À la recherche du moteur électrique parfait
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Focus
Bilan et Perspectives
de la SIA
MAI 2022 # 877
Dossier
À la recherche du
moteur électrique parfait
Interview
Bertrand Raquet,
le monde académique
en mouvement
Pleins Feux
Electric Road System,
mythe ou réalité
Retour sur le Congrès “Hydrogen Injection and Combustion in Engines”
Retour sur la Conférence E-Fuels, Ammoniac liquide, Méthane, Méthanol...
INGÉNIEURS DE L’AUTOMOBILE # 848 30
Pleins Feux
Sommaire Recharger des véhicules
électriques en roulant :
promesses et réalités
41
Dossier
À la recherche du moteur
électrique parfait
20
L’Interview
Coupler sciences dures et sciences
humaines pour répondre aux enjeux clima-
tiques et sociaux de demain, et donner plus
de sens à la formation des ingénieurs
6 Focus 20 L’Interview
• Bilan et Perspectives de la SIA Bertrand Raquet, président du Groupe INSA
• Au Challenge UTAC Véhicule du Futur, les et directeur de l’INSA Toulouse
étudiants inventent les fonctions ADAS de
demain, avec le soutien des experts de la 26 L’actu en bref
SIA
• Lin et chanvre, de la terre à la pièce 30 Pleins feux
Recharger des véhicules électriques
14 Nouveaux talents en roulant : promesses et réalités
GeoLith exploite le lithium français et
garantit ainsi la souveraineté de notre 34 SIA Congrès / Conférences
filière automobile • E-fuels : propriétés et modes de production
de ces carburants du futur
Actualités des Communautés d’Experts
16 • Hydrogen Injection and Combustion in
de la SIA Engines
• Quel moteur thermique optimisé
dans un GMP hybride ? 41 Dossier
À la recherche du moteur électrique parfait
60 Le cahier des entreprises
Editeur : Société des Ingénieurs de l’Automobile • Immeuble “le Gabriel Voisin” - 79 rue Jean-Jacques Rousseau - 92158 Suresnes Cedex • T. : 01 41 44 93 70
F. : 01 41 44 93 79 • © Ingénieurs de l’Automobile 2015 • Directeur de la Publication : Frédéric Charon • Directeur de la rédaction et coordination : Hervé Gros
Rédacteurs : Bertrand Gay, Yvonnick Gazeau • Direction artistique et maquette : Eve Taberna • Secrétariat de rédaction : Pascale Richard • Conférence de
Rédaction : Hugues Boucher, Thierry Bourdon, Luc Bourgeois, Marie-Claude Buraux, Michel Faivre-Duboz, Jacques Graizon, Noureddine Guerrassi, Bertrand Largy, Emmanuel
Lescaut, Luc Marbach, Frédéric Martin • Crédits Photos : Alstom, Audi, Baidu, Continental, Cruise, DFRS, Eco-Technilin, EUROVIA, Yvonnick Gazeau, Geolith, Hervé Gros,
Hyundai Mobis, Groupe INSA, Koenigsegg, Michelin, MTC, Martin Pierrelée, Plastic Omnium, Renault, Schaeffler, Siemens, SkyDrive, UTAC, Volkswagen, Witricity, YASA• Editeur
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Tarif au numéro : 25 € TTC • Tarifs abonnement : France métropolitaine 130 € TTC – Europe 149 € - Hors Europe, DOM TOM : 160 €
6 Focus
Bilan et Perspectives de la SIA
L’Assemblée Générale ordinaire annuelle de la SIA s’est tenue le 20 avril dernier.
Ses membres ont validé les comptes et activités 2021, comme le budget 2022,
et nommé de nouveaux administrateurs. Nous sommes allés à la rencontre de
ses dirigeants pour évoquer le bilan des dernières années et les perspectives
de l’Association des Ingénieurs de l’Automobile.
Rencontre avec, de gauche à droite sur
la photo, Frédéric Charon, directeur
général de la SIA ; son président, Luc
Marbach ; et ses deux vice-présidents,
Frédéric Martin et Yves Arbeille.
Propos recueillis par Hervé Gros
Frédéric Charon
Quel bilan faites-vous de la SIA, ses activités et ses de conduite et l’électrification du véhicule. C’est aussi l’année
résultats, pour ce qui concerne l’année 2021 ? de formation partenariale avec le monde académique sur des
Le changement le plus visible de l’année est le retour progressif domaines nouveaux tels que le traitement de la donnée et l’in-
au présentiel, que ce soit pour l’interaction au sein des commu- telligence artificielle. La dynamique de notre activité formation
nautés d’experts comme pour les évènements que nous organi- nous a conforté dans le choix d’investir en temps et en éner-
sons. On pourrait donc parler d’un retour à la normale. gie sur la certification QUALIOPI. Son obtention nous positionne
Néanmoins, cette constatation réelle ferait abstraction des pro- désormais parmi les acteurs de référence de la filière.
fonds changements qui ont marqué le monde de l’automobile Finalement, nous aurons publié un document consacré à l’évo-
au cours de ces deux dernières années et qui conditionnent lution des compétences de la filière, le Livre Blanc, fruit du tra-
notre mode d’organisation. vail en commun de l’ensemble des Communautés d’Experts, et
Je citerai en priorité le nombre et la magnitude de ces change- déjà pris comme référence pour nourrir des études stratégiques
ments, et ce, tant en termes d’avancées technologiques que de engageant le futur de la filière.
contraintes règlementaires et d’usage auxquelles est soumise
l’automobile. En synthèse, trois mots marquent l’année 2021 de la SIA : flexi-
Les Communautés d’Experts doivent donc intégrer des évolu- bilité, pour accompagner efficacement l’évolution fondamen-
tions qui impactent leurs domaines à la fois en termes d’objet tale de notre industrie ; réactivité, pour s’adapter à un contexte
et de périmètre. politico-économique difficile et imprévisible ; redressement, car
Notre activité de formation reflète également ces évolutions : l’amélioration relative du contexte nous a permis de rétablir la
2021 marque le démarrage des formations sur l’automatisation santé financière de la SIA.
INGÉNIEURS DE L’AUTO # 877
Focus 7
Quelles sont vos perspectives pour ce nouvel exercice nancières mises sous contraintes par la situation internationale.
2022 bien entamé déjà, et quels sont les principaux Nous évoluons dorénavant dans un environnement incertain qui
événements et actions prévus ? sera, et de manière durable, notre nouvelle « normalité ».
Peut-on parler d’un retour à un rythme de croisière C’est à la fois une contrainte mais également une opportunité
comparable aux années pré-Covid ? unique de renforcer notre pertinence et notre valeur ajoutée
Grâce aux actions menées en 2021, l’année 2022 se présente pour la filière.
de manière positive pour la SIA.
Le redéploiement des évènements (Congrès, Journées d’étude, Quel est le message principal du DG de l’association
Conférences) visant à accompagner et anticiper l’évolution de aux adhérents de la SIA ?
notre industrie a été favorablement reçu par notre écosystème. Il est frappant de constater combien l’automobile est deve-
La tendance des inscriptions aux premiers congrès est très nue un enjeu politique, dans le sens noble du terme. Elle est
favorable et reflète le besoin de renouer des échanges entre en effet au centre des questions de mobilité, de souveraineté
acteurs de la filière. industrielle, d’emploi, de gestion territoriale, de gestion des res-
Nous ressentons positivement les effets du déploiement du sources et du réchauffement climatique.
plan stratégique lancé en 2021, avec une forte adhésion du Les décisions lourdes que ces choix impliquent nécessitent des
monde académique et une diversification du profil des entre- éléments factuels. Plus que jamais, des experts reconnus sont
prises membres. amenés à alimenter ces réflexions.
Nous multiplions les dispositifs visant à diffuser les travaux des Lieu unique de « supra territorialité technologique », la SIA a un
Communautés d’Experts en exploitant les nouveaux outils de rôle majeur à tenir en contribuant à nourrir ces réflexions straté-
communication mis au point pendant la traversée de la crise giques. Nos membres sont par conséquent les acteurs et béné-
du Covid. Cependant, nous restons très attentifs à l’évolution ficiaires privilégiés de ce bien commun.
du contexte car l’industrie automobile est sous une tension ex- Mon message sera donc une invitation : ensemble, aidons-nous
trême, tant au niveau des ressources humaines, fortement sol- à comprendre et à faire comprendre.
licitées par les actions de transformation, que des ressources fi-
Luc Marbach
Aux deux tiers de son mandat, quel bilan fait son avec une réduction de la surface de ses locaux, et l’utilisation,
président de la situation de la SIA et des évolutions en tant qu’association reconnue d’utilité publique, du mécénat
engagées ? de compétences.
Quand j’ai pris mon mandat en juillet 2020, le Covid avait dure- Ces efforts ont payé, et les comptes présentés à l’AG du 20 avril
ment impacté la SIA, empêchant les Congrès du 1er semestre, et montrent que le trou de 2020 a été plus que compensé en
nous pensions en avoir fini. Ce n’était que le début… 2022, et que le « point mort » est depuis deux ans largement
Heureusement, nous avions une situation saine - je remercie abaissé.
Jacques Graizon et Hervé Gros pour leur excellente gestion - J’insisterai également sur 3 points :
et, avec l’équipe désormais pilotée par Frédéric Charon, nous • Les travaux extraordinaires des Communautés d’Experts, un
avons pu profiter de cette crise pour accélérer les mutations de sujet sur lequel reviendra Frédéric Martin.
la SIA. • La relance de l’axe Formation et Compétences : depuis plus
En ce qui concerne les Congrès, qui représentaient jusqu’à 80% de deux ans de nouvelles formations ont été créées, comme
des recettes, la SIA a su innover et mettre en place un mode « La technologie du Véhicule Electrique » et « Fonctions de
distanciel, permettant des présentations et des tables rondes conduite du véhicule – des ADAS à la mobilité autonome », ou
avec des échanges, et également des stands virtuels, qui ont encore « Statictic Analysis For Industry ». Elles rencontrent un
rencontré un vrai succès. Tous les Congrès des 9 premiers mois vrai succès auprès des entreprises de la filière. De plus, la SIA
de 2021 ont eu lieu en distanciel. Ceux de la fin de l’année se a obtenu la certification QUALIOPI, indispensable pour être un
sont déroulés en présentiel. En 2022, nous avons adapté notre acteur de la Formation Continue. Par ailleurs, le Livre Blanc
calendrier en ne fixant délibérément aucun événement sur les des Compétences de la filière automobile, publié en septembre
premiers mois, mais des Congrès en mode présentiel à partir 2021, présente les compétences « rares et d’avenir » identifiées
de mai. par les experts des C.E. de la SIA. Il rencontre un très large suc-
Par ailleurs, il était essentiel de garantir notre pérennité finan- cès auprès des écoles comme des PME et ETI, dans sa version
cière. imprimée et, surtout, dans sa version numérique.
Le premier point tout à fait remarquable est que les entreprises • Enfin, le magazine Ingénieurs de l’Auto qui s’est encore amé-
aussi bien que les individuels sont restés en grande majorité lioré, avec une place plus importante donnée aux Communau-
adhérents en 2021, et 2022 s’annonce bien. Je les remercie tés d’Experts et aux Congrès, et des dossiers thématiques de
vraiment infiniment pour leur soutien sans faille. grande qualité sur les sujets de la transformation de l’industrie
En parallèle, la SIA a considérablement réduit ses frais fixes, automobile.
INGÉNIEURS DE L’AUTO # 877
8 Focus
À 5 ans de son centenaire, quels sont selon vous les mai, se tiendra le 5ème congrès « Regards Croisés sur les Mobi-
3 chantiers majeurs à entreprendre pour la SIA ? lités Autonomes » co-organisé avec l’URF, Routes de France et
Les chantiers du nouveau Conseil d’Administration l’UTP, exemple remarquable de ces croisements de filières. Je
en partie renouvelé à l’occasion de votre dernière AG pense aussi au rapprochement engagé avec l’aval, et au monde
annuelle. de la distribution et des services fortement impacté par la muta-
Le Conseil d’Administration de la SIA a été en partie renouvelé tion technologique de notre industrie.
à l’occasion de notre AG annuelle en avril. Je remercie pour son
engagement ces dernières années Medhi Ferhan de Plastic Enfin, l’élargissement au-delà du seul berceau de la région pari-
Omnium, auquel succède Alexandre Corjon. Je salue également sienne. L’exemple de l’Occitanie prouve, s’il en était besoin, l’in-
l’arrivée de Jean-François Salessy pour Renault. Je remercie térêt majeur de tisser des liens et d’organiser des évènements
enfin Jacques Graizon qui a été administrateur pendant 6 ans, en province. À l’international, nous renforçons les liens avec la
dont 4 ans en tant que président, et s’est engagé de façon FISITA (Fédération Internationale des Sociétés d’Ingénieurs),
remarquable pour faire grandir la SIA et lui assurer des bases Yves Arbeille y revient dans votre interview.
robustes.
Fin 2020, notre CA a défini un Plan Stratégique qui s’appuie sur Qu’attendez-vous à la fois des adhérents de la SIA et
5 axes : assurer sa pérennité financière ; maximiser la valeur aussi de l’écosystème de l’industrie de l’auto et de la
pour les membres ; renforcer les liens avec le monde acadé- mobilité en France ?
mique ; favoriser les synergies entre les domaines connexes L’industrie automobile est entrée dans un rythme de mutations,
et entre filières ; contribuer à la montée en compétences de la à la fois technologiques et sociétales, jamais vu par le passé.
filière. Chacun de ces axes, placé sous la responsabilité de 2 ou S’y ajoutent les évolutions règlementaires qui ne respectent pas
3 administrateurs, a donné lieu à un plan d’action à l’ordre du toujours la neutralité technique, et dont l’impact économique
jour de chaque CA. sur les véhicules affecte lourdement les ventes de véhicules
Tout d’abord, le resserrement et l’élargissement de nos liens neufs.
avec les partenaires académiques. 7 Écoles ou Instituts nous Il est important que la filière demeure unie et ose s’exprimer
ont rejoint récemment, portant à 26 le total des établissements d’une voix forte sur ces sujets.
d’enseignement ou de recherche. Ce mouvement sera pour- La SIA et ses experts vont continuer à contribuer à créer et dé-
suivi, avec l’objectif de renforcer les contacts directs avec les velopper des solutions technologiques durables et accessibles,
étudiants. mais également à former et transformer les compétences clefs,
Ensuite, la transversalité entre domaines techniques et entre au service de notre filière, désormais automobiles et mobilité,
secteurs. Les exemples sont légion : véhicule automatisé et en apportant la voix essentielle des scientifiques et ingénieurs
ADAS, véhicule connecté, cybersécurité, IA, Big Data, chaînes de l’automobile. Les adhérents à la SIA ont, eux aussi, un rôle à
de traction, VE et écosystème énergétique… jouer notamment en participant à nos congrès, à nos groupes
Toutes les C.E. ont identifié les sujets à la croisée des domaines de travail, par le relais de nos publications, et en portant, je le
pour avoir une approche qui, au delà du seul modèle de l’auto- redis, de l’expertise des ingénieurs.
mobile possédée, se tourne vers les services de mobilité. En
Frédéric Martin,
VP SIA délégué aux Communautés
d’Experts
technologies, méthodes et outils…
Comme déjà en 2021, ce point a été à nouveau l’un des sujets
La SIA a organisé son Forum annuel des C.E. Celles- mis en lumière lors de notre forum du 6 avril dernier.
ci, qui existent depuis 2018, on trouvé peu à peu leur
rythme de croisière. Quel bilan est fait par le VP délé- Quel est finalement l’apport de ces C.E., à la fois à la
gué aux C.E. de leur existence, leurs activités, leurs SIA en tant qu’association et aussi à l’industrie auto
travaux. et sa filière ?
Les C.E., telles que définies en 2018 en relais des « Sections Les travaux menés par les C.E., qui sont au cœur de la finalité de
Techniques », ont permis de couvrir l’ensemble du périmètre la société savante qu’est la SIA, permettent de faire grandir et
des questions posées par les mutations que nous vivons depuis partager la connaissance collective des ingénieurs de la filière,
quelques années, que l’on résume souvent par électrification/ dans une période d’extrême disruption de l’industrie automo-
connectivité/conduite automatisée et nouveaux usages. bile et de la mobilité en général. Certains travaux techniques ali-
Elles ont remarquablement traversé la difficile période de pan- mentent directement les réflexions de la filière à travers la PFA,
démie et les contraintes imposées à leur fonctionnement : la FIEV et d’autres organismes de notre industrie, par exemple
distanciel, charge de travail accrue pour leurs membres actifs sur les matériaux stratégiques et critiques, ou pour définir une
dans l’industrie. Les évènements (congrès, journées d’étude…) approche homogène au sein de la filière sur la validation et
ont été assurés avec succès, et leurs travaux ont avancé quasi l’homologation des systèmes de conduite automatisée (2 sujets
normalement avec les livrables prévus. abordés aussi lors du forum).
Nous constatons cependant un besoin croissant de transver- Par ailleurs, les C.E. ont eu un apport majeur à la filière concer-
salité entre les C.E., évident compte tenu à la fois de la nature nant la description des besoins en compétences « rares et
« systémique » de nombreux sujets d’actualité, et des activités d’avenir » à horizon 5-10 ans. Le « Livre Blanc » publié fin 2021
de nature différentes entre les C.E. : besoins et usages clients, est largement diffusé aux grands groupes, et majoritairement
INGÉNIEURS DE L’AUTO # 877
Focus 9
aux PME et ETI ainsi qu’au monde académique. Il est exploité comme aval, dans la recherche de la meilleure synergie et effi-
par la PFA lors de ses échanges avec les pouvoirs publics pour cacité collective possible.
accompagner les acteurs de la filière dans l’immense travail de Un même sujet, étudié sous différents angles, est susceptible
formations/reconversions nécessaire. d’être du domaine de plusieurs C.E. Nous allons donc réfléchir
à la meilleure façon d’organiser le travail entre elles, en imagi-
Qu’attendez-vous dans les prochaines semaines et nant par exemple de mettre en place des Groupes de Travail
mois avec les experts des C.E ? ad hoc regroupant des membres de 2 ou 3 C.E., à durée de
Nous avons constaté la mise en place de nombreuses bonnes vie définie sur un sujet bien défini. Pour exemple, le thème de
pratiques, au sein de telle ou telle C.E., dans la structuration et l’hydrogène entre les C.E. TCT, VE et Architectures Electroniques
l’animation de leurs travaux et livrables. Nous souhaitons homo- et Logicielles.
généiser et transversaliser ces bonnes pratiques qui sont de Enfin, il apparaît que nous avons besoin de mieux définir les
nature à faciliter leur travail, mais aussi à favoriser la transver- finalités et périmètres de certaines C.E. qui rencontrent des dif-
salité entre les C.E. évoquée plus haut. En outre, cela facilitera ficultés à avancer, en particulier lorsque le champ des échanges
aussi les échanges avec tous les organismes de la filière, amont possibles, au sens pré-compétitif, n’est pas facile à définir.
Yves Arbeille,
VP SIA délégué aux relations internationales
La SIA fêtera ses 100 ans dans 5 ans ; la FISITA, dont mentaux traités par la SIA : l’Automobile, sa technologie et son
elle a été la fondatrice, a fêté ses 70 ans en 2020. environnement économique, commercial et sociétal, avec une
Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est la FISITA et généralisation progressive initiée depuis quelques années vers
quelles sont ses actions ces dernières années et à la mobilité. Cependant, une saine émulation existe donc entre
venir ? les deux sociétés pour ce qui est de leur pertinence, leur l’origi-
Le siège de la FISITA (Fédération Internationale des Sociétés nalité et la force de leurs productions. Il faut d’ailleurs signaler
des Ingénieurs de l’Automobile) est à Londres, mais cette socié- que les décideurs et acteurs de la communication technique
té a été fondée en 1948 à Paris, sous l’impulsion de la SIA avec, sont quelquefois communs, et que l’émulation est souvent une
à l’origine, des statuts français. coopération. Globalement, on peut estimer que SIA et FISITA
Dès sa fondation, et son acronyme en témoigne, l’accent a été sont complémentaires, et la tendance actuelle est de renfor-
mis sur la promotion de la coopération internationale. L’organi- cer les synergies entre les deux sociétés. La SIA dispose d’un
sation bisannuelle du Word Automotive Congress est un point réseau de haut niveau très performant sur le territoire français,
fort de l’activité de la FISITA. Comme son Summit annuel dont et la FISITA bénéficie de connections internationales bien éta-
il faut rappeler qu’il se tiendra cet automne dans le cadre du blies permettant d’ouvrir les débats aux ingénieurs de l’étran-
Paris Automotive Week. Nadine Leclair, sa présidente française, ger. Alors, oui aux contacts approfondis et à la connexion SIA/
effectuera alors la dernière année de son mandat. FISITA ! Pour le plus grand profit de l’Automobile et de la Mobilité.
Dans le monde, cela représente plus de 190 000 ingénieurs de
l’automobile, appartenant, de près ou de loin, aux associations Quelle sont les actions déjà entreprises ou à entre-
nationales réparties dans 36 pays et qui sont, elles, membres prendre avec vos homologues à l’étranger ? Au profit
de la FISITA ou la SIA pour la France. de qui finalement ?
Le nombre des membres partenaires est supérieur à celui des Au sein de la FISITA, je fais partie du Society Committee dont
membres de la SIA, en partie par construction du fait du champ la préoccupation est de mettre en relation toutes les sociétés
d’action international revendiqué par la FISITA. De plus, elle est à l’international.
constituée des entreprises les plus influentes du monde entier, L’une de nos actions actuelles a été d’interroger toutes les so-
notamment des équipementiers, des équipementiers de rang 1, ciétés membres sur leurs points forts et leurs désirs de coopé-
des sociétés de semi-conducteurs, des fournisseurs d’énergie ration à ce sujet.
comme de matériaux et de produits chimiques, des éditeurs de En ce qui concerne la SIA, nous sommes très moteurs dans
logiciels, des assureurs, des sociétés d’infrastructure routière cette ouverture sur l’international, et nous souhaitons profiter
et aussi des établissements d’enseignement. des connections mondiales de la FISITA pour promouvoir la qua-
lité de nos productions. Par exemple, une initiative en cours de
Quel rôle peut jouer la SIA sur le plan international ? discussion est l’échange d’articles techniques de le magazine
La SIA et la FISITA sont-elles concurrentes ou complémen- Ingénieurs de l’Auto avec un équivalent de communications
taires ? La question est légitime. Il est vrai que l’activité et la scientifiques issues de la FISITA. Et d’autres travaux en commun
production de la FISITA se rapportent aux mêmes sujets fonda- sont en route !
INGÉNIEURS DE L’AUTO # 877
20 L’Interview
Coupler sciences dures et sciences humaines
pour répondre aux enjeux climatiques et
sociaux de demain, et donner plus de sens à la
formation des ingénieurs
Bertrand Raquet, président du Groupe INSA et directeur de l’INSA Toulouse,
évoque le caractère visionnaire des enseignements des écoles du groupe, le lien
indissociable qui unit industrie automobile et monde académique, et le futur des
nouvelles générations d’ingénieurs. Sa ligne directrice reste fidèle au modèle de
l’ingénieur humaniste défini par le fondateur, Gaston Berger. Il s’agissait de lier
les sciences dites « dures » et les sciences humaines et sociales pour former
des ingénieurs ouverts au monde et à ses besoins. Ce mode de formation permet
d’intégrer fort aisément les enjeux sociétaux, et tout particulièrement ceux liés
au climat et à l’énergie.
Comment définir la spécificité du Il a défini trois champs de rupture qui Il avait déjà la conviction que l’ingé-
Groupe INSA, son histoire ? nous animent toujours aujourd’hui. nieur doit incarner aussi une vision
Bertrand Raquet : Le Groupe INSA est Le premier d’entre eux entend démon- politique. Il s’agissait alors de « l’ingé-
le premier groupe d’écoles de forma- trer que l’on peut obtenir une forma- nieur responsable » ; aujourd’hui, nous
tion d’ingénieurs en France. Nous for- tion d’excellence sans avoir à passer parlons plutôt « d’ingénieur huma-
mons 10 % des ingénieurs en France, par les classes préparatoires. C’est niste » mêlant science et humanités.
à la fois les diplômés ou les ingé- pour cela que les INSA sont des écoles Finalement, l’ingénieur INSA doit être
nieurs en activité. Ce qui fait la force post-bac où l’on entre sur dossier pour le vecteur d’une forte responsabilité
du groupe, c’est tout d’abord ce que une formation, et où la spécialisation sociétale. Il a l’ambition de penser les
j’appellerai le « modèle de l’ingénieur se développe progressivement. Pour- développements scientifiques et tech-
INSA », et qui est tout à fait spécifique. quoi Gaston Berger avait-il ce principe nologiques au service d’un bien com-
Plus de soixante ans après la fonda- à l’esprit ? Il s’agissait de répondre, mun et d’une humanité. C’était l’em-
tion du premier INSA, il constitue tou- déjà à l’époque, au sujet de la mobilité preinte initiale du groupe dès le milieu
jours l’ADN de nos écoles, et s’appuie sociale, en s’affranchissant de méca- des années 50, et nous sommes tou-
sur la vision des pères fondateurs et nismes d’autocensure que pourraient jours sur cette ligne.
tout particulièrement de Gaston Ber- induire les classes préparatoires.
ger. Ce dernier était entrepreneur, Son second sujet vise la massifica- Hybridation entre sciences
philosophe et, dans la seconde partie tion, et c’est ce qui explique l’ambition dures/technologies et
de sa carrière, dans les années 50, il d’être ancré dans les territoires pour sciences humaines et sociales
a été directeur de l’enseignement su- avoir des écoles d’ingénieurs acces-
périeur en France. Il a été également sibles aux élèves issus des diversités
le père de la prospective et ce point sociales. Encore aujourd’hui, nous Comment cela se matérialise-t-il
n’est pas éloigné de nos pratiques. Il n’avons pas d’INSA à Paris. en pratique ?
lui incombait de massifier l’enseigne- Enfin, le troisième point vise à cou- B.R. : Cela se traduit par le fait que
ment supérieur, tout particulièrement pler fortement sciences/technologies près du quart de nos formations porte
l’enseignement scientifique, dans le et sciences humaines et sociales. À sur des sciences humaines et sociales,
contexte de la forte industrialisation son époque, Gaston Berger qualifiait de l’année 1 à l’année 5. Sur ce point,
que connaissait la France à l’époque. l’ingénieur de « philosophe en action ». nous sommes vraiment en rupture par
La vision prospective qui l’animait, l’a Nous voyons bien son empreinte, celle rapport à l’ensemble des écoles d’in-
amené à proposer un modèle en rup- d’un entrepreneur qui avait poussé génieurs, même si le mouvement des
ture par rapport à l’existant. très loin ses études de philosophie. « soft skills » y prend de l’ampleur, ce
INGÉNIEURS DE L’AUTO # 877
L’Interview 21
qui me semble très positif.
Nous sommes extrêmement attachés
à cette hybridation entre sciences
dures, technologies et sciences hu-
maines et sociales. Cela nous permet
de travailler l’éthique, l’interculturalité,
l’esprit critique, l’ouverture au monde,
la connaissance des organisations, et
tout simplement la façon dont un ingé-
nieur doit s’emparer des enjeux socié-
taux. Et cela, sans rien lâcher de l’ex-
pertise en sciences et technologies.
Nous pensons que nous maîtrisons
l’ensemble de ces domaines. Tout
d’abord car l’empreinte recherche est
très forte chez nous. Les premiers
INSA étaient en quelque sorte des
spin-offs du monde universitaire. De
plus, et c’est majeur, nous n’avons pas
de département de formation si un Bertrand Raquet
laboratoire de recherche n’y est pas Bertrand Raquet est directeur de l'INSA Toulouse depuis le 1er janvier 2015. Il est
directement couplé. également le président du groupe INSA depuis le 1er septembre 2019 et membre
Ensuite, nous sommes vraiment dans du Board d’ECIU University depuis juin 2020. Durant son mandat de directeur, il est
la co-construction avec nos parte- également administrateur de diverses écoles, organismes de formation et struc-
naires de l’industrie. Donc, les ingé- tures associatives, opérant pour le compte de l’enseignement supérieur et de la
nieurs qui sortent de nos INSA, sont recherche (citons l’Ecole Nationale Supérieure d’architecture de Toulouse, le CFA
des ingénieurs de terrain qui disposent MidiSup, le réseau national d’écoles d’ingénieur « n+i »…). Depuis 2013, il était direc-
de diplômes de spécialités, et qui ont teur de la valorisation et de la recherche au sein de l'INSA Toulouse et chercheur au
la caractéristique d’avoir été formés Laboratoire national des champs magnétiques intenses.
sur du temps long. Titulaire d’un diplôme d’ingénieur en 1992 et d’un doctorat de physique du solide
Nous avons cinq ans pour former un en 1996, Bertrand Raquet fait ensuite un séjour postdoctoral au Martech Labora-
ingénieur et non trois comme la plu- tory, à Tallahassee (États-Unis). En 2005, il obtient son habilitation à diriger des
part des grandes écoles. Ce temps recherches à l'université de Toulouse 3–Paul-Sabatier.
long permet d’apporter, dès la pre- Bertrand Raquet débute sa carrière à l’INSA Toulouse en 1998, comme maître de
conférences, puis devient professeur des universités en 2007. De 2006 à 2012, il
mière année, une approche métier, et
est directeur du département génie physique de l'école. Il prend part à plusieurs
de susciter l’intérêt en présentant les
programmes de recherche, Labex, Next ou ANR MoS2ValleyControl, pour les plus
secteurs industriels tout en étant vigi-
récents.
lants et attentifs sur les sciences fon-
Spécialiste en physique expérimentale sous champs magnétiques intenses et en
damentales. D’ailleurs, celles-ci sont propriétés électroniques des nano-objets pour la micro-électronique, Bertrand
également présentes en troisième an- Raquet participe à de nombreux ouvrages, publications et conférences scientifiques.
née, et les enseignements de spéciali-
tés sont renforcés progressivement le
long du cursus, pour être dominants
les années 4 et 5. Ce continuum est
un peu spécifique aux INSA. Cette Ce modèle INSA était pionnier à la fin Une convention de
durée de la formation, qui constitue des années 50 et nous avons gardé à collaboration avec The Shift
un intérêt pédagogique majeur, nous la fois le fonctionnement, l’esprit et la Projet permettant de définir
permet d’avoir plus de temps pour l’hy- démarche prospective. un nouveau référentiel de
bridation entre les sciences et le volet Régulièrement, nous mobilisons les compétences liées aux enjeux
humain et social. parties prenantes, partenaires indus-
triels et partenaires de recherche et
climat et énergies
En résumé, la force de frappe du nos communautés, pour éclairer l’ave-
modèle INSA c’est d’être attentif à nir. Ainsi, tout récemment, nous avons Peut-on dire que le groupe était
l’excellence académique tout en étant mené un travail d’anticipation dénom- en avance sur les demandes de
intrinsèquement ouvert aux diversi- mé « INSA 2040 ». Il s’agit de définir l’industrie, et qu’il l’est toujours
tés, qu’il s’agisse de parcours, de pro- les facteurs clés de changement, les aujourd’hui ?
fils, de talents. Cela crée un véritable leviers de transformation, et de définir B.R. : Je pense que l’ingénierie
melting-pot sur nos campus, qui nous ensuite les stratégies de chaque INSA pédagogique que l’on développe
permet de mettre sur le marché des et du groupe. La boucle est bouclée, de manière historique a positionné
ingénieurs désireux de s’investir dans car nous avons utilisé la méthodologie idéalement les INSA pour répondre
une démarche collective lorsque cela prospective définie il y a soixante ans aux besoins actuels des entreprises.
est pertinent. par Gaston Berger. Nous constatons que d’autres écoles
INGÉNIEURS DE L’AUTO # 877
22 L’Interview
évoluent vers ce modèle de l’hybrida- niveau du groupe INSA, le référen- est de former de nouveaux diplômés
tion des enseignements en y ajoutant tiel de compétences associées à ce capables de poser un regard critique
le volet humain. Que signifie, au 21e sujet climat-énergie va entrer dans la dans un ensemble complexe. Les ingé-
siècle, la notion d’ingénieur humaniste soixantaine de nos diplômes. Ensuite, nieurs que nous formons doivent être
développée par Gaston Berger ? Cette nous déclinons ce sujet dans nos porteurs de solutions par la science
question est actuellement ouverte et différents modules de formation au et par la technologie. Le Groupe INSA
les réponses que nous apporterons cours de l’ensemble de nos années de continuera à fournir à l’industrie des
viendront nourrir les futures formations formation. Que ce soit un diplôme de experts dans de nombreux domaines
d’ingénieurs. génie mécanique, de génie physique techniques, dotés en plus d’une
À titre d’exemple, cela fait un an et demi ou de biotechnologies, il s’agit d’accul- grande épaisseur culturelle et d’une
que nous avons bâti un partenariat turer à la notion d’anthropocène et à capacité de prise en compte d’enjeux
entre le Groupe INSA et The Shift Pro- la biodiversité, de donner des outils qui peuvent apparaître contradictoires.
ject, présidé par Jean-Marc Jancovici. permettant de construire un bilan L’ingénierie hybridée par cette sensibi-
Nous avons mis en place une conven- carbone et une analyse de cycle de lité sur les usages et la complexité du
tion de collaboration afin d’associer les vie. Et cela doit s’appliquer à tous les monde est notre vecteur de motiva-
expertises INSA et celles du Shift Pro- domaines de spécialité. Ainsi, lors de tion dans le travail d’évolution de nos
jet dans le but de définir un nouveau la formation d’un physicien, un cours écoles.
référentiel de compétences liées aux de magnétisme évoquera la probléma-
enjeux climat et énergies. Nous réali- tique de l’extraction des terres rares. Estimez-vous devancer les
sons cela en mode ouvert afin que ce Il s’agit de conscientiser nos élèves besoins des entreprises, ou
référentiel puisse être accessible à ingénieurs aux enjeux climat-énergie, marchez-vous à la même allure
d’autres écoles d’ingénieurs et vienne pour qu’ils puissent porter ce regard à qu’elles ?
nourrir le cahier des charges de la 360 degrés lors de leur arrivée dans B.R. : Cette question appelle plusieurs
Commission des Titres d’Ingénieurs. vos entreprises. éléments de réponse. Lorsque nous
Cela fait 18 mois que nous travaillons Mais ce n’est pas simple. Nous savons décidons de revoir totalement nos for-
à redéfinir les compétences - transver- bien que l’entreprise évolue dans un mations en adressant un référentiel
sales ou de spécialités - de l’ingénieur, monde de contraintes économiques, de compétences sur les enjeux climat-
pour que celui-ci porte davantage et nous savons que les transitions énergie, nous ne lâchons rien sur le
ces compétences climat énergie. Au sont compliquées. Mais notre rôle scientifique et le technologique. Pour
cela, il faut démarrer très vite, et pour
partie, nous sommes en avance de
phase.
Ensuite, la réponse aux besoins de
l’industrie s’appuie sur la définition
LE GROUPE INSA EN BREF des nouveaux modules de forma-
Créé en 1957 à l’initiative de Gaston Berger et de Jean
tions élaborés avec nos partenaires
du monde de la recherche. Chaque
Capelle, le Groupe INSA est le premier réseau d’écoles
année, nous mettons en place de nou-
d’ingénieurs de France et compte 7 établissements en
veaux modules pilotés par des ensei-
France : Centre Val de Loire, Hauts-de-France, Lyon (premier institut à
gnants-chercheurs qui peuvent appor-
voir le jour), Rennes, Rouen Normandie, Strasbourg, Toulouse et 1 établis-
ter des connaissances à fort niveau
sement au Maroc : l’INSA Euro-Méditerranée à Fès. technologique.
De plus, le groupe INSA peut s’appuyer sur six écoles partenaires : ENSC-
Poser un regard critique
Mu à Mulhouse, ENSIL-ENSCI à Limoges, ENSISA à Mulhouse, ESITech à
Rouen, ISIS à Castres, Sup’EnR-UPVD à Perpignan.
dans un ensemble complexe
De plus, grâce notamment à la Com-
En chiffres, le groupe INSA c’est : mission des Titres d’Ingénieur, nous
300 partenaires universitaires dans le monde devons avoir un regard extrêmement
60 laboratoires de recherche aiguisé sur l’insertion professionnelle.
1 698 enseignants-chercheurs Chaque année, nous avons un retour
1 354 doctorants d’expérience. Et les industriels y par-
22 179 étudiants (30% de boursiers, 34,7% de filles, 18% d’étudiants inter- ticipent fortement par leur présence
nationaux primo-entrants en première année ,117 nationalités différentes) au sein de nos conseils de perfection-
3 334 ingénieurs diplômés chaque année, auxquels s’ajoutent 57 archi- nement. Le conseil d’administration
tectes, 23 paysagistes et 292 docteurs. de chaque INSA est présidé par un
capitaine d’industrie, c’est pour nous
Les écoles du Groupe propose 80 spécialités, dont certaines ouvertes à extrêmement important. Et, comme
l’apprentissage. le préconise la Cti, au moins un tiers
Diplômes en sortie : diplôme d’ingénieur, de paysagiste, d’architecte, de
des intervenants des années 4 et 5
sont extérieurs à l’établissement et
doctorat, de master et de mastère spécialisé.
principalement issus des entreprises.
Ils apportent la connaissance des
INGÉNIEURS DE L’AUTO # 877
L’Interview 23
que tous les enseignants, chez nous
et dans toutes les écoles d’ingénieurs,
devraient consulter.
Des arènes de partenariat au
profit de « challenge based
learning » et « challenge
based research »
Avez-vous identifié, par vous-
même ou par vos liens avec le
monde de la recherche ou de
l’industrie, de nouveaux modes
d’enseignement ?
B.R. : Nous sommes très impliqués
sur ces sujets d’ouverture et d’évolu-
tion de nos fonctionnements. Nous
sommes extrêmement attentifs à la
diversité des apprenants, et celle-ci
impose des pédagogies plurielles qui
doivent nécessairement être adaptées
dernières technologies utilisées dans spatial ou de l’automobile. à ces étudiants qui ont des parcours
l’industrie et qui ne sont pas forcément À l’INSA Toulouse par exemple, nous et des aptitudes très différentes. C’est
identifiées par nos universitaires. Cela avons une thématique importante aussi pour cela que les INSA accordent
montre que nous avons besoin d’être autour des systèmes embarqués cri- une grande attention aux différentes
irrigués et cela se matérialise par des tiques. Celle-ci est alimentée par une approches pédagogiques afin de nour-
modules entiers portés par les indus- Chaire Industrielle ainsi que par des rir la réussite d’une large diversité
triels. C’est absolument fondamen- collaborations avec Actia et Renault d’élèves.
tal. Nous vivons ce croisement avec Software Labs qui font travailler nos Cela permet aussi de nous projeter vers
des connaissances apportées par la étudiants sur des domaines très de nouvelles méthodes : nous sommes
recherche et d’autres apportées par concrets de l’automobile. passés par des pédagogies actives,
des ingénieurs de terrain qui viennent De plus, les travaux que nous menons des classes inversées, des approches
compléter le langage et l’expertise glo- avec la SIA sont encore en cours de déductives ou inductives en fonction
bale de nos élèves ingénieurs. montée en puissance. Mon rôle est de du public. Evidemment, nous utilisons
faire en sorte que nos équipes pédago- beaucoup de numérique en mettant
Quelles sont les relations que giques soient proches de vos 14 Com- à disposition de nouvelles briques de
les INSA entretiennent avec munautés d’Experts afin que celles-ci formation sur étagère. Cela permet de
les entreprises de la filière nous éclairent sur l’évolution des be- toucher de nouveaux publics, parfois
automobile et comment cela se soins de votre ingénierie, à l’image de éloignés du campus, ainsi de faire de
traduit-il ? votre Livre Blanc sur les compétences la remise à niveau. Ainsi, il est pos-
B.R. : Chaque INSA a sa propre his-
toire avec le tissu industriel de son
territoire. L’INSA Hauts-de-France à
Valenciennes est proche des princi-
paux constructeurs et équipementiers
automobiles. En région Occitanie,
autour de Toulouse, les entreprises
du secteur des nouvelles mobilités se
développent et s’ajoutent à celles de la
filière aéronautique. Ainsi, les champs
des systèmes embarqués ou de l’ingé-
nierie logicielle sont de plus en plus
captés par ce nouveau tissu industriel.
Plus globalement, l’enjeu, pour les
INSA, est de former des ingénieurs de
terrain avec des spécialités fortes, tout
en évitant de les cantonner à un seul
secteur d’application. Nous serions,
par exemple, très embêtés d’avoir une
part importante de nos promotions
absorbée par un seul secteur, qu’il
s’agisse de la micro-électronique, du
INGÉNIEURS DE L’AUTO # 87724 L’Interview
sible d’acquérir des notions de base
à distance ce qui, par la suite, accroît
la qualité des moments passés avec
l’enseignant. Nous sommes vraiment
sur une hybridation des pratiques.
Actuellement, nous faisons en sorte
que l’élève ingénieur vive de plus en
plus de temps d’apprentissage dans
un contexte interdisciplinaire. Nous
souhaitons mettre cela en place en
développant de nouvelles relations
avec le monde de l’entreprise. Nous
réunissons entreprises partenaires,
collectivités locales, citoyens, ONG
et universitaires, autour d’une thé-
matique, pour réfléchir sous la forme
d’arène de partenariat. Cela nous
amène à définir un certain nombre
de challenges, généralement portés
par le monde de l’industrie, mais qui
intègrent les usages. Ces challenges
deviennent ensuite une nouvelle pra-
tique pédagogique où la maquette de
formation n’est pas écrite a priori. Les À titre d’exemple, nous avons déve- l’alliance européenne ECIU University,
sujets de ce « challenge based lear- loppé une première arène en octobre consortium Européen d’Universités
ning » sont traités de manière interdis- dernier autour de l’économie circu- Innovantes qui placent l’innovation et
ciplinaire car plusieurs spécialités de laire. Nous avons pu y faire travailler le changement pour la société au cœur
diplômes sont concernées. Au fil de une équipe pluridisciplinaire d’étu- de sa mission.
l’avancée du projet, d’une durée qui diants autour de la réutilisation de Au-delà de l’adaptation aux nouvelles
peut atteindre un semestre, l’étudiant matériaux issus de la déconstruction technologies et sciences, l’enjeu ma-
découvre de nouveaux champs de de bâtiments. jeur de la formation réside dans l’hybri-
connaissances tout en étant acteur de Nous avons aussi défini des challenges dation avec les sciences humaines et
sa formation. Le livrable final, éclairé dans le domaine du biogaz et de la sociales. Il faudra tenir de plus en plus
par les approches un peu différentes méthanisation à partir de déchets compte de l’humain, des nouvelles pra-
des élèves, est destiné au partenaire agricoles intégrant des approches très tiques et usages. Comment pouvons-
industriel. locales liées au territoire de déploie- nous avoir davantage d’ingénieurs
Ce principe de challenge se met éga- ment. Et GRDF nous accompagne sur éclairés, capables de comprendre de
lement en place dans le monde la re- ce sujet. nouveaux modèles tels que l’écono-
cherche. Il s’agit alors d’un « challenge Ces « challenges based learning » et mie de la fonctionnalité ? Comment
based research » où une probléma- « challenges based research » consti- ces ingénieurs peuvent-ils aiguillonner
tique est définie en mode ouvert, croi- tuent un dispositif que nous déployons de l’intérieur la direction de leur entre-
sant les regards de chercheurs, d’in- actuellement au sein du Groupe INSA, prise pour impulser les changements ?
dustriels, de collectivités et du citoyen. dans le cadre de notre participation à Voici les enjeux que nous percevons.
Comment les étudiants
réagissent-ils à tous ces enjeux
et à leur propre formation et
avenir ?
B.R. : L’étudiant est pluriel. Certains
d’entre eux désirent intégrer des
grands groupes sans se poser trop de
questions, et ils feront de belles car-
rières en répondant aux besoins de
l’industrie. D’autres questionnent plus
intensément leurs études et s’inter-
rogent sur le pourquoi de leur forma-
tion, ce qui nous amène à réfléchir. La
quête de sens les anime de plus en
plus. Ils ne vont pas être consomma-
teurs de sciences et de technologies
sans contexte, tout particulièrement
dans les domaines du climat et de
l’énergie.
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