Tribune laïque n 169 avril 2022 - La Ligue de l'Enseignement
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tribune laïque n° 169 avril 2022 Publication de la Ligue de l’Enseignement et de l’éducation permanente asbl
Sommaire
Focus
Les coups de cœur de la Ligue
Coup de crayon sur l’actu
p4
éduquer
est édité par
De plus en plus de jeunes ont recours
à la chirurgie esthétique p6
Actualité
de l’Enseignement et de
Scolarisation des jeunes ukrainien·nes:
l’éducation permanente asbl
l’école peut-elle être un espace de résilience? p7
Dossier L’économie sociale, c’est quoi? Rue de la Fontaine, 2
Deux siècles d’économie sociale en Belgique: 1000 Bruxelles
quels enseignements? p 14 éditeur responsable
Visibilité, reconnaissance et place des Roland Perceval
femmes dans l’ESS: un débat toujours actuel p 19
Direction
L’économie sociale et solidaire en pratique p 22 Patrick Hullebroeck
Gouverner ensemble p 24
Responsable de la revue
Pédagogie Juliette Bossé
Alice Miller et la pédagogie noire p 27 Mise en page
Éric Vandenheede
Réalisation
mmteam sprl
Couverture Ont également collaboré
Jean Forest est un artiste à ce numéro:
bruxellois pluridiscipli- Patrick Hullebroeck
naire: il est réalisateur, ani- Marie Versele
mateur, graphiste, illustra- Flora Mercié
teur. Il est auteur de films Marian de Foy
(jeanforest.net) et fonda- Quentin Mortier
teur du studio forest (stu- Magalie Saussey
dioforest.be). Clémentine Delahaut
https://jeanforest.net/ Juliette Bossé
Elisabeth Holleville
Nous sommes heureux·ses de vous présenter notre
nouveau Cahier des formations printemps-été 2022
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manente organise toute l’année des formation en
ligne, en présentiel, de courte ou longue durée dans
le management associatif, la communication, l’ani-
mation socioculturelle, le bien-être et le développe-
ment personnel pour les acteurs et actrices du non
marchand ainsi que des stages résidentiels d’été.
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Communication
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Bien-être et développement personnel
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n° 169 | avril 2022 éduquer 3
focus
Marie Versele, secteur communication
Le saviez-vous?
Bruits et souffrances de guerre Qu’est-ce que l’effet Pygmalion?
Bruits et souffrances de guerre occupent les mé- L’effet Pygmalion (ou l’effet Rosenthal & Jacobson) est une prophétie autoré-
dias depuis ce 24 février où la Russie de Poutine a alisatrice (le fait de croire en quelque chose augmente les possibilités qu’elle
envahi l’Ukraine. Ils suscitent en nous un mélange se réalise) qui permet d’augmenter les performances d’un sujet, en fonction du
degré de croyance en sa réussite venant d’une autorité ou de son environ-
de colère, d’effroi, de compassion, d’élans de soli- nement. Dès lors, le jugement porté par une personne, ou par soi-même,
darité, mais aussi, d’incompréhension. influence et conditionne notre comportement et le simple fait de croire en
Car il ne suffit pas d’expliquer les conditions et nos capacités permettrait d’améliorer nos chances d’atteindre nos objectifs.
les raisons d’un conflit ou d’observer la succession Outre le fait d’améliorer les chances de réussite, l’effet Pygmalion génére-
Billet d’humeur
tragique des évènements pour en comprendre la rait également chez les individus une amélioration de la confiance en soi,
signification. une réduction de l’anxiété, une amélioration de l’humeur, une plus grande
La guerre de l’information à laquelle se livrent les implication personnelle, une vision positive des choses… L’effet Pygmalion
belligérants ne simplifie pas la tâche et l’opacité a donc tout son intérêt dans la pédagogie, tant il peut favoriser la réus-
des intentions qui motivent les faits de guerre site scolaire des élèves. L’effet Pygmalion est principalement étudié dans
augmente la difficulté d’identifier le sens des le cadre des effets positifs. L’effet inverse est appelé «effet Golem» (dans la
évènements et leurs possibles développements mythologie juive, un Golem est un être, un embryon inachevé, incapable
de parole, malléable à souhait et dépourvu de libre-arbitre) qui se traduit
futurs. par l’idée que des attentes peu élevées sur un individu généreraient des
Sommes-nous à la veille d’un embrasement gé- performances moindres et des objectifs moins élevés. Pour la petite histoire,
néral? Quelle sera l’ampleur du désastre humani- le nom «d’effet Pygmalion» est emprunté à la légende grecque de Pygmalion,
taire? Quelles seront les conséquences environne- ce sculpteur chypriote qui désavoua le sexe et vécut en célibataire en réaction à
mentales, économiques, politiques et militaires? l’omniprésence des Propétides (des prostituées et/ou sorcières) dans la cité. Un
Le conflit pourrait-il conduire, à terme, à l’écrou- jour, il sculpta une statue de femme d’une telle beauté qu’il en tomba amou-
lement de la Russie ou à des transformations ma- reux. De retour chez lui après une fête dédiée à Aphrodite (déesse grecque de
jeures au niveau européen? l’Amour), il embrassa sa statue qui, sous ses yeux, prit vie et se transforma en
L’histoire n’est pas écrite et nul ne pourrait ré- femme (Galathée) grâce à l’intervention divine d’Aphrodite, touchée par cette passion.
pondre à ces interrogations. Mais il n’est égale-
ment personne qui ne s’interroge. Jeunesse
Les jeunes, en particulier, sont confrontés à cette «Regarde par la fenêtre» de Katerina Gorelik
absence de réponse et l’incertitude pèse d’au- «Quelle jolie maison avec un jardin! Et quelle adorable veille
tant plus sur leur conscience qu’elle a partie liée dame à la fenêtre. Oh, plutôt une affreuse sorcière qui concocte
avec le monde futur dans lequel ils/elles auront à des potions pour transformer ses invités en souris et cafards!»
construire leur vie. Et peut-on construire vraiment Une fenêtre! Il est bien tentant de l’ouvrir! Une porte, on
sur un champ de ruines, alors que déjà, la crise l’ouvre? Que va-t-on trouver derrière? Sorcière, loup, dragon,
sanitaire et la catastrophe environnementale souris… tous nos monstres préférés sont là! Mais attention,
rendent précaire tout pronostic vital? les apparences sont parfois trompeuses!
Dans cette incertitude qui règne, l’école a son «Regarde par la fenêtre» est un album jeunesse qui s’amuse
rôle à jouer. D’abord pour informer. Ensuite pour à jouer avec les peurs des petits (et des grands) enfants pour
montrer les enjeux et la complexité du réel. Mais déjouer les pièges des apparences et des préjugés. Ainsi, au fil
des pages, grâce à des fenêtres et découpes, l’autrice Katarina
plus encore peut-être, l’école a-t-elle à cultiver Gorelik détourne les idées reçues en transformant les créa-
cet art de vivre qui consiste à penser librement et tures les plus effrayantes en gentils personnages et inverse-
sans partis pris quand les évènements ébranlent ment. Entre la gentille vieille dame qui devient une vilaine
toutes nos certitudes. Car il résulte de cette liberté sorcière à la page suivante, et des squelettes qui deviennent
intérieure une volonté dont le courage des popu- tout simplement la maison du Docteur Souris, l’effet de surprise et la réflexion sont là. Le message est
lations ukrainiennes témoigne et qu’aucun diktat clair et efficace: méfions-nous des apparences car derrière les façades, on se trompe bien souvent!
jamais ne peut briser.
Patrick Hullebroeck, directeur
Citation
«Dans la vie on a toujours le choix: aimer ou détester,
assumer ou fuir, avouer ou mentir, être soi-même ou faire
semblant»
Nelson Mandela
4 éduquer n° 169 | avril 2022
focus
Ressources Littérature
Lirltuel «Maman pour le dîner» de Shalom Auslander
Lirtuel est la plateforme de prêts de livres numériques des bi- «Les mères ont un goût infect. Elles sont débectantes de la tête aux
bliothèques publiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles. pieds. [..] Grillées, sous vide, déshydratées, séchées, aucun traite-
Entièrement gratuit pour tou·tes les usager·es des bibliothèques ment n’y changera quoi que ce soit. Même l’odeur est pestilentielle,
publiques du réseau de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Lirtuel jetez une mère sur la grille d’un barbecue et vous aurez l’impres-
propose un catalogue de +/- 8000 titres, principalement des nou- sion que quelqu’un brûle des pneus, ce qui, pour peu qu’on l’accom-
veautés en fiction (y compris des BD et des livres en anglais) et pagne d’un soupçon d’aïoli, serait sans doute meilleur.»
documentaires. Le catalogue est alimenté chaque semaine. Septième Seltzer, jeune éditeur trentenaire mène une existence
Plus d’infos: www.lirtuel.be paisible à New York avec sa femme et sa fille. Son quotidien sera
vite ébranlé par l’annonce du décès de sa mère. Ce ne sera pas
le chagrin qui le terrassera, sa mère était un être infect, aussi cruelle que manipulatrice, l’affront se
situe ailleurs: appartenant à la communauté cannibale des États-Unis (les can-am), Septième et
l’ensemble de sa fratrie doivent respecter une coutume ancestrale: manger le corps de leur mère au
cours d’un repas de fête nommé «l’assimilation». Refusant de se plier à cette tradition, Septième
sera vite rattrapé par son histoire, sa communauté et son héritage culturel.
Internet Sous ses airs d’épopée gore, cynique et loufoque, Shalom Auslander nous livre en filigrane une
Statistiques.cfwb.be réflexion philosophico-politique sur le monde contemporain: la communauté can-am, ostracisée,
Le site internet empêchée de pratiquer ses coutumes, fondements de sa culture et de son identité, est déchirée entre
des statistiques le poids des dogmes religieux hérités de génération en génération et l’assimilation «nécessaire» à
de la Fédération l’intégration. Entre revendication des origines, quête identitaire et besoin d’intégration, la réflexion
Wallonie-Bruxelles sur les migrations y est forte et prenante. à lire!
vous offre la possi-
bilité de consulter
des tableaux et BD
des graphiques dy-
namiques sur des «U4» de Pierre-Paul Renders et Denis
statistiques concer- Lapière
nant l’enseignement fondamental, secondaire et supérieur, la «Je m’appelle Jules. Ce rendez-vous, j’y vais
promotion sociale, l’enseignement artistique à horaire réduit, parce que j’y crois.»
l’e-learning ou encore sur les personnels de l’enseignement. Jules vit reclus dans son appartement à
Une ressource utile! Paris depuis l’explosion du virus U4 qui
Plus d’infos: https://statistiques.cfwb.be/ a exterminé la totalité de la population
mondiale à l’exception des adolescent·es.
C’est un paysage de désolation que Jules
Ressources découvre en sortant de chez lui. La ville
Les chiffres clés 2021 de la FW-B est devenue une zone de non-droit où les
Co m b i e n d ’é l è ve s gangs sèment la terreur. Il devra pourtant
fréquentent l’école? apprendre à survivre dans cette apoca-
Co m b i e n d ’e n s e i - lypse. Pour y parvenir, il se mettra dans la
gnant·es y a-t-il en peau du guerrier qu’il incarnait dans son
Fédération Wallonie- jeu en ligne préféré «Warriors of Time»
Bruxelles? Quel est le (WOT), jusqu’au jour du rendez-vous avec
budget de l’enseigne- Khronos, le maître du jeu, le 24 décembre.
ment? «Les chiffres clés Et si Jules parvenait à remonter le temps
de 2021 en Fédération et éviter la pandémie? Adaptée de la sé-
Wallonie-Bruxelles» est rie de romans du même nom (signés par
le document qui vous Trébor, Grevet, Hinckel et Villeminot), la
permettra de connaître série de BD «U4» met en scène des ados
tous les chiffres liés survivants au chaos, dans un univers
à l’enseignement. Le post-apocalyptique et dystopique, cher
document présente à la science-fiction.
différents indicateurs La série «U4» se compose de 4 albums
concernant la population, le budget, les infrastructures et l’emploi (Jules, Koridwen, Yannis et Stéphane),
en FW-B et différents chiffres liés aux compétences de la FW-B: tels 4 pièces d’un seul puzzle permettant
l’enfance, l’enseignement, la culture, le sport, l’aide à la jeunesse, de comprendre l’intégralité de l’intrigue
la recherche scientifique et les maisons de justice… et d’accéder au dénouement de l’his-
Consultez le document «Les chiffres clés 2021 de la FW-B» toire. Vous pouvez lire aléatoirement ces
via le lien: https://statistiques.cfwb.be/pages-annexes/ 4 BD pour alors accéder au dénouement
les-chiffres-cles-de-la-fwb/ «Khronos». à partir de 14 ans.
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6 éduquer n° 169 | avril 2022
actualité
Flore Mercié, journaliste
Scolarisation des jeunes
ukrainien·nes
L’école peut-elle être un espace de
résilience?
Dans quelles conditions la Belgique est-elle aujourd’hui capable d’accueillir les
jeunes réfugié·es ukrainien·nes au sein de ses écoles? Quels sont les dispositifs exis-
tants et à quelles difficultés externes et limites internes sont-ils confrontés?
Dans le cadre de la guerre menée par le gou-
vernement russe en Ukraine, les écoles belges Qu’est-ce que le DASPA?
doivent s’organiser pour permettre l’accueil des Depuis le 7 février 2019, un décret est entré en
jeunes réfugié·es ukrainien·nes au sein du système vigueur permettant à une école de faire la de-
scolaire. À ce stade, plusieurs milliers d’élèves se- mande de création d’un Dispositif d’Accueil et
raient attendus. Par le biais d’une circulaire da- de Scolarisation des élèves Primo-Arrivants et
tant du 10 mars, Caroline Désir (PS) revient sur le assimilés (DASPA). L’école peut aussi deman-
mode opératoire du dispositif prévu pour l’accueil der l’augmentation de l’encadrement si elle
Coup de crayon sur l’actu des étudiant·es primo-arrivant·es en cours d’année organise déjà ce dispositif. Ce décret a été mis
Née en 1988 à Nantes, di- scolaire, le DASPA. Elle explique qu’une réflexion en place pour «faire face à des augmentations
plômée de l’École Estienne est menée pour permettre des inscriptions en de- exceptionnelles du nombre de primo-arrivants ou
(DMA illustration) et d’un hors de ce dispositif. «Cent trente élèves (originaires assimilés aux primo-arrivants en cours d’année
master de bande dessinée d’Ukraine) sont inscrits à ce jour (dans une école de scolaire», d’après les mots de Caroline Désir.
à Angoulême, Elizabeth la Fédération Wallonie-Bruxelles), mais cela devrait Autrefois désigné par l’expression «classes pas-
Holleville participe à la sor- augmenter très vite et très très fort», a commenté la serelles», le DASPA poursuit un objectif linguis-
tie de l’école à divers fanzines ministre de l’Éducation, en commission du par- tique d’apprentissage du français et de remise
et revues (Biscoto, La Corde lement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La à niveau. Son but final est de permettre aux
rouge...) avant de publier en ministre a convoqué jeudi 17 mars une nouvelle enfants de rejoindre le niveau d’étude qui leur
2018 la bande dessinée L’Été réunion avec les pouvoirs organisateurs de l’en- correspond. Actuellement, ce dispositif scola-
fantôme, chez Glénat. Son seignement, les syndicats et les autres acteurs de rise 4000 enfants et adolescent·es en Belgique.
deuxième album, Immonde! l’école pour évoquer cet accueil d’enfants ukrai- Suite à l’arrivée des personnes primo-arrivantes
paraît en janvier 2022. Elle vit niens en classe. «On doit se préparer à une arrivée en provenance d’Ukraine, la ministre de l’Édu-
et travaille à Marseille. plus massive et sur la durée», a-t-elle ajouté. Si le cation envisage d’apporter des «modifications
gouvernement belge doit s’occuper de mener des temporaires» visant «une plus grande fluidité
actions urgentes d’accueil en termes de logement de certaines procédures et l’octroi des périodes
par exemple, elle doit aussi préparer l’accueil sco- dans des délais correspondant à la réalité des
laire des enfants et adolescent·es. À la mi-mars, besoins». Si l’inscription des élèves ukrai-
«on sait qu’environ dix mille personnes sont inscrites nien·nes se fait en dehors du dispositif DASPA,
à l’office des étrangers et la moitié sont mineures, et ils sont alors considérés comme élèves libres.
l’on s’attend donc à ce que de très nombreux en- «Des solutions sont actuellement à l’étude pour
fants s’inscrivent dans nos écoles», confie-t-elle. La permettre leur inscription régulière, notamment
circulaire traite largement du dispositif DASPA, en réglant la problématique des équivalences
mis en place en 2012 côté francophone. Elle doit et tous les enjeux liés au respect des procédures
se prolonger par un webinaire prévu fin mars à légales d’inscription en 1re secondaire commune»,
destination des écoles et des PMS. ajoute Caroline Désir.
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actualité Vers une augmentation et un à la conseillère pédagogique pour réorganiser qui nous échappent de tellement loin. Pour cela, élargissement des dispositifs DASPA et penser les choses de manière structurée, pour je pense qu’on n’est pas suffisamment armé·es. La création du DASPA répond à la condi- que cela puisse être un investissement durable. Mais on y travaille aussi chez nous, on s’est mis tion suivante: que l’école qui sollicite le dis- J’ai essayé de mettre en place une équipe assez en contact avec une maison de jeunes, qui pro- positif ou l’augmentation des moyens qui y stable, parce que je me rendais compte que la pose pas mal de formations. On met en place sont liés soit confrontée à «une augmenta- diversité des intervenants pouvait complexifier pas mal de choses, mais c’est vrai qu’il nous tion exceptionnelle du nombre de primo-ar- la prise en charge des élèves qui ont énormé- manque une formation de base spécifique». rivants ou assimilés aux primo-arrivants en ment besoin de repères, d’où qu’ils viennent et Sur ce point, elle est rejointe par Corentin cours d’année scolaire». Pour l’instant, cette quelle que soit leur situation d’origine. On tra- Lorand, membre de l’ASBL La Petite École à augmentation «exceptionnelle» est fixée à vaille avec une équipe à qui j’ai demandé de Molenbeek, une initiative d’accueil des en- huit élèves par école. Soit les écoles béné- postuler, les professeurs sont donc volontaires fants réfugiés organisant une première ac- ficient déjà du dispositif comme c’est le cas pour venir travailler dans les classes de DASPA. climatation à la scolarité, avant de rejoindre de 104 écoles fondamentales et 67 écoles Ils sont investis dans des formations spécifiques les dispositifs DASPA. Il insiste sur le fait que secondaires en FWB: dans ce cas, elles au DASPA». D’après elle, une «coordination les professeur·es peuvent être démuni·es peuvent demander une augmentation de spécifique» est indispensable: «l’accompagne- quant à la manière d’encadrer des enfants et l’encadrement DASPA. Soit elles n’en bé- ment par la conseillère pédagogique est très im- des adolescent·es en état post-traumatique: néficient pas: elles pourront alors en faire portant car elle renvoie vers des connaissances «tous·tes les professionnel·les du secteur vous la demande dès qu’elles atteignent le seuil qu’on n’a pas encore, elle connait les réalités diront la même chose: à part des atouts per- «d’augmentation exceptionnelle» prévu par ailleurs, on peut donc aussi profiter de ces expé- sonnels ou une sensibilité personnelle, on n’est le décret. riences-là. On a des jeunes qui vivent des choses pas vraiment formé·es à tout le travail qui doit Directrice du S2J à Liège, Antonia Hicter terribles et on n’a pas toujours conscience non être fait dans ces cas-là». Pour Chloé Joseph, s’est considérablement investie dans le déve- plus de nos actions, de ce qu’on leur demande référente éducation chez Fedasil à Rocourt, loppement du dispositif DASPA de son éta- et de ce à quoi on les confronte. Ce qui peut «il faudrait une collaboration plus étroite entre blissement: «Cela fonctionne plutôt bien, on a parfois être interprété comme un comportement le milieu associatif et les écoles, c’est primor- une grosse cinquantaine d’élèves répartis entre inapproprié de leur part est parfois simplement dial. Au centre, on a pas mal de bénévoles, as- les quatre classes. Cette année, on a fait appel une manière de se défendre face à des choses surant notamment des suivis individuels avec 8 éduquer n° 169 | avril 2022
actualité
les jeunes. L’école est dépassée par l’arrivage,
par le fait de ne pas connaitre la vie en centre.
Il arrive que les écoles se plaignent de certains
«Face à des besoins qui s’annoncent importants,
élèves, sans être au courant des réalités du ter- la ministre Caroline Désir a indiqué envisager
rain. Notre démarche est alors d’aller dans les
écoles pour expliquer comment se passe la vie d’embaucher des enseignant·es ukrainien·nes,
en centre et ce qu’ont fui les jeunes. Ils ont un
également réfugié·es en Belgique, pour venir
»
parcours bien différent et très compliqué, ils
sont en survie, ce qui empêche que tout se dé-
roule ‘normalement’. Les profs devraient être prêter main forte
formé·es à cela, ou pouvoir venir au centre
pour observer, et rencontrer les élèves». naient pas toujours ce que je faisais à l’école. «dans un état de survie», dont il faut bien
Au sein de La Petite École, ce dialogue J’essayais de leur expliquer, mais il y a des mesurer les enjeux, puisqu’il affecte directe-
avec les institutions scolaires fait partie du choses que je comprends en français et que je ment les capacités d’apprentissage des per-
projet: «La Petite École peut intervenir au sein n’arrivais pas à traduire en arabe». sonnes concernées. «C’est parfois difficile à
même des écoles, par exemple, une heure par Même constat chez Antonia Hicter: «Au- entendre dans nos cultures, mais l’école n’est
semaine, pour un élève, dans la classe ou en delà du soutien du PMS, de celui que l’école pas la chose la plus importante au monde,
dehors. C’est assez intéressant, cela permet peut apporter, et que ce soit dans les cas des c’est déterminant de le comprendre dans le
pour l’élève de créer dans son récit une forme ukrainien·nes ou si on élargit, il faudrait abso- cadre d’une intégration scolaire avec des per-
de continuité. Et même s’il n’y a pas d’inter- lument être entourés de personnes qui parlent sonnes qui sont encore en état de survie. Un
vention dans l’école, on reste en contact avec la langue des jeunes. Il nous en manque beau- état de survie, c’est-à-dire où les questions ur-
les profs de l’enseignement ordinaire pour coup. On n’a pas accès à certaines informa- gentes sont de se maintenir, manger, se loger.
suivre comment ça se passe, pour appeler la tions à cause de cela. Ici, si on doit prévoir Ce n’est qu’après cela qu’il peut y avoir une
famille si besoin, pour transmettre un bagage quelque chose pour l’arrivée des enfants ukrai- scolarisation» explique-t-il. Malak raconte:
de confiance qui s’est développé avec la fa- nien·nes, il faut des personnes qui nous as- «quand on est arrivés dans notre appartement,
mille et avec l’enfant. Les interventions dans surent que ces enfants vont être compris. Parce j’étais un peu fatiguée mais je disais à mon
les écoles sont intéressantes pour les élèves et que tout passe au début par la communica- papa que je voulais aller à l’école sinon j’al-
pour les profs aussi, parce qu’on soutient au- tion. C’est indispensable pour aider correcte- lais m’ennuyer, et puis je me suis fait très vite
tant la famille, le prof, que l’enfant». ment le jeune. Un élève blessé, par exemple, des amis». Si le besoin de scolarisation s’ex-
dont on interprète le comportement comme prime au départ, d’après Corentin Lorand,
La question de la langue de l’agressivité, aurait peut-être envie de nous «c’est d’abord un besoin de socialisation, de
Dans le cadre du DASPA, une des plus expliquer qu’il a vu quelque chose de terrible semblant de vie normale, au-delà de l’école».
grandes difficultés réside dans le manque et que ça réveille d’autres choses». Elle ajoute: Les situations d’urgence comme l’exil
d’interprètes associé·es aux processus de «quand les parents comprennent moins bien nécessitent d’abord de réinstaller progressi-
scolarisation, quand la communication est le français que leurs enfants, c’est très compli- vement un sentiment de sécurité et des re-
décrite par tous les professionnel·les du sec- qué. C’est dur de se mettre en projet ensemble. pères. L’école, par le biais de son dispositif
teur comme un élément-clé de la possibilité On y arrive, mais ça mobilise une énergie qui DASPA notamment, devra donc jouer un
et de la réussite d’un projet scolaire. En ren- pourrait être mise dans autre chose. La tâche rôle d’équilibriste: tout en maintenant in fine
dant la communication possible entre diffé- de traduction revient sur l’élève, ce qui peut le processus d’éducation chez les jeunes, elle
rentes langues, il est notamment permis aux lui créer un stress. Et pour les parents, c’est doit aussi trouver le moyen de respecter le
parents de s’impliquer réellement dans la vie difficile: comment prendre sa place au sein rythme lent de la restauration de leurs capa-
scolaire de leurs enfants. «Au sein de la Petite d’une scolarité quand on n’arrive pas à être cités psychiques, émotionnelles et sociales,
École, on a systématiquement des interprètes. en relation à cause de la langue?» sans quoi l’apprentissage peut être vécu
Parce qu’on prend le temps et qu’on a moins comme violent et donner une sensation
d’enfants, on peut se permettre d’avoir des ré- Un accompagnement psychologique d’échec. Pour Corentin Lorand, les DASPA
unions de parents systématiquement dans la indispensable partent avec un «handicap qui n’est ni leur
langue du parent. Ce qui est essentiel, car une Outre la scolarisation, le gouvernement faute, ni celle des profs, c’est que le cadre sco-
confiance s’établit entre les deux parties. Ce évoque, par le biais de sa circulaire, la ques- laire n’est pas forcément le plus rassurant. Il
n’est pas suffisant mais c’est nécessaire», ex- tion de la prise en charge des traumatismes faut prendre du temps pour faire du thérapeu-
plique Corentin Lorand. Cela évite de char- liés à la guerre et à l’exil. Dans le cadre sco- tique, et prendre conscience que l’enfant ne
ger l’enfant en le rendant «interprète», «un laire, ce sont avant tout les CPMS qui sont va pas tout de suite se lancer dans l’appren-
rôle d’adulte, dans lequel il ne peut plus être missionnés par le gouvernement sur ce tissage parce qu’il a besoin de jouer, de se po-
l’enfant». C’est en effet la situation décrite terrain. «La prise en charge de cette détresse ser, de trouver un terrain d’entente entre sa
par Malak, 13 ans, originaire de Palestine psychologique ne peut pas reposer exclusive- vie de famille et sa vie en Belgique, avec des
et ayant fui le Liban avec ses parents à l’âge ment sur l’école et nécessitera une prise en autres codes», ajoute-t-il. Il conseille aux en-
de 9 ans: «au début, à l’école, j’avais un peu charge par plusieurs types d’intervenants», cadrant·es de «penser le lieu de l’école pour le
peur parce que je n’avais pas l’habitude, mais précise toutefois la ministre Caroline Désir. rendre sécurisant et accueillant, et de respecter
j’avais confiance, je savais que j’allais m’ha- Pour Corentin Lorand, il est crucial de com- cet état de survie: il faut être agent de résilience
bituer. Mon papa et ma maman ne compre- prendre que les personnes réfugiées arrivent comme on peut l’être, ça veut donc dire ne pas
n° 169 | avril 2022 éduquer 9
actualité
©Ministry of Education and Science of Ukraine
se noyer sous des objectifs d’apprentissage». psychologique pour les élèves en milieu d’acteurs et d’actrices de ce secteur-là qui
Les enfants en état post-traumatique sont DASPA, et favorise tant que possible l’ac- viennent me dire: on est complètement dé-
rassurés par une gestion claire de l’espace tion du centre PMS de son établissement. bordé·es, on a des classes de 20 (élèves) alors
et du temps: il peut s’agir de rituels d’entrée Elle rejoint toutefois ce constat: «il faut ab- qu’on doit avoir des classes de huit ou dix», a
et de sortie, de manière «à répéter systéma- solument des ressources extérieures en termes dénoncé le délégué général. «Or, si l’on veut
tiquement la même journée, qu’il n’y ait rien d’aide psychologique, elles ne sont pas suffi- réduire au mieux le risque de trauma psycho-
d’imprévisible pour ces enfants qui puisse les santes; les centres PMS sont plein de personnes logique auprès de ces enfants et adolescent·es
remettre dans une situation de peur, dans la compétentes mais manquent de moyens». réfugié·es, il convient de tout faire pour les re-
mesure où tout est déjà imprévisible pour eux». mettre au plus vite dans la vie sociale, dont
Le recours au jeu, par ailleurs, est essentiel La majorité des inscriptions attendues l’école», a-t-il encore insisté. Ces craintes
et fait partie intégrante du processus de re- après les vacances de Pâques semblent largement partagées, tandis que
construction chez les jeunes: «je ne sais pas si Si ces informations destinées «à faire du côté des centres d’accueil la pression ne
l’état de survie ‘adultifie’, mais en tous cas, on face aux premières urgences» pourront fait qu’augmenter, les poussant à envoyer
sait qu’un état post-traumatique bloque l’ima- être complétées «en fonction des décisions leurs jeunes vers des écoles plus éloignées
ginaire, or le jeu va permettre de le réouvrir que le gouvernement prendra sur base de du centre, comme l’explique Chloé Joseph
un peu. Il faut proposer le jeu et il faut jouer l’évolution de la situation et des besoins de chez Fedasil. «Il va falloir engager des profs
avec eux. En sachant qu’il y a peut-être des terrain», une question reste en suspens: au pour ces nouveaux dispositifs DASPA, en mo-
enfants qui ne voudront pas jouer parce qu’ils vu de la pénurie d’enseignant·es, comment ment de pénurie, cela va être très compliqué...
n’y arriveront pas. Cela peut aussi passer par la Fédération Wallonie-Bruxelles sera-t-elle La solution d’urgence sera d’accueillir ces
la peinture, le travail de la matière, de l’eau, capable d’accueillir tous·tes les jeunes réfu- enfants-là dans les structures existantes et de
de la terre, du bois… Tous ces travaux répéti- gié·es dans ses écoles? Face à des besoins demander encore aux profs de faire un effort
tifs qui permettent un peu d’évacuer», estime qui s’annoncent importants, la ministre pour accueillir plus d’enfants. Ce n’est pas un
Corentin Lorand. Caroline Désir a indiqué envisager d’em- problème humainement, mais au niveau de la
Reste à savoir si les centres PMS seront baucher des enseignant·es ukrainien·nes, qualité des apprentissages, cela risque de poser
à même de jouer leur rôle de soutien psy- également réfugié·es en Belgique, pour ve- problème», explique Antonia Hicter. La ma-
chologique pour les élèves réfugiés, man- nir prêter main forte. Un groupe de travail jorité des inscriptions d’élèves ukrainien·nes
datés au niveau institutionnel, et sollicités spécifique a d’ailleurs été constitué à cet étant prévues après les vacances de Pâques,
par des professeur·es qui expliquent n’avoir effet. de nouvelles propositions gouvernementales
ni le temps ni les outils pour réaliser ce tra- Bernard De Vos, délégué général de la devraient suivre, sans doute très attendues
vail. «On ne va pas se mentir, pour les centres Communauté Française aux Droits de l’En- par des professeur·es déterminé·es à pour-
PMS, c’est compliqué, parce qu’ils sont à un fant (DGDE,) s’est dit «terriblement inquiet» suivre leur mouvement de revendications
moment de l’année où leur charge de tra- quant aux conditions de scolarisation des en- par le biais d’une nouvelle manifestation dans
vail est énorme, ils n’ont pas forcément as- fants ukrainiens chez nous. «J’ai bien entendu le courant du mois de mai.
sez de temps disponible», analyse Corentin Caroline Désir dire que les DASPA étaient là,
Lorand. Antonia Hicter, de son côté, se dit mais c’est quand même négliger l’état actuel
«très consciente» de la nécessité d’un soutien des DASPA!», a-t-il exprimé. «J’ai beaucoup
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Nouvelle manifestation à Liège Poutine. La liste des noms des universités en secteurs, et ont proposé en vain des amende-
le 5 mai question ne sera pas révélée, car les institu- ments pour reporter la réforme d’une année.
Les syndicats des enseignant·es en tions concernées seront d’abord informées Source: La Libre Belgique, Le Soir
Fédération Wallonie-Bruxelles envisagent elles-mêmes.
d’organiser une nouvelle manifestation le Source: La Libre Belgique Dossier d’accompagnement de
5 mai prochain à Liège, a indiqué jeudi 24 l’élève
mars Adrien Rosman du Setca-SEL. La te- La commission Éducation du Parlement de
nue de cette action dépendra de l’avancée la Fédération Wallonie-Bruxelles a approu-
des négociations actuellement en cours entre vé le 15 mars un projet de décret instaurant
le gouvernement de la FWB et les syndicats un dossier d’accompagnement de l’élève
pour la conclusion d’un nouvel accord secto- (DAccE), un nouvel outil de soutien pour les
riel pour le monde de l’enseignement. «Pour élèves connaissant des difficultés d’appren-
le moment, les propositions sont très maigres», tissage. Fonctionnant comme un passeport
confie M. Rosman, interrogé par Belga. Les scolaire numérique, il accompagnera l’élève
syndicats réclament notamment une série de durant tout son parcours, même s’il change
mesures pour l’amélioration des conditions d’établissement ou de réseau d’enseigne-
de travail des personnels de l’enseignement ment. Ce document reprendra les difficultés
et une revalorisation des barèmes les plus qui auront été identifiées pour ces élèves du-
faibles. Après une première manifestation le rant leur scolarisation et consignera les pro-
10 février dernier à Bruxelles qui avait ras- grammes d’aide qui auront été mis en place
semblé près de 10.000 enseignant·es, une (remédiations, etc.). Confidentielles, ces in-
nouvelle concentration est prévue ce 29 formations encodées à trois moments-clé
mars à Mons. Les syndicats se sont mis d’ac- de l’année scolaire, pourront être partagées
cord sur un plan d’actions jusque début mai entre enseignant·es, équipes des services
pour soutenir leurs demandes au gouverne- psycho-médicaux-sociaux (PMS) ainsi que
ment. Des actions locales pourraient toute- les parents, dans le respect de la législation
fois également être organisées ici ou après Nouveau calendrier scolaire européenne sur la protection des données. À
le congé de Pâques. Vu la perturbation des validé en commission chaque actualisation du dossier d’accompa-
apprentissages provoquée par deux ans de Le nouveau calendrier scolaire an- gnement de leur enfant, les parents recevront
pandémie, les syndicats ont décidé de ne pas nuel a reçu ce 15 mars le feu vert de la automatiquement un courriel les informant
mener un «mouvement dur» contre le gou- Commission Éducation du parlement de la de celle-ci. Concrètement, ce DAccE com-
vernement, avec des piquets de grève et des FWB. Annoncée depuis des décennies, cette portera quatre volets qui reprendront une
fermetures généralisées des écoles, a encore réforme du calendrier scolaire entend faire fiche administrative de l’élève, l’intégralité de
indiqué M. Rosman. mieux correspondre les rythmes de l’école son parcours scolaire, le suivi de ses difficul-
Source: La Libre Belgique avec les rythmes biologiques des enfants, tés et les possibles mesures de maintien dont
et améliorer ainsi les capacités d’apprentis- il aura bénéficié. Le document ne reprendra
L’université de Gand met fin à sa sage de ceux-ci. Le projet de décret porté pas d’éventuels éléments disciplinaires. Il sera
collaboration avec 14 universités par la ministre Caroline Désir (PS) concerne détruit six mois après la fin de la scolarisation
russes (Libre) l’enseignement fondamental et secondaire de l’élève. Pour les élèves arrêtant l’école
Cette rupture concerne les institutions ordinaire, spécialisé, secondaire artistique à prématurément, leur DAccE sera suspendu,
universitaires dont les recteurs ont signé une horaire réduit et de promotion sociale. Il sera ce qui permettra une réactivation dans le cas
lettre ouverte le 4 mars dernier, dans laquelle soumis au vote des député·es en séance plé- où ils retrouveraient ultérieurement le che-
ils ont exprimé leur soutien à l’État russe, à nière début avril. Basé sur l’alternance entre min de l’école. Ce projet de réforme a susci-
l’armée russe et au président russe dans la des périodes de sept semaines de cours et té de vives inquiétudes au sein des équipes
guerre contre l’Ukraine. La collaboration deux semaines de congé (de six à huit se- éducatives, celles-ci redoutant une augmen-
n’est plus possible au niveau institutionnel maines de cours au début de la réforme, tation de leur charge de travail. Ces craintes
et les étudiant·es en échange ne peuvent afin de correspondre au maximum aux autres avaient d’ailleurs alimenté le malaise des en-
plus fréquenter ces universités russes. Les calendriers), il prévoit aussi la réduction du seignant·es, descendus en nombre dans la
contacts individuels entre les universitaires nombre de jours blancs et d’évaluation, des rue en février pour dénoncer la multiplica-
ou les étudiant·es ne sont pas interdits pour contrôles de la fréquentation scolaire en dé- tion des réformes qui les visent. Pour apaiser
autant, et l’université souligne qu’à l’avenir, but et en fin d’année, et l’instauration d’un ces tensions, le gouvernement a décidé le
elle ne refusera pas les étudiant·es russes sur congé scolaire le jour du mardi gras, lorsque mois dernier de reporter d’un an l’entrée en
la base de leur nationalité. Au début de la celui-ci ne sera pas compris dans les deux se- vigueur du DAccE. Il verra donc le jour à la
guerre, l’université de Gand avait déjà rap- maines de vacances de carnaval. Le texte a rentrée de 2023. Selon la ministre de l’Édu-
pelé 15 étudiant·es en Erasmus. Plus tard, le été voté majorité (MR-PS-Ecolo) contre op- cation Caroline Désir (PS), l’encodage des
recteur Rik Van de Walle avait indiqué que la position (Les Engagés, PTB). Cette dernière, informations nécessaires aux bilans de syn-
collaboration universitaire serait également ainsi que Défi, favorables à la réforme sur le thèse du DAccE ne devrait prendre que dix
menacée si les institutions adoptaient une po- fond, ont continué à critiquer le décalage minutes par élève. Le projet de décret a été
sition loyale envers le régime du président avec les autres communautés et les autres approuvé le 15 mars dernier en commission
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par la majorité PS-MR-Ecolo. L’opposition
PTB et Les Engagés s’est, elle, abstenue. Le Le port du masque complique-t-il l’apprentissage du langage?
texte devrait être définitivement adopté au Selon une étude menée à large échelle
début du mois d’avril jours en séance plé- aux États-Unis, la pandémie a affecté le dé-
nière du Parlement. veloppement du langage et de la lecture
Sources: La Libre Belgique, Le Soir chez les élèves, en particulier ceux de 1re et
2e primaires. Des chercheur·euses de l’Uni-
Mouvement contre le sexisme et versité de Virginie ont fait passer une éva-
le harcèlement dans les universités et luation phonologique à tous les élèves des
hautes écoles 132 divisions de l’État. Il en résulte qu’entre
Apparu depuis quelques mois dans les uni- l’automne 2019 (avant le début de la pan-
versités francophones et néerlandophones, le démie) et l’automne 2021, le pourcentage
mouvement de lutte contre le sexisme ordi- d’enfants à risque de présenter des difficul-
naire et le harcèlement dans l’enseignement tés persistantes en lecture est passé de 21,3
supérieur s’intensifie considérablement les à 34,9 %. Ce taux était de 30,8 % à l’automne
dernières semaines. Pour preuve, une tribune 2020 (au milieu de la pandémie). Depuis la
parue en février dans La Libre Belgique s’at- première passation du test, il y a plus de 20
tèle à décrire les mécanismes du problème et ans, les compétences précoces en lecture
pointe les «lacunes» du cadre légal actuel. «À n’avaient jamais été aussi mauvaises. L’étude observe que les élèves les plus défavorisés
l’université comme sur d’autres lieux d’étude et constituent 59 % des étudiant·es à risque de développer des difficultés persistantes en lec-
de travail, le problème se pose à de nombreux ture. Des résultats qui ne surprennent pas Natacha Duroisin, chargée de cours à l’École de
niveaux: parce que les victimes elles-mêmes ou formation des enseignants de l’Université de Mons. «La crise sanitaire a augmenté considéra-
témoins ont parfois intériorisé cette banalisa- blement les inégalités sociales. Les enfants qui n’utilisent pas suffisamment la langue d’appren-
tion (du sexisme ordinaire, ndlr) ou ont peur tissage à la maison présentent plus de difficultés à discriminer les phonèmes». Par ailleurs, une
des représailles si elles parlent; parce que les autre étude menée par les universités de Lorraine, Aix-Marseille et Genève conclut que le
personnes ’de confiance’ censées recueillir les port du masque chez les enseignant·es «peut interférer avec l’apprentissage de la lecture».
plaintes ne bénéficient pas suffisamment de Or, les retards en lecture affectent l’apprentissage de l’ensemble des autres matières: «la
ressources; parce que la portée de ces propos réussite en mathématiques est liée, en partie, à la bonne compréhension de la consigne», ex-
pourtant destructeurs est encore trop souvent plique Natacha Duroisin. Mais la chercheuse de l’UMons estime qu’il est encore temps de
minimisée, par ceux qui disent y voir chez les rattraper les retards, «à condition de s’en donner les moyens».
femmes concernées une fragilité excessive, Source: Le Soir
voire un manque de sens de l’humour. Cinq
ans après #MeToo, le harcèlement sexuel reste
la faute de la victime», peut-on y lire. Les cri-
tiques formulées portent notamment sur le
manque de formation des personnes dési-
gnées à la prise en charge de ces situations.
Le 13 octobre dernier, le parlement de la
Fédération Wallonie-Bruxelles a adopté une
résolution visant à prévenir et lutter contre le
harcèlement des étudiantes et des étudiants
dans les établissements d’enseignement su-
périeur de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
«Nous, professeur·es, scientifiques, membres
du personnel administratif et technique et étu-
diant·es, demandons que les établissements
d’enseignement supérieur fassent, dans les faits
et non plus seulement dans les discours, de la
lutte contre les violences sexistes et sexuelles
une priorité. L’ensemble de la communauté
universitaire (et non seulement les personnes
«de confiance» désignées au sein des institutions
et les autorités) devrait suivre une formation sur
le continuum des violences et la place qu’y oc-
cupe le sexisme ordinaire», conclut la tribune.
Sources: Le Soir, La Libre Belgique
12 éduquer n° 169 | avril 2022dossier L’économie sociale, c’est quoi?
dossier
L’économie sociale, c’est quoi?
n° 169 | avril 2022 éduquer 13dossier L’économie sociale, c’est quoi?
Marian de Foy et Quentin Mortier, SAW-B
Deux siècles d’économie
sociale en Belgique:
quels enseignements?
Changer la société en L’histoire de l’économie sociale (ES) en la plupart de ces initiatives pionnières ont disparu.
Belgique est riche, source de débats et d’appren- À partir de 1864 cependant, un nouvel élan po-
changeant l’économie, tissages possibles. Dans ce texte, nous allons re- pulaire relance la machine. Dans toute l’Europe
venir sur différentes périodes et leurs points d’in- se multiplient les grèves, d’autant que l’Associa-
telle est l’ambition de flexion principaux. tion Internationale des Travailleurs (Première
La première période, qui va de 1830 à 1900 Internationale) permet aux ouvrier·es de se sou-
l’économie sociale. Regard environ, est celle de l’associationnisme ouvrier. tenir et favorise le sentiment d’appartenance à
La deuxième période va de 1900 à 1968, et cor- une même classe sociale au-delà des frontières.
sur le passé pour éclairer le respond à un fort développement de l’ES, qui dé- Les ouvrier·es des différents pays prennent alors
passe le cadre ouvrier. Cette croissance finit par se exemples les un·es sur les autres, et très vite les
présent. traduire par une perte de ses valeurs fondatrices, associations ouvrières, les coopératives, mais aussi
et donc à une banalisation. Finalement, à partir les associations de résistance, ancêtres des syn-
de 68 naît une «nouvelle économie sociale» qui dicats, se multiplient. Mais encore une fois, une
entretiendra un nouveau rapport à l’État. politique répressive est mise en œuvre, encore
plus forte après la Commune de Paris2. Une fois
L’associationnisme ouvrier (1830-1900) le mouvement ouvrier écrasé, la loi de 1873 qui
Dès le lendemain de la naissance de la Belgique, autorise pour la première fois les coopératives en
en 1831, des saint-simoniens1 arrivent de France Belgique servira surtout aux petits propriétaires,
avec des idées utopistes. Ce sont pour la plupart artisans et paysans, qui créeront notamment une
des bourgeois·es intellectuel·les qui mettent en série de coopératives de crédit pour acheter des
avant la vie communautaire solidaire en l’oppo- terres ou des outils.
sant à la misère que crée le capitalisme. Zoé de Finalement ce n’est qu’à partir de 1880 que les
Gamond, féministe belge, tentera par exemple de premières formes d’économie sociale prendront
construire un phalanstère, sorte de village com- durablement racine en Belgique. Les années 80
munautaire harmonieux. Malgré les 600 places sont notamment celles de la création du Vooruit
que proposent le lieu, et la qualité de vie bien (importante coopérative ouvrière, journal et pa-
meilleure qui peut y être trouvée, celui-ci aura lais socialiste à Gand), de la multiplication des
très peu de succès. maisons du peuple et des associations de secours
Il faudra attendre 1848 pour observer un véri- ou de résistance, les premières coopératives de
table essor et un intérêt populaire pour l’ES. 1848 consommation ainsi que celle du Parti Ouvrier de
est en effet l’année du «Printemps des peuples», Belgique et les premières amorces de syndicats ou-
marqué par des mobilisations à travers l’Europe vriers. Cette vague de créations associationnistes
contre les régimes autoritaires. Cet élan de révolte est subordonnée aux perspectives socialistes, qui
se traduira par un intérêt grandissant pour toute considèrent l’ES comme un moyen pour les ou-
forme d’organisation qui permette de se retrouver vrier·es de se rassembler et de se construire une
autour d’idées. En 1849, naîtra ainsi la première identité commune, afin de préparer un mouve-
coopérative belge, créée par un ouvrier tailleur. ment révolutionnaire de masse.
Un grand nombre d’autres suivront, ainsi que On le voit, l’ES est née difficilement, après plu-
de nombreuses associations et caisses mutuelles sieurs tentatives. C’est qu’elle avait face à elle tout
diverses. Cette effervescence créatrice pousse- l’appareil d’État capitaliste, pour qui il était hors de
ra le gouvernement à reconnaître les mutuelles question de laisser les ouvrier·es s’organiser. Mais
en 1851. Mais l’élan restera limité à une élite du cette dimension de résistance va forger l’ES en op-
monde ouvrier, et s’essoufflera rapidement sous la position à l’ordre social dominant, en lui donnant
politique répressive des gouvernements. En 1854, un projet politique de transformation du monde.
14 éduquer n° 169 | avril 2022Vous pouvez aussi lire
