TROISIEME TOUR DE FRANCE AERIEN

 
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TROISIEME TOUR DE FRANCE AERIEN
TROISIEME TOUR DE FRANCE AERIEN
(21 AU 30 JUILLET 1933), organisé par l’Union des Pilotes Civils
de France, en collaboration avec l’Aéroclub Royal de Belgique et
l’Aéroclub de France…
…Ou chronique émouvante d’une aventure aérienne, vieille de 75
ans, retrouvée dans les papiers de famille de Dany Bonnot…

Il y a quelque chose de troublant à ouvrir
un dossier établi patiemment, il y a
maintenant 75 ans, par un pilote local
d’exception, maintenant oublié, JOSEPH
RIEBEL et, plus encore, par l’aventure
extraordinaire d’un parent de l’un de nos
membres, Dany Bonnot. Carnet de bord,
livret d’engagement, collection complète
des coupures de presse de vénérables
journaux aujourd’hui disparus (les ailes, le
Journal…), et chemise cartonnée qui fut un
jour rouge ou orange recélant de trésors
pour un peu que l’on soit apte au rêve et
ouvert à l’imaginaire le plus débridé !
La période 1918 – 1939 n’est pas un grand
blanc dans l’histoire de l’aviation
française bien qu’on en parle peu. Elle ne
s’arrête pas au Blériot XIV pour se
réveiller au Dewoitine D 520. Elle ne se
limite pas à l’extraordinaire aventure de
l’Aéropostale et à … « Coupons moteur
arrière droit ». Avant l’aviation populaire
du Front éponyme, il y eut d’autres étapes.
Celle du troisième Tour de France Aérien
en est une. Retrouvons la !

En 1931, 50 engagements pour la première
édition, 44 partants et 38 arrivées sans le moindre accident grave.
En 1932, 65 engagements, 52 partants et 50 arrivées.

Cette vaste démonstration de tourisme aérien – il y a 75 ans ! – déclenche en France l’essor
de l’aviation de tourisme et, partant, de la création de clubs d’aviation et de multiples
ouvertures d’aérodromes. L’un des buts recherchés est de stimuler un engouement populaire
basé sur la sécurité. Il n’est pas question d’engager des compétiteurs sportifs sur des
machines de course mais des pilotes de base sur des appareils disponibles dans le marché
aéronautique d’alors.
Les prix et avantages de toutes natures proposés par le Comité d’Organisation sont tels que le
concurrent le plus mal placé s’en sortira sans bourse délier. Les principales pièces de
l’appareil sont plombées. Dans le classement intervient la régularité entre les différentes
étapes basée sur les caractéristiques constructeur de la machine et, surprise, un concours de
lâchers de courrier lesté récompensant les meilleurs « bombardiers »…
En cette année 1933, sur les 72 avions engagés, 59 sont présents au départ d’Orly mais 3
seront forfaits au dernier moment. Notre héros, M. RIEBEL est présent sur la ligne de départ
avec son épouse. C’est un évènement salué par la presse, même outre Rhin. Il a repris
l’engagement de M. Sirven et pilote un POTEZ 43.

« Signalons, sans plus tarder, combien l’aspect des concurrents cadrait admirablement avec
l’esprit de l’épreuve. Peu de tenues d’aviateurs, sinon parmi les équipages montant des avions
découverts : la grosse majorité partait en tenue de ville. Les femmes – elles étaient une bonne
vingtaine – en chapeaux, gaies et souriantes. »

Peu après 9 heures, tout le monde est parti pour la première étape Orly – Dijon via Reims (le
temps de vider une coupe de champagne ou deux car il faisait chaud et que le vin était
fameux…), Luxeuil et Belfort. Le dernier appareil se pose juste après l’orage. Un seul avion
manque à l’appel, bloqué sur problème mécanique à Luxeuil. La soirée est mémorable et le bal
se prolonge fort tard, très tard… On lui doit d’avoir vu des équipages fatigués le lendemain et
des journalistes qui ne firent point leur copie…

Le départ de la deuxième étape Dijon – Cannes ne se fera qu’après une heure de retard sur le
programme car, sans être mauvaise, la météo n’est pas fameuse : brume et humidité. La
journée comporte trois concours de lancers de messages lestés et, celui de Beaune récompense
les 10 premiers d’une caisse de vins fins de Bourgogne… A l’étape de Saint Etienne, c’est
l’orage qui accueille les concurrents. 4 appareils manquent à l’appel. Redécollage pour Cannes
et, là, notre couple Riebel sur son POTEZ 43 n’est pas à l’arrivée. Ils ont du se poser en
catastrophe à Saint Romans les Atheux, non loin de Saint Etienne et ont brisé une roue de leur
avion.

                                            Nous sommes le 22 juillet et c’est une vraie
                                            course contre la montre qui va les occuper pour
                                            trouver la pièce détruite. Pendant ce temps, les
                                            réceptions brillantes se déroulent à Cannes. Le
                                            dimanche 23 a été une journée de repos bien utile
                                            mais nos héros alsaciens n’ont pas trouvé le
                                            matériel dans les temps impartis et sont donc
                                            disqualifiés.   Ils    vont    cependant        tenter
                                            l’impossible. Le 24, à 18 heures 15, ils décollent
                                            de Saint Etienne pour se poser à Montélimar à 19
                                            h 18 ; puis repartent le lendemain à 7 h 20 pour
                                            Avignon où ils se posent à 7 h 55. Ils sont à
                                            Cannes à 10 h 14 ! Mais la caravane du tour
                                            aérien a quitté Cannes la veille…Le temps de
                                            refaire les pleins et le F-AMPH s’envole pour
                                            Marseille à 12 h 50 puis se pose à l’escale
                                            obligatoire de Nîmes à 18 h. Il termine son
                                            périple à Perpignan à 20 h 30. Mais ils ont
                                            toujours un jour de retard. Le 25 juillet, le tour est
                                            à Biarritz et il est endeuillé par un accident
                                            mortel.

                                          Le POTEZ alsacien quitte Perpignan le 26 à 8 h
                                          10 mais revient se poser 20 minutes plus tard pour
gicleur bouché. Nouveau départ à 10 h 30. Atterrissage en campagne à 11 h 50 au château de
Landronne dans le Tarn ;
« Alors que je volais en direction de Biarritz, j’ai eu à lutter contre un vent contraire venant
des Pyrénées et du consommer beaucoup plus d’essence que je l’avais planifié. Je fus donc
obligé de me poser dans la cour d’un château du Lot. Les maîtres des lieux nous ont reçu avec
beaucoup de savoir vivre et nous ont convié à déjeuner avec eux. Après avoir fait le plein des
réservoirs, nous avons pu repartir pour Biarritz. »

 Puis nouvel atterrissage en campagne à Puy l’Evêque. Quatre heures de réparation et arrivée,
enfin, à Biarritz à 20 heures. Comme ce 26 juillet est un jour de repos, ils retrouvent l’aventure
et décident de poursuivre l’aventure bien que le règlement les ai disqualifiés.

On se souvient que M. Riebel, qui voyageait avec Mme Riebel comme passagère, se trouva
immobilisé au cours de la deuxième étape avec une roue brisée à Port d’Atheux près de Saint
Etienne. Mais on ne jette pas le manche après la cognée dans le Tour. M. Riebel réclama à sa
maison les pièces nécessaires. Par avion, on les lui amena sur place. Un jour et une nuit de
travail acharné et grâce au concours d’un garagiste du pays, ancien pilote, M. Riebel put
reprendre l’air, se faire contrôler partout et être ce matin au départ. Hélas ! La guillotine
sèche du règlement lui interdit de participer à l’épreuve parce qu’il ne fut pas en mesure de se
présenter au départ de Cannes et de Perpignan. Il n’en a pas moins décidé de suivre le tour,
tout comme si les avantages des concurrents devaient lui être accordés : pour le plaisir !

                                                              Le Journal 28 juillet1933

                                                              Nos amis alsaciens sont donc tout
                                                              heureux de retrouver la caravane
                                                              et d’aller faire timbrer leur carnet
                                                              de route à 7 h 48, le jeudi 27
                                                              juillet 1933 ! C’est la cinquième
                                                              étape Biarritz – La Baule avec
                                                              poser intermédiaire à Angoulême
                                                              à 10 h 30 en même temps qu’un
                                                              vénérable Farman 40, une « cage à
                                                              poules » du même type que celui
                                                              sur lequel fut lâché Saint
                                                              Exupéry !
                                                              Durant ce trajet, le chroniqueur
                                                              des Ailes, qui effectue le trajet
                                                              sur            un           appareil
                                                              d’accompagnement, alimente sa
                                                              rubrique « Le visage aérien de la
                                                              France »

                                                              « C’est la célèbre Côte d’Argent
                                                              qui, ce matin sous la brume,
                                                              mérite son nom. Et déjà
                                                              commence le chapelet les étangs
                                                              des Landes qui voudraient mêler
                                                              le continent à l’Océan. C’est le
                                                              pays des dunes mouvantes qui,
                                                              longtemps,       forcèrent,       sans
                                                              politesse, les petites villes et même
                                                              les embouchures des fleuves à se
déplacer de temps en temps. Nous cherchons, à Hourtin, les hydravions du centre militaire qui
trouvent sur l’étang un plan d’eau de choix. Parfois, les escadrilles d’hydravions rencontrent
des bandes d’oiseaux migrateurs, des oies sauvages entre autres, qui volent, elles aussi en
formations triangulaires comme les avions… »
« Verrai-je au moins les Sables d’Olonne ? Hélas, un banc de nuages nous isole en ce moment
de la terre. C’est joli un banc de nuages quand on le voit pour la première fois ! Vous pensez
à Claude Monet qui peignit si bien les brumes sur les rivières Et qui eût fait, du soleil sur les
nuées, la plus belle, peut être, de ses œuvres. »

Posé de notre équipage à La Baule à 17 h 51. R.A.S.
Ca fait presque du bien une étape sans problème !

                                                        Vendredi 28 juillet. Décollage pour
                                                        Deauville, sixième étape, à 10 h 37 et
                                                        atterrissage à 17 h 24 : l’horodateur est
                                                        précis ! La soirée de la veille, en
                                                        présence du Ministre de l’Air Pierre
                                                        Cot, lui-même pilote chevronné, était
                                                        un peu oubliée par les 49 concurrents
                                                        restants dont Riebel qui ont pris le
                                                        départ     de    la   première     étape
                                                        intermédiaire vers Rennes. Les
                                                        appareils se posent au moment où le
                                                        ministre inaugure le terrain ! Le peintre
                                                        Toulouse Lautrec souhaite la bienvenue
                                                        à ses camarades aviateurs.

                                                       Le succès du Tour de France Aérien
                                                       prouve que le dernier venu des moyens
                                                       de locomotion entre dans nos mœurs. Il
                                                       y entre, à vrai dire tout doux, tout
                                                       doucement…Mais enfin, des gens, qui
                                                       ne se croient pas des héros ou
                                                       simplement des casse cous, ont leur
                                                       avion comme ils ont leur auto. Et ils ne
                                                       se contentent pas de le montrer dans
                                                       son hangar, à leurs amis et
                                                       connaissances : ils lui font prendre
                                                       l’air en amenant parfois ceux de leurs
                                                       invités qui au dernier moment n’ont pas
osé avouer : « Non, nous préférons ne pas quitter la terre qui nous a vu naître !

« Nous nous sommes promenés avec insistance au dessus de Saint Malo. Entendez que nous
avons viré deux fois sur la célèbre cité maritime. Comme elle a gardé sa face des jours
glorieux, alors que ses marins illustres sillonnaient les mers : nobles maisons des armateurs
aux façades sévères, aux pignons gracieux, tout le long des remparts intacts. Belle teinte grise
sur ce fond de mer très bleu. J’ai salué le tombeau de Chateaubriand sur l‘îlot du Grand Bé,
mais la sépulture hautaine du célèbre romantique n’est, vue de la verticale, qu’une petite
tombe bien pitoyable dans son isolement marin. Mais voici le Mont Saint Michel. Tourner par-
dessus la flèche effilée sera bientôt une de ces excursions aériennes que tous les syndicats
d’initiative recommanderont dans leurs brochures… »
A l’arrivée à Deauville, quatre équipages belges sont venus à la rencontre des pilotes français
pour leur faire escorte jusqu’à l’étape de Bruxelles. L’apéritif est servi sur la plage avant un
somptueux repas de gala qui semble décidément faire partie de ce nouveau rituel du Tour de
France Aérien…

Septième étape : Deauville – Bruxelles avec passages de frontières à Berck et à Knocke le
Zoute. La météo maritime fait des siennes et si l’on ne parle pas encore d’entrées maritimes, le
chroniqueur note que les nuages et la brume amenée par la marée basse sont ramenés par la
marée haute. « Le flux les apporta, la marée les remporte » Le Cid. Le lyrisme culturel est de
mise. Le retard sur le programme permet toutefois de bénéficier d’un temps correct bien qu’il
entraîne toutefois l’annulation d’un festin attendu au Zoute, en Belgique. Un gigantesque coup
de balai nettoie le ciel et un vent favorable de 40 Km/h, dans le dos, permet aux équipages de
gagner Berck première demi étape. A Knocke le Zoute, pour rattraper le temps perdu au
départ, un vin d’honneur est servi à même les appareils, sans couper les moteurs …
A 19 heures, tous les avions sont posés à Bruxelles.

« Je cherche près du Crotoy, le village de Rue, célèbre dans les annales de l’aviation. C’est à
Rue que les frères Caudron firent, en 1910, des essais de planeur, remplaçant la traction du
moteur par celle d’un cheval de ferme. (…) Paris Plage et le Touquet nous présentent leurs
mondanités dans la verdure des bois où sont piqués les deux phares très blancs. Nous coupons
la pointe du Cap Gris Nez, l’endroit le plus rapproché d’Angleterre. A ce cap s’arrachèrent
bien des souvenirs aéronautiques. C’est de la pointe du cap que partit Louis Blériot en 1909
pour aller atterrir sur la falaise de Douvres, la falaise du roi Lear, de Shakespeare, que nos
yeux entrevoient dans la brume. » Le Journal 30 juillet 1933

Avant le grand bal organisé par l’Aéroclub Royal de Belgique, les concurrents sont invités à
visiter les trésors de l’hôtel de ville.
Dernière étape : Bruxelles – Le Buc (Paris). Tout le monde était heureux de pouvoir faire la
grasse matinée et ce n’est que vers 13 h 30 qu’on quitte Bruxelles. Stop à Valenciennes où un
banquet de 80 couverts, organisé par le club local, attend les aviateurs touristes dans un
hangar du champ d’aviation. Les pilotes sont par ailleurs gratifiés individuellement d’une
médaille aux armes de la ville. Avant cette étape, ils ont survolé Waterloo. « Nous avons la
surprise de constater que, vu du ciel, Waterloo avec ses boqueteaux et sa verdure n’est pas du
tout une morne plaine. Victor Hugo n’a pas vu Waterloo à la verticale… »

50 appareils terminent le tour. C’est le moment de quelques considérations techniques. « Au
cours des dernières étapes, tous avaient compris qu’on devait atterrir avec une marge
suffisante pour ne pas craindre la perte de vitesse… Il est un point plus délicat à aborder
timidement, celui des rapports entre puissance des moteurs et dimensions des terrains… Je
sais bien que des dispositifs spéciaux tels que becs de sécurité et ailes à fentes ont déjà très
sévèrement combattu le danger de la perte de vitesse…

Le Potez 43 de M. Riebel se pose à 17 h 12…

N.B. Il faut signaler qu’un autre mulhousien se trouvait sur le Tour :
ALFRED DREYFUS également sur Potez 43 et qui terminera classé.
Mais je n’ai pu vous raconter son aventure car ses notes semblent
perdues.
En 1933, J. RIEBEL était président de la section tourisme de l’Aéroclub
du Haut Rhin.
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