Seven Stones - FESTIVAL D'AIX-EN-PROVENCE DU 4 AU 24 JUILLET 2018 - Festival-aix.com
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70e édition du Festival L C e Festival d'Aix-en-Provence célèbre cette année sa 70e édition. Cet anniversaire 'est une année particulière pour le Festival d'Aix. Elle est marquée par un double m'offre l'occasion de rendre hommage aux générations d'artistes, de professionnels, de événement. D'abord un anniversaire, ensuite un départ. techniciens et de mécènes du monde entier qui ont forgé l'identité du Festival et qui l'ont fait vivre, tout au long de ces décennies, à travers un formidable travail de coopération. Je Un anniversaire, parce qu'en 1948, à la sortie de la guerre, Gabriel Dussurget – mélomane pense notamment au grand metteur en scène Patrice Chéreau dont les productions auront averti – eut l'idée géniale de créer un festival d'art lyrique à Aix-en-Provence. Depuis marqué l'histoire du Festival. 70 ans, chaque été, le cœur de la ville continue de battre au rythme de la scène mythique de l'Archevêché. La programmation de cette 70e édition sera fidèle à ce qui fait la force et la singularité de la manifestation depuis sa création. Les plus grands compositeurs y seront à l'honneur : Mozart bien Que serait Aix aujourd'hui sans ce prestigieux rendez-vous musical ? Soixante-dix années se sont sûr, qui a toujours occupé une place singulière à Aix, sera présent avec La Flûte enchantée, sous la écoulées à façonner la renommée du Festival, à faire rayonner la ville au-delà des frontières de direction musicale de Raphaël Pichon et mise en scène par Simon McBurney ; de même que Richard l'Hexagone. Mais aussi à partager l'excellence en s'ouvrant – dans une histoire plus récente – à de Strauss, avec son Ariane à Naxos ; ou encore Sergueï Prokofiev avec L’Ange de feu. La programmation nouveaux publics. fera aussi la part belle à l'audace et à la diversité, avec la création mondiale Seven Stones, ou encore l'opéra Orfeo & Majnun qui réunit des compositeurs de trois nationalités et mêle les langues arabe, Un départ, ensuite, puisque Bernard Foccroulle, directeur du Festival depuis 2007, signe ici sa dernière anglaise et française. Fidèle à sa tradition, le Festival dressera également des ponts avec le bassin programmation. Il l'a fait jusqu'au bout avec le professionnalisme et les qualités humaines que chacun méditerranéen et ses artistes émergents, grâce au réseau Medinea ou à l'Orchestre des Jeunes de la lui connaît. Méditerranée. Enfin, comme toujours, le public sera au cœur du Festival et même invité à y jouer sa part, à travers l'opéra participatif Orfeo & Majnun. Je tiens à le remercier pour le travail accompli et les magnifiques souvenirs d'opéras qu'il nous laisse derrière lui. Son formidable parcours aixois ne connaît aucune fausse note et son talent aura marqué Nous fêtons par ailleurs cette année un autre anniversaire, que je tiens aussi à saluer : celui de bien plus qu'une décennie aixoise, le monde de l'art lyrique en général. Je sais qu'il va maintenant l'Académie du Festival, qui célèbre ses 20 ans d'existence. Je veux rendre hommage aux missions se consacrer à des projets plus personnels, notamment l’interprétation et la composition, ses deux remplies par ce centre de perfectionnement vocal et instrumental, qui offre un espace de travail, passions. d'expérimentation et d'ouverture aux jeunes artistes en voie d'insertion dans le milieu professionnel, et qui forme également des médiateurs. À travers l'Académie, le Festival réaffirme la transmission Une très belle page du Festival d'Aix se tourne cette année. À 70 ans, il s’apprête à prendre un nouveau comme l'une de ses valeurs cardinales. départ. Cette édition 2018 sera enfin l'occasion de célébrer le travail extraordinaire accompli par Bernard Foccroulle, qui transmettra le témoin de la direction à Pierre Audi à la fin de l'été et qui signe avec cet anniversaire sa dernière édition. Je tiens à le saluer et à le remercier chaleureusement pour son Maryse Joissains Masini engagement, son exigence constante, ses paris multiples et ses prises de risque durant ses années Maire d'Aix-en-Provence passées à la tête du Festival. Je remercie également toutes les équipes et tous les partenaires, publics et Président du conseil de territoire du Pays d'Aix privés, qui rendent ce moment d'enchantement possible année après année. Je vous souhaite à tous un très beau Festival. Françoise Nyssen Ministre de la Culture 2 3
L Un Festival aux résonances très actuelles L’édition 2018 est exceptionnelle à plus d’un titre : le Festival d'Aix-en-Provence célèbre ses 70 ans, son Académie fête ses 20 ans, et les services éducatif et socio-artistique Passerelles D sont à pied d’œuvre depuis déjà 10 ans. L’excellence artistique est, une fois de plus, au rendez- vous avec une programmation audacieuse où les opéras de Mozart, Strauss, Purcell et Prokofiev, ès l'origine, l'opéra s'est tourné vers les mythes antiques – Orphée, Ariane, Didon, ainsi que deux créations se partagent l’affiche. L’une d’entre elles, Orfeo & Majnun, sera donnée les récits de la guerre de Troie – non par souci passéiste, mais parce que ces récits gratuitement sur le cours Mirabeau. Une offre foisonnante complétée par 23 concerts auxquels immémoriaux continuaient à parler aux êtres humains des temps modernes. De la même prennent part des artistes emblématiques de l'Académie. manière que le chant est un moyen « détourné », sublime, de dire le réel et de décrire les Pour sa 6e édition, Aix en juin propose plus de 25 manifestations dans la ville comme dans la région et passions humaines, les mythes offrent un réservoir inépuisable de récits qui, venant de poursuit ainsi sa politique d’ouverture et d’ancrage dans le paysage culturel régional. Ce prélude au temps immémoriaux, nous atteignent de plein fouet, avec toute la violence des situations Festival réunit plus de 17 000 spectateurs autour de 270 jeunes artistes au rang desquels figurent les paroxystiques, des destins contrariés, des conflits insolubles, des passions les plus aiguës. Lauréats HSBC de l’Académie dont on peut admirer le talent à Aix-en-Provence et alentours. Les enjeux de formation et de transmission restent primordiaux comme en témoignent les actions Les amours à l'opéra sont rarement des fleuves tranquilles : on ne peut qu'être frappé par la force et la menées par l’Académie, par l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée et, plus localement, par diversité des figures féminines qui traversent cette édition, de l'archétype de la femme abandonnée Passerelles. Le Festival est largement diffusé grâce aux retransmissions de nos partenaires Arte et Arte (Didon) ou perdue (Eurydice, Layla), à l'incarnation de la fidélité (Ariane) ou de l'amour libre concert, France Musique et France Télévision, auxquelles s’ajoutent des projections gratuites à Aix- (Zerbinetta). L’Ange de feu nous révèle une héroïne fascinante, condamnée pour sorcellerie dans un en-Provence et ses alentours ainsi que dans le monde. Moyen Âge pas si lointain ; Seven Stones suit le parcours éperdu d'un homme coupable du meurtre de la Poursuivant son expansion à l’étranger, les productions du Festival tournent sur les scènes du femme qu'il aimait, un homme à la recherche du pardon. Seul Mozart parvient à réconcilier le féminin monde entier. Les deux réseaux que le Festival anime – celui d’enoa en Europe et celui de medinea en et le masculin dans La Flûte enchantée, mais à l'intérieur d'un univers dominé par le patriarcat... Méditerranée – font de lui un acteur influent [et engagé] sur la scène internationale. Dans le cadre du débat actuel sur la place faite aux femmes dans notre société, il ne sera pas inutile La part du mécénat occupe une place de taille dans le financement du Festival. Je remercie tous les d'interroger le cadre social, idéologique et philosophique qui a vu naître ces œuvres d'art et qui a mécènes, particuliers et entreprises, au premier rang desquels Altarea Cogedim, partenaire officiel contribué à diffuser largement ce point de vue essentiellement masculin sur la féminité. du Festival. J’exprime enfin toute notre gratitude pour leur soutien renouvelé au ministère de la Culture, à la Mairie Cette année 2018 nous permet aussi de célébrer les vingt ans de notre Académie. Celle-ci a d’Aix-en-Provence, à la Métropole Aix-Marseille-Provence et au Territoire du Pays d’Aix, au Conseil profondément transformé le Festival qui, sans rien perdre de sa vocation initiale, s'est enrichi, départemental des Bouches-du-Rhône et au Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur. rajeuni, diversifié. Il est devenu un pôle incontournable de la création lyrique, il a accueilli, formé et accompagné des dizaines de créateurs et créatrices, et des centaines de jeunes interprètes. 2018 constitue la dernière programmation de Bernard Foccroulle, directeur général du Festival, qui achève ici son troisième mandat. Parallèlement, l'Académie a participé à l'évolution des activités de Passerelles, notre département Je souhaite remercier chaleureusement Bernard Foccroulle pour le travail qu’il a accompli depuis éducatif et socio-artistique qui a, depuis 2007, développé des actions de médiation et des créations 12 ans à la tête de notre Festival. Son enthousiasme, son imagination, son pouvoir de conviction, son participatives en partenariat avec des centaines d'écoles et d'associations, ainsi que des milliers de esprit d’équipe ont permis au Festival de progresser aussi bien sur le plan de l’excellence artistique que jeunes et d'adultes de toutes origines. du développement des publics. Pour succéder à Bernard Foccroulle, la ministre Audrey Azoulay, les collectivités territoriales et moi- Orfeo & Majnun constitue sans doute l'aboutissement de ces axes de travail qui n'ont cessé de nous même, avons choisi en juin 2016, Pierre Audi directeur de l’Opéra d’Amsterdam. Pierre Audi prendra porter au cours de ces années : création, participation, dialogue interculturel, coopération européenne. ses fonctions comme directeur général du Festival d’Aix-en-Provence le 1er septembre 2018 ; depuis 18 Ce projet ambitieux qui associe parade urbaine et opéra en plein air aura galvanisé les énergies de mois en tant que directeur délégué il prépare les programmations des saisons 2019 – 2020 – 2021 en centaines et de milliers de personnes participantes, amateurs et professionnels, dans le cadre festif et liaison avec le Conseil d’Administration et moi-même. collégial de Marseille-Provence 2018. Le 1er juin 2018, le Conseil d’Administration a choisi comme nouveau Président Paul Hermelin. Je me réjouis tout particulièrement de ce choix. Par sa personnalité, par ses attaches avec la Provence, À toutes celles et tous ceux qui nous ont accompagnés et soutenus tout au long de ces années, par son goût de l’opéra, par sa réussite à la tête d’un des groupes les plus prestigieux du CAC 40, Paul responsables politiques, mécènes, spectateurs et spectatrices, je voudrais dire un immense MERCI ! Hermelin devrait encore amplifier le succès de notre Festival. Bernard Foccroulle Bruno Roger Directeur général du Festival d’Aix-en-Provence Président d’Honneur du Festival d’Aix-en-Provence 4 5
ONDŘEJ ADÁMEK (1979) Seven Stones OPÉRA A CAPELLA POUR QUATRE CHANTEURS SOLISTES ET DOUZE CHANTEURS CHORISTES LIVRET DE SJÓN COMMANDE DU FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCE CRÉATION MONDIALE Direction musicale Maid / Storyteller I Chœur Ondřej Adámek* Anne-Emmanuelle Davy accentus / axe 21 Léo Warynski* Land Lady / Storyteller II Mise en scène et Shigeko Hata* chorégraphie Stone Collector Éric Oberdorff* Nicolas Simeha Scénographie et lumière Stone Collector’s Wife Éric Soyer Landy Andriamboavonjy Costumes Clémence Pernoud* Assistant à la mise en scène Jean-Francois Kessler Nouvelle production du Festival d'Aix-en-Provence et de son Académie Assistante aux décors En coproduction avec accentus / axe 21, Opéra de Rouen Normandie, ARS Musica Marie Hervé Aide à l’écriture d’une œuvre musicale originale du ministère de la Culture Avec le soutien de la Fondation Meyer pour le développement culturel et artistique, Fonds de Création Lyrique Seven Stones est le lauréat du Prix FEDORA - GENERALI pour l’Opéra 2018 Éditeur de la partition : Billaudot Un rendez-vous MP2018 Quel Amour ! Spectacle en anglais surtitré en français | 1h20 Théâtre du Jeu de Paume | 7, 8 et 15 juillet 2018 | 17h | 10, 12 et 17 juillet 2018 | 19h Retransmis en direct sur et sur le 10 juillet *Anciens et anciennes artistes de l’Académie 7 rmers artists of the Académie
Argument PRÉLUDE PIERRES qu’elles tiennent entre les mains ( une fourrure, des barres de fer, des bâtons de bois ), le retiennent et lui offrent Le chef d’orchestre prend place et commence à diriger le chœur, puis il se tourne face au public pour énoncer une une pierre noire et polie en lui disant qu’elle lui permettra de lire dans l’esprit d’une jeune fille. Depuis lors, le anecdote : « j’ai été touché à la tête par une pierre ». Les solistes et le chœur le rejoignent dans un brouhaha et colporteur garde cette pierre sur lui. Il la hume, la frotte sur sa manche, la fixe intensément. La Patronne raconte parlent de multiples personnages touchés à la tête par une pierre. Soudain, le chef d’orchestre se retrouve seul et que, bien des années plus tard, on repêcha son cadavre dans un ruisseau en Alaska. Dans son crâne, on trouva une recroquevillé dans le noir... et devient le personnage central de l’histoire : le Collectionneur de pierres. pierre noire à la place du cerveau. Les trois Femmes jouent avec le crâne comme si elles invoquaient des esprits. Le fantôme du colporteur paraît alors et crache la pierre noire. « Une pierre qui semble douce à l’œil / une pierre qui PARTIE Ia SAUVETAGE promet un doux toucher / à la paume de la main, / mais qui trahit avec sa dureté noire et brillante. » Il neige. Au milieu des flocons, un homme reste prostré, c’est le Collectionneur qui parle avec peine : « Je… me... souviens... ». Derrière lui apparaît une femme dans un manteau du XIXe siècle, il s’agit de la Femme du Collectionneur, qui PARTIE V LITHOGRAPHE dit en le désignant : « un mari perdu, un père perdu, un homme de science perdu... ». Peu à peu, l’environnement apparaît : La scène se divise en trois espaces : un laboratoire, un atelier de lithographie, et une chambre rappelant un tableau de nous sommes dans une sombre ruelle d’une ville d’Europe centrale. Le Collectionneur a soif. Sa Femme rappelle quelques Munch. Le chœur sature la scène d’un chant radioactif. Un soliste raconte l’histoire de Marie Curie et Edvard Munch, faits : il a cinq enfants et un nom estimable dans le monde de la minéralogie. Comme si elle obéissait aux ordres silencieux de qui vivaient à Paris à la même époque ; Munch rendit visite à Marie et lui envoya une lithogravure qu’il avait réalisée, la son mari, elle finit par désigner une porte qui conduit à un bar où il avait l’habitude de se rendre : U Bábelsteinů. montrant dans son laboratoire et rappelant son tableau La Mort dans la chambre de la malade ; cette gravure est aujourd’hui perdue. Pendant ce temps, deux solistes énoncent de manière fragmentaire les symptômes de l’anémie aplasique, PARTIE Ib U BÁBELSTEINŮ maladie causée par l’exposition aux radiations, à laquelle Marie Curie succomba. Le soliste finit par briser la pierre de Dans le bar, des instruments de minéralogie sont suspendus aux murs et, sur les étagères du bar, à la place des bouteilles, lithogravure et à en inspecter les fragments avec son petit marteau... Il redevient le Collectionneur de pierres. se trouvent des pierres de toutes sortes : « la voilà, ta collection, elle n’a pas été perdue ! » La Patronne et la Serveuse apparaissent alors en habits médicaux et lui présentent les différentes pierres. Toutes sont là, le Collectionneur n’en a PARTIE VI PIERRE LUNAIRE oubliées aucune. On l’assoit à une table, sa Femme en face de lui, et la Patronne lui apporte « la première pierre » sur Le Collectionneur, habillé en adulte, examine la pierre et il la catalogue avant de la mettre dans son sac. Mais son un plateau, protégée par une cloche de verre. Elle se met à briller dans l’obscurité, quand soudain le Collectionneur la regard est attiré par la lune. À la faveur d’une éclipse, il prend conscience que la lune n’est qu’une immense pierre refuse : « tout sauf la première pierre ! ». Il en saisit une autre, l’approche de son front et se concentre jusqu’à ce que grise flottant dans le ciel. Sa Femme apparaît et chante une comptine sur la pierre lunaire. Le Collectionneur tente l’environnement change. Le café d’Europe centrale se transforme alors en un bar de Buenos Aires. de saisir les rayons de lune dans sa main, en vain. PARTIE II LE POÈTE AVEUGLE ET LE MUR DE PIERRE INTERMEZZO II CONFRONTATION Dans un bar de Buenos Aires éclairé par les flammes d’une cheminée qui lui donnent un aspect infernal, un Dans le café U Bábelsteinů, le Collectionneur demande qu’on lui montre la prochaine pierre, à la fois surexcité par sa vieil homme en costume trois pièces est assis à une table et semble observer les danseurs de tango... alors qu’il passion obsessionnelle et incapable de choisir. La Patronne l’arrête et le ramène à la première pierre, sous sa cloche est aveugle. Un Conducteur de taxi le décrit : ce Poète aveugle alla chercher son inspiration dans les pays du nord de verre. Le Collectionneur résiste et tente de se ruer sur la pierre pour la casser, mais sa Femme a été plus rapide : glacés, lui qui s’était brûlé à force de louer la junte argentine. Le Poète aveugle demande au Conducteur de taxi de elle s’en saisit – l’action se fige. l’emmener loin au nord. Ils suivent l’étoile polaire jusqu’à la faille d’Almannagja, là où les plaques tectoniques d’Europe et d’Amérique se rencontrent... et se séparent lentement l’une de l’autre. Le Poète murmure des paroles PARTIE VIIa LA PREMIÈRE PIERRE au mur de pierre qui semble répondre à sa caresse. En repartant à l’aéroport, le Conducteur de taxi demande au La Serveuse sort de sa torpeur, prend une nappe et s’en drape pour chanter un récitatif dans une parodie de cantate Poète ce qu’il a dit au mur : « je lui ai donné un poème qu’il devra conserver ; en échange, il m’a offert une comptine baroque, racontant la parabole de Jésus face à la Femme adultère. Le chœur incarne les Scribes et les Pharisiens, la dans le langage des géants. » Et il lui tend la pierre grise et couverte de mousse que le Collectionneur a saisie à la fin Femme du Collectionneur joue le rôle de Jésus et le Collectionneur lui-même se retrouve dans la peau de la Femme de la partie I. Le chœur, qui figurait le mur de pierre, recule et laisse la place au Collectionneur retombé en enfance. adultère. La loi commande que celle-ci soit lapidée, mais Jésus brandit la pierre qui était sous la cloche de verre et leur dit : « que celui qui n’a jamais PÉCHÉ lui jette la première pierre. » Tous quittent la scène. La Femme du PARTIE III ENFANCE Collectionneur enlève son costume et tend la pierre au Collectionneur qui semble hypnotisé par celle-ci. Le Collectionneur, enfant, joue avec des pierres précieuses. Armé d’un marteau, il casse des géodes dont le cœur de cristal crée de fabuleux reflets. Puis, il approche la pierre grise et mousseuse près de son front et nous transporte PARTIE VIIb LE MEURTRE de nouveau dans le bar U Bábelsteinů. Le Collectionneur et sa Femme se font face comme des amants chantant un duo d’amour. Leurs paroles dévoilent leur histoire : de retour après avoir, pendant des années, recherché la pierre de l’Évangile, le Collectionneur trouva INTERMEZZO I PROVERBES sa femme dans les bras d’un jeune homme et lui lança cette pierre... qui la tua. Il reconnut l’homme trop tard : c’était Très excité par cette première excursion, le Collectionneur choisit une nouvelle pierre, tandis que les autres clients son propre fils, qu’il n’avait pas revu depuis sept ans passés à rechercher la fameuse pierre. Ce qu’il avait pris pour du bar font entendre des proverbes du monde entier utilisant l’image de la pierre. Il finit par choisir une pierre une étreinte amoureuse n’était qu’une expression de tendresse d’un fils pour sa mère. noire et polie qu’il met dans sa bouche. La lumière s’éteint. FINALE LA CHANSON DU COLLECTIONNEUR DE PIERRES PARTIE IV L’ESPRIT DE LA JEUNE FILLE Dans la ruelle enneigée du début, le Collectionneur est prostré. Il ramasse une petite pierre entre ses jambes : Trois Femmes en kimono apparaissent dans l’obscurité. Elles accueillent un colporteur américain – l'Homme – « pierre de mes reins, tu es la chanson que je chante quand l’hiver me refuse un abri ». Et il retombe. venu vendre ses marchandises en Extrême-Orient. Les trois Femmes créent le visage de l’homme avec les objets 8 9
Quel rapport Seven Stones entretient-t-il avec la tradition opératique et en quoi s’en affranchit-il ? Photo © Astrid Ackermann S’il y a une question que je n’ai cessé de me poser depuis les premiers ateliers aixois, c’est bien : « Qu’est-ce qu’un opéra ? » J’ai fini par en conclure qu’il s’agissait d’une forme vaste et plurielle offrant de multiples possibilités, mais fondée sur un noyau irréductible : celui de raconter une histoire sur un continuum musical. Je me suis alors longuement interrogé au sujet de la voix lyrique. Si l’on y songe, ce placement vocal des plus artificiels est né pour une raison purement acoustique. Est-il encore légitime d'avoir systématiquement recours à la voix lyrique aujourd’hui ? Doit-on nécessairement faire appel à la voix lyrique pour se réclamer du genre de l’opéra ? On dispose de nos jours de micros qui permettent d’obtenir une voix intime et très naturelle. Dans Seven Stones, je sollicite la voix lyrique à des moments bien précis. Ce n’est pas la règle, mais l’exception. Il y a toute une palette allant de la voix chuchotée à la voix chantée que j’ai plaisir à explorer. Les chanteurs jouent sur des instruments inventés et/ou transformés par votre esprit imaginatif, pouvez-vous nous décrire certaines de ces installations sonores ? Je m’amuse à fabriquer des instruments depuis mon plus jeune âge. Aussi ai-je pu acquérir une vaste connaissance des principes acoustiques qui régissent les instruments européens et asiatiques des cultures anciennes comme actuelles. Ces notions de facture instrumentale me permettent de savoir à l’avance ce qui est susceptible de marcher et inversement. Pour qu’un instrument à cordes sonne, quelle doit être sa caisse de résonnance ? Comment se présente son chevalet ? Si je tends une corde de telle épaisseur, quel son vais-je obtenir ? Pour faire un instrument à partir d’un tube en métal, comment doit-on le suspendre ? Toutes ces questions m’ont tellement habité jusqu’ici, elles me sont si familières… De plus, le trio que nous formons – Éric le scénographe, Bastien l’accessoiriste et moi-même – est des plus inspirants. Plongés au cœur même du lieu de fabrication (les ateliers de construction de décor à Venelles) lors des ateliers préparatoires, nous jouissions tous les trois d’une situation idéale pour donner libre cours à notre imagination. Avions-nous besoin de tel ou tel matériau ? Tout le monde s’affairait pour nous les fournir. Au fil des répétitions, des prototypes d’installations sonores surgissaient ne demandant qu’à être testés. La moindre idée émise prenait aussitôt vie et forme dans les ateliers. Heureusement, Marie Hervé, l’assistante d’Éric Soyer, était là pour mettre un peu Pour un opéra d’aujourd’hui d’ordre dans ce déferlement d’objets et de matériaux. Elle prenait des notes et des photos, dressait des listes et des inventaires, griffonnait les secrets de fabrication. Tout cela avec une double exigence esthétique, tant sur le plan visuel que sur le plan sonore… Éric Soyer s’est occupé de l’aspect visuel sur lequel je n’intervenais ENTRETIEN AVEC ONDŘEJ ADÁMEK, COMPOSITEUR pas. Pour vous donner un exemple concret, nous souhaitions créer une falaise. J’ai eu l’idée de plonger de longues planches en bois dans l’eau afin d’en tirer des sons très naturels, des glissandi pouvant rappeler les En 2014-2015, vous êtes pensionnaire à la Villa Médicis de Rome et jetez les bases de votre premier échos des canyons. Tous les ingrédients étaient alors réunis pour satisfaire aussi bien l’œil que l’oreille. Si opéra Seven Stones. Parlez-nous de la gestation de ce projet en plein cœur de la cité éternelle… certains prototypes ont dû faire l’objet d’ajustements et de perfectionnements, je dois avouer qu’aucune de nos Mon passage à Rome a plutôt marqué une phase finale dans l’écriture de Seven Stones achevé quatre mois intuitions n’a été évincée. après ce séjour. Le projet a en réalité été amorcé bien plus tôt, en 2012, et dans un cadre tout aussi idyllique : l’Académie du Festival d’Aix. Sjón, Éric Oberdorff et moi-même participions alors à un atelier au cours Le fait d’inventer de toutes pièces la plupart des instruments et de donner naissance à un duquel nous improvisions autour de fragments de partition sur les poésies de Sjón avec la collaboration de instrumentarium inédit fait de vous un « créateur » dans le vrai sens du terme – pour ne pas dire chanteurs engagés comme doublures sur la production Written on skin de George Benjamin. À l’issue de cet un « inventeur » – comment définiriez-vous votre rôle dans cette aventure humaine et artistique ? atelier, Sjón nous a annoncé non sans fierté qu’il avait une trame pour un opéra. Et Seven Stones fut. J’aime partir de rien. J’évite de m’appuyer sur des matières préexistantes afin d’avoir la liberté de vivre chaque dimension de manière inédite (le placement vocal, la façon de travailler avec les chanteurs, de Qu’est-ce qui a motivé le choix du genre ? répéter, de dire le texte, la manipulation de l’instrument). Le compositeur que je suis empiète un peu sur Mon cœur a tendance à pencher vers les grands formats et les effectifs généreux. Or, pour cette création, il l’espace du metteur en scène dans la mesure où de nombreuses indications scéniques figurent déjà dans était question d’une petite forme comportant un nombre restreint de musiciens et de chanteurs. Pour la partition. L’invention et la manipulation d’instruments ou d’objets sonores requièrent certains gestes. ouvrir le champ des possibles et enfiévrer mon imagination, j’ai souhaité dépasser les cadres habituels et Leur préconisation prédétermine en quelque sorte la mise en espace. préconfectionnés en proposant un opéra dans lequel les chanteurs formeraient eux-mêmes l’orchestre. Je ne parle ici d’un orchestre dans le sens traditionnel du terme, mais d’un ensemble instrumental bizarroïde. La Partez-vous vraiment d’une feuille blanche ? Que faites-vous du livret de Sjón ? forme de Seven Stones se situe donc entre l’opéra et le théâtre musical. La dimension opératique s’installe de Le texte constitue le point de départ. Je l’ai tellement analysé que je crois être à ce jour celui qui le connaît le 10 manière progressive, privilégiant au début les voix parlées avant de laisser peu à peu la place aux voix chantées. mieux. J’ai passé plusieurs années à le décrypter. C’est une inépuisable source d’inspiration. D’ailleurs, il 11
est indispensable de bien comprendre le texte, j’y mets un point d’honneur et nous mettons tout en œuvre Tchèque. Fasciné par ces cultures, j’ai commencé à jouer des tablas et du djembé après avoir pratiqué le pour cela. Pendant les répétitions avec les chanteurs, beaucoup de corrections concernent la phonétique. Le cor et le chant. J’inventais également des instruments et jouais avec des objets trouvés ou des ustensiles conseiller linguistique se tient systématiquement à nos côtés pour soigner cette dimension. Le handicap de de cuisine. Dès mon arrivée en France, j’ai réalisé que des instruments restés exotiques et marginaux chez l’incompréhension du texte à l’opéra appartient au passé. Aujourd’hui, cela n’est plus acceptable. moi faisaient partie du paysage sonore à Paris. Au Parc de la Villette, j’ai fait la rencontre de musiciens africains tout en prenant des cours de musique indienne. Dès l’âge de 22 ans, j’ai commencé à voyager Pouvez-vous revenir sur le processus créatif de Seven Stones ? pour aller à la rencontre de musiciens au Kenya, au Japon, en Colombie, à Bali et ailleurs… L’écriture du texte a précédé de peu celle de la musique. Sjón s’est cependant toujours laissé influencer, notamment par Éric Oberdorff, lors des trois ateliers nous réunissant. Autrement dit, si Sjón a toujours Le livret de Sjón était donc fait pour vous… eu une longueur d’avance sur nous, le texte n’a jamais été figé et s’est élaboré au fil de l’eau. Quoique se Oui, mais à vrai dire c’était l’une de mes requêtes. Je lui ai notamment parlé du Pansori, l’opéra montrant réceptif à nos remarques, Sjón a toujours pris soin de garder sa propre liberté, jonglant avec les traditionnel coréen qui a le pouvoir de me fasciner et Sjón a écrit son Asian story ayant le Japon pour toile mots comme avec les styles en passant de l’anglais biblique à l’anglais romantique, de l’anglais poétique de fond. Tous penseront y trouver de la musique japonaise, or je ne fais que citer ce genre coréen. Ironie à l’anglais contemporain… du sort : on pourrait croire que cet attrait pour l’Orient est l’une de mes idées fixes. Force est de constater que Sjón et moi avons des itinéraires communs. Il a vécu à Kyoto et s’est rendu à Bali. De ses voyages, il Vous privilégiez le mode collaboratif au sein de l’équipe artistique et non pas hiérarchique ou garde le souvenir inoubliable d’un musicien jouant sur les pierres. Quant à moi, je reste sous le charme pyramidal, n’est-ce pas ? des chanteurs analphabètes colombiens qui inventent et mémorisent des chants sans jamais les écrire. Les compositeurs et les écrivains tendent à travailler en solitaire. S’il est vrai que cet isolement est une étape nécessaire, j’apprécie également le travail en équipe. En tant que chef d’orchestre, j’aime me tenir au plus À l’instar de la voix, le temps est dans tous ses états dans Seven Stones – sa poursuite près des musiciens. Je me suis récemment rendu à Bali, et plus précisément à l’Académie de musique où obsessionnelle, les notions d’avant et d’après, de suspension du temps, de nostalgie – j’ai assisté aux répétitions de gamelan. J’ai pu remarquer que le travail se faisait le plus souvent en tandem Comment avez-vous conçu le traitement rythmique de l’ouvrage dont la chronologie est aussi et que l’esprit d’équipe était amplement sollicité. Pour le grand orchestre de gamelan, nul besoin de chef déstructurée que l’espace mental du Collectionneur de pierres ? d’orchestre, nul besoin de se regarder : deux frappes sur le tambour et les quarante instrumentistes jouent Seven stones commence assez lentement et s’accélère vers la fin, ce qui laisse au public le temps de s’installer. ensemble. Ils répètent tellement qu’ils ont le geste d’ensemble et cela suffit. C’est ce que j’avais imaginé au La perception du temps est à mes yeux un élément essentiel. Le public pourrait avoir l’illusion que les histoires départ pour Seven Stones, mais le nombre de répétitions et les contraintes de la scène ne nous permettent pas ne sont pas connectées entre elles et qu’il ne s’agit là que d’un voyage à travers le temps et divers espaces d’atteindre cet idéal. Aussi avons-nous intégré la direction. Je travaille donc en tandem avec un second chef géographiques. Or, je souhaite qu’il soit entièrement plongé dans le temps présent, dans l’ici et le maintenant, nommé Léo Warynski. Nous nous complétons et nous enrichissons l’un l’autre tout en gagnant en précision. et que Seven Stones soit une rencontre qui culmine au bout d’une heure et demie. Le présent est la seule chose qui existe, le passé nous ne l’avons plus, il est déformé par notre mémoire et le futur n’est pas encore, en ce La remise en question de la légitimité du chef n’est-elle pas dictée sur le plan politique par des sens que c’est notre imagination qui le fabrique. Nous nous cachons souvent dans des histoires, des anecdotes aspirations démocratiques ? On voit bien que – même en musique – ce pari de l’horizontalité que nous nous racontons : voilà précisément le thème principal de Seven Stones. Le Collectionneur de pierres semble difficile à relever… échappe au fait de se confronter à la réalité en racontant des histoires au sujet de Borges, de Marie Curie, etc. Il m’est difficile de vous répondre, car les démocraties actuelles sont non seulement menacées mais se révèlent également décevantes dans bien des pays européens. Si l’on restituait le pouvoir au peuple, Et de Jésus Christ devant la femme adultère… saurait-il utiliser sa liberté à bon escient ? Voilà la question réelle… En musique, la hiérarchie est un C’est un peu la synthèse de l’histoire, d’ailleurs ce passage ne dure que deux minutes. Jésus déclare « Que celui mode fiable et efficace : le chef est dans la fosse, le chanteur le regarde sur la scène ou à travers les écrans qui n’a jamais péché lui jette la première pierre. » De même, dès lors que le Collectionneur de pierres décide et le public croit que le chanteur a les yeux pointés sur lui. Tout le monde est ainsi rassuré. Or, étant d’extérioriser sa faute, de faire face à la réalité en amorçant un semblant de confession, on réalise que le pardon est moi-même chef d’orchestre, je peux expérimenter des pratiques alternatives de la direction. C’est un peu déjà prévu. La question qui se pose alors est la suivante : le Collectionneur de pierres n’aurait-il pas préféré qu’on comme le chant lyrique, le spectre est beaucoup plus vaste que celui que l’on se contente d’explorer. Ce le lapide ? Ça aurait été certainement plus rapide, plus facile que d’entamer un si douloureux exercice de mémoire. sera l’un de mes plus grands défis pour Seven Stones ! Cet opéra nous rappelle-t-il que la science a un talon d’Achille, que le mystère de l’Homme reste entier L’architecture formelle de votre composition laisse deviner un parcours classique fait de cours et que les pierres, ou plus généralement les éléments de la nature, en sont les témoins privilégiés ? de composition, d’orchestration et même de direction d’orchestre. Pourtant, les multiples Les pierres sont intimement liées à l’enfance de Sjón et constituent son obsession. Petit, il rentrait toujours esthétiques échappant aux musiques occidentales savantes trahissent votre profil de baroudeur, à la maison avec une pierre dans la poche. Pour ma part, seule la signification de la pierre m’intéresse : de collectionneur de… musiques ! l’homme va disparaître, mais la pierre va garder sa forme. Quand j’étais enfant, je rêvais de devenir compositeur avant de découvrir avec horreur que j’étais né dans un siècle où la musique était – pardonnez-moi du terme – « moche ». Peut-être me suis-je tout Que peut-on vous souhaiter ? simplement trompé de siècle ! J’avais pour habitude d’aller à l’opéra avec mes parents ou d’assister à Que Seven Stones reste un défi jusqu’au bout, pour chacun et chacune d’entre nous. Prenons des risques, osons des concerts classiques, mais j’aimais aussi écouter d’autres formes de musique vocale, notamment le sortir de notre zone de confort, abandonnons nos vieilles habitudes au profit de nouvelles libertés et de futures gospel ou le chant folklorique. Dès l’âge de 15 ans, les frontières ont commencé à s’ouvrir me donnant responsabilités, donnons toute l’énergie possible et impossible et, surtout, n’oublions pas la notion de plaisir ! l’opportunité de découvrir les musiques arabes, indiennes et africaines depuis chez moi en République 12 13
notre collaboration, j’ai pu découvrir un artiste exceptionnellement doué, ouvert sur le monde, d’une très grande maturité artistique et d’une remarquable intelligence. Photo © Anna Oberdorff En quoi êtes-vous complémentaires ? Nous avons de nombreux points communs : extrême précision dans l’écriture, grande exigence avec les interprètes, questionnement de tous les instants, plaisir intense à explorer les autres champs artistiques, recherche permanente de la justesse et de l’épure. Le livret de l’auteur islandais Sjón frôle parfois le surréalisme, la musique est des plus inventives… Comment conserver la part de mystère et de poésie contenue dans le propos tout en prenant soin de raconter l’histoire ? Nous sommes conscients depuis le début qu’il s’agit là de l’un des gros enjeux du projet. C’est également à cet endroit que mon parcours de chorégraphe me permet d’apporter certaines solutions. La danse contemporaine, mon principal moyen d’expression, a généralement un rapport plus distancié avec la narration que l’opéra ou le théâtre. Ne disposant pas ou peu du support du texte, il est moins linéaire, plus impressionniste. Guidé par les partis pris du chorégraphe, le spectateur est sollicité principalement par les sensations éprouvées devant les états de corps, les mouvements, la musique, la mise en espace, etc. Il construit ainsi sa propre histoire au fur et à mesure de la représentation, en fonction également de son parcours personnel. Ainsi, en créant le mouvement sur scène – par les déplacements des chanteurs et/ou du décor aussi bien que par la gestuelle des interprètes –, en mettant l’accent sur la gestion de la temporalité par les états de corps, je peux intervenir sur la dramaturgie et créer des temps de suspension ou d’accélération qui viennent mettre en relief la poésie et le mystère inscrits dans le livret et la partition tout en conservant le fil de la narration. Face à de tels jeux d’échelle spatio-temporelle et aux « poupées russes » que sont les sept histoires dans l’histoire, rendre tous les morceaux du puzzle lisibles sur scène n’est-il pas un exercice particulièrement ardu? Sentir l'air s'emplir d'électricité Le récit écrit par Sjón est une magnifique source d’inspiration. Une véritable saga – indéniable trace des racines vikings de l’auteur – intemporelle, mais avec des références précises allant de l’antiquité à l’époque contemporaine. Il trace une ligne claire de narration, entrecoupée par ce qui peut sembler ENTRETIEN AVEC ÉRIC OBERDORFF, METTEUR EN SCÈNE être de prime abord des digressions, mais qui sont en fait des couches se superposant successivement et donnant toute leur épaisseur à l’histoire et aux personnages. Ondřej ne s’y est pas trompé. La diversité Seven Stones n’est pas la première de vos collaborations avec le compositeur Ondřej Adámek. des scènes et des époques lui permet d’explorer divers univers musicaux, de jouer avec les codes et les Comment le projet est-il né ? influences, tout en conservant une ligne très lisible sur l’ensemble de la partition. Dès lors, la tâche Comme souvent dans les aventures artistiques, il s’agit d’une succession de rencontres et de hasards. qui m’incombe est claire : par mes choix de mise en scène, je dois être le garant de la cohérence et de la Ondřej et moi avons été présentés l’un à l’autre par des musiciens qui souhaitaient collaborer avec lisibilité du projet et de l’histoire. Il s’agit d’imaginer et de mettre en œuvre les conditions nécessaires nous sur un projet de création. Nous avons déjeuné ensemble à Paris afin de faire connaissance puis pour suivre le parcours du Collectionneur de pierres dans sa quête afin que chacun des spectateurs soit avons passé deux demi-journées à l’IRCAM à « jouer » avec les fabuleuses inventions électroniques à même de ressentir pleinement toutes les émotions que lui procureront la musique, l’interprétation, qui y sont développées. Le projet n’a pas vu le jour à ce moment-là, mais Ondřej m’a proposé dans l’histoire contée, sans avoir la moindre rupture de compréhension. la foulée de participer à un laboratoire qu’il menait au Festival d’Aix-en-Provence à l’été 2012 avec l’écrivain islandais Sjón et la musicienne Hélène Breschand, avec pour consigne de réfléchir à Quelques mots au sujet du décor qui est tout sauf conventionnel… l’opéra du futur. Vaste ambition ! Ce furent cinq jours riches et intenses, avec pour cobayes quatre C’est le moins qu’on puisse dire. Il s’agit du résultat d’un patient mélange de recherche, de chanteurs doublures sur l’opéra Written on Skin de George Benjamin. Lors de l’atelier de restitution tâtonnement, d’apprentissage, de construction. Nous avons eu la chance de pouvoir faire des devant des professionnels, les échanges furent très passionnés, notamment sur l’emploi ou non de résidences d’expérimentation. C’est un processus d’élaboration des pièces tout à fait normal dans la voix lyrique, sur l’utilisation du corps. À la suite de quoi Bernard Foccroulle a proposé à Ondřej de les champs du théâtre et de la chorégraphie, mais beaucoup plus inhabituel pour l’opéra. Sous la composer un opéra pour le Festival. Le début d’une belle aventure artistique et humaine... Au fil de direction d’Ondřej, Éric Soyer, qui conçoit les décors et les lumières de Seven Stones, a suivi, avec son 16 17
assistante Marie Hervé et le personnel des ateliers de construction du Festival, une véritable formation Sur le site de votre compagnie – Compagnie Humaine – figure une magnifique citation de Pina en acoustique et en lutherie ! Un vrai défi ! Un instrumentarium unique en son genre est né de ce Bausch : « dansez, dansez sinon nous sommes perdus ». Dans Seven Stones, le Collectionneur processus artisanal. L’étape suivante a été pour les chanteurs d’essayer de dompter le décor et de se de pierres est lui-même présenté comme un homme perdu. L’art peut-il jouer un rôle salvateur l’approprier lors d’ateliers dans le lieu de « fabrique » du Festival à Venelles. À la fin de chaque séance pour lui ou, plus largement, pour le monde ? de travail, l’équipe artistique de Seven Stones faisait collégialement un état des lieux, puis Éric et son L’art est ce qui reste lorsqu’une civilisation disparaît. Il est garant de sa mémoire, du pouvoir équipe apportaient des améliorations en direct, quand ce n’était pas Ondřej qui retouchait sa partition. d’imagination et de la capacité à créer des hommes et des femmes qui la composaient. L’artiste Pendant ce temps, Jean-François Kessler, assistant à la mise en scène, et moi prenions des pages et dépose dans ses œuvres le regard qu’il porte sur le monde, accompagné de ses doutes, ses questions, des pages de notes sur les positions et les mouvements des éléments du décor et des chanteurs. J’ai ses observations, ses critiques. Ainsi, que notre geste artistique soit porteur de sens ou pas, qu’il soit vraiment hâte de voir tout cela en action dans ce magnifique écrin du Théâtre du Jeu de Paume. guidé par une volonté esthétique, un besoin de poésie ou une envie d’échapper au réel, il demeure néanmoins que créer est et demeure aujourd’hui plus que jamais un acte de liberté, urgent et nécessaire, Dans ce spectacle, les chanteurs sont également des acteurs, conformément à la tradition symbolique et politique. Au-delà de nos envies et préoccupations personnelles, et même si nous ne le lyrique, mais ils se présentent également sous les traits de danseurs, d’instrumentistes amenés souhaitons pas, nous, artistes et acteurs culturels, sommes porteurs de cette responsabilité. Le nier à interpréter plusieurs rôles. Comment pensez-vous diriger des artistes appelés à endosser signifie alors accepter de laisser place libre à l’appropriation du débat des idées par les porteurs de autant de casquettes ? démagogie et d’obscurantisme.Nous le voyons aujourd’hui. Situation internationale, tensions raciales Ce sont tous des artistes d’exception. Ils ont été choisis pour leur capacité à mettre leur énergie et et religieuses, inégalités économiques, enjeux climatiques conduisent à une ambiance délétère, leurs compétences au service d’un projet défiant les normes et les codes. Aujourd’hui, on ne peut plus esprits échauffés, repli sur soi, mots violents, idées rances et nauséabondes, peu ou pas de retenue. réduire les chanteurs à leur voix ou les danseurs à leur corps. Peu importe qu’ils sachent ou non danser On joue sur les peurs, la libération des extrêmes, le rejet de la différence, le populisme, avec en fond ou jouer d’un instrument, l’important est la relation de confiance mutuelle que nous avons construite. des débats creux et stériles, dans la vaine attente d’un peu de souffle, d’une vision... « En cet âge Être interprète, c’est accepter une complète mise à nu, révéler ses fêlures, et autoriser le metteur en métallique de barbares, il nous faut prendre un soin méthodiquement exagéré de notre capacité à scène à les utiliser. La confiance établie permet à chacun de parvenir au lâcher prise nécessaire pour rêver, à analyser et à captiver, si nous voulons sauvegarder notre personnalité et éviter qu’elle ne oublier les peurs liées au regard extérieur et à son propre jugement. Dans Du hasard dans la production dégénère, soit en s’annulant, soit en s’identifiant à celle des autres », a écrit Fernando Pessõa dans artistique, August Strindberg décrivait : « Je me mets dans un état d’inconscience et je laisse mon son Livre de l’intranquillité. Il est donc urgent de créer. Sur scène bien sûr, mais également dans la rue, cerveau travailler librement sans m’occuper du résultat, de l’approbation, et il grandit alors quelque dans les quartiers populaires, dans les écoles, dans les entreprises, dans les maisons de retraite, dans chose en quoi je crois ». C’est à partir de cet état que le metteur en scène peut commencer à guider les prisons... l’interprète pas à pas, l’amenant à se dépasser, à se surprendre. Tout en étant très exigeant dans la recherche de justesse, je reste toujours à l’écoute, vigilant, car c’est une quête intime et complexe Travailler sur l’esprit, mais aussi sur le corps… pendant laquelle l’interprète est extrêmement vulnérable. Il s’avère que les interprètes de Seven Stones Le philosophe Michel Onfray décrit le corps comme étant le dernier refuge pour l’artiste lorsque sont d’une immense générosité. Ils transpirent l’émotion et ça tombe plutôt bien car c’est exactement les repères disparaissent, engloutis par les peurs. Ce qui est vrai pour l’artiste l’est également pour ce que souhaite transmettre cet opéra aux spectateurs. tout être humain. C’est tout ce à quoi il faut tendre, ensemble : voir les corps chercher, s’engager, entrer en mouvement, échanger, fusionner, et peu à peu se transformer en réceptacles d’énergie et L’idée du temps qui passe est omniprésente, « ce grand sculpteur » selon la définition de d’émotions. Sentir l’air s’emplir d’électricité... Inspirer. Expirer. Voir un sourire de surprise devant Marguerite Yourcenar. Mémoire, trace, parcours de vie, identité… Tous ces thèmes traversent sa propre capacité à créer, le voir naître sur un visage juvénile ou sur celui marqué par la vie. Et se dire vos différents projets artistiques… que décidément l’espoir est là : créer ! Créons, Créons !! Le cœur de mon travail artistique est l’être humain, comment il parvient à trouver sa place et à exister dans un fonctionnement de groupe. Explorant la relation à l’autre et confrontant les énergies Propos recueillis par Aurélie Barbuscia contradictoires qui nous animent, je construis mon travail de création autour de cycles thématiques que je parcours sous des angles multiples, alternant projets intimistes et d’envergure. Entre 2013 et 2017, j’ai développé le cycle Traces, abordant le souvenir, la mémoire, leurs impacts sur notre identité et notre parcours. Le choix de ce thème répond en premier lieu à un questionnement personnel car j’appartiens à une famille dont quasiment tous les membres depuis un siècle et demi ont dû à un moment de leur vie tout abandonner pour partir très loin et tout rebâtir ex nihilo. Mais cette thématique est aussi l’une des grandes questions qui agite notre société. Nous vivons à une période des plus paradoxales. La mondialisation permet une circulation inédite des personnes, des idées, des savoirs et des cultures, comme jamais auparavant dans l’histoire. Mais cet accès à la diversité provoque chez beaucoup une peur intense de perte d’identité, de dilution des cultures et des traditions, entraînant un repli sur soi et un violent rejet de l’autre. 18 19
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