Tête à tête avec des bêtes sauvages - Thriller écologique Théâtre Pitoëff / Résidence 2020

 
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Tête à tête avec des bêtes sauvages - Thriller écologique Théâtre Pitoëff / Résidence 2020
Salvaje
          Tête à tête avec des bêtes sauvages
          Thriller écologique
          Théâtre Pitoëff / Résidence 2020

                                               Opus Luna Cie
                                             Camille Giacobino
                                                  Février 2020
Tête à tête avec des bêtes sauvages - Thriller écologique Théâtre Pitoëff / Résidence 2020
Fiche
        Tête à tête avec des bêtes sauvages

        Gracia Morales & Juan Alberto Salvatierra
        Edition : Nouvelles Scènes • espagnol

        Mise en scène
              Camille Giacobino

        Assistanat & coordination
              Nicola Dotti

        Jeu
                Camille Figuereo
                Etienne Fague
                Frédéric Polier

        Collaboration chorégraphique
              Marcela San Pedro

        Scénographie
             Florian Cuellar & Camille Giacobino

        Vidéo
                pressentie
                Sophie Le Meillour

        Lumières
             Alex Kurth

        Son
                Graham Broomfield

        Costumes
             Nathalie Egea

        Maquillages
             Arnaud Buchs

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Tête à tête avec des bêtes sauvages - Thriller écologique Théâtre Pitoëff / Résidence 2020
Sommaire
           Résidence           p.4
           Intentions          p.6
           Synopsis            p.9
           Thématiques        p.10
           Formes             p.25
           Les auteurs        p.29
           Univers scénique   p.31
           Annexes            p.33

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Tête à tête avec des bêtes sauvages - Thriller écologique Théâtre Pitoëff / Résidence 2020
Résidence
            Le projet de résidence de Tête à tête avec des bêtes
            sauvages s’échelonne sur 11 semaines de travail en tout.
            Etant donné qu’il s’agit d’une recherche théâtrale dans la
            continuité du travail précédemment engagé par ma Cie
            –texte-corps–, je prévois plusieurs modules :
                    • 2 semaines d’expérimentations
                      chorégraphiques dans l’espace de travail de
                      Mottattom;
                    • 1 semaine d’improvisations théâtrales
                      situationnelles à Mottattom;
                    • 4 semaines de répétitions dont 2 à Pitoëff;
                    • 4 semaines de représentations publiques.

            Cette résidence est conçue comme une tentative de lier
            la recherche théâtrale à la représentation publique.
            Dans un timing précis le travail prend corps à partir du
            temps d’expérimentation de deux semaines, période
            intime, à l’abri des regards, préservée, pour que les
            artistes explorent librement et sans exigence de résultat
            leur propre perception de l’état sauvage et l’animalité qui
            en découle.
            La semaine d’improvisations situationnelles relie le
            travail du corps au principe de narration, et aux situations
            rencontrées. Elle crée un univers dans lequel pourra
            évoluer la dramaturgie du texte.
            C’est dans la période de répétition de 4 semaines que
            le travail de texte commence. L’animalité explorée est
            très présente, c’est le moment de faire naître le texte à
            l’intérieur du sauvage.
            Le principe de narration fragmentée apparaît. Lors
            de ce cycle, le lien à l’autre, au regard extérieur,
            est progressivement intégré dans un rapport
            intergénérationnel. Tout d’abord avec la présence de
            collaborateurs artistiques, puis d’un public restreint invité
            à participer aux répétitions, et enfin d’une classe (niveau
            cycle d’orientation). Chaque groupe sera convié à des
            discussions post répétitions afin d’enrichir la démarche
            théâtrale engagée. Un face à face progressif, respectueux,
            qui alimente les visions et explore les chemins de l’intime
            vers l’acte de réalité qu’est la représentation.

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Tête à tête avec des bêtes sauvages - Thriller écologique Théâtre Pitoëff / Résidence 2020
Les quatre semaines de représentations publiques sont
l’aboutissement, la mise en lumière de l’état sauvage face
au texte. Comme nous le savons, le travail ne s’arrête
pas avec le public, il s’approfondit, s’équilibre, creuse ses
sillons. Expérience faite, il faut environ 10 représentations
pour qu’un spectacle accède à sa profondeur et à
l’exigence de sa recherche.

Le Théâtre Pitoëff est un lieu à inventer. Cela exige un
savoir-faire minimum d’accueil et de logistique. J’ai eu
l’occasion de me confronter à cette problématique à
plusieurs reprises lors de mes précédentes expériences
artistiques.
Mes spectacles de textes contemporains programmés
au Théâtre de la Grenade et à l’API, m’ont très vite mise
en jeu : il fallait tout aménager (accueil, caisse, bar,
affiches, flyers etc.). J’ai également été coordinatrice
artistique et logistique au Théâtre de l’Orangerie de 2007
à 2011, dont deux années avec la Tour Vagabonde. Autant
dire que le défi était de taille ! (accueil, buvette, toilettes,
autorisations, aménagement des espaces, roulottes,
gestion des passants, gestion de la météo, réservations,
etc.)
En outre, je suis depuis 2002 administratrice de
compagnies et productrice. Sans être la partie la plus
excitante de la résidence, l’aspect logistique du projet
n’est pas un obstacle infranchissable, loin de là.

Sur les quatre semaines de représentations nous
prévoyons de jouer du jeudi au dimanche et de proposer
une soirée spéciale Noël le 25 décembre avec spectacle
suivi d’agapes, de bulles et de musique.

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Intentions
             Dans l’ancien temps, les êtres humains observaient la
             nature, c’était une façon de se connecter à l’horloge
             vitale. Dans l’ancien temps, les gens se réunissaient pour
             parler des mystères de la vie. Dans l’ancien temps ...
             Aujourd’hui, tout va si vite que nous sommes plus proches
             des machines, des robots et de la technologie que de
             l’animal d’origine. Que se passerait-il si nous tentions
             un retour à la nature sauvage, non domestiquée, brute
             avec notre bagage en béton? ... Est-il encore possible
             de ressentir l’essence des choses alors que nous ne
             produisons que du bruit ?
             Quelque chose a été perdu dans le lien à l’évolution.
             Est-il permis de s’arrêter, pour penser, pour regarder et
             inventer un état sauvage créateur, un état sauvage du
             futur ?

             Opus Luna Cie
             J’ai fondé ma Cie en 2010.
             Elle rassemble des artistes qui aiment malaxer et
             triturer les textes, en affirmant un goût prononcé pour
             les adaptations de romans ou de films, mais aussi les
             écritures de plateau.
             Charnel, sensuel, sensoriel et féminin, mon travail aime
             les chemises mouillées, les mains moites, la chair de
             poule, et les menus tremblements. Il cherche à se glisser
             dans la faille pour mieux en saisir le relief, mais aussi y
             puiser la liqueur secrète qui irrigue nos profondeurs.
             D’abord attirée par les auteurs contemporains, je me
             confronte depuis 2015 à des grands auteurs tels que
             Shakespeare avec notamment Comme il vous plaira et
             Roméo et Juliette qui connurent de vifs succès au Théâtre
             du Grütli. Les reliefs vertigineux des Hauts de Hurlevent
             d’Emily Brontë, matériau rêvé pour les rêveurs, pour les
             lunaires, les allumés, les amoureux et les poètes, ont
             également été reçus avec enthousiasme par le public
             romand.
             En 2019, je tire de mon escarcelle un Hamlet Cirkus
             d’après Shakespeare, réinventé pour deux comédiens.
             Puis l’expérience classique ayant pleinement été vécue
             pour l’instant, je souhaite retourner à mes premiers
             amours : les textes contemporains.
             Ce que je propose avec Tête à tête avec des bêtes

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sauvages, c’est de créer un spectacle tendu, dérangeant,
insolite, loin d’une esthétique réaliste, composé de sauts
temporaires et d’étrangeté.
Une réflexion sur l’animalité et le désir de survie, la
responsabilité, la passivité, la faille.

Le texte semble prévisible, dans un petit univers connu,
« genre chalet », mais ce n’est pas le cas. Rien ne
ressemble à ça. Cette esthétique là n’a pas d’intérêt car
cela ne se passe comme prévu, tout ce qui est étrange
finit par prendre le dessus.
Nous irons donc dans l’étrange. C’est évidemment
cet axe-là qui m’intéresse et que je veux pousser au
maximum tant dans la forme que dans le fond.
Je veux à tout prix sortir du réalisme et créer un univers
totalement rêveur, brutal, animal, inquiétant. Cette
pièce est une sorte de thriller écolo, un genre encore
peu développé dans nos théâtres. Il y a donc un large
spectre pour inventer des formes, de la danse, des
transformations physiques, de l’image, des sons et partir
en quête de ce qui nous est inconnu… Nous allons dire
et danser l’état sauvage, raconter l’étrangeté.
Le texte est un prétexte aventureux, une occasion de
s’abandonner à l’inconnu. Mon intérêt pour l’animalité et
le sauvage s’est développé à partir de mes spectacles
précédents, issus de la brutalité en soi.
Je suis actuellement très bouleversée par la question
toujours plus urgente de la relation de l’homme à la
nature, à sa propre planète et à la vie qui jaillit autour et
en dehors de lui.
Il y a une nécessité d’aborder l’animal, le végétal, le
cosmique en art. Ouvrir notre esprit aux ressources
proposées par le sauvage, en reconnaître les forces. Pour
les comprendre, les sublimer, les sauvegarder.

Dans mon imagination théâtrale il y a de sombres
landes, peuplées d’ours et de loups, il y a des cris et
des murmures, il y a la forêt touffue, labyrinthique,
les oiseaux libres, et bien sûr l’humour, indispensable,
essentiel à toute approche tragique ou réflexive, toute
escapade, toute expérience, car l’humour est créateur,
porteur de vie, l’humour possède l’avenir.

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Distribution et Collaborateurs
La distribution est très créative. Ces trois comédiens sont
                                  ouverts, inventifs, vifs,
                                  rares, avec un imaginaire
                                  insolent et joueur. Ils ont
                                  un rapport très enfantin
                                  à la scène, ce sont des
                                  acteurs sales gosses.
                                  Leurs corps également
                                  sont intéressants, ils
                                  possèdent une approche
                                  physique personnelle. Et
                                  j’ai besoin de quelque
                                  chose qui soit singulier,
                                  fragile ou étonnant et
                                  surtout qu’il y ait un
                                  intérêt prononcé pour ce
                                  type de travail qui engage
                                  le corps.

                                  J’aime les gens très
                                  sensibles, les timides, les
inquiets, j’aime les gens qui doutent, qui ont de l’humour,
ne se prennent pas trop au sérieux, qui sont joueurs,
voir enfantins, qui aiment rire, explorer et ont l’esprit
d’équipe. Et tout cela est très présent.
De mon côté j’offre de l’attention aux personnalités,
un esprit de partage. Ayant passé mon enfance en
communauté, je gère bien l’esprit de groupe et le travail
collectif et j’ai besoin d’œuvrer dans une grande douceur.

Tant qu’il revisite l’essentiel, le théâtre détient le pouvoir
de ré-enchanter le monde, inlassablement, car il existe
depuis la nuit des temps.

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Synopsis
           Thriller théâtral
           Il s’agit d’une œuvre dérangeante, à la structure
           complexe qui explore la fiction interactive, grâce à
           un langage direct, des dialogues agiles, de nombreux
           tournants dramatiques, une structure intéressante dont
           la fragmentation trace un cercle vicieux qui ouvre à son
           tour d’infinies possibilités sur une fin ouverte.

           Trois amis passent le week-end à la campagne dans
           un luxueux gîte coupé du monde, pour oublier le
           stress de leur vie. Si leur séjour s’annonce sous les
           meilleurs auspices, l’ambiance joyeuse se dégrade
           rapidement, comme si la maison, personnage sourd
           aux manifestations énigmatiques, révélait l’égoïsme,
           l’irresponsabilité et la résignation de chacun. Elle devient
           la métaphore de la société qui offre le confort d’une vie
           sûre et aisée, à la condition d’ignorer ce qui se passe à
           l’extérieur. Mieux vaut ne pas regarder dehors car c’est
           là que se dissimulent ceux qui se révèlent dangereux et
           instables : les bêtes sauvages.
           À travers cette menace, la maison va mettre à l’épreuve
           et engloutir les certitudes morales et créer un climat de
           tension permanent qui amène Lucie, Nico et Thomas à
           explorer et dépasser leurs limites, leurs angoisses et la
           noirceur de leurs natures.
           Le choc des personnages, face à leur propre animalité,
           les enveloppe dans une atmosphère qui s’empare
           lentement de leur volonté, qui se déploie, épaisse,
           corrosive et propice à la férocité. Comme si la trace de
           ce qu’ils pensaient avoir laissé derrière eux se révélait
           subitement, camouflée dans la nature brutale et barbare
           d’une sauvagerie à laquelle ils ne peuvent pas échapper.
           Et lorsque la fissure apparaît et avec elle la manifestation
           de l’irrationnel, que seront-ils disposés à sacrifier pour
           ne pas s’exposer à l’extérieur, au monde des bêtes
           sauvages ?...

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Thématiques
              Bêtes sauvages

              Tous les êtres circulent les uns dans les autres, par
              conséquent toutes les espèces... Tout est un flux
              perpétuel... Tout animal est plus ou moins homme
              ; tout minéral est plus ou moins plante ; toute
              plante est plus ou moins animale. Il n’y a rien de
              précis dans la nature.
                                                     Diderot, Le Rêve d’Alembert

              Tête à tête avec des bêtes sauvages introduit, dès le titre
              de l’œuvre, la présence d’animaux sauvages. La nature
              ambiguë de ceux-ci se développe avec l’arrivée des
              protagonistes dans le gîte et l’évocation de la présence
              de bêtes tapies au-dehors. Plus la pièce avance, plus ce
              monde sauvage extérieur
              contamine         l’intérieur.
              Il irrite la sensation de
              vulnérabilité et augmente
              l’angoisse, il participe à la
              mise en tension de toutes
              les situations. Sourd,
              invisible, aux aguets,
              le monde sauvage se
              répand dans l’imaginaire
              de tous, sans frein et sans
              retenue, farouche, féroce,
              effrayant, transformant
              au gré de sa fantaisie les
              réalités de chacun.

              Rapidement Nico, Lucie
              et Thomas se retrouvent
              soumis à son influence
              et    leurs    actes    se
              transforment. La présence d’invisibles animaux laisse
              libre cours à toute la fantasmagorie possible autour du
              monde sauvage, tapis dans l’ombre. Et depuis toujours,
              l’homme tend à projeter son ombre sur le monde
              extérieur.

                                                                            10
L’ombre est une des définitions les plus archaïques
de l’âme, qui colle à la terre. Partie inférieure de
la personnalité, somme des éléments psychiques,
personnels et collectifs.
                                                                   C.J. Jung
L’ombre renferme les instincts les plus obscurs et les
plus terrifiants, mais cultive aussi une source vive de
créativité. Elle se projette volontiers sur les animaux qui
figurent la violence des pulsions et l’énergie mystérieuse
de la vie. Cette ombre projetée sur le monde animal
engendre souvent des sentiments contradictoires :
terreur et fascination, danger et force. Elle puise sa
source dans la nature et prolifère dans les labyrinthes
de la forêt.

J’aime beaucoup l’idée initiale de la forêt qui ramène à
un état primitif des êtres, une nature non défrichée, en
opposition à la civilisation. Un lieu d’étrangeté, dangereux
où l’on se perd, propice aux mauvaises rencontres. C’est
intrigant d’observer qu’elle est aussi l’espace du silence
verbal dans lequel se tient l’animal.

Mais quelle place l’homme accorde-t-il à l’animal dans
l’art, la religion, la culture, les relations sociales ? Quelles
espèces se voient investies de valeurs symboliques et
quels pouvoirs leur sont conférés ? Comment l’imaginaire
appréhende les espèces qui l’entourent et fait exister
des formes fantastiques ?

Car l’animal ainsi imaginé peut prendre des formes très
diverses : bête sauvage, être magique, hybride, monstre...
Très vite on lui accorde des pouvoirs surhumains ou
divins.
Alors l’animal devient symbole et c‘est ce à quoi on
assiste dans la pièce : entité vivante du monde extérieur,
elle peut être vue et prise comme modèle dans sa
morphologie, sa dynamique ou son comportement et
c’est exactement ce qui se passe pour Lucie, Nico et

                                                                      11
Thomas. Ici, l’animal-symbole est un animal sauvage,
primordial et archétype de l’homme, qui représente
la terreur devant le changement et devant la mort
dévorante.
Il suppose une approche sensorielle: son, odeur,
                         image, toucher. Il convoque
                         l’invisible, et l’inconnaissable,
                         deux formes qui ont toujours
                         passionné ma recherche
                         théâtrale.

                             Mais pour les protagonistes, il
                             s’agit aussi de lui ressembler,
                             d’acquérir ses capacités pour
                             pouvoir se libérer de certaines
                             contraintes humaines.
                             Je crois que certaines
                             caractéristiques de l’animal,
                             symbolisées, leur permettent
                             de projeter leurs pulsions
                             partielles. Cela leur donne un
                             moyen de défense contre les
                             excitations, provoquées par
                             la personnalité de chacun et
                             par la tension du contexte
                             d’isolement et d’inquiétude,
                             qui atteignent une intensité
                             dépassant      le    seuil   du
                             supportable.
                             Ils peuvent ainsi dévier les
                             responsabilités de violence
                             sur un animal sauvage
                             supposé, fantasme lié à la
                             dévoration, au fait d’être
                             mangé, d’avidité et de toute-
                             puissance.
                             Générant attirance et peur,
d’origine, plus énigmatique que l’homme, cet animal,
indéfini, se construit sans relâche. Et avec lui se tisse un
imaginaire irrationnel, débridé, qui à mon sens, contient
un énorme potentiel de théâtralité.

                                                               12
L’univers du fabuleux, avec ses animaux hybrides,
fantastiques, fantasmagorique exerce une attraction sur
mon inspiration qui ne demande qu’à s’épanouir. Étant
très peu intéressée par le monde réel ou le réalisme en
art, j’aspire à développer un spectacle peuplé de loups,
de tigres, d’ours, de hyènes, de centaures, de loups-
garous, de yétis et autres aliens, dessinant avec eux les
limites imaginaires de notre humanité.
Un espace de mystères, de sources bruts et pulsions
primales, de beauté, de drôlerie, d’étonnement.
Musique, sons, danse, expression sauvage des corps.

Etat sauvage
Au début du récit, la maison est un lieu de bien-être,
d’invulnérabilité réussie et de calme, mais très vite, avec
la présence de l’animal sauvage, on est confronté à la
fragilité humaine. Le prisme change, et l’on voit que Nico,
Lucie et Tomas se retrouvent seuls, dans cette maison
qu’ils ne connaissent pas, perdue dans les bois, isolée
du reste du monde, dans une forme d’enfermement de
temps et de lieu duquel personne ne pourra les tirer. À
aucun moment ils n’ont de nouvelles de l’extérieur et si
la situation dégénère, personne ne leur viendra en aide.
La nervosité se change en inquiétude lorsqu’ils
découvrent sur la fiche contenant les instructions du
gîte que des animaux dangereux rôdent parfois autour
de la maison.
Cet avertissement est déclencheur : l’extérieur, la forêt,
la nuit, le hors-scène, mais aussi l’imagination des trois
amis, sont habités par une menace invisible, réceptacle
de toutes les peurs. Cette menace les maintient reclus
à l’intérieur. La simple idée de sortir est complètement
paralysante. Impossible de s’extraire de la zone de
confort que représente la maison.
Leur situation d’isolement renforce le fait qu’ils se
retrouvent entre eux, mais aussi face à eux-mêmes.
Et cela les met en crise. Ce danger latent fait naître la
perspective de réactions extrêmes.
En ce sens, l’enfermement aveugle et la peur du
dehors peuvent être compris comme un refus de sortir
symboliquement de soi pour se mesurer à l’extérieur,
prendre des risques, mettre en danger son confort, sa

                                                              13
sécurité, pour se confronter au monde, et pour amorcer
                  un mouvement.

                  On est ici dans un univers imaginé, invisible. La menace
                  extérieure est d’autant plus nette qu’elle est informe
                  puisqu’aucun des personnages n’a aperçu concrètement
                  les fameux animaux. Leur présence angoissante pourrait
                  n’être qu’imaginaire, et un petit rien suffit à se précipiter
                  immédiatement du côté des bêtes sanguinaires, voire
                  des monstres.
                  Si la menace semble en premier lieu provenir du dehors,
                  peu à peu un focus opère et l’on s’immerge dans leur
                  intériorité. Il y a contagion entre les bêtes sauvages de la
                  forêt extérieure et les habitants de l’intérieur.
                  Dès lors, il est permis de s’interroger : les animaux
                  sauvages sont-ils ces bêtes invisibles ou bien s’agit-il
                  des personnages eux-mêmes ?
                  À ce moment de la pièce, dans la sensation de Thomas,

Thomas : On se croirait sous terre dans cet endroit. On dirait qu’au lieu
d’être montés par une route de montagne, on est descendus par les
parois d’un puits… J’ai la sensation d’être monté pour arriver au fond…

                  on glisse dans un autre monde, l’environnement se
                  modifie et le gîte apparaît sous une autre forme : les
                  profondeurs d’un puits. La noirceur de la nuit prédit la
                  découverte de l’obscur, des aspects les plus sombres de
                  leurs personnalités, prêtes à se livrer à tous les excès. La
                  tombée du jour, dont la rapidité les surprend, fait écho à
                  la vitesse à laquelle la situation s’aggrave.
                  On peut observer que l’instinctivité animale renferme
                  une très grande puissance énergétique parfois difficile à
                  maîtriser, et peut aboutir, dans des formes exacerbées
                  à un mouvement de destruction sauvage. Cette nature
                  sauvage, qui se révèle rapidement, transforme les
                  personnages en êtres insoumis, égoïstes et solitaires.
                  Progressive, la métamorphose s’effectue dans une
                  marche ascendante, avec un pic de violence à chaque
                  bifurcation.

                                                                                  14
Quelques exemples
                   Pendant leur séjour, Thomas et Nico développent des
                   envies de viande, comme si la nature les envoyait en
                   haut de la chaîne alimentaire, en tant que prédateurs
                   carnivores.

Nico : La campagne éveille en moi une faim carnivore, pas végétarienne
ni omnivore, non, carnivore. De la viande à peine cuite, saignante, dans
laquelle on plante ces incisives que l’évolution des espèces nous a mis en
bouche.

                   Lorsqu’ils écoutent de la musique, une rage irrépressible
                   s’empare d’eux, comme si la nature humaine était encline
                   à la fureur et à l’agressivité…

Les premières notes d’une musique violente avec des guitares électriques
assourdissantes se font entendre. Les bêtes sauvages qui entourent la
maison, inquiétées par le bruit, commencent à s’agiter.
Lucie : C’est quoi cette musique ? Ça me plaît, ça me rend violente. Ça
me rend enragée.
Thomas : moi aussi ça me rend enragé.
Et Thomas et Lucie se mettent à agir comme des bêtes enragées.

                   Nico prévient ses amis : sans livre, il ne peut se retenir de
                   devenir une bête sauvage ou même un monstre, comme
                   si sans le garde-fou de la littérature, des convenances
                   ou de la question économique, l’être humain glissait
                   vers l’animalité, et retournait à un état sauvage violent
                   et destructeur.

Nico : Sans mon livre, je peux devenir une vraie bête sauvage. Vous le
saurez. La littérature, l’art, voilà ce qui nous empêche de devenir des
bêtes qui se dévorent entre elles. Je suis pas responsable du fait que je
puisse devenir un monstre si j’ai pas la littérature que je pensais lire ce
week-end.

                                                                                   15
Et c’est au moment où ils comprennent que l’assurance
couvre tous les dommages causés dans la maison, qu’ils
ont envie de détruire la totalité du mobilier. Lorsque
cette dernière barrière économique cède, ils se laissent
aller à la sauvagerie et à la destruction.
D’une certaine manière, ils entrent en résonance avec
leurs propres démons, habités par une démesure qui les
dépasse, constitués d’un noyau obscur, archaïque, qui
squatte leur âme et les fait délirer.

L’animal est à la fois la victime et le prédateur
mais il ne vient personne, et je reste voué à moi
seul... c’est presque comme si c’était moi l’ennemi
et que j’épiais la bonne occasion pour entrer par
effraction. L’animal ne peut jamais être là où il se
trouve car son seul but est justement de ne pas y
être, dans le risque qu’il soit alors exposé à être
mortellement vulnérable.

                                                           Franz Kafka

                                                                16
L’intime, un animal sauvage ?

Les bêtes sauvages reflètent parfaitement
la psyché humaine qui englobe la puissance
de l’ombre et l’image divine. Mais la tâche
spécifiquement humaine consiste à descendre
dans l’inconscient, à ramener ses contenus à la
lumière. Si on ne passe pas par l’ombre, on ne peut
pas aller à la rencontre du soi. Symboliquement, si
on ne passe pas par l’animal en soi, on ne peut pas
accéder au trésor. Et plus l’animal est monstrueux,
plus le trésor est important.
                                                              C.G.Jung
Une autre idée m’intéresse particulièrement dans
cette exploration animal/humain : l’assurance de notre
appartenance à l’humain est plus fragile qu’on ne le croit.
Le surgissement de la bestialité évoque une pulsionnalité
non contrôlée et signe le franchissement de la barrière
qui garantit la différence humain/animal, abolissant la
séparation entre les espèces.
Mais à mon sens, l’animalité n’exclut pas l’appartenance
à l’humain, l’animalité est une composante de l’humain
Avec cette recherche, je m’intéresse au devenir-animal, et
pourquoi pas au devenir-végétal comme des modalités
de l’humain. Considéré ni comme une progression, ni
comme une régression, il s’agit d’entrer dans un monde
commun aux différentes espèces.
Sur scène, l’animalité permet d’explorer des mondes
alternatifs et expérimentaux, de repenser notre rapport
à la nature sauvage, afin de concevoir le monde comme
un lieu où habite une multiplicité de créatures vivantes.

Mais venons-en à la notion de crise, très présente dans
notre thriller théâtral.

                                                                17
Au fil de l’intrigue, les trois amis se considèrent exposés
à un danger de plus en plus envahissant qui exige d’eux
une vigilance soutenue. L’ennemi est partout, le qui-vive
ne doit jamais s’interrompre. Face au vent du danger, la
peur s’infiltre et avec elle la violence.

Ici la situation décrite fait évidemment écho aux
crises actuelles, sociales, culturelles, économiques et
politiques. Elle figure une expansion de la férocité et de
la barbarie de notre temps. Elle entretient une réflexion
                                chargée d’une certaine
                                violence qui plonge au
                                plus profond et au plus
                                superficiel des rapports
                                humains, de l’attraction
                                la plus directe aux peurs
                                les plus profondes. Elle
                                questionne la limite de
                                la cruauté et le désir
                                de survie que la société
                                cultive en nous.

                                Et pour survivre il faut
                                sortir de chez soi, sortir
                                de soi.

                            Sortir, c’est s’exposer à
                            l’étreinte salissante du
                            paysage, aux souillures
                            de sa danse païenne.
                            Sortir, c’est s’exposer
aux assauts d’une nature qui fouette les corps, et les
rappelle à leur animalité.

Dehors, c’est la sauvagerie, l’inconnu, l’expérience, la
défiance, les épreuves, les luttes et les confrontations,
les rencontres et l’amour des autres. Dehors c’est la vie.

                                                              18
Le secret pour moissonner l’existence la plus
féconde et la plus grande jouissance de la vie,
c’est de vivre dangereusement ! Construisez vos
villes près du Vésuve ! Envoyez vos vaisseaux dans
les mers inexplorées ! Vivez en guerres avec vos
semblables et avec vous-mêmes ! Soyez brigands
et conquérants, tant que vous ne pouvez pas être
dominateurs et possesseurs, vous qui cherchez
la connaissance ! Bientôt le temps passera où
vous vous satisferez de vivre cachés dans les
forêts comme des cerfs effarouchés ! Enfin la
connaissance finira par étendre la main vers ce qui
lui appartient de droit : – elle voudra dominer et
posséder, et vous le voudrez avec elle !

                                 Friedrich Nietzsche

                                             19
Fissure
La fissure, la faille menaçante lézardant le plafond du
salon dans lequel se déroule l’action, apparaît au milieu
de la pièce, sans aucun signe avant-coureur.
Seule Lucie la perçoit. Les deux hommes ne la remarquent
pas, malgré sa profondeur.
Cette fissure qui s’agrandit et qu’on esquive, froide,
malsaine, matérialise les peurs et les dégoûts des
personnages qui détournent la tête et dont elle paraît se
nourrir. Elle exerce une pression invisible sur les individus
qui refusent de la voir. Ils choisissent de croire que cela
n’existe pas, que cela ne les affecte pas, mais plus ils le
nient, plus cela lui donne de force.
Seule Lucie s’abîme dans sa contemplation et y projette
ses angoisses, et quand elle finit par être aspirée par
elle, Lucie disparaît de la maison. Ses compagnons ne
parviennent pas à la retrouver, aveugles, incapables
d’appréhender l’étrange brèche dans le plafond.
En ce sens, la faille représente quelque chose qui décline,
qui se détériore, comme si tout le froid de la montagne
la traversait, comme si les rats qui mangeaient leur
nourriture étaient entrés par là. Ce quelque chose qui
est sur le point de se casser, mais que nous ne voulons
pas voir, un premier symptôme qu’il faudrait examiner,
considérer, affronter.

C’est à ce moment qu’il se produit un événement que
je trouve hautement théâtral : grâce à la fissure, on sort
définitivement de la normalité et du réel pour passer
à l’inattendu et à l’étrange. Et ça… Cette question-là se
retrouve dans la quasi totalité de mes spectacles jusqu’à
aujourd’hui. Tout ce qui est de l’ordre de l’irrationnel, de
l’irréel, du fabuleux me passionne et m’habite en continu.
Je me penche et expérimente ses multiples facettes à
chaque opportunité car mon intérêt pour l’imaginaire
fantastique et la fantaisie est sans fin.
Ce projet me permet donc de proposer un voyage
théâtral à travers l’étrange qui révèle la nature humaine
dans ce qu’elle a d’imprévisible.
Ainsi, sur scène, avec émotion et suspense, jouant
des incertitudes, du désespoir, des terreurs, et des
provocations, usant des doutes et des contradictions,

                                                                20
de la cruauté naturellement humaine, la fissure pourra
répandre son champ de possibles, qui grandit à mesure
qu’on la nourrit.

Inquiétante étrangeté
J’aimerais maintenant aborder la notion d’inquiétante
étrangeté, qui est un outil riche en formes, pour quitter
le réalisme quotidien supposé de la pièce.

Les personnages ne savent pas plus que le spectateur
où se situe la vérité et où se situe le fantastique. En
décentrant le regard, on le conduit ailleurs, et cela ouvre
des possibilités nouvelles, par le jeu, de forces parfois
invisibles, modifiant l’homogénéité attendue du vivant.
Le vivant et l’inanimé échangent leur place, l’intime se
transforme en ombre déchirée. C’est cela l’inquiétante
étrangeté, d’autant plus menaçante qu’elle se loge dans
tout ce qui est proche et familier.
C’est par exemple une sensation que l’on peut ressentir
face à un objet du quotidien qui nous met mal à l’aise
sans que l’on sache vraiment pourquoi. C’est le doute
quant à la nature vivante ou non d’un objet, le croisement
entre la réalité et la fiction.
Pour faire comprendre le potentiel théâtral de l’inquiétante
étrangeté, il suffit de penser au cinéma fantastique.
Entre les objets qui prennent vie, la maison avec toute
la charge métaphorique qu’elle implique qui devient
poreuse voire vivante, les bruissements du quotidien
qui deviennent les signes d’une présence indicible, on
ne compte plus les scènes qui procurent ce sentiment
d’inquiétante étrangeté.

Quelques exemples:
•Retour involontaire au même point, automatisme de
répétition, répétition du même trajet où l’on se heurte
au même obstacle
•Réapparition obstinée du même signe qui s’impose
•Pressentiments, superstitions
•Doute qu’un être en apparence animé ne soit vivant et,
inversement, qu’un objet sans vie ne soit animé
•Sentiment de déjà vécu

                                                               21
Pour résumer, le principe est que l’intime surgit comme
un inconnu, autre absolu, au point d’en être effrayant.
Le familier se transforme en étranger. Mais ce que nous
appelons le familier, est-ce ce que nous connaissons le
mieux? L’intime, le quotidien, parce qu’ils sont proches
de nous, sont-ils pour autant connus de nous ? La vie
ordinaire ne contient-elle pas l’inconnu qui sommeille
en profondeur? Et si l’étrange n’était pas une exception?
La possibilité d’une autre réalité dont les codes nous
échappent complètement, nous rend vulnérables. Le
fantastique nous trouble et nous fait perdre nos certitudes
et nos repères. Je trouve cela excitant, fascinant, en
devenir, car ouvrant des portes sur l’inconnu, c’est un
élément très créateur scéniquement si l’on s’abandonne
aux labyrinthes de l’imaginaire.

Bifurcations & accélération
Tête à tête avec des bêtes sauvages propose donc une
expérimentation théâtrale sur l’intime, sur l’essence
de l’être humain avec une structure fissurée et des
histoires qui bifurquent, pour nous montrer différentes
perspectives et développements d’une idée centrale à
l’aide de scènes courtes, brutes et directes qui distillent
un humour sombre.
L’intérêt de cette structure sous forme de bifurcations
répétées, est qu’elle requiert une participation active
du spectateur, mentalement engagé, mentalement
ouvert, celui-ci est intimement mobilisé : il contribue à
la reconstruction de la pièce qui l’invite à s’interroger sur
les comportements et les questions traitées.
La structure de Tête à tête avec des bêtes sauvages
s’articule autour de six bifurcations.
Elles sont toutes composées de sauts temporaires qui
déplacent le public avec de nouvelles propositions,
lorsque qu’il s’agit de choisir quelle direction prendra
l’intrigue.
Cette partition induit une tension particulière : le rythme
est haché et ne cesse de s’accélérer, atteignant son
paroxysme dans les dernières bifurcations. Le début de
chaque nouvelle séquence laisse planer un doute quant
à ce qui se serait passé si la séquence précédente s’était
terminée différemment.

                                                                22
Ainsi les auteurs proposent constamment et de manière
effrénée une multiplicité de potentialités dramaturgiques.
Ces possibilités sont infinies, puisqu’elles peuvent être
assemblées de toutes les manières envisageables au
gré de l’imagination.
Cela permet de pousser à leur limite les émotions des
personnages, et donc d’étudier la violence de la crise
intérieure et subjective, et la frontière entre l’humain et
le bestial.
Durant toute la pièce, les personnages sont confrontés
à des situations extrêmes. La tension monte jusqu’à
un point de non-retour : la mort d’un personnage, la
                                rupture d’une amitié, la
                                destruction de l’espace
                                habité, une disparition, un
                                chantage sexuel etc. Face à
                                ce qui semble irréparable,
                                le spectateur assiste à une
                                rupture brusque qui donne
                                lieu à un retour en arrière,
                                puis une bifurcation qui
                                permet à la narration de
                                se poursuivre dans une
                                autre direction.

                                Par exemple : au début
                                de la pièce, Lucie tue Nico
                                et tente avec Thomas
                                de cacher le meurtre.
                                Noir. Retour en arrière,
                                au moment-clé, quand
Lucie visait Nico avec le fusil qu’elle croyait déchargé.
Mais cette fois la narration se poursuit dans une autre
direction. Il y a ainsi deux versions possibles, comme si
la pièce offrait une seconde chance aux personnages.
On peut comparer cette structure narrative avec certains
jeux vidéos où le système game over et retour au point
de sauvegarde permet au joueur de repasser le niveau
auquel il a échoué pour explorer une autre fin de l’histoire.
Les bifurcations se manifestent donc comme des
sauts, des flashbacks, des allers-retours narratifs qui
reviennent sur des situations violentes pour en proposer

                                                                23
un autre point de vue.
Chaque bifurcation a une conséquence sur la suite de
l’histoire. Mais il reste des traces, tant au niveau de
l’espace que dans les comportements des personnages.
Ainsi, toute action, même en partie effacée par un retour
en arrière, a des répercussions sur la narration et la fin
de la pièce.
Par exemple, après avoir écouté une musique violente,
Nico, Thomas et Lucie se déchaînent sur l’intérieur de
la maison, détruisant table, chaises, télévision etc.
Cependant, le mobilier et les équipements ne sont pas
remplacés à la suite de la bifurcation. Cette fois les trois
amis choisissent une musique calme, ils ne détruisent
rien, mais la maison garde les traces des dégâts
occasionnés. Elle est réorganisée pour qu’ils soient en
partie effacés, mais elle n’est pas réparée.
Il ne s’agit donc pas d’un pur retour en arrière, la pièce
ne fait pas table rase des événements.
Le spectateur peut ainsi prendre la mesure des traces
laissées au fil de l’intrigue.

L’enchaînement impétueux des six bifurcations finales,
entrecoupées de noirs, contribue à atteindre une tension
maximale, frôlant l’insoutenable.
Le climax final suit une série de bifurcations très
rapprochées en brusque accélération.
La fin reste très ouverte, perméable à plusieurs
interprétations ou propositions, les personnages sont
lâchés en pleine accélération, jetés dans l’espace des
possibilités. Il y a clairement une vision à inventer,
simplement pour convoquer la fissure, s’en emparer et
s’élancer dans l’inconnu.

J’aime beaucoup cette manière de concevoir une histoire,
qui crée de l’ouverture et remet systématiquement en
question toute décision ou tout événement majeur pour
le contredire. Tout est permis tout le temps. Il s’agit donc
bien d’être dans l’instant.
On est devant une pièce kaléidoscope, Il n’y a pas de
vrai ou de faux, rien n’est fixé, rien n’est immobile.
C’est un mouvement perpétuel, un fourmillement de
propositions à l’infini. Je trouve qu’il y a là une forte
vitalité, une santé d’esprit propre à l’observation et au
questionnement, qui échappe de façon très ludique à
toute forme d’autorité. Exactement comme le monde

                                                               24
sauvage dont il est question.
Formes
         Pluridisciplinarité
         Une approche pluridisciplinaire va nous permettre de
         quitter le réalisme, de traiter la fragmentation structurelle,
         l’étrangeté et l’animalité d’une façon poétique, avec
         humour. En utilisant des atmosphères, des images, un
         style de jeu proche de la danse, des sons particuliers,
         il y a là une rencontre des genres riche en possibilités.
         Le plus important étant de s’introduire dans un monde
         onirique et d’en déployer toutes les facettes.

         Univers sonore
         Bruits, battements, chuchotements.
         En interaction avec les trois comédiens, tel un partenaire
         invisible, le son crée du suspens, de la peur, des surprises,
         des sursauts, des souffles, des incitations, des rumeurs,
         des cris, des courses-poursuites, ramper, sauver sa vie,
         se métamorphoser, traquer, bondir, rugir, à deux pattes,
         à quatre, à poil ou plumes, nyctalope, joueur, farceur,
         terrifiant, féroce, enjôleur, sourcier, magicien, enchanteur.

         Un création sonore, en complicité avec mon
         compositeur, sonorisateur, inventeur de voix, d’échos de
         bruissements d’arbres et de vent: Graham Broomfield,
         qui m’accompagne avec une inventivité renouvelée, pour
         mettre en son, en notes, en voix et en atmosphère les
         paysages sonores de tous mes spectacles depuis Les
         Aventures de Nathalie Nicole Nicole de Marion Aubert
         en 2012.

                                                                          25
Musique secrète

Sourde, pulsations, rythme

Musique du dessous, de l’intérieur
Cassures, tapis sonores

Volutes, rumeur, fumées

Vents, courants d’air.
Respirations, battements

Musique secrète

                                     26
Théâtre-danse
L’investissement des corps des comédiens dans le
jeu et dans le texte théâtral, dans la musique et dans
la danse, est au coeur du spectacle vivant. Pour moi,
chaque nouveau projet est une approche qui se précise,
qui s’incarne dans le mouvement plus profondément.
Je l’aborde plus clairement, plus consciemment au fur
et à mesure de mes spectacles. Plus mon travail avance,
plus la question de la danse devient forte, mon but étant
d’inventer un langage de texte dansé appartenant à la
sensibilité d’un projet singulier.
Avec cette pièce, avec l’étrangeté et l’animalité, il y a de
quoi s’aventurer et éprouver le corps sur scène. Cela
m’inspire beaucoup. Dans Hamlet Cirkus et Roméo et
Juliette par exemple, mes derniers spectacles, toutes
les questions d’amour, de désir, de rivalités, de haines,
de meurtres étaient traitées physiquement.

À aucun moment il ne s’agit de devenir danseur,
mais d’être un acteur qui cherche le mouvement en
contrepoint avec la parole.
Faire danser le texte, l’histoire par des comédiens et
non par des danseurs, c’est-à-dire des personnes
qui n’ont pas la maîtrise complète de leur corps, me
touche davantage. Il ne s’agit surtout pas d’exprimer
un savoir faire, mais bien de partir à la découverte d’un
moyen d’expression qu’au départ nous maîtrisons peu.
Découvrir les potentialités des corps, sans formatage,
sans stylisation, mais brut, avec la maladresse et la
fragilité comme outils artistiques et humains.
Ainsi, l’acteur devient perméable, et ce qui m’intéresse
c’est qu’il sorte du réalisme, du mouvement vraisemblable,
pour chercher un corps poétique. Qu’il déclenche un
langage et fasse voir ses points de vertige. Qu’il fasse des
trouvailles, voyage hors des gestes fréquentés, se coupe
du monde ordinaire, pour utiliser son corps secret et le
rendre visible.
Pour chercher les points morts et les rebonds. Pour
articuler des gestes naissants. Pour s’inventer un corps
parlant en proie à ses histoires.

                                                               27
Je veux créer une expressivité de l’acteur qui n’est ni
réellement de la danse, ni du jeu expressionniste, ni
du jeu psychologique, mais un parcours de sensations
données qui inventent de l’émotion.

                            Voilà le défi de ma
                            trajectoire artistique et du
                            projet de Tête à tête avec
                            des bêtes sauvages.

                            Et la séduction peut opérer
                            si l’acteur se permet
                            d’éprouver les voies de
                            l’inconnu. Séduire ce n’est
                            pas seulement montrer ce
                            que l’autre aimerait voir,
                            c’est lui rappeler l’invisible,
                            le lui promettre, c’est
                            appeler son regard sur ce
                            qui ne se voit pas.
                            L’acteur est de ceux par
                            qui l’être se fait parlant. Il
                            allume les mots. Il connaît
                            la multiplicité des langues
                            et doit souvent changer
                            de langage. Et maintenant
                            il faut qu’il s’éveille à la
                            danse. Danse !

                                                              28
Les auteurs
              Une œuvre intermédiale,
              inscrite dans l’univers La Grieta.
              La Fissure, tête à tête avec des bêtes sauvages, primée
              « meilleure création théâtrale » en 2016 lors des IV Premios
              Lorca Teatro Andaluz, est un thriller théâtral coécrit en
              2015 par deux dramaturges andalous contemporains
              : Gracia Morales et Juan Alberto Salvatierra. Les deux
              auteurs avaient déjà eu l’occasion de s’associer, aussi
              bien dans l’écriture que dans la mise en scène et
              l’interprétation. La pièce a été mise en scène en 2015
              par Julio Fraga.

              Gracia Morales est née en 1973 à Motril, dans la province
              de Grenade. Elle est docteure en philologie hispanique
              et professeure de littérature hispano-américaine et de
              théâtre à l’université de Grenade. Elle donne également
              des cours de dramaturgie dans l’école de théâtre
              Escuela de teatro y doblaje Remiendo. Gracia Morales
              est cofondatrice et actrice de la compagnie grenadine
              Remiendo Teatro. Gracia Moeales a été primée plusieurs
              fois pour ses œuvres théâtrales créées dans plus de
              quinze pays différents et traduits en français, anglais,
              portugais, italien et roumain.

              Juan Alberto Salvatierra est un dramaturge et metteur en
              scène diplômé de la Escuela Superior de Arte Dramático
              de Málaga, au sein de laquelle il enseigne la littérature
              dramatique et le théâtre. Depuis 2006, il fait partie de
              la compagnie Remiendo Teatro en tant que dramaturge
              et metteur en scène, et il est également professeur à
              l’école de théâtre Escuela de teatro y doblaje Remiendo.
              Juan Alberto Salvatierra a mis en scène plusieurs pièces
              de Gracia Morales, et ses spectacles ont également été
              primés.

              De cette aventure à quatre mains naît une œuvre
              harmonieuse, dans laquelle se fondent les styles,
              thématiques et perspectives des deux auteurs.
              Mais si La Fissure, tête à tête avec des bêtes sauvages
              est écrite par Gracia Morales et Juan Salvatierra, elle fait
              néanmoins partie d’un univers bien plus vaste développé
              par les membres de la compagnie Remiendo : La Grieta.

                                                                             29
La Grieta est une websérie qui évoque la situation
économique et le contexte de crise actuel, avec une
dynamique de réaction, de dénonciation, voire de
protestation. Elle reçoit en 2014 le prix de la meilleure
production audiovisuelle en ligne de La Asociación de
Escritoras y Escritores Cinematográficos de Andalucía
(ASECAN), et celui de la meilleure websérie Suspense/
Thriller de l’Atlanta WebFest.

Suite à la production de la série, l’ensemble de l’équipe
a voulu développer un univers avec des productions qui
appartiennent à des média différents et qui interagissent
et s’influencent réciproquement. La websérie La Grieta,
la pièce de théâtre La Fissure, tête à tête avec des bêtes
sauvages et les vidéos promotionnelles développent des
relations intermédiales, dans la mesure où il s’agit d’un
même univers qui se répand dans des média différents.
La Fissure, tête à tête avec des bêtes sauvages a été
primée en 2016 pour récompenser précisément une
dramaturgie qui lui confère un caractère expérimental,
innovant, par la forme et le contenu, traitant des
réactions humaines dans un format inhabituel pour le
théâtre : le thriller.

                                                             30
Univers scénique
                   La maison est décrite comme un gîte luxueux qui se
                   désagrège au fur et à mesure que l’histoire avance.
                   Lucie, Nico et Thomas ont payé cher leur séjour. Ils
                   s’attendent donc à un environnement beau et confortable.
                   C’est en tout cas ce qui leur a été promis.
                   Je pense donc prendre comme point de départ un
                   intérieur plutôt tendance, genre maison de verre
                   transparente, dont on ne voit ni les murs ni le plafond,
                   comme une bulle de lumière hyper voyante dans un
                   contexte naturel. L’espace est délimité par un plancher
                   en bois laqué (genre tréteaux de luxe) sur lequel sont
                   disposés des meubles gonflables lumineux. Tout est
                   éclairé, ils sont visibles de partout puisque l’extérieur est
                   très obscur. Ils flottent comme une île, avec leur intérieur
                   lumineux branché, sur un océan de nuit bruissante,
                   peuplée d’ennemis.
                   Et la menace qui grandit est partout.

                   Vidéo
                   La vidéo crée l’espace naturel tout autour. Présente
                   du début à la fin, elle évolue en permanence, avec les
                   images d’une forêt qui s’épaissit, devient de plus en plus
                   folle, mouvante, elle se transforme en jungle démente,
                   accélère les événements climatiques, dévore l’espace,
                   dégénère, envahit tout, transforme le monde connu en
                   folie verte, dangereuse, puissante, incroyablement belle,
                   ensorcelante.

                   Il n’y aura pas :
                   de cheminée en pierre
                   de plaid à carreaux
                   de bûches entassées
                   de poutres
                   de fauteuil en velours côtelé
                   de nappe, de carnotzet, de table basse en bois
                   de canapé à moitié écroulé
                   de tableau au mur… puisqu’il n’y aura pas de murs…
                   Il n’y aura pas de tasses à thé, de vaisselle à fleurs, de
                   jeux de carte, de pichet de vin etc…

                   L’espace tel que je l’imagine va offrir aux spectateurs
                   une position particulière, une vision contemporaine et

                                                                                   31
poétique qui se propage en dehors du réel et installe un
monde extérieur inventé.
Au fur et à mesure de l’intrigue, la tension monte,
la rivalité intérieur/extérieur s’accélère, les univers
s’interpénètrent, crissent, se frottent entrent en conflit
et d’un coup tout se libère et jette les personnages dans
le vide ou ailleurs ?

                                                                 32
                                                 Graphisme et mise en page
                                                               Nicola Dotti
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