"Sylvia" au Théâtre National. Un spectacle éblouissant qui questionne la création au féminin - Carreau Forbach
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https://www.rtbf.be/culture/scene/theatre/detail_sylvia-au-theatre-national-un-spectacle- eblouissant-qui-questionne-la-creation-au-feminin?id=10033757 "Sylvia" au Théâtre National. Un spectacle éblouissant qui questionne la création au féminin Dominique Mussche Publié le lundi 01 octobre 2018 à 16h01 2 images Sylvia, au Théâtre National - © Hubert Amiel Sous ce simple prénom se cache l’Américaine Sylvia Plath, écrivaine phare du siècle dernier, icône féministe (malgré elle), constamment déchirée entre son désir d’écrire et ses aspirations à être une mère/épouse parfaite. Une vie brève et intense marquée par les dépressions et brutalement interrompue par un suicide à l’âge de trente ans. Ce personnage fascinant a déjà séduit les biographes et les romanciers. Il inspire aujourd’hui à Fabrice Murgia sa plus brillante mise en scène. Point de départ : la comédienne Clara Bonnet (qui fait partie du spectacle) lui fait découvrir le journal intime de la poétesse, où il voit d’emblée un passionnant matériau de théâtre. C’est donc sous le signe du féminin que prend forme d’entrée de jeu ce nouveau projet. Et c’est le féminin qui domine le plateau du Théâtre National, à commencer par le casting : Fabrice Murgia a réuni neuf comédiennes d’âges, d’origines et de langues diverses. Tandis que les
spectateurs prennent place, elles s’approprient déjà l’espace et déambulent ou échangent quelques mots, légères et court vêtues à la mode des années 50-60 : robes fleuries et virevoltantes ajustées à la taille, hauts talons et ongles vernis. Chacune, à tour de rôle, incarnera le personnage complexe de Sylvia Plath. Sylvia, au Théâtre National - © Hubert Amiel Passionné de cinéma, le metteur en scène a eu la bonne idée de nous transporter sur un plateau de tournage : nous assisterons, en direct, à la réalisation d’un film sur Sylvia Plath, projeté sur des écrans, et à son " making off ". Des caméras, visibles de la salle ou hors champ, se déplacent au gré des scènes (avec la talentueuse Juliette Van Dormael aux commandes). Et c’est au même dynamisme qu’obéit le décor : des modules amovibles manipulés à vue par les comédiennes et qui, comme dans les jeux de cubes, se combinent pour créer ici un coin cuisine, là un bout d’escalier ou de jardin … Le féminin se décline aussi en musique. On sait que Fabrice Murgia a pris goût récemment à l’opéra (on a pu apprécier son talent la saison dernière avec " Menuet " d’après le roman éponyme de Louis-Paul Boon). C’est à l’artiste flamande An Pierlé qu’il a fait appel : pianiste, compositrice et chanteuse, elle est ici accompagnée en live par les musiciens de son quartet. Perchés en permanence sur des modules du décor, ils font partie intégrante de l’action. Plus qu’un simple accompagnement, leur musique donne l’impulsion aux actrices. Et l’on est ébloui par la palette sonore de la musicienne, des chansons mélancoliques délicatement réverbérées par le piano aux rythmes jazz rock plus percutants. On pouvait s’attendre à ce que ce portrait d’une écrivaine s’appuie sur des fragments de textes et nous fasse découvrir son écriture … C’était sans compter avec la mesquine vigilance des ayants droit, comme annoncé dans le spectacle. Pas de source directe donc, mais plutôt une approche impressionniste qui évoque, au fil des mots et des images, des moments de sa
vie tourmentée, zones d’ombre et de lumière. A partir de la vision initiale du suicide dans le four de la cuisinière, ils se déplient en flash-back : la mort prématurée du père, l’interview pour le magazine " Mademoiselle ", l’amour pour ses enfants, ses dépressions chroniques, sa rencontre, son mariage et sa relation orageuse avec le poète Ted Hughes… Et un fil rouge : le combat permanent - machine à écrire contre machine laver - mené pour exister comme écrivaine au sein du mariage et face aux préjugés de la société anglo-saxonne de l’époque. Comme Emily Dickinson, Virginia Woolf et Anne Sexton … Un combat qui résonne encore puissamment aujourd’hui, à entendre en voix off les discussions des actrices enregistrées au fil des répétitions, et comme un écho au ras-le-bol exprimé récemment par des professionnelles du théâtre révoltées par l’inégalité hommes femmes dans leur sphère artistique. Fabrice Murgia maîtrise magnifiquement l’architecture complexe de cette ambitieuse construction en abyme. La technique, pourtant hypersophistiquée et omniprésente, n’écrase jamais la vitalité et la dynamique du plateau, ni les neuf comédiennes qui l’habitent intensément. Musique, cinéma et théâtre se conjuguent et s’électrisent mutuellement, sans que jamais l’un prenne le pas sur l’autre. Ce portrait bouleversant vous donnera une seule envie : vous précipiter dans une librairie pour y dénicher les œuvres complètes de Sylvia Plath. EN PRATIQUE " Sylvia " : à voir au Théâtre National jusqu’au 12 octobre Mise en scène : Fabrice Murgia Musique : An Pierlé Avec : Valérie Bauchau, Clara Bonnet, Solène Cizeron, Vanessa Compagnucci, Vinora Epp, Léone François, Magali Pinglaut, Ariane Rousseau, Scarlet Tummers et Alfredo Cañavate En tournée La Louvière - Central - 14.03.19 Mons - MARS - 26.03.19 Anvers - Toneelhuis & Opera21 - deSingel - 25 et 26.04.19
L’ECHO SAMEDI 29 SEPTEMBRE 2018 55 Vie & Culture Théâtre Étourdissante «Sylvia» «Sylvia», jusqu’au 12/10 au Théâtre national. www.theatrenational.be À Central (La Louvière) le 14/3/19 et à Mars (Mons) le 26/3/19. !!!!! Que c’est grisant de voir une scène belge ambitieuse, avec les moyens et les talents de ses ambitions. Que c’est signifiant de mettre en lumière le geste artistique et la vie de Sylvia Plath, cette éternelle empêchée. Syl- via Plath est une poétesse des an- nées 1950-60. Blessée à vie par le dé- cès de son père quand elle avait huit ans. Écartelée à mort entre son be- soin viscéral d’écrire et la tentation de répondre aux dictats sociaux de la bonne épouse, la bonne mère. Elle connaît plusieurs épisodes dépressifs, tente de se suicider à vingt ans, se marie au poète Ted Hughes dans une relation qui va à la fois la nourrir et la ronger, le quit- tera en emmenant leurs deux en- fants et se suicidera en posant sa tête dans la gazinière, après avoir pris soin de laisser du lait et des bis- cuits pour ses enfants et de calfeu- trer la cuisine. Elle avait 30 ans, avait écrit un roman («La cloche de dé- tresse»), des nouvelles, des poèmes, un journal intime. Son (ex-)mari Ted Hughes les fera publier peu à VOS SORTIES peu, en supprimant certains feuil- lets. Son talent immense et ses ques- Pièce grandiose et happante, «Sylvia» est plus une orchestration qu’une pièce de théâtre. © HUBERT AMIEL tionnements intimes de femme ar- tiste en ont fait, par la suite, une icône du féminisme (anglo-saxon, sur Sylvia Plath, et le making of de des enregistrements radio des Il est difficile de poser les mots surtout). ce film. Il y a donc des décors de ci- conversations des comédiennes justes, entiers, représentatifs pour «Sylvia» s’empare avant tout de néma, six caméras, une grue et une quand elles travaillaient, de leur parler de ce spectacle. Et puis, nous l’acte de création, difficile en soi, directrice de la photographie, Ju- côté, à la préparation du spectacle. n’avons pas trop envie de les poser. mais plus encore pour les femmes liette Van Dormael, qui est sur scène À ces mises en abyme, s’ajoutent «Sylvia» est à voir, à vivre, à ressentir. artistes des années 50-60 (et cela et qui filme les scènes pour que une multitude d’aires de jeu. Des Il n’est pas dit que vous ne ressorti- perdure) car elles ne répondaient l’image cinématographique soit modules déplaçables sur lesquels rez pas avec un peu de mélancolie pas au rôle social attendu d’elles, projetée en direct sur l’écran de la sont installés An Pierlé et son quar- collée au fond du ventre. Peut-être être une bonne épouse, bonne cui- scène. Les neuf excellentes actrices tet. Elle a composé et écrit pour ce qu’elle restera au creux de vous sinière, bien tenir sa maison, être incarnent à tour de rôle la poétesse spectacle, chante et joue sur la scène, quelques jours. une bonne mère (dévouée, ou- aux milles visages, et on les voit pré- partie intégrante et surtout pul- Ancrée par les images de ce blieuse d’elle-même). Est-ce compa- parer ce film, analyser les écrits de sante: c’est la musique live qui donne «poème visuel» (pour reprendre les tible avec les aspirations d’une ar- Sylvia Plath, son rapport à son mari le ton et le rythme de l’ensemble. mots de Fabrice Murgia) et la patte tiste? etc. Dans ce spectacle-ci, elles ne Peut-on parler d’une pièce de théâ- musicale d’An Pierlé qui harmonise sont pas des comédiennes exécu- tre pour «Sylvia»? Il y a tant de disci- si bien sa puissance scénique et ses Cinéma, théâtre, tantes, mais des comédiennes dra- plines qui se mêlent: musique, poé- incartades dans les ombres du musique mêlés maturges. Habitué de l’écriture de sie, cinéma, reportage radio, théâtre, «Sylvia» est spleen. organiquement plateau, Fabrice Murgia, le metteur texte, archives sonores… Sans que spectaculaire. «Sylvia» est spectaculaire. Magni- Pour sonder et l’œuvre, et la vie, et en scène, dit avoir «joué à me laisser l’une ne prenne le pas sur les autres. fique, organique, poétique, trou- ces questionnements-ci, la pièce voler la mise en scène, par moments». C’est foisonnant, fascinant, happant, Magnifique, organique, blant. Inoubliable. donne à voir le tournage d’un film On entend aussi à quelques reprises profondément touchant. poétique, troublant. CÉCILE BERTHAUD Contemporain L’art d’aimer composer naut, puis circuleront sur les ondes en Europe. «Quatre ou cinq exécutions publiques, c’est encore très peu pour une d’ateliers organisés dans les pays participants, puis largement diffu- sée en radio. Seules contraintes: un Chirac: «Allons boire à nos femmes, à nos chevaux et à ceux qui les montent.» Berlusconi: «Le point G de la femme se œuvre moderne», constate Eliott. Mais thème, un texte et une nomencla- trouve à la fin du mot shopping.» MusMA VIII, musique contem- Européens – apportera à la volupté c’est le jeu. ture particuliers… Le Gantois Joris Blanckaert, poraine en création à L’Arsonic du lieu. Pour les participants du MusMA 42 ans, le poulain du KlaraFestival, a de Mons, ce mardi 2/10, à 20h: Mais l’air ne fait pas toujours la Un thème, un texte, VIII, la commande s’est vite révélée pour sa part transformé la violence lesfestivalsdewallonie.be chanson… Accompagnée par l’en- une nomenclature casse-pipe: le contrat impose trois du propos en «musique porno». In- !!!"" semble vénitien Ex Novo, la soprano Rappelons-en les règles: initié en instruments (flûte, alto, harpe) et titulée «TGTBT, I hit you because I À Valentina Coladonato a beau faire 2010, le projet MusMA (Music Mas- une voix féminine aiguë – un mé- love you», son œuvre accule la so- trois heures de route de de son mieux, les séries de sons ters on Air), qui réunit six parte- lange rare et délicat, que seul De- prano à siffler entre les dents, Stockholm, au milieu de la qu’elle émet froissent un tantinet naires européens – le Saxå Kammar- bussy avait osé –, à partir d’une comme un serpent, puis à lâcher di- dentelle que tisse l’infini l’oreille. Et avant tout, celles du com- musikfestival (Suède), le Mittelfest phrase hermétique («Love is (n’t) in vers bruits incongrus. D’autres feu- entrelacs de lacs et de fo- positeur Eliott Delafosse, 24 ans, (Italie), le National Forum of Music the air») et du poème controversé lements étranges et crispants émail- rêts sauvages où bruissent les arbris- short en jeans et catogan, diplômé (Pologne), le Wonderfeel (Pays- «L’art d’aimer» d’Ovide… Au boulot! lent «Pi», la composition «très pho- seaux de sureau, d’airelles et de du conservatoire de Mons, qui Bas), le KlaraFestival et les Festivals Candidat sélectionné en 2017 par nétique» de la polonaise Katarzyna mûres boréales, des notes un peu boude ouvertement la façon trop de Wallonie (Belgique) –, offre tous les Festivals de Wallonie, Eliott se Krzewinska… rudes s’échappent des fenêtres d’un lente dont le groupe interprète sa les ans à plusieurs jeunes innovant rappelle encore le fiasco du démar- Toute cette fâcherie, tous ces vieux manoir. Bienvenue au Saxå «Femen», l’œuvre qu’il a conçue dans le champ de la musique rage. «Composer fut très difficile à bouillons de colère crachés à l’unis- Herrgård, dans le Vårmland, para- pour la huitième édition du contemporaine d’écrire une parti- cause de la harpe. C’est un instrument son contre Ovide par cinq jeunes au- dis des marcheurs et des mélo- MusMA. tion qui sera ensuite peaufinée lors extrêmement compliqué, et j’ai dû lire teurs, montrent la difficulté qui sub- manes, qui confluent chaque été en Discrets, très attentifs aux réac- des traités pour m’en sortir. Quant au siste à saisir le sens d’un texte antique ce séjour paisible et isolé pour pren- tions de l’auditoire, Joris, Katarzyna, thème… je ne voyais pas quelle direc- aussi subversif – «Vrai cynisme ou pure dre un bain de musique de cham- William et Rafaelle, ses quatre jeunes Tous ces bouillons tion j’allais pouvoir prendre.» satire? On l’ignore aujourd’hui encore», bre au fond des bois. collègues polyglottes, rongent leurs de colère crachés Comme ses collègues, Eliott précise Eliott. Mais elle dit aussi, mal- Au cœur de l’early summer sué- freins dans l’attente impatiente connaît pourtant Ovide depuis le ly- gré la beauté des sites qui ont inspiré dois, qui baigne de sa lumière écla- d’être à leur tour entendus, et certai- à l’unisson contre cée. Mais la brutalité de l’«Ars ama- leurs créations, tout ce que l’accou- tante le jour comme la nuit, ils sont nement jugés. Leurs compositions Ovide par cinq jeunes toria», qui traite d’insolente séduc- chement d’œuvres inédites recèle une cinquantaine, sages et de tous respectives sont à l’image de leur jeu- tion plus que d’amour, l’a réelle- certainement de douleur. âges, entassés dans la touffeur d’une nesse – brutes, ardentes, imparfaites: compositeurs ment choqué, au point de le VALÉRIE COLIN, EN SUÈDE chambre au plafond lézardé et aux lustrées l’an dernier en Italie, avant montrent la difficulté bloquer. Puis l’inspiration revint, miroirs dorés, curieux de découvrir d’être créées au KlaraFestival en mars qui subsiste à saisir progressivement. Pour «Femen», Les créations du MusMA VIII se- ce que le programme matinal – cinq 2018, puis retravaillées en Suède et en Eliott imagine un dialogue chanté ront interprétées par Ex Novo et petites pièces contemporaines Pologne, elles seront données cet au- le sens d’un texte anti- entre des vers latins et des bribes de la soprano Valentina Coladonato conçues par une poignée de jeunes tomne au Festival musical du Hai- que aussi subversif. discours de politiciens misogynes. en présence des compositeurs. gcastellani@theatrenational.be - 1705516-001
Chronique d’une passion dévorante Sylvia | Théâtre National Wallonie-Bruxelles Lundi 1er octobre 2018, par Catherine Sokolowski "Sylvia", c’est un concert, un opéra, du théâtre, du cinéma, c’est tout cela à la fois. "Sylvia", ce sont neuf actrices qui se partagent la vedette sous l’œil constant de caméras dirigées par Juliette Van Dormael. Mais c’est aussi un témoignage, celui d’une femme déchirée entre l’envie d’être reconnue comme poétesse et la volonté d’être une épouse parfaite. Un spectacle intense, émouvant, esthétique, magnifiquement encadré par la prestation envoûtante d’An Pierlé, accompagnée de trois musiciens. Précipitez-vous. Les décors, mobiles, nombreux, soignés, apparaissent et disparaissent comme s’ils participaient volontairement au spectacle. Au-dessus de cette activité bouillonnante, un grand écran s’attarde sur certains détails, laissant au spectateur le choix d’assister à un film, à son making of ou encore à une pièce de théâtre. Les actrices sont aux aguets, constamment sous les feux de la rampe. Pas de temps mort dans cette superproduction dirigée par Fabrice Murgia, metteur en scène et directeur du théâtre National. Le spectacle relate la vie de Sylvia Plath, née dans la banlieue de Boston en 1932, poétesse surdouée passionnée par l’écriture. Très vite, son univers est plombé : « Mourir est un art et je deviendrai une grande artiste », elle souffre de troubles bipolaires. Elle se marie avec Ted Hugues en 1956, écrivain lui aussi, qu’elle rencontre en Angleterre. Dépressive, elle se voit disparaître dans l’ombre de son mari : « écrire sans être publiée n’a pas de sens ». Confrontée à un dilemme, être une épouse modèle ou une écrivaine reconnue, Sylvia multiplie les tentatives de suicide. Elle sera internée et subira des électrochocs. Pour les féministes, Sylvia Plath symbolise la difficulté pour une femme de concilier vie conjugale et vie professionnelle, elle qui gagnait sa liberté au détriment de ses heures de sommeil. La musique d’An Pierlé et de ses musiciens est le pilier de cette création. Magistrale, la pop envoûtante de la chanteuse se transforme avec les décors. Duo sur scène comme dans la vie, An Pierlé et son compagnon Koen Gisen font écho au couple Ted et Sylvia. Ils sont accompagnés par « Schntzl » (Casper Van De Velde et Hendrik Lasure) et assurent, à eux quatre, le rythme du spectacle. Ayant découvert le journal intime de Sylvia, probablement censuré par son mari, Fabrice Murgia a décidé de mettre cette artiste à l’honneur sans avoir obtenu les droits sur ses écrits. Il s’en sort habilement, notamment en usant du droit de citation. Il règne comme une malédiction autour de la poétesse, puisque même après sa mort, son œuvre n’est toujours pas intégralement publiée.
Bien que techniquement fort complexe, cet opéra moderne se déroule avec fluidité. Synchronisées, les neuf actrices endossent tour à tour le rôle de l’artiste tout en assurant le déplacement des décors, éléments fondamentaux de cette scène très féminine. Un spectacle impressionnant sur tous les plans qui permet une nouvelle fois à Fabrice Murgia d’exceller dans un théâtre résolument innovateur. A ne pas manquer. Catherine Sokolowski www.demandezleprogramme.be
Scènes ■ “Sylvia”, le nouveau spectacle musical En pratique de Fabrice Murgia et An Pierlé, fait revivre La pièce: Sylvia se joue au Théâtre National, à Bruxelles, du la figure de Sylvia Plath, devenue icône 25 septembre au 12 octobre. Places: de 17 à 30€. Rens.: du féminisme américain. www.theatrenational.be. À côté: le jeudi 11 octobre, ■ Quinze femmes sur la scène, mêlant les comédiennes Valérie Bauchau et Vinora Epp et la poétesse les genres artistiques, montrent l’actualité et traductrice Valérie Rouzeau proposent une lecture d’extraits et l’urgence à relire la grande poétesse de La cloche de détresse de Sylvia Plath. Le 11/10 à 12h40 dans la grande salle américaine. ■ À découvrir au Théâtre National dès ce mardi. du Théâtre National. Places: 6€. Rens.: www.theatrenational.be. Sylvia Plath, la poétesse éternelle, arrive sur la scène HUBERT AMIEL Sur la scène du Théâtre National, Fabrice Murgia recrée, dans des décors et costumes des années 50, le tournage d’un film sur Sylvia Plath. Rencontre Guy Duplat On peut ainsi voir un film en train de se faire. sen et le duo de jazz Schntzl (Hendrik Lasure et Un Rimbaud au féminin J’ On y retrouve – et Fabrice Murgia insiste sur la Casper Van de Velde). ai croisé l’œuvre de Sylvia Plath grâce à la qualité de son travail – la caméra sur scène de Ju- Contrairement au monde francophone qui con- S jeune comédienne Clara Bonnet qui, lors liette Van Dormael, qui capte et filme les émo- naît mal Sylvia Plath, An Pierlé a lu à l’école le ro- ylvia Plath (1932-1963) est une des poètes les Dix ans plus tard, le 11 février 1963, elle ne se ra- propre carrière littéraire, son désir de perfection d’un cours que je donnais à Saint-Étienne, tions des comédiennes sur scène. man La cloche de détresse et s’est éprise de ce texte plus aimés du monde anglo-saxon. D’abord tera plus. Après avoir couché ses deux enfants, Frieda échoua. Elle découvrit par hasard que Ted Hugues la m’a proposé de monter le journal intime de Le groupe de femmes forme un collectif. Fa- (qui devrait prochainement être adapté au grand pour sa vie tragique et romantique, une sorte de et Nicholas, préparé pour eux un repas placé à côté de trompait avec la poétesse Assia Wevill. De rage, elle la poétesse”, raconte le metteur en scène brice Murgia s’est mis un peu à écran par l’actrice Kirsten Dunst, Rimbaud au féminin qui se suicida à trente ans. Mais leur lit, bouché les portes et avalé une pleine boîte de déchira tous les manuscrits de Ted et repartit, seule de Sylvia et directeur du National, Fa- l’écart, dit-il, pour laisser parler et avec Dakota Fanning). “Plath est aussi, bien sûr, pour ses poèmes, qui continuent à somnifères, elle posa sa tête dans le four, tandis que leavec ses enfants, vivre à Londres, dans une maison où brice Murgia. Clara est aujourd’hui dans le spec- discuter ce groupe, “chacune étant “Quelque chose devenue comme une rock star morte nous toucher très directement par les émotions si gaz lui soufflait le visage. vécut le poète Yeats. C’est alors, mal- tacle. un peu une facette de Sylvia Plath”. relie jeune. On peut grandir avec elle, re- fortes et universelles qu’ils évoquent. Et pour son “Mourir est un art” “Ça y est je l’ai gré les conditions difficiles, qu’elle “Sylvia Plath me touche par la flamboyance de ses “Je me suis laissé un peu dépossédé connaître son besoin d’écrire, la dif- unique roman, La cloche de détresse. écrivit ses plus beaux textes, qui de- écrits, mais aussi par l’histoire de sa vie, toujours volontairement de la mise en scène.” Virginia Woolf, ficulté d’être une artiste, la position Sylvia Plath est née près de Boston en 1932, d’un Dans La cloche de détresse, son seul encore fait. viendront célèbres après sa mort. étroitement liée à son écriture. Son besoin d’écrire, On entend même à un moment Emily Dickinson inégale des femmes dans la culture”, père émigré allemand et d’une mère d’origine autri- roman, autobiographique, paru quel- Mourir est un art. La tragédie de Sylvia Plath ne s’arrêta plus fort que tout, sa passion amoureuse et poétique des extraits d’un vrai reportage explique la chanteuse. Fa- chienne. Son père, universitaire spécialiste des ques mois auparavant, elle raconte pas là. Ted Hugues s’instaura son léga- pour son mari Ted Hugues, ses doutes, ses succès, ses radiophonique, réalisé pendant et Sylvia Plath: être brice Murgia compare ce roman abeilles, mourut d’une gangrène quand elle n’avait une vie comme la sienne et ses envies Je m’y révèle taire littéraire, même si on l’accusa éblouissements, ses désespoirs et finalement son sui- ces discussions libres entre les une femme dans un de Sylvia Plath à L’Attrape-cœurs que huit ans. Elle réagit en s’exclamant: “Je ne parlerai de suicide. Son roman deviendra un exceptionnellement d’avoir supprimé un texte, où elle vi- cide à 31 ans. Tout cela en fait un personnage fasci- femmes sur scène. de Salinger. plus jamais à Dieu.” Le père deviendra pour elle la fi- livre culte aux États-Unis, l’équiva- tupérait contre sa vie de couple. Les fé- nant. Le sujet des solitudes contemporaines me tou- monde d’hommes.” An Pierlé, qui commença au gure mythique et maudite, aimée jusqu’à être haïe. lent au féminin de L’attrape-cœurs de douée.” ministes américaines s’emparèrent du che toujours vivement.” An Pierlé, la voix intérieure théâtre en jouant dans le mer- Dans le poème Daddy, qui fait partie du beau recueil J. D. Salinger. Dans un autre poème cas de Sylvia Plath pour en faire Depuis, Fabrice Murgia a tout lu de Sylvia Plath Et puis, il y a la musique veilleux Bernadetje d’Alain Platel, Ariel publié après sa mort, elle le traite de nazi et con- célèbre, Dame Lazare, tiré du recueil l’exemple même d’une femme hyper- et a voulu relever le défi, non pas de raconter sa d’An Pierlé. Fabrice Murgia es- voit un lien entre Plath et #Me- clut par ces mots terribles : “Il y a un pieu planté dans Ariel, elle raconte : “Ça y est je l’ai en- douée mais empêchée de s’exprimer à vie, mais de mettre en scène ses pensées, ses com- time de plus en plus nécessaire de Too : “Comment une femme peut ton gros cœur tout noir.” Elle souffrira aussi d’une core fait. Mourir est un art, comme tout cause de la domination des mâles. El- bats, en les liant à la société d’aujourd’hui. Cela créer des spectacles “transdiscipli- être partagée entre la nécessité mère possessive, qualifiée de “méduse”. le reste. Je m’y révèle exceptionnellement les vinrent régulièrement gratter le donne Sylvia, grand spectacle musical qui sera naires”, qui “font communiquer en- d’être dans les canons américains Élève surdouée (elle rédigea ses premiers poèmes à douée. De la cendre, je surgis avec mes nom de Hugues sur sa pierre tombale ALEXIS HAULOT créé ce mardi au Théâtre National, en coproduc- tre elles des sphères très différentes”, du spectacle et l’indispensable be- huit ans), elle intégra le prestigieux Smith College de cheveux rouges et je dévore les hommes. pour ne laisser que celui de Syl- tion avec La Monnaie. et de travailler avec de la musique soin d’écrire, d’oser ne pas plaire, Northampton dans le Massachusetts et prit comme Dévore les hommes, comme l’air.” via Plath. D’autres biographes prirent AP live sur scène. d’être agressive.” modèle la grande poétesse Emily Dickinson, qui voua Pendant cette décennie entre ses la défense de Ted Hugues. Comme un making of d’un film sur Sylvia Plath Dans sa jeunesse, Murgia avait Dans Sylvia, An Pierlé est la voix son existence à son art, volontairement recluse dans suicides, elle a tenté de cumuler sa vie Assia, la maîtresse de Ted, se sui- Dès le départ, Fabrice Murgia a voulu créer sur été fasciné, en 1999, par l’album Fabrice Murgia intérieure de la poétesse. Et le la maison de son père, un notable d’Amherst, en de femme, belle et unanimement ap- Sylvia Plath cida à son tour, au gaz, avec l’enfant scène un chœur de quinze femmes, auquel il a Mud Stories de la chanteuse gan- spectacle évoque aussi d’autres Nouvelle-Angleterre. L’écriture pour elle est une né- préciée, d’épouse au service de la car- qu’elle avait eu de Ted. Et en ajouté quelques hommes “alliés de la cause des toise. Depuis, An Pierlé s’est détachée de la pop grandes écrivaines “comme s’il y avait une chaîne, cessité, qui lui procure le sentiment d’être un “petit rière de son mari, de mère irréprochable de deux en- mars 2009, Nicholas, le fils de Sylvia Plath, s’est femmes”: dix comédiennes, mais aussi des techni- pour toucher bien d’autres genres musicaux. Elle une passation entre Virginia Woolf, Emily Dickinson dieu” qui recrée le monde d’après ses propres plans. fants et d’écrivaine. C’est en 1956, lors d’un séjour à pendu en Alaska où il vivait. Tous les ingrédients d’un ciennes et musiciennes qui jouent devant nous le est sur scène tout au long du spectacle, chantant, et Sylvia Plath, juge Fabrice Murgia. Quelque chose Mais souffrant de maniaco-dépression, elle fit une Cambridge, qu’elle rencontra le jeune poète anglais Rimbaud au féminin sont là: le talent, la poésie, l’im- tournage d’un film sur Sylvia Plath, dans les cos- parfois improvisant, “dans un méli-mélo d’influen- les relie toutes : être une femme dans un monde première tentative de suicide en 1953, à vingt ans. Ted Hugues. Rencontre foudroyante. Mais malgré ses possible désir d’être à la fois femme, mère et artiste. tumes et décors des années 50-60. ces”, accompagnée de trois musiciens : Koen Gi- d’hommes.” Elle ne sera sauvée qu’in extremis. efforts surhumains et le sacrifice tout un temps de sa G.Dt 40 La Libre Belgique - lundi 24 septembre 2018 lundi 24 septembre 2018 - La Libre Belgique 41 © S.A. IPM 2018. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit. © S.A. 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https://ruedelaloi.blogspot.com/2018/09/fabrice-murgia-ann-pierle-et-9-femmes.html? m=1 Fabrice Murgia, Ann Pierlé et 9 femmes inventent le making off de Sylvia Plath Virevoltant. Choral et éblouissant. En adaptant la vie et la poésie de Sylvia Plath, Fabrice Murgia, les 9 comédiennes, Ann Pierlé et les musiciens, Juliette Van Dormael, caméra à l’épaule et 10eme actrice, son assistant, figurant et régisseurs qui opèrent àvue sur le plateau surpassent le genre théâtral. Il y la vidéo bien sûr, comme souvent chez Murgia, mais aussi la musique d’Ann Pierlé, les décors qui bougent sans cesse, se défont et se reconstruisent au fil du récit, les mouvements de caméras, le ballet dynamique de l’ensemble. La prouesse est chorégraphique. Quand les murs de ce décor façon Hollywood se déploient ou se replient, que les jupes aux imprimés des années 50 tournent, qu’ Ann Pierlé quitte son perchoir pour chanter comme une meneuse de revue, quand les changements de costume se font à même la scène ou qu’une caméra est déjà en train d’être installée pour la scène suivante. Nous assistons à une pièce, à un ballet, à des lectures, à un concert : c’est un film en fabrication. Fabrice Murgia nous invite à un grand making off qui joue à saute-mouton avec les différents genres, passant avec vélocité et brio d’un genre à l’autre.
Sur scène le dispositif est riche. Les décors signés Aurelie Borremans, mobiles, convaincants et appropriés. Deux cubes accueillent une récitante et un dressing au rez- de-chaussée, Ann Pierlé, son piano et ses musiciens prenant place au premier étage. Entre les deux un grand écran accueille les images filmées sur scène. Juliette Van Dormael et son assistant, Takeiki Flon, opèrent avec deux caméras, l’une sur grue, l’autre à l’épaule. Juliette est au plus près des comédiennes, gros plan sur les visages, les mains, les détails du décor comme pour mieux faire ressortir la banalité sordide de la vie quotidienne de Sylvia Plath. Déjà, Takeiki ( ou Dimitri Petrovic , autre assistant caméra mentionné dans la distribution, et on savoure ici cette inversion où les hommes laissent le premier rôle artistique aux femmes ) prépare le cadre et positionne l’autre caméra pour la scène suivante. Le passage d’une caméra à l’autre est une prouesse de réalisation TV. Comment faire aussi riche avec seulement deux objectifs ? Notre regard passe des plans serrés de l’écran à la vue large de la scène. L’intimité sur l’écran du haut, le mouvement d’ensemble sur la scène du bas. Pas anodin. La vie de Sylvia Plath c’est aussi celle de l’âge d’or de la TV. Quand le petit écran impose l’image de ménagère modèle. Celle qui prépare les corn flake le matin, monte les blancs en neige l’après-midi et se morfond en attendant l’hypothétique retour de l’homme en soirée. Sylvia Plath intègre les stéréotypes, les assume. Elle ouvre aussi le courrier des maisons d’édition, tape les poèmes du mari à la machine, enfante et élève. Perd le temps de créer. Vole sur son sommeil quelques heures d’écriture. Ann Pierlé, aérienne, et pas seulement parce que son piano est perché, prend du recul et donne du sens. Mélodies et textes s’interpénètrent. Des extraits d’enregistrements radio où les comédiennes évoquent le projet se superposent. Il y a Sylvia, sa vie, le projet des comédiennes et le film qui réunit le tout. Le discours et le meta-discours. C’est pourtant fluide et convaincant. Saxophoniste et percussionniste apportent ce qu’il faut de swing et de rupture. La vie de Sylvia n’est pas la mine ou l’usine. C’est juste une comédie musicale un peu trop mièvre pour celle qui assume le rôle principal. Une vie enfermée dans un décor de carton qui fini par être en dissonance avec le scénario annoncé. Une vie qui se consume trop vite et se débat avec les renoncements. Neuf comédiennes incarnent tour à tour ce rôle principal. Clara Bonnet, Solène Cizeron, Vanessa
Compagnucci, Vinora Epp, Léone François, Magali Pinglaut, Ariane Rousseau, Scarlet Tummers, Valérie Bauchau et sa grâce ne sont pas seules. Blondes, rousses, brunes, jeunes ou dans la force de l’âge. Toutes jouent juste et forment un chœur féminin, à la fois acteur et spectateur d’une histoire de la féminité. Comme pour nous rappeler que Sylvia n’est pas un cas unique. Dans les années 1950 la poétesse qui se sacrifie jusqu’à la folie et la négation de soi pour la gloire d’un poète ingrat est une femme méprisée parmi tant d’autres. En 2018 on aimerait que cela ait changé. Un peu. Le spectacle est à voir au théâtre narional cet automne. Il sera visible ensuite à La Louvière, Mons et en France. SYLVIA / Teaser 2 from Théâtre National / Bruxelles on Vimeo.
CULTURE Le Soir Lundi 24 septembre 2018 Le Soir Lundi 24 septembre 2018 26 27 Lucas Belvaux a rejoint la chaîne des grévistes de la faim, qui demandent devant l’ambassade de Russie à Paris la libération du cinéaste ukrainien Oleg Sentsov © IIM « SYLVIA » EN SCÈNE AU THÉÂTRE NATIONAL « Il y a, encore aujourd’hui, me créatrice » des difficultés à être une femm Une vingtaine de femmes, sur le plateau et en coulisses, mais en même temps, c’est encore lié au V.B. : Ça a permis qu’elle devienne une été hypocrite et démago par les temps d’évolutions et de régressions. Virginie Despentes, subir des injonc- monde qu’on vit aujourd’hui. On parle icône, de la figer dans le temps. qui courent. C.B. : On le voit avec le droit à l’avorte- tions en tant que femme, c’est dur, mais créent « Sylvia » au Théâtre National. de l’époque de nos grands-mères, ce C.B. : C’est comme Marilyn Monroe, ment. Dès qu’une société va un peu en tant que mec aussi : tu n’as pas le Un spectacle qui retrace la vie et l’œuvre de Sylvia Plath, n’est pas si loin et il y en a encore des dans un autre genre. Si on l’avait La société a-t-elle encore du mal avec mal, le symptôme, c’est que les femmes droit de pleurer, de te montrer fragi- poétesse américaine des années 50-60 qui lutta toute sa vie traces aujourd’hui. Ce n’est toujours connue à 75 ans en Floride avec des ca- les femmes qui osent donner des voient leurs droits régresser. Il faut être le, etc. pas si simple, à notre époque, d’être une niches, ça n’aurait pas été la même ordres ? très vigilant. entre conformisme patriarcal et aspiration à écrire. femme créatrice. chose. S.T. : Il m’est arrivé de dire des choses à V.B. : Plus qu’une prise de conscience, Virginie Despentes justement, ce ne A l’ère #MeToo, qu’est-ce les comédiennes de « Sylvia » ont des techniciens masculins qui n’écou- #MeToo a permis une prise de parole. serait pas la Sylvia Plath d’aujour- à dire sur l’émancipation des femmes aujourd’hui ? Rencontre. Rien n’a changé de ce côté-là ? Cette pièce, sur Sylvia Plath, est mise taient pas vraiment parce que je suis Ça a mis le feu aux poudres pour que d’hui ? V.B. : Ça évolue bien sûr, mais c’est en- en scène par un homme. Ça ne vous une femme. les femmes disent : non, à cet endroit- S.C. : Non ! Despentes est très radicale core difficile. Ne disais-tu pas, Scarlet, gêne pas ? C.B. : Ça change. là, on n’ira plus. alors que Sylvia Plath se questionne toi qui viens d’avoir un enfant, qu’à S.C. : C’est un homme mais qui engage V.B. : Mais ce n’est pas encore gagné. A.P. : Le problème, ce n’est pas seule- tout le temps. Un jour, elle se conforme, ENTRETIEN avaient besoin de l’autorisation de leur partir de ce moment-là, on perd une neuf comédiennes dans un milieu, le A.P. : Quand tu es une femme qui sa- ment oser dire non, c’est aussi oser dire le suivant elle sera plus libertaire. Un E n 1929 déjà, dans Une chambre à mari pour ouvrir un compte bancaire. certaine liberté ? théâtre, où c’est plus difficile pour des crifie tout, qui n’a pas d’enfant, qui est oui. Dans beaucoup de cas litigieux, il jour, elle est contente d’avoir un mari et soi, Virginia Woolf citait, parmi Avec Mai 68, la contraception ou le Scarlet Tummers : Oui. Je me sentais filles d’avoir un travail parce qu’il y a bosseuse, un peu « die hard », là, c’est s’agit surtout d’une mauvaise utilisa- de cuisiner pour lui, de dactylogra- tout ce qui pouvait limiter l’accès droit à l’avortement, la situation des plus libre avant. plus de rôles écrits pour les hommes clair, on va t’écouter, mais tu seras la tion du pouvoir. Mais il ne faut pas phier ses poèmes, et le lendemain, elle des femmes à l’éducation, à l’écriture ou femmes a quand même évolué. Com- V.B. : On attend quand même toujours que pour les femmes. « bitch ». nier qu’il y a toujours un jeu entre les en aura marre de faire ça. au succès, le manque d’un espace serein ment la vie et l’œuvre de Sylvia Plath que ce soit la femme qui s’occupe de S.T. : A la base, avec Clara, c’est nous V.B. : Si c’est une femme qui est écoutée hommes et les femmes. Et si une femme A.R. : Elle est surtout lucide par rap- et privé pour travailler. C’est peut-être résonnent-elles aujourd’hui ? l’enfant. Et si tu n’es pas là pour ton en- qui sommes allées vers lui avec cette parce qu’elle a pris un positionnement a envie de se montrer nue sur scène ou port à ses contradictions. cela, finalement, qu’est une scène de Valérie Bauchau : A cette époque, elle fant, que tu le mets tôt à la crèche, on te proposition de spectacle sur Sylvia masculin, ce n’est pas l’idéal non plus. de coucher avec le metteur en scène, elle V.E. : Mais c’est justement dans cette théâtre pour les femmes aujourd’hui : sortait justement du lot puisqu’elle culpabilise sans cesse. Plath. Ce qui serait bien, ce serait d’arriver à devrait aussi pouvoir l’assumer, mais banalité, cette normalité que Sylvia un endroit où se libérer des contraintes étouffait dans ce carcan-là. Je ne sais A.P. : Moi, quand j’étais en tournée, C.B. : Oui. Nous voulions avoir son influencer, être écoutée, en restant nor- pour les bonnes raisons évidemment. me touche aussi. Elle peut être extraor- familiales, domestiques, sociétales, voire pas si beaucoup de femmes avaient dé- mon compagnon restait à la maison point de vue et finalement, il nous a dit male, sans passer par les attributs du C’est pour ça qu’il faut d’abord se bâtir dinaire mais aussi triviale. patriarcales, pour créer. Et si le grand jà pris conscience de leur enfermement pour s’occuper de notre enfant. que ça l’intéresserait bien de le mettre pouvoir masculin. un squelette très fort, se connaître, et S.C. : Elle a parlé de son époque mais plateau du Théâtre National était cette dans la société machiste. Dans ses V.C. : Moi aussi mais c’est parce que en scène. devenir simplement assez puissante c’est aussi quelqu’un qui travaille la En haut, de gauche à droite : Scarlet Tummers, Magali Pinglaut, An chambre à soi où s’épanouirait la parole écrits, elle interroge la façon dont le mon compagnon est artiste. Du coup, Qu’est-ce qui fait que les choses évo- pour assumer ses choix. langue comme une pâte, la mâche et la Pierlé, Clara Bonnet. En bas, de gauche à droite : Vinora Epp, Vanes- féminine ? Dans Sylvia, inspiré de la monde fonctionne, dont elle se sent op- on se comprend. On sait ce que ça veut Mais il aurait pu vous laisser le mettre luent ? Des mouvements comme #Me- C.B. : La grande différence, quand tu es remâche. C’est surtout un artisan dans sa Compagnucci, Valérie Bauchau, Ariane Rousseau, Solène Cizeron. poétesse américaine Sylvia Plath (elle- pressée, dont elle ne peut pas vraiment dire, l’engagement dans un projet. Si en scène ? Too ? une femme, c’est qu’on va beaucoup son atelier. ■ Cela fait neuf comédiennes et une chanteuse. Léone François n’est même imprégnée de Virginia Woolf ), s’exprimer. Et quand elle s’exprime, on l’un travaille, l’autre est présent et in- C.B. : Non, personnellement, je n’en V.E. : Je ne sais pas si c’est #MeToo. plus te juger. Quand tu es un mec, on te Propos recueillis par pas sur la photo. © MATHIEU GOLINVAUX. neuf comédiennes (Valérie Bauchau, l’associe à une femme hystérique, ma- versement. avais pas envie. C’est surtout le temps qui passe, fait fait moins chier. Même si, comme le dit CATHERINE MAKEREEL Clara Bonnet, Solène Cizeron, Vanessa lade. On lui fait subir des électrochocs. A.P. : Même dans un couple moderne, S.T. : Moi, non plus. Compagnucci, Vinora Epp, Léone Fran- Elle est une victime visible de ce sys- ça reste instinctif pour une mère de se C.B. : Scarlet et moi faisons aussi des çois, Magali Pinglaut, Ariane Rousseau, tème. sentir coupable. Et surtout, avoir des mises en scène de notre côté. On a nos Scarlet Tummers) et une chanteuse (An Ariane Rousseau : Dans ses écrits, il y enfants, ça met beaucoup plus de ten- espaces de liberté. Si on l’a proposé à Pierlé) se retrouvent sur scène pour ra- a peu de tabou sur sa sexualité, son dé- sion sur ta vocation, tes envies. Comme Fabrice Murgia, c’était aussi par rap- conter la vie et l’œuvre de cette météorite sir, son besoin d’écrire. Très jeune, elle chez Sylvia Plath, qui préfère ne plus port à son univers d’images. On s’est AFFAIRE JAN FABRE AU PROGRAMME à la vie tragique. En coulisses, ce sont se questionne sur comment mener une dormir pour sauvegarder des heures dit que ça irait bien avec l’univers poé- aussi des femmes qui assurent la direc- vie d’écrivaine et à la fois élever des en- toute seule, garder une certaine liberté tique de Sylvia Plath. Si on avait eu « Dans ce métier, cas de Jan Fabre, hein ! Beau- Saison féministe tion photographique (Juliette Van Dor- fants et avoir un mari. dans la tête, la liberté d’écrire. envie de le mettre en scène toutes seules, se mélangent coup de metteurs en scène Coïncidence ou consé- Clara Bonnet : Ce n’est pas une figure V.E. : On fait face aux mêmes défis que travaillent sur cette manière mael), l’assistanat à la mise en scène on l’aurait fait. ce que tu es et le d’installer le conflit, jouer sur quence de #MeToo, la sai- (Justine Lequette), les costumes, la régie de proue féministe. Elle n’écrit pas Sylvia. Elle veut être quelqu’un, ne pas V.C. : Fabrice nous laisse un espace de son théâtrale sera éminem- plateau, la régie lumière, etc. Alors, pour dire : « Voilà, nous, les femmes, être juste une femme. Moi je m’identifie débat très large entre nous. désir qu’on a de toi » les faiblesses des acteurs. ment féminine. Dans La certes, c’est un homme, Fabrice Murgia, on en est là, qu’est-ce qu’on peut à ça : je ne veux pas être qu’une seule C.B. : Il est très poreux à nos proposi- Quelle a été votre réaction C.B. : Mais ça pourrait aussi Reine Lear par exemple, Tom qu’on retrouve à la mise en scène – les co- faire ? » Elle n’a pas de dogme. Mais on chose. Ce qu’on décrit, c’est ce combat tions. Il a son idée, son univers, mais ce suite à l’affaire Jan Fabre ? être une femme qui fait ça. Lanoye remplace le bon médiennes s’en expliquent d’ailleurs ci- sent tout de même dans sa vie intime la pour être mère mais continuer aussi à n’est pas un metteur en scène qui te re- Avez-vous déjà été témoins Quand tu mets quelqu’un en vieux Lear de Shakespeare dessous – mais Sylvia reste un atelier à difficulté d’être une femme à cette être autre chose. garde mal si tu lui dis : « Là, je pense de ce genre de dérives ? position de pouvoir absolu, par une femme. Mère de forte connotation féminine, l’occasion époque, comment écrire, aller au bout Solène Cizeron : Qu’une femme ne soit que ce n’est pas une bonne idée. » Ça ne S.T. : J’ai lu dans le « Stan- forcément il y aura des dé- trois fils, cette reine impi- pour nous d’interroger ces artistes sur la de ses choix. pas qu’une épouse, qu’une mère ou veut pas dire qu’on a le dernier mot daard » un témoignage sur le rives. Donc, c’est à nous de toyable évolue au cœur de la place des femmes dans le théâtre et dans A.R. : Ce qui est frappant, c’est le peu qu’une fille. mais, au moins, c’est poreux. fonctionnement patriarcal des penser l’art différemment, haute finance internationale la société. Parler d’audace et d’émanci- d’écrits qu’elle a publiés de son vivant S.T. : Et puis, le spectacle n’est pas un écoles d’art mais moi, au Rits, mais sans le moraliser non (du 8 au 19/1 au Théâtre pation. De #MeToo et de Jan Fabre. De par rapport au volume qu’elle a écrit Qui seraient les Sylvia Plath d’aujour- combat féministe. je n’ai pas vu ça. J’ai vécu plus. National, Bruxelles). Au pouvoir et de quotas. pendant sa vie. Après son suicide, tout d’hui ? C.B. : D’ailleurs, ça aurait été faux et quelque chose de très collectif. A.P. : Il existe des profs fous Théâtre 140 en octobre, à coup, elle est devenue connue. A.P. :Probablement que la Sylvia de hypocrite d’en faire un combat fémi- A.P. : Moi, à l’école, j’ai vécu qui font des impros de six c’est Sandrine Juglair qui Sylvia Plath vient d’une autre époque, Vanessa Compagnucci : Finalement, maintenant, on ne la connaît pas en- niste. Sylvia Plath, ce n’est pas le MLF. des choses qui n’étaient pas heures où tout est permis. Moi prouvera que, non, l’univers les années 50, où les femmes vivaient c’est son mari qui a tout récolté et pu- core. Est-ce qu’on aurait connu Sylvia On est dans quelque chose de plus in- ok. C’est très délicat. Tu es par exemple, après l’école, j’ai des clowns n’est pas compo- encore à l’ombre de leur mari, restaient blié. Plath si elle ne s’était pas suicidée ? On time. Si on en avait fait un combat, on dans une recherche artistique, dû réapprendre à avoir des sé exclusivement d’hommes. LA BIO DE SYLVIA PLATH limites. En même temps, j’ai à la maison pour s’occuper des enfants, Vinora Epp : C’est une autre époque ne sait pas comment elle aurait vieilli. l’aurait instrumentalisé et ça aurait tu veux expérimenter, et donc Féminin, son Diktat n’en sera L’urgence d’écrire il doit y avoir beaucoup de peur qu’il y ait de plus en plus pas moins corrosif (les 17 et liberté, mais aussi beaucoup de pudeur, de répression, de 18/10). A la Balsamine, en Née en 1931 près de Boston, moralisation dans l’art et la de sécurité. Il n’y a pas que le février et mars, c’est carré- Sylvia Plath se débattra recherche. toute sa vie entre son désir ment tout un festival qui Si vous aviez une fille de 15 sera consacré aux artistes de correspondre au rêve ans qui envisage de devenir américain et son besoin Sur scène, un plateau de tournage révèle femmes interrogeant le à la fois un film en cours de réalisation actrice ou danseuse, qu’est- féminin, la sexualité, les irrépressible d’écrire. Elle ce que vous lui diriez ? commence à écrire des et ses coulisses. Une création à la lisière rapports dominants-domi- du théâtre et du cinéma. © HUBERT AMIEL. V.B. : J’essaierais d’en faire nés. Dans ce Festival XX, on poèmes très jeune. Long- une femme forte, qui se temps obsédée par la mort pourra notamment y rattra- connaisse bien. per les excellents Looking for de son père, elle rencontre le A.R. : C’est vrai que dans ce #MeToo « Les femmes ne vont plus se taire » poète anglais Ted Hughes the putes mecs et i-Clit. Au Les comé- métier, ça se mélange beau- Théâtre de Poche, Ménopau- alors qu’elle étudie à Cam- coup entre ce que tu es et le diennes bridge. Tentatives de suicide sées annonce clairement la incarnent désir qu’on a de toi. Ça peut couleur d’un duo qui porte et troubles bipolaires vont n pourrait penser que le Sylvia Plath et ses déchi- rythmer ses jeunes années. Séparée de Ted Hughes, elle O milieu du théâtre est plus progressiste et pourtant, il y a exemple, choisissent où vont les subventions, choisissent les playlist sur les radios, etc. les cas, elle est bien consciente des dérives et surtout, qu’il faut améliorer les choses pour aller de femmes mais que, souvent, il en manque dans les program- mations. Si on oblige une per- être très fragilisant. Je dirais aux jeunes : ne remets pas en les témoignages de femmes mûres : mères de famille, rements question ce que tu es si on artistes, sportives, PDG, s’installera à Londres, où elle toujours plus de metteurs en V.B. : Et aussi dans tous les co- vers plus de parité dans les ins- sonne à programmer des à différentes n’aime pas ce que tu fais, ce cougars, etc. (du 8/1 au se suicide, en 1962. Elle avait scène que de metteuses en mités d’avis. tances d’avis, les comités de sé- femmes, elle ne va pas être en périodes n’est pas ton être profond qui 2/2). Côté français, Lorraine 31 ans et aura eu le temps scène, plus de directeurs de A.P. : Ce n’est pas toujours de la lection, etc. peine d’en trouver. de sa vie. est remis en question. Ce que de Sagazan monte actuelle- d’écrire un roman, « La théâtre que de directrices, mauvaise volonté mais les V.B. : Avec F(s), on se bat pour tu dégages te dépasse. On ne ment Une Maison de Poupée, © HUBERT AMIEL. cloche de détresse », des toujours plus de textes hommes ne pensent tout sim- Faut-il passer par l’instauration que la question soit liée au fi- nouvelles, des poèmes, des t’engage pas forcément parce inspiré de la pièce d’Henrik d’hommes que de textes de plement pas aux femmes. de quotas ? nancier. Qu’on ne nous dise pas que tu es super mais parce Ibsen, en inversant le rôle livres pour enfants, et son femmes portés à la scène. A.P. : Les quotas, ce n’est pas qu’on a mis dix femmes là mais que tu as la gueule que tu as, des personnages : Nora, journal intime. La plupart de Qu’est-ce qui coince ? Où en est le mouvement F(S) ? l’idéal mais c’est sans doute un qu’au final, elles se partagent le corps, l’âge que tu as. Je l’héroïne, devient une femme ses écrits ont été publiés V.B. : On met plus longtemps à Des actions concrètes se passage obligé. Surtout aux des cacahuètes alors que les dirais aussi : fais un maximum d’affaires tandis que Thor- après sa mort et son mari se révéler mais la tendance ne mettent en place ? postes de pouvoir et de déci- hommes empochent tout. ■ tes propres trucs, n’attends vald, son époux, fait la cui- est soupçonné d’avoir arra- peut que s’inverser puisque V.B. : On en est à notre sion, là où se décident les sub- Propos recueillis par pas seulement le désir de sine et garde les enfants ché quelques-unes des pages qui décrivaient no- sortent des écoles de plus en deuxième rendez-vous avec la ventions et les programma- C.MA. l’autre. (jusqu’au 6/10 au Théâtre tamment leur vie commune. plus de femmes et que ces ministre, qui est très à l’écoute. tions. C.M. Montfort, Paris). Et ce n’est Devenue une icône, elle est femmes n’ont plus l’habitude Un troisième rendez-vous est V.E. : Quand on parle de quo- « Sylvia », du 25/9 au 12/10 au Théâtre là qu’un tout petit échan- parfois considérée comme de se taire. Ça va bouger, on est prévu fin octobre mais on doit tas, j’ai toujours l’impression National, Bruxelles. tillon des spectacles post- l’archétype du génie féminin en plein combat. d’abord se réunir toutes pour qu’on a l’air de dire qu’on #MeToo qui émailleront la écrasé par une société domi- A.P. : Il faut qu’il y ait plus de examiner les propositions manque de femmes. Le pro- saison. née par les hommes. femmes aux postes qui, par qu’elle nous a faites. Dans tous blème n’est pas qu’on manque C.MA. 26 27
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