QUAND LES CADRES PARLENT DU STRESS AU TRAVAIL - ÉTAT DES LIEUX 2009

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Les études de l’emploi cadre – mars 2010
QUAND LES CADRES PARLENT
DU STRESS AU TRAVAIL

État des lieux 2009

                      © Apec – Quand les cadres parlent du stress au travail   I
quand Les cadres parlent du stress au travail – État des lieux 2009

Cette étude repose sur les résultats de deux enquêtes qualitatives conduites par l’Ifop en mai-juin 2009 et d’une enquête
quantitative réalisée par emailing par l’Apec en juin 2009. La conception, le traitement et l’analyse des enquêtes ont été
réalisés par le pôle Recherche et Développement du département Études et Recherche de l’Apec :

Gaël Bouron, Cédric Eude et Caroline Legrand (chargés d’études)
Hélène Alexandre (responsable d’études)
Raymond Pronier (manager du Pôle Recherche et Développement).
Sommaire
                                                              SYNTHÈSE GéNéRALE

                                       I – présentation de la démarche
Contexte de l’étude                                                                               11
La place et le rôle des cadres                                                                    13
L’étude proposée par l’Apec                                                                       14
La méthode                                                                                        14

                             II - LES SALARIÉS ET LE STRESS AU TRAVAIL
Le dispositif des réunions de groupe                                                              15
Les principaux enseignements                                                                      15
Le climat général dans les entreprises                                                            16
Le stress au travail : des approches assez partagées                                              17
Portraits robots des personnes stressées                                                          18
Les conséquences du stress dans les entreprises                                                   19
Les cadres managers et les cadres non managers : des opinions différenciées                       20

                         III – LES CADRES DIRIGEANTS FACE AU STRESS
Le dispositif des entretiens individuels                                                          21
Les principaux enseignements                                                                      21
Comment les cadres dirigeants perçoivent-ils le thème du stress au travail ?                      22
Les cadres dirigeants sont-ils eux-mêmes stressés ?                                               23
A quelles causes attribuent-ils le stress au travail ?                                            24
Devenir et rester cadre dirigeant : à « n’importe quelles conditions » ?                          26
Avec des facteurs de stress spécifiques liés aux « responsabilités »                              27
Pas de pouvoir sans stress ?                                                                      28
Ils reconnaissent le stress et ses impacts collectifs négatifs                                    29
Se savent-ils stressants ?                                                                        30
Quel rôle peut jouer le manager ?                                                                 30
Leurs solutions ? Priorité aux solutions « personnalisées »                                       31
Réduire le stress ? Le management dépassé                                                         32
Les acteurs attendus                                                                              34

              IV – LES CADRES DEMANDEURS D’EMPLOI ET LE STRESS
Le dispositif de l’enquête quantitative                                                           37
Les principaux enseignements                                                                      37
Les conditions de travail dans le précédent poste                                                 39
Le vécu du chômage                                                                                48
Les cadres qui ont retrouvé un emploi                                                             53

                                                          CONCLUSION GéNéRALE

                                                                                  annexes
Résultats des questions sur le stress posées dans l’enquête semestrielle Conjoncture et
stratégies professionnelles des cadres en décembre 2009                                           59
Sources d’information sur le stress au travail                                                    61
Le stress professionnel (définition de l’OMS et du BIT)                                           62
Accord national Interprofessionnel sur le Stress au Travail                                       63
Fiche technique de l’enquête auprès des cadres demandeurs d’emploi                                66

                                                © Apec – Quand les cadres parlent du stress au travail   1
2   © Apec – Quand les cadres parlent du stress au travail
SYNTHÈSE GéNéRALE

En 2008, les partenaires sociaux ont signé un Accord natio-     parce que le déni constitue la toute première stratégie de
nal interprofessionnel sur le stress au travail. La formation   défense contre le stress (1), mais surtout parce que l’oxy-
de l’encadrement constitue l’une des mesures prioritaires       more du stress positif continue de constituer une réalité
de cet accord : « ces mesures incluent par exemple la for-      chez les managers (2) et même, plus globalement, parce
mation de l’ensemble des acteurs de l’entreprise et en parti-   que le stress semble fortement intégré parmi les normes de
culier de l’encadrement et de la direction afin de développer   réussite de carrière pour les cadres (3), et, par contamina-
la prise de conscience et la compréhension du stress, de ses    tion, pour les non cadres.
causes possibles et de la manière de le prévenir et d’y faire   S’intéresser à la question du stress dans le monde des
face ». Les cadres sont par ailleurs directement concernés      cadres conduit donc à réinterroger profondément la notion
par la question du stress, dans la mesure où ils se décla-      des conditions de travail en général (4) : la question du
rent fréquemment stressés (dans certaines études plus que       stress tend à se substituer à la notion de conditions de tra-
d’autres salariés) et qu’ils peuvent directement ou indi-       vail en l’élargissant. Et ce n’est pas seulement la pression
rectement être facteurs de stress quand ils encadrent des       croissante au travail qui est remise en question mais les
équipes. Ces éléments ont conduit l’Apec et son départe-        causes de cette pression.
ment Études et Recherche à réaliser une étude établissant       Dans ce contexte, les impacts du stress sur la santé et
un état des lieux des modalités de la perception et de la       la vie privée des cadres semblent très importants (5). Il
prise en compte du stress dans les entreprises en général,      semble par ailleurs que la position des cadres demandeurs
et par les cadres en particulier.                               d’emploi par rapport à la question du stress diffère peu de
                                                                celles des cadres en activité, et que l’expérience de la perte
Cette étude s’est appuyée sur une démarche multifocale.         d’emploi ne suffit pas à remettre radicalement en cause le
Afin de multiplier les points de vue, ce sont en effet trois    rapport des cadres au travail (6).
enquêtes utilisant des méthodologies différentes et ciblant     La situation semble en outre totalement figée, dans la
des publics particuliers qui ont été conduites.                 mesure où les solutions préconisées par les cadres et
La première, utilisant la méthodologie des entretiens de        les dirigeants sont d’ores et déjà mises en œuvre pour
groupe auprès de cadres managers, de cadres non-mana-           nombre d’entre elles et sont manifestement inopérantes
gers et de non-cadres, a cherché à comprendre quelle était      (7) ou de nature « cosmétique » (8). Aussi la question
l’opinion des salariés sur les tenants et les aboutissants      du stress au travail met en évidence la perte de visibilité
du stress.                                                      des corps intermédiaires et des instances formelles dans
La seconde, s’appuyant sur la méthode des entretiens indi-      l’entreprise (9).
viduels semi-directifs auprès de cadres dirigeants, a permis    Les discours et attitudes d’évitement sur cette question
d’analyser comment les directions d’entreprises percevaient     semblent donc finalement parfaitement compréhensibles,
le thème du stress au travail.                                  tant il semble impossible de faire disparaître le stress sans
Enfin, la dernière enquête, de nature quantitative auprès       une remise à plat complète des enjeux et des fondements
d’un échantillon de cadres demandeurs d’emploi, a permis        de l’entreprise et du rôle attendu des cadres, y compris,
de cerner l’impact des conditions de travail des expériences    pour une partie d’entre eux, au cours de leurs formations
professionnelles précédentes sur les attentes des cadres au     initiales et continues. Si des situations peuvent être amé-
chômage quant à un nouvel emploi.                               liorées et des régulations trouvées, il conviendrait avant
                                                                tout d’en finir avec l’approche individualisée du stress
De ces trois enquêtes se dégagent dix éléments clefs sur        (10), le renvoi aux seuls individus de « la gestion de leur
la question du stress au travail et du rôle des cadres. Il      stress » ne pouvant entraîner in fine qu’une aggravation
est observé tout d’abord que la prise de conscience de la       de la situation.
question du stress au travail est imparfaite, notamment

                                                                      © Apec – Quand les cadres parlent du stress au travail     3
SYNTHÈSE GéNéRALE

■■ (1) Une prise de conscience imparfaite

       « Je suis surpris qu’on parle tant du stress. Ça m’amène de         au contraire, c’est la conviction partagée qu’il n’y a rien à
       temps en temps en temps à me demander si ce n’est pas un            faire, ou pas grand-chose, qui impose ces attitudes et ces
       phénomène de mode qui permet de faire vivre les consul-             tournures.
       tants en tout genre en panne d’autres sujets déjà tellement         Pour les cadres en particulier, la prise de conscience ne
       éculés qu’on a inventé celui-là pour gagner de l’argent… »          peut être qu’imparfaite. Le cadre dans l’entreprise se doit
       (Cadre dirigeant).                                                  en effet d’être stressé. Il s’agit presque d’une caractéristi-
                                                                           que distinctive. Les cadres dirigeants sont, dans ce modèle,
                                                                           les plus stressés, ce qu’ils revendiquent et affichent pres-
       Les salariés en emploi sont très prolixes pour parler du            que comme une qualité (cf. infra sur le stress positif). Les
       stress, manifestement en connaissance de cause. Mais si             cadres demandeurs d’emploi quant à eux confirment les
       leurs propos mettent en cause des situations de travail             obstacles à la prise de conscience de la gravité du stress
       tendues et dégradées avec des conséquences parfois gra-             et de ses causes. Bien que beaucoup décrivent des condi-
       ves pour les individus et le collectif de travail, la tonalité      tions de travail très dures dans leur ancien emploi et une
       se veut légère : l’humour, la dérision et la prise de distance      intensité forte de stress, ils continuent d’adhérer aux nor-
       peuvent donner le sentiment que le sujet n’est pas pris au          mes de représentation de leur groupe. Dans leur recherche
       sérieux. De même, il y a une forte hésitation à dire « je »,        d’emploi, ils privilégient toujours le contenu du poste et
       comme si en disant « on » ou « il(elle) », ce procédé de            les évolutions professionnelles, loin devant les conditions
       mise à distance les protégeait. L’hypothèse est que bien            d’emploi et les politiques de ressources humaines.

■■ (2) Le stress positif, un oxymore qui perdure chez les
   managers
       « Il y a deux stress : le négatif et le positif. Moi j’ai besoin    l’innovation, l’adaptation, le challenge, l’implication. Le
       de stress pour bosser, parce que quand je vous dis que je           stress a été selon eux un moteur de leur réussite profes-
       n’aime pas les situations routinières, j’aime les choses en         sionnelle. Et s’ils reconnaissent que le stress est généralisé
       mouvement, démarrer, construire, mettre en service ou arrê-         dans les entreprises et qu’il peut avoir des conséquences
       ter. Et ce sont donc des situations stressantes mais dans           néfastes, c’est le plus souvent pour souligner des défauts
       le bon sens du terme : c’est du stress qui pousse à agir. »         d’adaptation de ceux qui sont touchés par lui, ramenant
       (Cadre dirigeant).                                                  les symptômes du stress et les solutions pour le combat-
                                                                           tre à des questions individuelles. Si quelques-uns peuvent
       Les très nombreuses publications scientifiques1 sur le sujet        avoir une vision cynique sur cette question, la plupart
       montrent que le stress - en tant que risque psychosocial            adoptent plutôt une attitude compatissante : certains
       - ne peut être vu sous un angle positif. Une politique de           salariés, considérés comme plus « fragiles » ou plus « fai-
       management fondée sur le stress ne peut qu’avoir des                bles », ne sauraient pas gérer le stress et il conviendrait
       conséquences négatives sur la santé et le bien être des             non pas de combattre le stress en général et ses causes
       salariés à court, moyen ou long termes. L’ Accord interpro-         profondes mais d’aider les salariés à mieux le gérer, comme
       fessionnel sur le stress au travail rappelle que la lutte contre    eux-mêmes le font.
       le stress doit permettre une amélioration de la santé et de         Si les managers interrogés se déclarent prêts à combat-
       la sécurité au travail. Pourtant, les managers interrogés,          tre le stress, c’est plus pour s’afficher comme soucieux de
       et plus encore les dirigeants, déclarent pouvoir valoriser          leur équipe que par reconnaissance que le stress constitue
       le stress. Ils l’associent à des notions connotées positi-          réellement un problème essentiel dans leur entreprise et
       vement dans le monde de l’entreprise : le changement,               qu’eux-mêmes peuvent être facteurs de stress.

       1. Voir les sources et les références récentes en annexe, page 61

   4    © Apec – Quand les cadres parlent du stress au travail
SYNTHÈSE GéNéRALE

■■ (3) Le stress comme norme de réussite de la carrière du
   cadre
    « La gestion du stress, c’est quelque chose qui se travaille      • il ne faut pas montrer que l’on est stressé dans l’entre-
    complètement, avec une prise de recul. Être manager, c’est        prise ;
    être quelqu’un de courageux. Par exemple, si je suis stres-       • ceux qui montrent leur stress ne sont pas des « bons » ;
    sée, je sais que ma valeur ajoutée sera ma capacité à gérer       • les personnes visiblement stressées posent problème
    ce stress et garder mon sang froid. Un bon manager, c’est         car elles transmettent leur stress à leur entourage
    quelqu’un qui prend le stress d’en haut, le garde et ne le        professionnel ;
    transmet pas aux autres. Sinon, c’est un mauvais (…). Si          • les personnes qui ne sont pas stressées posent problème :
    on voit quelqu’un qui gère mal son stress, il ne faudra pas le    elles ne sont pas « engagées ».
    nommer manager. De toute façon, c’est comme tout, ça se           Par ailleurs, les cadres managers ne se reconnaissent pas
    travaille. » (Cadre dirigeant).                                   réellement de responsabilités dans une éventuelle trans-
                                                                      mission de stress. Les managers, considérés dans l’Accord
    Les trois enquêtes permettent de montrer que le stress            interprofessionnel sur le stress au travail comme un maillon
    n’est pas désincarné. C’est bien dans le contexte des rela-       essentiel de la lutte contre le stress, considèrent qu’ils font
    tions de travail au quotidien, les tensions qui y sont inhé-      déjà tout ce qu’il faut pour aboutir à une relation harmo-
    rentes et le rôle que chacun est censé tenir, que le stress       nieuse avec leur équipe. Ils reconnaissent être à la fois
    doit être étudié. Le rôle des cadres dans l’entreprise obéit      « transmetteurs » et « aspirateurs » du stress mais ont le
    ainsi à certains principes, dont le stress fait presque intrin-   sentiment d’être avant tout dans la maîtrise et la rétention
    sèquement partie. Pour les cadres, le stress fait partie du       du stress. Le stress est clairement ancré dans les critères
    jeu qu’ils jouent dans l’entreprise. Ils en arrivent à des        et normes de la réussite professionnelle chez les cadres,
    énoncés paradoxaux :                                              ce qui rend très difficilement opérante leur mise en avant
    • il est normal d’être stressé ;                                  telle que le préconise l’Accord.
    • il est bon – voire agréable – d’être stressé ;

■■ (4) Une redéfinition de la notion de conditions de travail
    « La qualité se dégrade au profit de la rentabilité, mais le      l’émergence du mal-être.
    service client laisse à désirer, la concurrence est de plus en    Le stress se substitue ainsi à la notion de « conditions
    plus rude, il faut faire de plus en plus vite, la qualité est     de travail » en élargissant considérablement les causes du
    laissée de côté (…). Je n’ai pas le temps de travailler cor-      mal-être au travail. En effet, ce sont les raisons mêmes de
    rectement, c’est frustrant, on n’aura pas 100 % d’objectifs       la pression croissante au travail qui sont mises en cause,
    qualité, on le sait depuis le départ, ce n’est pas bien grave,    et non pas seulement la pression elle-même. Les logiques
    parce qu’une fois arrivé au bout de la tâche, la tâche aussi      RH de mise en concurrence et de compétition, les réorga-
    aura changé, moi je le vis mal, personnellement, on n’est         nisations permanentes, l’envahissement des pratiques de
    plus en capacité d’apporter tout ce qu’on pourrait amener à       reporting, le manque de sens, la dégradation de la qualité,
    la tâche qu’on fait (…). Si on demande des moyens pour la         l’impact des nouvelles technologies constituent des causes
    belle commode, on nous dit qu’on s’en fout, il faut faire une     largement citées. Le rapport entre ces pratiques de mana-
    commode fonctionnelle. » (Cadre non manager).                     gement et les contraintes « objectives » des entreprises
                                                                      paraît parfois relativement artificiel, la crise actuelle fai-
    Le terme « stress » est banalisé chez tous les salariés. Loin     sant figure d’alibi supplémentaire : gestion des effectifs
    de l’employer « à tort et à travers », ils l’utilisent tous       en flux tendu, individualisation des objectifs, méthodes
    pour désigner à la fois les causes apparentes et les consé-       d’évaluation, mobilités « nécessaires », réorganisations
    quences individuelles mais aussi collectives de situations        constantes, fuite en avant sous couvert de « change-
    de travail perçues comme anormales, malgré leur banalité.         ments » dont la pertinence du point de vue de la survie
    Leur contribution aux débats est tout à fait essentielle car      des entreprises est souvent discutable, et en tout cas dis-
    si l’on retrouve dans leurs propos et leurs récits des élé-       cutée par tous.
    ments issus des discours « savants », leur mode de contex-        Ces pratiques sont banalisées et leur logique intériorisée.
    tualisation invite à une approche élargie des causes de           Elles constituent un véritable « état d’esprit » - alors que

                                                                            © Apec – Quand les cadres parlent du stress au travail      5
SYNTHÈSE GéNéRALE

       les conséquences sur les personnes, les équipes et leurs          partie du quotidien du travail.
       résultats peuvent être considérables en termes de charge          Les cadres demandeurs d’emploi décrivent d’anciennes
       de travail, de motivation, de sentiment de reconnaissance,        conditions du travail du même ordre, la différence étant
       de confiance, de sérénité, autant de notions mises à mal          que ces situations ne peuvent plus faire l’objet des régu-
       par d’autres concepts désormais galvaudés : « l’autono-           lations permanentes qui font l’ordinaire de la vie en entre-
       mie », « la créativité », « l’adaptabilité »,… qui ne font        prise. Cette réalité n’est pas niée.
       qu’encourager les comportements individualistes et les            Au contraire, chez les cadres dirigeants ou managers,
       mises en concurrence, et au final, contribuent à l’installa-      comme nous l’avons déjà souligné, elle fait en quelque
       tion du mal-être et au développement de la contre-perfor-         sorte partie de leur « challenge » : le calme et la routine
       mance collective.                                                 leur font peur. Mais ils se déclarent tout autant incapables
       Les trois enquêtes ont pris le parti de ne pas évoquer spon-      – de par leur place – de s’opposer aux exigences de directions
       tanément le mot stress, dans une logique d’“entonnoir”.           que beaucoup d’entre eux jugent pourtant sévèrement. Ils
       La notion de stress n’était introduite qu’après des ques-         les considèrent comme des « non-directions », les centres de
       tionnements sur le vécu au travail et les conditions de           décision étant situés « ailleurs ».
       travail. Le mot est pourtant apparu très rapidement dès           La mise en commun des perceptions, des expériences et des
       les premiers questionnements sur les conditions de travail.       savoirs devrait donc conduire à un approfondissement du
       La conviction dominante est que le stress est inhérent aux        diagnostic des causes et des conséquences du stress mais
       conditions dans lesquelles on travaille aujourd’hui. Les          aussi à une redéfinition de la notion même de « conditions
       situations de tension, de conflit et de désaccord, les occa-      de travail ».
       sions de déception, la frustration,… font manifestement

■■ (5) Des impacts massifs du stress sur la santé
       « Pendant des années avec de lourds horaires et beaucoup          tantes. Si les cas dramatiques cités restent très minoritai-
       de stress = manque de sommeil, fatigue continue. J’ai pris        res, on peut s’interroger sur l’impact à long terme de tous
       des médicaments de la médecine douce pour tenir » (Cadre          ces maux, ainsi que sur leur étendue réelle. La gestion
       demandeur d’emploi).                                              de ces problèmes est souvent largement privée et indivi-
                                                                         duelle (prise en charge personnelle et/ou par un médecin
       La prise de conscience des risques graves du stress est           extérieur à l’entreprise), ce qui ne permet pas de les faire
       imparfaite. Pourtant, les impacts sur la santé semblent           ressortir et de les traiter dans un cadre formel (médecin du
       connus et importants. Une grande majorité de cadres esti-         travail, CHSCT…).
       ment que leurs conditions de travail ont un impact négatif        L’enquête quantitative auprès de demandeurs d’emploi a
       sur leur santé et ils font par ailleurs un lien très fort entre   mis en évidence des différences d’appréciation et de com-
       mauvaises conditions de travail et intensité de stress. Les       portement quant au stress entre les hommes et les fem-
       impacts cités sont larges. Les plus courants sont les problè-     mes. Les femmes déclarent une intensité de stress plus
       mes de sommeil, la perte d’appétit, les migraines, les maux       importante que les hommes. De plus, elles indiquent plus
       d’estomac, des sentiments de déprime, de la fatigue. Les          souvent que les hommes que le stress a ou a eu un impact
       répercussions sur la vie privée peuvent aussi être impor-         sur leur santé et leur vie privée.

   6    © Apec – Quand les cadres parlent du stress au travail
SYNTHÈSE GéNéRALE

■■ (6) Le chômage ne modifie pas le rapport au travail
   et à l’entreprise
    - Quel a été l’impact de vos anciennes conditions de travail       On s’interroge toujours sur le regard porté a posteriori par
    sur votre santé ? « Stress, insomnies, irritabilité, identifica-   les cadres au chômage sur leur ancien environnement de
    tion de nouvelles maladies ? »                                     travail. Expérience réellement vécue ou reconstruction du
    - Selon vous quelle est la condition la plus importante            passé qui leur permettrait de ne pas porter la responsabi-
    pour se sentir bien au travail ? « Ne pas être sous évalué.        lité de la perte d’emploi ? Faut-il interpréter leurs critiques
    Avoir un stress positif et constructif pour s’épanouir à son       comme étant partie prenante de ce qu’il est convenu d’ap-
    rythme tout en respectant ses objectifs. »                         peler leur travail de deuil ?
    (Cadres demandeurs d’emploi).                                      Dans une certaine mesure, ce deuil est accompli, puisque
                                                                       ceux qui ont retrouvé un emploi semblent effectivement
    Les avis des cadres ayant perdu leur emploi sont parta-            tourner la page, du moins relativement. En outre, ceux qui
    gés pour qualifier leurs anciennes conditions d’emploi             sont toujours en recherche d’emploi n’attachent pas vrai-
    et leur ancien niveau de stress, mais la majorité d’entre          ment d’importance aux conditions matérielles qu’ils pour-
    eux considèrent que leurs conditions de travail ont eu un          raient retrouver, s’affichant toujours comme des cadres
    impact négatif sur leur santé et sur leur vie privée. Parmi        prêts à rebondir, à s’investir dans un poste à responsa-
    les aspects les plus négatifs, ce sont les relations avec la       bilité, avec un contenu intéressant et des possibilités
    hiérarchie et/ou la direction qui pèsent le plus, devant les       d’évolution. Si le terme de résilience est sans doute trop
    conditions matérielles, la charge et la durée du travail.          fort, à l’évidence l’expérience de la perte d’un emploi et du
    Interrogés sur leur vécu immédiat de la perte d’emploi,            chômage ne suffit pas à remettre radicalement en cause le
    le plus grand nombre déclarent avoir ressenti un soula-            rapport des cadres au travail.
    gement. Les cadres demandeurs d’emploi expriment avec              Il existe un groupe de demandeurs d’emploi (moins de 10 %
    force les tensions qu’ils ont vécues dans leur poste anté-         de l’ensemble) pour lequel les mauvaises expériences appa-
    rieur et n’hésitent pas à parler de leurs impacts.                 raissent comme une cause de blocage sévère. Pour autant,
    Mais, si leurs conditions de travail ont eu un impact              l’analyse statistique ne permet pas de dire qu’il existe un
    négatif sur leur santé et leur vie privée, il en est de            profil type qui permettrait de faire une prévention.
    même pour le chômage, qui a aussi un impact négatif
    dans la majorité des cas.

■■ (7) Des grands principes inopérants

    « Le point central c’est l’injonction paradoxale, c’est-à-dire     tions, avec une dimension qui dépasse largement le pro-
    qu’on définit un objectif qui est parfois contre certaines de      blème des conditions dans lesquelles le travail se fait. En
    mes valeurs, ou alors pour lequel je n’ai pas les moyens qu’il     effet, « pourquoi » des salariés sont-ils amenés à accepter
    faut pour sa réalisation. Et je dois le faire dans un délai pas    des situations de travail qu’ils décrivent comme difficile-
    négociable qui m’est donné. C’est le côté non négociable qui       ment supportables ? Qu’est-ce qui conduit des managers
    génère la pression chez moi, qui va produire mon stress. »         à « mettre la pression » sur leurs équipes sur les délais ?
    (Cadre dirigeant).                                                 Qu’est-ce qui les pousse à leur faire faire un travail qu’eux-
                                                                       mêmes jugent critiquable, à finir eux-mêmes certaines
    Les pratiques de management mises en avant par les cadres          tâches ? Qu’est-ce qui les conduit à « dire oui » quand ils
    managers font déjà partie de tous les grands principes les         « voudraient dire non » ?
    plus souvent affichés. Ils se disent en effet « à l’écoute »,      Il est clair que les solutions proposées par les salariés
    « vigilants », « transparents », « rigoureux et organisés »,       interrogés pour prévenir et soigner le stress ne répondent
    « honnêtes ». Quant au stress dans leurs équipes, ils en           pas à ces questions. Les cadres comme les autres salariés
    attribuent la cause au mode de fonctionnement des entre-           en ont manifestement l’intuition, certains affirmant même
    prises qu’eux-mêmes subissent, mais ils n’en sont pas              que le but de cette soudaine attention est uniquement de
    directement ni personnellement responsables.                       faire accepter de nouvelles charges de travail.
    Aussi, les propos recueillis soulèvent de nombreuses ques-

                                                                             © Apec – Quand les cadres parlent du stress au travail      7
SYNTHÈSE GéNéRALE

■■ (8) Des solutions « cosmétiques »
       « Les gens dans l’entreprise sont très demandeurs de             délicates. En général d’ailleurs, on peut prédire qu’elles
       confort, de convivialité, de rencontres, de partage. Ils sont    présentent ces deux caractères cumulés.
       bien quand on peut avoir des échanges. On a des initiatives
       ponctuelles là-dessus, on est très attentifs à des choses tou-   Une partie des « solutions » avancées par les salariés inter-
       tes bêtes. Par exemple, quand un salarié revient de congés,      rogés pour prévenir ou atténuer le stress sont déjà mises
       il rapporte un truc de ses vacances, comme des souvenirs à       en application par une partie des salariés, cadres et non
       manger. Là on va lancer un concours de gâteaux. On va faire      cadres. Le retour du « collectif » et la valorisation des
       un séminaire de managers pour apprendre à travailler mieux       relations de travail pour réguler les tensions sont cités.
       ensemble. L’entente entre nous est une condition sine qua        Les relations de confiance et de connivence joueraient le
       none d’une bonne collaboration » (Cadre dirigeant).              rôle de soupape, ainsi que les moments de rencontres et
                                                                        d’échanges, dans et/ou hors l’entreprise.
       Le terme « cosmétique » peut sembler excessif. Il veut           Mais ce sont les solutions individuelles qui sont le plus
       désigner deux caractères des solutions proposées. Soit           couramment préconisées : sport, yoga, toute autre activité
       elles sont « superficielles », et ne peuvent apparaître          permettant à la personne de se « détendre » et éventuelle-
       que comme des solutions sans lendemain, soit elles sont          ment les prescriptions médicamenteuses « soft ».
       « trompeuses », et ne peuvent que promettre des suites

■■ (9) Un sujet qui met en évidence la perte de visibilité des
   corps intermédiaires
       Parmi les cadres en recherche d’emploi, 42 % indiquent           « mal-être » comme une affaire privée, intime ?
       qu’ils parlaient souvent de leurs anciennes conditions de        Dans les enquêtes auprès des cadres en activité, les ins-
       travail avec leurs proches, contre 26 % qui en parlaient         tances formelles ne sont pas plus évoquées. Les cadres
       souvent avec le médecin du travail et 15 % souvent avec          dirigeants en particulier ne citent jamais ou presque le rôle
       des représentants syndicaux. (Enquête auprès des cadres          des instances représentatives. Interrogés sur les actions à
       demandeurs d’emploi)                                             mettre en œuvre et les acteurs concernés, ils mettent une
                                                                        nouvelle fois l’accent sur les individus eux-mêmes et le
       À qui les cadres devenus demandeurs d’emploi parlaient-ils       rôle que doit jouer le hiérarchique direct. Ils reconnaissent
       de leurs difficultés ? La plupart des cadres interrogés dans     pourtant à demi mot que la direction générale peut avoir
       l’enquête quantitative n’évoquent pratiquement jamais les        un rôle essentiel, voire le rôle le plus efficace. Ainsi, alors
       instances officielles ou représentatives (syndicats, méde-       qu’ils reconnaissent finalement que l’impulsion la plus
       cin du travail, CHSCT…). En cas de difficultés, les cadres       importante pour lutter contre le stress devrait venir « d’en
       préfèrent se confier à leurs proches, ce qui peut entraîner      haut », ils avancent spontanément que c’est d’abord vers
       des conséquences importantes sur leur vie privée. Il n’y a       les individus en difficulté dans la « gestion de leur stress »
       pas une seule raison à ce choix : peur d’apparaître comme        qu’une action doit être entreprise.
       un « maillon faible » de l’organisation ? Ou conception du

   8    © Apec – Quand les cadres parlent du stress au travail
SYNTHÈSE GéNéRALE

■■ (10) Les impasses de l’approche individualisée du stress
    « Certaines fois, pour éviter d’avoir à gérer le stress, le stress   que qu’il faut chercher de nouvelles solutions.
    qui est un problème pour une entreprise, il faudrait aussi           Il y a bien un décalage entre les opinions et postures des
    cibler les gens pendant la phase de sélection. C’est très            cadres encadrants et ce que l’Accord interprofessionnel sur
    important de préciser quel est le profil de l’entreprise et de       le stress au travail attend officiellement d’eux. Leurs solu-
    le matcher avec le profil de la personne pendant la sélection,       tions sont avant tout d’ordre éthique ou moral, voire mora-
    correctement. » (Cadre dirigeant).                                   lisateur, souvent marquées par l’affectif, et évitent toute
                                                                         remise en cause de leur propre choix face aux contrain-
    Dans les entretiens avec les cadres dirigeants, la notion            tes qui leur sont fixées, leur vision se limitant au souci
    « le stress au travail » est souvent reformulée par la notion        d’aider les « salariés les plus fragiles ». Faire disparaître le
    « les salariés stressés », ce détournement permettant aux            stress des entreprises supposerait une telle mise à plat des
    cadres dirigeants de reporter le problème sur les individus,         enjeux, des attentes et des besoins qu’il semble logique et
    non sans ambigüité : ils essaieront d’autant plus de trouver         tout à fait compréhensible que tous les acteurs adaptent
    une solution que ces salariés stressés sont une gêne. Par            des attitudes et des discours d’évitement.
    ailleurs, ils assurent de leur empathie, vigilance, transpa-         Certes, des situations peuvent (doivent) être améliorées,
    rence, écoute, attention. Ainsi, les anciens managers en             des tensions mieux régulées à défaut d’être totalement
    recherche d’emploi affirment tous qu’ils respectaient entiè-         évitées, mais il est clair aujourd’hui que le renvoi aux seuls
    rement ces principes dans leurs relations avec leurs équi-           individus de la « gestion de leur stress », de leur « capacité
    pes, alors qu’ils considèrent parallèlement que leur propre          à résister au stress » ne peut plus convaincre personne. Au
    hiérarchique ne les appliquait pas ou peu.                           contraire, cette stratégie ne peut désormais qu’aggraver
    On est donc amené à conclure soit que les grands principes           les choses, tant elle conduit à occulter toute réflexion col-
    ne sont en réalité pas appliqués, soit, s’ils sont appliqués,        lective sur les conditions concrètes de travail.
    qu’ils sont inopérants pour prévenir le stress, ce qui impli-

                                                                               © Apec – Quand les cadres parlent du stress au travail       9
10   © Apec – Quand les cadres parlent du stress au travail
I – présentation de la démarche

■■ Contexte de l’étude

    L’année 2008 : une année charnière                                               facteurs de risques psychosociaux au travail ».4

    En juillet 2008, les partenaires sociaux ont signé un                            Les définitions du stress au travail
    Accord Interprofessionnel sur le stress au travail.
    L’objet de l’accord est :                                                        Les mots « stress » et « troubles psychosociaux » sont
    « • d’augmenter la prise de conscience et la compré-                             évocateurs mais vagues.
    hension du stress au travail, par les employeurs, les tra-                       Parce que le terme est très utilisé par tous (« tarte à la
    vailleurs et leurs représentants,                                                crème » entend-on souvent), on a tendance à oublier
    • d’attirer leur attention sur les signes susceptibles d’in-                     le fait que le stress fait l’objet de travaux scientifiques
    diquer des problèmes de stress au travail et ce, le plus                         depuis plusieurs décennies.
    précocement possible,                                                            De fait, le terme est très répandu parce que très évoca-
    • de fournir aux employeurs et aux travailleurs un cadre                         teur. Mais parce qu’il désigne tout à la fois un état, ses
    qui permette de détecter, de prévenir, d’éviter et de faire                      causes et ses effets, les débats qu’il suscite ne sont pas
    face aux problèmes de stress au travail. Son but n’est pas                       prêts de faire vraiment consensus. Car, si théoriquement
    de culpabiliser l’individu par rapport au stress. » 2                            la question du dilemme entre « stress positif » et « stress
                                                                                     négatif » est réglée, les travaux scientifiques prouvant
    Pour mémoire, au premier semestre 2008, au moment                                largement que l’état de stress n’a rien de positif pour les
    de la finalisation de la rédaction de l’accord, il n’était                       individus comme pour la société, il demeure un courant
    pas encore question de crise économique et financière.                           d’opinion très actif pour prétendre que le stress est une
    Le dossier du stress et des risques psychosociaux a été                          bonne chose, et notamment dans la culture managériale.
    ouvert en France au cours d’une période considérée                               Le remplacement de cette alternative par la hiérarchie
    comme plutôt favorable, tant sur le plan économique                              entre « stress » (normal) et « sur-stress » (a-normal) ne
    que sur le plan social.                                                          fait que confirmer la difficulté des penseurs du manage-
                                                                                     ment à se débarrasser de leurs croyances.
     Les négociations entre les partenaires sociaux, de
     même que la décision de l’Apec de faire une étude sur                           A l’encontre de cette croyance, l’Accord interprofession-
     le sujet des cadres et le stress au travail, sont antérieu-                     nel signé en juillet 2008 rappelle que la question de la
     res à la vague de suicides de salariés et aux débats sur                        prévention du stress au travail est une préoccupation
     le mal-être qu’ils ont suscités.                                                internationale.

                                                                                     « Le stress au travail est considéré sur le plan internatio-
    Fin 2009, la situation économique est totalement dif-                            nal, européen et national comme une préoccupation à la
    férente, la France ayant connu au cours de l’année sa                            fois, des employeurs et des travailleurs. »
    plus importante récession depuis l’après guerre. Dans
    ce contexte, le « mal-être au travail » est au cœur de                           Qui plus est, cette préoccupation n’est pas nouvelle : le
    l’actualité et ne constitue plus un sujet tabou. Pour                            texte français emprunte beaucoup à l’Accord sur le stress
    autant, les conséquences concrètes de l’Accord interpro-                         signé par les partenaires sociaux européens… en 2004.
    fessionnel semblent peu visibles. A l’occasion du Conseil
    d’Orientation sur les Conditions de Travail du 9 octobre                         « Le présent accord a pour objet de transposer l’accord
    2009, le ministre du Travail Xavier Darcos a annoncé un                          européen en droit français et de prendre en compte les
    plan d’urgence pour la prévention du stress au travail. Au                       évolutions de la société sur ce sujet. »
    même moment, l’AFSSET3 annonce que selon sa dernière
    enquête portant sur l’année 2007, « le risque psychosocial                       C’est donc avec un certain retard que les partenaires
    prend la première place dans les consultations de patho-                         sociaux français ont rejoint de nombreux autres pays pour
    logies professionnelles ». Enfin, le Collège d’expertise sur                     s’attaquer à un problème étudié depuis plusieurs années
    le suivi statistique des risques psychosociaux au travail                        et à l’origine de très nombreux travaux de recherche,
    a rendu son premier rapport « Indicateurs provisoires de                         rapports et recommandations, y compris en France5.

    2. Texte de l’accord en annexe
    3. AFSSET : Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail
    4. Voir site du ministère http://www.travail-solidarite.gouv.fr et http://www.travailler-mieux.gouv.fr
    5. Voir le Rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail - Mars 2008

                                                                                             © Apec – Quand les cadres parlent du stress au travail   11
I – présentation de la démarche

     Dans le champ scientifique, le stress désigne à l’origine                         Là encore, cette définition soulève quelques problè-
     un mécanisme d’adaptation biologique. Ce « syndrome                               mes. En effet, on y trouve toujours les causes et les
     général d’adaptation » (Hans Selye, 1936) se manifeste                            conséquences mêlées, causes et conséquences étant par
     en trois phases successives :                                                     ailleurs à la fois « organisationnelles » et « personnel-
     • la phase d’alarme, durant laquelle l’organisme met en                           les » puisque c’est la « perception » d’une personne qui
     place ses défenses ;                                                              sert de point de départ7. Cette perception est-elle juste
     • la phase de résistance, quand il s’adapte à la nouvelle                         ou erronée, la personne est-elle seule ou la perception
     situation ;                                                                       est-elle celle d’un groupe ?
     • la phase d’épuisement, lorsque l’organisme a dépassé
     ses capacités d’adaptation.                                                       Sans jamais vraiment dépasser cette ambiguïté, deux
                                                                                       sources d’informations et de préconisations coexistent
     Il s’agit d’une approche biologique, qui permet de com-                           en France depuis de nombreuses années :
     prendre les effets sur la santé. Mais on voit aussi tout                          • les structures institutionnelles qui ont pour mission
     de suite les risques de cette approche : centrée sur                              l’amélioration des conditions de travail, comme l’INRS,
     l’individu, elle met en cause ses capacités personnel-                            l’ANACT, ou les syndicats de salariés ;
     les d’adaptation, et passe sous silence ce à quoi il doit                         • les structures privées de conseil, qui ont investi depuis
     s’adapter et pourquoi.                                                            longtemps le marché des entreprises en proposant des
     C’est d’ailleurs en ce sens qu’il est couramment utilisé.                         méthodes de diagnostic et des solutions. Dans la plupart
     Quelques extraits d’offres d’emploi sont révélateurs du                           des cas, si la phase de diagnostic porte effectivement
     poids de cette interprétation dans les entreprises : au                           sur l’organisation collective, l’étape des solutions passe
     candidat d’imaginer et de savoir pourquoi il doit avoir                           par des formations individuelles, chacun commençant
     cette « qualité personnelle » qui consiste à « savoir                             par évaluer son propre stress.
     gérer son stress » :
                                                                                       On ne peut donc pas dire que le stress est « passé sous
     « Environnement de salle des marchés : cette mission                              silence », et c’est plutôt le contraire qui semble poser
     nécessite une bonne maîtrise du stress et une forte dispo-                        problème : terme sur-investi, il doit désormais être
     nibilité (y compris we et jours target). »                                        considéré comme un problème de santé publique lié aux
     « Vous êtes autonome, résistant au stress, organisé,                              conditions de travail.
     méthodique, vous avez une bonne expression orale et une                           Pour lever les nombreux obstacles, cela nécessitera de
     aisance relationnelle. »                                                          répondre aux questions suivantes :
     « Ce poste nécessite de savoir gérer le stress et les priori-
     tés. »                                                                            • Quelles en sont les différentes causes, en ne s’arrêtant
     « Vous êtes reconnu pour votre sens de l’organisation, vos                        pas à la mise en cause de l’« organisation », terme abs-
     connaissances techniques et votre capacité à prendre du                           trait qui fait l’impasse sur les responsabilités humaines
      recul face au stress. »                                                          concrètes ?
      « Qualités requises : autonomie, débrouillardise, sens du                        • Comment sensibiliser et former les managers à la pré-
     service, volonté d’apporter une démarche de qualité, com-                         vention du stress au travail et, dès la formation initiale,
     muniquant, rigueur, résistance au stress . »                                      les futurs cadres et managers ?
                                                                                       • Quelles sont les solutions pour réduire les facteurs de
     L’Agence européenne pour la sécurité et la santé au tra-                          stress, autres que des solutions « cosmétiques » relati-
     vail6 a proposé plus récemment une définition du stress                           ves aux conditions de travail et de formations « au cas
     au travail :                                                                      par cas » proposées à certains salariés ?
                                                                                       • Comment faire évoluer les pratiques actuelles de ges-
     « Le stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la per-                     tion des ressources humaines dans les entreprises, et ce,
     ception qu’une personne a des contraintes que lui impose                          quelle que soit leur taille ?
     son environnement et la perception qu’elle a de ses pro-                          • Comment mesurer les risques pour la productivité et la
     pres ressources pour y faire face. Bien que le processus                          performance des entreprises autrement que par l’indica-
     d’évaluation des contraintes et des ressources soit d’ordre                       teur de l’absentéisme ?
     psychologique, les effets du stress ne sont pas unique-                           • Comment gérer différemment la santé - dont les consé-
     ment de nature psychologique. Il affecte également la                             quences du stress – autrement qu’en la laissant à la
     santé physique, le bien-être et la productivité ».                                seule appréciation des individus et à un « libre arbitre »

     6. Voir site : http://osha.europa.eu/fop/france/fr/
     7. Une convention collective belge a introduit cependant la notion de « stress collectif » en 1999. Citée dans « Prévenir le stress et les risques psycho-
     sociaux au travail ». Editions Anact 2007.

12    © Apec – Quand les cadres parlent du stress au travail
I – présentation de la démarche

    d’autant plus imaginaire que la « mauvaise santé » est                          identifier des explications liées à la question de l’iden-
    une cause évidente de discrimination sociale et profes-                         tité professionnelle et de la dignité sociale.
    sionnelle ?                                                                     Ce que l’on appelle couramment « les risques du métier »
                                                                                    est encore présenté et vécu de manière totalement
    Essayer de comprendre les conditions de l’émergence du                          ambivalente, la « prise de risque » étant présentée, et
    stress au travail conduit à aborder toutes les dimensions                       vécue, comme un facteur de la reconnaissance sociale.
    du « bien-être » et du « mal-être » au travail.                                 Si cette ambivalence est bien connue en ce qui concerne
    On connaît la difficulté des salariés à faire reconnaître                       les emplois nécessitant une force et/ou une prise de
    l’origine professionnelle de leurs maladies ou de leurs                         risque physique, à l’évidence, le doute plane toujours
    accidents.                                                                      pour le stress : la plupart des salariés, quel que soit leur
    On connaît aussi, même si on l’évoque moins souvent,                            niveau de poste, évoque le « stress positif », qui serait
    leur propre difficulté à reconnaître que leur travail com-                      « nécessaire » pour réussir, faire carrière, être reconnu,
    porte des risques, et que ces risques peuvent / doivent                         ce qui ne les empêche pourtant pas de le considérer
    être limités, voire supprimés.                                                  simultanément comme une mise en danger individuelle
    Si la crainte de perdre son emploi est un élément de                            et sociale.
    poids pour expliquer ce phénomène, on a pu également

■■ La place et le rôle des cadres
    Les cadres sont concernés à plusieurs titres par le stress                      ment de sa « nécessaire prévention ».
    au travail :                                                                    Quand ce n’est pas le cas, leur rôle est de faire atteindre
                                                                                    des objectifs quantitatifs et/ou qualitatifs à leurs équi-
    • Ils se disent stressés                                                        pes, objectifs qui peuvent être particulièrement contrai-
    Le « stress des cadres » est un thème médiatique récur-                         gnants en termes de délais et de charges de travail, et
    rent et on les dit souvent (mais aussi depuis plusieurs                         en conséquence stressants.
    années) « de plus en plus stressés ». Effectivement,                            L’accord pré-cité mentionne plusieurs causes de stress au
    quand on les interroge, les cadres se déclarent plus fré-                       travail, et, même s’il ne les désigne pas explicitement,
    quemment stressés que les autres salariés (cf. Enquête                          fait comprendre que les cadres – et tout particulièrement
    Anact 2009). Cependant, le Baromètre du stress des cadres                       les managers - peuvent être considérés comme responsa-
    réalisé par la CFE-CGC n’indique pas de tendance nette,                         bles de l’émergence du stress dans leurs équipes.
    la part des cadres notant leur stress entre 8 et 10 (sur                        En effet, ils peuvent être considérés comme directement
    une échelle de 1 à 10) oscillant entre 28 % et 33 %8.                           responsables de l’organisation et des processus de travail,
                                                                                    de la communication dans leurs équipes, des objectifs
    • Selon l’Accord interprofessionnel sur le stress au travail                    fixés, de l’évaluation et de la reconnaissance des sala-
    signé en 2008, ils doivent contribuer à son repérage,                           riés, de leurs conditions de travail. S’ils ne sont pas seuls
    sa prévention, son atténuation voire sa suppression.                            décideurs, il peut leur être reproché de ne pas savoir
    Dans ce texte, la formation de l’encadrement est une des                        identifier un problème de stress et de ne pas alerter leur
    mesures prioritaires : « la formation de l’ensemble des                         employeur car le Code du Travail est clair : les employeurs
    acteurs de l’entreprise et en particulier de l’encadrement                      doivent prendre des mesures pour garantir la santé et la
    et de la direction afin de développer la prise de conscience                    sécurité de leurs salariés, avec obligation de résultats.
    et la compréhension du stress, de ses causes possibles et
    de la manière de le prévenir et d’y faire face ».                               Sans vraiment caricaturer la situation, c’est comme si on
                                                                                    demandait à un malade d’être le thérapeute des autres,
    • Ils sont directement ou indirectement, volontaire-                            alors même qu’il transmet la maladie, et que surtout il
    ment ou involontairement, stressants.                                           ne reconnaît pas les symptômes qu’il présente lui-même
    Nombre de cadres sont convaincus que le stress peut être                        comme étant ceux d’une maladie, en les considérant au
    un état positif, et même nécessaire au travail : il n’y a                       contraire comme des preuves de « bonne santé ».
    donc pas de raison a priori qu’ils s’emparent spontané-

    8. La première vague de l’enquête de la CFE-CGC a été réalisée en mars 2003, à raison depuis de deux vagues par an. Elle s’adresse aux cadres du sec-
    teur privé, du secteur public et aux chefs d’entreprise.

                                                                                           © Apec – Quand les cadres parlent du stress au travail           13
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