Pierre Parlebas (Francia) L'éducation par le sport:illusion ou réalité? L'educazione tramite lo sport: illusione o realtà Robert Redeker (Francia) ...

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Ciclo di conferenze organizzate
  dalla Società Ticinese dei Docenti di Educazione Fisica
      in collaborazione con l’Alta Scuola Pedagogica

Nell’ambito dell’anno europeo dell’educazione attraverso lo sport

               Pierre Parlebas (Francia)
     L’éducation par le sport:illusion ou réalité?
     L’educazione tramite lo sport: illusione o realtà

                Robert Redeker (Francia)
              Le Sport contre les peuples?
                Lo sport minaccia l’uomo?

                                                                    1
Pierre Parlebas (Francia)
                   L’éducation par le sport :illusion ou réalité?
                   L’educazione tramite lo sport: illusione o realtà

Pierre Parlebas, è Professore e Decano onorario presso la Facoltà di Scienze Umane e Sociali
dell’Università della Sorbona a Parigi. E’ Presidente della sezione scientifica della Federazione
Internazionale di Educazione Fisica e Presidente dei CEMEA internazionali. Nel 2002 è stato insignito
del Dottorato Honoris Causa. Ha pubblicato numerosi libri e articoli tradotti in vari paesi, tra i quali
segnaliamo Jeux, sports et sociétés (INSEP, Paris, 1999), Activités physiques et éducation motrice
(Dossier EPS No 4 , Paris 1990) e Eléments de sociologie du sport (PUF, Paris, 1986).

UNE IMAGE FLATTEUSE DU SPORT

         « La connaissance du sport est la clef de la connaissance de la société » : voilà une
affirmation étonnante et fort péremptoire, parue il y peu sous la plume d’un éminent sociologue de la
fin du XXème siècle, Norbert ELIAS. Comme en écho, l’année 2004 a été retenue pour être « l’Année
européenne de l’éducation par le sport ».
         L’intrusion est indiscutable : le sport a pénétré dans l’univers social du dernier siècle tel un
boulet de canon ; il s’est rapidement imposé comme la forme d’activité physique paraissant la plus
riche et la plus accomplie. Aux yeux d’une importante partie de la population, les Jeux Olympiques et
les grandes compétitions des sports en vogue tels le football, l’athlétisme ou la natation, sont censés
représenter le couronnement des activités physiques. Les dates marquantes qui scandent notre
calendrier ne sont plus les fêtes religieuses, mais les grands événements sportifs.
         Les puissants moyens de communication d’aujourd’hui l’attestent avec éclat : le sport, qui
inonde les magazines et les écrans de télévision, est devenu un fait social de grande envergure, est
devenu un spectacle de masse. Il fait désormais partie, en bonne place, de notre paysage quotidien.
Cette image flatteuse du sport ne peut laisser l’éducateur indifférent, car elle n’est pas sans
conséquence : les comportements de l’enfant vont être, bon gré mal gré, profondément influencés par
ces représentations envahissantes. Le sport est considéré comme un facteur de santé et un élément
éducatif de grande valeur ; il est habituellement associé à un idéal moral de désintéressement, de
progrès et de fraternité. Voilà qui doit inciter à lui attribuer un rôle prépondérant dans le système
éducatif général, et plus particulièrement dans l’éducation physique de l’enfant et de l’adolescent.

          C’est bien ce qui s’est passé en France, où, dès 1964, le Haut Comité des Sports, placé sous
l’égide du Premier Ministre, publie « L’essai de doctrine du sport » qui affirme sans barguigner : « Le
sport est incontestablement l’activité physique la plus complète, sur le plan de l’éducation générale ».
Et la conclusion en est tirée immédiatement : « d’une façon générale, confirme ce texte, la priorité doit
être reconnue sans ambiguïté, dans l’éducation physique et sportive, à la pratique des sports ». Les
Instructions Officielles de 1967, qui sont comme la charte du professeur d’éducation physique, ont
cristallisé dans les textes cette

prise de position et consacré le sport comme vecteur fondamental de l’éducation physique. Dans cette
optique, les pratiques physiques éducatives sont officiellement devenues une grande entreprise de
préparation au sport.
         Devant un constat aussi souvent martelé, il nous faut réfléchir : est-il vrai que le sport est un
objectif indiscuté représentant un idéal éducatif entraînant l’adhésion de tous, notamment des
Mouvements d’Education nouvelle ?

QUE FAUT-IL ENTENDRE PAR SPORT ?
         Le premier obstacle qui se dresse devant l’auteur qui tente de clarifier le sujet est
habituellement sous-estimé de façon cavalière, sinon résolument ignoré. Il s’agit tout simplement de la
signification accordée au mot « sport ». Or, précisément l’identification précise du phénomène

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« sport » nous paraît être l’étape absolument indispensable autorisant un débat sérieux et une
confrontation argumentée d’idées, éventuellement divergentes.
         Que faut-il entendre par « sport » : un jeu, un combat, un travail, une morale, une religion, une
aliénation de l’homme, un fruit du capitalisme ou une chevalerie des temps modernes ? Certains
auteurs affirment que le sport est un phénomène compris spontanément par tout le monde mais que
personne, même parmi les plus savants spécialistes, n’est capable de le définir correctement. Le sport
serait donc un phénomène insaisissable et indéfinissable. On peut alors s’étonner que ces mêmes
auteurs tiennent de si longs discours sur un sujet aussi évanescent !
         Définir le sport, c’est préciser son identité, c’est le différencier des autres activités qui
deviennent alors des « non-sports ». Sans doute est-ce la seule façon de s’extraire de la confusion
dans laquelle s’engluent trop souvent nos débats. Si l’on ne définit pas ce que l’on entend par
« sport », il est vain de vouloir commenter ce phénomène social et de l’analyser de façon sérieuse. On
se condamnerait à un amalgame réunissant à la diable des données tour à tour biologiques,
économiques, sociologiques, psychologiques ou politiques, le tout accompagné des inéluctables
références au « vécu » sportif, chacun ayant bien entendu dans sa besace, sa propre expérience
personnelle érigée en juge ultime et incontestable !

        Toute recherche qui se veut scientifique doit définir l’objet qu’elle prétend étudier. A vrai dire,
nous sommes souvent victimes du langage habituel de la pratique quotidienne. Mais n’est-ce pas
sciemment que l’on cultive parfois l’amalgame ? N’a-t-on pas des choses à cacher ? Dans un
domaine qui se pique aujourd’hui de scientificité, il semble peu acceptable que nous ne connaissions
pas avec précision le sens des mots-phares que nous utilisons. Ne peut-on soupçonner un certain
désir plus ou moins inconscient de maintenir la confusion pour éviter que ne soit mise à plat la réalité
dérangeante de certains problèmes ?

       Définir le sport, est-ce vraiment un défi insensé ? Peut-on s’y essayer de façon claire, à l’aide
de caractéristiques objectives, ainsi qu’on le souhaite dans le domaine scientifique ?

        Nos analyses antérieures nous ont conduit à retenir quatre critères opérationnels, tous les
quatre nécessaires et dont la réunion est suffisante pour identifier le phénomène « sport ».

         . Le premier critère est la présence d’une situation motrice, c’est-à-dire d’une situation qui
met en jeu sur un mode pertinent l’activité corporelle des pratiquants. Ce critère de la pertinence
motrice n’est pas si évident qu’il y paraît, puisque, dans certains pays, par exemple en Europe de
l’Est, on appelle « sport » le jeu d’échecs, et puisque la Fédération échiquéenne a récemment
demandé son admission aux épreuves officielles des Jeux Olympiques. Selon notre critère, le jeu
d’échecs n’est pas un sport ; il s’agit d’une pratique passionnante, mais qui ne peut être dénommée
« sport » tout comme le scrabble ou le bridge dont la pertinence n’est pas motrice mais combinatoire
et symbolique. On peut jouer aux échecs ou au scrabble par correspondance, sans s’appuyer sur la
motricité ; il serait difficile d’en faire autant avec le rugby ou le saut à la perche. Les jeux de société ne
sont qualifiés de « sport » que par pure métaphore, par un glissement sémantique au nom d’autres
critères que nous allons maintenant évoquer.

        . Le second critère est l’adoption d’un système de règles. En dehors de règles, point de
sport. Ce corps de règles correspond à un véritable contrat ludosportif, à un contrat social au sens de
Jean-Jacques ROUSSEAU. Chaque sport est un système de contraintes librement acceptées qui
définissent les conditions imposées aux modalités de la pratique motrice, notamment sous l’angle de
l’espace, du temps, des accessoires et des interactions avec autrui. Ainsi, un jogging dans les allées
du Jardin du Luxembourg ne peut être considéré comme un sport ; de même, une activité à forte
dépense énergétique, telle une descente de rivière en canoë-kayak, fût-elle risquée et même plus
risquée qu’une compétition sportive, ne sera pas nommée un « sport » si elle est accomplie sans
règles et sans prescriptions particulières. Nous parlerons alors de « quasi-jeux sportifs » et non de
sport.

         . Troisième critère : ces règles organisent une compétition qui déterminera des
vainqueurs et des vaincus. Le code de jeu n’est pas indifférent : il finalise la confrontation de façon
stricte et orientée. Les règles mettent en jeu un dispositif sourcilleux de fonctionnement qui va aboutir,
in fine, à une sanction déterminant des gagnants ainsi que des perdants. Ce qui compte, c’est ce qui
se compte. Chaque sport organise de façon minutieuse l’issue de la compétition en prévoyant la

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possibilité éventuelle de match nul ou, plus fréquemment, le moyen de déterminer un seul vainqueur
dans les cas d’égalité. Ce système des scores, qui caractérise la compétition, est l’un des éléments-
clefs du système sportif.

         . Terminons par un quatrième critère, plus malaisé à identifier et souvent incompris : le
sport est un fait institutionnel, c’est-à-dire un fait dûment accrédité par les Instances Officielles,
notamment par des Fédérations et autorisé par l’Etat. Cette consécration, nationale et plus encore
internationale, va permettre le déploiement de dispositifs institutionnels extrêmement puissants :
monopole de l’organisation, de la réglementation des épreuves et de la délivrance des diplômes,
exclusivité de la détermination du calendrier des rencontres, du choix des retransmissions télévisées,
de la codification du matériel et des espaces. La décisive médiatisation du spectacle sportif dépend
étroitement de cette consécration. En dernier ressort, c’est le label de l’institution et l’approbation des
Instances Officielles qui accordent ou non, à une activité physique, le statut de sport.
         Cette dimension institutionnelle, de type sociologique, est souvent passée sous silence. Il faut
bien comprendre que l’insolente réalité du sport, c’est de fixer la motricité légitime de tout citoyen. La
réalité brute revient bel et bien à cet étonnant constat. Le sport détient une responsabilité exorbitante,
car ce sont les instances sportives qui nous proposent, et qui finalement nous imposent, les modalités
de la mise en jeu corporelle de loisir qui seront reconnues comme légitimes dans notre société.

         Nous voici donc en mesure de proposer une définition précise : le sport, c’est l’ensemble
des situations motrices, codifiées sous forme de compétition et institutionnalisées. Nous
constatons que ces quatre critères s’appliquent aisément aux multiples activités classiques de notre
environnement sportif : ainsi, qu’il s’agisse de football, de tennis, de saut en hauteur ou de planche à
voile, chacun de ces sports sollicite une action motrice dans le cadre de règles précises définissant
une compétition, et tous quatre sont explicitement régis par des instances officielles, fédérations et
instances olympiques, gardiens sourcilleux de leur organisation.

Nous pouvons désormais identifier, par opposition, ce qui est du non-sport. Ne répondant pas à des
situations motrices, les jeux de société tels les jeux de pions et les jeux de cartes ne sont pas des
sports. Les jeux physiques qui ne sont pas institutionnels non plus. Ainsi ne sont pas des sports tous
les jeux dits par convention « traditionnels », fussent-ils séculaires et bien plus anciens que les sports
tels le jeu d’Epervier, le jeu de Drapeau ou le jeu de Barres. On en dira de même des jeux de rue, des
exercices pédagogiques et de toutes les activités physiques informelles que nous dénommons les
« quasi-jeux sportifs ». Ces quasi-jeux qui ne sont pas des sports, sont des activités motrices
informelles, non réglementées, qui se déroulent au gré des pratiquants, comme le jogging, le ski , la
bicyclette, le canoë ou la baignade, par pur plaisir ou par pur loisir. C’est dans cet immense vivier
foisonnant que les Instances sociales ont choisi les activités qu’elles ont décidé d’ennoblir et de porter
au pinacle sportif.
          On remarque que s’insinue ici une fâcheuse ambiguïté, car, quand nous disons « ski » ou
« canoë », nous renvoyons à des activités, primitivement libres et informelles, qui sont devenues des
sports. Il faut bien comprendre qu’un très grand nombre de pratiques ludomotrices jouissent de deux
statuts : du statut de « quasi-jeu » d’activité libre ou informelle, et du statut de « sport » dans la
mesure où les Instances officielles les ont récupérées, annexées et réglementées, avec les
inconvénients et les avantages que cette mise sous tutelle implique. C’est là une des grandes sources
de confusion du débat sportif.

         Nous constatons ainsi que le sport ne représente qu’un petit sous-ensemble de tout
l’ensemble des activités physiques possibles. L’identité du sport ayant été mise au clair au sein de ce
fourmillement d’activités, peut-on alors, en connaissance de cause, se prononcer quant à son rôle
éducatif, notamment sous l’angle de l’Education nouvelle ? Afin d’être cohérent avec notre démarche,
nous allons prendre en compte successivement chacun des quatre critères précédemment envisagés.

CONDUITES MOTRICES ET PERSPECTIVES EDUCATIVES
         Si l’on embrasse d’un seul regard tout le paysage des situations motrices relatives aux
activités physiques et sportives, on s’aperçoit que celles-ci partagent une même propriété : elles
mettent toutes en jeu de façon constitutive l’activité corporelle de leurs adeptes. Le premier critère de
la définition représente le dénominateur commun que nous cherchons : tous les sports et tous les
exercices physiques fondent leur pertinence sur l’accomplissement des conduites motrices de leurs
pratiquants. Par conduite motrice, on entend ce que fait et ce que ressent la personne qui agit,

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autrement dit son comportement moteur observable associé à tous les éléments de signification qui
l’accompagnent : les intentions de cette personne, ses motivations, ses images mentales, sa relation
aux autres ainsi que ses émotions. La multiplicité des techniques corporelles, et notamment des
techniques sportives, recouvre ici une unité d’objet : toutes les spécialités, du judo au basket-ball en
passant par le parapente, la danse ou la course de fond, peuvent être décrites ou analysées en
termes de conduite motrice. Cette pertinence motrice qui confère son identité aux activités physiques
et sportives, possède-t-elle une portée éducative ? En quoi cette sollicitation de l’action motrice des
enfants exerce-t-elle une influence susceptible d’entrer en résonance avec les objectifs que l’on
poursuit à l’école ?

         On a souvent considéré les sports et les jeux comme de simples divertissements et comme
des activités frivoles. Serait-il légitime de leur accorder une réelle possibilité d’intervenir dans le
champ réputé noble et sérieux de l’éducation ?
         Les sciences biologiques et les sciences humaines ont réussi à montrer l’étonnante influence
que peut exercer l’action motrice sur la personnalité des enfants et des adolescents. Les recherches
modernes révèlent que les conduites motrices correspondent à des manières d’être et d’agir qui
engagent la personne aussi intensément, bien qu’avec des moyens différents, que les conduites
verbales. Se précipiter dans l’affrontement d’un match de rugby, se lancer skis aux pieds sur la piste
neigeuse d’un slalom, participer au cliquetis d’un assaut d’escrime, réaliser un enchaînement rythmé à
la barre fixe, toutes ces situations sollicitent avec intensité les personnes agissantes dans plusieurs
dimensions. Pouvons-nous en quelques mots rappeler les grandes dimensions de la personnalité qui
sont à la source des enrichissements éducatifs induits par les activités ludosportives ?
         La dimension biologique est la plus anciennement connue. Physiologistes et médecins ont
montré depuis longtemps que les grands systèmes musculaires, ostéo-articulaires ou cardio-
respiratoires étaient très fortement influencés par l’exercice physique. Qui pourrait aujourd’hui ignorer
que l’entraînement sportif développe de façon spectaculaire les capacités organiques ? C’est en
s’appuyant sur ces constatations indiscutables que l’on en a conclu que le sport était un facteur
essentiel de santé.

         La dimension affective a longtemps été sous-estimée. En fait, elle est capitale.
L’engagement physique, le jeu et le sport sont avant tout émotion. Joie de l’action, désir d’affirmation
de ses pouvoirs, expression de l’agressivité, goût du risque et de l’aventure, sont constamment sur le
devant de la scène dans des pratiques telles que le judo, l’athlétisme, le football, la voile ou
l’escalade. L’affectivité est bel et bien la clef des conduites motrices.
         La dimension relationnelle se taille la part du lion. Dans de nombreux sports, agir c’est
communiquer par le corps. Le rapport à autrui prend la forme parfois d’un affrontement à distance
comme dans le tennis et l’escrime, parfois la forme d’un corps à corps comme dans les sports de
combat. Dans d’autres situations - équipage de voilier, cordée d’escalade ou équipe d’aviron - la
coopération est au cœur des conduites motrices des partenaires qui s’épaulent les uns les autres. Les
activités sportives mettent en place des réseaux d’interaction dans lesquels la communication motrice
devient le pivot d’une dynamique de groupe qui s’exprime sur le mode corporel.

        La dimension expressive dote certaines activités d’une incontestable originalité. Par ses
productions corporelles, par ses rythmes et les figures qu’il dessine, l’individu agissant devient ici un
acteur et s’engage à communiquer un sens. La danse et l’expression corporelle font prendre corps à
des messages porteurs d’esthétique et d’émotion. C’est toute une symbolique riche et poétique que
va tenter de transmettre l’acteur en expression corporelle.

         Enfin, une dimension qui a souvent été ignorée ou récusée : la dimension cognitive,
c’est-à-dire les capacités de réflexion et de calcul, notamment de prise d’information et de décision.
Un joueur de sports collectifs doit apprécier des intervalles, évaluer en un clin d’œil des vitesses de
déplacement, anticiper les actions et les pré-actions d’autrui. Il doit procéder au décodage des
comportements des différents protagonistes afin de deviner leurs projets immédiats et de pré-
organiser sa propre stratégie. Dans un autre contexte, c’est le cas du skieur, du kayakiste ou du
grimpeur qui doivent déchiffrer l’environnement physique pour y déceler des indices informationnels
qui les renseigneront respectivement sur l’état de la neige, les remous de la rivière ou les difficultés de
la paroi rocheuse. Prélever de l’information, évaluer des probabilités, prendre des décisions, toutes
ces opérations présupposent une compétence informationnelle et décisionnelle, une capacité
d’abstraction importante qui se manifeste au cours même de l’action motrice. C’est la raison pour

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laquelle nous n’hésiterons pas à affirmer qu’au cours des activités sportives, se déploie une véritable
intelligence motrice, de type psychomoteur ou sociomoteur selon le cas.

       Il est désormais évident que les activités physiques et sportives peuvent participer de façon
importante à l’épanouissement de la personnalité de l’enfant, celui-ci pouvant ainsi apprendre à
communiquer, à prendre des responsabilités, à maîtriser ses passions et à développer son
autonomie. Ainsi que de nombreux auteurs l’ont déjà affirmé, ces pratiques peuvent être considérées
comme des situations éducatives privilégiées. Mais le sport, avons-nous vu, n’est qu’un sous-
ensemble de ces activités physiques. Quelles sont donc les caractéristiques propres à ce sous-
ensemble, engendrées par les traits qui ont permis de le définir ?

LES CARACTERISTIQUES MAJEURES DU SPORT

         Le second critère souligne que le sport repose sur l’acceptation d’un système de règles.
C’est là un point capital. Nous constatons qu’au fond des choses, en soubassement de ces pratiques,
réside un contrat. Le sport s’appuie sur un corps de règles qui correspond à la passation d’un contrat
symbolisé par la signature apposée au bas de la licence, ou par le serment de l’athlète lors des Jeux
Olympiques. Cet acte social par excellence sera propice au processus de socialisation, au processus
d’intériorisation des normes et des valeurs d’une culture.
         Essayons d’aller un peu plus loin dans l’étude de ce contrat, car on n’a peut-être pas assez
insisté sur sa texture. Il comporte en effet deux niveaux :
         . Le niveau le plus immédiat et le plus évident : c’est celui des règles elles-mêmes telles
qu’elles ont été adoptées. Ces prescriptions définissent la logique interne des pratiques. Les différents
sports imposent des types de rapport précis à l’espace, au temps et à autrui. Chacun d’entre eux
possède sa propre structure d’action, son réseau de communication, son mode de contact avec les
objets et avec l’espace ; chacun s’inscrit dans un « domaine d’action motrice » bien délimité. Le travail
du chercheur sera de décrire et d’analyser avec rigueur les caractéristiques de logique interne de
chaque sport et d’en révéler les éventuelles ressources éducatives.
         En organisant une compétition, notre troisième critère donne une forme antagonique à la
rencontre sociale : il impose un affrontement entre coalitions, en l’occurrence il impose le plus souvent
des duels. Un duel est un combat absolu entre deux adversaires. En théorie des jeux, on dit que c’est
un « jeu à deux joueurs et à somme nulle » (ce que l’un gagne, l’autre le perd). En consacrant la
victoire d’un petit nombre de participants, le sport souligne aussi la défaite du plus grand nombre. La
défaite n’a certes pas que des aspects négatifs : elle peut aussi être une école de formation du
caractère. Les éducateurs savent bien que l’enfant doit apprendre à connaître ses limites et que cette
appréciation réaliste passe aussi par la défaite acceptée. Ce point accordé, devons-nous fonder une
éducation sur la glorification des meilleurs, des individus jugés « supérieurs », de ceux qui battent les
autres ?

          Un second niveau plus profond du contrat ludosportif passe souvent inaperçu : il
s’agit de ce qui se situe sous le jeu, de « l’infra-jeu ». Avant d’adopter telle ou telle règle, il faut se
mettre d’accord sur le fait que l’on va adopter des règles partagées. C’est le niveau de l’acceptation
de la loi et de son esprit, avant de définir sa lettre. Voilà le véritable déclic de la socialisation. Nous
sommes ici dans un jeu dont on dit qu’il est à « somme non nulle », c’est-à-dire qu’il repose sur un
comportement de coopération.
         Tout sport, fût-il à somme nulle, repose donc sur un jeu « à somme non nulle ». Ce qui nous
montre bien qu’à la racine de tout sport, il y a une alliance fondamentale, une « première convention »
au sens où l’entendait Jean-Jacques ROUSSEAU. Voici décortiqués les éléments-clefs du contrat
ludosportif, à la source de l’attitude citoyenne et de la socialisation suscitée par les jeux sportifs.
L’enfant entre ainsi dans le domaine de la loi sociale, de son plein gré, en en comprenant la nécessité,
ce qui l’incitera d’autant au respect des règles et de l’arbitre.

         Le quatrième critère de la définition introduit l’élément décisif de l’institutionnalisation :
l’organisation sportive, ses compétitions, ses règles et ses résultats sont exaltés par la société qui
nous entoure, par la télévision et les médias en général, voire par les parents. Le lot restreint des
sports est choyé par les Instances sociales et il a désormais acquis un remarquable prestige. La
dimension économique s’y révèle capitale. Le sport est devenu une entreprise internationale de
spectacle qui n’hésite même pas à changer ses propres règles de pratique de terrain pour renforcer

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sa spectacularité (comme c’est le cas dans l’introduction du « jeu décisif » au tennis et au volley-ball,
et de la modification du hors-jeu et de la passe au gardien en football). Fondamentalement, le sport
est une entreprise de spectacle. Ce constat n’est pas nécessairement péjoratif : le cinéma lui aussi est
une entreprise de spectacle, et cela ne le prive pas de toutes ses qualités. L’influence exercée par cet
entourage sportif omniprésent ne peut être que très prononcé auprès des enfants et des adolescents.
          Reconnaissons que le spectacle sportif est, dans de nombreux cas, une incontestable réussite
qui enrichit l’imaginaire social, ainsi que l’a bien montré Roland BARTHES. A notre avis, le spectacle
sportif est aussi intéressant que le spectacle théâtral, musical ou littéraire. Il recèle des qualités
esthétiques et dramatiques qui correspondent d’ailleurs aux propriétés mêmes du théâtre classique, et
qui illustrent avec éclat la règle des trois unités, unité de lieu, unité de temps et unité d’action :
          « Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli
                Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli »
          Boileau est sur le stade. Un match de sports collectifs s’inscrit dans cette logique des trois
unités et peut devenir un spectacle passionnant. Notre culture académique ne l’a pas compris et,
malheureusement, aucune éducation au spectacle sportif n’est proposée à l’enfant dans son parcours
scolaire.

         L’importance de l’institutionnalisation du sport n’a pas toujours été estimée dans toute sa
portée. On a trop souvent cru que le sport relevait avant tout des facteurs biologiques. C’est là bien
sûr une illusion, car cela revient à confondre « activité physique » et « sport ». Celui-ci est soumis aux
multiples exigences d’un dispositif organisationnel tentaculaire et à l’emprise des représentations
symboliques de sa culture d’accueil. Ce qui définit le sport, avons-nous vu, ce sont des règles et
celles-ci ne sont pas inscrites dans le patrimoine génétique comme les comportements de
communication des animaux. Elles sont le fruit d’une histoire sociale et ne sont pas déposées dans
les séquences d’ADN. Chaque société institutionnalise les pratiques physiques selon ses propres
intérêts et en fonction des normes et des valeurs qu’elle souhaite promouvoir. Le sport n’est donc pas
fondamentalement un fait biologique comme on le dit souvent, mais un fait social et institutionnel.

LE SPORT REMIS EN PERSPECTIVE

         Il ne vous a pas échappé que, d’entrée de jeu, nous avons refusé de porter des jugements de
valeur sur le sport, de type angélisant ou, au contraire, de type accablant. Nous avons préféré
effectuer un détour plus austère. Ayant repéré les traits constitutifs les plus saillants du sport, nous
sommes maintenant peut-être mieux armé pour répondre à la question : que penser de l’éducation par
le sport ?
         Notre réponse portera sur deux grands points.

         En premier lieu, nous avons déjà constaté que le sport ne renferme qu’une partie
restreinte de l’ensemble des pratiques physiques. Les activités qui sont des non-sports constituent
un groupement beaucoup plus imposant. Le fait primordial est que, d’une part la logique interne des
sports ne couvre qu’un secteur limité du champ des possibles, et que d’autre part ce secteur est
exclusivement orienté vers l’affrontement compétitif.
         Quand on analyse l’ensemble des pratiques, on s’aperçoit que les jeux traditionnels proposent
une grande diversité de formes d’interaction et de modalités du lien social, alors que le sport se
confine dans le duel et l’affrontement de coalitions. La rencontre sportive est certes variée dans ses
modalités, au corps à corps ou à distance, en individuel ou en équipe, mais le schéma global est
toujours le même : l’affrontement symétrique de coalitions et notamment le duel. A l’opposé, les jeux
traditionnels proposent des expériences de la rencontre sociale beaucoup plus diversifiées et riches
en rebondissements : structure de un contre tous, d’une équipe contre les autres, structures
paradoxales, réseaux permutants ou convergents, confrontation d’équipes dissymétriques. Les jeux
traditionnels ne sont pas des jeux inférieurs ou des sous-sports, comme on l’a longtemps affirmé,
mais des situations motrices à part entière aussi riches que le sport et qui possèdent une
incontestable originalité éducative.
         La sollicitation des dimensions de la personnalité est donc restrictive dans le sport ; elle
n’exploite pas, loin s’en faut, toutes les ressources de l’action motrice. D’autre part, le choix exclusif
de la compétition confère au sport une tonalité systématique de rivalité et d’agressivité. Le sport est
une culture de l’antagonisme. Il développe une recherche de la domination sur autrui. Il est clair que
l’éducation par le sport s’éloigne ici des orientations de l’Education nouvelle. Dans le cas de
l’éducation scolaire, nous recherchons davantage les situations de coopération et d’entraide que les

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situations d’opposition. Ce n’est par un discours lénifiant sur la paix et la solidarité que l’activité
ludosportive doit faire valoir ses bienfaits, mais par l’organisation sur le terrain des conditions
favorisant des pratiques motrices de coopération et d’entraide. De nombreux jeux traditionnels et une
foule de quasi-jeux orientés vers les activités et les randonnées de pleine nature se prêtent
remarquablement à la mise en œuvre de cette solidarité agissante.
         Par un processus de mondialisation commencé depuis plus d’un siècle, notamment depuis les
Jeux Olympiques d’Athènes de 1896, le sport tend à standardiser la motricité et à l’uniformiser dans
des modalités identiques pour tous et partout. En devenant mondial, le sport perd le suc du local ; il
s’éloigne des valeurs des terroirs et des patrimoines régionaux. Là encore, les jeux traditionnels
offrent des formules de motricité davantage en accord avec les différentes cultures locales : ils
illustrent une ethnomotricité qui témoigne des identités régionales que le sport ne veut pas
reconnaître.
         Nous en concluons que dans le processus d’éducation, le sport ne peut être qu’un élément
parmi beaucoup d’autres, complémentaires et tout aussi éminents.

         En second lieu, une différence radicale doit être affirmée de façon absolue entre le
sport, réalité institutionnelle, et le non-sport (quasi-jeu, jeu traditionnel, jeu de rue…). Le sport
est un fait social qui possède sa réalité propre et ses propres déterminants ; il n’est aucunement aux
ordres du monde de l’éducation et du monde de l’enfance. En tant que partie prenante de l’industrie
du spectacle, il est soumis aux lois du marché. Sa règle d’or est la recherche du profit, et tous les
rouages de ce fait social vont être associés à la poursuite de ce profit. C’est dans ce contexte que
vont surgir les comportements de tricherie, de corruption, de marchandage et de dopage. Tout comme
le monde du livre et de l’édition, le monde politique, le monde médical ou celui de la recherche
scientifique, le sport est constamment menacé de dérives qui sont inéluctablement associées aux faits
sociaux et institutionnels de grande portée économique. Il faut en prendre son parti : le sport est
soumis aux mêmes tentations déplorables que tout fait social d’envergure qui brasse des budgets
colossaux. Ce constat souligne le poids clandestin mais massif du critère institutionnel que l’on passe
si souvent sous silence dans la définition du sport.
         Cet aspect décisif semble échapper à de nombreux auteurs qui défendent l’idée selon laquelle
s’instaurerait une véritable éthique du sport. Cette éthique spécifique serait interne au sport et non
appliquée de l’extérieur. A l’appui d’une telle hypothèse, sont énoncés quelques principes jugés
fondateurs : le respect des règles et de l’arbitre, l’incertitude du résultat, l’égalité des chances, l’idéal
du dépassement. Nous ne voyons là que des principes classiques liés aux normes de notre culture.
Par le contrat initial qui le fonde, le sport s’inscrit de façon banale dans la perspective morale des
valeurs de notre société. Peut-être d’ailleurs ne sont-elles pas toutes souhaitables : ainsi, le principe
d’égalité des chances ne prône l’égalité des conditions de départ que pour mettre davantage en
valeur l’inégalité des résultats en fin de parcours. Le sport est une machine à produire des inégalités
(et là encore, nos principes éducatifs scolaires s’inscrivent en faux contre cette finalité de hiérarchie
discriminante).

         Dans cette conception d’une éthique propre au sport, nous ne voyons que de la naïveté ou de
la mauvaise foi. Le sport ne recèle pas de morale particulière en dehors de celle qu’on lui attribuerait
de façon subreptice et autoritaire. La nature profonde du sport, sa logique interne est une logique de
spectacle associée à une recherche de profit. Le sport n’a aucun lien constitutif avec l’enfance : il n’est
au fondement d’aucune morale, d’aucune éthique spécifique. Il répond à une production sociale
exaltée par les médias et qui possède les traits de tout fait social d’envergure. Sous cet angle, il est
exposé aux tentations et aux excès de toute sorte qui risquent de représenter un danger pour les
enfants. Ce n’est aucunement une raison pour le condamner et pour le rejeter en bloc, mais c’est un
motif pour refuser les discours incantatoires en faveur d’un sport déifié. La portée éducative du sport
sera directement dépendante de la qualité des intervenants qui en auront la charge ; ce qui met
l’accent sur l’importance cardinale de la formation des éducateurs et des organismes de formation.

         Nous constatons combien ce sport, institutionnel, érige un univers à part, totalement distinct
de l’univers des pratiques physiques de loisir que l’on appelle aussi des « sports ». Le premier univers
(le sport) peut évidemment servir de modèle au second (l’univers des activités de loisir) dans ses
contenus d’action motrice, mais cela ne doit pas conduire à les confondre. Ils sont situés sur deux
plans radicalement différents. Or, c’est une telle confusion entre ces deux plans qui est à l’origine des
conflits passionnels et idéologisés qui empoisonnent les débats sur l’éducation par le sport.

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Dans l’éducation de l’enfant, il faut donner au sport sa place, mais rien que sa place. A côté
de lui, foisonnent beaucoup d’autres activités : des activités libres, des jeux traditionnels, des quasi-
jeux, des pratiques ludiques de toute sorte. Comme beaucoup d’autres activités physiques, le sport
plonge le pratiquant dans l’émotion d’une exaltante aventure corporelle. Cette passion n’est pas sans
danger, mais c’est aussi une chance si elle est présentée dans une perspective d’Education nouvelle.
         Les activités ludomotrices dont le sport fait partie peuvent être vécues avec une ferveur qui en
fera de stimulantes nourritures terrestres pleinement éducatives. A ce titre, nous reprendrons
volontiers à notre compte l’expression d’André Gide : « Nos actes s’attachent à nous comme sa lueur
au phosphore ; ils nous consument il est vrai, mais ils nous font notre splendeur ».

                                                         Pierre PARLEBAS

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