PRIX LYCÉEN 2018-2019 - lycée Françoise
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LE LANGAGE DE LA BD Bande dessinée Suite de dessins qui racontent une même histoire ou présente un même personnage (Déf. Robert) Récit en images publié en feuilleton de presse ou en albums. (Déf Larousse) Vignette ou case Image généralement cerné d’un trait et faisant partie d’une planche. La vignette est l’unité minimale de la BD et la base de son langage. Bulle ou phylactère ou ballon Espace délimité par un trait qui renferme les paroles que prononcent les personnages. Espace réservé au texte à l’intérieur de la case Planche Nom donné à une page BD. Ensemble de vignettes figurant sur la même page. Planche originale Feuille sur laquelle a travaillé le dessinateur. Dessin définitif d’une page de BD à un format presque tou- jours plus grand que la parution. Espace intercase ou gouttière Espace entre les cases Récitant ou narrateur Espace encadré accueillant un commentaire sur l’ac- tion ou l’intervention du narrateur. Strip ou bande Bande horizontale composée d’une ou plusieurs vignettes. Le strip peut être autonome ou composé un étage de la planche. Ensemble de vignettes figurant sur une même ligne horizontale. Une planche clas- sique est composée de trois ou quatre strips. Mise en page ou découpage Organisation des vignettes sur la surface de la planche Onomatopée Mot dont le son imite celui de l’objet qu’il représente. Assemblage de lettres imitant un son, un bruit. Idéogramme Signe représentant une idée. L’idéogramme peut se présenter sous forme de des- sins ou de lettres. Ex : un nuage transpercé par un éclair pour exprimer la colère, un coeur brisé pour exprimer le chagrin... Synopsis Premier récit qui définit brièvement les personnages, le lieu, l’époque et le fil conducteur de l’histoire Crayonné Etat de la planche avant encrage. Le dessinateur exécute d’abord ses dessins au crayon, puis il les repasse à l’encre de Chine. Brouillon détaillé de la page, bien sou- vent sur la planche originale. 5
Lettrage Forme de lettres composant le texte placé dans les bulles ou le récitant. Mise au net manuelle du texte et des onomatopées. Lettreur Personnage qui réalise le lettrage, veille à ce que le texte ne couvre pas l’image et reste visible. Encrage ou mise à l’encre Reprise à l’encre de Chine du dessin crayonné. Encreur Personne qui cerne les traits à l’encre de Chine le crayonné. Scénariste Personne qui imagine l’histoire et fournit au dessinateur le décou- page ainsi que les dialogues. Le dessinateur peut aussi être son propre scénariste. Coloriste Assisté spécialisé dans la couleur. Attention de plus en plus on voit apparaît un travail de coloriste réalisé par un studio graphique par infographie. Cadrage Choix d’un angle de vue et du plan définissant la grosseur du sujet dans la case (gros plan, plan moyen, vue en plongée, contre-plon- gée…) Série Ensemble de bandes dessinées qui ont pour héros le ou les même(s) personnage(s) Collection Ensemble de bandes dessinées ou de séries BD réunit sous un même titre de collection et qui présente la même maquette. One shot Histoire se déroulant en un seul album. Pas de suite : le one-shot est l’opposé de la série. Roman graphique (de l'anglais graphic novel) Le format BD du roman graphique comprend un grand nombre de pages, souvent plus d'une centaine. Le terme est employé dans un sens large, englobant les œuvres non romanesques et les histoires courtes liées par la même thématique, ainsi que des récits de fiction à travers un certain nombre de genres. Fanzine Contraction de "fanatic" et "magazine". Journal publié par des amateurs réalisé bénévolement sans véri- table périodicité et à faible diffusion. BD franco-belge 48 cc Dans le jargon de l'édition, 48CC désigne une bande dessinée de tradition franco-belge, de 48 pages, en format A4, cartonnée et en couleur. Fumetti Nom donné à la BD italienne. Comics Nom donné à la BD anglo-saxonne mais principalement production américaine (notamment super-hé- ros). 6
Manfra Contraction de "manga" et "français". BD format 48cc fortement inspiré du graphisme manga mais aussi BD format mangas réalisée par des dessina- teurs français. Manga Nom donné à la BD japonaise : Mangaka Dessinateur japonais Shonen Signifie "jeune garçon" et désigne un manga dont le public visé est plutôt masculin. Action, combat, sport sont les domaines les plus courant. Shojo Signifie "jeune fille" et désigne un manga généralement romantique dont le public visé est essentielle- ment féminin. Mangwah Nommé donné à la BD coréenne 7
ÉLÉMENTS D'ANALYSE 1- PRESENTATION D’INTRODUCTION : LE TITRE Le titre de la bande dessinée , que nous révèle-t-il ? Le titre de la série, tomaison de l’album par rapport à la série. Le nom du personnage principal apparaît-il ? LES AUTEURS Présenter les personnes qui participent à l’élaboration de la bande dessinée : Scénariste, dessinateur, coloriste, encreur, lettreur, adaptateur, auteur adapté… ÉDITEUR ET COLLECTION Dépôt légal, 1ère édition ou réédition FORME DE PUBLICATION 1-One shot 2-Série (gag d’une ou plusieurs planches, strip, histoire entière, histoire à suivre...) Couverture + page de garde 2- TEXTE DANS LA BANDE DESSINEE LE RECITANT Quelles sont ses caractéristiques ? : Forme, couleur, typographie.. Quel est le temps employé ? (passé, futur, présent, …) LE DIALOGUE Le vocabulaire est-il différent suivant les personnages ? Que nous apprennent les dialogues des héros ou des personnages secondaires ? (caractère, niveau social, âge, métier,…) Par quel(s) adjectif(s) caractériseriez-vous le langage utilisé dans cette bande dessinée ? Précieux, humoristique, dit historique, argotique, pseudo-intellectuel, branché,… LES ONOMATOPÉES Quels types de sons représentent-ils ? Quel lien avec le scénario ? Quand apparaissent-ils ? LA TYPOGRAPHIE Le texte est-il écrit à la main ou dactylographié ? Est-il lisible ? Quelle est sa couleur, son épaisseur... 3– LE GRAPHISME LE DESSIN Quelle(s) technique(s) est (sont) utilisée(s) dans cette bande dessinée ? Encre de chine, gouache, crayons pastel, aquarelle, encre, collage, infographie... Le dessinateur joue-t-il sur les dessins : trait, point... LA COULEUR Quelle(s) couleur(s) est (sont) utilisée(s) dans cette bande dessinée ? Noir et blanc, noir et blanc + effet de gris, une couleur + noir et / ou blanc, deux ou trois couleurs domi- nantes, quadrichromie avec ou sans nuances ? La couleur a-t-elle une fonction symbolique dans la BD ? La représentation des personnages et des objets est-elle plutôt , réaliste, fantastique, stylisée,.. ? 9
LES BULLES Comment sont-elles représentées ? formes, couleurs, typographie,…leur signification ? Quel espace occupent-elles par rapport à l’illustration ? LES IDÉOGRAMMES Sont-ils nombreux ? Que signifient-ils ? 4- LE RYTHME DANS LA BANDE DESSINEE LE RYTHME GRAPHIQUE Quelles techniques cinématographiques le dessinateur utilise-t-il le plus souvent ? Plan panoramique, plan moyen, plan américain, plan rapproché, gros plan, très gros plan, vue en plongée, vue en contre plongée, fondu enchaîné, champ-contre champ. LE RYTHME DU TEMPS Comment se déroule la succession des vignettes dans une même planche ? Mise en page conventionnelle, mise en page décorative, mise en page rhétorique. 5- COHERENCE DU RECIT COMPRÉHENSION L’histoire est-elle facile à comprendre ? Quel genre de récit développe cette BD ? Policier, science-fiction, espionnage, fantastique, humour, satire intellectuelle, historique, héroïc fantasy, chroniques sociales, historique... Quelle est son originalité par rapport à des BD de même genre ? S’il s’agit d'une BD historique? L’auteur s’est-il documenté ? Y-a-t-il des anachronismes, des invraisemblances ? LES PERSONNAGES Les personnages sont-ils nombreux ? Le héros a-t-il un ou des faire-valoir(s) ? Les héros sont-ils stéréotypés ? Dans quel univers évoluent les personnages ? Réaliste, fictif, caricaturé, humoristique, exotique, histo- rique, fantastique... REPÈRES TEMPORELS Le récit est-il situé dans l’espace et le temps ? où, quand, durée du récit. Les détails sont-ils abondants ? si oui pourquoi ? SIGNIFICATION Si des animaux sont mis en scène, y a-t-il anthropomorphisme ? Quel rôle jouent-ils ? Y a - t- il des manifestations de racisme, sexisme ou des intentions politiques ? Les héroïnes dans la BD : ont-elles un rôle important ? Quelle image de la femme renvoient-elles ? 10
Prix lycéen : la sélection 2018-2019
AKKINEN LA PARTITION DE FLINTHAM Iwan Lépingle (Sarbacane) Barbara Baldi (Ici Même) p.15 p.53 CHAOS THE PRIVATE EYE Stanislas Moussé (Super Loto) Brian K. Vaughan(Ubran Comics) p.19 p.57 CHARLES SPINNING Alessandro Tota (Cornelius) Tillie Walden (Gallimard) p.23 p.63 LA COLERE DE POSÉÏDON SUNNY SUNNY ANN ! Anders Nislen (Atrabile) Miki Yamamoto (Pika) p.27 p.67 CRÉPUSCULE LES VISÉS Jérémy Perrodeau (2024) Giacomo Nanni (Cambourakis) p.33 p.71 DOWN WITH THE KIDS VOYAGES EN ÉGYPTE... Dav Guedin (Rouquemoute) Grégory Jarry (FLBLB) p.39 p.77 HUMAINS LES VOYAGES DE TULIPE Troubs & Baudoin (L'association) Sophie Guerrive (2024) p.43 p.83 ON THE FRONTIER WOLVEN Tôru Izu (Kana) Enzo Smits (Même pas mal) p.49 p.87 13
AKKINEN ZONE TOXIQUE Scénario & Dessin Iwan Lépingle Éditeur Sarbacane Date de publication Février 2018 15
L’HISTOIRE Gaspar et sa fille, Tessie, vont s'installer dans une ville du Grand Nord. Gaspar a un nouvel emploi dans l'usine de réhabilitation des sols, Géotrupe. En se promenant, Tessie rencontre diverses personnes. Pek- ko est un écologiste contestataire qui accuse Géotrupe d'empoisonner l'eau. Lorsqu'il disparaît, la ville se réveille. Gaspar et Tessie se retrouvent au coeur de l'enquête. L'AUTEUR 1974 : Naissance à Orléans d'Iwan Lépingle. 1991 : Iwan débute ses études de mathématiques, une matière qui le passionne. Il profitera aussi de cette période pour faire de longs voyages en Asie (Inde, Chine, Mongolie) et pour participer à un fanzine de bande dessinée orléanais. Lépingle est en effet un mordu de BD, qu'il s'agisse de classiques indé- modables (Corto Maltese, le Garage hermétique, l'Incal) ou des créations d'une nouvelle génération d'auteurs (Dupuy & Berberian, Guibert, David B., Trondheim, Blain...). En littérature sans image, Iwan apprécie d'autres voyageurs au long cours (Joseph Conrad, Jack London) tout en lisant les grands Russes (Tolstoï, Dostoïevski) et toutes sortes de polars. Au cinéma, il aime entre autres Kurosawa, John Huston, Mankiewicz. 1997 : Titulaire d'une maîtrise de maths pures et d'un CAPES, Iwan Lépingle part enseigner au Maroc en tant que coopérant. 1999 : Iwan Lépingle devient professeur de maths dans un collège de Blois. 2002 : Mais c'est un conteur qui se cache derrière le pédagogue : les Humanos publient dans la collection Tohu Bohu Kizilkum, premier album marqué par son goût du voyage et des grands espaces. 2007 : Avec Rio Negro, il poursuit dans une veine encore plus sombre son thème de prédilection, le déraci- nement des hommes vers les grands espaces...en l'occurence, les plaines sans fin de Patagonie. AVIS / CRITIQUES Sarbacane, zone toxique est accrocheur, avec sa superbe couverture. Il attire l’œil avec une scène origi- nale qui présage de l’étrange. Dénonçant les pollutions cachées des entreprises d’hydrocarbures, cette histoire, à défaut d’être étrange, s’avère nécessaire. Iwan Lépingle aborde en effet un tabou qui concerne chaque continent, chaque mer et toutes les entreprises du type « Géotrupe » : la pollution induite, connue ou non, cachée ou pas. Avec des expertises qui ne sont pas indépendantes, celui qui anime le bassin d’emploi local prend souvent des largesses avec la nature environnante. Le trait simple et souple offre de belles scènes d’extérieur pour lesquelles Iwan est le plus à l’aise. L’ocre rouille est la seule couleur qui accompagne le noir, le blanc et le gris. Elle figure le poison qui circule dans les veines de la région et les histoires du village. L’intrigue jongle avec les deux, entretenant ainsi le mystère autour de la disparition de Pekko. Un album sociologiquement impliqué et original. Une fois de plus Sarbacane publie beau et utile, une chance pour les lecteurs ! Fabien Gil pour planetebd.com 16
Sarbacane est un récit imaginé par Iwan Lépingle (Rio Negro, Kizilkum...) qui nous invite à suivre un père et sa fille qui viennent s'installer dans cette ville du Nordenland. Gaspar, le père, a trouvé un emploi de chauffeur de camion, dans la société que dirige Elias, son frère. D'entrée, nous voyons qu'Elias a quelques secrets et dans les discussions entre les deux frères, nous com- prenons que celui-ci a un passif. Puis, nous suivrons la jeune Tessie dans ses promenades en ville et ses alentours. Comme elle, nous croisons quelques habitants d'Akkinen et faisont connaissance avec Aslak et Pekko. Nous comprenons vite que l'auteur nous parle de ces exploitations de sables bitumineux qui dé- truisent les forêts boréales, les sols, qui pourrissent les eaux, comme cela arrive à l'ouest du Canada, dans l'Athabasca, par exemple, Mais il construit son récit comme un polar. Nous avons une société qui dirige une ville, des policiers qui semblent corrompus, des gens qui se taisent et un activiste qui veut dévoiler la vérité. Et lorsqu'il disparait, Tessie et son père, tout comme Aslak, vont tenter de le retrouver. C'est aussi une histoire de frères, une belle relation père/fille. C'est un récit captivant qui nous tient en ha- leine tout au long de ses 100 pages. Le suspense est bien amené, nous nous prenns d'amitié pour certains des personnages comme Tessie, Gaspar, Aslak et quelques autres, que nous ne voulons plus quitter. La partie graphique est excellente. Tout en bichromie, les pages nous donnent de la chaleur, malgré un récit qui se déroule dans des régions froides et un ciel blanc. L'artiste nous plonge dans l'ambiance et l'atmosphère particulière de cette intrigue. La découverte de la maison d'Aslak et de ses sculptures-robots, par Tessie, est un des moments les plus magiques et poé- tiques de ce livre. Tout comme lorsque nous découvrons les peintures de Tessie. Les personnages ont quelque chose de magique qui les rend attachants. Ils expriment à la perfection les émotions, il suffit par moment de simples regards pour bien comprendre leurs sentiments. Une oeuvre que je vous invite à lire sans hésiter un instant. Une belle aventure humaine qui nous amène à réflechir sur certains comportements Humains et à nos relations avec la nature. Une oeuvre passionnante à ne pas rater. Berthold pour sceneario.com 17
Arrivés à Akkinen, Gaspar et sa fille doivent s’acclimater à cette région du Grand Nord. Produits toxiques rejetés dans une rivière, disparition inquiétante et intégration dans une nouvelle ville sont au cœur de cet excellent thriller écologique d'Iwan Lépingle chez Sarbacane. Le récit de Iwan Lépingle bascule en effet dans la seconde partie de l’album dans un thriller écologique haletant, intelligemment mis en image. L’auteur de Kizilkum et Rio Negro (Les Humanoïdes Associés) imagine une intrigue de premier plan. Si l’adolescence n’est pas une période simple à la vue des relations parfois tendues entre Gaspar et Tessie, le lecteur découvre que la jeune fille fait de ce moment une quête personnelle par son amitié avec Aslak. Les deux amis se retrouvent rapidement dans une vaste machina- tion qui les dépasse. Le plus délicat étant la position de Elias, patron peu scrupuleux de Géotrupe, utilisant des hommes de main pour ses bases œuvres et s’asseyant éhontément sur le respect de la nature, tout cela pour faire prospérer son entreprise. Les relations – déjà distanciées avec Gaspar depuis leur enfance – ne vont pas s’améliorer lorsque le père de Tessie va découvrir les agissements de son frère. Malgré les propos sombres du récit, Akkinen bénéficie d’une très belle partie graphique de Iwan Lé- pingle. Il réalise de belles planches au trait léger et aérien. Il utilise une gamme chromatique presque évanescente et effacée qui apporte un ton parfois rétro et d’une grande fraicheur (comme le veut le Grand Nord) à son histoire. Ses personnages anguleux rappellent les bâtiments dans ses décors mais aussi la dureté des conditions de vie à Akkinen. Ce polar haletant est une belle surprise, empli de suspense autour de questions envi- ronnementales. Damien Canteau pour comixtrip.fr L'ÉDITEUR Sarbacane est une maison d'édition française spécialisée dans la création d’albums illustrés pour la jeunesse, de BD jeunesse et adulte, et de romans tournés vers les adolescents et jeunes adultes. Née en 2003, elle est installée dans le 10e arrondissement de Paris. Son catalogue, qui compte plus de 750 titres, s'adresse à un large public. Ses livres sont diffusés par Flammarion Diffusion et distribués par Union Distri- bution. editions-Sarbacane.com 18
CHAOS Scénario & Dessin Stanislas Moussé Éditeur Super Loto Editions Collection Banco Date de publication Mai 2018 19
L’HISTOIRE Chaos est le récit d'un peuple paisible qui se voit submergé et détruit, par vagues successives, par leurs alter-égos maléfiques et géants. Jusqu'à ce que les vecteurs du Chaos en deviennent aussi les victimes... Dans un monde indéfini et miniature, les peuplades qui le composent, et qui s'y confrontent et s'y af- frontent selon un schéma manichéen, font résonner la définition originelle du chaos, celle de l'univers avant l'intervention divine. Chez Hésiode et les Grecs, le haos est ce qui précède l'origine du monde : il est un prélude à la vie et il est à l'origine de toute création. Sur le modèle d'un monde instable et dangereux observé en perspective axonométrique, Chaos nous raconte un épisode de la vie d'un peuple dont nous ne savons rien, ballotté par des forces qui le dépassent. Premier livre du savoyard Stanislas Moussé, Chaos est conçu comme une succession de pages muettes, toutes construites sur le même modèle (vue en contre-plongée, sans changement de perspective). Le lecteur prend donc, comme maître du jeu qui tourne les pages à son rythme, des allures d'une divinité omnipotente assistant à ce chaos miniature. 20
AVIS / CRITIQUES Attention, voici un ouvrage hors normes ! Dans ce village pacifique, chacun vaquait à ses tâches quand des êtres géants et belliqueux ont tout rasé. Seuls deux déracinés survivent au massacre. Ils vont désormais passer leur vie à courir pour échapper à différents périls, drôles ou inquiétants. Ce qui surprend d’abord dans cet album muet où chaque page présente une unique illustration, c’est le parti-pris radical de Stanislas Moussé de proposer toujours le même cadrage, avec un point de vue en forte plongée. Mais ne vous y trompez pas, il s’agit bien d’une narration graphique car toutes les images s’enchaînent parfaitement. L’autre sujet d’étonnement, c’est la maitrise graphique de ce jeune auteur dont c’est le premier album. Ensuite, il y a l’originalité d’une histoire assez drôle dont on ne peut pas tout dévoiler ici. Enfin, c’est un livre que l’on peut à lire et relire plusieurs fois, afin de s’assurer que l’on n’a raté aucun détail… Canal BD Magazine L'ÉDITEUR Super Loto Éditions c'est, au cœur du grand boulier de la vie, d'abord et surtout l'ambition de quelques amis passionnés de bande dessinée, de graphisme, d'illustration et de belles impressions, à destination d'autres amies et amis et inconnues et inconnus, tous aussi fauchés les uns que les autres (même si les non-fauchés sont aussi admis dans le cercle des lecteurs). Le but de cette maison ? Faire de beaux livres. L'amour de la qualité, ça vous parle ? Parce que si c'est le cas, sachez que nous, nous aimons tellement la qualité que nous faisons l'amour à chaque ouvrage qui sort des presses. C'est ça la qualité Super Loto. Les professionnels du livre sont au service de l'artiste : pas le contraire. On en a tous trop vu des artistes rincés, au bout du rouleau, prêts à faire une connerie, le cœur fatigué, les traits tirés, les mains comme des pieds de vignes, creusées par le boulot et la fatigue. Tout ça à cause d'éditeurs arrogants et sans scrupules autant que d'ouvriers de l'impression préférant leurs congés payés au boulot bien fait ; et par là même entraînant sans le savoir ces même artistes, à bout de nerfs, dans leur course effrénée vers l'apathie et le marasme collectif. Bref vers le néant, le rien, ou même pire : vers le communisme. C'est pourquoi nous avons choisi de réaliser nous-mêmes les ouvrages que nous proposons : chez nous, l'artiste voit son travail être imprimé avec les techniques qui lui sont le plus adaptées. C'est l'amener aussi à explorer des nouvelles manières de reproduire son travail, notamment par les techniques d'impres- sions artisanales (qui coûtent moins cher en électricité). Mais mieux encore : dans un souci évident de bénéficier d'une main d’œuvre gratuite, l'artiste lui-même est encouragé à participer à la fabrication de son ouvrage. Ce qui garantit au public d'avoir entre les mains la reproduction la plus fidèle possible de l'œuvre et de l'idée que s'en faisait son créateur au début du projet, parfois avant même que celui-ci n'ai eu conscience de ce qu'il était en train de faire. Grain de maïs sur le carton de Loto : chez SLE, nous gardons à l'esprit que de beaux ouvrages ne doivent pas qu'être nécessairement accessibles à une élite bruyante des vernissages huppés de la grande ville où qu'il y a plein de lumières (même la nuit). Le livre doit pouvoir se toucher (bande de ringards d'Internet), à la ville comme dans les champs, dans les galeries d'art contemporain comme dans les salles polyvalentes. Il n'est rien de dire que tout ceci fait d'ores et déjà de Super Loto Éditions une maison d'excellence, de mythes et légendes. Comme si les artistes publiés chez nous étaient des phœnix de jade et d'encens, qui vous enverraient directement leurs œuvres depuis leur lit de coton et de soie, jusque dans vos mains remplies d'or, de diamants et d'eurodollars, que vous nous donneriez en échange pour qu’on parte dans les îles grecques qu'on aurait acheté à un prix extrêmement avantageux. www.superlotoeditions.fr 21
CHARLES Scénario & Dessin Alessandro Tota Éditeur Cornélius Collection Raoul Date de publication Février 2018 23
L’HISTOIRE À Bari, petite ville balnéaire du sud de l’Italie, un groupe de jeunes punks tue son ennui dans un parc à coup de Rohypnol et de gin tonic. Au centre de la bande, un curieux personnage semble capter toutes les attentions. Habillé d’une redingote ornée d’un nœud papillon, son style tranche avec les vestes en cuir cloutées et les crêtes colorées. Le poète Charles Baudelaire, débarqué tout droit de son 19eme siècle quelques temps plus tôt — à moins qu’il ne s’agisse d’un duplicata produit sur place — s’est rapidement intégré à la petite troupe, devenant pour la bande de traine-savates un véritable maître à penser. Son caractère atrabilaire, ses condamnations misanthropes et ses postures anti-conformistes trouvent une résonance dans l’esprit enfumé des jeunes clampins, qui se disputent son amitié. Construit comme une chronique de l’adolescence, jouant des codes de la comédie et du sitcom, Charles cache derrière sa désinvolture un regard acéré sur le désespoir social qui ravage le sud de l’Italie en produisant des souches d’individus sans espoir et sans repères. Les sentences du poète désabusé, qui pose sur ce monde en dé- composition un œil dont le temps n’a pas altéré l’acuité, offre au petit groupe un dérivatif à la désillusion qui froisse peu à peu ces âmes trop sauvages ou trop candides. Alessandro Tota livre avec cette facétie douce-amère un aller-retour saisissant entre deux époques; le lecteur convaincu d’être du bon côté du Temps y trouvera matière à se rappeler que la technologie nous a peut-être fait changer de monde mais qu’elle n’a pas réussi à faire changer l’Homme. L'AUTEUR Alessandro Tota est né en Italie en 1982 et vit aujourd'hui à Paris. Il est l’un des fondateurs de la revue Canicola qui remporte le Prix Fanzine/BD Alternative au Festival d’Angoulême en 2007. Il est également lauréat d’un prix du concours pour jeunes auteurs au festival Fumetto de Luzerne en 2008. Diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Bologne, il est l’auteur, scénario et dessin, de livres pour enfants (Cateri- na, publi par Dargaud, est sélectionné pour le Prix Jeunesse au festiva d’Angoulême 2015) et de romans graphiques, dont le dernier, Palacinche, a été réalisé avec la photographe Caterina Sansone. Son travail a été publié en France, en Italie, en Finlande et en Allemagne. Il est intervenant en bande dessinée au lycée technologique Auguste Renoi depuis 2011. 24
AVIS / CRITIQUES Charles Baudelaire n’est pas mort. Malgré les traits jeunes Italiens privés de repères. Seulement voilà, la fatigués et les yeux cernés. On le voit déambuler poésie peut encore tout sauver : le spleen sait être dans les parcs de Bari, une petite ville du sud de beau. l’Italie. À ses côtés, une bande de punks désœuvrés – Claudio, Giulio, Nicola – portée sur la boisson et Loin de fouiller la biographie du poète, Alessandro trompant l’ennui à coups de répliques vides. Rapide- Tota imagine un caractère vraisemblable à partir ment, Charles devient le maître à penser du groupe, d’une œuvre pour mieux pointer une errance mo- celui que tout le monde s’arrache. Car l’homme derne. Et confronter les époques, les textes et le réel. dénote dans le paysage : affublé d’une redingote Apparaît alorsune image improbable en apparence, et d’un noeud pap’, avec ses allures de dandy su- douce et anachronique, Charles côtoyant des punks périeur, il devrait être marginalisé. Mais c’est tout le alcooliques adeptes de drogues et tapant la discute. contraire qui se produit malgré son caractère iras- On goûtera ainsi le passage hilarant sur la misogynie cible et sa nonchalance assumée… Un regard origi- du poète, lui fou amoureux de Carlotta à Bari, et le nal, une plume de génie, une âme de visionnaire, contraste saisissant entre les postures misanthropes Baudelaire n’a peut-être jamais été aussi moderne. de l’homme et son besoin obsessionnel des autres. Graphiquement, sur un lavis doux et élégant, Tota L’auteur italien Alessandro Tota (Fratelli, Palacinche, campe des scènes du quotidien centrées sur les vi- Terre d’accueil) revient avec une facétie amusante, sages pour mieux faire jaillir les dialogues. Le dessin sorte de chronique adolescente pleine de fraîcheur, répétitif, raccord mais ordinaire, n’est sans doute doublée d’une réflexion sur le sens de la vie. Avec un pas l’atout de la BD. On garde en bouche plutôt ce pitch malin : Baudelaire ou un avatar vintage, qu’im- qu’elle dégage. Le goût doux-amer des illusions porte, se trouve propulsé dans une Italie pauvre et perdues, sans sacrifier la joie qu’elles procurent. Le sans espoir, sur les bords d’une triste Adriatique. Des spleen qui rend heureux et l’ivresse partagée. Car « il punks vont trouver en lui un mentor, une nouvelle faut vous enivrer sans trêve. De vin, de poésie ou de source d’inspiration. Car Charles amuse, divertit et vertu, à votre guise, mais enivrez-vous… fait penser les autres : lui aussi désabusé, ses pen- Ellis M. sées anticonformistes se font l’écho d’un horizon pour bodoi.info bouché, sa misanthropie résonne du désespoir de Un groupe de jeunes traine son mal-être dans les rues d’une cité balnéaire italienne entre ennui et mé- lancolie. L’apparition d’un nouveau personnage va bousculer leurs habitudes. Mais qui est ce curieux monsieur au verbe haut et aux réflexions à l’emporte-pièce? Lui même se fait appeler Charles, Charles Baudelaire, et sa mélancolie est bien plus poétique, voire féroce. L’auteur Alessandro Tota imagine un choc des cultures entre rêves d’hier et spleen d’aujourd’hui, et montre avec humour que rien n’a vraiment changé. 25
Que diriez vous à Baudelaire si vous le croisiez? Avec son dessin à l’énergie, Alessandro Tota imagine la rencontre du célèbre poète du XIXe siècle avec la jeunesse d’aujourd’hui. L’auteur des Fleurs du mal et du Spleen de Paris semble avoir traversé un trou spatio temporel et son comportement est semblable à sa légende. Vitupérant et vindicatif, il accuse son siècle de tous les maux et clame son amour de la liberté. Adopté par la jeunesse languide d’une cité italienne, Charles Baudelaire leur récite ses poèmes et partage son spleen pour les aider à comprendre les enjeux de l’existence. D’abord surpris et bousculé, le lecteur se fait vite au paradoxe temporel et suit la rencontre de la jeunesse d’aujourd’hui avec le poète d’hier pour y retrouver toute la morgue du pre- mier surréaliste, comme l’appelait André Breton. Le lecteur suit avec plaisir les réflexions d’un Baudelaire tellement excessif qu’il fascine cette jeunesse moderne en mal d’absolu. Dans un monde actuel où la technologie a remplacé les rêves, le poète offre une échappée belle tentante qui le fait intégrer le groupe de jeunes pour les guider sur les chemins de la maturité. La narration s’attache avant tout au personnage bigger than life pour une tranche de vie douce amère qui charme par sa sincérité romantique. Charles est une bande dessinée iconoclaste qui devrait charmer autant les amoureux du 9e art que les mordus de poésie. Stanislas Claude pour publikart.net L'ÉDITEUR Fondée en 1991, par Jean-Louis Gauthey, rejoint assez vite par Bernard Granger (Blexbolex), les éditions Cornélius ont commencé par éditer des ouvrages qui, bien que réalisés en sérigraphie, ne cherchaient pas à se vendre comme objets de luxe - l'utilisation de la sérigraphie était ici motivée par un souci d'auto- nomie. Après l'album Big Man, de David Mazzucchelli, Cornélius édite ses livres en offset. Cornélius est proche de L'Association, les deux structures ont un temps partagé leurs locaux et ont beau- coup d'auteurs en commun. Le fait que les premiers livres de Cornélius soient de la main de piliers de L'Association tels que Menu et Trondheim brouillera d'ailleurs un temps l'image de marque de Cornélius qui, selon son fondateur, passe un temps pour être un « satellite un peu bizarre de L'Association ». Corné- lius est pourtant un éditeur bien différent, ses livres ont une fabrication bien plus soignée et ont chacun une très forte identité. En 2014, les éditions Cornélius déménagent de Paris pour s'installer dans l'agglomération bordelaise. Elles intègrent la Fabrique Pola, un espace de mutualisation où cohabitent de nombreuses structures et associations culturelles, dont notamment Les Requins Marteaux, une antenne du Fremok et les Édi- tions L'Arbre vengeur. Ce rapprochement entre les éditions Cornélius et Les Requins Marteaux donne naissance, en juin 2014, à une revue collective intitulée Franky (et Nicole) lorsqu'elle est publiée chez Les Requins Marteaux et Nicole (et Franky) lorsqu'elle sort chez les éditions Cornélius. www.cornelius.fr POUR ALLER PLUS LOIN Interview d'Alessandro Tota (podcast) http://www.nova.fr/podcast/nova-book-box/alessandro-tota-le-spleen-de-bari 26
LA COLÈRE DE POSÉIDON Scénario & Dessin Anders Nislen Éditeur Atrabile Date de publication Mars 2018 27
L’HISTOIRE On avait déjà pu entrevoir l’intérêt qu’Anders Nilsen portait aux grands mythes dans certaines de ses œuvres passées; dans La colère de Poséidon, il s’intéresse tout particulièrement à l’ancien testament et à la mythologie grecque. Nilsen offre ici des versions réinterprétées, actualisées et passablement chamboulées des histoires d’Ulys- se, Prométhée, Noé, Isaac et Lucifer (parmi d’autres), mais en témoin attentif de son époque, c’est bien du monde d’aujourd’hui qu’il nous parle et de ses nombreux maux. La sobriété des images, qui évoquent le théâtre d’ombre, vient renforcer le côté « pince sans rire » du texte, et donne le ton d’un livre bien plus drôle et malicieux qu’il n’y pourrait paraître – et ces histoires, pleines d’humour, de mordant et de dérision, font se marier comme si de rien questionnement métaphysique et situations absurdes. L'AUTEUR Anders Nilsen, né en 1973 dans le New Hampshire, est un artiste américain, dessinateur et scénariste de romans graphiques. Nilsen a grandi à Minneapolis et vit à Chicago. Il travaille depuis plusieurs années sur la série Big Ques- tions pour laquelle il a reçu le prix de la Xeric Foundation (en) en 2000. Il a reçu un Ignatz Award (en) pour Dogs and Water en 2005. Il fait partie du groupe d'écrivains de roman graphique basé à Chicago : The Holy Consumption AVIS / CRITIQUES Et si les dieux survivaient à leur mort ? On a beau ne plus croire en eux, peut-être n'ont-ils pas cessé d'exister. Partant de ce postulat mi-fantastique, mi-humoristique, le dessinateur américain Anders Nilsen réinvente les croyances et les mythes, questionnant notre monde dans un étonnant jeu d'ombre et de lumière. Voici des personnages bien majestueux. Divins, même, pour beaucoup. Poséidon, Isaac, Prométhée, Aphrodite, Jésus et d’autres composent une antique galerie modernisée par Anders Nilsen dans cet ou- vrage édité par Atrabile, La colère de Poséidon. Piochant dans la mythologie grecque et romaine, mais aussi dans l’Ancien et le Nouveau Testament, l’auteur réécrit et dessine des épisodes connus. Mais il en invente aussi de nouveaux, pour ramener à la vie ces divinités passées et présentes. 28
Avec un humour subtil et un recul philosophique, voire un engagement politique sur certains points, An- ders Nilsen propose sept chapitres, d’une à quelques dizaines de pages, et un addenda - l’ultime partie du livre, L’Ange déchu, paru à l’origine dans God and the Devil at War in the Garden, auto-publié par An- ders Nilsen en 2014 et non inclus à l’édition américaine de l’ouvrage - pour former une nouvelle mytholo- gie, où un panthéon hétéroclite se fait observateur, et parfois acteur, de notre monde. Le dessinateur mêle les religions, les constats et les réflexions pour offrir une vision parfois désenchantée, parfois optimiste, de la destinée humaine. Avec ces déesses et ces dieux, nous nous questionnons sur nos choix et nos modes de vie, sur l’environ- nement, sur nos croyances bien sûr. Sans condamner définitivement nos comportements, Anders Nilsen nous oblige à mettre nos vies en perspective, dans un temps long et au sein de la collectivité. Il n’en donne pas moins la priorité à la narration, construisant de petites histoires surprenantes, souvent drôles et ludiques. Deux procédés, l’un graphique, l’autre narratif, viennent renforcer l’originalité de La colère de Poséidon. L’ensemble du livre est composé d’une suite de cases carrées, une par page, surmontant un texte l’expli- quant ou au contraire lui faisant contrepoint. Associé à un noir et blanc très contrasté, évoquant le théâtre d’ombre ou bien certains livres de Stéphane Blanquet (notamment La Nouvelle aux pis, Cornélius, 2001), ce choix crée une distanciation singulière, où le lecteur devient également spectateur. Autre parti pris plutôt rare, cette fois dans l’écriture : l’utilisation récurrente de la deuxième personne du singulier. Anders Nilsen s’adresse ainsi directement au lecteur, l’impliquant davantage dans ses récits, mais lui rappelant en même temps qu’il ne s’agit, après tout, que d’un jeu. Fausse "bande dessinée dont vous êtes la divinité", La colère de Poséidon engage le lecteur, par ce "tu" présent dès la première phrase, à faire sien le destin fabuleux des dieux, pour mieux lui signifier qu’il n’est rien d’autre qu’un être humain parmi des milliards. Anders Nilsen a été plusieurs fois récompensé aux États-Unis - Prix Ignatz de la meilleure histoire en 2005, du meilleur "roman graphique" en 2007 et 2012 - et demeure l’un des fers de lance de la bande dessinée alternative nord-américaine. Il a été édité en Europe par Actes Sud (Des chiens, de l’eau en 2005), L'Association (Big Questions en 2012) et Atrabile (Fin en 2015 et La colère de Poséidon en 2018). Ce nou- veau livre se trouve donc être une excellente porte d’entrée dans une œuvre vaste et variée. Frédéric Hojlo pour actuabd.com 29
Dans La colère de Poséidon, théâtre d’ombres la plus totale. Ici, le dessin n’est qu’aplat, ombres initialement bricolé pour une soirée lecture, l’Amé- chinoises et jeu sur les espaces négatifs, disposé ricain Anders Nilsen confronte des dieux grecs au avec systématisme dans un carré sous lequel le monde moderne. texte se retrouve rejeté, façon Petit Illustré. Avant d’être un livre, La colère de Poséidon a d’abord été Chapitrée par divinité, la BD s’ouvre sur l’aigreur pensé pour être projeté image par image, comme du seigneur des océans qui s’est réfugié à la sur- une série de diapositives, tandis que Nilsen lisait les face. Depuis le Wisconsin, il commente le cours du textes au public. monde en vieille chose devenue dispensable, rumi- nant l’instant où s’est amorcé son déclin : cet échec En introduisant chaque chapitre par la même à punir l’assassin de son fils. Pas tellement qu’il phrase d’amorce («Imagine, tu es Poséidon/ Pro- tenait vraiment au Cyclope, mais Ulysse n’aurait ja- méthée/Athéna»), Nilsen inscrit également son mais dû retrouver les siens. Pour l’exemple. Depuis, livre dans un imaginaire du coucher, de l’histoire les sacrifices ont décliné, les vieux collègues se sont racontée par un parent pour s’introduire en douce recasés (Bacchus à Vegas, Eros sur Internet), et les dans le monde des rêves. Un effet renforcé par la Humains n’ont d’yeux que pour leur téléphone. puissance d’évocation de son théâtre d’ombres, Suivront la revanche cuisante de Prométhée et les qui ramène vers un socle commun de l’image, un dernières heures d’Athéna, le nez dans un bol de aspect quasi symbolique où le divin n’est pas figé céréales. dans une représentation. Livre accident, bricolé dans une forme primitive Car derrière l’artifice de la découverte de la afin de répondre à une invitation à une soirée contemporanéité, La colère de Poséidon est une lecture à laquelle se prête si mal la bande dessinée, façon détournée d’arracher ces mythes primitifs La colère de Poséidon tranche visuellement avec des mains des fondamentalismes pour les laïciser le reste de l’œuvre d’Anders Nilsen, auteur majeur et les donner à voir dans le dénuement de simples pour la BD américaine des années 2000, dont le contes moraux. dessin a le don de rester fragile, qu’il se déploie Marius Chapuis dans une économie de traits ou dans la profusion pour Liberation Imagine, tu es Poséidon… Imagine, tu t’appelles Isaac… Imagine, tu es Prométhée… Anders Nilsen donne sa vision très moderne des mythes de la Grèce Antique et de l’Ancien Testament dans La colère de Poséi- don, un superbe recueil de récits courts aux éditions Atrabile. Une merveille ! Pour débuter chaque chapitre, il les amorce par une expression quasi identique pour que le lecteur s’identifie fortement à ces déesses et ces dieux ou ces figures de La Bible, afin qu’il puisse se mettre à leur place. « Imagine, tu es Poséidon… Imagine, tu t’appelles Isaac… Imagine, tu es Prométhée… Tu t’appelles Athéna… » happe le lecteur dès leur vision. Ses textes interpellent ainsi par une écriture à la deuxième per- sonne du singulier. Alors que Poséidon avait régné sur toutes les mers et océans du monde, qu’il avait traqué Ulysse jusqu’aux confins de la Terre, il passa de mode puisque les Hommes avaient dompté les eaux. De son côté, à son réveil, Athéna subit les effets secondaires de sa gueule de bois de la veille et ne se souvient de rien. Malgré son foie dévoré tous les jours par des aigles en haute de sa montagne, Prométhée ne regrette toujours pas d’avoir apporté le feu aux Hommes Il nous avait bouleversé avec Fin, son poignant récit sur sa reconstruction après le décès de sa compagne malade (le plus bel album de l’année 2015), Anders Nilsen est de retour avec La colère de Poséidon, un album à part dans son parcours artistique. Il imagine ce que pourraient être les Dieux grecs et les person- nages de l’Ancien Testament aujourd’hui. Comme nous, ils seraient confrontés aux affres et aux dérives de nos sociétés. Ainsi, l’auteur chicagoan imagine L’Iliade et l’Odysée d’Homère à la sauce 2018 et c’est une formidable réussite. Des récits drôles, parfois cyniques et mordants. L’auteur de Des chiens, de l’eau (Actes Sud, 2005) réalise une seule grande illustration par planche avec un texte dessous, comme dans les feuilletons illustrés du début du 20e siècle. Ses personnages évoluent comme dans un théâtre d’ombre dans leur récit. Ils sont dessinés à partir de grands aplats noirs qui in- triguent le lecteur et apportent du mystère. Damien Canteau pour Comixtrip.fr 30
L’auteur américain Anders Nilsen revisite les péré- pire des principaux personnages de la mythologie grinations des héros mythologiques et bibliques à grecque et de l’Ancien Testament et les imagine la sauce contemporaine dans ce nouveau roman à notre époque, comment vivent-ils les derniers graphique aux Editions Atrabile. C’est une succes- retournements de la planète, comment voient-ils sion de petites histoires inspirées de la mythologie l’évolution des hommes ? Eux qui ont le don de et de la Bible. Nous y sommes invités à nous mettre prendre du recul et qui ne sont pour la plupart pas à la place de Poséidon qui se sent inutile depuis Humains, jugent-ils d’un bon oeil la mutation de que les hommes ont parcouru la mer et découvert notre société ? le globe, alors que Bacchus tient une boîte de nuit et qu'Eros gère Internet… Athéna, elle, souffre d’une C’est avec causticité, une bonne dose d’auto-déri- sévère gueule de bois et ne se souvient plus de ce sion et pas mal de recul qu’Anders Nilsen a écrit qu’il s’est passé la veille, jusqu’à ce qu’elle trouve cette odyssée moderne, qui s’attarde davantage sur une balle logée entre ses omoplates. Prométhée, le texte que sur l’image. Ici, les illustrations ne sont qui a apporté le feu ardent à ces drôles de créatures que des appuis sobres et simplifiés d’une histoire terrestres que sont les hommes, est toujours en- contemporaine et drôle. L’auteur, qui appartient chaîné en haut d’une montagne et se fait dévorer au mouvement The Holy Consumption, un groupe le foie par un aigle tous les jours depuis des siècles, de bédéastes de Chicago, fait montre de tout son il ne regrette toujours pas son acte. talent de mixage dans cette oeuvre à cheval entre les mondes et les siècles, et qui n’a pourtant jamais Le bédéaste américain Anders Nilsen revient chez l’air d’un grossier medley. Atrabile après son ouvrage sélectionné à An- Flora Eveno goulême en 2016, Fin. La colère de Poséidon s’ins- pour rtbf.be L'ÉDITEUR Les éditions Atrabile sont une maison d'édition suisse de bande dessinée fondée en 1997. Son siège est à Genève. Les éditions ont publié des œuvres de Frederik Peeters, Jason, Alex Baladi, Pierre Wazem ou encore Ibn Al Rabin. Elle édite également la revue Bile Noire. Atrabile.org 31
CRÉPUSCULE Scénario & Dessin Jérémy Perrodeau Éditeur 2024 Date de publication Septembre 2017 33
L’HISTOIRE Paul, Sofia, Karl et Ottö, deux agents Humains accompagnés de deux androïdes, s'aventurent sur une planète lointaine à la recherche d'une équipe scientifique disparue. Sur les arbres, les plantes, les roches, des excroissances géométriques défigurent le paysage, symptômes d'une expérience de grande ampleur ayant mal tourné. Bientôt piégés par une nature hostile, soumis à de violentes tempêtes gravitationnelles et de mystérieuses distorsions temporelles, nos quatre héros n'auront d'autre choix que d'avancer jusqu'à l'origine du phénomène. Ils plongent alors dans une odyssée qui les fera braver la Matière, l'Espace et le Temps... Crépuscule met en scène des êtres Humains seuls et démesurément insignifiants lorsque la nature sauvage décide de reprendre ses droits. Pure variation de la dialectique : Man vs Wild, l'homme, en figure d'apprenti-sorcier, joue avec sa technologie et provoque infailliblement une chaîne de réactions incontrôlables... Jérémy Perrodeau - Kaspard David Friedrich reborn ! - transfigure un écit romantique de SF en épopée western seventies. Survivalistes, âmes en mal de romantisme ou encore amoureux de science-fiction, ce livre est fait pour vous ! L'AUTEUR Jérémy Perrodeau est né en 1988 et a étudié le graphisme à l’école Estienne. Il en sort donc graphiste, et commence en parallèle à produire de petits fanzines auto-édités. Inspiré par la thématique du paysage et des grands espaces, il publie sa première bande dessinée intitulée Isles, la Grande Odyssée, en 2013 aux éditions FP&CF. Il fait également partie de la fine équipe réunie dans les revues Lagon et Volcan (signant même, avec Jean-Philippe Bretin, le graphisme de l’ouvrage). On l’a également vu dessiner chez Super Structure, concevoir des pochettes de disque pour le groupe Clerks, ou collaborer avec la marque pari- sienne de vêtements Andrea Crews. AVIS / CRITIQUES En mode Lego, c’est à une aventure graphique autant qu’à un récit d’exploration que nous convie Jérémy Perrodeau, pas loin de la série culte Lost (ou de la BD Biotope de Brüno et Appollo). Les formes géomé- triques ont envahi un environnement altéré, ouvert aux décalages temporels et autres déformations de la matière. Pourquoi cette planète dysfonctionne-t-elle ? Quid de l’avenir des scientifiques ? Que cherchent- ils au juste et où vont-ils? En posant beaucoup de questions sans y répondre, Jérémy Perrodeau ferre son lecteur autour du dessein étrange de ces personnages en sursis. Mais aussi à cette nature, largement contemplée, décor qui devient un personnage à part entière : pas vraiment hostile, l’écosystème montre des protubérances géométriques, symptômes d’un monde régi par des forces supra-humaines. L’auteur, avec son trait dépouillé, joue sur les formes, les temporalités et les teintes – rouge, jaune et bleu incarnent différentes époques – pour donner du rythme à cette expédition, variant les points de vue et les intrigues. Et si le récit ne frustre pas malgré tout, c’est que la quête est plus importante que son horizon, Perrodeau « géométrisant » le réel pour mieux le réenchanter et insuffler la vie. Une démarche toute romantique. Et c’est peut-être encore dans le titre que réside la clé d’un récit poétique, à l’étrangeté fascinante. Car l’es- sentiel n’est pas de savoir où l’on va mais bien de vivre l’expérience. Ellis M. pour bodoi.info 34
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