Quand l'esprit d'entreprise vient à l'Etat
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Quand l'esprit d'entreprise vient à l'Etat Pour une réforme du service public Tiré à part revu et augmenté de la série d'articles parus dans Domaine public du 13 avril au 30 juin 1994 et inspirés du livre de David Osborne et Ted Caebler: Reinventing Covernment. How the Entrepreneurial Spirit is Transforming the Public Sector.
La série d'articles reprise dans cette brochure est inspirée du livre de David Osborne et Ted Gaebler: Reinventing Government. How the Entrepreneurial Spirit is Transforming the Public Sector (New York, 1993, Plume Book). Rédaction: Jean-Daniel Delley avec le soutien du comité de rédaction de Domaine public Coordination, mise en page: Pierre Imhof Domaine public - hebdomadaire romand rue Saint-Pierre 1 - case postale 2612 1002 Lausanne DP tél. 021 /312 69 10, fax 021 /312 80 40 Abonnement: 80 francs par année hebdomadaire romand Septembre 1994
Introduction A PLUSIEURS REPRISES dans Domaine pu- blic nous avons manifesté notre insatisfaction, notre agacement même à l'égard de l'actuel débat sur le rôle de l'Etat. Un débat qui voit s'affronter la tension des prestations d'un Etat-provi- dence qu'elle n'a pas peu contribué à édi- fier. Dans cette perspective toute réduc- tion des dépenses publiques et du nombre des fonctionnaires est perçue comme une gauche et la droite, toutes deux drapées atteinte intolérable à l'action sociale de dans des certitudes aussi sommaires que l'Etat. dépassées. A notre sens ce débat n'offre aucune La seconde a ouvert les feux en oppo- perspective, brouillé qu'il est par des sché- sant l'Etat inefficace et gaspilleur au mar- mas idéologiques par trop datés. La droite, ché, garant de la satisfaction des besoins qui rêve d'un Etat amaigri et d'un mar- au moindre coût. Moins d'Etat, plus de ché livré à ses propres règles, nous invite libertés, ces slogans électoraux n'en finis- à un retour dans le passé et en cela elle est sent pas d'alimenter les assauts contre le proprement réactionnaire. Car si la sphère secteur public: déréglementation, priva- publique a régulièrement pris de l'embon- tisation, plafonnement ou réduction des point, c'est bien pour suppléer aux dé- dépenses publiques, économies linéaires. faillances du marché, incapable d'assurer Alors même que ce programme, brutale- les intérêts collectivement définis. ment appliqué aux Etats-Unis et en A considérer le nombre, l'importance et Grande-Bretagne, a dévoilé ses effets ra- la complexité des problèmes auxquels vageurs: liberté et enrichissement pour sont confrontées les sociétés modernes, on quelques-uns, appauvrissement et margi- peut prédire encore de beaux jours à l'Etat nalisation pour un grand nombre. national mais aussi aux formes émergean- Face à ces attaques, la gauche adopte tes d'administration supranationale. Ce généralement une position défensive; son qui ne signifie pas pour autant que l'ac- combat vise au maintien, si possible à l'ex- tion publique est condamnée à se déve-
lopper dans les schémas actuels. Bien au efficace a rendu possible la maîtrise des contraire, l'Etat sera aussi présent demain, tâches publiques induites par le dévelop- mais avec des modalités d'action fort dif- pement industriel. Elle a permis de répon- férentes. Il continuera d'assurer la réalisa- dre de manière satisfaisante aux besoins tion des choix collectifs, mais avec plus collectifs de base — santé, éducation, d'efficacité, en proposant une plus grande transports et infrastructures, prévoyance variété de solutions, plus proches des in- sociale — dans des sociétés à évolution dividus et des groupes et avec une partici- lente et bénéficiant d'un environnement pation accrue de ces derniers. stable. Est-elle encore adaptée aujourd'hui Et c'est là que pèche la stratégie actuelle à une société qui change rapidement, où de la gauche. A concentrer ses efforts sur l'information n'est plus l'apanage de quel- la défense des acquis, elle en perd à la fois ques privilégiés, où les usagers aspirent à l'esprit critique et le sens de l'innovation. des prestations de qualité et revendiquent Il est illusoire de prétendre résister à la une large palette de choix ? On peut en vague du libéralisme ambiant en édifiant douter. une ligne Maginot de l'Etat social. A la Les libéraux ne font pas confiance à revendication du moins d'Etat, la gauche l'Etat; ils lui préfèrent le marché et ses se doit de répondre de manière imagina- mécanismes automatiques d'adaptation. tive, en proposant des solutions qui con- Nous persistons à croire au contraire que crétisent efficacement ses idéaux de jus- seul l'Etat, c'est-à-dire l'action collective, tice, de solidarité et de liberté. est à même de définir nos valeurs et nos L'Etat aujourd'hui n'a pas bonne presse: besoins communs et que la qualité de ses dispendieux, inefficace, bureaucratique, formes étatiques reflète le degré de civili- rigide, telles sont les principales critiques sation d'une société. Mais cette fonction qu'il suscite et qui expliquent la séduc- centrale, il ne la sauvegardera qu'en ré- tion de l'argumentation libérale: restau- formant en profondeur son fonctionne- ration de la responsabilité et de la liberté ment, son mode d'agir. personnelles face au moloch étatique. Pour animer le débat, nous publions cet Impossible d'ignorer ces critiques; c'est à essai, inspiré d'un récent ouvrage qui fait partir d'elles qu'il s'agit de réinventer le fureur aux Etats-Unis. Ses deux auteurs ont service public. parcouru le pays quatre années durant à L'administration hiérarchiquement or- la recherche des nouvelles formes de gou- ganisée et agissant dans le cadre strict de vernement dans les villes, les comtés et procédures formalisées s'est historique- les Etats. Il ne s'agit donc pas d'un livre ment constituée comme la réponse à l'ar- théorique mais d'un inventaire d'expé- bitraire du pouvoir monarchique et auto- riences réalisées et de résultats tangibles. ritaire. Cette organisation rationnelle et La lecture en est stimulante, décapante même lorsqu'elle renverse quelques-unes de nos idées reçues les mieux établies. Certes les innovations présentées dans les Que de pages chapitres suivants ne sont pas toutes transposables telles quelles en Europe et L'administration militaire, on le sait, est en Suisse; en particulier les collectivités particulièrement friande de règlements. Le locales américaines disposent d'une marge manuel du Pentagone relatif aux règles de d'autonomie nettement plus grande que construction des bases militaires comporte les cantons et les communes helvétiques. 400 pages, celui du logement des militai- Mais ces innovations et ces expériences res 800 pages et celui des employés civils devraient faciliter notre réflexion car ici de ces bases 8800 pages. Un haut fonc- également les déficits publics sont à la tionnaire a estimé qu'un tiers du budget hausse, le crédit des autorités à la baisse de la défense était consacré à l'application et les problèmes à résoudre nombreux. Et de ce foisonnement réglementaire. il y a urgence à sortir de l'impasse du
moins d'Etat pour construire le mieux cial, mais surtout parce qu'il évite de re- d'Etat. mettre en question le fonctionnement de Les déficits budgétaires et l'endettement l'administration. des collectivités publiques conduisent à Car c'est bien de cela qu'il s'agit: de ser- un dilemme politique classique: procéder vices publics paralysés par des règles de à des économies en réduisant les presta- procédures qui ne stimulent ni l'imagina- tions ou augmenter les impôts afin de tion ni le dynamisme des fonctionnaires; maintenir les prestations. Un dilemme de contraintes budgétaires qui conduisent fréquement résolu par un compromis boi- l'administration à dépenser coûte que teux qui consiste à combiner les deux so- coûte jusqu'au dernier centime de peur lutions: un peu d'économies et un léger de voir diminuer ses moyens l'année sui- accroissement des ressources fiscales. Un vante; d'une réduction linéaire des pres- compromis boiteux parce qu'il ne satis- tations qui aboutit à un désengagement fait personne, ni les partisans du moins irréfléchi de l'Etat. d'Etat ni les inconditionnels de l'Etat so- Couper dans les dépenses ou augmen- La piscine de Visalia Visalia, une cité californienne de tion des besoins et non sous la contrainte 75 000 habitants, est touchée comme de rubriques budgétaires détaillées; par toutes les communes de l'Etat par une ailleurs il peut conserver d'une année à réduction de 25% de l'impôt foncier l'autre les sommes non dépensées. Et c'est adoptée en votation populaire en 1978. grâce aux économies du service des parcs En conséquence le collège local n'a pas pu et loisirs que l'acompte a pu être versé être équipé d'une piscine. rapidement. La gestion municipale se base Par un jeudi torride d'août 1984, un sur une planification stratégique. Le haut employé du service des parcs et loisirs fonctionnaire connaît donc les priorités de reçoit l'appel d'un ami de Los Angeles: le la ville; il sait que l'autorité scolaire et la Comité olympique liquide une piscine en municipalité désirent se doter d'une aluminium pour 400 000 dollars, la moitié piscine et que l'exécutif apprécie particu- de la valeur à neuf. Deux jours plus tard lièrement l'esprit d'entreprise au sein de l'employé, après avoir averti l'autorité l'administration. Lorsque l'occasion se scolaire, se rend sur place pour examiner présente il n'hésite donc pas un instant à l'installation en compagnie d'un haut donner le feu vert, persuadé que l'école et fonctionnaire municipal. Le lundi suivant, la ville trouveront la somme nécessaire (la nouvel appel: deux autres collèges sont moitié de la dépense sera couverte par sur l'affaire, il faut verser un acompte de une souscription publique). 60 000 dollars pour réserver la piscine. L'après-midi même l'employé apporte un Cet exemple pose le problème du contrôle chèque signé à Los Angeles. démocratique non pas tant de la dépense Comment un simple employé peut-il que de l'engagement: si l'accompte versé ne signer un chèque sans en référer à la représente que 15% de la dépense, l'admi- Municipalité et sans autorisation spéciale ? nistration s'engage sur la totalité de la Parce que Visalia a adopté un nouveau somme. système budgétaire qui permet aux Dans le cadre d'une administration responsables administratifs d'adapter animée par l'esprit d'entreprise, ce contrôle rapidement leur action aux circonstances: intervient a priori lors de la fixation des chaque service dispose d'une enveloppe objectifs (chapitre 4) et a posteriori lors de financière annuelle qu'il affecte en fonc- l'évaluation des résultats (chapitre 5).
ter les impôts, préconiser l'amaigrisse- rassurent: concurrence, mécanismes du ment de l'Etat ou au contraire son renfor- marché, contrôle de l'efficacité ne riment cement ne touchent pas le cœur du pro- pas forcément avec libéralisme sauvage et blème. Aucune de ces solutions ne aggravation des inégalités sociales. Bien contribue à développer l'esprit d'entre- au contraire, finalisés par la réalisation de prise dans le service public, à renforcer le l'intérêt public, ces mécanismes insufflent contrôle, l'autonomie et la participation à l'action de l'Etat le dynamisme et l'effi- des citoyens-usagers, à restituer à l'Etat sa cacité qui lui font trop souvent défaut. fonction première de pilotage. Bref, rien Abandonnons nos préjugés et partons à là qui bouleverse la manière d'agir de l'ad- la découverte de nouvelles formes de gou- ministration. vernement. Quitte, à l'issue du parcours, Or ce bouleversement est possible; il à opérer la critique et les adaptations né- donne même des résultats étonnants. cessaires. Contraintes par la vague anti-impôts qui submerge les Etats-Unis dès le milieu des années 70 et par la revendication du pu- blic pour des services de meilleure qua- lité, de nombreuses collectivités locales et régionales ont fait le pas de l'innovation dans la gestion des affaires publiques. Sur la base de ces expériences, Osborne et Gaebler ont énoncé les dix principes d'une gestion publique animée par l'es- prit d'entreprise, principes qui constitue- ront le fil conducteur de notre présenta- tion. Que nos lectrices et lecteurs se Les dix principes du gouvernement animé par l'esprit d'entreprise 1. Ne pas fournir simplement des prestations comme des usagers et leur prestations mais agir d'abord comme offrir des choix véritables. le catalyseur des secteurs public, privé 6. Prévenir les problèmes plutôt qu'inter- et volontaire dans la recherche de venir après coup avec de nouvelles solutions aux problèmes collectifs. prestations. 2. Restituer le pouvoir aux citoyens- 7. Imaginer comment gagner de l'argent usagers en leur donnant les moyens de et non simplement le dépenser. contrôler l'action de l'administration. 8. Décentraliser la prise de décision et 3. Contrôler régulièrement l'impact des favoriser la gestion participative. prestations publiques. 9. Donner la priorité aux mécanismes du 4. Agir en fonction des objectifs à marché et non à l'approche bureaucra- atteindre et non des procédures à tique des problèmes. respecter. 10. Promouvoir la concurrence entre les 5. Considérer les bénéficiaires des prestataires de services. 4
I. Lâche la rame et tiens le gouvernail G OUVERNER, si l'on se réfère à la ra- cine grecque du mot, signifie pi- loter. Or l'Etat-providence et son administration ont mis une telle énergie dans le faire — toute nouvelle tâche justi- sibilités et de choisir les moyens les plus adéquats pour parvenir au but. Ramer, par contre, implique de se concentrer sur sa mission et conduit à privilégier son savoir- faire, même au détriment d'autres métho- fie la création d'un service public pour des, surtout lorsque l'administration dé- l'exécuter — qu'ils en ont oublié cette tient une situation de monopole. fonction première: tout occupés à four- Aujourd'hui les pouvoirs publics doi- nir des prestations, ils ont délaissé le gou- vent faire preuve de souplesse et réagir vernail; ils rament mais ne pilotent plus. rapidement à des demandes changeantes Selon la conception classique, l'Etat pré- et à des problèmes nouveaux. Des quali- lève des impôts et en contrepartie délivre tés difficilement compatibles avec la lour- des biens et des services. Le gouvernement deur administrative et les routines qui moderne, lui, identifie et définit les pro- s'installent lorsque l'Etat est lui-même blèmes puis réunit les ressources qui per- fournisseur de prestations. D'où la ten- mettent aux acteurs sociaux de trouver des dance croissante de nombreuses autorités solutions. Pour reprendre la définition de locales et régionales à séparer clairement Mario Cuomo, gouverneur de l'Etat de la conception et la décision de la fourni- New York, «la tâche d'un gouvernement ture de prestations, et à sortir du dilemme ne consiste pas d'abord à fournir des pres- auquel conduisent trop souvent les diffi- tations mais à veiller à ce qu'elles soient cultés financières des collectivités publi- disponibles». ques: augmenter les impôts ou réduire les Car piloter et ramer ne procèdent pas prestations. Ces autorités ont appris à réu- de la même logique et exigent des quali- nir des associations et des fondations pour tés différentes. Piloter nécessite d'avoir la réalisation de logements sociaux, à sti- une vision d'ensemble, d'évaluer les pos- muler la collaboration entre entreprises,
syndicats et universités pour favoriser l'in- rels, en reclassant les fonctionnaires dans novation économique et la création d'em- d'autres secteurs de l'administration ou plois, à faire collaborer des organisations encore en garantissant une priorité d'em- de quartier et la police dans la lutte con- bauché dans les organisations et les en- tre la criminalité, bref à jouer le rôle d'un treprises au bénéfice d'un contrat public. catalyseur pour la solution des problèmes L'observateur européen est tenté de voir collectifs. L'administration, libérée du là un simple avatar de la vague de déré- «faire», est plus libre de choisir les solu- glementation et de privatisation qui at- tions les meilleures, d'expérimenter des teint aujourd'hui l'Europe et d'un libéra- voies nouvelles et d'impliquer les bénéfi- lisme triomphant qui n'ambitionne que ciaires dans la réalisation des objectifs d'affaiblir l'Etat. En abandonnant l'exer- communs. cice direct d'un certain nombre de tâches, Ce mode d'agir, parce qu'il met en ques- l'Etat se trouve-t-il pour autant affaibli ? tion des situations acquises, provoque Oui à coup sûr, si l'on mesure son pou- bien sûr la résistance des intérêts organi- voir à l'importance de son budget et des sés (syndicats, enseignants, médecins...) effectifs de la fonction publique. Certai- qui craignent pour l'emploi dans l'admi- nement pas si cet allégement lui permet nistration publique. C'est pourquoi les de se consacrer prioritairement à sa fonc- autorités hésitent souvent à déléguer des tion de décision, de pilotage, à son rôle tâches à des organisations privées. Les ob- de catalyseur de l'action des groupes et servations d'Osborne et Gaebler montrent des organisations socio-économiques. A que cette crainte n'est pas fondée: on peut moins faire et à plus stimuler, coordon- éviter des licenciements dans la fonction ner, réorienter, l'Etat ne peut qu'amélio- publique en jouant sur les départs natu- rer son impact sur le devenir de la société. La rénovation urbaine à Tampa, Floride En 1985, l'agence municipale de par la ville durant les cinq premières réhabilitation des logements sociaux, années. Pour faciliter l'accès de ces crédits 41 employés, accordait 37 prêts financés aux gens de revenu modeste, peu fami- par des fonds fédéraux. Sandy Freedman, liers des bureaucraties publique et ban- nouvellement élue à la mairie, avait caire, la tâche de traiter directement avec promis durant la campagne électorale, de les bénéficiaires potentiels est confiée à donner la priorité au logement: un tiers au une organisation méthodiste sans but moins des logements municipaux devait lucratif. faire l'objet d'une rénovation. L'agence municipale est réorganisée sur Devant l'impossibilité de réaliser cet le modèle bancaire, l'effectif réduit à objectif avec les moyens traditionnels, elle 22 postes — pour l'essentiel à la suite de décide, en accord avec le responsable de départs naturels; les employés, engagés l'agence, d'expérimenter des voies sous contrat privé, sont recyclés et nouvelles. La ville abandonne son rôle organisent librement leur travail en passif de distributrice de subventions et fonction d'un objectif mensuel de prêts à cherche à stimuler le marché. Elle con- accorder; les salaires sont augmentés de vainc plusieurs banques locales de créer 50%. Les employés de l'agence trouvent un fonds de 13 millions de dollars. Les une satisfaction nouvelle dans leur travail prêts de rénovation à faible taux d'intérêt et la productivité explose: 1000 prêts sont sont remboursables en 15 ans et garantis attribués annuellement.
Mais ce faisant, ne met-on pas en péril muts; loin aussi du critère cynique qui la qualité et l'accessibilité des prestations ? confine l'Etat aux tâches non rentables. ajoutera l'observateur européen sceptique. Les mécanismes du marché se révéle- En aucune manière, à condition que les ront parfois plus efficaces, parfois au con- collectivités publiques fixent clairement traire c'est un service public qui fera mieux les objectifs et les conditions d'exécution l'affaire. Dans d'autres cas, lorsque la tâ- des tâches et qu'elles contrôlent leur réa- che exige des rapports de confiance, une lisation. attention particulière aux usagers, c'est au On comprend que cette redéfinition du secteur associatif que l'Etat s'adressera. rôle de l'Etat est une opération autrement Mais dans tous les cas où la fourniture de complexe et fondamentale que le pro- prestations d'intérêt public est déléguée à gramme libéral de réduction des dépen- des tiers, les pouvoirs publics n'abandon- ses et de désengagement du secteur pu- nent pas leur responsabilité: ce n'est pas blic. Elle ne part pas d'un a priori parce qu'une route est construite par une idéologique qui ne conçoit l'administra- entreprise privée qu'elle en devient pri- tion qu'inefficace et juge le secteur privé vée pour autant. performant par définition. Les entrepri- Ce qui importe, ce n'est donc pas ses privées aussi souffrent des maux de la d'abord l'étiquette de l'exécutant, public, bureaucratie, notamment lorsqu'elles sont privé ou volontaire, mais l'efficacité et l'ef- à l'abri de la concurrence ou dirigées de ficience dont il fait preuve dans la réalisa- manière trop centralisée. tion de sa mission. D'ailleurs l'attention Cette redéfinition passe par un examen portée à ces critères impose de repenser concret de chaque problème à résoudre: l'organisation et les modes d'action de comment réorganiser la fourniture de l'administration publique, afin qu'elle biens et de services de manière à motiver aussi dispose des conditions optimales celles et ceux qui en ont la charge à mieux pour accomplir ses tâches. répondre aux besoins des usagers, à les li- bérer de procédures paralysantes et à leur faire assumer la responsabilité des résul- tats obtenus ? On est loin de la méfiance généralisée à l'égard de l'Etat qui sous-tend la revendication néo-libérale de privati- sation et de déréglementation tous azi- Le tiers-secteur C'est celui des organisations volontaires à but non lucratif, qui joue un rôle important aux Etats-Unis. En 1982 il occupait 8% des actifs et représentait même 14% des emplois dans le tertiaire. Entre 1972 et 1982 la croissance de l'emploi y a été plus forte que dans les autres secteurs de l'économie. Selon une enquête de 1989, environ la moitié des Américains de 14 ans et plus participe d'une manière ou d'une autre à une activité volontaire pour une valeur totale estimée à 1 70 milliards de dollars.
2. Le pouvoir aux usagers T ROP SOUVENT nous mettons sur pied des programmes desti- nés à une clientèle plutôt que nous donnons du pouvoir à des commu- nautés de citoyens». Cet aveu de George l'instruction, le social. Il ne s'agit pas de faire dans la nostalgie d'un passé idéalisé: cette évolution s'est révélée positive dans la mesure où elle a libéré les individus du contrôle pesant des communautés natu- Latimer, ancien maire de Saint-Paul dans relles au profit de prestations plus éten- le Minnesota, traduit le penchant des ad- dues, plus fiables, délivrées par une admi- ministrations à considérer les bénéficiai- nistration garantissant à la fois neutralité res de prestations comme des personnes et professionnalisme. dépendantes, en manque d'un bien ou Mais en contrepartie les bénéficiaires d'un service, et qui attendent qu'on leur ont perdu du pouvoir, celui de définir eux- vienne en aide, et non comme des ci- mêmes leurs besoins et de participer acti- toyens adultes capables de comprendre vement à leur satisfaction: Aux Etats-Unis, leurs problèmes et d'agir pour les résou- les premières réactions à cet état de fait dre. Une attitude qui ne fait que renfor- apparaissent au début des années 60, con- cer la passivité des usagers. tre les projets de rénovation urbaine con- La prise en charge progressive par l'Etat çus de manière bureaucratique par les pla- de toute une série d'activités autrefois as- nificateurs municipaux. Puis les minorités sumées par la famille, le voisinage et les exigent de contrôler les programmes so- associations volontaires n'est pas un phé- ciaux imaginés par les démocrates pour nomène propre aux Etats-Unis. Il résulte réaliser la «grande société». Le mouve- historiquement de l'industrialisation des ment n'ira qu'en s'amplifiant, touchant sociétés qui a distendu les liens commu- non seulement les services publics tels que nautaires et intergénérations, créant ainsi par exemple le logement et la santé mais le besoin de services professionnels pu- aussi la consommation: en clair il s'agit blics dans les domaine tels que la santé, pour les usagers de se réapproprier un con-
trôle sur leur vie quotidienne, contrôle pour une période de quatre ans sur une qu'ils ont perdu au profit des grandes en- base contractuelle. Le conseil élabore un treprises, des syndicats et des administra- plan de développement de l'établissement tions publiques. C'est de cette époque que et prépare le budget. Une année après l'in- datent les législations expérimentales, le troduction de cette réforme, la majorité droit à l'information détenue par les ad- de parents (81%) et des enseignants (62%) ministrations, la revendication de connaî- estimaient que leur école fonctionnait tre et de comprendre les lois. Les autori- mieux qu'auparavant, aussi bien du point tés ont peu à peu répondu à ces demandes de vue de la sécurité et de la discipline par des politiques orientées vers la com- que des équipements et du programme. munauté (community-oriented policies), De telles expériences ont bien sûr sus- c'est-à-dire contrôlées et même parfois cité craintes et critiques: cette réappro- gérées par les usagers. priation du pouvoir des usagers est con- Ainsi à Chicago, chaque école publique cevable pour la classe moyenne des est dirigée par un conseil où siègent six banlieues, mais illusoire dès lors qu'il représentants des parents désignés par ces s'agit de pauvres et d'illettrés; laissons les derniers, deux membres de la commu- professionnels faire leur travail. Or la par- nauté élus par les habitants, deux ensei- ticipation à la désignation des représen- gnants délégués par leurs pairs et le direc- tants aux conseils d'école s'est révélée teur. Ce dernier est nommé par le conseil significativement plus élevée dans les Apprendre Quand la prise en à la maison compte des besoins Bill Clinton, alors gouverneur de permet de réaliser des l'Arkansas, a introduit un programme d'instruction préscolaire à domicile économies (Hippy) imaginé en Israël. Chaque jour A Genève, dès la rentrée scolaire de durant 20 minutes, 2400 mères ensei- 1995, l'Economat cantonal livrera les gnent à leur enfant les rudiments de la fournitures scolaires en fonction des lecture et de l'écriture; elles reçoivent commandes des institutrices et des chaque semaine la visite d'un instructeur instituteurs, dans le cadre d'une enve- de Hippy qui prépare avec elles le travail loppe budgétaire attribuée à chaque de la semaine suivante. En une année la classe. Jusqu'à présent, c'est une commis- proportion des enfants dont le niveau de sion qui décidait des besoins en matériel connaissance est égal ou supérieur à la des écoles. moyenne nationale a passé de 6% à 74%. Ainsi, chaque enseignant pourra Dans le Massachusetts, les centres de librement affecter sa dotation budgétaire recyclage et de conseil aux chômeurs sont selon ses besoins particuliers. Cette gérés par d'anciens chômeurs. distribution à la carte, introduite à titre A San Francisco des agences commu- expérimental en 1991 dans un nombre nautaires offrent un service de médiation limité d'écoles, permettra de réaliser une pour régler les conflits de voisinage, animé économie d'environ 120 000 francs, soit par des volontaires dont un tiers sont 6% des dépenses de fournitures scolaires d'anciens usagers. Actuellement ces du degré primaire. agences règlent plus de cas que les tribunaux de la ville.
quartiers pauvres et le taux de satisfaction autorités acceptent de donner du pouvoir y est important. aux intéressés, leur laisse l'autonomie Certes le succès d'une expérience telle nécessaire à la prise en charge de leurs que celle de Kenilworth (lire ci-dessous) problèmes. D'ailleurs à la suite de cette repose sur le dynamisme et le charisme expérience le ministère fédéral du loge- d'une personnalité exceptionnelle, Kimi ment a modifié la législation sur le loge- Gray, une mère de cinq enfants, divorcée, ment social sur la base des observations à l'assistance, qui a su redonner confiance de plusieurs dirigeants d'associations d'ha- à tout un quartier. Mais pour que de tel- bitants: droit de gestion reconnu aux as- les personnalités émergent, encore faut-il sociations de résidents, priorité pour l'ob- des conditions favorables, à savoir que les tention de subventions de rénovation, Kenilworth-Parkside, un quartier autogéré de Washington Un quartier noir de logements sociaux, et fenêtres, un service de ramassage des la rue principale livrée au trafic de drogue, ordures, un magasin d'alimentation, deux pas de chauffage ni d'eau chaude des salons-lavoirs, un salon de coiffure, une mois durant, des immeubles en état de boutique d'habillement, un service de dégradation avancée, infestés par les rats repas, une entreprise de construction pour parce que les ordures ne sont pas enlevées la rénovation des appartements inoccu- régulièrement. pés... Tous les employés sont des habi- En 1982, le maire accepte à contrecœur tants du quartier et chaque entreprise a de concéder la gestion des immeubles aux l'obligation d'embaucher des jeunes pour habitants. Ces derniers rédigent leur qu'ils se forment. règlement: «Ainsi nous pouvons l'appli- En 1982, moins de la moitié des quer parce que nous comprenons ce que locataires payaient leur loyer. En 1987 ils nous avons écrit !» sont plus de 75% à le faire: l'association L'association des habitants forme fait du porte-à-porte, expliquant que sans certains de ses membres à la gestion et à rentrées d'argent il n'y a pas de rénova- l'entretien du parc immobilier. Elle se tion, établissant des plans de rembourse- réunit chaque mois en assemblée géné- ment pour les locataires financièrement en rale. Le dimanche des cours sont offerts difficulté. Le commerce de la drogue est pour tenir le ménage, établir un budget, attaqué de front par les résidents: collabo- réparer son appartement. L'association ration avec la police, autrefois en butte à crée un programme d'aide scolaire pour l'hostilité du quartier, manifestations dans les enfants dont les mères travaillent à les rues, congé signifié aux locataires dont plein temps, organise des cours pour l'appartement sert au trafic. Le quartier de adultes désireux d'entreprendre des Kenilworth a bénéficié d'une rénovation études secondaires, passe contrat avec un complète grâce à un programme munici- médecin et un dentiste pour assurer des pal. En 1990 les habitants rachètent leur soins à temps partiel, ouvre un service de logement pour la somme symbolique de l'emploi pour aider les habitants à trouver un dollar. Cette communauté de une formation complémentaire et un 3000 personnes, autrefois pour la plupart travail, crée ses propres entreprises pour à l'assistance, est aujourd'hui constituée développer l'emploi au sein de la commu- de propriétaires dont la majorité tra- nauté: un atelier de réparation de portes vaillent.
droit de rachat des logements après trois mation indispensables à l'autonomisation ans de gestion réussie, budget spécial pour des usagers. la formation des résidents à la gestion de Dans de nombreux exemples présentés leur quartier. par Osborne et Gaebler, les collectivités Un contrôle accru des usagers dans les publiques ont pu réaliser des économies. domaines qui affectent très directement Mais les auteurs constatent surtout une leur vie quotidienne (logement, école, amélioration de la qualité des prestations sécurité, aménagement local, etc) ne si- et une satisfaction accrue des usagers. gnifie pas pour autant que les pouvoirs Parce que les usagers et leurs organisations publics abandonnent toute responsabilité sont plus proches des besoins des gens, et se déchargent à bon compte de leurs comprennent mieux leurs problèmes et tâches sur les usagers. S'ils renoncent à sont plus souples et innovateurs que les fournir directement toute une série de administrations. Parce qu'ils cherchent à prestations, ils ne doivent pas moins résoudre des problèmes plutôt qu'à sim- veiller à ce que les besoins sociaux soient plement fournir des prestations. Parce satisfaits, par exemple en simplifiant les qu'ils ne se limitent pas à pallier les défi- procédures donnant droit aux subven- ciences des bénéficiaires de prestations tions, en facilitant l'obtention de crédits, mais valorisent leurs compétences pro- en fournissant assistance technique et for- pres. 12
3. Vive la concurrence ! C OMMENT AMÉLIORER la qualité des prestations et mieux répondre aux besoins des usagers ? La réponse aujourd'hui à la mode consiste à privilé- gier le secteur privé qui serait mieux à Si en Europe la concurrence a souvent mauvaise presse, c'est qu'elle est associée à une lutte sans merci pour la réduction des coûts, quel qu'en soit le prix (baisse des salaires et des marges bénéficiaires). même de satisfaire à ces exigences. Par Cette concurrence-là, si elle est suscepti- quoi on entend généralement l'abandon ble de réduire les charges des collectivités par l'Etat d'une tâche d'intérêt public au publiques, ne contribue en rien à l'amé- profit d'un opérateur privé qui se trouvera lioration de la qualité des prestations et fréquemment en situation de monopole. de l'organisation du travail; elle se fait au Or le véritable enjeu ne réside pas dans détriment des salariés et des usagers. De le caractère public ou privé du prestataire même le salaire individuel au mérite — mais bien dans la situation où se trouve une forme de concurrence entre les sala- ce dernier pour accomplir sa tâche: situa- riés — détruit l'esprit de solidarité et la tion de monopole ou de concurrence. bonne entente au sein d'une administra- La concurrence ne va pas résoudre tous tion plutôt qu'il n'améliore l'efficacité des les problèmes auxquels est confronté l'Etat employés. Par contre la compétition en- aujourd'hui. Elle n'est guère indiquée par tre équipes, entre organisations, entre exemple pour les fonctions réglementai- entreprises développe le sens de l'initia- res. Mais dès lors qu'il s'agit de fournir des tive et des responsabilités, et permet d'en- biens et des services — ce qui représente richir des tâches qui, dans un cadre bu- une part importante des budgets publics reaucratique, ne présentent que peu — une situation de concurrence peut fa- d'intérêt. voriser l'abaissement des coûts, l'adapta- La mise en concurrence des prestatai- tion rapide à l'évolution de la demande res, si elle ne vise pas exclusivement une et le désir de satisfaire les usagers. baisse des coûts mais aussi et surtout une 13
amélioration des prestations, doit répon- des élèves a progressé notablement et le dre à des conditions précises: une défini- taux d'admission dans les niveaux supé- tion claire du mandat qui permet une éva- rieurs a plus que décuplé. La réputation luation rigoureuse des résultats obtenus, scolaire du district de Harlem Est est telle un contrat de durée limitée, la possibilité qu'un millier d'élèves proviennent des pour l'autorité publique d'exiger des com- districts voisins et qu'il a fallu établir une pensations financières de la part du pres- liste d'attente pour les enseignants dési- tataire au cas où les objectifs ne sont pas reux de participer à l'expérience, alors réalisés à satisfaction, voire même la rup- qu'auparavant ils fuyaient ce district et sa ture du contrat lorsque les lacunes sont population ascolaire. graves. Si le principe de concurrence est relati- La concurrence peut également porter vement accepté lorsqu'il s'applique à la des fruits à l'intérieur du service public. construction d'un édifice public, à la le- Le district de Harlem Est (New York) en a vée des ordures ou même aux transports fait l'expérience en matière scolaire. En en commun, il effraie quand on l'évoque réaction à la situation déplorable de l'école à propos de l'institution scolaire. L'instruc- publique (mauvais résultats scolaires, in- tion publique reste un lieu privilégié de discipline, vandalisme, etc), les autorités contraintes peu contestées: les enfants scolaires ont autorisé les enseignants à sont affectés d'autorité à telle école en créer des écoles secondaires alternatives fonction de leur lieu de domicile. Les usa- et à gérer un budget en fonction des ef- gers n'ont pas de choix, sauf à pouvoir se fectifs, offrant ainsi aux parents et aux payer une école privée, et les écoles sont élèves le choix de leur école. En quelques pleines sans qu'elles aient à conquérir une années, la capacité de lecture et d'écriture clientèle. L'Etat du Minnesota n'a pas Le ramassage des ordures a Phoenix En 1978, confrontée à des difficultés est supplanté par une entreprise privée, ce budgétaires, la ville de Phoenix (Arizona) qui l'oblige à repenser son calcul des coûts décide de passer outre à l'opposition du et ses méthodes de travail, avec la partici- syndicat de la fonction publique et de pation active des employés regroupés au concessionner la levée des ordures à des sein de «cercles de qualité». Les auteurs de entreprises privées. Le chef du service propositions innovatrices bénéficient municipal de la voirie ne se décourage pas d'une prime équivalant à 10% de l'écono- pour autant et s'engage dans la compéti- mie réalisée. tion. Le territoire de la ville est divisé en En 1984, à l'échéance du contrat qui cinq arrondissements mis au concours et porte sur le plus grand arrondissement de attribués pour une durée de cinq à sept la ville, le service municipal obtient le ans, à raison d'un arrondissement chaque mandat et en 1988, il est à nouveau année. L'entreprise qui décroche le responsable de la levée des ordures dans contrat est contrainte d'engager les les cinq arrondissements. Sur une base employés municipaux privés de leur travail contractuelle bien sûr et pour une durée et la ville transfère dans d'autres services limitée. ceux d'entre eux qui ne désirent pas Grâce à cette mise en concurrence, la quitter le service public. Pour éviter toute ville a réduit le coût du ramassage des sous-enchère, l'administration contrôle déchets urbains de 4,5% chaque année. avec soin que les offres incluent tous les Le président du syndicat admet que les coûts. conditions de travail et les salaires sont A quatre reprises, le service municipal meilleurs qu'avant 1978.
craint de briser le tabou, suivi dès lors par ment, c'est le système rigide qui prévaut sept autres Etats américains (lire ci-des- aujourd'hui encore, à savoir l'absence de sous). choix scolaire, qui est sélectif: les gosses Bien sûr le jeu de la concurrence dans des quartiers pauvres sont obligés d'aller le système scolaire suscite de nombreuses à l'école de leur quartier alors que les mi- critiques. Le chèque-éducation — chaque lieux aisés peuvent payer à leurs enfants enfant en âge de scolarité est titulaire l'école (privée) de leur choix. d'une somme d'argent qui permet aux Si le libre jeu du marché n'est pas ga- parents de payer l'école de leur choix — rant de la justice sociale — il stimule ne va-t-il pas favoriser les inégalités et la d'abord les activités les plus rentables —, ségrégation sociale ? Ce risque peut être les monopoles publics ou privés ne font écarté en limitant la taxe d'écolage au ni- guère mieux en matière d'équité. La veau du montant du chèque-éducation et dynamisation des services d'intérêt public par un effort soutenu d'information de passe donc par une concurrence soigneu- manière à ce que les milieux défavorisés sement structurée, encadrée, par des con- — aux Etats-Unis, essentiellement les mi- ditions qui garantissent à tous l'accès à norités raciales — soient au clair sur les des prestations de qualité au meilleur différents choix possibles. Paradoxale- coût. L'expérience du Minnesota A la fin des années 70, la ligue des de 12 à 21 ans en échec qui peuvent citoyens, mi-organisation civique, mi-club désormais tenter leur chance dans un de réflexion, décide d'examiner les effets autre établissement. Au cours des deux de la ségrégation raciale dans les écoles. premières années, 3000 élèves, dont la L'enquête révèle une profonde insatisfac- moitié avait abandonné l'institution tion de la population quant à la qualité scolaire, font ce choix. Ce programme est des écoles. Une seconde enquête constate ensuite ouvert aux adultes qui ont inter- que les résultats scolaires sont très moyens rompu leur formation; à choix, des centres en comparaison nationale. Le choc est locaux d'enseignement, des programmes rude pour l'opinion d'un Etat qui se alternatifs, le collège, des écoles privées et prévalait de la qualité de son instruction, des entreprises sous contrat avec l'autorité d'autant plus que les auteurs du rapport scolaire de district. préconisent d'introduire la concurrence En 1988 le gouverneur parvient à ses entre les établissements scolaires et de fins, le libre choix de l'établissement créer le chèque-éducation, librement scolaire sur tout le territoire de l'Etat. Pour utilisable dans les établissement publics ou éviter toute discrimination, la collectivité privés reconnus. prend à sa charge les frais de déplacement Le sujet est politiquement brûlant et les des élèves à revenu modeste. Dorénavant premiers projets de réforme ne passent le budget de chaque établissement varie pas la rampe parlementaire. en fonction des effectifs que ce dernier La première brèche intervient en 1984: peut attirer. En 1990, alors que la réforme les élèves de 16 et 17 ans sont autorisés à touche l'ensemble des districts scolaires, choisir leur école en dehors de leur district près de 10% des élèves ont changé de domicile et d'y verser leur chèque- d'école. Et les établissements sont incités à éducation. La première année seuls 2% revoir leurs programmes et leurs métho- des élèves font usage de ce droit, mais en des afin de ne pas voir fondre leurs 1987 ils sont déjà 5%. effectifs. En 1987 le gouverneur Perpich réussit à Le système n'est certes pas parfait. Si la étendre cette possibilité à tous les élèves concurrence joue entre les districts, elle ne
fonctionne pas à l'intérieur de chacun rence dans le système scolaire vise à d'eux: si une école a du succès, l'autorité dynamiser l'institution et à élargir l'offre de scolaire rechigne à la dédoubler de peur prestations. Néanmoins ces avantages ne de concurrencer ses autres établissements. doivent pas conduire à un éclatement de Pour véritablement ouvrir le système l'école — établissements réservés aux scolaire, il faudrait encourager la création sportifs, aux surdoués, aux minorités de nouvelles écoles. C'est pourquoi le linguistiques, établissements confessionnels Minnesota a engagé dès 1991 un pro- — qui abolirait sa fonction de creuset social, gramme-pilote qui autorise l'ouverture de de lieu d'intégration. huit nouvelles écoles par des groupes La libéralisation de l'instruction ne peut d'enseignants, de parents ou d'organisa- donc se concevoir qu'à l'intérieur d'un cadre tions privées. Ce n'est qu'un début. défini par l'autorité politique, celle-ci fixant les conditions minimales auxquelles doivent L'introduction d'un élément de concur- répondre les établissements reconnus. Le contre-exemple Mécontentement genevois assuré La délégation du contrôle technique des. Le secteur privé en situation de mono- véhicules à un opérateur privé telle qu'elle pole est aussi inefficace que l'administra- est prévue à Genève est exemplaire d'une tion soustraite à la pression de la concur- conception simpliste et idéologique de la rence. Dans l'Etat du Massachusetts, privatisation. l'assurance responsabilité civile des La structure et le fonctionnement du véhicules à moteur est aux mains des Service des automobiles n'ont pas donné compagnies privées mais les primes sont lieu à une analyse serrée qui aurait pu fixées par une commission officielle aboutir à une réorganisation de ce service: (comme en Suisse). Les sociétés d'assu- l'administration publique et ses méthodes rance n'ont donc aucun intérêt à abaisser de travail sont considérées a priori comme leurs coûts, à prévenir les fraudes et à irréformables. améliorer le service à la clientèle. Le Le projet de délégation consiste à niveau des primes, la fréquence des transformer un monopole public en plaintes des usagers et le taux de vol de monopole privé. Les usagers seront véhicules y sont les plus élevés du pays. toujours confrontés à une offre unique sur un marché captif, puisque le contrôle est obligatoire. Tant qu'à faire, pourquoi ne pas déléguer cette tâche à plusieurs opérateurs privés, mieux répartis sur le territoire cantonal, et élargir ainsi le choix des usagers obligés ?
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