Quand l'esprit d'entreprise vient à l'Etat

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Quand l'esprit
d'entreprise
vient à l'Etat
Pour une réforme du service public

Tiré à part revu et augmenté de la série d'articles parus
dans Domaine public du 13 avril au 30 juin 1994 et
inspirés du livre de David Osborne et Ted Caebler:
Reinventing Covernment. How the Entrepreneurial Spirit is
Transforming the Public Sector.
La série d'articles reprise dans cette brochure est inspirée du
               livre de David Osborne et Ted Gaebler: Reinventing Government.
               How the Entrepreneurial Spirit is Transforming the Public Sector
               (New York, 1993, Plume Book).

               Rédaction: Jean-Daniel Delley
               avec le soutien du comité de rédaction de Domaine public
               Coordination, mise en page: Pierre Imhof

               Domaine public - hebdomadaire romand
               rue Saint-Pierre 1 - case postale 2612
               1002 Lausanne

DP             tél. 021 /312 69 10, fax 021 /312 80 40

               Abonnement: 80 francs par année
hebdomadaire
romand         Septembre 1994
Introduction

A        PLUSIEURS REPRISES dans Domaine pu-
         blic nous avons manifesté notre
         insatisfaction, notre agacement
même à l'égard de l'actuel débat sur le rôle
de l'Etat. Un débat qui voit s'affronter la
                                               tension des prestations d'un Etat-provi-
                                               dence qu'elle n'a pas peu contribué à édi-
                                               fier. Dans cette perspective toute réduc-
                                               tion des dépenses publiques et du nombre
                                               des fonctionnaires est perçue comme une
gauche et la droite, toutes deux drapées       atteinte intolérable à l'action sociale de
dans des certitudes aussi sommaires que        l'Etat.
dépassées.                                        A notre sens ce débat n'offre aucune
   La seconde a ouvert les feux en oppo-       perspective, brouillé qu'il est par des sché-
sant l'Etat inefficace et gaspilleur au mar-   mas idéologiques par trop datés. La droite,
ché, garant de la satisfaction des besoins     qui rêve d'un Etat amaigri et d'un mar-
au moindre coût. Moins d'Etat, plus de         ché livré à ses propres règles, nous invite
libertés, ces slogans électoraux n'en finis-   à un retour dans le passé et en cela elle est
sent pas d'alimenter les assauts contre le     proprement réactionnaire. Car si la sphère
secteur public: déréglementation, priva-       publique a régulièrement pris de l'embon-
tisation, plafonnement ou réduction des        point, c'est bien pour suppléer aux dé-
dépenses publiques, économies linéaires.       faillances du marché, incapable d'assurer
Alors même que ce programme, brutale-          les intérêts collectivement définis.
ment appliqué aux Etats-Unis et en                A considérer le nombre, l'importance et
Grande-Bretagne, a dévoilé ses effets ra-      la complexité des problèmes auxquels
vageurs: liberté et enrichissement pour        sont confrontées les sociétés modernes, on
quelques-uns, appauvrissement et margi-        peut prédire encore de beaux jours à l'Etat
nalisation pour un grand nombre.               national mais aussi aux formes émergean-
   Face à ces attaques, la gauche adopte       tes d'administration supranationale. Ce
généralement une position défensive; son       qui ne signifie pas pour autant que l'ac-
combat vise au maintien, si possible à l'ex-   tion publique est condamnée à se déve-
lopper dans les schémas actuels. Bien au         efficace a rendu possible la maîtrise des
contraire, l'Etat sera aussi présent demain,     tâches publiques induites par le dévelop-
mais avec des modalités d'action fort dif-       pement industriel. Elle a permis de répon-
férentes. Il continuera d'assurer la réalisa-    dre de manière satisfaisante aux besoins
tion des choix collectifs, mais avec plus        collectifs de base — santé, éducation,
d'efficacité, en proposant une plus grande       transports et infrastructures, prévoyance
variété de solutions, plus proches des in-       sociale — dans des sociétés à évolution
dividus et des groupes et avec une partici-      lente et bénéficiant d'un environnement
pation accrue de ces derniers.                   stable. Est-elle encore adaptée aujourd'hui
   Et c'est là que pèche la stratégie actuelle   à une société qui change rapidement, où
de la gauche. A concentrer ses efforts sur       l'information n'est plus l'apanage de quel-
la défense des acquis, elle en perd à la fois    ques privilégiés, où les usagers aspirent à
l'esprit critique et le sens de l'innovation.    des prestations de qualité et revendiquent
Il est illusoire de prétendre résister à la      une large palette de choix ? On peut en
vague du libéralisme ambiant en édifiant         douter.
une ligne Maginot de l'Etat social. A la            Les libéraux ne font pas confiance à
revendication du moins d'Etat, la gauche         l'Etat; ils lui préfèrent le marché et ses
se doit de répondre de manière imagina-          mécanismes automatiques d'adaptation.
tive, en proposant des solutions qui con-        Nous persistons à croire au contraire que
crétisent efficacement ses idéaux de jus-        seul l'Etat, c'est-à-dire l'action collective,
tice, de solidarité et de liberté.               est à même de définir nos valeurs et nos
   L'Etat aujourd'hui n'a pas bonne presse:      besoins communs et que la qualité de ses
dispendieux, inefficace, bureaucratique,         formes étatiques reflète le degré de civili-
rigide, telles sont les principales critiques    sation d'une société. Mais cette fonction
qu'il suscite et qui expliquent la séduc-        centrale, il ne la sauvegardera qu'en ré-
tion de l'argumentation libérale: restau-        formant en profondeur son fonctionne-
ration de la responsabilité et de la liberté     ment, son mode d'agir.
personnelles face au moloch étatique.               Pour animer le débat, nous publions cet
Impossible d'ignorer ces critiques; c'est à      essai, inspiré d'un récent ouvrage qui fait
partir d'elles qu'il s'agit de réinventer le     fureur aux Etats-Unis. Ses deux auteurs ont
service public.                                  parcouru le pays quatre années durant à
   L'administration hiérarchiquement or-         la recherche des nouvelles formes de gou-
ganisée et agissant dans le cadre strict de      vernement dans les villes, les comtés et
procédures formalisées s'est historique-         les Etats. Il ne s'agit donc pas d'un livre
ment constituée comme la réponse à l'ar-         théorique mais d'un inventaire d'expé-
bitraire du pouvoir monarchique et auto-         riences réalisées et de résultats tangibles.
ritaire. Cette organisation rationnelle et       La lecture en est stimulante, décapante
                                                 même lorsqu'elle renverse quelques-unes
                                                 de nos idées reçues les mieux établies.
                                                 Certes les innovations présentées dans les
Que de pages                                     chapitres suivants ne sont pas toutes
                                                 transposables telles quelles en Europe et
   L'administration militaire, on le sait, est
                                                 en Suisse; en particulier les collectivités
particulièrement friande de règlements. Le
                                                 locales américaines disposent d'une marge
manuel du Pentagone relatif aux règles de
                                                 d'autonomie nettement plus grande que
construction des bases militaires comporte
                                                 les cantons et les communes helvétiques.
400 pages, celui du logement des militai-
                                                 Mais ces innovations et ces expériences
res 800 pages et celui des employés civils
                                                 devraient faciliter notre réflexion car ici
de ces bases 8800 pages. Un haut fonc-
                                                 également les déficits publics sont à la
tionnaire a estimé qu'un tiers du budget
                                                 hausse, le crédit des autorités à la baisse
de la défense était consacré à l'application
                                                 et les problèmes à résoudre nombreux. Et
de ce foisonnement réglementaire.
                                                 il y a urgence à sortir de l'impasse du
moins d'Etat pour construire le mieux          cial, mais surtout parce qu'il évite de re-
d'Etat.                                        mettre en question le fonctionnement de
  Les déficits budgétaires et l'endettement    l'administration.
des collectivités publiques conduisent à          Car c'est bien de cela qu'il s'agit: de ser-
un dilemme politique classique: procéder       vices publics paralysés par des règles de
à des économies en réduisant les presta-       procédures qui ne stimulent ni l'imagina-
tions ou augmenter les impôts afin de          tion ni le dynamisme des fonctionnaires;
maintenir les prestations. Un dilemme          de contraintes budgétaires qui conduisent
fréquement résolu par un compromis boi-        l'administration à dépenser coûte que
teux qui consiste à combiner les deux so-      coûte jusqu'au dernier centime de peur
lutions: un peu d'économies et un léger        de voir diminuer ses moyens l'année sui-
accroissement des ressources fiscales. Un      vante; d'une réduction linéaire des pres-
compromis boiteux parce qu'il ne satis-        tations qui aboutit à un désengagement
fait personne, ni les partisans du moins       irréfléchi de l'Etat.
d'Etat ni les inconditionnels de l'Etat so-       Couper dans les dépenses ou augmen-

La piscine de Visalia
   Visalia, une cité californienne de          tion des besoins et non sous la contrainte
75 000 habitants, est touchée comme            de rubriques budgétaires détaillées; par
toutes les communes de l'Etat par une          ailleurs il peut conserver d'une année à
réduction de 25% de l'impôt foncier            l'autre les sommes non dépensées. Et c'est
adoptée en votation populaire en 1978.         grâce aux économies du service des parcs
En conséquence le collège local n'a pas pu     et loisirs que l'acompte a pu être versé
être équipé d'une piscine.                     rapidement. La gestion municipale se base
    Par un jeudi torride d'août 1984, un       sur une planification stratégique. Le haut
employé du service des parcs et loisirs        fonctionnaire connaît donc les priorités de
reçoit l'appel d'un ami de Los Angeles: le     la ville; il sait que l'autorité scolaire et la
Comité olympique liquide une piscine en        municipalité désirent se doter d'une
aluminium pour 400 000 dollars, la moitié      piscine et que l'exécutif apprécie particu-
de la valeur à neuf. Deux jours plus tard      lièrement l'esprit d'entreprise au sein de
l'employé, après avoir averti l'autorité       l'administration. Lorsque l'occasion se
scolaire, se rend sur place pour examiner      présente il n'hésite donc pas un instant à
l'installation en compagnie d'un haut          donner le feu vert, persuadé que l'école et
fonctionnaire municipal. Le lundi suivant,     la ville trouveront la somme nécessaire (la
nouvel appel: deux autres collèges sont        moitié de la dépense sera couverte par
sur l'affaire, il faut verser un acompte de    une souscription publique).
60 000 dollars pour réserver la piscine.
L'après-midi même l'employé apporte un            Cet exemple pose le problème du contrôle
chèque signé à Los Angeles.                    démocratique non pas tant de la dépense
    Comment un simple employé peut-il          que de l'engagement: si l'accompte versé ne
signer un chèque sans en référer à la          représente que 15% de la dépense, l'admi-
Municipalité et sans autorisation spéciale ?   nistration s'engage sur la totalité de la
Parce que Visalia a adopté un nouveau          somme.
système budgétaire qui permet aux                 Dans le cadre d'une administration
responsables administratifs d'adapter          animée par l'esprit d'entreprise, ce contrôle
rapidement leur action aux circonstances:      intervient a priori lors de la fixation des
chaque service dispose d'une enveloppe         objectifs (chapitre 4) et a posteriori lors de
financière annuelle qu'il affecte en fonc-     l'évaluation des résultats (chapitre 5).
ter les impôts, préconiser l'amaigrisse-        rassurent: concurrence, mécanismes du
    ment de l'Etat ou au contraire son renfor-      marché, contrôle de l'efficacité ne riment
    cement ne touchent pas le cœur du pro-          pas forcément avec libéralisme sauvage et
    blème. Aucune de ces solutions ne               aggravation des inégalités sociales. Bien
    contribue à développer l'esprit d'entre-        au contraire, finalisés par la réalisation de
    prise dans le service public, à renforcer le    l'intérêt public, ces mécanismes insufflent
    contrôle, l'autonomie et la participation       à l'action de l'Etat le dynamisme et l'effi-
    des citoyens-usagers, à restituer à l'Etat sa   cacité qui lui font trop souvent défaut.
    fonction première de pilotage. Bref, rien       Abandonnons nos préjugés et partons à
    là qui bouleverse la manière d'agir de l'ad-    la découverte de nouvelles formes de gou-
    ministration.                                   vernement. Quitte, à l'issue du parcours,
       Or ce bouleversement est possible; il        à opérer la critique et les adaptations né-
    donne même des résultats étonnants.             cessaires.
    Contraintes par la vague anti-impôts qui
    submerge les Etats-Unis dès le milieu des
    années 70 et par la revendication du pu-
    blic pour des services de meilleure qua-
    lité, de nombreuses collectivités locales et
    régionales ont fait le pas de l'innovation
    dans la gestion des affaires publiques.
       Sur la base de ces expériences, Osborne
    et Gaebler ont énoncé les dix principes
    d'une gestion publique animée par l'es-
    prit d'entreprise, principes qui constitue-
    ront le fil conducteur de notre présenta-
    tion. Que nos lectrices et lecteurs se

    Les dix principes du gouvernement
    animé par l'esprit d'entreprise
    1. Ne pas fournir simplement des                   prestations comme des usagers et leur
       prestations mais agir d'abord comme             offrir des choix véritables.
       le catalyseur des secteurs public, privé     6. Prévenir les problèmes plutôt qu'inter-
       et volontaire dans la recherche de              venir après coup avec de nouvelles
       solutions aux problèmes collectifs.             prestations.
    2. Restituer le pouvoir aux citoyens-           7. Imaginer comment gagner de l'argent
       usagers en leur donnant les moyens de           et non simplement le dépenser.
       contrôler l'action de l'administration.
                                                    8. Décentraliser la prise de décision et
    3. Contrôler régulièrement l'impact des            favoriser la gestion participative.
       prestations publiques.                       9. Donner la priorité aux mécanismes du
    4. Agir en fonction des objectifs à                 marché et non à l'approche bureaucra-
       atteindre et non des procédures à                tique des problèmes.
       respecter.
                                                    10. Promouvoir la concurrence entre les
    5. Considérer les bénéficiaires des                 prestataires de services.
4
I.
            Lâche la rame
       et tiens le gouvernail

G         OUVERNER,   si l'on se réfère à la ra-
          cine grecque du mot, signifie pi-
          loter. Or l'Etat-providence et son
administration ont mis une telle énergie
dans le faire — toute nouvelle tâche justi-
                                                   sibilités et de choisir les moyens les plus
                                                   adéquats pour parvenir au but. Ramer, par
                                                   contre, implique de se concentrer sur sa
                                                   mission et conduit à privilégier son savoir-
                                                   faire, même au détriment d'autres métho-
fie la création d'un service public pour           des, surtout lorsque l'administration dé-
l'exécuter — qu'ils en ont oublié cette            tient une situation de monopole.
fonction première: tout occupés à four-               Aujourd'hui les pouvoirs publics doi-
nir des prestations, ils ont délaissé le gou-      vent faire preuve de souplesse et réagir
vernail; ils rament mais ne pilotent plus.         rapidement à des demandes changeantes
   Selon la conception classique, l'Etat pré-      et à des problèmes nouveaux. Des quali-
lève des impôts et en contrepartie délivre         tés difficilement compatibles avec la lour-
des biens et des services. Le gouvernement         deur administrative et les routines qui
moderne, lui, identifie et définit les pro-        s'installent lorsque l'Etat est lui-même
blèmes puis réunit les ressources qui per-         fournisseur de prestations. D'où la ten-
mettent aux acteurs sociaux de trouver des         dance croissante de nombreuses autorités
solutions. Pour reprendre la définition de         locales et régionales à séparer clairement
Mario Cuomo, gouverneur de l'Etat de               la conception et la décision de la fourni-
New York, «la tâche d'un gouvernement              ture de prestations, et à sortir du dilemme
ne consiste pas d'abord à fournir des pres-        auquel conduisent trop souvent les diffi-
tations mais à veiller à ce qu'elles soient        cultés financières des collectivités publi-
disponibles».                                      ques: augmenter les impôts ou réduire les
   Car piloter et ramer ne procèdent pas           prestations. Ces autorités ont appris à réu-
de la même logique et exigent des quali-           nir des associations et des fondations pour
tés différentes. Piloter nécessite d'avoir         la réalisation de logements sociaux, à sti-
une vision d'ensemble, d'évaluer les pos-          muler la collaboration entre entreprises,
syndicats et universités pour favoriser l'in-   rels, en reclassant les fonctionnaires dans
novation économique et la création d'em-        d'autres secteurs de l'administration ou
plois, à faire collaborer des organisations     encore en garantissant une priorité d'em-
de quartier et la police dans la lutte con-     bauché dans les organisations et les en-
tre la criminalité, bref à jouer le rôle d'un   treprises au bénéfice d'un contrat public.
catalyseur pour la solution des problèmes          L'observateur européen est tenté de voir
collectifs. L'administration, libérée du        là un simple avatar de la vague de déré-
«faire», est plus libre de choisir les solu-    glementation et de privatisation qui at-
tions les meilleures, d'expérimenter des        teint aujourd'hui l'Europe et d'un libéra-
voies nouvelles et d'impliquer les bénéfi-      lisme triomphant qui n'ambitionne que
ciaires dans la réalisation des objectifs       d'affaiblir l'Etat. En abandonnant l'exer-
communs.                                        cice direct d'un certain nombre de tâches,
   Ce mode d'agir, parce qu'il met en ques-     l'Etat se trouve-t-il pour autant affaibli ?
tion des situations acquises, provoque          Oui à coup sûr, si l'on mesure son pou-
bien sûr la résistance des intérêts organi-     voir à l'importance de son budget et des
sés (syndicats, enseignants, médecins...)       effectifs de la fonction publique. Certai-
qui craignent pour l'emploi dans l'admi-        nement pas si cet allégement lui permet
nistration publique. C'est pourquoi les         de se consacrer prioritairement à sa fonc-
autorités hésitent souvent à déléguer des       tion de décision, de pilotage, à son rôle
tâches à des organisations privées. Les ob-     de catalyseur de l'action des groupes et
servations d'Osborne et Gaebler montrent        des organisations socio-économiques. A
que cette crainte n'est pas fondée: on peut     moins faire et à plus stimuler, coordon-
éviter des licenciements dans la fonction       ner, réorienter, l'Etat ne peut qu'amélio-
publique en jouant sur les départs natu-        rer son impact sur le devenir de la société.

La rénovation urbaine
à Tampa, Floride
   En 1985, l'agence municipale de              par la ville durant les cinq premières
réhabilitation des logements sociaux,           années. Pour faciliter l'accès de ces crédits
41 employés, accordait 37 prêts financés        aux gens de revenu modeste, peu fami-
par des fonds fédéraux. Sandy Freedman,         liers des bureaucraties publique et ban-
nouvellement élue à la mairie, avait            caire, la tâche de traiter directement avec
promis durant la campagne électorale, de        les bénéficiaires potentiels est confiée à
donner la priorité au logement: un tiers au     une organisation méthodiste sans but
moins des logements municipaux devait           lucratif.
faire l'objet d'une rénovation.                    L'agence municipale est réorganisée sur
   Devant l'impossibilité de réaliser cet       le modèle bancaire, l'effectif réduit à
objectif avec les moyens traditionnels, elle    22 postes — pour l'essentiel à la suite de
décide, en accord avec le responsable de        départs naturels; les employés, engagés
l'agence, d'expérimenter des voies              sous contrat privé, sont recyclés et
nouvelles. La ville abandonne son rôle          organisent librement leur travail en
passif de distributrice de subventions et       fonction d'un objectif mensuel de prêts à
cherche à stimuler le marché. Elle con-         accorder; les salaires sont augmentés de
vainc plusieurs banques locales de créer        50%. Les employés de l'agence trouvent
un fonds de 13 millions de dollars. Les         une satisfaction nouvelle dans leur travail
prêts de rénovation à faible taux d'intérêt     et la productivité explose: 1000 prêts sont
sont remboursables en 15 ans et garantis        attribués annuellement.
Mais ce faisant, ne met-on pas en péril        muts; loin aussi du critère cynique qui
la qualité et l'accessibilité des prestations ?   confine l'Etat aux tâches non rentables.
ajoutera l'observateur européen sceptique.           Les mécanismes du marché se révéle-
En aucune manière, à condition que les            ront parfois plus efficaces, parfois au con-
collectivités publiques fixent clairement         traire c'est un service public qui fera mieux
les objectifs et les conditions d'exécution       l'affaire. Dans d'autres cas, lorsque la tâ-
des tâches et qu'elles contrôlent leur réa-       che exige des rapports de confiance, une
lisation.                                         attention particulière aux usagers, c'est au
   On comprend que cette redéfinition du          secteur associatif que l'Etat s'adressera.
rôle de l'Etat est une opération autrement        Mais dans tous les cas où la fourniture de
complexe et fondamentale que le pro-              prestations d'intérêt public est déléguée à
gramme libéral de réduction des dépen-            des tiers, les pouvoirs publics n'abandon-
ses et de désengagement du secteur pu-            nent pas leur responsabilité: ce n'est pas
blic. Elle ne part pas d'un a priori              parce qu'une route est construite par une
idéologique qui ne conçoit l'administra-          entreprise privée qu'elle en devient pri-
tion qu'inefficace et juge le secteur privé       vée pour autant.
performant par définition. Les entrepri-             Ce qui importe, ce n'est donc pas
ses privées aussi souffrent des maux de la        d'abord l'étiquette de l'exécutant, public,
bureaucratie, notamment lorsqu'elles sont         privé ou volontaire, mais l'efficacité et l'ef-
à l'abri de la concurrence ou dirigées de         ficience dont il fait preuve dans la réalisa-
manière trop centralisée.                         tion de sa mission. D'ailleurs l'attention
   Cette redéfinition passe par un examen         portée à ces critères impose de repenser
concret de chaque problème à résoudre:            l'organisation et les modes d'action de
comment réorganiser la fourniture de              l'administration publique, afin qu'elle
biens et de services de manière à motiver         aussi dispose des conditions optimales
celles et ceux qui en ont la charge à mieux       pour accomplir ses tâches.
répondre aux besoins des usagers, à les li-
bérer de procédures paralysantes et à leur
faire assumer la responsabilité des résul-
tats obtenus ? On est loin de la méfiance
généralisée à l'égard de l'Etat qui sous-tend
la revendication néo-libérale de privati-
sation et de déréglementation tous azi-

Le tiers-secteur
   C'est celui des organisations volontaires
à but non lucratif, qui joue un rôle
important aux Etats-Unis. En 1982 il
occupait 8% des actifs et représentait
même 14% des emplois dans le tertiaire.
Entre 1972 et 1982 la croissance de
l'emploi y a été plus forte que dans les
autres secteurs de l'économie.
   Selon une enquête de 1989, environ la
moitié des Américains de 14 ans et plus
participe d'une manière ou d'une autre à
une activité volontaire pour une valeur
totale estimée à 1 70 milliards de dollars.
2.
    Le pouvoir aux usagers

     T       ROP SOUVENT   nous mettons sur
              pied des programmes desti-
              nés à une clientèle plutôt que
nous donnons du pouvoir à des commu-
nautés de citoyens». Cet aveu de George
                                               l'instruction, le social. Il ne s'agit pas de
                                               faire dans la nostalgie d'un passé idéalisé:
                                               cette évolution s'est révélée positive dans
                                               la mesure où elle a libéré les individus du
                                               contrôle pesant des communautés natu-
Latimer, ancien maire de Saint-Paul dans       relles au profit de prestations plus éten-
le Minnesota, traduit le penchant des ad-      dues, plus fiables, délivrées par une admi-
ministrations à considérer les bénéficiai-     nistration garantissant à la fois neutralité
res de prestations comme des personnes         et professionnalisme.
dépendantes, en manque d'un bien ou               Mais en contrepartie les bénéficiaires
d'un service, et qui attendent qu'on leur      ont perdu du pouvoir, celui de définir eux-
vienne en aide, et non comme des ci-           mêmes leurs besoins et de participer acti-
toyens adultes capables de comprendre          vement à leur satisfaction: Aux Etats-Unis,
leurs problèmes et d'agir pour les résou-      les premières réactions à cet état de fait
dre. Une attitude qui ne fait que renfor-      apparaissent au début des années 60, con-
cer la passivité des usagers.                  tre les projets de rénovation urbaine con-
   La prise en charge progressive par l'Etat   çus de manière bureaucratique par les pla-
de toute une série d'activités autrefois as-   nificateurs municipaux. Puis les minorités
sumées par la famille, le voisinage et les     exigent de contrôler les programmes so-
associations volontaires n'est pas un phé-     ciaux imaginés par les démocrates pour
nomène propre aux Etats-Unis. Il résulte       réaliser la «grande société». Le mouve-
historiquement de l'industrialisation des      ment n'ira qu'en s'amplifiant, touchant
sociétés qui a distendu les liens commu-       non seulement les services publics tels que
nautaires et intergénérations, créant ainsi    par exemple le logement et la santé mais
le besoin de services professionnels pu-       aussi la consommation: en clair il s'agit
blics dans les domaine tels que la santé,      pour les usagers de se réapproprier un con-
trôle sur leur vie quotidienne, contrôle       pour une période de quatre ans sur une
qu'ils ont perdu au profit des grandes en-     base contractuelle. Le conseil élabore un
treprises, des syndicats et des administra-    plan de développement de l'établissement
tions publiques. C'est de cette époque que     et prépare le budget. Une année après l'in-
datent les législations expérimentales, le     troduction de cette réforme, la majorité
droit à l'information détenue par les ad-      de parents (81%) et des enseignants (62%)
ministrations, la revendication de connaî-     estimaient que leur école fonctionnait
tre et de comprendre les lois. Les autori-     mieux qu'auparavant, aussi bien du point
tés ont peu à peu répondu à ces demandes       de vue de la sécurité et de la discipline
par des politiques orientées vers la com-      que des équipements et du programme.
munauté (community-oriented policies),            De telles expériences ont bien sûr sus-
c'est-à-dire contrôlées et même parfois        cité craintes et critiques: cette réappro-
gérées par les usagers.                        priation du pouvoir des usagers est con-
  Ainsi à Chicago, chaque école publique       cevable pour la classe moyenne des
est dirigée par un conseil où siègent six      banlieues, mais illusoire dès lors qu'il
représentants des parents désignés par ces     s'agit de pauvres et d'illettrés; laissons les
derniers, deux membres de la commu-            professionnels faire leur travail. Or la par-
nauté élus par les habitants, deux ensei-      ticipation à la désignation des représen-
gnants délégués par leurs pairs et le direc-   tants aux conseils d'école s'est révélée
teur. Ce dernier est nommé par le conseil      significativement plus élevée dans les

Apprendre                                      Quand la prise en
à la maison                                    compte des besoins
   Bill Clinton, alors gouverneur de           permet de réaliser des
l'Arkansas, a introduit un programme
d'instruction préscolaire à domicile           économies
(Hippy) imaginé en Israël. Chaque jour            A Genève, dès la rentrée scolaire de
durant 20 minutes, 2400 mères ensei-           1995, l'Economat cantonal livrera les
gnent à leur enfant les rudiments de la        fournitures scolaires en fonction des
lecture et de l'écriture; elles reçoivent      commandes des institutrices et des
chaque semaine la visite d'un instructeur      instituteurs, dans le cadre d'une enve-
de Hippy qui prépare avec elles le travail     loppe budgétaire attribuée à chaque
de la semaine suivante. En une année la        classe. Jusqu'à présent, c'est une commis-
proportion des enfants dont le niveau de       sion qui décidait des besoins en matériel
connaissance est égal ou supérieur à la        des écoles.
moyenne nationale a passé de 6% à 74%.
                                                  Ainsi, chaque enseignant pourra
   Dans le Massachusetts, les centres de       librement affecter sa dotation budgétaire
recyclage et de conseil aux chômeurs sont      selon ses besoins particuliers. Cette
gérés par d'anciens chômeurs.                  distribution à la carte, introduite à titre
   A San Francisco des agences commu-          expérimental en 1991 dans un nombre
nautaires offrent un service de médiation      limité d'écoles, permettra de réaliser une
pour régler les conflits de voisinage, animé   économie d'environ 120 000 francs, soit
par des volontaires dont un tiers sont         6% des dépenses de fournitures scolaires
d'anciens usagers. Actuellement ces            du degré primaire.
agences règlent plus de cas que les
tribunaux de la ville.
quartiers pauvres et le taux de satisfaction    autorités acceptent de donner du pouvoir
y est important.                                aux intéressés, leur laisse l'autonomie
   Certes le succès d'une expérience telle      nécessaire à la prise en charge de leurs
que celle de Kenilworth (lire ci-dessous)       problèmes. D'ailleurs à la suite de cette
repose sur le dynamisme et le charisme          expérience le ministère fédéral du loge-
d'une personnalité exceptionnelle, Kimi         ment a modifié la législation sur le loge-
Gray, une mère de cinq enfants, divorcée,       ment social sur la base des observations
à l'assistance, qui a su redonner confiance     de plusieurs dirigeants d'associations d'ha-
à tout un quartier. Mais pour que de tel-       bitants: droit de gestion reconnu aux as-
les personnalités émergent, encore faut-il      sociations de résidents, priorité pour l'ob-
des conditions favorables, à savoir que les     tention de subventions de rénovation,

Kenilworth-Parkside,
un quartier autogéré de Washington
    Un quartier noir de logements sociaux,      et fenêtres, un service de ramassage des
la rue principale livrée au trafic de drogue,   ordures, un magasin d'alimentation, deux
pas de chauffage ni d'eau chaude des            salons-lavoirs, un salon de coiffure, une
mois durant, des immeubles en état de           boutique d'habillement, un service de
dégradation avancée, infestés par les rats      repas, une entreprise de construction pour
parce que les ordures ne sont pas enlevées      la rénovation des appartements inoccu-
régulièrement.                                  pés... Tous les employés sont des habi-
    En 1982, le maire accepte à contrecœur      tants du quartier et chaque entreprise a
de concéder la gestion des immeubles aux        l'obligation d'embaucher des jeunes pour
habitants. Ces derniers rédigent leur           qu'ils se forment.
règlement: «Ainsi nous pouvons l'appli-            En 1982, moins de la moitié des
quer parce que nous comprenons ce que           locataires payaient leur loyer. En 1987 ils
nous avons écrit !»                             sont plus de 75% à le faire: l'association
    L'association des habitants forme           fait du porte-à-porte, expliquant que sans
certains de ses membres à la gestion et à       rentrées d'argent il n'y a pas de rénova-
l'entretien du parc immobilier. Elle se         tion, établissant des plans de rembourse-
réunit chaque mois en assemblée géné-           ment pour les locataires financièrement en
rale. Le dimanche des cours sont offerts        difficulté. Le commerce de la drogue est
pour tenir le ménage, établir un budget,        attaqué de front par les résidents: collabo-
réparer son appartement. L'association           ration avec la police, autrefois en butte à
crée un programme d'aide scolaire pour          l'hostilité du quartier, manifestations dans
les enfants dont les mères travaillent à        les rues, congé signifié aux locataires dont
plein temps, organise des cours pour            l'appartement sert au trafic. Le quartier de
adultes désireux d'entreprendre des              Kenilworth a bénéficié d'une rénovation
études secondaires, passe contrat avec un       complète grâce à un programme munici-
médecin et un dentiste pour assurer des          pal. En 1990 les habitants rachètent leur
soins à temps partiel, ouvre un service de       logement pour la somme symbolique de
 l'emploi pour aider les habitants à trouver     un dollar. Cette communauté de
 une formation complémentaire et un              3000 personnes, autrefois pour la plupart
travail, crée ses propres entreprises pour      à l'assistance, est aujourd'hui constituée
développer l'emploi au sein de la commu-        de propriétaires dont la majorité tra-
 nauté: un atelier de réparation de portes      vaillent.
droit de rachat des logements après trois      mation indispensables à l'autonomisation
     ans de gestion réussie, budget spécial pour    des usagers.
     la formation des résidents à la gestion de       Dans de nombreux exemples présentés
     leur quartier.                                 par Osborne et Gaebler, les collectivités
        Un contrôle accru des usagers dans les      publiques ont pu réaliser des économies.
     domaines qui affectent très directement        Mais les auteurs constatent surtout une
     leur vie quotidienne (logement, école,         amélioration de la qualité des prestations
     sécurité, aménagement local, etc) ne si-       et une satisfaction accrue des usagers.
     gnifie pas pour autant que les pouvoirs        Parce que les usagers et leurs organisations
     publics abandonnent toute responsabilité       sont plus proches des besoins des gens,
     et se déchargent à bon compte de leurs         comprennent mieux leurs problèmes et
     tâches sur les usagers. S'ils renoncent à      sont plus souples et innovateurs que les
     fournir directement toute une série de         administrations. Parce qu'ils cherchent à
     prestations, ils ne doivent pas moins          résoudre des problèmes plutôt qu'à sim-
     veiller à ce que les besoins sociaux soient    plement fournir des prestations. Parce
     satisfaits, par exemple en simplifiant les     qu'ils ne se limitent pas à pallier les défi-
     procédures donnant droit aux subven-           ciences des bénéficiaires de prestations
     tions, en facilitant l'obtention de crédits,   mais valorisent leurs compétences pro-
     en fournissant assistance technique et for-    pres.

12
3.
        Vive la concurrence !

C       OMMENT AMÉLIORER      la qualité des
         prestations et mieux répondre aux
         besoins des usagers ? La réponse
aujourd'hui à la mode consiste à privilé-
gier le secteur privé qui serait mieux à
                                                   Si en Europe la concurrence a souvent
                                                 mauvaise presse, c'est qu'elle est associée
                                                 à une lutte sans merci pour la réduction
                                                 des coûts, quel qu'en soit le prix (baisse
                                                 des salaires et des marges bénéficiaires).
même de satisfaire à ces exigences. Par          Cette concurrence-là, si elle est suscepti-
quoi on entend généralement l'abandon            ble de réduire les charges des collectivités
par l'Etat d'une tâche d'intérêt public au       publiques, ne contribue en rien à l'amé-
profit d'un opérateur privé qui se trouvera      lioration de la qualité des prestations et
fréquemment en situation de monopole.            de l'organisation du travail; elle se fait au
   Or le véritable enjeu ne réside pas dans      détriment des salariés et des usagers. De
le caractère public ou privé du prestataire      même le salaire individuel au mérite —
mais bien dans la situation où se trouve         une forme de concurrence entre les sala-
ce dernier pour accomplir sa tâche: situa-       riés — détruit l'esprit de solidarité et la
tion de monopole ou de concurrence.              bonne entente au sein d'une administra-
   La concurrence ne va pas résoudre tous        tion plutôt qu'il n'améliore l'efficacité des
les problèmes auxquels est confronté l'Etat      employés. Par contre la compétition en-
aujourd'hui. Elle n'est guère indiquée par       tre équipes, entre organisations, entre
exemple pour les fonctions réglementai-          entreprises développe le sens de l'initia-
res. Mais dès lors qu'il s'agit de fournir des   tive et des responsabilités, et permet d'en-
biens et des services — ce qui représente        richir des tâches qui, dans un cadre bu-
une part importante des budgets publics          reaucratique, ne présentent que peu
— une situation de concurrence peut fa-          d'intérêt.
voriser l'abaissement des coûts, l'adapta-          La mise en concurrence des prestatai-
tion rapide à l'évolution de la demande          res, si elle ne vise pas exclusivement une
et le désir de satisfaire les usagers.           baisse des coûts mais aussi et surtout une      13
amélioration des prestations, doit répon-       des élèves a progressé notablement et le
dre à des conditions précises: une défini-      taux d'admission dans les niveaux supé-
tion claire du mandat qui permet une éva-       rieurs a plus que décuplé. La réputation
luation rigoureuse des résultats obtenus,       scolaire du district de Harlem Est est telle
un contrat de durée limitée, la possibilité     qu'un millier d'élèves proviennent des
pour l'autorité publique d'exiger des com-      districts voisins et qu'il a fallu établir une
pensations financières de la part du pres-      liste d'attente pour les enseignants dési-
tataire au cas où les objectifs ne sont pas     reux de participer à l'expérience, alors
réalisés à satisfaction, voire même la rup-     qu'auparavant ils fuyaient ce district et sa
ture du contrat lorsque les lacunes sont        population ascolaire.
graves.                                            Si le principe de concurrence est relati-
   La concurrence peut également porter         vement accepté lorsqu'il s'applique à la
des fruits à l'intérieur du service public.     construction d'un édifice public, à la le-
Le district de Harlem Est (New York) en a       vée des ordures ou même aux transports
fait l'expérience en matière scolaire. En       en commun, il effraie quand on l'évoque
réaction à la situation déplorable de l'école   à propos de l'institution scolaire. L'instruc-
publique (mauvais résultats scolaires, in-      tion publique reste un lieu privilégié de
discipline, vandalisme, etc), les autorités     contraintes peu contestées: les enfants
scolaires ont autorisé les enseignants à        sont affectés d'autorité à telle école en
créer des écoles secondaires alternatives       fonction de leur lieu de domicile. Les usa-
et à gérer un budget en fonction des ef-        gers n'ont pas de choix, sauf à pouvoir se
fectifs, offrant ainsi aux parents et aux       payer une école privée, et les écoles sont
élèves le choix de leur école. En quelques      pleines sans qu'elles aient à conquérir une
années, la capacité de lecture et d'écriture    clientèle. L'Etat du Minnesota n'a pas

Le ramassage des ordures a Phoenix
   En 1978, confrontée à des difficultés        est supplanté par une entreprise privée, ce
budgétaires, la ville de Phoenix (Arizona)      qui l'oblige à repenser son calcul des coûts
décide de passer outre à l'opposition du        et ses méthodes de travail, avec la partici-
syndicat de la fonction publique et de          pation active des employés regroupés au
concessionner la levée des ordures à des        sein de «cercles de qualité». Les auteurs de
entreprises privées. Le chef du service         propositions innovatrices bénéficient
municipal de la voirie ne se décourage pas      d'une prime équivalant à 10% de l'écono-
pour autant et s'engage dans la compéti-        mie réalisée.
tion. Le territoire de la ville est divisé en      En 1984, à l'échéance du contrat qui
cinq arrondissements mis au concours et         porte sur le plus grand arrondissement de
attribués pour une durée de cinq à sept         la ville, le service municipal obtient le
ans, à raison d'un arrondissement chaque        mandat et en 1988, il est à nouveau
année. L'entreprise qui décroche le             responsable de la levée des ordures dans
contrat est contrainte d'engager les            les cinq arrondissements. Sur une base
employés municipaux privés de leur travail      contractuelle bien sûr et pour une durée
et la ville transfère dans d'autres services    limitée.
ceux d'entre eux qui ne désirent pas               Grâce à cette mise en concurrence, la
quitter le service public. Pour éviter toute    ville a réduit le coût du ramassage des
sous-enchère, l'administration contrôle         déchets urbains de 4,5% chaque année.
avec soin que les offres incluent tous les      Le président du syndicat admet que les
coûts.                                          conditions de travail et les salaires sont
   A quatre reprises, le service municipal      meilleurs qu'avant 1978.
craint de briser le tabou, suivi dès lors par   ment, c'est le système rigide qui prévaut
sept autres Etats américains (lire ci-des-      aujourd'hui encore, à savoir l'absence de
sous).                                          choix scolaire, qui est sélectif: les gosses
   Bien sûr le jeu de la concurrence dans       des quartiers pauvres sont obligés d'aller
le système scolaire suscite de nombreuses       à l'école de leur quartier alors que les mi-
critiques. Le chèque-éducation — chaque         lieux aisés peuvent payer à leurs enfants
enfant en âge de scolarité est titulaire        l'école (privée) de leur choix.
d'une somme d'argent qui permet aux                Si le libre jeu du marché n'est pas ga-
parents de payer l'école de leur choix —        rant de la justice sociale — il stimule
ne va-t-il pas favoriser les inégalités et la   d'abord les activités les plus rentables —,
ségrégation sociale ? Ce risque peut être       les monopoles publics ou privés ne font
écarté en limitant la taxe d'écolage au ni-     guère mieux en matière d'équité. La
veau du montant du chèque-éducation et          dynamisation des services d'intérêt public
par un effort soutenu d'information de          passe donc par une concurrence soigneu-
manière à ce que les milieux défavorisés        sement structurée, encadrée, par des con-
— aux Etats-Unis, essentiellement les mi-       ditions qui garantissent à tous l'accès à
norités raciales — soient au clair sur les      des prestations de qualité au meilleur
différents choix possibles. Paradoxale-         coût.

L'expérience du Minnesota
   A la fin des années 70, la ligue des         de 12 à 21 ans en échec qui peuvent
citoyens, mi-organisation civique, mi-club      désormais tenter leur chance dans un
de réflexion, décide d'examiner les effets      autre établissement. Au cours des deux
de la ségrégation raciale dans les écoles.      premières années, 3000 élèves, dont la
L'enquête révèle une profonde insatisfac-       moitié avait abandonné l'institution
tion de la population quant à la qualité        scolaire, font ce choix. Ce programme est
des écoles. Une seconde enquête constate        ensuite ouvert aux adultes qui ont inter-
que les résultats scolaires sont très moyens    rompu leur formation; à choix, des centres
en comparaison nationale. Le choc est           locaux d'enseignement, des programmes
rude pour l'opinion d'un Etat qui se            alternatifs, le collège, des écoles privées et
prévalait de la qualité de son instruction,     des entreprises sous contrat avec l'autorité
d'autant plus que les auteurs du rapport        scolaire de district.
préconisent d'introduire la concurrence            En 1988 le gouverneur parvient à ses
entre les établissements scolaires et de        fins, le libre choix de l'établissement
créer le chèque-éducation, librement            scolaire sur tout le territoire de l'Etat. Pour
utilisable dans les établissement publics ou    éviter toute discrimination, la collectivité
privés reconnus.                                prend à sa charge les frais de déplacement
   Le sujet est politiquement brûlant et les    des élèves à revenu modeste. Dorénavant
premiers projets de réforme ne passent          le budget de chaque établissement varie
pas la rampe parlementaire.                     en fonction des effectifs que ce dernier
   La première brèche intervient en 1984:       peut attirer. En 1990, alors que la réforme
les élèves de 16 et 17 ans sont autorisés à     touche l'ensemble des districts scolaires,
choisir leur école en dehors de leur district   près de 10% des élèves ont changé
de domicile et d'y verser leur chèque-          d'école. Et les établissements sont incités à
éducation. La première année seuls 2%           revoir leurs programmes et leurs métho-
des élèves font usage de ce droit, mais en      des afin de ne pas voir fondre leurs
 1987 ils sont déjà 5%.                         effectifs.
   En 1987 le gouverneur Perpich réussit à         Le système n'est certes pas parfait. Si la
étendre cette possibilité à tous les élèves     concurrence joue entre les districts, elle ne
fonctionne pas à l'intérieur de chacun           rence dans le système scolaire vise à
d'eux: si une école a du succès, l'autorité      dynamiser l'institution et à élargir l'offre de
scolaire rechigne à la dédoubler de peur         prestations. Néanmoins ces avantages ne
de concurrencer ses autres établissements.       doivent pas conduire à un éclatement de
Pour véritablement ouvrir le système             l'école — établissements réservés aux
scolaire, il faudrait encourager la création     sportifs, aux surdoués, aux minorités
de nouvelles écoles. C'est pourquoi le           linguistiques, établissements confessionnels
Minnesota a engagé dès 1991 un pro-              — qui abolirait sa fonction de creuset social,
gramme-pilote qui autorise l'ouverture de        de lieu d'intégration.
huit nouvelles écoles par des groupes               La libéralisation de l'instruction ne peut
d'enseignants, de parents ou d'organisa-         donc se concevoir qu'à l'intérieur d'un cadre
tions privées. Ce n'est qu'un début.             défini par l'autorité politique, celle-ci fixant
                                                 les conditions minimales auxquelles doivent
  L'introduction d'un élément de concur-         répondre les établissements reconnus.

Le contre-exemple                                Mécontentement
genevois                                         assuré
   La délégation du contrôle technique des.         Le secteur privé en situation de mono-
véhicules à un opérateur privé telle qu'elle     pole est aussi inefficace que l'administra-
est prévue à Genève est exemplaire d'une         tion soustraite à la pression de la concur-
conception simpliste et idéologique de la        rence. Dans l'Etat du Massachusetts,
privatisation.                                   l'assurance responsabilité civile des
   La structure et le fonctionnement du          véhicules à moteur est aux mains des
Service des automobiles n'ont pas donné          compagnies privées mais les primes sont
lieu à une analyse serrée qui aurait pu          fixées par une commission officielle
aboutir à une réorganisation de ce service:      (comme en Suisse). Les sociétés d'assu-
l'administration publique et ses méthodes        rance n'ont donc aucun intérêt à abaisser
de travail sont considérées a priori comme       leurs coûts, à prévenir les fraudes et à
irréformables.                                   améliorer le service à la clientèle. Le
   Le projet de délégation consiste à            niveau des primes, la fréquence des
transformer un monopole public en                plaintes des usagers et le taux de vol de
monopole privé. Les usagers seront               véhicules y sont les plus élevés du pays.
toujours confrontés à une offre unique sur
un marché captif, puisque le contrôle est
obligatoire. Tant qu'à faire, pourquoi ne
pas déléguer cette tâche à plusieurs
opérateurs privés, mieux répartis sur le
territoire cantonal, et élargir ainsi le choix
des usagers obligés ?
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