RASSEGNA BIBLIOGRAFICA - Medioevo a cura di G. Matteo Roccati

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RASSEGNA BIBLIOGRAFICA

                                          Medioevo
                                 a cura di G. Matteo Roccati

  Le manuscrit unique. Une singularité plurielle,                  Giuseppina Brunetti discute en particulier les pro-
É. Burle-Errecade, V. Gontero-Lauze (dir.), Paris,             blèmes liés à l’édition critique des textes, en rappelant
Sorbonne Université Presses, 2018, 148 pp.                     les questions soulevées par la Chanson de Roland, dont
                                                               toutes les copies ont pu être éditées comme autant de
   Le bref Avant-propos qui introduit ce beau recueil          manuscrits uniques (sous la direction de J. J. Duggan,
souligne les trois axes autour desquels s’organisent les       2005), puis par le Tristan de Béroul, dont elle analyse
contributions réunies ici: la question de la réception, les    dans les détails l’épisode du rendez-vous sous le pin,
problèmes d’édition, les aspects liés à l’intertextualité.     puis le dialogue entre Iseut et Brangien, pour conclure
   Les traductions françaises de textes scientifiques          avec une remarque sur l’intertextualité avec Cligés
représentent un corpus que Joëlle Ducos interroge sur          (Publier le manuscrit unique: problèmes et exemples
la base de trois cas emblématiques: la traduction des          d’édition (avec une note sur le “Tristan” de Béroul),
Météorologiques par Mathieu Le Vilain, que la redécou-         pp. 55-72).
verte d’un deuxième manuscrit, conservé à Saint-Péters-            Marie-Laure Savoye, qui en a entrepris l’édition
bourg, a permis de mieux dater (1290-1295) et surtout          complète, analyse le manuscrit BnF, fr. 12483, seul
d’en comprendre la tradition textuelle; une adaptation         témoin conservé du Rosarius, une compilation dédiée
française de la Compilatio de astrorum scientia de Léo-        à la Vierge qui compte, à l’état actuel, près de 40 000
pold d’Autriche; deux traductions d’opuscules à usage          vers. S’agissant d’un ouvrage riche en citations, les
pratique, contenant, l’un une liste d’ingrédients succé-       questions ecdotiques sont nombreuses, et concernent
danés, l’autre des recettes alchimiques (Textes scienti-       tant les textes dont aucun autre manuscrit n’est
fiques français et manuscrit unique, pp. 13-24).               conservé que ceux dont la tradition est abondante
   Transmis par un seul manuscrit aujourd’hui à Cam-           (par exemple, le Testament de Jean de Meung). Mais
bridge, Un chevalier et sa dame et un clerk mérite atten-      la tâche de l’éditeur critique est encore compliquée par
tion: ce texte en vers, qui se désigne comme un romanz,        la recherche des modèles manuscrits, sans doute un
mais est de nos jours considéré un fabliau, est soumis         grand livre-bibliothèque aujourd’hui perdu; l’auteur,
par Francis Gingras à une analyse fine, qui permet             un prédicateur dominicain originaire du Soissonnais,
entre autres de relever sa proximité avec les théma-           a séjourné à Paris, peut-être aussi à Poissy, ce qui
tiques courtoises (maladie d’amour, jalousie), ainsi que       permettrait de rattacher son œuvre à la bibliothèque
la dimension exemplaire du récit. Sur un autre plan,           royale (Le “Rosarius” ou les vestiges du cabinet d’étude
l’examen du recueil qui le contient – à contenu pseu-          d’un prédicateur mondain, pp. 73-87).
do-historique (Brut de Wace) et exemplaire, qui plus               Le manuscrit 405 de la Bibliothèque Inguimber-
est conservé dans une ancienne bibliothèque abbatiale          tine constitue un témoignage exceptionnel d’une ré-
– confirme l’insuffisance de nos catégories, non seule-        ception tardive du Moyen Âge. Comme le montrent
ment génériques, à l’égard de la littérature médiévale         Sébastien Douchet et Valérie Naudet, il s’agit d’un
(Un manuscrit singulier et unicum à Saint-Augustin de          livre hybride à la fois dans sa fabrication, en tant
Canterbury: le fabliau “Un chevalier et sa dame et un          que montage de manuscrits médiévaux, que pour
clerk” dans le manuscrit Cambridge, Corpus Christi Col-        les textes qu’il contient: Beuve de Hantone, deux
lege 50, pp. 25-37).                                           fragments de la Chevalerie de Judas Macchabee, des
   La contribution de Gérard Gouiran est la seule à            séquences versifiées de la Consolation de Boèce tra-
aborder des textes provençaux, en l’occurrence Rol-            duite par Jean de Meung, deux fragments de Gerbert
lan a Saragossa, Flamenca et Guilhem de la Barra: sa           de Metz. Son “auteur”, qui révèle ses intérêts et sa
présentation porte essentiellement sur la bibliographie        formation dans la préface qui ouvre le volume, est
critique et sur les interrogations que soulève la conser-      Hubert Gallaup de Chasteuil, avocat général au par-
vation de l’épopée provençale par des manuscrits               lement de Provence: condamné à l’exil à perpétuité
uniques et, pour les deux premiers titres, anonymes,           en 1659, Hubert composa son ouvrage sans doute à
alors que le troisième est «signé» per Arnaut Vidal (La        Reims, où il vécut de 1665 à 1670 (Comprenne qui
                                                                                                             e
malédiction du manuscrit unique: quelques réflexions           pourra… La fabrique du Moyen Âge au xvii siècle dans
sur trois textes longs de la littérature occitane médiévale,   le manuscrit 405 de la bibliothèque Inguimbertine de
pp. 39-51).                                                    Carpentras, pp. 89-112).
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   S’ouvrant directement sur la Suite du Merlin, le             tielles, car elles offrent au lecteur moderne, selon
manuscrit fr. 227 de la BnF constitue un unicum dans            Olivier Bettens, non pas une aide immédiate à la com-
la mesure où il fournit une version singulière de transi-       préhension, mais la vision des articulations du texte
tion narrative: le dernier tiers de cette copie constitue       (pp. 119-133). La ponctuation musicale, en rapport
en effet le passage de l’univers héroïque (caractérisé          cette fois avec la phrase poétique, intéresse aussi Gilles
par les combats contre les Saxons) à l’univers breton           Dulong, qui interroge le corpus lyrique de l’Ars nova
(marqué plutôt par les aventures individuelles), en pré-        et préconise des lectures conjointes des deux plans
paration du Lancelot. Noémie Chardonnens, Nathalie              du corpus lyrique du xive siècle (pp. 201-213). Dans
Koble et Patrick Moran consacrent la plus grande par-           les manuscrits des Vers de la Mort d’Hélinand et du
tie de leur analyse aux questions littéraires, sans pour        Despit du Monde de Wautriquet de Couvin, destinés
autant négliger l’aspect matériel du manuscrit, qui             à la déclamation publique, Federico Saviotti relève,
semble confirmer, sinon une véritable césure, tout au           d’une part, l’imprévisibilité des lieux ponctués, et,
moins une différence de traitement entre la première            d’autre part, la variété de fonction des signes les plus
et la seconde partie (L’invention du “Livre d’Artus”: le        fréquents, point et comma (pp. 135-147).
manuscrit Paris, BnF, fr. 337, pp. 115-135).                       L’étude des pratiques adoptées par les copistes de
   Bien que transmises l’une et l’autre par une seule           fabliaux permet à Francis Gingras de s’interroger sur
copie, les deux versions manuscrites des Neuf Preux,            l’éventuelle incidence de la forme d’un texte verna-
composées vers la fin du xve siècle, doivent être consi-        culaire sur sa ponctuation (pp. 235-247). La prise en
dérées comme le témoignage de la circulation d’un               compte des signes de ponctuation peut s’avérer essen-
nombre très élevé de textes, à savoir leurs sources,            tielle, comme le montre Danièle James-Raoul en analy-
latines ou françaises. Anne Salamon donne ici un                sant le manuscrit unique du Roman de Silence, dans la
aperçu de cette diffusion, en soulignant comment le             datation d’une copie, voire dans l’établissement d’une
motif des Neuf Preux donne une structure et organise            édition critique (pp. 249-265). Le projet d’édition de
un vaste matériau, historique, littéraire et biblique,          l’Ovide moralisé fournit à Yan Greub l’occasion pour
en constituant une sorte de condensé des lectures               vérifier les différentes fonctions des lettrines dans un
qui intéressaient les lecteurs aristocratiques de cette         corpus de manuscrits (structuration, soulignement,
époque (Deux manuscrits uniques pour Neuf Preux,                repérage, démarcation de types d’énoncés), et sur-
pp. 137‑146).                                                   tout pour en montrer l’intérêt dans une perspective
   L’intérêt de ce recueil, et de chaque article en parti-      de critique textuelle (pp. 267-279). Simone Ventura
culier, tient, me semble-t-il, dans les questionnements         compare les marques de division macro-textuelle dans
posés et dans l’approche résolument méthodologique:             le manuscrit autographe du Decameron et dans le ma-
textes et manuscrits plus ou moins connus et analy-             nuscrit VAT de la traduction de Laurent de Premier-
sés ici permettent de fait de revenir sur les questions         fait (pp. 281-298). Une charte liégeoise du xiiie siècle
que tout éditeur de texte doit se poser, portant sur            dont on conserve deux expéditions fournit à Nicolas
l’«authenticité» du texte qu’il donne à lire: en dé-            Mazziotta l’occasion pour analyser les variantes dans
coulent non seulement toute interprétation littéraire           la ponctuation et pour souligner avantages et inconvé-
ou tout commentaire linguistique ou stylistique, mais           nients d’une édition électronique essayant de donner
jusqu’à notre vision de la production médiévale tout            accès à celles-ci (pp. 299-316). Hélène Biu examine la
entière.                                                        ponctuation dans trois manuscrits de la Somme Acé,
                                [maria colombo timelli]         traduction du corpus de droit justinien remontant au
                                                                    e
                                                                xiii siècle: au-delà de quelques différences de détail,
                                                                le système apparaît stable et syntaxiquement cohérent
  Ponctuer l’œuvre médiévale. Des signes au sens,               (pp. 317-332). Le manuscrit-recueil BnF, fr. 1553,
Études réunies par V. Fasseur et C. Rochelois, Genève,          œuvre de quatre copistes différents, fournit un maté-
Droz, 2016, «Publications Romanes et Françaises»                riau vaste et hétérogène pour ce genre de recherches:
267, 718 pp.                                                    Olivier Collet relève quelques régularités dans la fonc-
                                                                tion dévolue aux signes, sans que cela aboutisse à un
    Issu d’un colloque qui s’est tenu à Pau en avril 2014,      véritable «système» de ponctuation (pp. 333-352).
ce gros volume constitue une contribution remarquable           Yasmina Foehr-Janssens s’interroge sur la manière de
dans le domaine des études sur la ponctuation médié-            ponctuer pour des lecteurs modernes les unités syn-
vale, tant par l’approche, qui prend en compte les deux         tagmatiques dans les octosyllabes du Roman des sept
pratiques toujours en présence – à savoir la ponctuation        sages (version K), et discute en particulier la ponctua-
du copiste et celle de l’éditeur moderne –, que par l’éten-     tion du Prologue (pp. 353-369). Une édition «à deux
due du corpus examiné par les nombreux intervenants:            niveaux», qui montre tant la ponctuation du manus-
la prise en compte par les contributeurs de diverses aires      crit médiéval que celle adoptée par l’éditeur critique,
linguistiques (latin, italien, langue d’oïl, langue d’oc, an-   est aujourd’hui possible grâce aux nouveaux systèmes
glais) et de nombreux genres littéraires offre en effet une     d’édition numérique: c’est ce que préconise Cinzia
vision en même temps précise – lorsque un seul texte            Pignatelli, à partir de l’exemple du ms. fr. 24430 (Rela-
est examiné – qu’élargie, dans la mesure où la réflexion        tion de la prise de Saint-Jean d’Acre, pp. 371-387). C’est
théorique ne fait jamais défaut. Le recueil est divisé en       dans un corpus de textes en ancien français que Tho-
trois parties, consacrées respectivement: aux signes de         mas Verjans analyse d’abord les pratiques de ponctua-
ponctuation, à la confrontation entre travail des copistes      tion des éditeurs critiques, pour mesurer ensuite leur
et travail des éditeurs, aux études de cas. Afin de gar-        adéquation aux acquis de la linguistique diachronique
der des dimensions convenables, cette notice ne portera         (pp. 389-413). Maria Careri revient sur la ponctuation
que sur les corpus français et provençal et ne donnera          du chansonnier L, dont elle souligne l’intérêt même
qu’un aperçu des richesses qui s’ouvrent au lecteur tant        dans une édition moderne (pp. 403-413). Toujours
soit peu curieux d’un aspect essentiel dans la lecture et       dans le domaine de la lyrique occitane, Sergio Vatte-
l’interprétation des textes.                                    roni examine le rapport entre la ponctuation dans les
    Les marques «musicales» dans les pièces qui                 chansonniers lyriques et celle adoptée par les éditeurs
émaillent le Jeu de Robin et Marion s’avèrent essen-            critiques (pp. 415-433).
Medioevo                                                                                                         329

   La ponctuation d’un texte, à plus forte raison d’un      Texts, from «Amor Dei» to Fear of Judgement, pp. 141-
texte scientifique, reflète et détermine en même temps      171, en particulier sur des textes cisterciens. Gustav
son interprétation: Christine Silvi analyse les énumé-      Zamore, Bonaventure’s Thought Experiment: The Use
rations de mots dans la version du Secret des secrets       of «Synderesis» in the «Itinerarium mentis in Deum»,
contenue dans le ms fr. 1822 de la BnF, et leur ponctua-    the Ineffability Topos, and Francis’s Stigmata, pp. 173-
tion dans les éditions modernes, souvent très discor-       195. Francesca Southerden, The Art of Rambling:
dantes (pp. 451-471). Véronique Dominguez étudie            Errant Thoughts and Entangled Passions in Petrarch’s
les marques d’interrogation dans le manuscrit unique        «The Ascent of Mont Ventoux» («Familiares» IV, 1) and
du Jeu d’Adam, et en montre les retombées sur l’inter-      «RVF» 129, pp. 197-221. Philip Knox, Desire for the
prétation du texte (pp. 521-537). Aux yeux de Laetitia      Good: Jean de Meun, Boethius, and the ‘homme devisé
Tabard, les marques de ponctuation dans les textes          en deuz’, pp. 223-250. Gabrielle Lyons, Interpretation
dialogués d’Eustache Deschamps risquent de brouiller        all the Way Down: Fabliaux and Medieval Exegesis, pp.
la répartition des différentes voix, alors que cette am-    251-271. Daniel Reeve, Queer Arts of Failure in Alan
biguïté serait recherchée et ferait sens (pp. 539-556).     of Lille and Hue of Rotelande, pp. 273-296. Index aux
En analysant les choix adoptés par les éditeurs des xixe    pp. 329-339.
et xxe siècle pour ponctuer quelques passages de la                                             [g. matteo roccati]
chanson d’Aspremont, Blandine Longhi en mesure les
conséquences dans l’expression des émotions et dans
la «dramatisation» de l’action (pp. 557-571). Vanessa          Jean-Pierre Martin, Les Motifs dans la chanson de
Obry adopte une approche analogue, mettant en rap-          geste. Définition et utilisation (Discours de l’épopée
port les choix des éditeurs et la ponctuation du manus-     Médiévale 1), Paris, Champion, 2017, «Essais sur le
crit médiéval, afin de vérifier la perception actuelle du   Moyen Âge» 65, 414 pp.
style brisé et de la polyphonie des voix dans Guillaume
de Dole de Jean Renart (pp. 573-590). La relation              Cette nouvelle édition du précieux livre de 1992
stricte entre ponctuation et syntaxe amène Jean-Ma-         constitue une véritable mise à jour d’une des réfé-
rie Fritz à souligner les particularités du genre de la     rences des spécialistes de l’épopée, et plus en général
fatrasie: à ses yeux, seul le choix de ne pas ponctuer      des médiévistes: loin de se limiter à compléter la biblio-
les éditions critiques préserverait le non-sens poursuivi   graphie par un nombre important de titres parus après
par les auteurs médiévaux (pp. 591-605). Cette même         cette date (pp. 369-394), Jean-Pierre Martin a repris
option devrait s’imposer, selon Christopher Lucken,         son texte dans le détail, en précisant certains aspects,
pour la poésie de Charles d’Orléans, qui ne mérite          en complétant les notes, en tenant compte des nou-
pas d’être soumise aux lois d’un découpage purement         velles éditions publiées au cours des dernières années.
logique (pp. 607-628).                                      Un travail difficile et sans doute parfois fastidieux
   En fin de volume, on trouvera une précieuse Orien-       dont il faut lui être reconnaissant. Il ne nous semble
tation bibliographique: la section «Études» en particu-     pas inutile d’en donner une sorte de fiche de lecture,
lier (pp. 678-695) réunit presque 250 titres, livres et     qui rendra certainement service aux plus jeunes, mais
articles, qui rendront les plus précieux services tant      qui ne sera sans doute pas inutile aux chercheurs plus
aux éditeurs de textes qu’aux linguistes et aux histo-      chevronnés.
riens du livre manuscrit.                                      L’Introduction (pp. 9-26) rappelle les concepts et
                                [maria colombo timelli]     termes en jeu, en abordant quelques questions défi-
                                                            nitoires (motifs narratifs et motifs rhétoriques, qui
                                                            correspondent aux deux parties du volume) et en pré-
  Medieval Thought Experiments. Poetry, Hypothesis,         cisant le corpus retenu (Raoul de Cambrai, Orson de
and Experience in the European Middle Ages, Ph.             Beauvais, Aye d’Avignon, Garin le Loherenc, Gerbert
Knox, J. Morton, and D. Reeve (eds), Turnhout,              de Mez).
Brepols, 2018, «Disputatio» 31, VIII-340 pp.                   Après avoir montré l’insuffisance de l’approche et
                                                            des classifications des folkloristes, qui ne sauraient être
    Le volume rassemble douze contributions issues          appliquées à la chanson de geste (L’approche des folk-
d’un colloque tenu à Oxford en 2015. L’Introduction:        loristes, pp. 29-49), J.-P. Martin analyse Les modèles
Textual Experiments, Thinking with Fiction, par Jona-       structuraux (pp. 51-74), qui lui paraissent plus ren-
than Morton, pp. 1-20, précise le sens qu’il faut donner    tables, dans la mesure où ils séparent personnages et
à l’expression «thought experiment» en particulier en       fonctions et surtout tiennent compte de la hiérarchie
littérature: la fiction est en quelque sorte une expé-      et de la syntaxe de leur emploi. Dans cette optique,
rience, un scénario hypothétique destiné à susciter une     le motif narratif s’avère être une unité complexe, mar-
réaction en sollicitant l’imagination du lecteur. J. M.     quant un changement dans la diégèse. Un épisode
ajoute: «We are employing the term as a provocation,        typique de la chanson de geste – le combat singulier
as an invitation to think about the many different ways     entre deux champions – permet ensuite d’aborder
in which the hypothetical and the fictional could be        des questions plus précises: la délimitation du motif
used as tools for thought» (p. 6).                          épique, ses contextes, la définition des acteurs et des
    Parmi les articles qui suivent plusieurs concernent     clichés narratifs, la variabilité même des motifs. Loin
des œuvres et des auteurs appartenant ou liés à l’aire      d’être «figés dans un schéma immuable» (p. 111),
française. John Marenbon, Thought Experiments with          ceux-ci ne s’adaptent à des récits très divers qu’au prix
Unbelief in the Long Middle Ages, pp. 21-40, à propos,      de transformations de surface importantes; s’il s’agit
entre autres, des Collationes d’Abélard. Marco Niever-      de motifs épiques au sens propre, c’est parce qu’ils
gelt, Can Thought Experiments Backfire? Avicenna’s          reflètent la réalité du monde féodal (Essai d’anatomie,
Flying Man, Self-Knowledge, and the Experience of           pp. 75-112). C’est donc une véritable «syntaxe» qui or-
Allegory in Deguileville’s «Pèlerinage de vie humaine»,     ganise les motifs, en nombre somme toute limité, dans
pp. 41-69. Alice Lamy, The Conception of the World          le corpus épique (Description sommaire de l’organisme
in «Placides e Timéo», pp. 99-119. Julia Bourke, Affec-     narratif, pp. 113-139). D’autre part, l’environnement
tive Meditation in Hand Mnemonics and Devotional            où un motif donné est inséré permet une quantité éle-
330                                                                                        Rassegna bibliografica

vée de modifications: le sens même du motif varie dans        Il parcourt ensuite les moments fondamentaux et les
ces cas, pouvant être dédoublé, renversé, éventuelle-         textes dans lesquels elle s’est incarnée: les troubadours,
ment subverti jusqu’à devenir comique; cette richesse         André le Chapelain, Chrétien de Troyes, L’exception
sémantique est à l’origine même de tendances théma-           tristanienne. À la fin de ce parcours, un chapitre de
tiques à la fois vastes et souples (Des motifs aux thèmes,    synthèse propose «de décliner l’amour courtois sous
pp. 141-171).                                                 les trois espèces de la fin’amor, de la fole amor et de
   La deuxième partie envisage les motifs, d’abord,           la bone amor» (p. 80). Viennent après encore trois
en considérant leur forme linguistique (Structures            chapitres consacrés à L’occultation de l’amour courtois
d’expression, pp. 175-213). La discussion porte sur la        (fabliaux, condamnation d’Etienne Tempier, Adam
possibilité d’isoler les motifs de ce point de vue, puis      de la Halle, Christine de Pizan, Alain Chartier), à sa
sur les critères permettant de reconnaître les formules       reprise par Guillaume de Machaut et du xvie au xixe
par le retour de lexèmes ou clichés, sous des variations      siècle (de Ronsard à Flaubert et Baudelaire), enfin
                                                                     e
parfois importantes, enfin sur les figures rhétoriques        au xx : Breton et deux essayistes qui ont tenté de
récurrentes. Le rôle du narrateur est analysé dans ses        «reprendre l’exégèse [de la légende] à nouveaux frais
prises de parole privilégiées: prologue, épilogues, mais      pour retourner comme un gant la démonstration de
aussi «prologues internes» qui relancent le récit par le      Rougemont et affirmer la positivité du parcours de
recours à des motifs non nécessairement épiques (rever-       Tristan et Iseut» (p. 106), Michel Cazenave et Michel
die ou cour plénière, par exemple); tous ces passages         Clouscard. Le discours est constamment nourri de la
exigent par ailleurs la collaboration entre narrateur et      discussion, toujours rapide (sans notes, une bibliogra-
public – toujours présent dans le texte – afin de décryp-     phie, pp. 115‑118, liste les ouvrages cités), des travaux
ter l’histoire racontée (Paroles du narrateur (pp. 215-       critiques qui ont enrichi l’interprétation du concept.
261). Les règles rhétoriques propres aux discours des
personnages sont examinées à partir du motif «offre de                                            [g. matteo roccati]
présents», qui permet d’envisager une approche globale
de certains discours stéréotypés de la chanson de geste:
contenu du don, articulation du discours direct, actes           Milena Mikhailova-Makarius, Le présent de Marie,
de parole. Ces propos reflètent les règles des institutions   Lecture des “Lais” de Marie de France, 2e édition rema-
sociales, ainsi que celles du genre épique (Paroles des       niée, Genève, Droz, 2018, «Courant critique» 1, 168 pp.
personnages, pp. 263-295). Une fois constatée l’exis-
tence de motifs proprement «rhétoriques», l’analyse              Cet essai a été publié une première fois en 1996 (avec
essaie d’en déceler l’évolution et l’intérêt au sein d’une    une introduction par Roger Dragonetti). La bibliogra-
tradition textuelle donnée: il apparaît ainsi que la fixité   phie a été enrichie et la lecture commentée des lais
de ces expressions – littéraires plus qu’«orales» – est       proposée alors a été revue et remaniée, tout en gardant
en quelque sorte un leurre: à partir d’un stock recon-        l’approche et les articulations d’origine (voir l’analyse
naissable, les auteurs réalisent individuellement «une        détaillée qu’en avait donnée Ingrid De Pourcq: “Studi
topique propre au genre épique» (p. 323), en en faisant       francesi” XLII, 1998, n. 126, pp. 542‑543).
un véritable moyen d’expression poétique (Les paroles
gelées, pp. 297-323).                                                                             [g. matteo roccati]
   La conclusion permet, en quelques pages seule-
ment (pp. 325-332), de saisir la portée d’une étude
qui dédouble les angles d’attaque, mais dont l’unité            “Reinardus” 29, 2017, pp. 284.
repose sur l’objet même de l’analyse: de fait, la prise
en compte des motifs narratifs (en partie tirés du folk-          Nous rendons compte ici des articles concernant le
lore, en partie créés en propre par le genre lui-même)        Moyen Âge.
et des motifs rhétoriques (qu’il soient rattachés à l’ex-         Le volume s’ouvre avec une contribution de Paola
pression orale ou qu’ils relèvent d’une véritable forme       Cifarelli (Formes brèves et mise en prose. Le cas des
poétique) permet de reconnaître, d’une part, les traits       “Herberies”, pp. 1-15), qui étudie les rapports entre
propres d’un genre littéraire capital au sein de la pro-      le Dit de l’Herberie de Rutebeuf et la prose anonyme
duction médiévale, de l’autre de percevoir une vision         transmise par le ms. Paris, BnF, fr. 19152. L’A. montre
du monde et l’imaginaire même de la société féodale.          qu’une opération de dérimage a été réalisée au moyen
   On soulignera aussi l’intérêt des annexes: Motifs          de deux procédés: la technique du dévers et la transpo-
narratifs (pp. 335-349), Motifs rhétoriques (pp. 351-         sition libre; en même temps, l’enchâssement de traces
363); le Lexique des principales notions théoriques utili-    de versification dans les séquences correspondant à la
sées (pp. 365-367) constitue un glossaire utile méritant      section en prose du Dit semble reproduire les effets de
d’être constamment consulté au cours de la lecture.           polyphonie évoqués par l’alternance vers/prose chez
                                                              Rutebeuf, tout en relevant d’un souci d’expérimenta-
                               [maria colombo timelli]        tion stylistique et de resémantisation. Une hypothèse
                                                              de datation du texte anonyme est également proposée.
                                                                  L’analyse des sources et des techniques de compo-
  Alain Corbellari, Prismes de l’Amour courtois, Dijon,       sition du Liber de natura rerum fait l’objet de l’essai de
Editions Universitaires de Dijon, 2015, «Essais», 120 pp.     Mattia Cipriani («In dorso colorem habet inter viridem et
                                                              ceruleum». “Liber rerum” e osservazione zoologica diretta
   Ce petit volume, brillant et documenté, fait le point      nell’enciclopedia di Tommaso di Cantimpré, pp. 16-98).
sur une notion galvaudée, que l’on préférait éviter           L’A. se focalise sur une auctoritas anonyme, désignée par
dans les dernières décennies, le sens restreint que lui       Thomas de Cantimpré par la mention Liber rerum: ce
avait donné Gaston Paris ayant été oublié. Après avoir        petit livre de propriétés, sans doute rédigé dans les ré-
retracé l’«invention» de l’expression (1883), l’A. la met     gions de l’Europe du Nord dans le but d’instruire les re-
en relation avec les sources et la situe par rapport aux      ligieux à travers un langage essentiel, constitue le moyen
réalités analogues dans l’Antiquité et dans d’autres          privilégié par lequel l’écrivain brabançon introduit dans
civilisations (Kama Sutra indien et littérature arabe).       son ouvrage des amplifications fondées sur l’observation
Medioevo                                                                                                            331

directe de la nature, en se distinguant ainsi de la plupart       Paul Wackers (Animals as Images in Medieval Mir-
des encyclopédistes de son temps.                             rors of Sins, pp. 247-261) s’interroge sur la fréquence
    Antoine De Proft («Au feu, à la cloche et au filet».      et la typologie des images animalières dans un corpus
Chasser la bécasse des bois au Moyen Âge et à l’aube des      de sept textes en moyen néerlandais. En particulier,
Temps Modernes, pp. 99-119) passe en revue les pra-           l’A. observe que les animaux sont employés pour se
tiques de chasse à la bécasse illustrées dans les traités     référer au Christ, aux péchés, aux diables, mais sur-
cynégétiques et les manuels scientifiques médiévaux et        tout aux qualités des êtres humains; deuxièmement, il
modernes. D’après les sources prises en examen, cet           remarque que les animaux jouent le rôle d’exemples
oiseau, qualifié de gibier sot, peut facilement être cap-     (leur comportement est mis en contraste avec celui des
turé au moyen de filets, de leurres sonores et d’autres       hommes), mais aussi de métaphores (ils partagent avec
engins se démarquant parfois par leur singularité: la         les hommes les mêmes propriétés) et d’allégories (les
curieuse pratique de la «follastrerie», dont la première      animaux sont comme les hommes et constituent un
description remonte aux Livres du Roy Modus et de la          guide pour découvrir la réalité).
Royne Ratio, véhiculerait une mise en garde édifiante             En conclusion, Clara Wille (Le Vultur dans le “De
aux hommes qui, tout comme les bécasses, se laissent          Animalibus” d’Albert le Grand, pp. 262-282) consacre
naïvement piéger par le diable.                               son étude au De Animalibus d’Albert le Grand. Après
    Antonella Sciancalepore (Hawks and Knights. (De)          avoir illustré la structure de l’ouvrage, qui ajoute au
constructing knightly identity through animals in French      commentaire des dix-neuf livres du De Animalibus de
chivalric literature (12th-13th century), pp. 120-141) se     l’Aristote arabo-latin sept livres supplémentaires trai-
penche sur le mécanisme d’identification réciproque           tant les animaux par ordre alphabétique, l’A. souligne
mis en place entre les chevaliers et les oiseaux de proie     que parfois les informations concernant un animal
dans les chansons de geste et les romans médiévaux.           donné dans la première partie entrent en conflit avec
L’A. souligne que, dans la littérature chevaleresque, les     celles présentées dans les derniers livres. L’exemple du
faucons, les autours et les éperviers ne sont pas seule-      traitement du «vautour» est emblématique à ce sujet:
ment des symboles de l’aristocratie, car ils participent      il permet de démontrer que le philosophe dominicain
aussi de la définition du statut des chevaliers: selon un     transmet fidèlement la matière aristotélicienne sans
processus d’humanisation de l’animal et d’animalisa-          pour autant renoncer à l’adapter aux conditions mo-
tion de l’être humain, le rapace incarne le comporte-         dernes de la science naturelle.
ment du chevalier au point d’en constituer le double,                                             [elisabetta barale]
tandis que l’homme se juxtapose à l’oiseau en enrichis-
sant son identité de qualités animalières.
    Après avoir examiné le cas de la licorne et du rhi-          Mattia Cavagna, La “Vision de Tondale” et ses ver-
nocéros auxquels les auteurs anciens renvoient en             sions françaises (xiiie-xve siècles). Contribution à l’étude
utilisant indifféremment les termes unicornus, monoce-        de la littérature visionnaire latine et française, Paris,
ron et rinoceron, Richard Trachsler (Du lynx à l’once.        Champion, 2017, «Nouvelle Bibliothèque du xve
Animaux réels et créatures symboliques, pp. 142-163) se       siècle» 118, 673 pp.
focalise sur un autre exemple de dénominations échan-
geables: le lynx et l’once. Étymologiquement liés, ces            Texte fondamental au sein de la littérature vision-
deux prédateurs au pelage tacheté sont très différents,       naire médiévale, la Vision de Tondale a connu une
mais peu connus en Occident; de ce fait, en dehors            transmission aussi prolongée que variée, en latin et
                                                                                                         e
du domaine de la pelleterie, les auteurs médiévaux            dans seize langues européennes, du xii siècle jusqu’à
désignent souvent négativement la même créature par           la fin du xve. Après avoir édité en 2008 les versions de
trois mots qui prêtent à malentendu (lynx, once, loup         Jean de Vignay, David Aubert et Regnaud le Queux
cervier).                                                     (“Studi francesi” 157, 2009, p. 152), Mattia Cavagna
    Une autre confusion zoonymique – celle qui inté-          offre ici un remarquable volume de synthèse, prenant
resse l’escargot et la tortue (limax, testudo et tortuca)     en compte l’ensemble de la tradition, latine et fran-
– retient l’attention de Sébastien De Valeriola (L’escar-     çaise, du texte. Composée en 1149 par un moine irlan-
got dans les encyclopédies médiévales. Les conséquences       dais, «Frater Marcus», la version originale de la Visio
zoologiques d’une confusion lexicale, pp. 164-200).           (V1) a été enchâssée, sous une forme abrégée, dans le
L’A. travaille sur quelques-unes des plus importantes         Chronicon d’Hélinand de Froidmond (début du xiiie
encyclopédies médiévales dans le but de préciser les          siècle), puis dans le Speculum historiale de Vincent de
contours d’une évolution sémantique embrouillée, qui          Beauvais (V2); une troisième version latine, très abré-
se reflète aussi dans les enluminures accompagnant les        gée (V3), se lit enfin dans le Speculum morale du pseu-
                                                                                                          e
notices relatives aux termes en question; l’ambiguïté         do-Vincent de Beauvais (début du xiv siècle). Cha-
lexicale qui caractérise les sources latines ne disparaît     cune de ces rédactions successives est à l’origine d’une
pas complètement avec le passage au vernaculaire et           ou de plusieurs traductions françaises (onze au total):
les renseignements fournis par les encyclopédistes sont       deux des plus tardives (H, «version homilétique»,
souvent à la base d’images très éloignées de la réalité.      début du xve siècle, et G, de David Aubert, 1475)
    Une approche iconographique amène Olga Vassile-           dérivent de V1; six traductions remontent à la version
va-Codognet («In lacu leonum»: fosse, tanière, parc ou        de Vincent de Beauvais: L, J, A, V, T, M; la traduction
ménagerie?, pp. 201-231) à analyser l’évolution du mo-        de Regnaud le Queux, de 1480 (Q), est basée sur V3;
tif biblique de Daniel dans la fosse des lions. La repré-     alors que pour les deux textes qui restent (P et D) il
sentation paléochrétienne schématique du prophète se          est impossible de remonter au modèle. Ces quelques
transforme sous l’empreinte d’un plus grand réalisme          données donnent déjà la mesure de l’ampleur et de
au cours du xive et du xve siècle: l’aplat d’encre noire      la complexité du corpus abordé par Mattia Cavagna,
qui évoque la caverne et la tanière des fauves se méta-       auquel on reconnaîtra d’entrée de jeu les qualités de la
morphose ainsi en des constructions de type puits/            clarté et de la rigueur, qui se reflètent dans l’organisa-
citernes, mais aussi en des ménageries idéales et en des      tion interne de son ouvrage, articulé en deux parties, la
parcs édéniques ressemblant aux réserves de chasse de         première partie ayant pour objet la source, la seconde
l’époque.                                                     les versions françaises.
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    L’analyse des trois versions latines (chapitre 1)           Outre quelques Annexes et Index, la Bibliographie,
s’articule en paragraphes consacrés aux auteurs, aux          remarquable, occupe les pp. 585-653.
datations, aux contextes culturels de production
et de transmission. Pour la version originale, M.C.                                           [maria colombo timelli]
s’intéresse aussi aux sources et circonstances de com-
position, au schéma narratif et au contenu; les deux
rédactions de V2 sont soumises à une collation qui per-          Théâtre et révélation. Donner à voir et à entendre au
met d’en mesurer les écarts. Au total, le texte latin est     Moyen Âge. Hommage à Jean-Pierre Bordier. Études
transmis par plus de 150 manuscrits; dans sa présenta-        réunies par C. Croizy-Naquet, S. Le Briz-Orgeur et
tion, M.C. prête une attention particulière au contenu        J.-R.Valette, Paris, Champion, 2017, «Nouvelle biblio-
des manuscrit-recueils, en les rangeant en trois caté-        thèque du Moyen Âge» 121, 589 pp.
gories: recueils théologiques, didactiques, dévotion-
nels; recueils hagiographiques, recueils d’exempla, de            È da salutare con grande favore la pubblicazione
miracles, de récits visionnaires; sans oublier le passage     di questo volume miscellaneo, con il quale una tren-
à l’imprimé de la version de Vincent de Beauvais, très        tina tra allievi, colleghi e amici omaggiano Jean-Pierre
précoce, à partir de 1472 ca. Le deuxième chapitre            Bordier, grande studioso delle forme teatrali dell’Eu-
situe d’abord la Visio dans la production visionnaire         ropa tra il x e il xvi secolo. Si tratta di una materia
précédente, qui comprend entre autres l’Apocalypse de         che notoriamente si può affrontare solo e soltanto se
saint Paul et le livre IV des Dialogues de Grégoire le        si è in grado di essere, di volta in volta e al contem-
Grand, afin de mettre en relief la récurrence des mo-         po, filologo, linguista, antropologo, sociologo, storico,
tifs: mort temporaire, séparation de l’âme et du corps,       storico della letteratura: esattamente come ha saputo
voyage dans l’au-delà avec un guide surnaturel, retour        fare nel corso della sua carriera Bordier, attraverso una
au corps, mise par écrit de l’expérience. M.C. met            varietà di approcci metodologici che si riflette sia nella
l’accent sur trois aspects fondamentaux, dont il com-         struttura complessiva del volume sia nei singoli saggi
pare le traitement dans l’ensemble du corpus latin: le        che lo compongono.
statut narratif du visionnaire, protagoniste de l’extase,         Dopo una davvero densa ed esauriente «Bio-biblio-
du voyage et de la révélation, et en même temps res-          graphie de Jean-Pierre Bordier» (pp. 12-23, a firma
ponsable de sa transmission écrite; la description spa-       di Stéphanie Le Biz-Orgeur) e dopo un’apprezzabile
tiale de l’au-delà, divisé entre espaces infernal et para-    e chiara «Présentation des contributions» (pp. 25-35,
disiaque; son organisation quadripartite: purgatoire,         per le cure di Catherine Croizy-Naquet e Jean-René
enfer, lieux d’attente, paradis. Sur cette toile de fond,     Valette), l’opera si articola in tre macrosezioni: la pri-
le chapitre 3 élargit encore le terrain d’enquête par la      ma (la più ampia) è dedicata alle forme propriamente
prise en compte des textes médiévaux proches de la lit-       teatrali tra il xii e il xvii secolo, seguendo il corso del
térature visionnaire: on soulignera l’essor remarquable       «long Moyen Âge» caro a Jacques Le Goff, e cercando
que la Visio a connu au xve siècle, dont témoignent tant      – dai più antichi drammi liturgici e fino a Corneille e al
le nombre des manuscrits conservés (87) que les échos         teatro di devozione del xvii secolo e oltre – «la manière
littéraires sous des formes parfois très diverses dans        dont le jeu dramatique donne à voir et à entendre»,
l’Europe entière; une première réaction parodique et          contribuendo così «à fixer un certain nombre de jalons
satirique, représentée en France par le Songe d’enfer de      dans l’histoire des formes théâtrales» (p. 26); la secon-
Raoul de Houdenc ou le Dit du pet au vilain de Rute-          da si sviluppa intorno alla nozione di teatralità, intesa
beuf, est suivie de la vaste tradition des voyages allégo-    come “teatro fuori dal teatro”, come presenza di una
riques: M.C. rappelle l’œuvre de Raoul de Houdenc,            “qualità teatrale” in una serie di testi i più variegati; la
Huon de Méry, Rutebeuf, Baudouin de Condé, Jean               terza si concentra su altre vie della “rivelazione”, con
de le Mote, Guillaume de Digulleville, jusqu’aux deux         particolare attenzione per la letterarietà come segno e
traités anonymes, Purgatoire des mauvais maris et Enfer       manifestazione di senso.
des mauvaises femmes (seconde moitié du xve siècle),              Voglio segnalare in particolare le interessanti osser-
sur lesquels l’influence de la Vision paraît vraisem-         vazioni di Gilbert Dahan sui meccanismi che portano
blable.                                                       il jeu del primo Medioevo a uscire dalla liturgia per
    La seconde partie est consacrée, comme on l’a dit,        sfociare nell’universo del teatro, verificando che cosa
aux onze versions françaises, classées et étudiées sin-       significhi (dal punto di vista della morfologia) il deli-
gulièrement: étalées entre la fin du xiiie et la fin du xve   cato passaggio dal dramma liturgico al jeu dramatique
siècle, elles sont éditées en partie seulement. M.C. en       (Temps sacré, temps profane, temps du théâtre de la
offre plusieurs classements: par source, par nombre           liturgie au jeu, pp. 39-50).
de témoins, par région d’origine, et encore par public            Chiudono il volume alcuni indici che si rivelano
envisagé (contexte clérical ou laïc, voire princier).         e uno strumento davvero utile per l’addetto ai lavori
Chaque texte est ensuite présenté dans les détails: tra-      e un mezzo per orizzontarsi a disposizione del letto-
dition manuscrite, source, adaptation du contenu.             re: «Index des noms et des œuvres» (pp. 541-573);
    La maîtrise d’un ensemble très vaste de textes per-       «Index des citations bibliques» (pp. 577-578); «Index
met à M.C. de faire le point sur un certain nombre            des cotes de manuscrits et des références d’imprimés
de questions ayant trait à l’histoire de la spiritualité      anciens» (pp. 579-584).
– on n’oubliera pas son retour sur la question de la                                                     [giuseppe noto]
«naissance du Purgatoire» – et à l’histoire littéraire
du Moyen Âge, mais aussi d’ouvrir des pistes de
recherche: les jalons qu’il a posés et les informations         Charlemagne: les temps, les espaces, les hommes.
détaillées qu’il offre, entre autres sur des versions fran-   Construction et déconstruction d’un règne, R. Grosse,
çaises encore inédites de la Vision, permettront de (re)      M. Sot (dir.), Turnhout, Brepols, 2018, «Haut Moyen
lire un certain nombre de textes et de les interpréter à      Âge», 34, 606 pp.
la lumière d’un ouvrage qui a certainement exercé une
influence prolongée sur les œuvres médiévales.                   Ce gros volume rassemble les actes d’un colloque
                                                              tenu à l’Institut Historique Allemand à Paris en 2014
Medioevo                                                                                                            333
                      e
à l’occasion du 1200 anniversaire de la mort de Char-          sur les valeurs, multiples et spécifiques, de la représen-
lemagne. Le but était «de situer le demi-siècle de son         tation figurée du livre, notamment ouvert et portant
gouvernement dans un jeu d’échelle spatial et tempo-           des inscriptions, omniprésente dans les miniatures
rel, en faisant la part des traditions et des innovations      accompagnant les évangiles. Richard Matthew Pollard,
et en donnant une meilleure place aux périphéries              Charlemagne’s Posthumous Reputation and the «Visio
et aux laboratoires qu’elles ont pu constituer» (Rolf          Wettini», 825-1857, pp. 529-549, retrace la réception,
                                                                     e         e
Grosse, Les cendres de Charlemagne, pp. 11-15, à p.            du ix au xviii siècle, du passage concernant la puni-
15). L’ouvrage réunit près d’une trentaine de contribu-        tion de Charlemagne et relativise l’impact de l’image
tions et est articulé en six sections: «Penser et organiser    de l’empereur qu’elle véhicule, perçue comme réel-
le pouvoir», «Représenter le pouvoir», «Uniformisa-            lement négative seulement dans les temps modernes,
tion et résistances», «À l’est et au sud: modèles, émula-      depuis l’édition de Mabillon en 1677. Index des noms
tion, innovation», «Communications et réseaux», «An-           de personnes et de lieux aux pp. 591-605.
ticipations et héritages». À coté de travaux consacrés
aux instruments et aux méthodes de gouvernement                                                     [g. matteo roccati]
de l’empire (notamment à propos des capitulaires
et de leur constitution en corpus normatif: Philippe
Depreux, Charlemagne et les capitulaires: formation et           Coopétition. Rivaliser, coopérer dans les sociétés du
réception d’un corpus normatif, pp. 19-41), plusieurs          haut Moyen Âge (500-1100), R. Le Jan, G. Bührer-
autres traitent de sa dimension culturelle, en particulier     Thierry, S. Gasparri (dir.), Turnhout, Brepols, 2018,
dans les domaines de l’architecture, de l’iconographie         «Haut Moyen Âge» 31, 424 pp.
et de la production de manuscrits. On retiendra plus
particulièrement les communications suivantes, pour               Le volume est d’intérêt fondamentalement histo-
leur intérêt dans une perspective longue d’histoire            rique et le concept sur lequel il est centré a été théorisé
des perceptions et des modes de pensée. Carine Van             d’abord dans le domaine économique, dans le cadre
Rhijn, Charlemagne’s «correctio»: A Local Perspective,         de la théorie des jeux: le «terme coopétition a été for-
pp. 43‑59, concernant l’idée de réforme qui imprègne           gé à la fin des années 1980 pour décrire la poursuite
la politique du règne et les témoignages, rares, de son        simultanée d’actions coopératives et compétitives par
impact aux niveaux inférieurs de la société (comme             des acteurs économiques» (R. Le Jan, Coopétition.
certains manuscrits, tel le BnF lat. 1012, un «handbook        Rivaliser, coopérer sans les sociétés du haut Moyen Âge:
for local priests», p. 56). Maximilian Diesenberger,           réflexions préliminaires, pp. 9-20, à p. 9). Il peut avoir
Karl der Grosse und die Predigt, pp. 81-99, à propos de        toutefois une application plus large. Les contributions
l’attention à l’égard de la prédication, instrument de         rassemblées, un peu plus d’une vingtaine, sont clas-
réforme, notamment pour le contrôle des potentiores.           sées en trois parties correspondant à trois périodes:
Sumi Shimahara, Charlemagne, premier souverain chré-           550-650, ixe siècle, 1050-1120. Elles examinent des cas
tien commanditaire d’exégèse biblique?, pp. 101-117,           particuliers au niveau des stratégies mises en œuvre
sur le renouveau carolingien des commentaires bi-              par les acteurs. Une traite en revanche de la perception
bliques. Rosamond McKitterick, Charlemagne, Rome,              de ce genre de situations telle qu’elle apparait dans
and the Management of Sacred Space, pp. 165-179: au-           un texte «littéraire»: H.-W. Goetz, Grégoire de Tours:
delà des reprises littéraires, la référence privilégiée à la   (comment) a-t-il perçu une «coopétition»?, pp. 49-60.
liturgie romaine (saints, lectures, rituels, dévotion im-      L’étude passe en revue des exemples de rivalité et
périale) et à la papauté sont les signes de l’intégration à    d’alliance, donc de «coopétition» possible, décrits par
la Francia de la mémoire sacrée de Rome. Warren Pezé,          Grégoire en s’arrêtant sur sa manière de les présenter.
Un faussaire à la cour: hérésie et falsification pendant la    Elle conclut que ce concept anachronique ne rend pas
controverse adoptianiste, pp. 193-226: l’article examine       compte de la vision partisane et religieuse de l’auteur.
la tradition manuscrite du De Trinitate d’Hilaire de
Poitiers à la lumière des accusations carolingiennes de                                             [g. matteo roccati]
falsification portées contre Felix d’Urgel, il s’arrête no-
tamment sur la querelle qui opposa au début du xviiie
siècle le jésuite Barthélémy Germon et le mauriste               Confiance, bonne foi, fidélité. La notion de «fides»
Pierre Constant «sur les corruptions des hérétiques»           dans la vie des sociétés médiévale (vie-xve siècles),
(p. 208). C’est la «légitimité de la science philolo-          W. Falkowski, Y. Sassier (dir.), Paris, Classiques
gique» (p. 194) qui était en cause: «Germon propose            Garnier, 2018, «Rencontres, 364, Série Histoire, 4»,
de remettre le choix des variantes textuelles au magis-        390 pp.
tère (...). La méthode mauriste, en revanche, repose
sur un probabilisme épistémologique d’inspiration                 Le volume réunit les actes de deux journées
port-royaliste, pour lequel la certitude philologique,         d’études organisées dans le cadre de l’Institut Catho-
la probabilité qu’un jugement porté sur une variante           lique d’Etudes Supérieures de La Roche-sur-Yon en
ou une datation soit vrai, n’est pas d’ordre métaphy-          2011 et 2012, il comprend près d’une vingtaine de
sique, mais moral» (pp. 210-211). Florian Hartmann,            communications portant sur une notion qui est, dans la
«A textual Community»? Zur Lukrezrezeption karolin-            latinité classique et les auteurs médiévaux qui s’en ré-
gischer Gelehrter, pp. 371-384: le De rerum natura était       clament, la clé de voûte des relations sociales: «le com-
oublié depuis Isidore de Séville, un manuscrit caro-           portement sincère et droit, notamment le respect de
lingien et ses annotations témoignent de l’intérêt que         l’engagement pris, vertu essentielle, chez le gouvernant
Lucrèce a suscité dans le milieu lettré gravitant autour       à la fides duquel (...) est confiée la res publica» (Yves
de la cour de Charlemagne. Le fait est d’autant plus           Sassier et Woyciech Falkowski, Avant-propos, pp. 7-11,
significatif que Lucrèce disparaitra de nouveau après          à p. 10). Dans le cadre de la rassegna, on retiendra plus
le ixe siècle jusqu’à sa redécouverte par Poggio Brac-         particulièrement la contribution de Jacques Verger,
ciolini en 1417. Charlotte Denoël, La parole révélée:          «Juramentum» et «fides» dans les statuts universitaires
essai sur la symbolique visuelle du livre dans les livres      français du Moyen Âge, pp. 275-291, sur les serments
d’Evangiles de l’époque de Charlemagne, pp. 477-505,           universitaires, et les suivantes, portant sur des textes
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