"Sylvia" au Théâtre National. Un spectacle éblouissant qui questionne la création au féminin - Carreau Forbach

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"Sylvia" au Théâtre National. Un spectacle éblouissant qui questionne la création au féminin - Carreau Forbach
https://www.rtbf.be/culture/scene/theatre/detail_sylvia-au-theatre-national-un-spectacle-
eblouissant-qui-questionne-la-creation-au-feminin?id=10033757

"Sylvia" au Théâtre National. Un
spectacle éblouissant qui
questionne la création au féminin
Dominique Mussche

Publié le lundi 01 octobre 2018 à 16h01

2 images
Sylvia, au Théâtre National - © Hubert Amiel

Sous ce simple prénom se cache l’Américaine Sylvia Plath, écrivaine phare du
siècle dernier, icône féministe (malgré elle), constamment déchirée entre son
désir d’écrire et ses aspirations à être une mère/épouse parfaite. Une vie brève
et intense marquée par les dépressions et brutalement interrompue par un
suicide à l’âge de trente ans.
Ce personnage fascinant a déjà séduit les biographes et les romanciers. Il
inspire aujourd’hui à Fabrice Murgia sa plus brillante mise en scène. Point de
départ : la comédienne Clara Bonnet (qui fait partie du spectacle) lui fait
découvrir le journal intime de la poétesse, où il voit d’emblée un passionnant
matériau de théâtre. C’est donc sous le signe du féminin que prend forme
d’entrée de jeu ce nouveau projet. Et c’est le féminin qui domine le plateau du
Théâtre National, à commencer par le casting : Fabrice Murgia a réuni neuf
comédiennes d’âges, d’origines et de langues diverses. Tandis que les
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spectateurs prennent place, elles s’approprient déjà l’espace et déambulent ou
échangent quelques mots, légères et court vêtues à la mode des années 50-60 :
robes fleuries et virevoltantes ajustées à la taille, hauts talons et ongles vernis.
Chacune, à tour de rôle, incarnera le personnage complexe de Sylvia Plath.

Sylvia, au Théâtre National - © Hubert Amiel

Passionné de cinéma, le metteur en scène a eu la bonne idée de nous
transporter sur un plateau de tournage : nous assisterons, en direct, à la
réalisation d’un film sur Sylvia Plath, projeté sur des écrans, et à son " making
off ". Des caméras, visibles de la salle ou hors champ, se déplacent au gré des
scènes (avec la talentueuse Juliette Van Dormael aux commandes). Et c’est au
même dynamisme qu’obéit le décor : des modules amovibles manipulés à vue
par les comédiennes et qui, comme dans les jeux de cubes, se combinent pour
créer ici un coin cuisine, là un bout d’escalier ou de jardin …
Le féminin se décline aussi en musique. On sait que Fabrice Murgia a pris goût
récemment à l’opéra (on a pu apprécier son talent la saison dernière avec
" Menuet " d’après le roman éponyme de Louis-Paul Boon). C’est à l’artiste
flamande An Pierlé qu’il a fait appel : pianiste, compositrice et chanteuse, elle
est ici accompagnée en live par les musiciens de son quartet. Perchés en
permanence sur des modules du décor, ils font partie intégrante de l’action. Plus
qu’un simple accompagnement, leur musique donne l’impulsion aux actrices. Et
l’on est ébloui par la palette sonore de la musicienne, des chansons
mélancoliques délicatement réverbérées par le piano aux rythmes jazz rock plus
percutants.
On pouvait s’attendre à ce que ce portrait d’une écrivaine s’appuie sur des
fragments de textes et nous fasse découvrir son écriture … C’était sans
compter avec la mesquine vigilance des ayants droit, comme annoncé dans le
spectacle. Pas de source directe donc, mais plutôt une approche
impressionniste qui évoque, au fil des mots et des images, des moments de sa
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vie tourmentée, zones d’ombre et de lumière. A partir de la vision initiale du
suicide dans le four de la cuisinière, ils se déplient en flash-back : la mort
prématurée du père, l’interview pour le magazine " Mademoiselle ", l’amour pour
ses enfants, ses dépressions chroniques, sa rencontre, son mariage et sa
relation orageuse avec le poète Ted Hughes… Et un fil rouge : le combat
permanent - machine à écrire contre machine laver - mené pour exister comme
écrivaine au sein du mariage et face aux préjugés de la société anglo-saxonne
de l’époque. Comme Emily Dickinson, Virginia Woolf et Anne Sexton … Un
combat qui résonne encore puissamment aujourd’hui, à entendre en voix off les
discussions des actrices enregistrées au fil des répétitions, et comme un écho
au ras-le-bol exprimé récemment par des professionnelles du théâtre révoltées
par l’inégalité hommes femmes dans leur sphère artistique.
Fabrice Murgia maîtrise magnifiquement l’architecture complexe de cette
ambitieuse construction en abyme. La technique, pourtant hypersophistiquée et
omniprésente, n’écrase jamais la vitalité et la dynamique du plateau, ni les neuf
comédiennes qui l’habitent intensément. Musique, cinéma et théâtre se
conjuguent et s’électrisent mutuellement, sans que jamais l’un prenne le pas sur
l’autre. Ce portrait bouleversant vous donnera une seule envie : vous précipiter
dans une librairie pour y dénicher les œuvres complètes de Sylvia Plath.

EN PRATIQUE
" Sylvia " : à voir au Théâtre National jusqu’au 12 octobre
Mise en scène : Fabrice Murgia
Musique : An Pierlé
Avec : Valérie Bauchau, Clara Bonnet, Solène Cizeron, Vanessa Compagnucci,
Vinora Epp, Léone François, Magali Pinglaut, Ariane Rousseau, Scarlet Tummers
et Alfredo Cañavate
En tournée
La Louvière - Central - 14.03.19
Mons - MARS - 26.03.19
Anvers - Toneelhuis & Opera21 - deSingel - 25 et 26.04.19
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L’ECHO SAMEDI 29 SEPTEMBRE 2018                                                                                                                                                                                                        55

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                   Théâtre
                   Étourdissante «Sylvia»
                   «Sylvia», jusqu’au 12/10
                   au Théâtre national.
                   www.theatrenational.be
                   À Central (La Louvière)
                   le 14/3/19 et à Mars (Mons)
                   le 26/3/19.
                   !!!!!

                   Que c’est grisant de voir une scène
                   belge ambitieuse, avec les moyens
                   et les talents de ses ambitions. Que
                   c’est signifiant de mettre en lumière
                   le geste artistique et la vie de Sylvia
                   Plath, cette éternelle empêchée. Syl-
                   via Plath est une poétesse des an-
                   nées 1950-60. Blessée à vie par le dé-
                   cès de son père quand elle avait huit
                   ans. Écartelée à mort entre son be-
                   soin viscéral d’écrire et la tentation
                   de répondre aux dictats sociaux de
                   la bonne épouse, la bonne mère.
                       Elle connaît plusieurs épisodes
                   dépressifs, tente de se suicider à
                   vingt ans, se marie au poète Ted
                   Hughes dans une relation qui va à
                   la fois la nourrir et la ronger, le quit-
                   tera en emmenant leurs deux en-
                   fants et se suicidera en posant sa
                   tête dans la gazinière, après avoir
                   pris soin de laisser du lait et des bis-
                   cuits pour ses enfants et de calfeu-
                   trer la cuisine. Elle avait 30 ans, avait
                   écrit un roman («La cloche de dé-
                   tresse»), des nouvelles, des poèmes,
                   un journal intime. Son (ex-)mari
                   Ted Hughes les fera publier peu à
  VOS SORTIES

                   peu, en supprimant certains feuil-
                   lets. Son talent immense et ses ques-       Pièce grandiose et happante, «Sylvia» est plus une orchestration qu’une pièce de théâtre. © HUBERT AMIEL
                   tionnements intimes de femme ar-
                   tiste en ont fait, par la suite, une
                   icône du féminisme (anglo-saxon,            sur Sylvia Plath, et le making of de       des enregistrements radio des                                                            Il est difficile de poser les mots
                   surtout).                                   ce film. Il y a donc des décors de ci-     conversations des comédiennes                                                        justes, entiers, représentatifs pour
                       «Sylvia» s’empare avant tout de         néma, six caméras, une grue et une         quand elles travaillaient, de leur                                                   parler de ce spectacle. Et puis, nous
                   l’acte de création, difficile en soi,       directrice de la photographie, Ju-         côté, à la préparation du spectacle.                                                 n’avons pas trop envie de les poser.
                   mais plus encore pour les femmes            liette Van Dormael, qui est sur scène          À ces mises en abyme, s’ajoutent                                                 «Sylvia» est à voir, à vivre, à ressentir.
                   artistes des années 50-60 (et cela          et qui filme les scènes pour que           une multitude d’aires de jeu. Des                                                    Il n’est pas dit que vous ne ressorti-
                   perdure) car elles ne répondaient           l’image cinématographique soit             modules déplaçables sur lesquels                                                     rez pas avec un peu de mélancolie
                   pas au rôle social attendu d’elles,         projetée en direct sur l’écran de la       sont installés An Pierlé et son quar-                                                collée au fond du ventre. Peut-être
                   être une bonne épouse, bonne cui-           scène. Les neuf excellentes actrices       tet. Elle a composé et écrit pour ce                                                 qu’elle restera au creux de vous
                   sinière, bien tenir sa maison, être         incarnent à tour de rôle la poétesse       spectacle, chante et joue sur la scène,                                              quelques jours.
                   une bonne mère (dévouée, ou-                aux milles visages, et on les voit pré-    partie intégrante et surtout pul-                                                        Ancrée par les images de ce
                   blieuse d’elle-même). Est-ce compa-         parer ce film, analyser les écrits de      sante: c’est la musique live qui donne                                               «poème visuel» (pour reprendre les
                   tible avec les aspirations d’une ar-        Sylvia Plath, son rapport à son mari       le ton et le rythme de l’ensemble.                                                   mots de Fabrice Murgia) et la patte
                   tiste?                                      etc. Dans ce spectacle-ci, elles ne        Peut-on parler d’une pièce de théâ-                                                  musicale d’An Pierlé qui harmonise
                                                               sont pas des comédiennes exécu-            tre pour «Sylvia»? Il y a tant de disci-                                             si bien sa puissance scénique et ses
                   Cinéma, théâtre,                            tantes, mais des comédiennes dra-          plines qui se mêlent: musique, poé-                                                  incartades dans les ombres du
                   musique mêlés                               maturges. Habitué de l’écriture de         sie, cinéma, reportage radio, théâtre,      «Sylvia» est                             spleen.
                   organiquement                               plateau, Fabrice Murgia, le metteur        texte, archives sonores… Sans que           spectaculaire.                               «Sylvia» est spectaculaire. Magni-
                   Pour sonder et l’œuvre, et la vie, et       en scène, dit avoir «joué à me laisser     l’une ne prenne le pas sur les autres.                                               fique, organique, poétique, trou-
                   ces questionnements-ci, la pièce            voler la mise en scène, par moments».      C’est foisonnant, fascinant, happant,       Magnifique, organique,                   blant. Inoubliable.
                   donne à voir le tournage d’un film          On entend aussi à quelques reprises        profondément touchant.                      poétique, troublant.                                        CÉCILE BERTHAUD

                   Contemporain
                   L’art d’aimer composer                                                                 naut, puis circuleront sur les ondes
                                                                                                          en Europe. «Quatre ou cinq exécutions
                                                                                                          publiques, c’est encore très peu pour une
                                                                                                                                                      d’ateliers organisés dans les pays
                                                                                                                                                      participants, puis largement diffu-
                                                                                                                                                      sée en radio. Seules contraintes: un
                                                                                                                                                                                               Chirac: «Allons boire à nos femmes, à
                                                                                                                                                                                               nos chevaux et à ceux qui les montent.»
                                                                                                                                                                                               Berlusconi: «Le point G de la femme se
                                                                                                          œuvre moderne», constate Eliott. Mais       thème, un texte et une nomencla-         trouve à la fin du mot shopping.»
                   MusMA VIII, musique contem-                 Européens – apportera à la volupté         c’est le jeu.                               ture particuliers…                           Le Gantois Joris Blanckaert,
                   poraine en création à L’Arsonic             du lieu.                                                                                   Pour les participants du MusMA       42 ans, le poulain du KlaraFestival, a
                   de Mons, ce mardi 2/10, à 20h:                  Mais l’air ne fait pas toujours la     Un thème, un texte,                         VIII, la commande s’est vite révélée     pour sa part transformé la violence
                   lesfestivalsdewallonie.be                   chanson… Accompagnée par l’en-             une nomenclature                            casse-pipe: le contrat impose trois      du propos en «musique porno». In-
                   !!!""                                       semble vénitien Ex Novo, la soprano        Rappelons-en les règles: initié en          instruments (flûte, alto, harpe) et      titulée «TGTBT, I hit you because I

                   À
                                                               Valentina Coladonato a beau faire          2010, le projet MusMA (Music Mas-           une voix féminine aiguë – un mé-         love you», son œuvre accule la so-
                              trois heures de route de         de son mieux, les séries de sons           ters on Air), qui réunit six parte-         lange rare et délicat, que seul De-      prano à siffler entre les dents,
                             Stockholm, au milieu de la        qu’elle émet froissent un tantinet         naires européens – le Saxå Kammar-          bussy avait osé –, à partir d’une        comme un serpent, puis à lâcher di-
                             dentelle que tisse l’infini       l’oreille. Et avant tout, celles du com-   musikfestival (Suède), le Mittelfest        phrase hermétique («Love is (n’t) in     vers bruits incongrus. D’autres feu-
                             entrelacs de lacs et de fo-       positeur Eliott Delafosse, 24 ans,         (Italie), le National Forum of Music        the air») et du poème controversé        lements étranges et crispants émail-
                   rêts sauvages où bruissent les arbris-      short en jeans et catogan, diplômé         (Pologne), le Wonderfeel (Pays-             «L’art d’aimer» d’Ovide… Au boulot!      lent «Pi», la composition «très pho-
                   seaux de sureau, d’airelles et de           du conservatoire de Mons, qui              Bas), le KlaraFestival et les Festivals         Candidat sélectionné en 2017 par     nétique» de la polonaise Katarzyna
                   mûres boréales, des notes un peu            boude ouvertement la façon trop            de Wallonie (Belgique) –, offre tous        les Festivals de Wallonie, Eliott se     Krzewinska…
                   rudes s’échappent des fenêtres d’un         lente dont le groupe interprète sa         les ans à plusieurs jeunes innovant         rappelle encore le fiasco du démar-          Toute cette fâcherie, tous ces
                   vieux manoir. Bienvenue au Saxå             «Femen», l’œuvre qu’il a conçue            dans le champ de la musique                 rage. «Composer fut très difficile à     bouillons de colère crachés à l’unis-
                   Herrgård, dans le Vårmland, para-           pour la huitième édition du                contemporaine d’écrire une parti-           cause de la harpe. C’est un instrument   son contre Ovide par cinq jeunes au-
                   dis des marcheurs et des mélo-              MusMA.                                     tion qui sera ensuite peaufinée lors        extrêmement compliqué, et j’ai dû lire   teurs, montrent la difficulté qui sub-
                   manes, qui confluent chaque été en              Discrets, très attentifs aux réac-                                                 des traités pour m’en sortir. Quant au   siste à saisir le sens d’un texte antique
                   ce séjour paisible et isolé pour pren-      tions de l’auditoire, Joris, Katarzyna,                                                thème… je ne voyais pas quelle direc-    aussi subversif – «Vrai cynisme ou pure
                   dre un bain de musique de cham-             William et Rafaelle, ses quatre jeunes     Tous ces bouillons                          tion j’allais pouvoir prendre.»          satire? On l’ignore aujourd’hui encore»,
                   bre au fond des bois.                       collègues polyglottes, rongent leurs       de colère crachés                               Comme ses collègues, Eliott          précise Eliott. Mais elle dit aussi, mal-
                      Au cœur de l’early summer sué-           freins dans l’attente impatiente                                                       connaît pourtant Ovide depuis le ly-     gré la beauté des sites qui ont inspiré
                   dois, qui baigne de sa lumière écla-        d’être à leur tour entendus, et certai-    à l’unisson contre                          cée. Mais la brutalité de l’«Ars ama-    leurs créations, tout ce que l’accou-
                   tante le jour comme la nuit, ils sont       nement jugés. Leurs compositions           Ovide par cinq jeunes                       toria», qui traite d’insolente séduc-    chement d’œuvres inédites recèle
                   une cinquantaine, sages et de tous          respectives sont à l’image de leur jeu-                                                tion plus que d’amour, l’a réelle-       certainement de douleur.
                   âges, entassés dans la touffeur d’une       nesse – brutes, ardentes, imparfaites:
                                                                                                          compositeurs                                ment choqué, au point de le                        VALÉRIE COLIN, EN SUÈDE
                   chambre au plafond lézardé et aux           lustrées l’an dernier en Italie, avant     montrent la difficulté                      bloquer. Puis l’inspiration revint,
                   miroirs dorés, curieux de découvrir         d’être créées au KlaraFestival en mars     qui subsiste à saisir                       progressivement. Pour «Femen»,           Les créations du MusMA VIII se-
                   ce que le programme matinal – cinq          2018, puis retravaillées en Suède et en                                                Eliott imagine un dialogue chanté        ront interprétées par Ex Novo et
                   petites pièces contemporaines               Pologne, elles seront données cet au-      le sens d’un texte anti-                    entre des vers latins et des bribes de   la soprano Valentina Coladonato
                   conçues par une poignée de jeunes           tomne au Festival musical du Hai-          que aussi subversif.                        discours de politiciens misogynes.       en présence des compositeurs.

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"Sylvia" au Théâtre National. Un spectacle éblouissant qui questionne la création au féminin - Carreau Forbach
Chronique d’une passion dévorante
Sylvia | Théâtre National Wallonie-Bruxelles

Lundi 1er octobre 2018, par Catherine Sokolowski

"Sylvia", c’est un concert, un opéra, du théâtre, du cinéma, c’est tout cela à la fois. "Sylvia",
ce sont neuf actrices qui se partagent la vedette sous l’œil constant de caméras dirigées
par Juliette Van Dormael. Mais c’est aussi un témoignage, celui d’une femme déchirée
entre l’envie d’être reconnue comme poétesse et la volonté d’être une épouse parfaite. Un
spectacle intense, émouvant, esthétique, magnifiquement encadré par la prestation
envoûtante d’An Pierlé, accompagnée de trois musiciens. Précipitez-vous.

Les décors, mobiles, nombreux, soignés, apparaissent et disparaissent comme s’ils participaient
volontairement au spectacle. Au-dessus de cette activité bouillonnante, un grand écran s’attarde
sur certains détails, laissant au spectateur le choix d’assister à un film, à son making of ou encore
à une pièce de théâtre. Les actrices sont aux aguets, constamment sous les feux de la rampe.
Pas de temps mort dans cette superproduction dirigée par Fabrice Murgia, metteur en scène et
directeur du théâtre National.

Le spectacle relate la vie de Sylvia Plath, née dans la banlieue de Boston en 1932, poétesse
surdouée passionnée par l’écriture. Très vite, son univers est plombé : « Mourir est un art et je
deviendrai une grande artiste », elle souffre de troubles bipolaires. Elle se marie avec Ted Hugues
en 1956, écrivain lui aussi, qu’elle rencontre en Angleterre. Dépressive, elle se voit disparaître
dans l’ombre de son mari : « écrire sans être publiée n’a pas de sens ». Confrontée à un dilemme,
être une épouse modèle ou une écrivaine reconnue, Sylvia multiplie les tentatives de suicide. Elle
sera internée et subira des électrochocs. Pour les féministes, Sylvia Plath symbolise la difficulté
pour une femme de concilier vie conjugale et vie professionnelle, elle qui gagnait sa liberté au
détriment de ses heures de sommeil.

La musique d’An Pierlé et de ses musiciens est le pilier de cette création. Magistrale, la pop
envoûtante de la chanteuse se transforme avec les décors. Duo sur scène comme dans la vie, An
Pierlé et son compagnon Koen Gisen font écho au couple Ted et Sylvia. Ils sont accompagnés par
« Schntzl » (Casper Van De Velde et Hendrik Lasure) et assurent, à eux quatre, le rythme du
spectacle.

Ayant découvert le journal intime de Sylvia, probablement censuré par son mari, Fabrice Murgia a
décidé de mettre cette artiste à l’honneur sans avoir obtenu les droits sur ses écrits. Il s’en sort
habilement, notamment en usant du droit de citation. Il règne comme une malédiction autour de la
poétesse, puisque même après sa mort, son œuvre n’est toujours pas intégralement publiée.
"Sylvia" au Théâtre National. Un spectacle éblouissant qui questionne la création au féminin - Carreau Forbach
Bien que techniquement fort complexe, cet opéra moderne se déroule avec fluidité.
Synchronisées, les neuf actrices endossent tour à tour le rôle de l’artiste tout en assurant le
déplacement des décors, éléments fondamentaux de cette scène très féminine. Un spectacle
impressionnant sur tous les plans qui permet une nouvelle fois à Fabrice Murgia d’exceller dans
un théâtre résolument innovateur. A ne pas manquer.

                                                                          Catherine Sokolowski
                                                                  www.demandezleprogramme.be
"Sylvia" au Théâtre National. Un spectacle éblouissant qui questionne la création au féminin - Carreau Forbach
Scènes
                                                                            ■  “Sylvia”, le nouveau spectacle musical
                En pratique                                                 de Fabrice Murgia et An Pierlé, fait revivre
                La pièce: Sylvia se joue au Théâtre
                National, à Bruxelles, du
                                                                            la figure de Sylvia Plath, devenue icône
                25 septembre au 12 octobre.
                Places: de 17 à 30€. Rens.:
                                                                            du féminisme américain.
                www.theatrenational.be.

                À côté: le jeudi 11 octobre,                                ■ Quinze femmes sur la scène, mêlant
                les comédiennes Valérie Bauchau
                et Vinora Epp et la poétesse                                les genres artistiques, montrent l’actualité
                et traductrice Valérie Rouzeau
                proposent une lecture d’extraits                            et l’urgence à relire la grande poétesse
                de La cloche de détresse de
                Sylvia Plath.
                Le 11/10 à 12h40 dans la grande salle
                                                                            américaine.
                                                                            ■ À découvrir au Théâtre National dès ce mardi.
                du Théâtre National. Places: 6€.
                Rens.: www.theatrenational.be.

                Sylvia Plath,
                la poétesse éternelle,
                arrive sur la scène

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           HUBERT AMIEL
                                                                                                                                                                                                                               Sur la scène du Théâtre National, Fabrice Murgia recrée, dans des décors et costumes des années 50, le tournage d’un film sur Sylvia Plath.

                                  Rencontre Guy Duplat                               On peut ainsi voir un film en train de se faire.  sen et le duo de jazz Schntzl (Hendrik Lasure et
                                                                                                                                                                                                                               Un Rimbaud au féminin

                J’
                                                                                   On y retrouve – et Fabrice Murgia insiste sur la    Casper Van de Velde).
                          ai croisé l’œuvre de Sylvia Plath grâce à la             qualité de son travail – la caméra sur scène de Ju-   Contrairement au monde francophone qui con-

                                                                                                                                                                                                                               S
                          jeune comédienne Clara Bonnet qui, lors                  liette Van Dormael, qui capte et filme les émo-     naît mal Sylvia Plath, An Pierlé a lu à l’école le ro-                                        ylvia Plath (1932-1963) est une des poètes les                    Dix ans plus tard, le 11 février 1963, elle ne se ra-  propre carrière littéraire, son désir de perfection
                          d’un cours que je donnais à Saint-Étienne,               tions des comédiennes sur scène.                    man La cloche de détresse et s’est éprise de ce texte                                         plus aimés du monde anglo-saxon. D’abord                        tera plus. Après avoir couché ses deux enfants, Frieda   échoua. Elle découvrit par hasard que Ted Hugues la
                          m’a proposé de monter le journal intime de                 Le groupe de femmes forme un collectif. Fa-       (qui devrait prochainement être adapté au grand                                               pour sa vie tragique et romantique, une sorte de                et Nicholas, préparé pour eux un repas placé à côté de   trompait avec la poétesse Assia Wevill. De rage, elle
                          la poétesse”, raconte le metteur en scène                brice Murgia s’est mis un peu à                                      écran par l’actrice Kirsten Dunst,                                     Rimbaud au féminin qui se suicida à trente ans. Mais                  leur lit, bouché les portes et avalé une pleine boîte de déchira tous les manuscrits de Ted et repartit, seule
                          de Sylvia et directeur du National, Fa-                  l’écart, dit-il, pour laisser parler et                              avec Dakota Fanning). “Plath est                                       aussi, bien sûr, pour ses poèmes, qui continuent à                    somnifères, elle posa sa tête dans le four, tandis que leavec ses enfants, vivre à Londres, dans une maison où
                brice Murgia. Clara est aujourd’hui dans le spec-                  discuter ce groupe, “chacune étant              “Quelque chose       devenue comme une rock star morte                                      nous toucher très directement par les émotions si                     gaz lui soufflait le visage.                                              vécut le poète Yeats. C’est alors, mal-
                tacle.                                                             un peu une facette de Sylvia Plath”.
                                                                                                                                         relie          jeune. On peut grandir avec elle, re-                                  fortes et universelles qu’ils évoquent. Et pour son
                                                                                                                                                                                                                                                                                                     “Mourir est un art”
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         “Ça y est je l’ai     gré les conditions difficiles, qu’elle
                  “Sylvia Plath me touche par la flamboyance de ses                “Je me suis laissé un peu dépossédé                                  connaître son besoin d’écrire, la dif-                                 unique roman, La cloche de détresse.                                                                                                            écrivit ses plus beaux textes, qui de-
                écrits, mais aussi par l’histoire de sa vie, toujours              volontairement de la mise en scène.”            Virginia Woolf,      ficulté d’être une artiste, la position                                  Sylvia Plath est née près de Boston en 1932, d’un                      Dans La cloche de détresse, son seul               encore fait.        viendront célèbres après sa mort.
                étroitement liée à son écriture. Son besoin d’écrire,              On entend même à un moment
                                                                                                                                  Emily Dickinson       inégale des femmes dans la culture”,                                   père émigré allemand et d’une mère d’origine autri-                   roman, autobiographique, paru quel-                Mourir est un art.        La tragédie de Sylvia Plath ne s’arrêta
                plus fort que tout, sa passion amoureuse et poétique               des extraits d’un vrai reportage                                     explique la chanteuse. Fa-                                             chienne. Son père, universitaire spécialiste des                      ques mois auparavant, elle raconte                                        pas là. Ted Hugues s’instaura son léga-
                pour son mari Ted Hugues, ses doutes, ses succès, ses              radiophonique, réalisé pendant                et Sylvia Plath: être  brice Murgia compare ce roman                                          abeilles, mourut d’une gangrène quand elle n’avait                    une vie comme la sienne et ses envies                Je m’y révèle        taire littéraire, même si on l’accusa
                éblouissements, ses désespoirs et finalement son sui-              ces discussions libres entre les
                                                                                                                                 une femme dans un      de Sylvia Plath à L’Attrape-cœurs                                      que huit ans. Elle réagit en s’exclamant: “Je ne parlerai             de suicide. Son roman deviendra un                exceptionnellement      d’avoir supprimé un texte, où elle vi-
                cide à 31 ans. Tout cela en fait un personnage fasci-              femmes sur scène.                                                    de Salinger.                                                           plus jamais à Dieu.” Le père deviendra pour elle la fi-               livre culte aux États-Unis, l’équiva-                                     tupérait contre sa vie de couple. Les fé-
                nant. Le sujet des solitudes contemporaines me tou-                                                              monde d’hommes.”         An Pierlé, qui commença au                                           gure mythique et maudite, aimée jusqu’à être haïe.                    lent au féminin de L’attrape-cœurs de                   douée.”           ministes américaines s’emparèrent du
                che toujours vivement.”                                            An Pierlé, la voix intérieure                                        théâtre en jouant dans le mer-                                         Dans le poème Daddy, qui fait partie du beau recueil                  J. D. Salinger. Dans un autre poème                                       cas de Sylvia Plath pour en faire
                  Depuis, Fabrice Murgia a tout lu de Sylvia Plath                   Et puis, il y a la musique                                         veilleux Bernadetje d’Alain Platel,                                    Ariel publié après sa mort, elle le traite de nazi et con-            célèbre, Dame Lazare, tiré du recueil                                     l’exemple même d’une femme hyper-
                et a voulu relever le défi, non pas de raconter sa                 d’An Pierlé. Fabrice Murgia es-                                      voit un lien entre Plath et #Me-                                       clut par ces mots terribles : “Il y a un pieu planté dans             Ariel, elle raconte : “Ça y est je l’ai en-                               douée mais empêchée de s’exprimer à
                vie, mais de mettre en scène ses pensées, ses com-                 time de plus en plus nécessaire de                                   Too : “Comment une femme peut                                          ton gros cœur tout noir.” Elle souffrira aussi d’une                  core fait. Mourir est un art, comme tout                                  cause de la domination des mâles. El-
                bats, en les liant à la société d’aujourd’hui. Cela                créer des spectacles “transdiscipli-                                 être partagée entre la nécessité                                       mère possessive, qualifiée de “méduse”.                               le reste. Je m’y révèle exceptionnellement                                les vinrent régulièrement gratter le
                donne Sylvia, grand spectacle musical qui sera                     naires”, qui “font communiquer en-                                   d’être dans les canons américains                                        Élève surdouée (elle rédigea ses premiers poèmes à                  douée. De la cendre, je surgis avec mes                                   nom de Hugues sur sa pierre tombale
                                                                                                                                    ALEXIS HAULOT

                créé ce mardi au Théâtre National, en coproduc-                    tre elles des sphères très différentes”,                             du spectacle et l’indispensable be-                                    huit ans), elle intégra le prestigieux Smith College de               cheveux rouges et je dévore les hommes.                                   pour ne laisser que celui de Syl-
                tion avec La Monnaie.                                              et de travailler avec de la musique                                  soin d’écrire, d’oser ne pas plaire,                                   Northampton dans le Massachusetts et prit comme                       Dévore les hommes, comme l’air.”                                          via Plath. D’autres biographes prirent

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          AP
                                                                                   live sur scène.                                                      d’être agressive.”                                                     modèle la grande poétesse Emily Dickinson, qui voua                      Pendant cette décennie entre ses                                       la défense de Ted Hugues.
                Comme un making of d’un film sur Sylvia Plath                        Dans sa jeunesse, Murgia avait                                       Dans Sylvia, An Pierlé est la voix                                   son existence à son art, volontairement recluse dans                  suicides, elle a tenté de cumuler sa vie                                     Assia, la maîtresse de Ted, se sui-
                  Dès le départ, Fabrice Murgia a voulu créer sur                  été fasciné, en 1999, par l’album
                                                                                                                              Fabrice Murgia            intérieure de la poétesse. Et le                                       la maison de son père, un notable d’Amherst, en                       de femme, belle et unanimement ap-
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       Sylvia Plath            cida à son tour, au gaz, avec l’enfant
                scène un chœur de quinze femmes, auquel il a                       Mud Stories de la chanteuse gan-                                     spectacle évoque aussi d’autres                                        Nouvelle-Angleterre. L’écriture pour elle est une né-                 préciée, d’épouse au service de la car-                                   qu’elle avait eu de Ted. Et en
                ajouté quelques hommes “alliés de la cause des                     toise. Depuis, An Pierlé s’est détachée de la pop grandes écrivaines “comme s’il y avait une chaîne,                                        cessité, qui lui procure le sentiment d’être un “petit                rière de son mari, de mère irréprochable de deux en- mars 2009, Nicholas, le fils de Sylvia Plath, s’est
                femmes”: dix comédiennes, mais aussi des techni-                   pour toucher bien d’autres genres musicaux. Elle une passation entre Virginia Woolf, Emily Dickinson                                        dieu” qui recrée le monde d’après ses propres plans.                  fants et d’écrivaine. C’est en 1956, lors d’un séjour à pendu en Alaska où il vivait. Tous les ingrédients d’un
                ciennes et musiciennes qui jouent devant nous le                   est sur scène tout au long du spectacle, chantant, et Sylvia Plath, juge Fabrice Murgia. Quelque chose                                      Mais souffrant de maniaco-dépression, elle fit une                    Cambridge, qu’elle rencontra le jeune poète anglais Rimbaud au féminin sont là: le talent, la poésie, l’im-
                tournage d’un film sur Sylvia Plath, dans les cos-                 parfois improvisant, “dans un méli-mélo d’influen- les relie toutes : être une femme dans un monde                                          première tentative de suicide en 1953, à vingt ans.                   Ted Hugues. Rencontre foudroyante. Mais malgré ses possible désir d’être à la fois femme, mère et artiste.
                tumes et décors des années 50-60.                                  ces”, accompagnée de trois musiciens : Koen Gi- d’hommes.”                                                                                  Elle ne sera sauvée qu’in extremis.                                   efforts surhumains et le sacrifice tout un temps de sa                                                         G.Dt

40      La Libre Belgique - lundi 24 septembre 2018                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   lundi 24 septembre 2018 - La Libre Belgique                         41
© S.A. IPM 2018. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.   © S.A. IPM 2018. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.
"Sylvia" au Théâtre National. Un spectacle éblouissant qui questionne la création au féminin - Carreau Forbach
https://ruedelaloi.blogspot.com/2018/09/fabrice-murgia-ann-pierle-et-9-femmes.html?
m=1

Fabrice Murgia, Ann Pierlé et 9 femmes
inventent le making off de Sylvia Plath

Virevoltant. Choral et éblouissant. En adaptant la vie et la poésie de Sylvia Plath, Fabrice
Murgia, les 9 comédiennes, Ann Pierlé et les musiciens, Juliette Van Dormael, caméra à
 l’épaule et 10eme actrice, son assistant, figurant et régisseurs qui opèrent àvue sur le
plateau surpassent le genre théâtral. Il y la vidéo bien sûr, comme souvent chez Murgia,
mais aussi la musique d’Ann Pierlé, les décors qui bougent sans cesse, se défont et se
reconstruisent au fil du récit, les mouvements de caméras, le ballet dynamique de
l’ensemble. La prouesse est chorégraphique. Quand les murs de ce décor façon
Hollywood se déploient ou se replient, que les jupes aux imprimés des années 50
tournent, qu’ Ann Pierlé quitte son perchoir pour chanter comme une meneuse de revue,
quand les changements de costume se font à même la scène ou qu’une caméra est déjà
en train d’être installée pour la scène suivante. Nous assistons à une pièce, à un ballet, à
des lectures, à un concert : c’est un film en fabrication. Fabrice Murgia nous invite à un
grand making off qui joue à saute-mouton avec les différents genres, passant avec
vélocité et brio d’un genre à l’autre.
"Sylvia" au Théâtre National. Un spectacle éblouissant qui questionne la création au féminin - Carreau Forbach
Sur scène le dispositif est riche. Les décors signés Aurelie           Borremans, mobiles,
convaincants et appropriés. Deux cubes accueillent une récitante et un dressing au rez-
de-chaussée, Ann Pierlé, son piano et ses musiciens prenant place au premier étage.
Entre les deux un grand écran accueille les images filmées sur scène. Juliette Van
Dormael et son assistant, Takeiki Flon, opèrent avec deux caméras, l’une sur grue, l’autre
à l’épaule. Juliette est au plus près des comédiennes, gros plan sur les visages, les
mains, les détails du décor comme pour mieux faire ressortir la banalité sordide de la vie
quotidienne de Sylvia Plath. Déjà, Takeiki ( ou Dimitri Petrovic , autre assistant caméra
mentionné dans la distribution, et on savoure ici cette inversion où les hommes laissent le
premier rôle artistique aux femmes ) prépare le cadre et positionne l’autre caméra pour la
scène suivante. Le passage d’une caméra à l’autre est une prouesse de réalisation TV.
Comment faire aussi riche avec seulement deux objectifs ? Notre regard passe des plans
serrés de l’écran à la vue large de la scène. L’intimité sur l’écran du haut, le mouvement
d’ensemble sur la scène du bas. Pas anodin. La vie de Sylvia Plath c’est aussi celle de
l’âge d’or de la TV. Quand le petit écran impose l’image de ménagère modèle. Celle qui
prépare les corn flake le matin, monte les blancs en neige l’après-midi et se morfond en
attendant l’hypothétique retour de l’homme en soirée. Sylvia Plath intègre les stéréotypes,
les assume. Elle ouvre aussi le courrier des maisons d’édition, tape les poèmes du mari à
la machine, enfante et élève. Perd le temps de créer. Vole sur son sommeil quelques
heures d’écriture.
Ann Pierlé, aérienne, et pas seulement parce que son piano est perché, prend du recul et
donne du sens. Mélodies et textes s’interpénètrent. Des extraits d’enregistrements radio
où les comédiennes évoquent le projet se superposent. Il y a Sylvia, sa vie, le projet des
comédiennes et le film qui réunit le tout. Le discours et le meta-discours. C’est pourtant
  fluide et convaincant. Saxophoniste et percussionniste apportent ce qu’il faut de swing
et de rupture. La vie de Sylvia n’est pas la mine ou l’usine. C’est juste une comédie
musicale un peu trop mièvre pour celle qui assume le rôle principal. Une vie enfermée
dans un décor de carton qui fini par être en dissonance avec le scénario annoncé.
Une vie qui se consume trop vite et se débat avec les renoncements. Neuf comédiennes
incarnent tour à tour ce rôle principal. Clara Bonnet, Solène Cizeron, Vanessa
"Sylvia" au Théâtre National. Un spectacle éblouissant qui questionne la création au féminin - Carreau Forbach
Compagnucci, Vinora Epp, Léone François, Magali Pinglaut, Ariane Rousseau, Scarlet
Tummers, Valérie Bauchau et sa grâce ne sont pas seules. Blondes, rousses, brunes,
jeunes ou dans la force de l’âge. Toutes jouent juste et forment un chœur féminin, à la fois
acteur et spectateur d’une histoire de la féminité. Comme pour nous rappeler que Sylvia
n’est pas un cas unique. Dans les années 1950 la poétesse qui se sacrifie jusqu’à la folie
et la négation de soi pour la gloire d’un poète ingrat est une femme méprisée parmi tant
d’autres. En 2018 on aimerait que cela ait changé. Un peu.

Le spectacle est à voir au théâtre narional cet automne. Il sera visible ensuite à La
Louvière, Mons et en France.

SYLVIA / Teaser 2 from Théâtre National / Bruxelles on Vimeo.
CULTURE
Le Soir Lundi 24 septembre 2018                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    Le Soir Lundi 24 septembre 2018

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                                                                                                                                                                                                                                                                                   la chaîne des grévistes
                                                                                                                                                                                                                                                                                   de la faim, qui demandent
                                                                                                                                                                                                                                                                                   devant l’ambassade de Russie
                                                                                                                                                                                                                                                                                   à Paris la libération du cinéaste
                                                                                                                                                                                                                                                                                   ukrainien Oleg Sentsov © IIM

                                                                                                « SYLVIA » EN SCÈNE AU THÉÂTRE NATIONAL

« Il y a, encore aujourd’hui,
                              me créatrice »
des difficultés à être une femm
  Une vingtaine de femmes, sur le plateau et en coulisses,                                  mais en même temps, c’est encore lié au       V.B. : Ça a permis qu’elle devienne une      été hypocrite et démago par les temps         d’évolutions et de régressions.                 Virginie Despentes, subir des injonc-
                                                                                            monde qu’on vit aujourd’hui. On parle         icône, de la figer dans le temps.            qui courent.                                  C.B. : On le voit avec le droit à l’avorte-     tions en tant que femme, c’est dur, mais
créent « Sylvia » au Théâtre National.                                                      de l’époque de nos grands-mères, ce           C.B. : C’est comme Marilyn Monroe,                                                         ment. Dès qu’une société va un peu              en tant que mec aussi : tu n’as pas le
  Un spectacle qui retrace la vie et l’œuvre de Sylvia Plath,                               n’est pas si loin et il y en a encore des     dans un autre genre. Si on l’avait           La société a-t-elle encore du mal avec        mal, le symptôme, c’est que les femmes          droit de pleurer, de te montrer fragi-
poétesse américaine des années 50-60 qui lutta toute sa vie                                 traces aujourd’hui. Ce n’est toujours         connue à 75 ans en Floride avec des ca-      les femmes qui osent donner des               voient leurs droits régresser. Il faut être     le, etc.
                                                                                            pas si simple, à notre époque, d’être une     niches, ça n’aurait pas été la même          ordres ?                                      très vigilant.
entre conformisme patriarcal et aspiration à écrire.                                        femme créatrice.                              chose.                                       S.T. : Il m’est arrivé de dire des choses à   V.B. : Plus qu’une prise de conscience,         Virginie Despentes justement, ce ne
  A l’ère #MeToo, qu’est-ce les comédiennes de « Sylvia » ont                                                                                                                          des techniciens masculins qui n’écou-         #MeToo a permis une prise de parole.            serait pas la Sylvia Plath d’aujour-
à dire sur l’émancipation des femmes aujourd’hui ? Rencontre.                               Rien n’a changé de ce côté-là ?               Cette pièce, sur Sylvia Plath, est mise      taient pas vraiment parce que je suis         Ça a mis le feu aux poudres pour que            d’hui ?
                                                                                            V.B. : Ça évolue bien sûr, mais c’est en-     en scène par un homme. Ça ne vous            une femme.                                    les femmes disent : non, à cet endroit-         S.C. : Non ! Despentes est très radicale
                                                                                            core difficile. Ne disais-tu pas, Scarlet,    gêne pas ?                                   C.B. : Ça change.                             là, on n’ira plus.                              alors que Sylvia Plath se questionne
                                                                                            toi qui viens d’avoir un enfant, qu’à         S.C. : C’est un homme mais qui engage        V.B. : Mais ce n’est pas encore gagné.        A.P. : Le problème, ce n’est pas seule-         tout le temps. Un jour, elle se conforme,
ENTRETIEN                                     avaient besoin de l’autorisation de leur      partir de ce moment-là, on perd une           neuf comédiennes dans un milieu, le          A.P. : Quand tu es une femme qui sa-          ment oser dire non, c’est aussi oser dire       le suivant elle sera plus libertaire. Un

E
        n 1929 déjà, dans Une chambre à       mari pour ouvrir un compte bancaire.          certaine liberté ?                            théâtre, où c’est plus difficile pour des    crifie tout, qui n’a pas d’enfant, qui est    oui. Dans beaucoup de cas litigieux, il         jour, elle est contente d’avoir un mari et
        soi, Virginia Woolf citait, parmi     Avec Mai 68, la contraception ou le           Scarlet Tummers : Oui. Je me sentais          filles d’avoir un travail parce qu’il y a    bosseuse, un peu « die hard », là, c’est      s’agit surtout d’une mauvaise utilisa-          de cuisiner pour lui, de dactylogra-
        tout ce qui pouvait limiter l’accès   droit à l’avortement, la situation des        plus libre avant.                             plus de rôles écrits pour les hommes         clair, on va t’écouter, mais tu seras la      tion du pouvoir. Mais il ne faut pas            phier ses poèmes, et le lendemain, elle
des femmes à l’éducation, à l’écriture ou     femmes a quand même évolué. Com-              V.B. : On attend quand même toujours          que pour les femmes.                         « bitch ».                                    nier qu’il y a toujours un jeu entre les        en aura marre de faire ça.
au succès, le manque d’un espace serein       ment la vie et l’œuvre de Sylvia Plath        que ce soit la femme qui s’occupe de          S.T. : A la base, avec Clara, c’est nous     V.B. : Si c’est une femme qui est écoutée     hommes et les femmes. Et si une femme           A.R. : Elle est surtout lucide par rap-
et privé pour travailler. C’est peut-être     résonnent-elles aujourd’hui ?                 l’enfant. Et si tu n’es pas là pour ton en-   qui sommes allées vers lui avec cette        parce qu’elle a pris un positionnement        a envie de se montrer nue sur scène ou          port à ses contradictions.
cela, finalement, qu’est une scène de         Valérie Bauchau : A cette époque, elle        fant, que tu le mets tôt à la crèche, on te   proposition de spectacle sur Sylvia          masculin, ce n’est pas l’idéal non plus.      de coucher avec le metteur en scène, elle       V.E. : Mais c’est justement dans cette
théâtre pour les femmes aujourd’hui :         sortait justement du lot puisqu’elle          culpabilise sans cesse.                       Plath.                                       Ce qui serait bien, ce serait d’arriver à     devrait aussi pouvoir l’assumer, mais           banalité, cette normalité que Sylvia
un endroit où se libérer des contraintes      étouffait dans ce carcan-là. Je ne sais       A.P. : Moi, quand j’étais en tournée,         C.B. : Oui. Nous voulions avoir son          influencer, être écoutée, en restant nor-     pour les bonnes raisons évidemment.             me touche aussi. Elle peut être extraor-
familiales, domestiques, sociétales, voire    pas si beaucoup de femmes avaient dé-         mon compagnon restait à la maison             point de vue et finalement, il nous a dit    male, sans passer par les attributs du        C’est pour ça qu’il faut d’abord se bâtir       dinaire mais aussi triviale.
patriarcales, pour créer. Et si le grand      jà pris conscience de leur enfermement        pour s’occuper de notre enfant.               que ça l’intéresserait bien de le mettre     pouvoir masculin.                             un squelette très fort, se connaître, et        S.C. : Elle a parlé de son époque mais
plateau du Théâtre National était cette       dans la société machiste. Dans ses            V.C. : Moi aussi mais c’est parce que         en scène.                                                                                  devenir simplement assez puissante              c’est aussi quelqu’un qui travaille la                                                                         En haut, de gauche à droite : Scarlet Tummers, Magali Pinglaut, An
chambre à soi où s’épanouirait la parole      écrits, elle interroge la façon dont le       mon compagnon est artiste. Du coup,                                                        Qu’est-ce qui fait que les choses évo-        pour assumer ses choix.                         langue comme une pâte, la mâche et la                                                                          Pierlé, Clara Bonnet. En bas, de gauche à droite : Vinora Epp, Vanes-
féminine ? Dans Sylvia, inspiré de la         monde fonctionne, dont elle se sent op-       on se comprend. On sait ce que ça veut        Mais il aurait pu vous laisser le mettre     luent ? Des mouvements comme #Me-             C.B. : La grande différence, quand tu es        remâche. C’est surtout un artisan dans                                                                         sa Compagnucci, Valérie Bauchau, Ariane Rousseau, Solène Cizeron.
poétesse américaine Sylvia Plath (elle-       pressée, dont elle ne peut pas vraiment       dire, l’engagement dans un projet. Si         en scène ?                                   Too ?                                         une femme, c’est qu’on va beaucoup              son atelier. ■                                                                                                 Cela fait neuf comédiennes et une chanteuse. Léone François n’est
même imprégnée de Virginia Woolf ),           s’exprimer. Et quand elle s’exprime, on       l’un travaille, l’autre est présent et in-    C.B. : Non, personnellement, je n’en         V.E. : Je ne sais pas si c’est #MeToo.        plus te juger. Quand tu es un mec, on te                                Propos recueillis par                                                                  pas sur la photo. © MATHIEU GOLINVAUX.
neuf comédiennes (Valérie Bauchau,            l’associe à une femme hystérique, ma-         versement.                                    avais pas envie.                             C’est surtout le temps qui passe, fait        fait moins chier. Même si, comme le dit                              CATHERINE MAKEREEL
Clara Bonnet, Solène Cizeron, Vanessa         lade. On lui fait subir des électrochocs.     A.P. : Même dans un couple moderne,           S.T. : Moi, non plus.
Compagnucci, Vinora Epp, Léone Fran-          Elle est une victime visible de ce sys-       ça reste instinctif pour une mère de se       C.B. : Scarlet et moi faisons aussi des
çois, Magali Pinglaut, Ariane Rousseau,       tème.                                         sentir coupable. Et surtout, avoir des        mises en scène de notre côté. On a nos
Scarlet Tummers) et une chanteuse (An         Ariane Rousseau : Dans ses écrits, il y       enfants, ça met beaucoup plus de ten-         espaces de liberté. Si on l’a proposé à
Pierlé) se retrouvent sur scène pour ra-      a peu de tabou sur sa sexualité, son dé-      sion sur ta vocation, tes envies. Comme       Fabrice Murgia, c’était aussi par rap-
conter la vie et l’œuvre de cette météorite   sir, son besoin d’écrire. Très jeune, elle    chez Sylvia Plath, qui préfère ne plus        port à son univers d’images. On s’est                                                                                                                                                                            AFFAIRE JAN FABRE                                                                     AU PROGRAMME
à la vie tragique. En coulisses, ce sont      se questionne sur comment mener une           dormir pour sauvegarder des heures            dit que ça irait bien avec l’univers poé-
aussi des femmes qui assurent la direc-       vie d’écrivaine et à la fois élever des en-   toute seule, garder une certaine liberté      tique de Sylvia Plath. Si on avait eu                                                                                                                                                                            « Dans ce métier,                          cas de Jan Fabre, hein ! Beau-             Saison féministe
tion photographique (Juliette Van Dor-        fants et avoir un mari.                       dans la tête, la liberté d’écrire.            envie de le mettre en scène toutes seules,                                                                                                                                                                       se mélangent                               coup de metteurs en scène
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 Coïncidence ou consé-
                                              Clara Bonnet : Ce n’est pas une figure        V.E. : On fait face aux mêmes défis que                                                                                                                                                                                                                                                                   travaillent sur cette manière
mael), l’assistanat à la mise en scène                                                                                                    on l’aurait fait.                                                                                                                                                                                                ce que tu es et le                         d’installer le conflit, jouer sur
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 quence de #MeToo, la sai-
(Justine Lequette), les costumes, la régie    de proue féministe. Elle n’écrit pas          Sylvia. Elle veut être quelqu’un, ne pas      V.C. : Fabrice nous laisse un espace de                                                                                                                                                                                                                                                                son théâtrale sera éminem-
plateau, la régie lumière, etc. Alors,        pour dire : « Voilà, nous, les femmes,        être juste une femme. Moi je m’identifie      débat très large entre nous.                                                                                                                                                                                     désir qu’on a de toi »                     les faiblesses des acteurs.
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 ment féminine. Dans La
certes, c’est un homme, Fabrice Murgia,       on en est là, qu’est-ce qu’on peut            à ça : je ne veux pas être qu’une seule       C.B. : Il est très poreux à nos proposi-                                                                                                                                                                         Quelle a été votre réaction                C.B. : Mais ça pourrait aussi
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 Reine Lear par exemple, Tom
qu’on retrouve à la mise en scène – les co-   faire ? » Elle n’a pas de dogme. Mais on      chose. Ce qu’on décrit, c’est ce combat       tions. Il a son idée, son univers, mais ce                                                                                                                                                                       suite à l’affaire Jan Fabre ?              être une femme qui fait ça.
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 Lanoye remplace le bon
médiennes s’en expliquent d’ailleurs ci-      sent tout de même dans sa vie intime la       pour être mère mais continuer aussi à         n’est pas un metteur en scène qui te re-                                                                                                                                                                         Avez-vous déjà été témoins                 Quand tu mets quelqu’un en
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 vieux Lear de Shakespeare
dessous – mais Sylvia reste un atelier à      difficulté d’être une femme à cette           être autre chose.                             garde mal si tu lui dis : « Là, je pense                                                                                                                                                                         de ce genre de dérives ?                   position de pouvoir absolu,
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 par une femme. Mère de
forte connotation féminine, l’occasion        époque, comment écrire, aller au bout         Solène Cizeron : Qu’une femme ne soit         que ce n’est pas une bonne idée. » Ça ne                                                                                                                                                                         S.T. : J’ai lu dans le « Stan-             forcément il y aura des dé-
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 trois fils, cette reine impi-
pour nous d’interroger ces artistes sur la    de ses choix.                                 pas qu’une épouse, qu’une mère ou             veut pas dire qu’on a le dernier mot                                                                                                                                                                             daard » un témoignage sur le               rives. Donc, c’est à nous de
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 toyable évolue au cœur de la
place des femmes dans le théâtre et dans      A.R. : Ce qui est frappant, c’est le peu      qu’une fille.                                 mais, au moins, c’est poreux.                                                                                                                                                                                    fonctionnement patriarcal des              penser l’art différemment,                 haute finance internationale
la société. Parler d’audace et d’émanci-      d’écrits qu’elle a publiés de son vivant                                                    S.T. : Et puis, le spectacle n’est pas un                                                                                                                                                                        écoles d’art mais moi, au Rits,            mais sans le moraliser non                 (du 8 au 19/1 au Théâtre
pation. De #MeToo et de Jan Fabre. De         par rapport au volume qu’elle a écrit         Qui seraient les Sylvia Plath d’aujour-       combat féministe.                                                                                                                                                                                                je n’ai pas vu ça. J’ai vécu               plus.                                      National, Bruxelles). Au
pouvoir et de quotas.                         pendant sa vie. Après son suicide, tout       d’hui ?                                       C.B. : D’ailleurs, ça aurait été faux et                                                                                                                                                                         quelque chose de très collectif.           A.P. : Il existe des profs fous            Théâtre 140 en octobre,
                                              à coup, elle est devenue connue.              A.P. :Probablement que la Sylvia de           hypocrite d’en faire un combat fémi-                                                                                                                                                                             A.P. : Moi, à l’école, j’ai vécu           qui font des impros de six                 c’est Sandrine Juglair qui
Sylvia Plath vient d’une autre époque,        Vanessa Compagnucci : Finalement,             maintenant, on ne la connaît pas en-          niste. Sylvia Plath, ce n’est pas le MLF.                                                                                                                                                                        des choses qui n’étaient pas               heures où tout est permis. Moi             prouvera que, non, l’univers
les années 50, où les femmes vivaient         c’est son mari qui a tout récolté et pu-      core. Est-ce qu’on aurait connu Sylvia        On est dans quelque chose de plus in-                                                                                                                                                                            ok. C’est très délicat. Tu es              par exemple, après l’école, j’ai           des clowns n’est pas compo-
encore à l’ombre de leur mari, restaient      blié.                                         Plath si elle ne s’était pas suicidée ? On    time. Si on en avait fait un combat, on                                                                                                                                                                          dans une recherche artistique,             dû réapprendre à avoir des                 sé exclusivement d’hommes.
                                                                                                                                                                                             LA BIO DE SYLVIA PLATH                                                                                                                                                                                   limites. En même temps, j’ai
à la maison pour s’occuper des enfants,       Vinora Epp : C’est une autre époque           ne sait pas comment elle aurait vieilli.      l’aurait instrumentalisé et ça aurait                                                                                                                                                                            tu veux expérimenter, et donc                                                         Féminin, son Diktat n’en sera
                                                                                                                                                                                             L’urgence d’écrire                                                                                                                                            il doit y avoir beaucoup de                peur qu’il y ait de plus en plus           pas moins corrosif (les 17 et
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           liberté, mais aussi beaucoup               de pudeur, de répression, de               18/10). A la Balsamine, en
                                                                                                                                                                                             Née en 1931 près de Boston,                                                                                                                                                                              moralisation dans l’art et la
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           de sécurité. Il n’y a pas que le                                                      février et mars, c’est carré-
                                                                                                                                                                                             Sylvia Plath se débattra                                                                                                                                                                                 recherche.
                                                                                                                                                                                             toute sa vie entre son désir                                                                                                                                                                                                                        ment tout un festival qui
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      Si vous aviez une fille de 15              sera consacré aux artistes
                                                                                                                                                                                             de correspondre au rêve                                                                                                                                                                                  ans qui envisage de devenir
                                                                                                                                                                                             américain et son besoin                                                                                                                          Sur scène, un plateau de tournage révèle                                                           femmes interrogeant le
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                              à la fois un film en cours de réalisation               actrice ou danseuse, qu’est-               féminin, la sexualité, les
                                                                                                                                                                                             irrépressible d’écrire. Elle                                                                                                                                                                             ce que vous lui diriez ?
                                                                                                                                                                                             commence à écrire des                                                                                                                            et ses coulisses. Une création à la lisière                                                        rapports dominants-domi-
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                              du théâtre et du cinéma. © HUBERT AMIEL.                V.B. : J’essaierais d’en faire             nés. Dans ce Festival XX, on
                                                                                                                                                                                             poèmes très jeune. Long-                                                                                                                                                                                 une femme forte, qui se
                                                                                                                                                                                             temps obsédée par la mort                                                                                                                                                                                                                           pourra notamment y rattra-
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      connaisse bien.                            per les excellents Looking for
                                                                                                                                                                                             de son père, elle rencontre le                                                                                                                                                                           A.R. : C’est vrai que dans ce

                                                                                                                                                                                                                                     #MeToo « Les femmes ne vont plus se taire »
                                                                                                                                                                                             poète anglais Ted Hughes                                                                                                                                                                                                                            the putes mecs et i-Clit. Au
Les comé-                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             métier, ça se mélange beau-                Théâtre de Poche, Ménopau-
                                                                                                                                                                                             alors qu’elle étudie à Cam-                                                                                                                                                                              coup entre ce que tu es et le
diennes                                                                                                                                                                                      bridge. Tentatives de suicide                                                                                                                                                                                                                       sées annonce clairement la
incarnent                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             désir qu’on a de toi. Ça peut              couleur d’un duo qui porte
                                                                                                                                                                                             et troubles bipolaires vont                  n pourrait penser que le
Sylvia Plath
et ses déchi-
                                                                                                                                                                                             rythmer ses jeunes années.
                                                                                                                                                                                             Séparée de Ted Hughes, elle
                                                                                                                                                                                                                                     O    milieu du théâtre est plus
                                                                                                                                                                                                                                     progressiste et pourtant, il y a
                                                                                                                                                                                                                                                                           exemple, choisissent où vont les
                                                                                                                                                                                                                                                                           subventions, choisissent les
                                                                                                                                                                                                                                                                           playlist sur les radios, etc.
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    les cas, elle est bien consciente
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    des dérives et surtout, qu’il faut
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    améliorer les choses pour aller
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         de femmes mais que, souvent, il
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         en manque dans les program-
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         mations. Si on oblige une per-
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      être très fragilisant. Je dirais
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      aux jeunes : ne remets pas en
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 les témoignages de femmes
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 mûres : mères de famille,
rements                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               question ce que tu es si on                artistes, sportives, PDG,
                                                                                                                                                                                             s’installera à Londres, où elle         toujours plus de metteurs en          V.B. : Et aussi dans tous les co-        vers plus de parité dans les ins-    sonne à programmer des
à différentes                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         n’aime pas ce que tu fais, ce              cougars, etc. (du 8/1 au
                                                                                                                                                                                             se suicide, en 1962. Elle avait         scène que de metteuses en             mités d’avis.                            tances d’avis, les comités de sé-    femmes, elle ne va pas être en
périodes                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                              n’est pas ton être profond qui             2/2). Côté français, Lorraine
                                                                                                                                                                                             31 ans et aura eu le temps              scène, plus de directeurs de          A.P. : Ce n’est pas toujours de la       lection, etc.                        peine d’en trouver.
de sa vie.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            est remis en question. Ce que              de Sagazan monte actuelle-
                                                                                                                                                                                             d’écrire un roman, « La                 théâtre que de directrices,           mauvaise volonté mais les                                                     V.B. : Avec F(s), on se bat pour             tu dégages te dépasse. On ne               ment Une Maison de Poupée,
© HUBERT AMIEL.                                                                                                                                                                              cloche de détresse », des               toujours plus de textes               hommes ne pensent tout sim-              Faut-il passer par l’instauration    que la question soit liée au fi-
                                                                                                                                                                                             nouvelles, des poèmes, des                                                                                                                                                                               t’engage pas forcément parce               inspiré de la pièce d’Henrik
                                                                                                                                                                                                                                     d’hommes que de textes de             plement pas aux femmes.                  de quotas ?                          nancier. Qu’on ne nous dise pas              que tu es super mais parce                 Ibsen, en inversant le rôle
                                                                                                                                                                                             livres pour enfants, et son
                                                                                                                                                                                                                                     femmes portés à la scène.                                                      A.P. : Les quotas, ce n’est pas      qu’on a mis dix femmes là mais               que tu as la gueule que tu as,             des personnages : Nora,
                                                                                                                                                                                             journal intime. La plupart de
                                                                                                                                                                                                                                     Qu’est-ce qui coince ?                Où en est le mouvement F(S) ?            l’idéal mais c’est sans doute un     qu’au final, elles se partagent              le corps, l’âge que tu as. Je              l’héroïne, devient une femme
                                                                                                                                                                                             ses écrits ont été publiés
                                                                                                                                                                                                                                     V.B. : On met plus longtemps à        Des actions concrètes se                 passage obligé. Surtout aux          des cacahuètes alors que les                 dirais aussi : fais un maximum             d’affaires tandis que Thor-
                                                                                                                                                                                             après sa mort et son mari
                                                                                                                                                                                                                                     se révéler mais la tendance ne        mettent en place ?                       postes de pouvoir et de déci-        hommes empochent tout. ■                     tes propres trucs, n’attends               vald, son époux, fait la cui-
                                                                                                                                                                                             est soupçonné d’avoir arra-
                                                                                                                                                                                                                                     peut que s’inverser puisque           V.B. : On en est à notre                 sion, là où se décident les sub-                        Propos recueillis par     pas seulement le désir de                  sine et garde les enfants
                                                                                                                                                                                             ché quelques-unes des
                                                                                                                                                                                             pages qui décrivaient no-               sortent des écoles de plus en         deuxième rendez-vous avec la             ventions et les programma-                                            C.MA.       l’autre.                                   (jusqu’au 6/10 au Théâtre
                                                                                                                                                                                             tamment leur vie commune.               plus de femmes et que ces             ministre, qui est très à l’écoute.       tions.                                                                                                        C.M.           Montfort, Paris). Et ce n’est
                                                                                                                                                                                             Devenue une icône, elle est             femmes n’ont plus l’habitude          Un troisième rendez-vous est             V.E. : Quand on parle de quo-        « Sylvia », du 25/9 au 12/10 au Théâtre                                                 là qu’un tout petit échan-
                                                                                                                                                                                             parfois considérée comme                de se taire. Ça va bouger, on est     prévu fin octobre mais on doit           tas, j’ai toujours l’impression      National, Bruxelles.                                                                    tillon des spectacles post-
                                                                                                                                                                                             l’archétype du génie féminin            en plein combat.                      d’abord se réunir toutes pour            qu’on a l’air de dire qu’on                                                                                                  #MeToo qui émailleront la
                                                                                                                                                                                             écrasé par une société domi-            A.P. : Il faut qu’il y ait plus de    examiner les propositions                manque de femmes. Le pro-                                                                                                    saison.
                                                                                                                                                                                             née par les hommes.                     femmes aux postes qui, par            qu’elle nous a faites. Dans tous         blème n’est pas qu’on manque                                                                                                                           C.MA.

                                                                                                                                                                                              26                                                                                                                                                                                                                                            27
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