minuscule Marly, jusqu’aux oreilles des courtisans horrifiés mais ravis ! Pour une fois, Monsieur avait tenu tête et avait répondu avec humeur que son aîné n’avait à donner à personne en matière de fidélité conjugale. Et très vite, le ton était monté. Aux réprimandes du Roi, Monsieur, l’homme le plus riche de France, haussa les épaules. D’ailleurs, il n’avait plus de voix. Mais l’algarade avait été trop forte pour le doux Duc d’Orléans. Or cette bouderie leur pesa, les deux frères s’étant toujours aimés profondément. Philippe 1er d’Orléans et sa fille aînée, la Princesse Marie Louise d’Orléans. A la table royale, le soir venu, chacun exhorta le Duc d’Orléans à la modération et à la prudence. Le Roi ayant été averti que sa viande (son repas) était portée, les deux frères sortirent peu après du cabinet royal pour se mettre à table. Son teint frappa tout le monde et, lorsqu’il se mit à saigner du nez en plein diner, on le conjura de se faire saigner au plus vite. Tout le monde se souvient en effet de l’attaque d’apoplexie que venait de subir le Dauphin et qui avait failli l’emporter trois mois plus tôt. Mais Monsieur refusa toutes les propositions de saignées, même celle du Roi, qui s’inquiéta malgré la querelle qui venait de les opposer. Comme pour provoquer le sort, Monsieur laissa libre cours à sa voracité. Après un copieux dîner (déjeuner de midi), il regagna son château de Saint-Cloud. Quelques heures plus tard, bien qu’il soit épuisé, il passa de nouveau à table pour le souper (dîner du soir). Tout se déroula bien jusqu’à l’entremets. Là, alors qu’il s’apprêtait à servir de la liqueur à une dame de sa suite, Marianne Mancini (1650-1714), Duchesse de Bouillon (Madame de Bouillon), il se mit soudain à bredouiller de parole décousue et s’effondra sur le Duc de Chartres, placé à sa droite. Conduit en hâte dans ses appartements, il avait beau recevoir de l’émétique, être saigné, secoué, rien n’y fit : il avait été terrassé par une crise d’apoplexie (accident vasculaire cérébrale ou AVC). Les larmes du Roi ne changèrent rien. Le souverain quitta Saint-Cloud en laissant son frère aux mains des médecins de la Cour, qui à midi le lendemain, parvinrent enfin à l’achever ; Philippe 1er de France, Duc d’Orléans était âgé de 61 ans. Et les deux épouses du Monsieur ? Qui étaient-elles vraiment ?
Petite-fille d’Henri IV (1553-1610) et sœur du Roi Charles II Stuart, celle que l’on appelle Henriette d’Angleterre, bien qu’elle fût à moitié de sang français et qu’elle ait quitté son pays natal à l’âge de 2 ans, en avait 16 en 1660. Sortie d’une enfance malheureuse, gouvernée par une mère crucifiée par les épreuves, elle présentait un physique de tuberculeuse un peu bossue, mais transfiguré par beaucoup de grâce et de désir de plaire. Désir porté à une coquetterie qui lui vaudra bien des déboires et qui fut à l’origine de ses malheurs. Elle avait été depuis 1652 élevée au Palais-Royal, à côté de son futur époux, et c’est dans la chapelle de ce palais que fut en mars 1661 célébré le mariage. Madame, épuisé, dû supporter six grossesses en neuf ans. En juillet 1664 naissait en fin un garçon, qui reçut le titre de Duc de Valois, province qui était le principal apanage de la famille. En même temps, Philippe 1er d’Orléans, rappelait qu’en tant que Bourbon, il descendait aussi des Valois, et ressuscitait cette dynastie sous l’aspect d’un rameau cadet. Mais l’enfant mourra au bout de deux ans, et seules deux filles survivront de ces étranges conceptions dans la haine. Ces grossesses ne firent qu’affaiblir davantage un organisme déjà délabré. Henriette d’Angleterre, au dos rond, à la toux sèche, au teint marbré de rougeur, souffrait, en plus de la tuberculose, d’une maladie du foie, une cholécystite probablement. Et la vie qu’elle mena n’était pas faite pour arranger les choses. Elle meurt à 26 ans suite à l’aggravation subite d’un organisme déjà bien délabré. Sans même évoquer la rupture d’une grossesse extra-utérine, hypothèse insuffisamment fondée, le diagnostic d’une péritonite biliaire fut avancé, une pathologie dont on ne pouvait à l’époque comprendre la soudaineté. Marie-Louise d’Orléans, la fille aînée de Philippe 1er et d’Henriette d’Angleterre meurt d’une crise d’appendicite liée à une péritonite aiguë à la veille d’être mère, à l’âge de 27 ans. Cependant, les recherches établies ont déterminé que sa mort n’était pas dû à un empoisonnement (comme on l’avait fait croire à l’époque) mais de l’infection de la Porphyrie, une maladie provoquée par un trouble du métabolisme des dérivés pyrroliques, induite par des intoxications liées particulièrement aux métaux lourds ; présente dans les urines, la Porphyrie peut contaminer les fœtus et est transmissible héréditairement. Cette maladie, dont souffraient les Stuart, lui avait été transmise par sa mère. La seconde épouse de Monsieur avait abjuré sa foi réformée et avait fait profession de la religion catholique romaine et apostolique le 15 novembre 1671 en la Cathédrale de Saint- Etienne. Elle se présenta pour la première fois à la Cour de France comme une sorte de paysanne courtaude, mal équarrie, au teint enluminé, masculine d’allure, et plus proche de la servante que du grand seigneur. Elle écrira d’ailleurs plus tard : « Je vis bien que je déplaisais à Monsieur, mon époux, ce que je ne dois pas trouver merveilleux, laide autant que je le suis ; mais je pris dès ce moment-là la ferme résolution de vivre avec lui de telle façon qu’il s’accoutumât à ma laideur, ce à quoi j’ai enfin réussi. » La nouvelle Madame ne tarda pas à comparer son époux avec Louis XIV, pour lequel elle se prit d’une tendre admiration et témoignera même : « On n’a jamais vu deux frères plus différents l’un de l’autre ; le Roi avait des cheveux d’un blond cendré, il avait grand air, la figure mâle, une belle mine ; Monsieur, sans avoir l’air ignoble, était petit et rondouillet, avec des cheveux et des sourcils très noirs, de grands yeux de couleur foncée, le visage long, mince, un grand nez et une bouche Charlotte de Bavière, dite « La Princesse Palatine ». trop petite garnie de vilaines dents. Tandis que le Roi aimait la chasse, la musique et la comédie, mon époux n’aimait que le jeu, la table et la parure. Assurément,
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