Theatre Mariel O'Neill-Karch University of Toronto Quarterly, Volume 74, Number 1, Winter 2004/2005, pp. 63-73 (Article) Published by University ...

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Theatre
   Mariel O'Neill-Karch

   University of Toronto Quarterly, Volume 74, Number 1, Winter 2004/2005,
   pp. 63-73 (Article)

   Published by University of Toronto Press
   DOI: https://doi.org/10.1353/utq.2005.0172

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théâtre 63

Miron, Gaston, Poèmes épars, Montréal, l’Hexagone, 133 p.
Morin, Danielle, CANTE JONDO. Un chant profond, de vous à moi, Ottawa, Éditions
   David, 81 p.
Pagé, Lucy, Marcher sur tes os, Laval, Éditions Trois, 81 p.
Peyrouse, Anne, L’amour de toi. Anthologie, Québec, Le Loup de Gouttière, 151 p.
   Plourde, Danny, Vers quelque (sommes nombreux à être seul), Montréal, l’Hexa-
   gone, 95 p.
Pont, Jaume, Vol de cendres. Traduit du catalan par François-Michel Durazzo,
   Montréal, Éditions du Noroît, 117 p.
Poirier, Martin, Les matins carnivores, Montréal, Triptyque, 77 p.
Pourbaix, Joël, Labyrinthe 5, Montréal, Éditions du Noroît, 150 p.
Pozier, Bernard, Naître et vivre et mourir, Trois-Rivières, Écrits des Forges, Pantin
   (France), Le Temps des Cerises, Echternach (Luxembourg), Éditions PHI, 79 p.
Régimbald, Diane, Pierres de passage, Montréal, Éditions du Noroît, 67 p.
Richard, Nicole, La leçon du silence, Montréal, Éditions du Noroît, 83 p.
Ross, Diane-Ischa, Ces yeux mis pour des chaînes, Montréal, Triptyque, 70 p.
Roy, André, Professeur de poésie, Montréal, Les Herbes rouges, 74 p.
Roy, Françoise, Le voile premier. El velo uno, Trois-Rivières, Écrits des Forges, Jalisco
   (Mexique), Mantis Editores, 151 p.
Roy, Marcelle, Pattes d’oie, Montréal, Éditions du Noroît, 78 p.
Segovia, Francisco, Peuplier blanc. Alamo Blanco. Traduction de Denys Bélanger,
   Trois-Rivières, Écrits des Forges, Ciudad Universitaria (Mexico), Universidad
   Nacional Autonoma de Mexico, 135 p.
Sharang, Hossein, Montagnes fugitives. Traduit du persan par Bahman Sadighi et
   Gilles Cyr, Montréal, Éditions du Noroît, 101 p.
Soucy, Pierre-Yves, L’écart traversé, Montréal, l’Hexagone, 161 p.
Soudeyns, Maurice, Visuel en 20 tableaux, Montréal, Triptyque, 91 p.
Stephens, Nathalie, Je Nathanaël, Montréal, l’Hexagone, 95 p.
Thibault, Louis-Jean, Géographie des lointains, Montréal, Éditions du Noroît, 80 p.
Turcotte, Élise, La terre est ici, Montréal, Éditions du Noroît, 109 p.
Vaillancourt, Marc, Les loisirs de Palamède, Montréal, Triptyque, 105 p.
Vasseur, Annie Molin, Ce pourrait être le récit d’un été, Montréal, Les Heures Bleues,
   123 p.
Warren, Louise, Soleil comme un oracle, Montréal, l’Hexagone, 79 p.

Théâtre
MARIEL O’NEILL-KARCH

Dans Théâtres québécois et canadiens-français au XXe siècle : trajectoires et ter-
ritoires (Presses de l’Université du Québec), le dernier venu des volumes
critiques consacrés au théâtre d’ici, Hélène Beauchamp et Gilbert David ont

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rassemblé une vingtaine d’articles qui répondent, chacun à sa façon, à la
question suivante : « Où va le théâtre une fois la représentation terminée ? »
Les auteurs ont balisé le territoire pour étudier divers aspects de l’activité
théâtrale et parathéâtrale, les langages et écritures de théâtre, l’institution
théâtrale elle-même et, pour finir, quelques perspectives de la recherche en
études théâtrales. De nombreuses pistes à poursuivre, tout en continuant
de se tenir à la page du théâtre édité. À ce sujet, le chapitre de Lucie Robert,
intitulé « Théâtre et édition au XXe siècle », est particulièrement pertinent.
Au début du siècle, nous apprend-elle, les pièces étaient le plus souvent
imprimées (et non pas éditées) à compte d’auteur. D’autres paraissaient à
la suite de contes et de nouvelles, un peu comme des ajouts. Il a fallu
attendre 1968, alors que Leméac lance la collection « Théâtre canadien »,
pour que l’édition de pièces de théâtre se professionnalise. Nous en voyons
le résultat aujourd’hui.

ÉDITIONS DU BLÉ

Leur première rencontre dans un bar ayant produit un cocktail d’émotions
fortes, Monsieur et Madame choisissent de répéter chaque année, dans le
même lieu, les mêmes gestes et les mêmes phrases, espérant ainsi retrouver
l’ivresse première. La pièce de Marc Prescott, Encore, est composée de six
scènes portant les noms des anniversaires de mariage : papier (le premier),
bois (le cinquième), étain (le dixième), porcelaine (le vingtième), argent (le
vingt-cinquième) et or (le cinquantième). Bien des choses se passent au
cours des années, y compris un divorce, un remariage pour l’un, puis des
retrouvailles. Madame relit L’insoutenable légèreté de l’être de Kundera, que
Marc Prescott cite en épigraphe : « Le temps humain ne tourne pas en cercle
mais en ligne droite. C’est pourquoi l’homme ne peut être heureux puisque
le bonheur est désir de répétition. » Lorsque le couple se sépare, Madame,
qui avait déjà écrit un premier roman sans envergure, en écrit un second,
en reprenant par écrit cette fois la scène de leur première rencontre. Il y a,
ici, un brouillage de la frontière fictionnelle entre « jeu » et « réalité », chacun
des personnages glissant presque sans heurt d’un palier à l’autre, ponc-
tuant de temps en temps leurs « dialogue » de méta-commentaires, genre :
« Bravo, Monsieur. Votre performance était tout à fait remarquable. » La
structure, à la fois cyclique et linéaire de cette comédie romantique, est
fondée sur le désir de répéter les moments heureux de l’existence. Même
si Kundera soutient que le désir de répéter ne peut pas mener au bonheur,
les personnages de Marc Prescott, vieillis, plus oublieux qu’avant, se
perdent dans la poésie de leurs mots pour se retrouver dans leur premier
baiser, « un baiser éternel, impérissable et éphémère, hors du temps et de
l’espace ».

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LE DERNIER HAVRE

Marie José Thériault a eu l’idée de rassembler en un volume les quatre
versions d’une histoire de son père, celle d’Aaron : deux romans (1954 et
1957) et, ce qui nous intéresse plus dans cette chronique, deux versions
dramatiques, l’une pour la radio (1952), l’autre pour la télévision (1958).
Les deux scénarios sont fort différents. Le premier met en scène Aaron, âgé
de treize ans, pris entre la tradition juive, représentée par son grand-père
Jethro, et le catholicisme, que lui révèle son ami Maurice. Ce texte, diffusé
la veille de Pâques, portant sur la conversion, avait de quoi plaire aux
conservateurs de l’époque. Six ans plus tard, Thériault laisse entendre un
autre son de cloche. Aaron a maintenant dix-sept ans et le conflit n’est plus
entre deux religions, mais bien entre deux modes de vie, la tradition et la
modernité. La tradition, c’est le ghetto et le métier de tailleur transmis de
père, dans ce cas-ci de grand-père, en fils. La modernité, Aaron la découvre
sur les flancs du Mont-Royal, dans les bras de Viedna, une juive française
qui n’a pas la foi et qui lui fait connaître ses valeurs : « Pour devenir
puissant, il faut devenir riche. Et pour ça, deux choses essentielles : d’abord
trouver un pays où le devenir, et ensuite un moyen de faire oublier qu’on
est juif... » Le conflit avec le grand-père est inévitable.

FIDES

Le sociologue américain Erving Goffman affirme que nous sommes tous
des acteurs dans des pièces inventées à partir de la réalité sur l’écran de
laquelle nous projetons des scénarios imaginaires. C’est ce qu’exploite
Évelyne de la Chenelière qui publie ses quatre premières pièces dans un
recueil intitulé Théâtre . Des fraises en janvier, Au bout du fil, Henri & Margaux,
Culpa. C’est un début fort prometteur. Des fraises en janvier est une
interrogation ludique sur la capacité de créer. L’intrigue est truffée de
rebondissements. Deux couples se mentent, s’émerveillent, s’expliquent, se
perdent, se retrouvent, le tout dans un chassé-croisé de présent et de passé,
de réalité et de fiction. Car un des hommes, François, est scénariste, et
plusieurs des scènes qu’il a racontées ou qu’il raconte à Robert prennent
vie. Beaucoup d’esprit et de sensibilité marquent cette comédie sentimen-
tale qui a remporté, en 2000, le Masque du meilleur texte original. Dans la
deuxième pièce, Au bout du fil, onze personnages se donnent la réplique
avec la simplicité et l’agressivité d’enfants dans une cour d’école. Mais ce
sont de grands enfants et l’école est plutôt une maison de retraite pour
vieillards atteints d’une douce, et parfois d’une moins douce, folie. Nous
les découvrons en pleine « activité», assis sur le bord de la scène, tenant des
cannes à pêche qui n’ont pas d’hameçon au bout du fil. Une activité qui est
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censée les calmer. La vitalité des vieux est au rendez-vous, leur ludisme
aussi, même si leur vie ne tient plus qu’à un fil. Évelyne de la Chenelière
a écrit sa troisième pièce, Henri & Margaux, en collaboration avec le metteur
en scène Daniel Brière, et ce sont les coauteurs, qui forment un couple dans
la réalité, qui ont joué les rôles titres. Étude brillante, empreinte de
fantaisie, et qui respire le bonheur. Évelyne de la Chenelière est une incon-
ditionnelle de l’être humain, auquel elle reconnaît défauts et inconsé-
quences. Cette histoire d’amour est conduite par une dramaturge en pleine
possession de ses moyens. Dans la quatrième pièce, Culpa, un drame plus
sombre, plus étrange, se trame : « Quatre personnages entrent tour à tour
chez le dentiste. Ils enlèvent leurs chaussures, enfilent des chaussons en
papier et attendent. Noir. Musique étrange. On les retrouve isolés chacun
dans une cellule. Ils seront tantôt éclairés, tantôt dans le noir. » Les quatre
se racontent dans un chassé-croisé qui révèle les dessous du professeur
agressé par ses étudiants, de la prostituée obsédée par son passé, de
l’homme d’affaires aux multiples amours et de la mère qui a abandonné
son enfant. En sous-texte, la culpabilité. Pourtant, la toute dernière question
est une invitation : « ça vous dirait d’aller prendre un verre avec moi ? »
L’optimisme foncier d’Évelyne de la Chenelière reprend le dessus.

LANSMAN

Dominick Parenteau-Lebeuf s’est projetée dans un alter ego, Candice de
LaFontaine-Rotonde, auteure, comme elle, d’une pièce intitulée, Portrait
chinois d’une imposteure. Le « portrait chinois » est le nom que porte un
magazine culturel télévisé ou l’animatrice, Inès, fait le bonheur des
téléspectateurs en posant chaque semaine les mêmes questions à des
vedettes différentes : Si vous étiez l’un des cinq sens, ce serait lequel ? Si
vous étiez un objet... On comprend que Candice ait eu des distractions,
surtout qu’Inès avoue candidement ne pas avoir lu la pièce dont la
première est le soir même. Les distractions de Candice, ce sont trois de ses
personnages, Doris, Milli et Nice, « un ch«ur post-moderne [...] à l’unisson
relatif ». Les trois s«urs travaillent aux Éditions du Miroir de l’âme dont
Doris est l’éditrice. Elles ont enfermé au sous-sol leurs quatre autres s«urs,
les muses Uranie, Calliope, Thalie et Polymnie. Nous sommes donc en
pleine fantaisie, dans l’imagination créatrice de Candice dont le décor
figure « une pièce fermée  la tête de l’auteure  percée de deux fenêtres
 ses yeux , qui contient trois chaises, un bureau, le columbarium et le
pot géant ». Ce drame noir, rempli de fantasmes, met en valeur deux des
objets du décor : le columbarium ou cimetière des livres qui n’ont pas la
faveur de Doris, et le pot géant contenant les cendres de tous les manuscrits
brûlés par Doris. Une survenante apparaît, nommée Dominick Parenteau-
Lebeuf, pour apprendre à ses personnages qu’ils n’existent que dans sa
tête. Selon le désir de sa créatrice donc, Doris est bâillonnée et enfermée

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jusqu’au cou dans le pot géant, urne cinéraire de la dramaturgie contempo-
raine. Candice a le dernier mot : « Je suis Candice de LaFontaine-Rotonde.
Femme. Image. Personnage. Matrice à mythologie. Déesse. Démone. Au-
teure.» Théâtre de l’absurde qui doit beaucoup à Pirandello, mais qui glisse
trop souvent vers la complaisance.

LEMÉAC

Dans le théâtre de Michel Tremblay, les personnages ont tous un côté
créateur, même Albertine qui, dans Le passé antérieur, repasse, ressasse et
transforme ce qui lui arrive pour en faire un drame épouvantable. À vingt
ans, sa conception de l’amour est d’être possessive et jalouse, ce qui, on
s’en doute, n’a pas eu l’heur de plaire à Alex qui préfère la calme douceur
de Madeleine, s«ur cadette d’Albertine. Après deux mois de déprime,
« couchée dans [son] litte à brailler, à morver pis à sacrer contre tout le
monde», Albertine décide de tenter de reconquérir Alex. Rien ne l’arrêtera.
Pas sa mère, Victoire, qui, pourtant, essaie de l’encourager à sa façon :
« Moé, chus déjà enfermée dans une boîte, Bartine, toé t’as encore une
chance.» Pas son frère Édouard qui tente de miner sa détermination : « Tu
peux pas gagner, t’as déjà perdu », ce qui préfigure la réplique qui clot le
drame : « Tout est fini avant de commencer. » Albertine est dorénavant
consciente que tout est joué, que le bonheur n’est pas pour elle, la rage
s’étant installée pour toujours dans son c«ur. Ce que cette pièce apporte de
nouveau au monde de plus en plus complexe de Michel Tremblay est la
source de cette rage qui fait d’Albertine un des personnages les plus forts
du corpus.
    Le renversement des rôles, souvent un moteur du comique, sert, dans
L’impératif présent de Michel Tremblay, à souligner les rapports ambivalents
entre deux autres des personnages-clefs de son monde, Alex et Claude. Les
didascalies qui précèdent chacun des deux actes sont presque identiques.
Le premier acte se situe « dans la chambre d’Alex, dans une maison pour
personnes atteintes d’Alzheimer. Alex est installé dans une chaise roulante.
Claude, son fils, vient de terminer de lui faire sa toilette; il en est à lui
tapoter le visage avec de l’eau de Cologne. Alex restera parfaitement
immobile, absent, pendant tout l’acte ». Le deuxième acte, par contre, se
situe dans la chambre de Claude, et c’est Alex, son père, qui vient de
terminer sa toilette. Double affrontement donc, entre le père et le fils, mais
à une seule voix, puisque le « patient », d’abord Alex puis ensuite Claude,
est aphasique. On se souvient de ces deux personnages du Vrai monde ?,
chacun faisant un procès sans appel à l’autre. Dans sa première pièce de
théâtre, Claude rendait son père coupable de tous les maux. Alex, refusant,
semblait-il, d’endosser le rôle que Claude voulait lui faire jouer, met le feu
à l’unique manuscrit de la pièce de son fils. Les deux hommes ne se sont
pas revus depuis la mort de Madeleine, la mère de Claude et la femme

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d’Alex. Malgré ou à cause de ses débuts fulgurants, Claude a fait carrière
comme dramaturge et son père, trop vieux pour continuer à exercer le
métier de commis voyageur, a quitté le Plateau pour l’Est de Montréal. Au
cours du premier acte, Claude, attendri de voir son père en phase terminale
de la maladie d’Alzheimer, affirme : « chus au bord de te pardonner, pis ça
me donne le vertige ». Voici donc le drame (et c’est le cas de le dire) de
Claude. Il s’est rendu compte à quel point il a besoin de la haine qu’il
ressent envers son père pour construire son univers dramatique: «J’écrivais
pas pour plaire aux critiques, j’écrivais pour te déplaire à toi. » Trois fois
par semaine, Clause se rend au foyer pour s’occuper de son père, le laver,
le langer, le parfumer et surtout lui parler : « [...] j’ose dire à voix haute des
choses que j’oserais jamais écrire dans mes pièces parce que je les trouve-
rais trop mélodramatiques ou pas assez théâtrales ! J’t’écris des pièces
délirantes, mal construites, trop lyriques trois après-midi par semaine ». À
la fin, en partant, Claude supplie Alex de vivre : « J’ai besoin de toi ! J’ai
peur de pus pouvoir rien faire si t’es pas là ou si je te pardonne ! » Le
deuxième acte a tout pour étonner. Non seulement trouve-t-on Claude à la
place d’Alex, mais le monologue du père est presque identique à celui du
fils. Même ambivalence devant un être qu’on n’a jamais respecté, mais à
qui on reconnaît le droit à la dignité humaine. On reconnaît aussi Alex, le
commis-voyageur aux farces plates (« T’es rendu un légume qui écrivait
des navets »), incapable de se retenir, même s’il sait que Claude ne saisit
plus rien. Alex révèle qu’il est allé voir les pièces de son fils et surtout,
chose surprenante, qu’il en avait besoin : « [...] c’était tellement facile de te
mettre tous mes malheurs sur le dos ! Pis toutes mes erreurs ! Quand je les
retrouvais dans tes pièces, je pouvais prétendre que c’étaient des menson-
ges, pis c’est vrai que c’était commode ! » Paradoxalement, cette pièce de
l’impasse où les personnages ne peuvent « rêver de régler quoi que ce soit,
ni d’un côté ni de l’autre, parce qu’un des partenaires est déjà parti », est
aussi un hymne à l’amour. Du grand Tremblay.
    Après une inondation, qui rappelle celle qu’a connue la région du
Saguenay les 20 et 21 juillet 1996, un groupe de vieillards essaie de sauver
ce qui reste de leurs exercices de thérapie de groupe, des feuilles sur
lesquelles ils ont raconté des épisodes de leur passé. Dans Les manuscrits du
déluge, Michel Marc Bouchard fait vivre (et revivre) à ses personnages toute
une gamme d’émotions sur fond de boue et de destruction. Trois couples
tentent de résoudre, à travers les mots, l’énigme de la vie. Claire affectionne
les maximes, qu’elle trouve dans des revues populaires, et qui lui donnent
réponse à tout ou presque. Marthe utilise les mots pour vivre l’impossible,
une aventure sexuelle avec une très jeune femme. Dorothy veut profiter du
dommage causé par les eaux pour récrire le passé, le rajeunir, en quelque
sorte. Enfin William, son mari, utilise les mots pour continuer la chasse au
petit gibier qui échappe, maintenant, à ses doigts vieillissants. Pourtant,
presque tous les manuscrits sont endommagés, et la mémoire des vieillards

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leur fait défaut. Plutôt que de les récrire, comme l’ordonne Samuel, ils
voudraient quitter leur village inondé pour s’installer en ville, dans un
manoir où, croient-ils, la vie serait plus facile. Samuel, un ancien maître qui
a remplacé l’école par un atelier d’écriture, fait face à ses disciples indociles
et surtout à Danny-l’enfant-seul, figure onirique qui se promène avec des
ailes d’ange, dont la mémoire prodigieuse a tout emmagasiné, non
seulement les textes « perdus », mais aussi ceux que Samuel aurait voulu
oublier. Celui, par exemple, écrit par sa femme, juste avant son suicide, où
il est dit que l’opiniâtre Samuel est un homme dur, manipulateur. La
démonstration en est faite peu après, lorsque Samuel repousse sa s«ur
Marthe avec tellement de violence qu’il lui brise le poignet. Resté seul sur
scène, Samuel doit faire face à Danny dont la maîtrise des mots est plus
grande que la sienne. Samuel n’a plus rien à faire là et il demande à Danny
de raconter « son » histoire, conscient du pouvoir transformateur des mots.
Alors que Danny raconte l’histoire du déluge très personnel du mariage de
Samuel, celui-ci se dévêtit lentement et se dirige vers l’inondation qui a
emporté, avec l’église paroissiale et une bonne partie du village, la tombe
de sa femme qui maintenant l’attend au fond des eaux. Nous retrouvons
ici les éléments habituels de l’écriture de Bouchard : drame, lyrisme,
métaphore « poétique » et humour. De vastes thèmes aussi : fossé des
générations, vieillesse, mort, fin des temps, écriture, mémoire, héritage...
    Vers la fin de sa vie, Jacques Ferron a écrit des textes poétiques et
intimes, inspirés par son travail auprès de femmes internées dans un
hôpital psychiatrique. Un carré de ciel de Michèle Magny met en scène un
personnage nommé Docteur, son alter ego Maski, une garde-malade qui se
dédouble en Ramona, reine de la nuit, le fantôme de sa mère, et trois
internées, « les pétrifiées, les possédées, les illuminées, les folles, les
grabataires, les pleines lunes, les convulsives, les vénériennes, les débau-
chées, les tuberculeuses, les néphrétiques, les neurasthéniques de
Gamelin », représentant plusieurs des types de folie détaillés par Michel
Foucault. À partir de nombreux écrits de Ferron et de sa propre sensibilité
dramaturgique, Michèle Magny a tissé un texte dense, singulier, où l’ombre
du grand écrivain s’entretient avec ses phantasmes les plus persistants.
    Dans une structure qui rappelle celle des Belles-s«urs, Claude Meunier
met en scène un « party » qui tourne mal pour son organisatrice. Dans Les
noces de tôle, Mireille a préparé une surprise pour Pierre à l’occasion de son
cinquantième anniversaire de naissance et de leur vingt-cinquième
anniversaire de mariage. Le penthouse est décoré en style romain et les
invités sont costumés en toges pour recréer l’atmosphère des deux films
préférés de Pierre, Ben Hur et Gladiator. Élyse, l’ex-belle-s«ur de Mireille,
est accompagnée de son amant Dino, un bon père de famille qui vit une
petite aventure. Jacques, le frère de Mireille et l’ex d’Élyse, présente au
groupe sa nouvelle maîtresse, sa secrétaire Loulou. Enfin, lorsque tout ce
beau monde est prêt, Pierre fait son entrée. La « surprise » est tout autre que

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celle qu’avait prévue Mireille, puisque Pierre est accompagné d’Anne, sa
nouvelle maîtresse. Tout de go, Pierre annonce à Mireille que c’est fini entre
eux, qu’il aime Anne, qu’ils attendent un enfant, et qu’ils partent le
lendemain se détendre en Martinique. Voici donc ce qui bande le ressort.
Cette fête, au cours de laquelle, à l’aide d’un détecteur de mensonges,
chacun se lance ses quatre vérités, est une suite de lazzis et de répliques à
la fois mordantes et tordantes, comme quoi le comique et le tragique sont
inextricablement liés. « Qu’est-ce qui fait que l’amour s’assèche ? Qu’est-ce
qui fait que te regarder ou regarder un mur c’est du pareil au même ? »,
lance Pierre à Mireille, qui laisse échapper un sanglot : « Excusez... c’est
l’émotion... ça fait tellement longtemps tu m’as pas parlé comme ça. »
L’auteur de Broue, de Ding et Dong et de La petite vie connaît bien les
mécanismes du rire et, semble-t-il, les rouages du c«ur humain. Comme
Germaine Lauzon, Mireille reste seule, après son party raté, et pleure, alors
que, dans sa tête, ses invités se regroupent pour chanter en unisson :
« Joyeux anniversaire ».

LEMÉAC/ACTES SUD-PAPIERS

Sous le signe du Radeau de la Méduse, dont un détail est reproduit sur la
page couverture, les personnages de La nature même du continent de Jean-
François Caron tentent aussi de se sauver d’une situation extrême. Dans un
cimetière de voitures, deux bandes de jeunes cherchent, par l’imagination,
le rêve, la poésie et surtout une violence déchaînée, à se creuser une place
dans ce no man’s land. Les didascalies indiquent qu’il y a « quelque chose
de sulfureux dans l’air, comme un arrière goût d’enfance terminée
(abruptement)». Atmosphère semblable à celle de Lord of the Flies, puisque
les règles du jeu meurtrier auquel se livrent les bandes sont de leur cru.
Cela se passe en Amérique, mais les nombreuses références africaines lient
ce combat insensé à ceux que se livrent les enfants du Congo et de tant
d’autres pays du continent noir, abandonnés par leurs gouvernements,
orphelins sans passé ni avenir, trahis par tous ceux qui les entourent. Une
pièce dure qui n’offre aucune certitude, à l’image même de l’adolescence.
    Pour sa première incursion dans le domaine du théâtre, Nancy Huston
a choisi d’adapter, avec Valérie Grail, La virevolte, un roman qu’elle avait
fait paraître en 1994. Angela et Marina met en scène deux s«urs que la mère,
danseuse professionnelle, a sacrifiées à sa carrière. Chacune a sa manière
à elle de réagir. Marina, vingt-cinq ans, anorexique, étudie la philosophie
de Simone Weil tout en se livrant à d’incessants jeux numérologiques lui
donnant l’illusion de mettre de l’ordre dans l’univers. Angela, vingt-huit
ans, ayant suivi sa mère dans une carrière théâtrale, est en train de créer,
à l’aide d’une marionnette, un spectacle lui permettant d’exorciser les
démons du passé qui la hantent. Marina arrive pendant une répétition et
après la surprise initiale, se prête, elle aussi, au chassé-croisé entre passé et

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présent, entre réalité et théâtre. Une forte métathéâtralité sous-tend ce texte
où la vie de deux femmes est centrée sur la maternité ratée, rêvée et à venir.
    La dernière pièce de Wajdi Mouawad, Incendies, est une tragédie
moderne. Ce qui s’est passé au Liban au cours des années 1970 s’est répété
en Bosnie, en Israël, au Congo, au Kashmir, en Afghanistan... La guerre
civile, fratricide, plante un couteau au c«ur de l’enfance. Mouawad lui-
même l’a bien connue, lui qui a dû fuir le Liban avec sa famille quand il
avait huit ans. La mort de sa mère, alors qu’il a dix-sept ans, plante un
deuxième couteau dans l’âme de l’adolescent qui doit trouver une façon de
renouer avec son passé dont personne ne veut parler. Dans un style
brûlant, enflammé autant par la poésie que par les écorchures de la vie,
Mouawad passe du Québec confortable, où vient de mourir Nawal
Marwan, au Liban tourmenté où se rendent Jeanne et Simon, les jumeaux
de Nawal, dont le testament étrange les oblige à partir en quête de leur
propre identité. Jeanne et Simon ont toujours cru que leur père était mort
en héros, et ils seront prodigieusement désabusés. Lorsqu’elle avait
quatorze ans, Nawal est tombée amoureuse de Wahab, un garçon du
voisinage. Nawal est obligée par sa famille de se séparer de Wahab, et sa
grand-mère l’aide à voir ce qui l’attend : « Tu as raison, Nawal, l’amour que
tu avais à vivre, tu l’as vécu et l’enfant que tu devais avoir te sera enlevé.
Il ne te reste rien. » Pourtant, la vie prendra le dessus puisque cette même
grand-mère, sur son lit de mort, dit à sa petite-fille qu’« [i]l faut casser le fil.
Alors apprends à lire, apprends à écrire, apprends à compter, apprends à
parler. Apprends, puis va-t’en ». Le fil, dont il est question ici, est celui de
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la tragédie, celui-là même qui a lié les pieds de l’enfant dipe, dont on
connaît le triste destin. Dans la tragédie de Nawal figure un inceste
semblable, le fils qui lui a été arraché de force s’étant transformé en
immonde bourreau. Pourtant, malgré l’horreur, Nawal a appris en parlant
à Sawda, une réfugiée comme elle, que la violence engendre la violence, et
qu’il faut briser le rythme si on veut empêcher les couteaux de voler.
Nawal a appris l’alphabet à Sawda et celle-ci lui a appris à chanter. Une
                           «
belle leçon d’espoir au c ur d’une grande noirceur : « il faut casser le fil ».

LE NORDIR

Que deviennent les hommes et les femmes dans une société où toute
religion est mise en échec par la science qui réduit la vie à un système de
lois ? Selon Patrick Leroux, il en procède une nouvelle génération autisti-
que, avec sa pathologie, hantée par le rêve totalitaire d’un retour du père,
d’un retour du sacré. Le rêve totalitaire de dieu l’amibe se présente comme un
« livret d’anti-opéra cybernétique ». Anti-opéra, car le tout est une « mise en
rythme» où des bouts de phrases se répètent, se désagrègent, où des sono-
rités, qui rappellent celles produites par Sauvageau et Claude Gauvreau,
sont émises par des personnages de plus en plus affolés. Leur milieu est

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72 lettres canadiennes 2003

celui de la cybernétique. Solange, Aimsi et Olivia passent des heures
devant leur petit écran à communiquer entre eux. Aimsi, « que tous les
garçons et les filles de [s]on âge prennent pour le dalaï-lama », explique
qu’il s’agit de faire du « Bartok verbal », ce qui veut dire une interlocution
où les dissonances agressives règnent et où l’expression devient de plus en
plus violente. L’anti-opéra se présente en quatre mouvements : «Énoncés»,
« Rhétorique », « Mythologie » et « Exaltation ». Il y a aussi un prélude, « Un
jour je serai libre ! », et une finale, « Pathos, morale et aria ». Tout un
programme ! Une Commentatrice joue, en quelque sorte, le rôle de ch«ur
et ses déclarations métathéâtrales faites en anglais (avec surtitres, comme
à l’opéra) font comprendre à ceux qui n’auraient pas encore saisi qu’il ne
s’agit pas d’une pièce genre comédie musicale américaine où les gens rient,
pleurent et font de la danse à claquettes. Un nouveau joueur paraît dans le
groupe de discussions : dieu l’amibe, qui lance aux participants : « Parlez !
Parlez! Personne n’écoute. Vos mots déboulent, vos mots sont des coquilles
vides qu’on ramasse sur la plage à marée basse. » C’est ce que ce person-
nage énigmatique entend changer en proposant son rêve totalitaire: fonder
un nouveau culte, avoir des disciples, faire des convertis, éliminer les
infidèles et utiliser tous les moyens modernes pour accumuler les profits.
L’histoire se répéterait-elle ? Solange, qui ose se révolter, sera littéralement
effacée. Tout est annulé : numéro d’assurance-chômage, d’assurance-
maladie, marge de crédit, cartes de crédit, comptes bancaires, même sa
carte d’Aéroplan. Rayée du cyberespace, Solange n’a d’autre recours que
le suicide. Le jeu de l’adolescent en quête de sensations fortes qui se cache
derrière le pseudonyme « dieu l’amibe » est fini. Le lendemain, il entend
créer un virus. Ce cri du c«ur adolescent, dont la complexité technique a
découragé les bailleurs de fonds, a fait date dans l’histoire de la jeune
compagnie La Catapulte.

PRISE DE PAROLE

Les Éditions Prise de parole ont choisi Le chien de Jean Marc Dalpé, prix du
Gouverneur général 1988, pour faire leur entrée dans la collection « Bi-
bliothèque canadienne-française », lancée en 2001 par L’Interligne et Le
Nordir pour diffuser des «uvres marquantes de la littérature francophone
hors Québec. J’ai eu le plaisir de préfacer cette troisième édition du Chien
que j’ai relu comme un drame se produisant dans l’espace psychique de
Jay, le personnage principal, dont le monologue intérieur procède par
associations affectives. Le chien n’a rien perdu de son mordant.

OUVRAGES REÇUS
Beauchamp, Hélène et Gilbert David (s. la dir. de), Théâtres québécois et canadiens-
   français au XXe siècle. Trajectoires et territoires, Québec, Presses de l’Université du
   Québec, 390 p., 55$.

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sciences humaines 73

Bouchard, Michel Marc, Les manuscrits du déluge, Montréal, Leméac, 83 p., 13,95$.
Caron, Jean-François, La nature même du continent, Montréal / Sartrouville, Leméac
   / Actes Sud-Papiers, 80 p., 13,95$.
Chenelière, Évelyne de la, Théâtre. Des fraises en janvier, Au bout du fil, Henri &
   Margaux, Culpa, Montréal, Fides, 189 p., 24,95$.
Dalpé, Jean Marc, Le chien, préface de Mariel O’Neill-Karch, Sudbury, Prise de
   parole, coll. Bibliothèque canadienne-française, [1988], 124 p., 15$.
Huston, Nancy, Angela et Marina, Montréal / Sartrouville, Leméac / Actes Sud-
   Papiers, 64 p., 15,95$.
Leroux, Patrick, Le rêve totalitaire de dieu l’amibe, Ottawa, Le Nordir, 174 p., 20$.
Magny, Michèle, Un carré de ciel, Montréal, Leméac, 112 p., 14,95$.
Meunier, Claude, Les noces de tôle, Montréal, Leméac, 80 p., 12,95$.
Mouawad, Wajdi, Incendies, Montréal / Sartrouville, Leméac / Actes Sud-Papiers,
   93 p., 15,95$.
Parenteau-Lebeuf, Dominick, Portrait chinois d’une imposteure, Carnières-Morlan-
   welz, Lansman Éditeur, coll. Nocturnes Théâtre 145, 72 p., 9L.
Prescott, Marc, Encore, Saint-Boniface, Éditions du Blé, 144 p., 12,95$.
Thériault, Yves, Aaron, édité par Marie José Thériault, Montréal, Éditions du dernier
   havre, xiii%491 p., 15,95$.
Tremblay, Michel, Le passé antérieur, Montréal, Leméac, 72 p., 11,95$.
&, L’impératif présent, Montréal, Leméac, 56 p., 10,95$.

Sciences humaines
     Brian T. Fitch, Le langage de la pensée et l’écriture. Humbolt, Valéry, Beckett
          Montréal, XYZ éditeur, coll. Théorie et littérature, 296 p., 28$

Le langage ne sert-il que de simple véhicule transmetteur de la pensée qui
alors aurait une existence propre et objective ? Ou bien, à l’inverse, la pen-
sée ne serait-elle pas immanente au langage dont elle serait le produit ?
Voilà une question essentielle qui inaugure la réflexion épistémologique et
qui a été au c«ur des démarches de l’herméneutique et de la sémiotique.
Question essentielle mais extrêmement difficile en raison de son caractère
général et de la multiplicité des aspects qu’elle comporte. En fait, c’est là un
thème théorique qui répond parfaitement à l’idée de la complexité (au sens
moderne donné à ce mot) et qui implique l’impossibilité d’une saisie
exhaustive des composantes de la question et aussi l’impossibilité d’objecti-
ver cette question en la séparant du langage de l’analyse. Bref, ce questionne-
ment très exigeant découle du rejet philosophique de toute forme d’idéa-
lisme où précisément s’affirmait l’autonomie et l’objectivité de la pensée.
   Brian T. Fitch arrive à déjouer ces difficultés sans céder à la facilité de les
abolir, en se donnant un objet d’analyse concret sur lequel greffer la
réflexion : le texte littéraire de Samuel Beckett, notamment les dernières

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