QUE SONT DEVENUS LES ESCLAVES AFRICAINS DU PORTUGAL ?
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
QUE SONT DEVENUS LES ESCLAVES AFRICAINS DU PORTUGAL ? Je doute que toute la philosophie du monde parvienne à supprimer l’esclavage : on en changera tout au plus le nom. Je suis capable d’imaginer des formes de servitude pires que les nôtres, parce que plus insidieuses ... Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien, Gallimard, 1974, p.121 l’esclavage n’a troublé les bonnes âmes que lorsqu’il a cessé Eduardo Lourenço La perversité du commerce d’esclaves est indéniable. Il s’agit là d’un de ces phénomènes historiques, tout comme l’Holocauste, dont il est extrêmement difficile de décrire entièrement la monstruosité. Durant des siècles, des milliers d’Africains ont vécu au Portugal, une présence presque totalement effacée des mémoires. Mais commençons d’abord par donner quelques aperçus sur cette rencontre entre Portugais et Africains au XVème et XVIème siècles. Représentons-nous Lisbonne au XVIème siècle, les rues pleines d’esclaves africains. L’image stéréotypée d’êtres tristes, enchaînés, victimes de sévices, est quelque peu malmenée par le témoignage d’un voyageur italien qui séjourna au Portugal entre 1578 et 1580 : “ Tandis que les Portugais, par sévérité, sont toujours tristes et mélancoliques, ne se permettant ni de rire ni de manger ni de boire publiquement, les esclaves font toujours preuve de gaieté et n’arrêtent pas de rire, de chanter, de danser et de s’enivrer aux yeux de tous, sur toutes les places. ” (Il Ritratto e il riverso dello Regno di Portogallo, anonyme). Dans son récit, le voyageur italien n’apporte pas d’autres éclaircissements sur la sombre mine des Portugais de la fin du XVIème siècle. D’autres récits insistent par ailleurs sur cette exubérance qui accompagne toute la trajectoire de l’esclave noir et de ses descendants au Portugal : depuis le milieu du XVème siècle -quand il est encore exhibé comme curiosité à la Cour, avec les perroquets et les singes- jusqu’à son absorption dans le corps social après quatre siècles d’une cohabitation à la fois discrète et animée. Ainsi, la plus ancienne référence à des danses africaines au Portugal remonte à 1451 lors des fêtes données à Lisbonne cette année-là, du 13 au 25 octobre, à l’occasion du mariage par procuration entre l’infante Leonor, sœur du roi Dom Afonso V et l’empereur Frédéric III d’Allemagne. Selon une coutume datant probablement du XVIème siècle et maintenue jusqu’au XIXème siècle, les travailleurs du marché de la Ribeira, à Lisbonne, mangeaient ensemble dans des gargotes. Jusqu’en 1761, cette catégorie se répartissait à parts égales entre Blancs libres et esclaves africains. Par un arrêté du 28 août 1559 (un an après la mort de Dom Sebastião à Alcácer Quibir), le pays en deuil et sous le coup de la défaite, le cardinal Dom Henrique ordonnait “ que soient interdits danses et rassemblements de nègres”. Ce texte qui révèle l’existence d’une vie culturelle africaine semble ignorer que ces musiques et ces danses n’étaient pas uniquement profanes : des cérémonies religieuses avaient également lieu, surtout la nuit en plein air, dont le culte des orixás, célébré au rythme de tambours rituels. En interdisant aux esclaves de jouer de la musique et de danser, on empêchait de fait toute célébration du culte, car c’est le battement des tambours qui permet aux esprits orixás de se manifester et de “ prendre possession ” des fidèles. Il semble aussi que les Africains qui prenaient part à la procession de Corpus Christi se livraient au rythme de tambourins à une sorte de danse en faisant des cabrioles et en poussant des cris, et que leur participation au foulage du raisin dans les pressoirs à vin évoquait le batuque, une danse africaine. Parallèlement à l’esclavage, quelques Africains avaient obtenu un statut privilégié au sein de la société portugaise de l’époque. C’était le cas des enfants du Roi du Congo et de certains membres de sa famille, ainsi que de quelques jeunes gens issus des castes supérieures, venus au Portugal étudier les lettres et les vérités révélées. L’ordre des Lois (Saint Jean Evangéliste) ouvrit le premier séminaire “ pour indigènes ” à Alfama, quartier du vieux Lisbonne. On relève même le cas d’un Congolais, neveu du roi Dom Afonso, qui reçut le diplôme de Professeur de Grammaire le 6 juillet 1533 et exerça son office dans une école publique de la capitale. Après le tremblement de terre de 1755, on vit apparaître à la manière des imitations des histoires de cordel (littérature populaire) des “ pronostics ” imprimés destinés à provoquer le rire par l’usage de la langue parlée des Noirs. Le plus ancien exemplaire écrit en petit nègre qui nous soit parvenu est sorti en 1757 des ateliers de l’imprimeur Ignácio Nogueira Xisto, à Lisbonne. Attribué à un sage africain, “Père Daniel”, il s’intitulait : “Le Noir Astrologue, Pronostic Quotidien des Quarts, Lunes, et autres Conjonctions, et mouvements des Astres, par rapport au Méridien de Lisbonne, pour l’année 1758”. Ainsi s’ouvrait le prologue : “Chaque année, les Blancs ont leurs Almanachs, leurs Pronostics ; les Nègres, eux, n’ont que leurs yeux à rouler et leurs dents à montrer”. Ces “pronostics” qui divertissaient en leur temps les lecteurs sont aujourd’hui des documents fondamentaux pour comprendre la mentalité du Portugais du XVIIIème siècle dans son rapport aux Africains, une mentalité, dont la référence unique est la civilisation du Vieux Monde.
La vente aux enchères des esclaves se passait Rue Direita et sur le marché Terreiro de Goa comme le rapporte Jaime Cortesão : “ De tous les articles à la vente, les esclaves et les chevaux étaient ceux qui animaient le plus le marché. On y voyait de splendides jeunes filles de toutes les régions de l’Orient, blanches, jaunes, bistrées ou noires, dotées de talents raffinés comme savoir jouer des instruments exotiques, danser, broder, cuisiner à la perfection ou préparer des confitures et des conserves. Les vendeurs les conduisaient en troupeau, et pour les vendre, les faisaient sortir du lot, l’une après l’autre, les poussant quasi nues au milieu du cercle qui se formait tout autour. Ils les faisaient alors virevolter, exaltant en termes grossièrement dithyrambiques leurs formes, leur âge, leur force et leurs talents. Aux questions lancées par d’hésitants clients ils répondaient prestement, quand ce n’était pas les esclaves eux-mêmes qui se chargeaient des louanges, dans l’espoir qu’un changement de maître puisse améliorer leur misérable condition. Les esclaves vierges étaient proclamées et vendues comme telles, et il ne manquait jamais quelque bonne femme pour certifier le label, après vérification en bonne et due forme. Les prix étaient tout à fait abordables. Les plus chères d’entre elles n’atteignaient pas plus de vingt ou trente pardaus1, alors qu’à deux pas de là un cheval perse ou arabe se vendait pour cinq cents pardaus, soit vingt fois plus que la plus belle et la plus talentueuse des esclaves. ”2 Parmi ces esclaves, les femmes étaient nombreuses : vers le milieu du XVIème siècle, à Lisbonne: “ mille cinq cents négresses lavaient du linge ; mille autres, un panier sur la tête, nettoyaient les rues où les habitants déversaient les ordures ménagères; mille autres, les “ négresses au pot ”, fournissaient les habitations en eau ; quatre cents autres circulaient en vendant des fruits de mer, du riz cuit et des friandises ; deux cents gamins noirs servaient de porteurs de billets ”3. D’après le témoignage de Clenardo (1535), “ Tout le service est assuré par des nègres et des Maures captifs. A Lisbonne, rares sont les maisons entièrement dépourvues d’esclave. Généralement, il y a au moins une esclave par foyer, et c’est elle qui est chargée d’aller au marché acheter le nécessaire, qui lave le linge, balaie la maison, apporte l’eau et se débarrasse des déchets. Les plus riches ont des esclaves des deux sexes, et certains font des profits en vendant de jeunes esclaves nés chez eux. ”4. Sur le port, il y avait environ 150 Africains qui déchargeaient les navires à blé. D’autres “ parcouraient la ville avec des pinceaux et du blanc de chaux, et gagnaient beaucoup d’argent ”, d’après un document du XVIème siècle. Ceux-ci étaient au service de leurs maîtres, qui les louaient à la tâche. Les esclaves au service de la Couronne se trouvaient attelés aux fours (dix-neuf “ pièces d’esclaves ” noirs et d’esclaves blanches), aux moulins de Vale do Zebro (vingt-six esclaves), aux travaux du Couvent de Tomar (six), aux travaux de Batalha, à Sintra (treize), ou bien dans les entrepôts, à la Cour, sur les galions et sur les embarcations en partance pour l’Orient. On raconte qu’un daïmio, un noble japonais, voyant un Africain pour la première fois sur un navire portugais et le croyant peint, l’envoya aussitôt prendre un bain. L’esclave était l’objet d’une comptabilité, comme n’importe quelle marchandise. La “ pièce ” servait d’étalon et correspondait à un esclave atteignant 1,75m et ayant toute sa vigueur physique, et la “ pièce des Indes ” à un Africain de 15à 25 ans. Un esclave de 8 à 15 ans (molecão) ne faisait pas une “ pièce ” entière, ni ceux de 25 à 35 ans : il en fallait trois pour faire deux “ pièces ”. Les enfants de moins de huit ans (moleques) et les adultes de 35 à 45 ans comptaient pour une “ demi-pièce ”. Les prix variaient, non seulement selon “ la qualité ” de l’esclave, mais selon son origine et selon l’époque. En 1509-1510, La Maison des esclaves rapporta 6 772 réis, sans compter 109 “ pièces ” supplémentaires. De 1511 à 1513, le Trésorier Rui Gomes y reçut 1 265 “ pièces ” négociées à hauteur de 8 086 réis, soit une moyenne de 6 réis per capita5. En 1551, on dénombrait cent mille habitants à Lisbonne, dont environ dix mille esclaves6, d’après le Sumário de Cristovao Rodrigues de Oliveira, et en province ils étaient si nombreux que Dom João III ordonna en 1528 que les habitants d’Entre Douro et Minho n’aient pas plus d’une esclave à leur service: l’arrivée d’esclaves fut, d’après Joaquim Magalhaes, une cause décisive de l’émigration chez les natifs de l’Algarve. Entre 1490 et 1496, l’entrepôt de Lagos a vendu, pour un total de 3 750,31 réis, 739 “ pièces ” d’esclaves : un chiffre très élevé si on le met en parallèle avec les 7 943 habitants que comptera la commune trente ans plus tard. Il n’est pas étonnant que les Africains aient envahi toutes les activités dans les établissements agricoles, les services urbains et les entreprises de pêche. En 1512, à Funchal (Madère), on dénombrait 2 700 Noirs et captifs, avant que quatre navires n’en débarquent 300 autres. En tout : 3 000, ce qui correspond une fois de plus à 10% de la population totale7. Les esclaves arrivaient de toutes les possessions de l’Empire, l’île de São Tomé se muant, en plein XVIème siècle, en entrepôt d’esclaves, d’autant plus important que la colonisation du Brésil allait s’intensifiant durant ce siècle. La présence continuelle d’esclaves au Portugal finit par laisser des traces dans la toponymie du pays et de la capitale. La rue du Puits des Nègres à Lisbonne, par exemple, doit son nom au roi Dom Manuel qui voulut mettre fin au problème des esclaves morts. Ceux-ci, même baptisés, n’avaient pas droit à une sépulture et on se débarrassait des corps n’importe où. C’est pourquoi le roi ordonna, le 13 novembre 1515, “ qu’on choisisse un lieu approprié et qu’on creuse un puits le plus profondément possible, dans lequel lesdits esclaves seront jetés avec de la chaux vive”. Dans la commune d’Ancião, se trouve le lieu-dit Vallée des Noirs ; dans celle d’Estremoz, le Mont des Noirs, et ainsi de suite... Le personnage de l’Africain, avec sa manière caractéristique de s’exprimer, apparaît déjà dans le théâtre du grand auteur du XVIème siècle Gil Vicente et, à partir de fin du XIXème siècle, dans le théâtre populaire. La
tendance à faire la satire des faits de l’actualité favorise la création de types, et la figure de l’Africain sera utilisée pour apporter une touche d’exotisme ou de comique à certains tableaux. Leite de Vasconcelos, ethnologue du vingtième siècle rapporte cette l’histoire qui circule dans les campagnes portugaises: “ Un jour, un Noir alla se confesser et le prêtre lui imposa une pénitence, celle de jeûner le lendemain. Le Noir, craignant d’oublier, demanda au prêtre de lui noter par écrit le jour fixé pour le jeûne. Le prêtre écrivit “ Tu jeûneras demain ! ”. Le Noir lisait tous les jours son papier, et voyant écrit “ demain ” il se disait, “ Dieu merci, ce n’est pas pour aujourd’hui ”. Et jamais il ne jeûna. ”. Le même auteur a par ailleurs repéré d’autres traces de la présence africaine dans le folklore rural, comme dans la région de Chaves, où l’on chantait : “ Le Noir n’est quelqu’un Que lorsque vient la nuit noire On est sûr de voir un homme Là où il n’y a qu’une ombre Dès le matin clair Le premier rayon de soleil Fait voir qu’il y a là un Noir Et que l’homme a disparu ” Assez tôt, l’esclavage fait l’objet de discussions, voire de remises en cause par des missionnaires jésuites et dominicains, ainsi que par des théologiens et des juristes. Ainsi, dès le XVIIème siècle, le Père António Vieira prend la défense, dans ses sermons, de ceux qu’il qualifie de “martyrs”, alors qu’en 1758 par exemple, le Père Manuel Ribeiro da Rocha, originaire de Lisbonne mais ayant longtemps vécu à Bahia, fait paraître un livre intitulé Ethio pien racheté, gagé, entretenu, corrigé, instruit et libéré : une sorte de discours théologico-juridique sur les modes de faire commerce, disposer et être possesseur en toute validité de captifs africains, et sur les principales obligations qui en découlent. Dans le processus qui mène à l’abolition, cet ouvrage constitue la première publication ayant cherché, dans un but à la fois moral et pratique, à réglementer la possession et l’usage d’esclaves et à établir des normes afin d’éviter les abus. L’abolition totale de l’esclavage se fait en plusieurs étapes. La loi du 6 juin 1755 due à Marquês de Pombal ordonne la liberté des Indiens de la province du Grão-Pará et Maranhão et en 1758, cette disposition est étendue à tout le Brésil. Dans un second temps, les résolutions royales du 19 septembre 1761 et du 2 janvier 1767, interdisent le seul trafic des Noirs en provenance des ports d’Amérique, d’Afrique et d’Asie, et affranchissent ceux d’entre eux qui débarquent au Portugal. Bien qu’affaibli à partir de 1808 par l’effondrement du circuit commercial entre le Brésil et le Portugal, le vieux système colonial se maintient au-delà de cette date et constitue un frein à toute tentative de libéralisation économique. Il faudra attendre le Traité d’Alliance et d’Amitié (signé en 1810 entre l’Angleterre et Dom João VI, exilé au Brésil) pour s’orienter définitivement vers l’abolition de l’esclavage. Le 24 novembre 1813, l’Angleterre et le Portugal signent le premier accord par lequel les deux pays s’engagent à mettre fin au trafic d’esclaves. Le 10 décembre 1836, le marquis de Sá da Bandeira publie un décret interdisant l’exportation d’esclaves. Néanmoins, un certain trafic se poursuit clandestinement: le Boletim Oficial de Angola signale le 28 novembre 1846 que des Africains ont été emmenés contre leur volonté vers le Brésil. En 1854, le vicomte d’Atouguia permet par décret la libération des esclaves en établissant une indemnité pour leurs maîtres, texte qui est élargi en 1856 par un nouveau décret qui concède la liberté aux esclaves appartenant à l’Etat, aux conseils municipaux, aux fondations charitables et à l’Eglise. Le décret de 1858 du marquis de Sá da Bandeira promet l’abolition de l’esclavage au terme d’un délai de vingt ans, et prévoit une indemnité pour les propriétaires. Finalement l’esclavage n’est aboli qu’en 1869, tout en continuant d’exister clandestinement et tout en persistant dans les mentalités. Encore au début du XXème siècle, on pouvait lire dans le Boletim Oficial de Angola que deux esclaves clandestins (“ un homme, une femme et son “ rejeton ”) avaient été “ rachetés ” sur un navire à destination du Brésil. Aimé Césaire a affirmé un jour que la colonisation avait engendré non une harmonie, mais une juxtaposition de cultures. Voilà une définition en noir et blanc, sans tons intermédiaires, alors qu’ ils sont en la matière d’une infinie variété. Il me semble, au contraire, que les sociétés en contact l’une de l’autre ont toujours été plus ou moins affectées et je veux surtout parler des Angolais et des Portugais. Les échanges culturels entre ces deux peuples ont pris place dans trois zones géographiques : le Portugal, l’Angola et le Brésil. Ici, la qualification d’“ interculturel ” s’applique aux phénomènes de traversée des frontières, au fait qu’un mode de vie propre à un groupe se retrouve chez un autre groupe ; ce processus est facilement observable dans ses effets. Loin d’être une exception, la synthèse musicale interculturelle est la règle. C’est ainsi qu’à Luanda (première ville fondée par les Portugais sous les tropiques africains), après plus de 400 ans de colonisation, on a
vu naître vers la fin du XIXème siècle une danse qui est une véritable création luso-angolaise: la rebita. Quant au fado, c’est en quelque sorte “ par ricochet ” qu’il apparaît à Lisbonne vers le milieu du XIXème siècle et devient l’archétype de la chanson portugaise. Le Brésil n’est pas seulement le pays où un remodelage sémantique profond a eu lieu ; il a été aussi le creuset d’une synthèse originale de cultures musicales importées, l’africaine et la portugaise. C’est l’influence de cette “ musique métisse ” brésilienne, apparue dès le XVIème siècle, qui à son tour va engendrer en Europe des formes musicales hybrides, dont le fado. Conclusion Un des phénomènes sociaux les plus intéressants de l’histoire du Portugal s’est produit au XIXème siècle, après l’abolition de l’esclavage. Qu’est-il arrivé aux milliers d’Africains, devenus des citoyens libres, qui sont restés au Portugal ? Cette question n’a pas beaucoup intéressé les historiens, les démographes, les sociologues et autres spécialistes, et reste énigmatique. Pourtant, elle recèle probablement maintes leçons sur la manière dont la société portugaise gère la différence. Le problème qui semble se poser est celui des processus et des comportements sociaux qui ont pu mener à la disparition des traces démographiques et culturelles des anciens esclaves libérés. Or, l’existence de quelques études éparses, dans les domaines de l’ethnologie, de la biologie et de la linguistique, nous amène à nous interroger d’autant plus sur cette question. Des études parcellaires et localisées ont été notamment réalisées dans la région du Sado, où longtemps des esclaves africains ont travaillé (aux salines et à la riziculture), et qui aujourd’hui encore est touchée par les fièvres paludéennes. On retrouve l’influence de la construction traditionnelle africaine dans les habitations sur pilotis des pêcheurs du fleuve Sado ; on a également relevé des traits physionomiques typiquement africains (nez et lèvres, couleur de peau, cheveux) parmi la population locale. Des études hématologiques effectuées sur les populations de l’Alentejo ont repéré l’anémie génétique typique des Africains, laissée en héritage par une Afrique qui a appris, au long des siècles, à se défendre du paludisme. Le linguiste allemand Hans J. Vermeer8 a souligné l’importance des apports berbères et finnois au portugais. Cette vieille langue latine, forgée dans la région galaico-portugaise, serait-elle en fin de compte plus berbère et finnoise que latine ? C’est une question qui dépasse notre propos, mais elle trouble nos certitudes. Ainsi, nous n’avons pas fini de tirer toutes les leçons de la présence, au Portugal, de tant d’Africains pendant tant de siècles. António Luìs Ferronha BIBLIOGRAPHIE Texeira BASTOS, A crise, 1894. S.A. da Silva CORDEIRO, A crise em seus aspectos morais, Lisboa, 1896. Jaime CORTESÃO, O Humanismo Universalista dos Portugueses, Lisboa, 1965 (écrit vers 1933). Philip D. CURTIN, The atlantic slave trade : a Census, Madison, 1969. David ELTIS, Economic Growth and the Ending of the Transatlantic Slave Trade, New York, 1987. Gilberto FREYRE, Les Portugais et les Tropiques., Lisboa, 1961. F. Da Cunha LEÃO, Ensaio de Psicologia Portuguesa, Lisboa, 197. (rééd.) Orlando RIBEIRO, Aspectos e Problemas da Expansão Portuguesa, Lisboa, 1962. Joel SERRÂO, A Emigração Portuguesa (sondagem historica), Lisboa, 1977 (3ème éd.) Jose RAMOS TINORHÂO, Os Negros em Portugal «una presença silenciosa», éd. Caminho, col. Universitãria, 1977, (2ème éd.)
1)- Ancienne monnaie des Indes portugaises. 2)- Jaime Cortesão, Historia de Portugal, tome V, p. 365, cité par Vitorino Magalhães Godinho, Os Descobrimentos e a Economia Mundial, vol. IV, p. 194, Lisbonne, 1983. 3)- J. Lúcio de Azevedo, Épocas de Portugal economico, p. 73, Lisbonne, 1947. 4)- Gonçalves Cerejeira, Clenardo e a sociedade portuguesa do seu tempo, pp. 162-163, Coimbra, 1949. 5)- La Maison des esclaves était un département de la Maison de Mina, sorte de ministère d’outre-mer. 6)- Un arrêté daté du 26 mai 1536 révèle qu’à Lisbonne, les esclaves surpris la nuit étaient fouettés. 7)- Alberto Artur Sarmento, “ Les esclaves à Madère ”, Diário de Notícias do Funchal, 1938. 8)- A estrutura do português comparada com outras línguas da Europa Ocidental, in Anais Universitários, n°1, avril 1990, Universidade da Beira Interior, pp. 55-56.
Vous pouvez aussi lire