SOCIÉTÉS CIVILES : L'ÉTAT D'URGENCE - ALIMENTATION : UNE RESTAURATION CITOYENNE INNOVER - Secours Catholique
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POUR UN MONDE JUSTE ET FRATERNEL SUPPLÉMENT AU JOURNAL MESSAGES N° 749 FÉVRIER 2021 COMPRENDRE SOCIÉTÉS CIVILES : L’ÉTAT D’URGENCE INNOVER ALIMENTATION : UNE RESTAURATION CITOYENNE EXPLORER PRISON : LA VIE APRÈS LA PEINE FÉVRIER 2021 – RÉSOLUTIONS 1
31 06 28 14 Supplément au trimestriel Messages du Secours Catholique-Caritas France : 106, rue du Bac – 75341 Paris CEDEX 07 Tél. : 01 45 49 73 00 • Fax : 01 45 49 94 50 04 RÉAGIR Présidente et directrice de la publication : Véronique Fayet LA LUTTE CONTRE LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE EN FRANCE Directrice de la communication : Agnès Dutour 06 INNOVER Rédacteurs en chef : Emmanuel Maistre (7576) ALIMENTATION : UNE RESTAURATION CITOYENNE Clarisse Briot (7339) Rédacteur en chef adjoint : Jacques Duffaut (7385) 11 DÉBATTRE Rédacteurs : COMMENT APAISER LE DÉBAT SUR L’IMMIGRATION ? Benjamin Sèze (5239) Cécile Leclerc-Laurent (7534) Rédacteur-graphiste : 14 COMPRENDRE Guillaume Seyral (7414) 14 Enquête. ALERTE : DÉFENSEURS DES DROITS EN DANGER Rédactrice photo : Elodie Perriot (7583) 22 L’entretien : « LE MEILLEUR OUTIL DE PROTECTION, Imprimerie : Imaye Graphic © Messages C’EST LA SOLIDARITÉ » du Secours Catholique – Caritas France, Ici et là-bas. EN FRANCE, DES DÉFENSEURS DES DROITS 26 reproduction des textes, des photos et EMPÊCHÉS DE MILITER des dessins interdite, sauf accord de la rédaction. Le présent numéro a été tiré 27 Des outils pour comprendre à 58 167 exemplaires. Dépôt légal : n° 108 016 28 RENCONTRER Numéro de commission paritaire : 1122 H 82430 / Édité par le Secours VINCENT DE CONINCK. LE PRINCIPE DE RÉALITÉ Catholique – Caritas France. Photo de couverture : Élodie Perriot / SCCF 31 EXPLORER PRISON : LA VIE APRÈS LA PEINE 38 POINT DE VUE ANTHONY MICALLEF 39 LE REGARD DE BESSE ET ÉRIC LA BLANCHE Ce produit est imprimé par une usine ENFANTS PRODIGUES ? certifiée ISO 14001 dans le respect des règles environnementales. 2 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2021
ÉDITORIAL SOCIÉTÉS CIVILES GAËL KERBAOL / SCCF EN DANGER PAR BENOÎT-XAVIER LORIDON, DIRECTEUR ACTION ET PLAIDOYER INTERNATIONAUX «P IL EST PLUS QUE JAMAIS lus les mois avancent et plus l’on constate une IMPORTANT D’ALERTER détérioration des libertés individuelles et collectives ET D’AGIR CONTRE dans nos pays. » C’est le cri d’alarme lancé par une CE QUI CONSTITUE cinquantaine de partenaires internationaux à travers une enquête réalisée l’été dernier par les membres UN RÉTRÉCISSEMENT de la direction internationale du Secours Catholique-Caritas France. Et DE L’ESPACE RÉSERVÉ pourtant cela fait de nombreuses années que nos équipes appuient, À LA SOCIÉTÉ CIVILE accompagnent, soutiennent des initiatives de la société civile dans DANS LE MONDE. des pays où les droits sont menacés : sur le continent africain avec “Tournons la page” qui regroupe plus de 10 coalitions régionales et plus de 200 organisations membres, en Colombie autour du processus de paix dans lequel sont engagés nos partenaires, ou encore en Palestine et ses territoires occupés pour ne citer que trois exemples. La pandémie et ses crises associées ont en effet souvent conduit à un état d’urgence sanitaire, prétexte comme en Guinée à l’arrestation des défenseurs des droits accusés par les autorités de propager de fausses informations ou de troubler l’ordre public. Le report de nombreuses élec- tions, comme la présidentielle au Tchad ou les législatives en Chine, a empêché l’opposition aux différents pouvoirs en place de se manifester. Ces constats résonnent sans aucun doute avec des réalités vécues et des réflexions menées en Europe et en France. Il est donc plus que ja- mais important d’alerter et d’agir contre ce qui constitue un rétrécissement de l’espace réservé à la société civile dans le monde. Mais aujourd’hui, quels sont les leviers ? C’est une question d’échelle : il faut agir au niveau international afin de défendre les Droits de l’homme, comme nous le rappelle Michel Forst, l’ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des Droits de l’homme. Mais aussi agir au niveau national en se faisant le relais, avec nos partenaires, de ces libertés bafouées auprès des institutions et des États dont c’est la responsabilité de les faire respecter. Mais c’est encore et surtout persévérer dans le travail que l’association mène au quotidien avec les communautés pour renforcer le pouvoir d’agir des acteurs de ces sociétés civiles lorsque les libertés sont menacées. Agir ensemble pour aller plus loin ! FÉVRIER 2021 – RÉSOLUTIONS 3
RÉAGIR NOS (+) NOS (-) LA LUTTE CONTRE LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE EN FRANCE L’amélioration de la performance énergétique des logements est essentielle si l’on veut réduire la facture énergétique de la France, améliorer la santé de la population et réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur résidentiel. Mais notre pays s’est-il donné suffisamment de moyens pour gagner cette lutte ? Et les plus modestes sont-ils pris en compte ? PAR JACQUES DUFFAUT Un corpus législatif solide Un standard pour les bâtiments Pour lutter contre le réchauffement climatique et Les bâtiments construits depuis une dizaine le gaspillage énergétique de nombreux textes fixent des d’années doivent répondre, a minima, au standard objectifs dans le temps et ciblent certaines catégories de “Bâtiment basse consommation” (BBC) qui permet population, notamment les ménages aux revenus mo- de substantielles économies d’énergie. destes : loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) de 2015 ; plan de rénovation énergétique Les plus modestes exclus des bâtiments de 2018 ; loi Énergie-climat de 2019... Bien que 288 000 rénovations “performantes” aient eu lieu chaque année de 2012 à 2019, il en reste Des aides trop complexes à mettre en œuvre encore 6,7 millions. À ce rythme, il semble peu vraisem- La politique de rénovation énergétique est mal blable d’atteindre les objectifs fixés dans trente ans. connue du grand public. Les divers programmes d’aide brouillent sa lisibilité et incitent très peu de familles à Les énergéticiens contraints par la loi s’engager dans des travaux. Depuis 2006, les Certificats d’économie d’éner- gie (CEE) obligent les fournisseurs d’énergie à financer certains travaux pour économiser l’énergie. La loi REPÈRES LTECV les oblige à intervenir auprès des ménages modestes et très modestes en doublant le nombre de CEE attribués. Toutefois de nombreuses fraudes ont été révélées. Ce qui suscite la méfiance des pro- priétaires et met le dispositif en danger. de ménages C’est le nombre sont en situation de passoires Une obligation de rénovation de précarité énergétiques Les locataires du parc privé sont souvent trop énergétique en France pauvres pour prétendre au parc social de logements. La loi Énergie-climat de 2019 oblige les propriétaires bail- leurs à rénover avant 2028 les logements qu’ils louent. des émissions Des sanctions mal définies de gaz à effet de serre en France Les bailleurs propriétaires de ces logements mal proviennent isolés n’ont aucun intérêt financier immédiat à réaliser du secteur résidentiel des travaux, puisque ces obligations ne sont pas assor- Sources : Observatoire national de la précarité énergétique.Centre ties de sanctions définies et datées. Le gouvernement interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique – 2016. devrait préciser ces sanctions le plus tôt possible. 4 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2021
RÉAGIR NOTRE ALTERNATIVE PAR FRANCK BILLEAU, DIRECTEUR DE RÉSEAU ÉCO-HABITAT GÉNÉRALISER LE PASSEPORT RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE L a rénovation énergétique de travaux – il y ait une autre caisse, ser le Passeport rénovation éner- l’habitat donne lieu à un mille- unique, qui règle la question du gétique (qui est actuellement feuille de dispositifs. Ceux de reste à charge en fonction des re- gratuit mais facultatif). Chaque l’État peuvent se superposer à ceux venus, et en donnant la priorité aux habitation aurait ainsi un carnet de la région, du département, de la propriétaires les plus en difficulté. de santé. Les travaux à effectuer communauté de communes ou ne seraient pas imposés, mais ac- même de la commune. compagnés financièrement. Ce Ce labyrinthe d’aides incite peu les “passeport” prendrait la mesure LA DÉMARCHE S’INSCRIT personnes en difficulté à s’y aven- de l’impact de chaque habitation PLEINEMENT turer, et cela d’autant moins qu’il y sur l’environnement et de sa ca- DANS LA LUTTE CONTRE a autant de dossiers à constituer pacité à participer à l’économie LE RÉCHAUFFEMENT que d’aides sollicitées. d’énergie générale. CLIMATIQUE. On ne peut pas dire que les moyens Le secteur représente une impor- financiers soient insuffisants, mais tante source d’emplois en matière ceux-ci sont mal répartis et mal uti- d’accompagnement, du point de lisés. Pour rendre l’action efficace, Si l’on veut atteindre en 2050 l’ob- vue tant technique et financier que il faudrait qu’à côté de l’Agence na- jectif “Bâtiments basse consom- social. Et il s’inscrirait de façon tionale pour l’amélioration de l’ha- mation” (BBC) pour toutes les convaincante dans la lutte contre bitat (Anah) – qui finance 50 % des habitations, il faudrait générali- le réchauffement climatique. DROIT DE SUITE CLIMAT : 5 ANS APRÈS L’ACCORD DE PARIS Il y a cinq ans, en décembre 2015, espoir : les États-Unis reviennent d’État qui lui a donné trois mois les États du monde entier signaient dans l’accord avec l’élection de Joe pour prouver que ses engage- l’Accord de Paris pour s’engager Biden, et en décembre l’Union eu- ments climat seraient suivis par à limiter le réchauffement clima- ropéenne s’est engagée à réduire des faits. Le président français tique à 1,5 °C, ce qui devait per- d’au moins 55 % ses émissions Emmanuel Macron a également mettre d’éviter des conséquences de gaz à effet de serre à l’horizon détricoté la Convention citoyenne extrêmes pour la planète et une 2030. En revanche, la France qui sur le climat, qui était pourtant une aggravation sans précédent de la avait été leader pour l’adoption de mine de propositions concrètes pauvreté. Les politiques concrètes l’accord, a peu fait pour son appli- pour diminuer nos émissions de d’application de l’accord étaient cation. Elle a d’ailleurs été épin- gaz à effet de serre. attendues pour l’année 2020. Petit glée, en novembre, par le Conseil C.L.-L. FÉVRIER 2021 – RÉSOLUTIONS 5
INNOVER XAVIER SCHWEBEL / SCCF ALIMENTATION : UNE RESTAURATION CITOYENNE PAR JACQUES DUFFAUT Le repas est le moment de la journée le plus propice au partage. treintes. « Nous aimons venir ici. Les Certains acteurs, dont le Secours Catholique, l’ont bien compris : repas sont bons, avec des produits frais, ils ne se contentent plus d’apporter une aide alimentaire aux plus préparés le jour même, dit-il. Et ça nous précaires, mais ils construisent avec eux des lieux de restauration permet de rencontrer des gens. » où l’on peut cuisiner et bien manger à moindres frais. Des initiatives « Chacun paie son repas selon ses citoyennes qui, malgré la crise sanitaire, prennent de l’ampleur et moyens », indique Michel Lauferon, de multiples formes. H responsable bénévole de la “Petite amid et Magali déjeunent Marmite”. « 3 euros couvrent les régulièrement à la “Petite matières premières, 2 euros sup- Marmite” de Manosque, plémentaires couvrent les frais de ville des Alpes-de- fonctionnement, et 3 euros de plus Haute-Provence. Cette permettent d’amortir l’entreprise. Nos ancienne pizzéria reconvertie en convives le savent et donnent ce qu’ils « L’alimentation restaurant solidaire par le Secours peuvent. » À 81 ans, l’ancien maire de est un biais pour Catholique il y a bientôt trois ans ac- Salignac, ville proche de Manosque, rencontrer les plus cueille une vingtaine de personnes a rejoint il y a quatre ans l’équipe précaires et construire par service. Hamid dispose de peu locale du Secours Catholique, au avec eux des solutions pour mieux répondre de moyens depuis son accident du moment où l’on s’y inquiétait du à leurs problèmes. » travail. Et ses relations se sont res- nombre croissant de personnes 6 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2021
MODE D’EMPLOI La restauration solidaire LES BESOINS IDENTIFIÉS Mauvaise Solitude et exclusion 61 % des personnes rencontrées par le Secours alimentation Catholique ont besoin d’être écoutées et conseillées 52 % Sur le million et demi de personnes rencontrées au Secours Catholique des personnes rencontrées par le Secours - 23 % des hommes vivent seuls Catholique souffrent d’une mauvaise alimentation - 18 % des femmes vivent seules Faire sortir de leur isolement les personnes en situation de précarité, en les faisant participer à la préparation de repas qui privilégient les produits L’IDÉE issus de circuits courts et de l’agriculture biologique. COMBIEN ? QUI ? La “Petite Marmite” 3 226 23 5,44 € de Manosque repas servis 23 repas par jour prix moyen du sur les 140 jours servis en moyenne repas payé d’ouverture (sur une capacité par les convives de 28) (prix libre) LES OBJECTIFS Cuisiner en groupe Sortir Favoriser Lutter contre Apprendre les uns les personnes la mixité le gaspillage des autres exclues sociale et la pollution en Pour une meilleure de leur isolement apprenant à tirer Donner accès santé et une meilleure le meilleur parti à une alimentation Favoriser la parole, gestion l’écoute, des produits simple de son budget et équilibrée l’échange pour tous LES LEVIERS LES PARTENAIRES Valoriser les personnes en les faisant cuisiner L’État et les collectivités publiques soutiennent ensemble financièrement la restauration solidaire - tout le monde est sur un pied d’égalité - grâce à des subventions - nombreux sont ceux qui connaissent - en prêtant gratuitement leurs salles municipales des recettes qu’ils sont prêts à partager et leurs équipements Adapter les restaurants solidaires - en collaborant avec les services sanitaires aux besoins de la population et sociaux des mairies FÉVRIER 2021 – RÉSOLUTIONS 7
INNOVER souffrant d’un accès insuffisant a eu des personnes âgées isolées et avec l’Église protestante, l’associa- à une alimentation de qualité, mais dernièrement des travailleurs entre 30 tion Eyrieux solidarité et le Secours également de solitude. Il s’est mis et 45 ans, qui avaient envie de parta- Catholique local pour revitaliser ce aussitôt au travail. « Nous avons ré- ger leur repas avec des personnes de territoire marginalisé et expérimenter digé un questionnaire et nous avons milieux différents. » de nouvelles façons de lutter contre demandé aux habitants de la ville s’ils la précarité, la “Marmite du partage” seraient intéressés par une cantine se veut un remède à l’isolement. Un participative, un restaurant solidaire. covoiturage est d’ailleurs associé à Viendriez-vous y manger ou faire la NOUS VOULONS EN FAIRE la démarche. « La “Marmite” est une cuisine ? En seriez-vous usager ou bé- UN LIEU DE RESTAURATION aventure humaine », déclare François névole ? Ou les deux ? précise Michel SOLIDAIRE QUI AGRÈGE Demurger, enseignant en retraite et Lauferon. Nombreux étaient ceux CITOYENNETÉ partie prenante du projet. « Nous qui étaient sensibles à la démarche ET ÉCOLOGIE. nous intéressons aux invisibles qui et beaucoup se sont proposés pour ont besoin d’être reconnus, dans leurs venir nous aider. » problèmes et leur vécu… La “Marmite” Repas des villes, repas des contribue à réduire les inégalités. » Malika est de ceux-là. Après avoir été champs Pour le réseau des “Petites durant trente ans éducatrice spécia- Au cœur de la vallée de l’Eyrieux, Cantines”, le combat contre l’isole- lisée, elle fait désormais partie de la dans l’Ardèche, la “Marmite du par- ment et pour la mixité sociale est trentaine de bénévoles (divisée en tage” repose, elle aussi, sur la partici- identique, mais plus urbain. « Dans 7 équipes) qui font bouillir la “Petite pation bénévole. Le premier samedi les métropoles comme Paris ou Marmite” les jours d’ouverture. « J’ai du mois, les personnes s’installent Lyon, 45 % des gens se plaignent de aimé le projet et j’ai participé à sa dans une salle prêtée par une des la solitude », observe leur cofonda- concrétisation, dit-elle. Au début, les municipalités de la vallée. Chacun ap- trice, Diane Dupré-La Tour qui, avec clients étaient des gens en difficulté porte les produits nécessaires, tout Étienne Thouvenot, a monté un ré- financière. Puis progressivement, il y le monde cuisine ensemble. Créée seau de cantines pour tisser du lien entre les habitants d’un quartier. Là encore, « le repas est un prétexte pour REGARD faciliter les rencontres de proximité ». CARINE COLSON, DIRECTRICE DU CCAS DE MANOSQUE Ces “Petites Cantines” sont implan- « LA “PETITE MARMITE” RÉPOND tées dans des quartiers populaires de Lyon, Lille, Strasbourg, Annecy À UN RÉEL BESOIN » et Paris. D’autres sont en projet. Ouvertes à tous, chacune est finan- La “Petite Marmite” est une initiative unique dans notre ville. De par cièrement autonome, animée par mes fonctions, j’ai eu à connaître de nombreux projets ; celui-là répond un “maître de maison” qui orchestre à un réel besoin. Il s’inscrit dans une démarche globale, bien préparée cuisine, service et accueil, et le souci en amont par un questionnaire et une étude des besoins. Il corres- du bien-manger passe par la qualité pond à un public et complète notre action. Actuellement, nous avons et l’origine des produits. de plus en plus de personnes isolées. On sent une fragilité sociale. « L’objectif est d’en faire un lieu de Les bénévoles de la “Petite Marmite” sont présents lors des mo- restauration solidaire qui agrège ments-clés de la vie de la cité. Ils étaient là, par exemple, à Noël. également citoyenneté et écologie », Depuis son ouverture en 2018, la “Petite Marmite” organisait un explique Alexis Garnier, délégué repas le jour même de Noël. C’était la seule association ouverte du Secours Catholique de Meuse- ce jour-là. Cette année, bien que le restaurant soit fermé, les bé- Moselle. À Metz, l’association névoles ont distribué 50 paniers-repas le 25 décembre à des per- projette de monter une “Petite sonnes isolées. Cantine” dans d’anciens bâtiments militaires récupérés par la muni- 8 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2021
INNOVER gon-restaurant. La “Roulotte des dé- lices” cuisine sur les marchés et les places de villages du Gard, et bien- tôt dans des quartiers populaires. « L’alimentation est un biais pour ren- contrer les plus précaires », observe Sylvie Camand, l’animatrice locale du réseau, « et construire avec eux des solutions pour mieux répondre à leurs problèmes. » La crise sanitaire comme révélateur Loin de donner un coup d’arrêt à ces dynamiques, la pandémie de Covid-19 a plutôt agi comme un révélateur des besoins. « La crise sanitaire a notamment souligné un fait flagrant : les personnes à la rue ou hébergées en hôtel manquent de lieux pour cuisiner, pour prendre un repas chaud, convenable », indique Marie Drique, chargée de l’Alimenta- tion au Secours Catholique. « Avec d’autres associations caritatives, nous avons alerté le gouvernement sur ce point. Il nous a promis 10 millions XAVIER SCHWEBEL / SCCF d’euros pour équiper des espaces de restauration. » Marie Drique, comme Alexis Garnier, souligne l’importance de cette restauration solidaire pour permettre à tous d’accéder à une cipalité, en partenariat avec une se mêler à d’autres convives alimentation correcte, saine et équi- autre association qui promeut une (habitants, travailleurs du quartier, librée. Et de retisser du lien social. alimentation de qualité issue de cir- retraités isolés…) et/ou de participer cuits courts. « Nous envisageons de directement à l’élaboration des À l’apparition de la Covid-19, les salarier une personne pour coordon- repas, la restauration solidaire, cantines de Vauvert, de Manosque, ner, explique-t-il, et veiller à la mixité dans ses formes participatives et de Metz et de l’Ardèche, comme de la clientèle du quartier, travailleurs non stigmatisantes, représente tous les lieux de restauration, ont et personnes en précarité. » aujourd’hui un pas supplémentaire fermé. Sans pour autant éteindre dans la façon de les accompagner. la ferveur de la solidarité chez les Le levier de la participation Dernière mutation de l’action bénévoles. Marmites, roulottes et Alexis Garnier souligne l’importance du Secours Catholique dans ce cantines ont alors distribué des de ces repas solidaires pour le re- domaine, aller au-devant des paniers solidaires et cuisiné des pérage de la précarité : « Ils sont la personnes plutôt qu’attendre repas à emporter. À la “Marmite du porte d’entrée des personnes qui ont qu’elles viennent vers les acteurs partage”, les bénévoles ont égale- besoin d’aide – une aide médicale, ad- associatifs. Unique en son genre ment fait la cueillette de fruits et ministrative ou autre. » En proposant (mais bientôt imitée), l’équipe de de légumes et des centaines de aux personnes en difficulté de Vauvert a ainsi mis sur pied un four- conserves. FÉVRIER 2021 – RÉSOLUTIONS 9
INNOVER ANTI-GASPI À LA MILANAISE ILS Y PENSENT AUSSI PAR CLARISSE BRIOT En 2015, sous l’impulsion de Caritas Ambrosiana et du chef Massimo Bottura, est né dans un théâtre abandonné de Milan le “Reffetorio”. Ce restaurant, animé par des bénévoles, est ouvert sur le quartier et accueille des populations vulnérables (sans-abri, migrants, personnes isolées…). Dans cet édifice joli- ment rénové, celles-ci dégustent des plats préparés à partir de surplus (20 000 repas servis en 2019). Carrefour social et culturel, le lieu organise des ate- liers et conférences. D’autres “Refettorio” ont ouvert leurs portes au Brésil, à Londres, et à Paris en 2018, sous l’église de la Madeleine. D.R. Plus d’infos sur refettorioambrosiano.it ; refettorioparis.com INSERTION FAÇON GASTRO REPAS “SUSPENDUS” Le projet a reçu dans sa phase de conception l’appui À LA LYONNAISE du Secours Catholique : à Clermont-Ferrand s’est Ajouter 1 euro à son addition et permettre à des per- ouvert, au printemps 2020, un restaurant-école sonnes en précarité de venir s’attabler à leur tour au gastronomique et solidaire baptisé “Toques aca- restaurant : c’est le principe du “repas suspendu”. Un démie”. Ce projet comporte un volet pédagogique jeune café-resto lyonnais nommé “Équilibres Café”, dont et d’insertion, avec l’accueil de stagiaires en grande les fondatrices sont attentives à créer du lien et de la difficulté et d’apprentis, et un volet solidaire consis- solidarité, a décidé de l’appliquer. Dès 10 euros récoltés, tant à accueillir pour le déjeuner des demandeurs le resto ajoute 2 euros et émet une invitation à déjeuner. d’emploi à faibles ressources, avec un menu du jour Ces invitations sont ensuite remises à des associations au prix adapté. Ce resto “apprenant” vise la mixi- partenaires, qui en font profiter les personnes en situa- té des convives, mais aussi la qualité culinaire, le tion d’exclusion qu’elles accompagnent. En à peine deux chef ayant fait ses gammes aux côtés du chef étoilé ans, 500 “invités” en ont déjà bénéficié. Pierre Gagnaire. Plus d’infos sur equilibres-cafe.fr Plus d’infos sur : www.toquesacademie.com RETOUR SUR… “ÉPISOL” DEVIENT MOBILE O uverte à Grenoble en 2015, le quotient familial, et l’adhésion à l’initiative notamment à l’association Épisol pour béné- du Secours Catholique, ficier des tarifs réduits. Pour dé- l’épicerie solidaire “Épisol” existe terminer les points de vente, « le STEVEN WASSENAAR / SCCF depuis un an en version mobile. premier critère était d’avoir déjà Chaque semaine, un camion-bou- des adhérents sur place », explique tique se rend dans cinq quartiers Antoine Bachmann. Le deuxième, de l’agglomération grenobloise. de pouvoir s’appuyer sur des as- « Le but est de désengorger le maga- sociations pour relayer l’informa- nous permettent de vendre moins sin en allant à la rencontre d’une par- tion et faire des animations. Le cher aux autres », précise Antoine tie de nos clients », explique Antoine troisième critère était de privilé- Bachmann. La mixité permet aussi Bachmann, d’Épisol. « Et aussi de gier la mixité sociale. Celle-ci est d’éviter la stigmatisation. « On at- toucher un nouveau public. » Le importante pour atteindre l’équi- tire ainsi des personnes en précarité principe reste le même : un accès libre financier : « Les clients qui qui n’iraient pas dans un lieu étiqueté libre, trois niveaux de tarifs selon peuvent acheter à un prix plus élevé “pour les pauvres”. » B.S. 10 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2021
DÉBATTRE COMMENT APAISER LE DÉBAT SUR L’IMMIGRATION ? CONTEXTE. Les migrants ont mauvaise presse, notamment en raison de l’instrumentalisation de la question migratoire par certains discours politiques. Pourquoi ce débat sur l’immigration est-il tant crispé ? Comment faire pour en discuter sereinement et répondre ainsi aux droits fondamentaux des personnes migrantes ? LAURENT GIOVANNONI, BÉNÉDICTE PÉTELLE, RESPONSABLE DU DÉPARTEMENT ACCUEIL DÉPUTÉE LREM ET DROITS DES ÉTRANGERS (LA RÉPUBLIQUE EN MARCHE) AU SECOURS CATHOLIQUE Laurent Giovannoni : Il y a clai- par Bernard Cazeneuve fin 2016. L.G. : L’une des difficultés vient du rement un problème aujourd’hui Depuis, sous Emmanuel Macron, le fait que l’ensemble des questions quand il s’agit de débattre d’im- dialogue est quasi inexistant entre d’immigration ont été confisquées migration. Ce n’est pas nouveau, le ministère de l’Intérieur et les as- par le ministère de l’Intérieur. La vi- cela fait des années que le sujet sociations de la société civile. sion privilégiée est donc très sécuri- est tendu et soumis à toutes les taire par principe. Or, comme vous le outrances. Pour moi, il est grand Bénédicte Pételle : Je pense qu’il dites, si on veut avoir cette capacité temps de sortir de ce climat dé- faut remettre de la complexité dans à aborder les problèmes dans leur létère pour que se rouvrent des les débats, et ne pas avoir ce côté complexité – car ce sont des sujets espaces de dialogue, de débat, mal- binaire, où tout est blanc d’un côté complexes – on a besoin de faire se gré les divergences de points de et noir de l’autre. Je suis touchée rejoindre différents points de vue : vue, pour construire des réponses quand vous me dites qu’il n’y a plus celui de la police, des Affaires so- pragmatiques et adaptées. On est de contacts avec les personnali- ciales, du Travail et de l’Emploi, de très inquiet de cette quasi-impos- tés politiques, ça m’interpelle et me la Justice, des Affaires étrangères... sibilité d’avoir de vrais échanges donne envie de réagir. Le groupe Ces arbitrages n’ont plus lieu au sein avec le gouvernement et même de parlementaire d’Études d’accueil du gouvernement. Un exemple, la nombreux responsables politiques. des migrants a envoyé plusieurs situation des étrangers en situation Le moment de bascule – la qua- courriers au ministre de l’Intérieur irrégulière : il y en a toujours eu en si-rupture du dialogue de la part pour lui dire que l’urgence était de France, et leur nombre n’a pas pro- de l’État – remonte au démantèle- se parler. La priorité, c’est de re- fondément augmenté. Plutôt que de ment de la jungle de Calais décidée mettre du dialogue. laisser dépérir dans la misère des FÉVRIER 2021 – RÉSOLUTIONS 11
XAVIER SCHWEBEL /SCCF Aujourd’hui le dialogue est quasi inexistant Il faut remettre de la complexité entre le ministère de l’Intérieur et la société civile. dans les débats. La priorité est de On le voit avec la question de la régularisation remettre du dialogue. On ne trouvera des sans papiers ou encore avec Calais. jamais la solution, mais une solution. LAURENT GIOVANNONI BÉNÉDICTE PÉTELLE gens sans droits dont les pou- B.P. : Les députés avaient aussi toute possibilité d’avoir une action voirs publics savent pertinemment signé une tribune sur la régularisa- pédagogique vis-à-vis de l’opinion. qu’ils ne les renverront pas pour la tion des sans-papiers durant cette Prenons l’exemple de la situation plupart, il faudrait du pragmatisme. période Covid. Par ailleurs, avant la des exilés sur le littoral franco-bri- Un certain nombre de personnes régularisation, il faudrait un travail tannique (Calais, etc.). Cela fait qui, compte tenu de leur ancienne- pédagogique sur cet appel d’air qui vingt-cinq ans que le problème té sur le territoire, ont commencé fait peur à beaucoup de Français. existe. Les pouvoirs publics affir- leur intégration, ont développé des Si le débat n’est pas bien posé, cela ment que ces personnes n’ont rien liens, une famille, ont un travail, de- peut être contre-productif. Il faut à faire là, et font tout pour les dis- vraient pouvoir être régularisées. de la patience et de l’intelligence suader. On assiste à une négation Nous savons que plusieurs minis- pour prendre en compte la peur de leurs droits fondamentaux avec tères y sont favorables. Avec la crise des gens. Je pense que la mécon- l’absence de tout dispositif d’ac- sanitaire, afin de limiter l’augmenta- naissance engendre la peur. Il fau- cueil social. Les personnes exilées tion des situations de précarité, la drait travailler là-dessus avec les s’installent où elles peuvent, dans présidente du Secours Catholique a médias. On ne raconte pas assez des campements de fortune. Du adressé un courrier au président de d’histoires positives. Je le vis dans coup, la population à Calais pense la République, avec les présidents et ma famille, vu qu’on est famille que la situation n’est pas maîtrisée, secrétaires généraux de Médecins d’accueil de migrants. Il y aurait ce qui génère de la peur. C’est la du monde, de la Cimade, d’Emmaüs, une communication pour donner même chose avec les campements de la FAS, de la CGT et de la CFDT, envie. Car le politique doit prendre en Île-de-France : s’il y avait des so- pour demander la création d’un es- en compte l’opinion publique. lutions d’hébergement, il n’y aurait pace de dialogue pour ouvrir des pas de campements. Ainsi on est voies nouvelles de régularisation L.G. : Je suis d’accord, mais ne dans un cercle sans fin, qu’il faut des étrangers sans papiers. C’était sommes-nous pas dans un cercle casser. Oui, nous sommes face à un courrier non public, justement vicieux ? En n’ayant pas les lieux de une question complexe qui appelle pour créer un espace “détendu” et dialogue qui permettent d’établir un une multitude de petites réponses. favoriser les discussions. Mais nous diagnostic partagé et de faire émer- Mais pour les faire émerger, encore n’avons reçu aucune réponse ! ger des solutions, on se coupe de faut-il être autour d’une table avec 12 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2021
DÉBATTRE les acteurs concernés, plutôt que mettre fin à ce cercle sans fin où le pacte. C’est une première marche, de nier la réalité ou d’avoir la bruta- sort réservé aux personnes est ter- c’est très compliqué de trouver lité comme seule réponse. rible, tandis que l’opinion publique, un consensus à 27, surtout avec B.P. : En effet, la situation non maî- constatant une situation non maî- des pays comme la Pologne et la trisée crée la crainte. Il faut prendre trisée, se voit renforcée dans son Hongrie. Avec cette idée de solida- le système dans sa complexité, sentiment de peur. rité automatique et obligatoire en mettre du relationnel entre nous, de cas de pression excessive sur un la confiance. Les campements font Un autre sujet important concerne État, et même si ce n’est pas par- peur à la population, et la vue des le “règlement Dublin” en matière fait, on peut espérer que c’est une familles qui campent lui donne l’im- d’asile. L’économie générale n’est première étape. Voyons les petites pression qu’on ne peut pas accueillir malheureusement pas remise en marches positives ! À mon avis, il tout le monde. Or, quand on compare cause dans le nouveau “pacte Asile faudra que tous ceux qui sont par- le nombre de migrants au nombre de Immigration” en projet pour l’Union tants se rencontrent, pour qu’on Français, il n’y a rien d’angoissant. Je européenne. Or c’est une erreur de avance sur ce sujet. On peut voir préfère parler de crise de l’hospitalité ne pas permettre aux personnes avec les parlementaires, les mi- que de crise migratoire. de demander l’asile dans le pays nistères, les élus territoriaux et les Pour revenir à Calais, des députés de l’UE de leur choix. Car en de- associations. Je pense qu’il faut ont écrit au ministère de l’Intérieur mandant l’asile, ces personnes commencer par Calais, qui est le à la suite des arrêtés qui interdisent cherchent aussi un pays dans le- plus dramatique. Il faut une concer- aux associations les distributions quel elles ont des attaches fami- tation commune, une mise à plat alimentaires depuis septembre. Je liales, culturelles, amicales. Ne de la complexité de la situation, et suis mal à l’aise avec ces arrêtés pas prendre en compte cette don- la prise en compte des peurs des qui sont une atteinte aux droits fon- née est à l’origine du gigantesque Calaisiens. damentaux. Ça n’apporte rien, si ce “bazar de Dublin” que l’on connaît n’est que le quotidien de ces per- depuis des années. L.G. : Il faut aussi entendre les per- sonnes se complexifie encore plus. sonnes migrantes elles-mêmes, Des associations nous alertent sur B.P. : Il faut recréer du dialogue pour sur leur parcours, les raisons pour la dégradation de la situation de- partager la complexité. On ne trou- lesquelles elles sont là. Et ras- puis ces arrêtés. vera jamais la solution, mais une semblons autour d’elles des par- solution. À Calais, j’espère qu’on lementaires, des élus locaux, des L.G. : Oui, cette interdiction en ra- arrivera à renouer le dialogue associations, des chercheurs…, joute dans un choix politique qui avec l’Angleterre. Concernant les pour construire ensemble la moins est de tout faire pour dissuader les Dublinés, ce système ne fonctionne mauvaise des réponses à cette gens de venir, donc en évacuant plus. Attendons de voir le nouveau question complexe. systématiquement toute installa- tion de campement, en réduisant ou en supprimant tous les services REPÈRES essentiels comme l’accès aux soins, aux douches, les distribu- En janvier 2020, un collège d’experts a remis au gouvernement tions de repas… C’est une politique un rapport qui préconise une simplification du droit des étrangers absurde. Elle essaie de cacher les et la régularisation des personnes non expulsables. « On aboutit choses et crée des conditions de à une multiplication de situations de non-droit, avec des gens qui ne vie épouvantables pour les popu- sont ni régularisés, ni reconduits », déplore Pascal Brice, co-auteur lations. On espère que des élus lo- du rapport et ancien directeur de l’Office français de protection des caux ou des parlementaires vont réfugiés et apatrides (Ofpra). On estime à 300 000 (jusqu’à 500 000 nous aider pour pousser le gouver- maximum) le nombre de personnes sans papiers en France, et nement à sortir de cette logique et autant de personnes dont les titres de séjour sont régulièrement créer un espace de dialogue. C’est renouvelés et qui submergent et ralentissent l’administration. la voie à suivre pour tenter de FÉVRIER 2021 – RÉSOLUTIONS 13
COMPRENDRE ENQUÊTE ALERTE : DÉFENSEURS DES DROITS EN DANGER PAR CÉCILE LECLERC-LAURENT Promouvoir la protection et la mise en œuvre des Droits de l’homme est un droit fondamental. Pourtant, aujourd’hui plus qu’hier, le fait de dénoncer les injustices et les abus de pouvoir met en danger des défenseurs des droits de l’homme, parmi lesquels des partenaires du Secours Catholique, aux quatre coins de la planète. Attaques, harcèlement, détention, assassinats : tout est mis en œuvre pour les réduire au silence. Le quotidien de ces défenseurs des droits est fait de contraintes et de peur. Mais engagés auprès des plus démunis, ils poursuivent malgré tout leur combat. Il est dès lors essentiel de les protéger et de veiller à ce qu’ils soient en mesure d’agir. Quel est le ÉLODIE PERRIOT / SCCF quotidien de ces défenseurs des droits de l’homme et comment les protéger ? Enquête. 14 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2021
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explique : « Je change de moyen de transport tous les jours : en tuktuk, ou à pied, ou en voi- ture. C’est une manière de me protéger car j’ai reçu des menaces et je ne me sens plus en sécurité. » Tous vivent dans la peur, sous la menace permanente qui pèse sur eux parce qu’ils ont osé faire la même chose : défendre des droits – politiques, sociaux, économiques ou environnementaux – et des libertés fon- damentales. Ils ont beau être théoriquement protégés par la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme adoptée en 1998 (voir encadré), dans les faits ils sont pris pour cible et attaqués. « Ils vivent dans la suspicion et sont en permanence sur le qui-vive. Ils savent que la violence peut s’exercer à tout moment contre eux », déclare Laurent Duarte, référent pour la Protection des parte- naires au sein de la Direction internationale du Secours Catholique et coordinateur de Tournons la page (2). « C’est comme si les dé- fenseurs des droits humains avaient une épée ÉLODIE PERRIOT / SCCF de Damoclès au-dessus de leur tête. Ils sont victimes de harcèlement, d’intimidation, d’ar- restations arbitraires », énumère Kiné Fatim I Diop, chargée des pays d’Afrique de l’Ouest Noël Bertrand l ne compte plus les menaces de mort pour Amnesty International. Boundzanga qu’il a reçues par téléphone. Depuis, il (à gauche) dit vivre comme s’il était en prison : « Je Une menace croissante est membre fais attention aux véhicules, au bureau, aux Cette épée de Damoclès semble peser de de Tournons la page Gabon documents qui arrivent de l’extérieur. J’ai plus en plus lourd. « Depuis quelques années, (TLP). Il a été peur d’être suivi ou empoisonné, alors je me la menace terroriste est l’argument-clé utilisé la cible de barricade », témoigne Jean-Claude Katende, par les États pour réduire le champ d’action vandalisme chez avocat et président de l’association africaine des défenseurs. Aujourd’hui, il est plus difficile lui et pense qu’il des Droits de l’homme en RDC. Sur un autre d’agir en Afrique qu’auparavant », expose Kiné s’agit d’actes d’intimidation. continent, en Colombie, Ana Luisa Ramirez, Fatim Diop, qui précise que des lois contre Régulièrement, défenseur proche de l’ONG Procladé (1), vit la cybercriminalité permettent de surveiller les conférences elle aussi dans une anxiété permanente : les défenseurs. Même constat au Moyen- organisées « Défendre le droit à la terre ne plaît pas aux Orient, où « la lutte antiterroriste a amorcé un par TLP sont groupes armés, explique-t-elle. Je dois me virage sécuritaire dans les années 2010 : un empêchées par les forces présenter tous les jours à la police pour me prétexte pour faire taire les voix dissidentes », de l’ordre. protéger et j’ai un gilet pare-balles. » Au Brésil selon Katia Roux, d’Amnesty International. voisin, Jair Seixas Reis, du Cimi, le conseil Le système judiciaire est ainsi utilisé à des indigéniste missionnaire (1), confie : « Je vis fins répressives. Et dans des pays comme dans l’insécurité et je n’ai plus de liberté. Je vis l’Égypte ou l’Arabie saoudite, des défenseurs dans une cage. Je ne peux plus aller pêcher ou disparaissent, souvent emprisonnés et mis chasser seul comme avant. » De son côté, Sa au secret. En Asie aussi, on constate une Im Meas, de l’ONG Adhoc (1) au Cambodge, recrudescence des violences à l’égard des 16 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2021
COMPRENDRE défenseurs des droits de l’homme, qui sont perçus comme des ennemis. « Des États comme la Chine ou le Vietnam, mais aussi des groupes privés liés à des entreprises, s’en prennent aux défenseurs en les menaçant, les ÉCLAIRAGE harcelant voire en les assassinant », déplore En 1998, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté Jade Dussart, de l’Acat (3). Les défenseurs à l’unanimité la Déclaration des Nations unies sur les dé- des Droits de l’homme y sont arrêtés pour fenseurs des Droits de l’homme. L’article premier rappelle de faux motifs comme l’atteinte à la sécu- que « chacun a le droit, individuellement ou en association rité nationale, un prétexte pour les réduire avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des au silence. En Amérique latine, on persécute Droits de l’homme et des libertés fondamentales au niveau les défenseurs en toute impunité et « la si- national et international ». L’article 2 établit les obligations tuation s’est aggravée ces dernières années, des États, qui ont « la responsabilité et le devoir de protéger, estime Anne Boucher, de l’Acat, puisqu’il promouvoir et rendre effectifs tous les Droits de l’homme et s’agit du continent où l’on trouve le plus grand toutes les libertés fondamentales, notamment en adoptant nombre d’attaques et d’assassinats ». Les dis- les mesures nécessaires ». Ainsi c’est aux États de veiller paritions forcées et les exécutions extraju- à ce que les défenseurs des Droits de l’homme mènent à diciaires sont fréquentes, et l’on assiste à bien leur travail dans un environnement sûr et favorable. une collusion entre les États et les paramili- La Déclaration des Nations unies est à lire ici : taires. C’est le cas, par exemple, en Colombie. bit.ly/2HfBVF4 Ainsi, dans le monde entier, tout est fait pour empêcher les défenseurs des droits de s’ex- Vingt ans plus tard, en 2018, un plan d’action a été adopté primer. « Il n’y a plus de respect attaché à la lors du Sommet de Paris : il énonce qu’il est de la respon- personne des défenseurs des droits humains, sabilité des États, des entreprises, des institutions finan- comme c’était le cas à une certaine époque. cières (…) de « contribuer à un environnement favorable à la Aujourd’hui, les États sont de plus en plus in- défense des droits humains dans le monde ». tolérants face à la prise de parole dissidente », s’insurge Bruno Vinay-Michon, chargé de pro- jet Protection des défenseurs au sein d’AE- QUELQUES CHIFFRES DH (4). Le contexte s’est durci et les chiffres parlent d’eux-mêmes : 156 défenseurs ont Selon Front Line Defenders, été assassinés en 2015 ; ils étaient 321 en 321 défenseurs des 77 % 2018 selon Front Line Defenders. Plus ré- droits de l’homme ont cemment, des États, comme le Niger ou la été tués en 2018 dans Guinée, ont profité de la crise sanitaire de la 27 pays, dont 126 en de ces victimes Covid-19 pour réduire l’espace civique, inter- Colombie, 48 au Mexique, défendaient le droit à dire les manifestations et même emprison- 39 aux Philippines, 26 au la terre, les droits des ner des militants. « La lutte contre le virus a Guatemala, 23 au Brésil, populations autochtones été un prétexte pour réduire au silence les mi- 19 en Inde… et l’environnement. litants pro-démocratie dans ces pays africains. La Covid a été révélatrice de l’absence d’État de AU MOINS droit », note Laurent Duarte, coordinateur de Tournons la page. Même constat en Israël, 49 % où la répression s’est accrue avec la crise d’entre elles avaient été sanitaire : « La crise de la Covid-19, combinée à directement menacées. une période durant laquelle Israël n’avait pas de Parlement en état de fonctionner, a permis au gouvernement de promulguer des décrets d’ur- 12 % étaient des femmes. gence qui n’étaient soumis à aucun contrôle FÉVRIER 2021 – RÉSOLUTIONS 17
COMPRENDRE ÉLODIE PERRIOT / SCCF Aziza Abdirasulova parlementaire », s’alarme Dana Moss, de combat n’est pas compris par nos familles », est directrice l’ONG Physicians Human Rights Israel (PHRI) témoigne Fidèle Mutchungu Mwenebatu au Kirghigstan (1). « Les autorités ont aussi recouru à diverses de Tournons la page RDC (1). Les familles de la fondation tactiques pour décourager les manifestations, sont, de fait, devenues un point de pression Kylym Shamy, qui défend notamment en utilisant des canons à eau et efficace pour les États ou les entreprises les droits en mettant des manifes- afin de contraindre des personnes tants en détention sans les défenseurs des détenues inculpation. » Catalina droits de l’homme à et apporte Garcia Pinilla, en charge LA CRISE SANITAIRE A ÉTÉ abandonner leur mis- de l’aide juridique aux personnes d’Israël-Palestine pour UN PRÉTEXTE POUR RÉTRÉCIR sion. « Même si j’ai torturées. le Secours Catholique, L’ESPACE D’EXPRESSION besoin de vivre, je me déclare pour sa part : DES DÉFENSEURS cache, je reste éloigné « La crise sanitaire a DES DROITS DE L’HOMME. de ma famille et je n’ai été un prétexte pour ré- que des contacts spo- trécir l’espace d’expres- radiques avec mes sion des défenseurs des enfants pour ne pas droits humains. » Le cas de Salah Hamouri les mettre en danger », confie un militant du est emblématique. Ce défenseur des droits Mouvement des sans-terre (1) au Brésil, qui des Palestiniens s’est fait arrêter alors qu’il souhaite garder l’anonymat. « Les défenseurs réalisait un test de détection du coronavirus. vivent dans la culpabilité par rapport à leurs Il a été écroué un mois, officiellement pour familles, avec la sensation de ne jamais faire raisons sanitaires. assez. Ils vivent leur travail comme un sacer- doce », observe Diana Kolnikoff, psychologue Un sacerdoce clinicienne de l’ONG “Traces”, partenaire de « Je vis avec la peur au ventre. Je suis pru- Tournons la page. « Si je m’occupe de ma pro- dent mais j’ai peur du lendemain. Souvent notre tection, je n’aurai pas assez de temps pour les 18 RÉSOLUTIONS – FÉVRIER 2021
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