TOUJOURS PLUS - Inter-Environnement Bruxelles

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TOUJOURS PLUS - Inter-Environnement Bruxelles
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             Bureau de dépôt :
                Bruxelles X
                  P 302402
            PÉR IODIQUE ÉDITÉ PAR
            INTER-ENVIRONNEMENT-BRUXELLES,
            FÉDÉRATION DE COMITÉS DE QUARTIER
            ET GROUPES D’HABITANTS

            N O 310 – JANVIER/FÉVRIER 2021

       TOUJOURS

PLUS

   VERT
TOUJOURS PLUS - Inter-Environnement Bruxelles
2 / TOUJOURS PLUS VERT
Bruxelles en mouvements 314 – octobre/novembre 2021

  INTRODUCTION

 TOUT CHANGER
  POUR QUE RIEN NE CHANGE ?
            Voiture « zéro-émission », construction « durable »,
            énergies « renouvelables » : l’époque semble lourde
            de changements susceptibles de réduire notre                                                                      Une politique des
            empreinte écologique, voire changer notre rapport                                                                 transports soutenable
            à l’environnement. À travers quatre cas bruxellois,                                                               ne commande-t-elle
            ce journal interroge les ressorts et la portée                                                                    pas, au minimum,
            de ces changements toujours plus verts.
                                                                                                                              d’objectiver sur le long
            Inter-environnement Bruxelles
                                                                                                                              terme toutes les nui-
                                                                                                                              sances sur lesquelles

➪             Les références à l’environnement et
              sa dégradation sont désormais omni-
              présentes. Documents programma-
tiques, politiques publiques, plans d’aménage-
ment urbain : est-il encore possible d’échapper à
                                                        DES « INCIDENCES » ENVIRONNEMENTALES
                                                        (TOUJOURS) IGNORÉES
                                                                                                                              elle repose ?

l’adjectif « durable » et à l’idée de devoir « conci-   À y regarder de plus près, toutefois, nombre de                         En matière d’impact écologique, l’électri-
lier » écologie et économie ? On peut évidemment        politiques et mesures élaborées sous le signe de                 fication de la mobilité automobile Lire p. 10-13, sur-
se réjouir de cette évolution, dans la mesure           la « durabilité », ou du moins qui y font référence,             déterminée par l’objectif d’amélioration (locale)
où elle dénote de la mise à l’agenda politique          ne s’encombrent même pas d’un calcul des nui-                    de la qualité de l’air, présente elle aussi de nom-
de préoccupations grandissantes au sein de la           sances qu’elles génèrent.                                        breux angles morts. Au premier chef l’augmen-
population.                                                    La récente actualité immobilière bruxel-                  tation globale de la demande en électricité, que
                                                        loise le confirme. Tandis que le secrétaire d’État               ne pourra pas accommoder la hausse escomptée
                                                        à l’urbanisme et au patrimoine indique vouloir                   des énergies renouvelables. Mais aussi l’aggra-
                                                        « éviter une démolition lorsque c’est possible », aucune         vation vertigineuse de la pollution des sols et
                                                        disposition contraignante n’est susceptible de                   des eaux 4, qui témoigne que l’électrification de

      Nombre de politiques                              rendre effective une telle intention. En effet,
                                                        les opérations de démolition-reconstruction,
                                                                                                                         nos voitures repose sur la délocalisation mas-
                                                                                                                         sive de nuisances. Une politique des transports
      et mesures élabo-                                 dont celles prévues par le Plan d’aménagement                    soutenable ne commande-t-elle pas, au minimum,
                                                        directeur Midi Lire p. 06-09, ne font l’objet d’aucun            d’objectiver sur le long terme toutes les nuisances
      rées sous le signe de                             bilan CO2 dans le rapport d’incidences. D’autant                 sur lesquelles elle repose ? Force est de constater
                                                        plus étonnant qu’il existe des outils de calcul 1,               que les autorités bruxelloises se sont limitées à
      la « durabilité » ne                              ce vide réglementaire permet ainsi aux promo-                    apprécier la pollution atmosphérique directe,
      s’encombrent même                                 teurs de maquiller leur quête de profitabilité en
                                                        poursuite d’une « durabilité » réduite à la perfor-
                                                                                                                         celle générée par les transports bruxellois : « En
                                                                                                                         l’absence de méthodologie régionale (sic), les émissions
      pas d’un calcul des                               mance énergétique des bâtiments 2. Précisons                     indirectes de gaz à effet de serre ne sont pas non plus éva-
                                                        qu’il ne s’agit pas de s’opposer par principe à une              luées », indique l’une des études relatives à la Low
      nuisances qu’elles                                démolition-reconstruction : « La destruction d’un                Emission Strategy.                                        †
      génèrent.                                         bâtiment existant pour densifier la parcelle et répondre de
                                                        ce fait à une forte demande qui n’est pas remplie par ailleurs
                                                        peut se justifier » 3. Mais en l’absence de bilan envi-
                                                        ronnemental, comment opérer cet arbitrage ?
TOUJOURS PLUS - Inter-Environnement Bruxelles
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4 / TOUJOURS PLUS VERT
Bruxelles en mouvements 314 – octobre/novembre 2021
TOUJOURS PLUS - Inter-Environnement Bruxelles
POLIS – POLICE /
                                                                                                                   Bruxelles en mouvements 310 – janvier/février 2021
                                                                                                                                                                                5

  Le changement tech-
  nique, s’il est déployé                                   LE MARCHÉ COMME INSTANCE
                                                            DE RÉGULATION
  sans remise en cause                                      Autre élément transversal aux cas étudiés dans
  de la finalité principale                                 ce journal : la place prépondérante accordée
                                                            aux mécanismes marchands dans l’atteinte des
  de l’organisation écono-                                  objectifs dits environnementaux. En matière

  mique (en l’occurrence la                                 immobilière, la poursuite de la durabilité à
                                                            Bruxelles a largement été sous-traitée au secteur
  profitabilité), n’est aucu-                               privé, à grand renfort de dérogations urbanis-
                                                            tiques. Cette reconstruction permanente de la
  nement un vecteur de                                      ville sur elle-même, aveugle aux besoins fonda-
                                                            mentaux des Bruxellois-es, a trouvé dans l’imagi-
  « durabilité ».                                           naire de la durabilité (mais aussi dans la « mixité
                                                            des fonctions ») une nouvelle source de légiti-
                                                            mité. Une bruxellisation désormais verte, qui
                                                            témoigne de la capacité éprouvée du capitalisme
LA TECHNOLOGIE, TOTEM                                       à intégrer/dépasser les obstacles qui entravent
DE LA « DURABILITÉ »                                        la valorisation. Et même plus : transformer ces          UNE FUITE EN AVANT
Les politiques publiques élaborées sous le signe            obstacles en autant d’« opportunités » 7.                Dans la mesure où elles occultent l’empreinte
du « développement durable » confèrent souvent                    L’approvisionnement électrique assuré par          écologique de nos usages et pratiques, reposent
à la technique un rôle de premier plan : face aux           le photovoltaïque Lire p. 20-25 est lui aussi guidé      aveuglément sur la technologie et n’entravent
« problèmes » environnementaux, nous devrions               par la logique de valorisation : c’est un marché,        pas la régulation par le marché, les politiques
nous armer de « solutions » nées de l’innovation            celui des certificats verts, qui préside au dévelop-     dites durables peuvent s’accommoder du statu
technologique, notamment celles qui induisent               pement de cette énergie « renouvelable ». Offre          quo, appuyant ainsi une reconduction du même
une hausse des rendements énergétiques.                     et demande constituent ainsi les aiguillons              régénérée par l’imaginaire écologique.
      Pourtant, comme on le sait depuis long-               principaux de l’échange d’énergie, avec comme                  C’est même plus que ça : les politiques vertes
temps 5, augmenter la performance des pro-                  conséquence d’y instiller de l’instabilité (due à        sous régime capitaliste 8 dessinent une fuite en
cessus de production et des appareils ne suffit             la formation de bulles financières) et de générer        avant, à savoir le fait d’éluder une difficulté, de
pas à réduire la consommation globale d’éner-               de la précarité (le coût des certificats verts étant     se dérober devant la réalité. Et la réalité, c’est
gie – c’est même l’inverse. Cela s’appelle l’effet          reporté sur la facture des ménages). La libérali-        l’augmentation continue des consommations
rebond. Historiquement, les gains réalisés ont              sation du secteur énergétique, qui n’a pas béné-         énergétiques et l’impossibilité de les assurer par
en effet contribué à augmenter la production et,            ficié aux « consommateurs », n’aurait-elle pas dû        les seules énergies renouvelables. Une réalité
partant, la consommation globale d’énergie.                 constituer un signal d’alarme quant aux préten-          dont le déni est alimenté par un « solutionnisme
      Rappeler la validité de ce raisonnement               dues vertus du marché ?                                  technologique » 9 et un vocabulaire 10 qui entre-
contre-intuitif ne revient pas à proclamer une                    Quoi qu’il en soit, la priorité accordée à la      tiennent implicitement un postulat : tout peut
fascination pour le « modèle Amish et la lampe à huile ».   régulation marchande témoigne que la politique           continuer comme ça. ●
Il s’agit bien d’insister sur le fait que le change-        du vert vise des changements tout en évacuant la
ment technique, s’il est déployé sans remise en             conflictualité inhérente aux collectivités. Sans                       1. Bruxelles-Environnement propose l’outil
                                                                                                                                   Totem ; IEB, en collaboration avec l’AQL, a
cause de la finalité principale de l’organisation           rapport de force avec les premiers responsables/                       développé un outil pour calculer le bilan CO2
économique (en l’occurrence la profitabilité),              bénéficiaires du saccage de l’environnement,                           d’une démolition-reconstruction.
n’est aucunement un vecteur de « durabilité ».              une « transition écologique » est-elle seulement                       2. Au point, parfois, de friser le grotesque : le
                                                                                                                                   CEO d’Atenor, réagissant au refus d’urban.
      Loin d’entretenir une corrélation linéaire,           possible ?                                                             brussels d’accorder un permis d’urbanisme
technologie et durabilité sont dans un rapport                                                                                     pour la construction, dans le quartier européen,
d’ambivalence : la contribution de la première à                                                                                   d’une tour de 128 mètres comprenant un centre
                                                                                                                                   de congrès et des bureaux, n’a pas hésité à
la seconde dépend des objectifs généraux pour-
                                                                                                                                   parler d’« un projet […] qui répond à un objectif
suivis 6. Par exemple, les discours favorables à la                                                                                de développement durable ».
voiture électrique insistent souvent sur l’innova-                                                                                 3. « Faut-il casser Bruxelles ? », Bruxelles en
                                                                                                                                   mouvements, n°265, juillet/août 2013, en libre
tion qui permettra d’améliorer la performance
                                                                                                                                   accès sur notre site.
de la propulsion et des batteries. Mais, alors que                                                                                 4. Comme si, à force de rabattre les désordres
les études régionales indiquent que la posses-                                                                                     environnementaux sur la « situation
sion individuelle de voitures ne devrait quasi-                 La priorité accordée                                               climatique », on avait oublié que le sol et
                                                                                                                                   l’eau connaissent la pollution autant que
ment pas baisser, que pouvons-nous espérer de
ces hausses de rendement si elles accompagnent
                                                                à la régulation mar-                                               l’atmosphère.
                                                                                                                                   5. Au moins depuis la fin du XIXe siècle et
le remplacement intégral du parc automobile                     chande témoigne que                                                les réflexions de Jevons sur l’extraction du
                                                                                                                                   charbon. ­
européen tel que l’ambitionnent les construc-
teurs ? Que penser de l’électrification si sa géné-             la politique du vert                                               6. À ce titre, sur les rapports entre optimisation
                                                                                                                                   technologique, développement durable et
ralisation ne donne pas naissance à des objectifs                                                                                  organisation urbaine, lire les numéros 281
surplombants tels que la réduction des dépla-
                                                                vise des changements                                               « Pour une poignée de données » et 292 « Dawn
                                                                                                                                   of the Uber-Dead » de Bruxelles en mouvements
cements et de la consommation énergétique du
secteur des transports ?
                                                                tout en évacuant la                                                (disponibles sur www.ieb.be)
                                                                                                                                   7. Comme le promeuvent certaines branches
      Un raisonnement similaire peut être fait                  conflictualité inhé-                                               de l’économie de l’environnement. Lire Romain
                                                                                                                                   Gelin, « Économie écologique : un nouveau
par rapport à l’énergie éolienne Lire p. 15-19, qui
repose comme la voiture électrique sur l’extrac-                rente aux collectivités.                                           paradigme économique », Gresea Échos, n°105,
                                                                                                                                   mars 2021.
                                                                                                                                   8. Lire D. TANURO, L’impossible capitalisme
tion de métaux et terres rares – non renouve-
                                                                                                                                   vert, La Découverte, 2012.
lables – et dont le déploiement est à replacer dans                                                                                9. Lire E. MOROZOV, Pour tout résoudre
une augmentation globale de la demande en                                                                                          cliquez ici : L’aberration du solutionnisme
électricité. À moins d’enrayer celle-ci en remet-                                                                                  technologique, Limoges, FYP éditions, 2014.
                                                                                                                                   10. L’adjectif « renouvelable » qui suggère
tant en cause nos usages et pratiques (collectifs                                                                                  l’abondance n’est pas sans instiller dans
et individuels), gageons qu’en 2050 l’adjectif                                                                                     les esprits la possibilité d’une reproduction
« renouvelable » ne pourra plus être utilisé sous                                                                                  infinie de l’organisation sociale et économique
                                                                                                                                   existante. En ce sens, l’adjectif exclut l’idée
peine d’hilarité générale.                                                                                                         même d’une finitude des « ressources ». Cette
                                                                                                                                   exclusion n’est pas sans faire penser à l’absence
                                                                                                                                   de considération qu’entretient la science
                                                                                                                                   économique dominante envers les sciences
                                                                                                                                   dites naturelles.
TOUJOURS PLUS - Inter-Environnement Bruxelles
6 / TOUJOURS PLUS VERT
Bruxelles en mouvements 314 – octobre/novembre 2021

   CASER LE BILAN CARBONE AU LIEU DE

   CASSER LA VILLE !
           Démolir puis reconstruire en arguant de la perfor-
           mance énergétique du nouveau bâtiment est une
           recette magique pour les promoteurs, occultant
           derrière l’argument écologique une motivation
           économique. Mieux vaudrait démolir une passoire                                                            DÉMOLIR, C’EST PAS BIEN MAIS…
           énergétique pour reconstruire un bâtiment passif                                                           Depuis quelques mois, le sujet est largement
                                                                                                                      débattu dans l’espace public et on observe une
           que rénover l’ancien. En l’état, les données manquent                                                      évolution dans les discours. Dans une inter-

           pour opérer l’arbitrage, laissant le champ libre aux                                                       view de février 2020, le Maître architecte de la
                                                                                                                      Région bruxelloise K. Borret se disait défavo-
           intérêts spéculatifs                                                                                       rable à la démolition-reconstruction : « Pendant
                                                                                                                      trop longtemps la démolition a été l’option numéro un. Or,
           Claire Scohier, Inter-Environnement Bruxelles                                                              il faut désormais envisager comme option principale celle
                                                                                                                      de garder le bâtiment et, si vraiment ça ne va pas, on envi-
                                                                                                                      sage alors de le démolir. » 6 Interpellé sur le sujet un
                                                                                                                      an plus tard en Commission de développement
                                                                                                                      territorial du Parlement bruxellois, le Secrétaire

➪
                                                                                                                      d’État P. Smet répondait ceci : « je demande à chaque
             La consommation énergétique des                                                                          promoteur qu’il démontre dans une note qu’une démolition
             bâtiments est responsable de 60 %                                                                        est nécessaire mais pas une reconstruction. […] Les men-
             des émissions directs de CO2, sec-                                                                       talités changent et nous préférons éviter une démolition
teurs tertiaire et résidentiel confondus 1. Ceci                                                                      lorsque c’est possible. » 7
explique que depuis une quinzaine d’années, la                                                                               Même écho du côté de la directrice d’Urban
Région de Bruxelles-Capitale met en place des                                                                         Brussels, Betty Waknine interviewée à la même
actions et des normes dans le secteur du bâti-                                                                        période : les promoteurs « vont en tout cas devoir
ment pour en réduire l’impact. Les ambitions les                                                                      davantage étudier la question et justifier toute démolition
plus fortes concernent la construction neuve (au                                                                      via une analyse multicritères. C’est une nouveauté. Elle
standard passif depuis 2015) et la gestion énergé-          En 2013, IEB consacrait un numéro entier                  s’inscrit dans nos lignes de conduite en matière d’immobi-
tique au sein du bâtiment tandis que la rénova-       de son journal à cette question : « De nombreux                 lier durable. […] Nous allons suggérer cette étude pour tous
tion reste négligée.                                  bâtiments bruxellois sont effectivement des passoires éner-     les projets où la question de la démolition se pose, notam-
      Or le secteur de la construction et démo-       gétiques, faut-il pour autant les détruire pour les remplacer   ment dans le cadre des évaluations des incidences ou lors de
lition (C&D) est un des plus gros producteurs         par d’autres bâtiments au prétexte qu’ils sont plus perfor-     discussions liées aux réunions de projets. […] Trop de bâti-
de déchets en Région bruxelloise. Le flux de          mants sur le plan énergétique ? » 3. IEB y analysait trois      ments ont été démolis un peu trop rapidement par le passé,
déchets de construction/démolition en Région          projets immobiliers démontrant, à l’aide d’un                   par facilité. Il est désormais important de se poser davan-
de Bruxelles Capitale tourne autour de 700 000        outil basique, mais ayant au moins le mérite                    tage la question de la rénovation. » 8                    †
tonnes/an. Selon Bruxelles environnement, ce          d’exister, et mis sur pied par l’Association du
secteur représente en 2020, 38 % de l’ensemble        Quartier Léopold 4, que le cycle de vie de la démo-
des déchets produits en tonne par an. Or la           lition-reconstruction plaidait nettement en
démolition-reconstruction suppose, outre la           faveur d’une rénovation sur le plan environne-
récupération des tonnes de déchets générés lors       mental : il fallait 48 ans pour amortir l’énergie
de la phase de démolition, leur transport, leur       grise du projet Trebel, 88 ans pour le projet Victor                 Les buildings d’après-
recyclage/réemploi éventuel ou leur incinéra-
tion, l’extraction de matières premières neuves
                                                      et la facture environnementale du processus
                                                      total de démolition-reconstruction du projet Up
                                                                                                                           guerre pouvaient avoir
parfois non renouvelables, l’acheminement et la       Site (Atenor) était telle qu’elle ne serait jamais                   des durées de vie de
mise en œuvre de ces matériaux neufs. Peu de          amortie.
données existent à l’heure actuelle sur les émis-           Le secteur du bureau est particulièrement                      50 ans, un bureau
sions indirectes de gaz à effet de serre liées à ce
processus de renouvellement de la ville sur elle-
                                                      concerné par cette obsolescence programmée.
                                                      Les spécialistes reconnaissent que les bâtiments
                                                                                                                           moderne est obsolète
même. Elles sont actuellement lacunaires, voire       de bureaux « périment » plus vite qu’avant. Les                      après 15 ans.
inexistantes. 2                                       buildings d’après-guerre pouvaient avoir des
                                                      durées de vie de 50 ans, un bureau moderne est
                                                      obsolète après 15 ans, parce qu’il est conçu pour
                                                      des fonctions, des usages plus spécifiques. 5
TOUJOURS PLUS - Inter-Environnement Bruxelles
TOUJOURS PLUS - Inter-Environnement Bruxelles
8 / TOUJOURS PLUS VERT
Bruxelles en mouvements 314 – octobre/novembre 2021

                                                            D’autres bâtiments qui n’ont même pas 25
                                                     ans sont carrément destinés à une destruction
   S’il y a un consensus                             totale ! Il en va ainsi des trois immeubles de la
                                                     KBC inaugurés le long du canal en 1998. Le nou-
   affiché sur la nécessité                          vel acquéreur, le promoteur Triple Living, sou-
                                                     haite transformer cet îlot monofonctionnel de
   d’imposer une analyse                             bureaux en îlot monofonctionnel de logements
                                                     et hôtel 10. Le projet suppose la démolition totale
   qui objective le coût                             de ces bâtiments au nom des vertus écologiques
   environnemental d’une                             des nouveaux bâtiments. Interpellé sur le sujet,
                                                     le secrétaire d’État à l’urbanisme P. Smet se justi-
   démolition-recons-                                fie : « La démolition est, par ailleurs, inéluctable parce que
                                                     les bâtiments créés dans les années 80 n’offrent pas la pos-
   truction, la pratique                             sibilité d’une reconversion […] en logements ou autres ». 11
   observée sur le terrain                           Outre que le bâtiment n’a pas été construit dans
                                                     les années 80 mais bien fin des années 90, il
   dénote fortement.                                 semble qu’il n’y ait pas eu de contre-expertise
                                                     à l’étude réalisée par le promoteur lui-même
                                                     comme le rétorque la parlementaire F. Lanaan :
                                                     « Je ne suis pas convaincue par vos réponses, notamment
                                                     pour ce qui est de l’analyse des pouvoirs publics. Ces derniers         Dans les exemples précités, on observe une
      S’il y a un consensus affiché sur la néces-    doivent réaliser une contre-analyse de ce que les promoteurs      récurrence dans l’argumentaire : les promoteurs
sité d’imposer une analyse qui objective le coût     proposent. »                                                      invoquent les vertus de la mixité des fonctions
environnemental d’une démolition-reconstruc-                Autre exemple de ce processus de tabula                    pour justifier la destruction d’un ensemble de
tion, la pratique observée sur le terrain dénote     rasa en plein centre ville : l’îlot De Brouckère                  bureaux. Le verni de la mixité cache un inté-
fortement.                                           qui entoure le cinéma UGC. L’îlot, dont les ori-                  rêt spéculatif : l’arrêté sur les charges d’urba-
      Si plusieurs projets de rénovation sont        gines remontent au voûtement de la Senne en                       nisme exonère le promoteur de devoir payer cette
en cours, certains consistent en un processus        1870, fut occupé par Allianz (ex Assubel) dans les                « taxe » à la Région lorsque les logements nouvel-
hybride qui confine plus au réemploi qu’à la         années 80 qui laissa pourrir le bâtiment après                    lement construits sont issus d’une reconversion
rénovation. Il en va ainsi du projet Zin dans le     son départ avant de le revendre à Immobel. Le                     de bureaux.
quartier Nord. Toute personne fréquentant le         projet « Brouck’R », à l’instar du projet KBC, vise                     En outre, depuis le 1er janvier 2021, l’intérêt
quartier ne pourra échapper à ces grandes barres     à transformer l’ensemble entièrement dédié                        financier du promoteur à démolir s’est encore
de béton verticales qui figurent le squelette dans   aux bureaux (plus de 41 000 m²) en un ensemble                    accru : lorsqu’un immeuble est démoli et rem-
anciennes tours WTC 1 et 2, symboles de la tertia-   mixte de logements, bureaux, hôtel et com-                        placé par un immeuble neuf de logements, le
risation outrancière du quartier Nord. Les deux      merces, justifiant ainsi la démolition quasi                      taux de TVA est réduit à 6 %. L’Union profession-
tours ont été complètement désossées de leurs        totale de l’îlot. La demande de permis ne contient                nelle du secteur immobilier (Upsi) vante cette
matériaux, laissant uniquement à vue les deux        pas la moindre référence au bilan carbone d’une                   mesure qui permettrait « aux moins favorisés d’avoir
blocs de béton verticaux de 14 étages. En 2023,      telle opération, aucun gain énergétique n’est                     accès à un logement neuf, de diminuer l’impact écologique
devrait prendre place à cet endroit un ensemble      démontré 12. Après un avis favorable de la com-                   des nouvelles constructions et favoriser la décarbonation du
mixte (bureau, résidentiel, hôtel) de 30 étages et   mission de concertation, le permis autorisant                     patrimoine immobilier belge » 14 Plus greenwashing et
110 000 m². Le promoteur Befimmo se vante de         la démolition-reconstruction a été délivré à BPI                  anti-social que ça, tu meurs vu que les logements
contribuer ainsi à la stratégie d’économie circu-    Real Estate et Immobel durant l’été 2021.                         produits dans ces processus sont loin d’être acces-
laire : il recyclera ou réutilisera 188 000 tonnes          Un peu plus loin, près du Sablon, un autre                 sibles aux Bruxellois·es, en réalité ils accroissent
de matériaux sur les 290 000 tonnes des tours        projet porté par Immobel, le projet Lebeau,                       surtout la rentabilité de l’investisseur.
WTC 1 et 2. Le béton récupéré sera d’abord stocké    vise une fois encore à remplacer le bureau par
avant d’être analysé, puis transformé en granu-      un ensemble mixte comprenant logements,
lats, lesquels seront à leur tour envoyés à une      bureaux, hôtel et commerces, entraînant la
centrale de béton qui en fera du béton recyclé.      démolition de 39 000 m² d’un ensemble patrimo-
Le projet a reçu des mains du secrétaire d’État à    nial reconnu par la Commission des Monuments
l’urbanisme le prix be.exemplary ! 9 Exemplaire      et Site. Le promoteur a estimé que l’impact envi-
l’évacuation de 188 000 tonnes de matériaux,         ronnemental de sa démolition-reconstruction
même s’ils seront recyclés, supposant près de        était inférieur de 36 % à celui d’une rénovation 13.
10 000 trajets de camions 20 tonnes ?                Ici aussi, aucune contre-expertise des pouvoirs
                                                     publics. Le boulot a donc été réalisé par les habi-
                                                     tants eux-mêmes. En effet, le comité Lebeau,                          Les logements produits
                                                     avec l’aide de l’outil précité de l’AQL, a montré
                                                     qu’il faudrait 43 ans pour amortir la production                      dans ces processus sont
                                                     de gaz à effet de serre induite par l’opération
                                                     immobilière, dont le transport de 46 000 tonnes
                                                                                                                           loin d’être accessibles
                                                     de déchets, soit 2 300 camions de 20 tonnes.                          aux Bruxellois·es, en
                                                                                                                           réalité ils accroissent
                                                                                                                           surtout la rentabilité
                                                                                                                           de l’investisseur.
TOUJOURS PLUS - Inter-Environnement Bruxelles
TOUJOURS PLUS VERT /
                                                                                                               Bruxelles en mouvements 314 – octobre/novembre 2021
                                                                                                                                                                              9

DES PLANS D’AMÉNAGEMENT
DESTRUCTEURS
Les plans d’aménagement directeur (PAD)                      Si contrairement au PAD Mediapark nous
donnent une amplitude inégalée à cette pratique       ne connaissons pas l’empreinte carbone du PAD
d’obsolescence du bâti bruxellois. Ainsi les PAD      Midi, mis à l’enquête publique le 1er septembre
Loi, Mediapark et Midi, par les contraintes qu’ils    2021, son scénario préférentiel laisse entrevoir
imposent en termes de mixité des fonctions et         une facture environnementale salée. En effet, il
                                                                                                                                1. Cela concerne le chauffage, la consomma-
des gabarits qu’ils autorisent, sont de vastes        suppose la destruction de près de 300 000 m² de
                                                                                                                                tion d’eau chaude. Le transport routier est
opérations de démolition-reconstruction de cen-       surface plancher pour reconstruire 524 000 m²                             responsable de 29 % des émissions directes.
taines de milliers de m² de bureaux.                  de surfaces nouvelles 18. Si le Rapport d’inci-                           Voir Stratégie de réduction de l’impact envi-
      Le collectif des Shifters 15 s’est penché sur   dences environnementales du PAD Midi recon-                               ronnemental du bâti existant en Région de
                                                                                                                                Bruxelles-Capitale aux horizons 2030-250.
le bilan carbone du PAD Mediapark. Le projet          naît que « La démolition/reconstruction implique une                      2. E. GOBBO, Déchets de construction,
adopté par le gouvernement bruxellois en pre-         utilisation d’énergie plus importante que la rénovation. »                matières à conception : analyse des stocks
mière lecture autorisait la destruction de la tota-   il se contente de considérer que « la réutilisation                       et flux de matières dans le cadre des opéra-
                                                                                                                                tions de rénovation énergétique en Région de
lité des bâtiments formant la cité audiovisuelle      de matériaux de bâtiments démolis pour la construction                    Bruxelles-Capitale, thèse, UCL, 2015, p. 23.
RTBF/VRT pour laisser place à 14 nouveaux bâti-       de nouveaux bâtiments sur le même périmètre contri-                       3. « Faut-il casser Bruxelles ? », Bruxelles en
ments. Les Shifters ont calculé que cette opéra-      buera à atténuer en partie ces incidences négatives. » 19 Il              mouvements, n°265, août 2013.
                                                                                                                                4. L’outil est disponible sur ce site :
tion serait responsable de l’émission de 489 000      n’hésite pas à annoncer une empreinte carbone                             https://demolition-reconstruction.be
tonnes de CO2. Ils ont proposé un scénario alter-     moindre du quartier : le PAD permettrait de divi-                         5. « Le télétravail laissera (encore plus) de
natif permettant de diviser par deux l’empreinte      ser par trois la consommation énergétique des                             bureaux vides à Bruxelles : ’Ça pourrait poser
                                                                                                                                problème’ », RTBF, 14 septembre 2021.
carbone induite par le PAD 16 notamment par la        bureaux. Conclusion lapidaire rendue possible
                                                                                                                                6. « Garder un bâtiment ou le démolir, que
rénovation des bâtiments existants et la préser-      par l’impasse faite sur les importants coûts envi-                        vchoisir ? » in Le Soir, 13 février 2020.
vation du bois Georgin dont les 20 000 arbres         ronnementaux des opérations de démolition et                              7. Interpellation par Isabelle Pauthier en
                                                                                                                                Commission de développement territorial
devaient être rasés pour réaliser le programme        construction. Si l’énergie liée à la construction va
                                                                                                                                le 15 mars 2021, p. 49.
régional 17.                                          certes s’amortir sur la durée de vie des nouveaux                         8. « Trop de bâtiments ont été démolis un peu
                                                      bâtiments dotés de nouvelles performances, les                            vite », Trends Tendance le 23 mars 2021.
                                                      émissions de CO2 liées à la démolition-recons-                            9. Lire l’article TH. VAN GYZEGEM
                                                                                                                                « La nouvelle ZIN du quartier
                                                      truction le sont au moment de la production !                             Nord », février 2020 : https://ieb.be/
                                                             Face à ces critiques, les pouvoirs publics                         La-nouvelle-ZIN-du-quartier-nord.
                                                      objectent que les demandes des futurs permis                              10. Lire l’article de S. DE LAET « Little boxes
                                                                                                                                on the hillside, Little boxes along the canal »,
                                                      d’urbanisme seront soumises à la réalisation                              décembre 2018 : https://www.ieb.be/27-Little-
                                                      d’études visant à optimiser les flux de matière                           boxes-on-the-hillside-Little-boxes-along-the-
                                                      et à limiter les déchets ultimes lors des travaux.                        canal.
                                                                                                                                11. Interpellation de F. Desmedt concernant
                                                      Selon nous, c’est dès le stade du PAD qu’il fau-                          « l’ancien bâtiment de la KBC », Commission
                                                      drait disposer d’un certain nombre de données                             Développement territorial du 12 juillet 2021,
                                                      objectivant les flux des matières induits par                             p. 5.
  Les plans d’aménage-                                les choix opérés dès lors que le PAD impose des                           12. Lire l’article de l’ARAU « Raser un îlot entier
                                                                                                                                en plein centre-ville devrait être interdit », 11
                                                      formes et des gabarits qui ferment ultérieure-
  ment directeur (PAD)                                ment les éventuels choix de rénovation qui pour-
                                                                                                                                mars 2020 : https://www.arau.org/fr/raser-un-
                                                                                                                                ilot-entier-en-plein-centre-ville-devrait-etre-

  sont de vastes opéra-
                                                                                                                                interdit/.
                                                      raient être posés.
                                                                                                                                13. Lire l’article de D. DELAUNOIS
                                                                                                                                « Démolition-reconstruction : quel bilan CO2 ? »
  tions de démolition-                                OBJECTIVER LA FACTURE CARBONE                                             in le Bruxelles en Mouvements no 311 mai 2021.
                                                                                                                                14. « La TVA à 6% sur les démolitions-recons-
                                                      Aussi longtemps que nous ne disposerons pas
  reconstruction de                                   de données indépendantes et fiables dressant le
                                                                                                                                tructions doit booster le secteur du neuf », in
                                                                                                                                Le Soir, 18 mars 2021.

  centaines de milliers                               bilan environnemental d’un processus de démo-
                                                      lition-reconstruction comparé à un scénario de
                                                                                                                                15. Les Shifters sont un réseau de bénévoles
                                                                                                                                qui cherchent à informer, sensibiliser et

  de m² de bureaux.                                   rénovation, les promoteurs poursuivront leur
                                                                                                                                éduquer la population ainsi que les acteurs
                                                                                                                                socio-économiques et politiques, notamment
                                                      fuite en avant dans la destruction de l’existant.                         basés en Belgique, sur les enjeux climatiques
                                                      La parade est simple, il suffit d’imposer lors les                        et énergétiques, et à contribuer à la décarbo-
                                                                                                                                nation de la société.
                                                      demandes de permis la réalisation d’une étude                             16. https://www.ieb.be/Les-PAD-bruxellois-
                                                      indépendante dressant le bilan environnemen-                              torpillent-le-budget-carbone-de-la-Belgique.
                                                      tal permettant de comparer les deux hypothèses.                           17. Signalons qu’entre-temps le projet de PAD
                                                                                                                                a été revu en 2e lecture et limite en partie cette
                                                            Le Plan Energie-climat de la Région prévoit
                                                                                                                                gabegie environnementale.
                                                      que la démolition doit rester une mesure tout à                           18. « Rapport sur les incidences environne-
                                                      fait exceptionnelle. Selon la stratégie de réduc-                         mentales du PAD Quartier de la gare du midi
                                                      tion de l’impact environnemental du bâti exis-                            Partie 3 – Incidences PAD. Déchets », mars
                                                                                                                                2021, p. 3.
                                                      tant 2030-2050, la fiche 33 prévoit de quantifier                         19. « Rapport sur les incidences environne-
                                                      le coût environnemental global d’une démoli-                              mentales du PAD Quartier de la gare du midi
                                                      tion/reconstruction. Bruxelles-Environnement                              Partie 3 – Incidences PAD. Énergie », mars
                                                                                                                                2021, p. 15.
                                                      a développé l’outil TOTEM qui permet de com-
                                                      parer des systèmes constructifs et des scénarios
                                                      de rénovation pour en diminuer l’impact envi-
                                                      ronnemental. C’est l’outil que les Shifters ont
                                                      utilisé pour analyser le bilan carbone du PAD
                                                      Mediapark. Dès lors que les citoyens y arrivent,
                                                      comment se fait-il que l’usage d’un tel outil ne
                                                      soit pas imposé aux promoteurs qui nous vantent
                                                      les mérites écologiques de leurs opérations de
                                                      démolition reconstruction ? ●
TOUJOURS PLUS - Inter-Environnement Bruxelles
10 / TOUJOURS PLUS VERT
Bruxelles en mouvements 314 – octobre/novembre 2021

          FEU VERT !                                                BRUXELLES TRACE LA ROUTE
                                                                    AU VÉHICULE ÉLECTRIQUE

            Constructeurs automobiles et pouvoirs publics
            s’accordent sur un point : l’avenir est à l’électrique.
            Ce futur vise-t-il cependant à réinventer la mobi-
            lité en milieu urbain ou simplement à remplacer le
            parc automobile existant ? La question mérite d’au-
            tant plus d’être posée que les gains environnemen-                                                LES BORNES DE RECHARGE
            taux de la voiture électrique sont controversés et                                                La transition vers la voiture électrique est tri-
                                                                                                              butaire de la présence de bornes de recharge,
            contestables.                                                                                     tant dans des espaces publics (voirie) que privés
                                                                                                              (garages). Dans sa vision stratégique publiée
            Damien Delaunois et Thyl Van Gyzegem, IEB                                                         en juin 2020, la Région explique vouloir finan-
                                                                                                              cer ces dispositifs non pas par la collectivité,
                                                                                                              mais par les futurs utilisateurs 3. Pour ce faire,

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                                                                                                              un système de concession a été élaboré, dans
               En juin dernier, la Région bruxel-            Ce contexte offre l’occasion de présenter        lequel les opérateurs placeront les bornes aux
               loise annonçait vouloir interdire       quelques enjeux de l’électrification et de ques-       endroits définis par Bruxelles-Environnement
               la circulation aux véhicules ther-      tionner sa pertinence au regard des problèmes          et Bruxelles-Mobilité, après une adjudication
miques sur son territoire, avec un bannisse-           que pose la mobilité automobile à Bruxelles.           dont est en charge le gestionnaire du réseau élec-
ment du diesel en 2030 et de l’essence en 2035. En     Dans quelle mesure l’installation de nombreuses        trique, Sibelga. Même si des études complémen-
Europe, pour des raisons qui tiennent à la fois au     bornes de recharge encouragera-t-elle une mobi-        taires sont attendues, ces bornes devraient être
respect des « objectifs climatiques » (neutralité      lité partagée ? Influencera-t-elle la politique        alimentées avec des énergies renouvelables.
carbone en 2050) et à la profitabilité de l’indus-     de stationnement ? Peut-on parler de véhicules               Pour faciliter le placement de ses bornes, la
trie, c’est l’électrification de la mobilité automo-   « zéro émission » ? Dans quelle mesure la pollu-       Région a prévu de dispenser les opérateurs d’une
bile qui a été retenue.                                tion générée par l’électrification a-t-elle été éva-   demande de permis d’urbanisme, même s’il y a
      Avec une centaine de décès par an impu-          luée par les autorités bruxelloises ? Enfin, est-on    dérogation aux règlements en vigueur. Les dis-
tables à la mauvaise qualité de l’air, la Belgique,    bien certain qu’un changement technologique            positifs pourront ainsi être placés sur des empla-
et plus particulièrement Bruxelles, se trouvent        suffise à rendre notre mobilité « durable » ?          cements de parking et les trottoirs (à condition de
en infraction des réglementations européennes.                                                                laisser un passage libre d’obstacle sur au moins
Pour faire baisser les concentrations trop élevées                                                            un tiers de la largeur de l’espace disponible) et
de dioxyde d’azote dans l’air, la Région a ins-                                                               ce sans obligation d’informer des riverains, les-
tauré en 2018 une « zone de basses émissions »                                                                quels n’auront plus la faculté d’introduire un
chargée de restreindre l’accès des véhicules les
plus polluants à son territoire 1. En parallèle, à
                                                              La Région explique                              recours auprès du Conseil d’État.
                                                                                                                    Bien que la projection relative au nombre
travers le plan régional de mobilité Good Move,               vouloir financer ces                            de bornes 4 intègre l’objectif de baisse de la part
elle ambitionne une diminution de 24 % de l’uti-                                                              modale de la voiture du Plan régional de mobi-
lisation de la voiture en 2030 à Bruxelles.                   dispositifs non pas                             lité (Good Move) et que la Région entend favori-
      Quant à la Commission européenne, à la                                                                  ser la mobilité partagée, celle-ci ne fait l’objet
faveur du scandale Volkswagen de 2015 2, elle
                                                              par la collectivité,                            pour l’instant d’aucune stratégie à long terme.
impose depuis 2021 des amendes importantes
aux constructeurs automobiles en cas de dépas-
                                                              mais par les futurs                             À ce stade, en effet, seuls 5 % des bornes prévues
                                                                                                              en 2022 seront dédiées à des voitures partagées.
sement des seuils d’émissions. Si les construc-               utilisateurs.                                   En outre, comme nous le verrons plus loin, les
teurs automobiles avaient déjà commencé à                                                                     mécanismes fiscaux de régulation de l’automo-
produire des véhicules dits « zéro émission »,                                                                bile projetés (la tarification kilométrique) ne
l’existence de ces sanctions, appelées à être dur-                                                            semblent pas fortement dissuasifs quant à la
cies progressivement, a accéléré la transition                                                                possession de voitures individuelles, voire même
industrielle vers la voiture électrique.                                                                      ils incitent à l’achat de nouveaux véhicules. †
12 / TOUJOURS PLUS VERT
Bruxelles en mouvements 314 – octobre/novembre 2021

      Le déploiement de bornes soulève égale-
ment des enjeux liés au stationnement. Dans
la mesure où seuls 26 % des ménages bruxellois
disposent d’un emplacement de stationnement
privé, le déploiement des bornes visera avant
tout à répondre à la demande de ceux qui ne
pourront pas recharger leur véhicule chez eux.
Parallèlement, puisque la Région ambitionne de                         Évaluer les performances
supprimer 65 000 emplacements de parking en
voirie d’ici 2030 et de favoriser le stationnement
                                                                       environnementales de
hors voirie, il faudra donc favoriser l’implanta-                      la voiture électrique
tion de bornes dans les espaces privés et semi-
privés (parking de supermarché, par exemple).                          implique de ne pas se limi-
La dernière réforme du Règlement régional
d’urbanisme, entre-temps enterrée, prévoyait
                                                                       ter à ses émissions directes.
ainsi l’installation d’un point de rechargement
par 10 places de parking construites hors voi-
rie. On le voit, l’installation de dispositifs de
recharge devrait idéalement être couplée à une         LES ÉMISSIONS
réflexion sur la mutualisation du parking exis-        Lors de son utilisation, une voiture électrique                       Plus globalement, l’électrification des
tant. Dans quelle mesure pourrait-elle justifier       rejette certes beaucoup moins de particules fines               transports générera immanquablement une
la construction de nouvelles infrastructures de        et de gaz à effet de serre qu’un véhicule ther-                 hausse de la demande en électricité dont la pro-
stationnement ?                                        mique. De là à conclure qu’elle constitue une                   duction, largement tributaire des énergies fos-
      Quoi qu’il en soit, en raison de sa complexité   alternative « zéro émission », il y a un pas qui                siles, ne pourra jamais être assurée par les seules
technique (système d’identification et de paie-        est allègrement franchi par une partie de ses                   énergies renouvelables. Alors que celles-ci ne
ment intégré, raccordement électrique, protec-         promoteurs.                                                     pourront satisfaire que la moitié de cette hausse
tion contre le vandalisme…), l’installation pré-             Évaluer les performances environnemen-                    et qu’est programmée la fermeture de certaines
sente un coût non négligeable qui sera répercuté       tales de la voiture électrique implique de ne pas               centrales nucléaires, la demande accrue en élec-
sur l’utilisateur en plus du coût du stationne-        se limiter à ses émissions directes, générées au                tricité impliquera la construction de centrales
ment. On le voit, disposer d’un emplacement de         moment de l’utilisation. Il convient de prendre                 à gaz, émettrices de CO2 6. Sur ce point l’étude
stationnement à domicile confère un avantage           en compte les émissions de l’ensemble du cycle                  d’impact est à nouveau laconique et se limite à
financier certain, alors que le prix d’une voiture     de vie du véhicule, qui renvoient à l’extraction et             avancer que « La production de l’électricité utilisée pour
électrique devrait se rapprocher d’un véhicule         au transport des matières premières ainsi qu’à                  alimenter des BEV [véhicules électriques] présente
thermique seulement aux alentours de 2030.             l’énergie requise par la production et la propul-               aussi un impact climatique, mais celui-ci est plus restreint
      Quant au réseau électrique, bien que Sibelga     sion de la voiture (quantité d’énergie qui varie                par rapport aux autres technologies grâce au mix électrique
l’estime suffisamment dimensionné pour absor-          selon la taille et la durée de vie de la batterie).             belge. Il peut également être minimalisé (sic) par l’utilisa-
ber la demande en électricité (à condition de                L’extraction des métaux nécessaires à la                  tion de sources d’énergie renouvelable. ».
renforcer certains points spécifiques), la satu-       fabrication des véhicules électriques, qui a                          Sans changements radicaux de notre mobi-
ration pourrait avoir lieu au moment du pic de         essentiellement lieu loin de chez nous (Chine,                  lité, la transition vers la voiture électrique ne
demande d’électricité (18h-21h). Le cas échéant,       Amérique du Sud, Congo), est très polluante et                  constitue pas une solution écologique. Si elle
des dispositions devront donc être prises : brider     nécessite d’importantes quantités de ressources                 permet de réduire localement la pollution atmos-
les puissances en soirée et/ou proposer un tarif       naturelles. Extraire une tonne de lithium                       phérique due aux transports, sa production pro-
variable plus attractif en heures creuses.             requiert ainsi pas moins d’un milliard de litres                cède d’une délocalisation de la pollution et d’une
                                                       d’eau. Pour obtenir une tonne de terres rares,                  augmentation de la demande globale d’énergie.
                                                       deux cents mètres cubes d’eau sont contaminés                   À modèle inchangé – et si l’on ne se satisfait pas
                                                       avec des substances toxiques. Selon l’Agence                    uniquement de la « qualité » de l’air bruxellois
                                                       européenne pour l’Environnement, la générali-                   – ce n’est pas un horizon toujours plus vert que
   L’installation de dis-                              sation des véhicules électriques devrait doubler                nous réserve l’électrification des transports.
   positifs de recharge                                voire tripler la pollution des sols et des eaux 5.
                                                             Les émissions dites indirectes, malgré leur
   devrait idéalement être                             évidence et leur ampleur, n’ont pas été comp-
                                                       tabilisées par les études d’impact commandi-
   couplée à une réflexion                             tées par les autorités bruxelloises : « En l’absence
   sur la mutualisation                                de méthodologie régionale, les émissions indirectes de gaz
                                                       à effet de serre ne sont pas non plus évaluées. Et le report
   du parking existant.                                du transport automobile vers les véhicules électriques sera            la généralisation des
                                                       probablement problématique pour l’atteinte des objectifs
                                                       du Gouvernement en termes d’émissions indirectes. La prise             véhicules électriques
                                                       en compte de ces émissions dans l’action climatique régio-
                                                       nale rappelle que c’est la réduction de la consommation                devrait doubler voire
                                                       énergétique du secteur du transport qui doit être visée, vau-
                                                       delà de la seule réduction des émissions directes. ». Cette
                                                                                                                              tripler la pollution
                                                       « absence » de méthodologie, pourtant commune                          des sols et des eaux.
                                                       dans le calcul des incidences environnemen-
                                                       tales, aboutit logiquement à occulter une bonne
                                                       partie de l’impact écologique de l’électrification :
                                                       dans la catégorie « climat, pollution et santé » du
                                                       tableau récapitulatif de l’étude d’impact, aucune
                                                       « faiblesse » ou « menace » n’est identifiée…
TOUJOURS PLUS VERT /
                                                                                                                  Bruxelles en mouvements 314 – octobre/novembre 2021
                                                                                                                                                                            13

                                                              Une telle politique est d’autant plus perti-
                                                       nente (et urgente) que certaines projections des
     Limitée à elle-même                               études d’impact ne sont guère encourageantes.
     l’électrification n’a a                           « D’une manière générale, quel que soit le scénario, la part
                                                       des automobilistes actuels qui choisissent d’acheter une
     priori aucun impact                               voiture électrique est élevée, tant parmi les résidents de la
                                                       RBC que parmi les non-résidents […] La mesure de sor-
     sur la congestion,                                tie des véhicules thermiques n’aura pas un impact fort en
     la sécurité routière                              matière de report modal » 8. Quant à la congestion,
                                                       on lit que « les véhicules-km routiers (voitures, camions,
     ou l’occupation de la                             camionnettes) à la pointe du matin diminuent de 0,8 %
                                                       sur le territoire de la Région, et la vitesse routière moyenne
     voirie.                                           passe de 19,5 à 19,6 km/h ». Autrement dit, la transi-
                                                       tion vers l’électrique aura « un impact très faible sur le
                                                       trafic routier dans son ensemble ».
                                                              Les études régionales indiquent ainsi que
                                                       l’électrification seule ne bouleversera pas la
CHANGER DE VOITURE                                     manière dont on se déplace et ne réduira pas
OU DE MOBILITÉ ? 7                                     significativement ni la possession individuelle
                                                                                                                             Limitée à elle-même
L’électrification constitue pour certains un véri-
table tournant dans l’histoire des transports.
                                                       de véhicules ni la congestion. Et, nous l’avons
                                                       dit plus haut, elles n’ont pas cherché à objectiver
                                                                                                                             l’électrification n’a a
Mais est-on bien sûr qu’un changement tech-            les émissions indirectes induites par la transi-                      priori aucun impact
nique suffise à changer notre mobilité et réduire      tion vers l’électrique. Si « transition » il y a, elle
durablement son impact environnemental ?               semble cantonnée au type de propulsion et, en                         sur la congestion,
      En effet, sans compter que limitée à elle-
même l’électrification n’a a priori aucun impact
                                                       l’état, n’affecte quasiment pas des paramètres
                                                       déterminants de notre mobilité. Et ce au plus
                                                                                                                             la sécurité routière
sur la congestion, la sécurité routière ou l’occu-     grand bonheur de constructeurs automobiles                            ou l’occupation de la
pation de la voirie, certains paramètres de notre      dont la reconversion industrielle, largement
mobilité automobile sont de nature à forte-            soutenue par de l’argent public, vise à électrifier                   voirie.
ment tempérer les « gains » environnementaux           l’intégralité du parc automobile européen, soit
attendus :                                             250 millions de voitures 9. Changer notre mobi-
    • la plupart des véhicules privés sont immo-      lité sans affecter la profitabilité du secteur auto-
       bilisés 80 % du temps. Or, pour compenser       mobile, est-ce possible ?                                                   1. Début 2022, cette mesure franchira un
       les émissions liées à sa production, une voi-          Si la Région ne dispose au bout du compte                            nouveau palier en interdisant la circulation aux
                                                                                                                                   véhicules diesel de norme Euro4, la dernière
       ture électrique doit être utilisée intensive-   que d’une prise réduite sur cette « transition »                            génération à ne pas être équipée d’un filtre à
       ment. Autrement dit, les effets bénéfiques      (largement établie en amont d’une délibération                              particule.
       sur l’environnement de l’électrification        régionale) et certains de ses paramètres (mix                               2. Les mesures d’émissions en laboratoire ne
                                                                                                                                   correspondaient pas à la réalité observée en
       sont largement tributaires d’une véritable      énergétique belge, recyclage des batteries), elle                           circulation réelle. Ainsi, certaines voitures
       stratégie de mobilité partagée (et donc de      reste en mesure de proposer un changement de                                diesel relevant de la norme Euro 6, autorisée à
       réduction de la possession individuelle de      paradigme en matière de mobilité automobile.                                Bruxelles jusqu’en 2025, répandaient quatre à
                                                                                                                                   cinq fois plus d’oxyde d’azote que ce qui était
       véhicules) ;                                           Décourager fiscalement l’achat et l’usage                            prescrit.
    • l’achat de voitures de plus en plus puis-       de voitures, réduire l’espace qui leur est dévolu,                          3. Si aucun financement direct est prévu, il
       santes et lourdes constitue une tendance        déployer massivement du transport public léger :                            faut tout de même prendre en compte le rôle
                                                                                                                                   de coordination des pouvoirs publics ainsi que
       significative de ces cinq dernières années.     autant de dimensions d’une politique urbaine
                                                                                                                                   les nombreux coûts indirects non comptabili-
       À moins d’agir sur ce paramètre, la voi-        des transports à même de changer la manière                                 sés (planification, réglementation du station-
       ture électrique n’apportera rien en termes      dont on se déplace. Sans oublier que les para-                              nement, coûts supportés par le gestionnaire
                                                                                                                                   du réseau de distribution électrique).
       environnementaux (voire elle aggravera le       mètres principaux qui déterminent le type, la
                                                                                                                                   4. En mai dernier, la Région comptait 944
       problème) dans la mesure où ce sont de très     fréquence et la longueur de nos déplacements                                points de recharge existants dont 402 sur
       grosses et lourdes batteries qui devront être   tiennent à comment nous produisons, habitons                                la voie publique, une offre déjà insuffisante
       produites.                                      et organisons nos loisirs. Articuler ces multiples                          pour rencontrer la demande. En 2022, 250
                                                                                                                                   bornes supplémentaires seront installées
      À la lumière de ces deux paramètres, l’élec-     dimensions n’impose-t-il pas d’abandonner le                                tandis qu’à partir de 2023 le déploiement se
trification de la mobilité urbaine devrait être        fétichisme technologique qui imprègne de nom-                               fera de manière beaucoup plus soutenue afin
déployée dans le cadre d’un usage intensif, donc       breuses politiques publiques et réduit les enjeux                           d’atteindre la demande estimée à l’horizon
                                                                                                                                   2035 de 22 000 points de recharge, soit 11 000
partagé, d’une flotte de véhicules légers, avec        économiques et sociaux à des questions tech-                                bornes.
des batteries dont l’autonomie réduite ne pose         niques ? ●                                                                  5. European Environment Agency, « Electric
pas de problème pour des déplacements qui en                                                                                       vehicles from life cycle and circular economy
                                                                                                                                   perspectives », report 13/2018.
RBC sont pour la plupart inférieurs à 5 km.                                                                                        6. On comprend mal – si ce n’est en jetant un
      Il se trouve que la réforme de la fisca-                                                                                     œil à la liste de ses donateurs – que le bureau
lité automobile proposée par le gouvernement                                                                                       d’études Transport & Environnement, dont le
                                                                                                                                   travail est largement repris par certaines orga-
bruxellois (Smart Move) prévoit de supprimer la
                                                                                                                                   nisations environnementalistes, se permette
taxe de mise en circulation qui pour nombre de                                                                                     d’affirmer que l’électrification pourra « libérer
scientifiques constitue l’un des freins à l’achat                                                                                  le secteur des transports de la dépendance
de voitures, alors que la production d’un véhicule                                                                                 aux combustibles fossiles ». Cf. « From dirty oil
                                                                                                                                   to clean batteries », mars 2021.
génère autant d’émissions que celles induites                                                                                      7. P. COURBE, « Véhicules électriques ?
par deux ans d’utilisation. De plus, on l’ a dit,                                                                                  Changer de mobilité, pas de voiture ! », Inter-
la part des bornes de recharge destinées aux voi-                                                                                  Environnement Wallonie, 2010.
                                                                                                                                   8. Or, c’est précisément du report modal dont
tures partagées n’est à ce stade que de 5 %, trop                                                                                  dépendent d’éventuels « bénéfices » sanitaires,
peu pour fonder une politique de mobilité élec-                                                                                    comme on peut le lire plus loin dans l’étude :
trique partagée.                                                                                                                   « Pour que les bénéfices précités [en termes
                                                                                                                                   de santé] se matérialisent, il est crucial que
                                                                                                                                   les Bruxellois et les navetteurs optent pour
                                                                                                                                   des moyens de transport alternatifs tels que la
                                                                                                                                   marche, le vélo et les transports en commun ».
                                                                                                                                   9. Martin Dupont, « Voiture électrique en
                                                                                                                                   Europe : la folie des grandeurs », Lava, prin-
                                                                                                                                   temps 2021, p.39-53.
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