Unité Didactique n 13: tomas garcia azcarate
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Unité Didactique n°13: La réforme Ciolos La Stratégie 2020. Les perspectives financières proposées par la Commission. Les aides directes. Le développement rural. L'équilibre de la chaine alimentaire. Les mesures de marchés. Le volet éducatif. La recherche agricole. Quelques réflexions en guise de conclusions. Le grand mérite de cet accord est celui d'exister. Les négociations furent longues et difficiles, avec de nombreux trilogues durant lesquels les rapporteurs du Parlement Européen et la Présidence du Conseil des Ministres durent « naviguer autour » de leurs mandats respectifs, pour avancer d'une manière constructive vers des zones de convergences. Ce fut un travail remarquable qui reçut le soutien, pas seulement technique, de la Commission. Comme toujours, le verre peut être vu à moitié plein ou à moitié rempli.
1. INTRODUCTION A peine clôturées les discussions sur "le Bilan de Santé de la PAC", les débats sur l'avenir de la politique agricole commune, la PAC après 2014, reprirent. La discussion sur la nouvelle PAC fut reliée, comme ce fut le cas pour l'Agenda 2000, avec la discussion sur les nouvelles perspectives financières de l'Union 2014-2020. Néanmoins, plusieurs différences peuvent être soulignées entre les deux exercices. La première est économique. A la fin du siècle dernier, nous n’étions pas au milieu de la plus grave crise économique en Europe depuis la grande récession des années 30. Cette crise affecta aussi à la vigueur du projet européen; on observe une perte de confiance massive de la population dans leurs représentants politiques nationaux et européens. La deuxième est géopolitique. L’Europe était composé de 15 Etats membres et non pas 28 comme aujourd'hui. 2. LA STRATÉGIE 2020 La "stratégie 2020" représenta aussi une nouveauté par rapport aux débats budgétaires antérieurs. La Commission lança fin 2009 une consultation avec un document dans lequel les mots "politique agricole", "développement rural", "sécurité alimentaire" la "sécurité des approvisionnements", n'apparaissaient pas1. Par la suite, en 2010, la Commission approuva une Communication qui identifia trois grands moteurs de croissance, avec des actions concrètes à mener à bien tant au niveau de l'Union Européenne (UE) comme des États membres: une croissance intelligente (à travers la connaissance, l'innovation, l'éducation et la société numérique); soutenable (avec une utilisation efficace des ressources et une économie plus verte et plus compétitive); inclusive (en augmentant le taux de participation sur le marché du travail, la qualification professionnelle, la cohésion sociale et territoriale et la lutte contre la pauvreté). Les sujets agricoles et ruraux n'étaient présents que de manière collatérale. 1 http://ec.europa.eu/growthandjobs/index_fr.htm 2
Un premier commentaire L´idée d´insérer les discussions budgétaires dans une discussion plus large sur quelle Europe nous voulons et quoi faire ensemble, est un progrès indéniable. Toutefois, il est difficile de ne pas (re)tomber sur des généralité, toujours à la recherche de nouveautés qui se reflètent souvent simplement dans des nouveaux mots. Qui peut être contre une croissance intelligente? Ou mieux encore, qui pourrait être pour une croissance bête ? Quand j´ai commencé ma vie professionnelle, la croissance devait être « endogène ». Aujourd´hui elle doit être « inclusive ». Oui, bien sur, cela semble une bonne idée, mais en quoi trouve-t-elle son reflet dans le contenu même de la proposition budgétaire ou des propositions politiques ? Mais ce fut le Conseil Européen lui-même qui, dans sa réunion de mars 2010 incorpora, dans ses conclusions sur la Stratégie 20202, le paragraphe suivant : "Toutes les politiques communes, y compris la politique agricole commune et la politique de cohésion, devront appuyer la stratégie. Un secteur agricole viable, productif et compétitif apportera une contribution importante à la nouvelle stratégie, compte tenu du potentiel de croissance et d'emploi que possèdent les zones rurales, tout en assurant des conditions de concurrence loyales. Le Conseil européen souligne qu'il importe de promouvoir la cohésion économique, sociale et territoriale ainsi que de mettre en place des infrastructures afin de contribuer à la réussite de la nouvelle stratégie." On observa donc une plus grande sensibilité aux aspects agricoles, ruraux et alimentaires à l'intérieur du Conseil Européen qu'à la Commission. 3. LES PERSPECTIVES FINANCIERES ET L'AGRICULTURE La Commission approuva sa proposition de perspectives financières le 29 juin 2011. Celle-ci représenta le cadre budgétaire global dans lequel la Commission proposa que l'ensemble des activités de l'Union Européenne prennent place et couvrait donc tous les volets, depuis la PAC jusqu'à la politique régionale en passant, entre autres, par les grands travaux, le GPS européen Galiléo, le projet de réacteur nucléaire ITER, la recherche européenne … ou les salaires des fonctionnaires européens. 3.1. La proposition de la Commission3 Face à un groupe nombreux d'Etats membres qui voudrait voir le budget plafonner à 1% du PIB communautaire, la Commission se rapprocha du Parlement Européen et, pour les 7 années 2014 à 2020, proposa de l'établir à 1.025 milliards € en crédits d’engagement (soit 1,05 % du RNB de l’UE) et à 972,2 milliards € (soit 1 % du RNB de l’UE) en crédits de paiement. Il s'agissait là d'une augmentation de 4,8 % par rapport aux chiffres actuels, ce qui dépassait l'inflation moyenne de 2 % enregistrée ces dix dernières années. 2 http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/fr/ec/113602.pdf 3 Cette partie est écrite sur base du communiqué de presse de la Commission Européenne "Investir aujourd'hui pour la croissance de demain" du 29 Juin 2011 disponible sur http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/11/799&format=HTML&aged=0&language= EN&guiLanguage=en 3
Le budget proposé maintenait en terme nominaux (c'est-à-dire qu'il y avait une diminution en termes réels) le budget pour la PAC y compris le développement rural pour libérer des moyens pour le financement de nouvelles priorités, telles que les infrastructures transfrontalières en matière d’énergie et de transports, la recherche et le développement, l’éducation et la culture, la sécurisation de nos frontières extérieures, et le renforcement de notre politique de voisinage avec nos voisins du Sud et de l’Est. Plus concrètement en ce qui concerne la PAC4, la Commission proposa de maintenir la structure actuelle de la PAC consistant en deux piliers: • Un premier pilier financé à 100% par le budget communautaire pour les aides directes et les mesures de marché. • Un deuxième pilier, cofinancé par les Etats membres, pour les mesures de développement rural. 4 Communication de la Commission "Un budget pour la stratégie Europe 2020 _ PARTIE II: fiches thématiques" COM (2011) 500/2 http://europa.eu/press_room/pdf/a_budget_for_europe_2020_- _part_ii_policy_fiches_fr.pdf 4
Les chiffres budgétaires proposés par la Commission pour l'agriculture sont repris dans le tableau suivant : Dépenses PAC (prix courant) et PAC réformée en milliards € (prix courant) 70 EU-10 EU-12 EU-15 EU-25 EU-27 60 50 40 30 20 10 0 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 Dépenses de marchés Paiements directs Développement rural Source: European Commission - DG Agriculture and Rural Development 5 5
3.2. L'accord du Conseil et du Parlement Européen5 Pour la première fois, le budget européen est en recul. L'autorité budgétaire a décidé de ne pas utiliser le budget européen, ni les synergies possibles à l'échelle européenne, comme moteur dynamique pour faciliter la sortie de la crise. Source: European parlament – Directorate-general for internal policies – Policy department for stuctural and cohesion policies (2013): European Council Conclusions on the Multiannual Financial framework 2014 – 2020 and the CAP. Cité comme E.P. (2013) http://www.europarl.europa.eu/committees/en/studiesdownload.html?languageDocument=EN&fil e=94213 5 Conclusions du Conseil Européen du 7 février 2013 http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/en/ec/135344.pdf 6
Le tableau suivant reprend les chiffres essentiels de l'accord. Source: http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-1096_en.htm On observe une différence importante sur l'ensemble de la période entre les crédits maximums d'engagements (960 Milliards) et ceux de paiements (908 milliards) et ceci pose problème. Ceci signifie dans la pratique un endettement de l'Union qui n'aurait pas pleinement les moyens de faire face à toutes ses obligations6. Certes, le Parlement Européen a obtenu, dans la dernière ligne droite, des aménagements qui sont positifs7. Mais le résultat final est, malheureusement mais aussi tout à fait 6 Toute la différence n'équivaut pas à un déficit budgétaire comme certains commentateurs peu scrupuleux ont signalé. En effet, toutes les quantités engagées ne sont pas ensuite dépensées. Il y donc là une marge, certes réelle, mais qui ne doit, néanmoins, pas être exagérée. 7 Il s'agit en particulier des clauses de révision prévue pour 2016 et de transfert (encadré) des fonds non utilisés d'une année vers les autres au lieu de devoir les reverser automatiquement aux Etats membres. L'élément politiquement le plus important est le maintien du programme d'aide pour les plus démunis avec un budget communautaire de 2.5 milliards pour l'ensemble de la période et une marge supplémentaire de 1 milliard qui pourrait être apporté par les Etats membres, à prendre sur leurs enveloppes nationales du Fond Social Européen (FSE). http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO- 13-625_en.htm 7
logiquement, à la hauteur des ambitions que les décideurs politiques européens ont pour l'Europe. A ambitions réduites, budget réduit. C'est loin d'être brillant. En ce qui concerne la rubrique 2, qui inclut l'agriculture et le développement rural, l'enveloppe totale ne pourra pas dépasser les 373 Milliards d'Euro sur la période, dont 278 Milliards pour les dépenses de marchés et les aides directes (soit 75% de l'enveloppe). Il s'agit d'une réduction en terme réel (en euro constant de 2011 de 13% entre 2020 et 2013). Une première variable d'ajustement a été, pour maintenir au maximum les aides directes aux agriculteurs, les dépenses de marché qui feront les frais de la très forte pression et ne représenteront plus que 3% de l'enveloppe contre 5.3 % en 2013). La deuxième variable d'ajustement est, comme ce fut le cas lors des perspectives 2007- 2013, le développement rural qui diminue de 18%, toujours entre 2020 et 2013. L'accord final permet aussi aux Etats membres de transférer jusqu'à 15% de l'enveloppe national prévue pour les aides directes vers le développement rural, ce qui est en ligne avec l'évolution historique du budget de la PAC depuis l'Agenda 2000. Il prévoit aussi la possibilité de transférer 15% des fonds du développement rural vers le premier pilier, pourcentage qui devient 25% pour les Etats membres qui sont en dessous de 90% de la moyenne communautaire c’est-à-dire l'Espagne, la Finlande, la Suède, la Royaume Uni, le Portugal, la Pologne, la Bulgarie, la Slovaquie, la Roumanie, la Lituanie, la Lettonie et l'Estonie. Choix nationaux Les tableaux suivants reprennent les choix des Etats membres, actualisés en juin 2016, dernière mise à jour sur la page web de la Commission8. 8 https://ec.europa.eu/agriculture/sites/agriculture/files/direct-support/direct- payments/docs/simplementation-decisions-ms-2016_en.pdf 8
11 Etats membres ont donc décidés de transférer des fonds du premier pilier vers le deuxième, pour un montant total sur l´ensemble de la période de 6.400 M. €. 5 Etats membres, tous nouveaux Etats membres, ont décidés de transférer des fonds du deuxième pilier vers le premier, pour un montant total sur l´ensemble de la période de 3.400 M. €. Nous allons maintenant rentrer dans le détail des propositions et décisions agricoles, en abordant avec détail d'abord trois sujets parmi les plus importants: les aides directes; la politique de développement rural et l'équilibre de la chaîne alimentaire. Dans les cas les plus importants nous incluons aussi les décisions prises par les Etats membres là où des marges leurs étaient laissées9. 4. LES AIDES DIRECTES Voilà le sujet par excellence qui cristallisa l'essentiel des discussions, pour beaucoup de raisons toutes légitimes. Il s'agit bien sûr d'un élément irremplaçable du revenu agricole aujourd'hui et, nous l'avons vu, du principal poste budgétaire de la PAC. On dénombre un grand nombre d'articles et de contributions sur ce sujet. Pour effectuer l'étude qu'ils ont coordonnée pour le Parlement Européen, Bureau et Witzke (2010) ont analysé plus de 40 propositions différentes. Du point de vue des études académiques, on observait au début des discussions une grande convergence théorique sur une triple légitimité possible pour les aides directes10: • La compensation des surcoûts imposés par notre réglementation européenne (environnement, droit social, bien-être des animaux entre autres) par rapport aux producteurs de pays tiers, dans un contexte d'ouverture progressive des marchés. C'est la justification pour l'aide de base prévue dans la réforme • La production de biens publics qui ne peut pas (aujourd'hui au moins, et pour certains ne seront peut-être jamais) être pleinement rémunérée par le marché11. C'est la 9 https://ec.europa.eu/agriculture/sites/agriculture/files/direct-support/direct- payments/docs/simplementation-decisions-ms-2016_en.pdf 10 Bureau et Mahé (2008) 11 Sur le sujet des biens publics et son incidence sur le débat de la PAC post 2013, on peut voir entre autres http://cap2020.ieep.eu/2010/7/30/public-goods-centre-stage-at-the-cap-post-2013-conference; Baldock (2011); le débat sur http://capreform.eu/public-goods-measurement-concerns-in-the-cap-post-2013/; European LandOwners' Organization (2010); Bureau et Mahé (2008) 9
justification pour la composante "verte" des aides directes (et pour les mesures agroenvironnementales). • La troisième répond à l'objectif politique de maintenir une agriculture diversifiée et diverse sur l'ensemble du territoire européen. C'est la justification pour cibler une partie du soutien spécifiquement sur les zones à handicap12; Toutefois, quand la Commission dans sa Communication de novembre 201013 (ensuite nous en parlerons comme "la Communication") proposa de suivre cette approche, l'unanimité académique se transforma en cacophonie politique … et même académique. 4.1. Le verdissement des aides 4.1.1. La proposition Dans sa proposition du 12 octobre 201114 (ensuite nous en parlerons comme "la proposition"), la Commission a défini tout d'abord un paiement de base, complété par un paiement additionnel (à concurrence de 30 % de l’enveloppe nationale annuelle) aux exploitants qui se conforment à trois pratiques agricoles bénéfiques pour le climat et l’environnement (et allant au-delà de la conditionnalité): • Une diversification des cultures: au moins trois, aucune d’elles ne devant couvrir moins de 5 % des terres arables de l’exploitation et la principale ne devant pas dépasser 70 % de ces terres; • Les pâturages permanents devraient être maintenus • Au moins 7 % des terres devraient être consacrées à des fin écologiques (telles que la jachère, les terrasses et les bandes tampons). Cette dernière condition serait la seule qui s'applique aux cultures arboricoles. Ce paiement additionnel serait octroyé automatiquement à l’agriculture biologique. 4.1.2. Analyse de la proposition Le premier point à aborder est le lien entre la proposition de réforme et les défis de l'alimentation des habitants du monde, à l'horizon 2050 par exemple. Le point de départ notre réflexion pourrait être la prise de position des présidents du COPA et du COGECA qui ont tous les deux souligné: «Il est illogique de demander à chaque exploitation d'arrêter de produire sur un certain pourcentage des terres ( jachère écologique) alors que la demande alimentaire mondiale devrait augmenter de 70 % d'ici 2050 et que la production est menacée par des épisodes plus intenses de sécheresse, d'inondation et de tempête.»15. 12 NFU (2010) 13 http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2010:0672:FIN:fr:PDF 14 Textes disponibles sur http://ec.europa.eu/agriculture/cap-post-2013/legal-proposals/index_en.htm 15 http://www.euractiv.com/fr/pac/la-forme-de-la-pac-sous-le-feu-des-critiques-news-508334 10
Cette référence à l'horizon 2050, aux 9 milliards d'habitants et à la nécessité d'augmenter la production agricole mondiale, d'ailleurs de 60% et non plus de 70% par rapport à l'année 2005 comme est en train de recalculer la FAO, apparaît souvent dans le débat. Ces chiffres impressionnent mais il s'agit d'une augmentation de la production mondiale de l'ordre de 1% par an, alors que depuis 1961 on observe une croissance de plus de 2%, avec un ralentissement certes ces dernières années. Le défi existe mais il est loin d'être insurmontable. D'ailleurs d'autres facteurs sont aussi à prendre en compte, comme par exemple: • Les pertes actuelles en premier lieu après la récolte dans les pays en développement mais aussi dans la filière (y compris les ménages) dans les pays développés. Le Parlement Européen a émis un rapport édifiant sur le sujet, avançant que " près de 50 % d'aliments sains sont gaspillés chaque année dans l'UE, par les ménages, les supermarchés, les restaurants et la chaîne alimentaire16"Comme le signale Soyeux et alt (2012), "aucune nouvelle technique agricole n'est capable d'accroître rapidement la production de 30%", ce que la lutte contre le gaspillage alimentaire peut faire. • D'après la FAO, si les 42% des agriculteurs du monde que sont les agricultrices avaient le même accès aux intrants et aux financements que leurs homologues masculins, la production mondiale augmenterait entre 10 et 20%. 16 http://www.europarl.europa.eu/news/fr/pressroom/content/20120118IPR35648/html/Il-est-urgent-de- r%C3%A9duire-de-moiti%C3%A9-le-gaspillage-alimentaire-dans-l'UE 11
• L'inévitable changement qui inévitablement devra se produire dans le mode de consommation des citoyens et citadins des pays développés vers une diète moins riche en viande et plus équilibrée. Disons-le clairement, ce n'est pas aux pays développés en général, et à l'Europe pour ce qui nous concerne, d'alimenter les pauvres du monde qui sont dans leurs majorité des paysans ou des habitants du monde rural, c'est au monde de s'alimenter. C'est un problème de droit à l'alimentation, d'indépendance nationale et stratégique et non pas un alibi pour le retour des politiques productivistes du passé. Toutefois, cette situation a des conséquences sur les équilibres actuels et futurs sur les marchés mondiaux, en premier lieu des céréales qui sont la clé de voûte de notre agriculture. Toutes les prévisions existantes17 convergent vers une perspective de prix mondiaux plus fermes à l'avenir. Il y a un vrai risque de "céréalisation" de l'agriculture européenne. Même avec la hausse des coûts de production induite par, en premier lieu, la hausse du prix de l'énergie et donc des carburants, des fertilisants et autres intrants, la production céréalière reste rentable, avec un niveau de risque limité et une présence physique nécessaire sur l'exploitation moindre que, par exemple, dans l'élevage. Ainsi, le rapport de septembre 2011 de l'Institut de l'élevage sur "l'élevage allaitant français à l'horizon 2015 et perspectives 2035"18 signale bien l'attrait pour les grandes cultures dans les zones mixtes. Dans le même sens, le Service de la statistique et de la prospective agricole français a signalé, déjà en 2008, la montée en puissance de la monoculture du maïs en Aquitaine. 70% des parcelles de maïs en 2006 avaient produit du maïs durant les 5 années précédentes sans discontinuité 17 Pour la Commission, http://ec.europa.eu/agriculture/publi/caprep/prospects2011/index_en.htm 18 http://www.inst-elevage.asso.fr/IMG/pdf_Nouveau_pdf_dossier_sept_2011-v.pdf 12
Cette "céréalisation" de l'agriculture européenne, résultat de l'addition logique de décisions microéconomiques et individuelles de chaque entrepreneur en lien direct avec le marché, représenterait une mutation considérable et consoliderait l'éloignement entre les demandes de la société (et sa disponibilité pour financer l'agriculture européenne) et le monde agricole. Cela sonnerait le glas du soutien public à l'agriculture et impliquerait une restructuration massive de l'agriculture européenne. Les conséquences de ce scénario sont bien explicitées dans le scénario "libéralisation" de l'étude "Scénario 2020"19. D'ailleurs, parmi les opposants au verdissement, se trouvaient tous ceux qui voulaient réduire le budget de la PAC à défaut de pouvoir en finir avec elle, en ayant un œil aussi bien sur les discussions budgétaires de la prochaine période 2014- 2020 mais aussi en préparant le terrain pour la PAC post 2020. Quelle aubaine ce serait pour eux de priver la PAC d'une grande partie de sa légitimité! La Commission proposa donc le verdissement des aides de la PAC sur le premier pilier, avec 3 obligations qui voulaient être trois remparts contre la "céréalisation"20: le maintien des prairies permanentes; la diversité des productions et la préservation de réservoirs écologiques et des paysages. Et ceci devait se faire sur l'ensemble du territoire, y compris les meilleures terres agricoles peu abondantes parmi le 20% couvert par les mesures agroenvironnementales21, et avec les fonds du premier pilier, c'est-à-dire sans cofinancement national ou régional obligatoire toujours aléatoire dans le contexte budgétaire actuel. Il s'agissait donc d'un effort pour rendre compatible l'objectif de production et celui de légitimité publique de la PAC. La Commission déclarait pouvoir être flexible sur 19 http://ec.europa.eu/agriculture/analysis/external/scenar2020ii/index_en.htm 20 Meynard, J.M. et Messéan, A. coordinateurs (2013) 21 Mattews, A.(2012): Environmental public goods in the new CAP: impact of greening proposals and possible alternatives. Note for the European Parliament. http://www.europarl.europa.eu/committees/en/studies.html;jsessionid=A3ACA2F108F22EA92A008B 864AA106DA.node2#studies 13
les moyens pour assurer l'efficacité des mécanismes et l'effectivité de l'équilibre recherché22 mais pas sur le cap à maintenir. Par contre, cet effort devait porter sur des mesures qui soient simples et contrôlables, pour que cela ne représente pas une charge bureaucratique importante ni pour les producteurs ni pour les Administrations. Le seul point sur lequel on observa une unanimité est celui de la "simplification", slogan derrière lequel chacun retrouvait des agendas différents. Mais on ne sait pas faire "simple et contrôlable" et, à la fois, ciblé, effectif, efficient". Louis-Pascal Mahé (2012) par exemple, fit des propositions pleines de bons sens, comme "la définition des exigences en surface d'intérêt écologique selon un maillage spatial et non économique"; un "encouragement à la restauration des prairies" ou un calcul de l'aide verte sur base de la perte de marge. Mais tout cela ne représentait pas une simplification. 30% de l'enveloppe La proposition, comme nous l'avons déjà signalé, fut de réserver à ce verdissement 30% de l'enveloppe des aides directes de chaque Etat membre et que tous les bénéficiaires d'aides directes puissent avoir accès à cette aide complémentaire s'ils en remplissaient les conditions. L'application logique du texte tel qu'il a fut mis sur la table par la Commission impliquait un calcul national (ou régional) et une aide "verte" égale pour tous les agriculteurs de l'Etat membre (ou de la région). En d'autres mots, l'objectif poursuivi était bien de favoriser une redistribution interne supplémentaire des aides, cette fois- ci sur base environnementale. C'est bien la raison pour laquelle des nombreux Etats membres (et syndicats agricoles) s'opposèrent à cette formulation et défendirent durant toute la négociation le calcul individuel, au niveau de chaque exploitation, et non pas au niveau global. 4.1.3. La décision Les principales décisions prises sont les suivantes23: • Accord sur l'enveloppe de 30% de l'enveloppe pour le verdissement24. Le calcul de l'aide pourra se faire à l'échelle nationale, régionale ou par exploitation, au choix de l'Etat membre. 22 La Commission a présenté un "concept paper" au Conseil du moi de mai 2012 qui contient des éléments de flexibilité constructive: http://ec.europa.eu/agriculture/cap-post-2013/legal-proposals/concept- paper-on-greening_en.pdf 23 Les principaux contenus de la réforme http://www.terre-net.fr/actualite-agricole/politique- syndicalisme/article/les-paiements-directs-les-principaux-contenus-de-la-reforme-1-3-205-90987.html 24 Réforme de la PAC: explication des principaux éléments. http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO- 13-621_fr.htm 14
• Afin d'éviter le «double financement» de ces mesures, les paiements versés dans le cadre de programmes de développement rural doivent tenir compte des exigences de base en matière de verdissement. • Trois mesures de base sont ainsi prévues: • Le maintien des prairies permanentes. Les exploitants doivent maintenir à leur niveau de 2012 les surfaces de prairies permanentes. Ils peuvent convertir 5 % de leurs prairies permanentes au maximum. Si le ratio entre pâturages permanents et surface agricole diminue de plus de 7 % sur une année au niveau national, régional ou sous-régional, l’Etat membre impose aux agriculteurs qui ont labouré sans autorisation de reconvertir leurs terres en prairies permanentes pour redescendre sous le seuil de 7%. • La diversification des cultures: un agriculteur doit exploiter au moins deux cultures lorsque la superficie de ses terres arables est supérieure à 10 hectares et au moins trois cultures lorsque cette superficie est supérieure à 30 hectares. La culture principale peut occuper au maximum 75 % des terres arables et les deux cultures principales au moins 95 % des terres arables; Le maintien d’une «surface d'intérêt écologique» (SIE) d'au moins 5 % des terres arables à partir du 1er janvier 2015, et non 2014, pour les exploitations agricoles d'une superficie supérieure à 15 hectares (à l'exclusion des prairies permanentes), composée par exemple de bordures de champs, haies, arbres, jachères, particularités topographiques, biotopes, bandes tampons ou surfaces boisées. Cette obligation peut également être mise en œuvre de manière collective entre plusieurs exploitants dans la mesure où les surfaces sont contiguës. 15
Ledit pourcentage aurait pu être porté à 7 % à compter de 2019 mais le rapport de la Commission du 29 mars 201725 conclua que « le pourcentage global des SIE déclarées sur les terres arables est près de deux fois supérieur aux 5 % requis au niveau des exploitations » et qu´il n´est donc pas nécessaire d´augmenter ledit pourcentage. Pourront être considérées comme surfaces d'intérêt écologiques des terres en jachère; les terrasses; les bandes tampons sans fertilisation ni pesticides, y compris les bandes tampons couvertes par les prairies permanentes pâturées ou coupées; les hectares éligibles à l'agroforesterie; cultures permanentes avec moins de 250 arbres par hectares; cultures permanentes cultivées sur des surfaces où la pente dépasse 10%; les zones avec des plantes fixatrices d'azote26. Les exploitations et surfaces arboricoles comme celles couvrant les fruits, la vigne, l'huile d'olive ou les rizières, sont exemptées des obligations liées au verdissement. 25 http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?qid=1490786763554&uri=COM:2017:152:FIN 26 http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/06/28/la-politique-agricole-commune-sera-t-elle-vraiment- plus-verte_3438677_3244.html 16
• Certaines exploitations ne sont pas tenues de réserver une surface d’intérêt écologique. Il s’agit entre autres des fermes plus de 75 % des terres arables de l'exploitation sont des prairies permanentes et/ou des surfaces en légumineuses et/ou des terres en jachère. • L'exigence de 5% sera aussi diminuée de moitié pour les exploitations situées en zone à handicap naturel et dans les régions où les forêts couvrent plus de 50% des hectares avec un ratio de forêts par rapports aux cultures de 3 pour 1. • L’élaboration de la matrice définissant l’équivalence entre éléments du territoire (arbres, haies…) et les SIE sera définie par acte délégué de la Commission. • « La Commission sera habilitée à adopter des actes fixant des critères supplémentaires pour considérer de nouvelles zones « d'intérêt écologique ». Elle veillera à ce qu'elles visent à améliorer la performance générale de l'environnement de l'exploitation, en particulier en ce qui concerne la biodiversité, l'amélioration de la qualité des sols et de l'eau, le paysage et rencontrer l'atténuation du changement climatique et les objectifs d'adaptation. » 17
• La proposition avait prévu que le paiement vert était directement octroyé aux agriculteurs biologiques. Cette pratique est maintenue. • Des pratiques certifiées dans le cadre de mesures agroenvironnementales (MAE) du deuxième pilier ou au titre de certifications nationales ou régionales peuvent être considérées comme équivalentes aux critères de verdissement. À chaque critère de verdissement est associée une liste de mesures agroenvironnementales (MAE) équivalentes. Pour certaines de ces MAE (marquées par un astérisque) n’allant pas au- delà des critères de verdissement, une réduction du soutien au titre du second pilier est appliquée afin d’éviter tout double financement. • Si une exploitation met en place une mesure agroenvironnementale jugée équivalente à un des critères de verdissement sur plus de 75 % de ses surfaces, et si la surface restante est inférieure à 30 ha, ce critère de verdissement est considéré comme acquis. • L'accord prévoit des pénalités pouvant aller au-delà du paiement vert, après 2 années de carence pour cause de mise en route. En 2008, elles pourraient atteindre 120% dudit paiement et 125% les années suivantes. 4.1.4. Analyse de l'accord Le verdissement a le mérite d'exister. Pour la première fois, les aides directes (au moins 30% d'entre elles) aux agriculteurs vont être en lien avec la production de biens publics. C'est donc un pas en avant indéniable vers la construction d'une nouvelle légitimité pour la PAC. Mais, comme le Commissaire à l´environnement de l´époque Janez Potocnik a signalé, beaucoup dépend de comment la mesure est appliquée par les Etats membres. Ce n'est pas la première fois dans la longue marche de la réforme de la PAC que les nouveautés les plus fortes sont d'abord mises en route à l'échelle des Etats membres. Ainsi, lors de l'Agenda 200027, le transfert de fond du premier pilier vers le second et la 27 Voir Unité Didactique 9 18
modulation des aides aux grands agriculteurs ne furent prévues que comme "optionnelles" pour les Etats membres. Aujourd'hui, elles sont une réalité généralisée. La PAC post 2014 ne sera pas aussi environnementale que l’avait souhaité la Commission (ou tout du moins une partie de la Commission). Le Commissaire Janez Potocnik conclua d’ailleurs que la prochaine fois, il faudrait se battre pour avoir un fond européen spécifiquement environnemental. Chaque étape de la réforme de la PAC ne peut pas, ne doit pas, être jugée hors de son contexte et sa dynamique. Le résultat n'est pas à la hauteur des attentes et des besoins, peut-être, mais il est d'abord le résultat d'un processus démocratique, avec une participation forte du Parlement Européen et il est un point de départ et non pas un point d'arrivée. Cent fois à votre métier remettez votre ouvrage. Cette maxime pourrait parfaitement bien s'appliquer à la Commission et au processus de réforme de la PAC. Dans le contexte budgétaire actuel, l’hypothétique nouveau fond européen environnemental ne pourrait qu’être alimenté par un coupe sèche sur les fonds agricoles, par exemple en y transférant les 50% de la dépense agricole qui, selon la Commission, vont au verdissement des aides de la PAC et aux mesures agroenvironnementales. 4.2. La redistribution des aides agricoles entre Etats membres (la convergence externe) 4.2.1. La proposition Nous l'avons dit dans l'unité Didactique 10, l'enveloppe des aides directes dans les nouveaux Etats membres, du point de vue technique, fut correctement calculée, là 19
n'est pas la question. Les années de référence furent les dernières années disponibles pour le calcul, ce qui est dans la tradition et la logique des élargissements précédents. Mais le résultat du calcul montra des aides directes très divergentes entre Etats membres et ce pour trois raisons principales: • Durant les années de socialisme d'état, les aujourd'hui nouveaux Etats membres ne purent pas développer leurs potentialités agricoles. • Les années de référence furent des années de transition durant lesquelles se produisit une décapitalisation importante du monde agricole, en particulier dans les secteurs de l'élevage (Falkowski, 2014). De plus, le montant total de l'enveloppe nationale fut divisé par l'ensemble des hectares agricoles et non pas, comme dans beaucoup d'Etats membres de l'UE-15, par les "hectares éligibles", c'est-à-dire ceux qui historiquement avaient porté des cultures soutenues par la PAC, comme le montre le tableau suivant. 20
Source: Swinnen, J. et alt (2013): Possible Effects on EU Land Markets of New CAP Direct Payments, Study for the European Parliament Avec un numérateur plus réduit et un dénominateur plus grand, le résultat de la division ne surprendra personne. C'est ainsi que le paiement direct moyen par hectare de terre potentiellement admissible au bénéfice de l'aide et par bénéficiaire pour l'exercice 2013 s'éleva à 94,7 EUR en Lettonie et à 457,5 EUR aux Pays-Bas. La moyenne dans l'UE-27 s'élevait à 269,1 EUR. Montant des aides directes par Etats membres 21
La proposition introduisit donc un mécanisme de redistribution certes limité, en essayant de trouver un équilibre entre équité et réalisme budgétaire. Tous les États membres dont les paiements directs représenteraient moins de 90 % de la moyenne de l'UE-27 réduiraient d'un tiers, au cours de la période, l'écart entre leur niveau actuel et les 90 % de la moyenne de paiements directs dans l'UE28. L'Etat membre qui augmenterait le plus (la Lettonie) verrait ainsi ses aides augmentées de 66%; l'Etat membre qui diminuerait le plus (Malte) verrait ses aides diminuées de 7%. 4.2.2. La décision29 La décision fut prise dans le cadre des perspectives financières 2014-2020. L'accord dit textuellement: "All Member States with direct payments per hectare below 90% of the EU average will close one third of the gap between their current direct payments level and 90% of the EU average in the course of the next period. However, all Member States should attain at least the level of EUR 196 per hectare in current prices by 2020. This convergence will be financed by all Member States with direct payments above the EU average, proportionally to their distance from the EU average. This process will be implemented progressively over 6 years from financial year 2015 to financial year 2020." Les Etats membres qui se virent bénéficier furent les trois pays baltes (Lettonie, Lituanie, Estonie) qui virent leurs aides moyennes à l'hectare augmentées jusqu'à atteindre le niveau de celles de la Roumanie30. 28 http://ec.europa.eu/budget/library/biblio/documents/fin_fwk1420/MFF_COM-2011-500_Part_II_fr.pdf 29 Conclusions du Conseil Européen du 7 février 2013 http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/en/ec/135344.pdf 30 European parlament – Directorate-general for internal policies – Policy department for stuctural and cohesion policies (2013): European Council Conclusions on the Multiannual Financial framework 2014 – 2020 and the CAP. http://www.europarl.europa.eu/committees/en/studiesdownload.html?languageDocument=EN&file=94213 22
4.3. La redistribution des aides à l'intérieur d'un Etat membre (convergence interne) 4.3.1. La situation actuelle Au moment de la négociation, le régime de paiement unique étaitt appliqué dans les 28 Etats membres de l'Union de 5 manières différentes31: régional (Slovénie); régional simplifié (tous les autres nouveaux Etats membres); dynamique hybride évoluant vers le système régional (Danemark, Allemagne et Angleterre); statique hybride (Luxembourg et la partie irlandaise du Royaume Uni, l'Irlande du Nord) et historique (tous les autres anciens Etats membres y inclus l'Ecosse). 31 Le détail par Etat membre se touve sur http://ec.europa.eu/agriculture/direct-support/pdf/implementation- direct-payments_en.pdf 23
Source : http://ec.europa.eu/agriculture/direct-support/images/map-direct-payments_en.gif Les premières aides compensatoires à l'hectare se calculèrent lors de la réforme de 199232 comme la différence entre l'ancien prix d'intervention effectif d'avant la réforme et le nouveau prix administratif, multiplié par le rendement de référence du pais, pour prendre l'exemple des céréales. Certains pays utilisèrent le même procédé pour calculer l'aide individuelle de chaque agriculteur (système historique); d'autres choisirent un rendement régional voire même des systèmes hybrides. Avec l'Agenda 200033, les aides compensatoires se transformèrent en aides directes; avec les réformes de 2003 et 200434, consolidées par le Bilan de santé35, elles furent découplées. Dans les Etats membres avec un système historique, le découplage signifia la consolidation des aides individuelles de chaque producteur. 32 Voir Unité didactique 8 33 Unité Didactique 9 34 Unité Didactique 10 35 Unité Didactique 11 24
Un deuxième commentaire Depuis lors, depuis 1992, beaucoup d'eau est passée sous les ponts. Les références historiques qui servirent aux premiers calculs n'ont plus de sens. Pourquoi deux agriculteurs voisins qui cultivent la même chose, qui sont confrontés aux mêmes difficultés de marchés, qui produisent les mêmes biens publics, touchent-ils des aides directes substantiellement différentes? Avec quelle légitimité? Seulement parce qu'il y a 20 ans ou plus, ils (ou leurs parents) cultivaient des choses différentes? Bien évidemment, les changements pour nécessaires qu'ils soient ne peuvent pas se faire d'un jour à l'autre mais il ne peut faire aucun doute que les vieilles références historiques finiront par disparaître, pour grande que soit les réticences des bénéficiaires actuels. 4.3.2. Proposition de la Commission La proposition incorpora aussi des nouveautés importantes en ce qui concernait la distribution des aides directes à l'intérieur d'un Etat membre. Le document explicatif qui accompagnait les propositions36 disait textuellement" que "Tous les États membres seront tenus de s’orienter vers un paiement uniforme à l'hectare au niveau national ou régional, dès le début de 2019". L'article 20, paragraphe 1, de la proposition37 était plus nuancée puisqu'il laissait un champ libre important aux Etats membres pour définir ce qu'il conviendrait d'appeler des "régions" dans le sens du présent règlement. Il parlait de "critères" au pluriel et donnait quelques exemples sans vouloir être exhaustifs comme la structure territoriale, les caractéristiques agronomiques ou le potentiel agricole régional. Un précédent, certes non directement applicable, existait déjà, celui des plans de régionalisation des aides compensatoires instaurées par la réforme Mac Sharry. Un certain nombre d'Etats membres, et en particulier l´Espagne, démontrèrent alors une créativité administrative intense. 4.3.3. La décision Les États membres qui utilisent le système historique devront bouger, certes moins que ce que proposait la Commission. Ils peuvent choisir38 parmi différentes options pour parvenir à ce type de convergence: • Evoluer vers un système régional comme le font déjà d'autres Etats membres 36 http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=MEMO/11/685&format=HTML&aged=0&l anguage=fr&guiLanguage=en 37 http://ec.europa.eu/agriculture/cap-post-2013/legal-proposals/com625/625_fr.pdf, page 35. Les Etats membres peuvent définir "les régions selon des critères objectifs et non discriminatoires, tels que leurs caractéristiques agronomiques et économiques et leur potentiel agricole régional ou leur structure institutionnelle ou administrative." 38 http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-13-621_fr.htm 25
• Adopter une approche régionale, sur la base de critères administratifs ou agronomiques; • Veiller à ce que tous les agriculteurs qui reçoivent moins de 90% du paiement moyen régional/national voient un accroissement graduel – assorti de la garantie supplémentaire que chaque agriculteur atteigne un paiement minimum de 60% de la moyenne nationale/régionale d'ici à 2019. Rien n'est dit sur le rythme de ladite approximation, qui est donc de l'entière responsabilité des Etats membres. L'accord prévoit aussi un garde-fou: en aucun cas, un agriculteur ne peut voir son aide unitaire baisser de plus de 30%. Si cela s'avère nécessaire, l'objectif mentionné de 60% serait alors revu à la baisse. 4.4. Les autres sujets 4.4.1. Les "petits" producteurs La Communication déclarait vouloir promouvoir "un régime de soutien simple et spécifique applicable aux petits exploitants pour remplacer le régime actuel afin d'améliorer la compétitivité, de contribuer davantage à la vitalité du monde rural et de réduire les lourdeurs administratives". La proposition fut de mettre en œuvre un régime spécifique pour les petits agriculteurs (jusqu’à 10 % de l’enveloppe nationale) sous la forme d’un paiement forfaitaire, avec des contrôles simplifiés. Il s'agissait avant tout d'une mesure de simplification administrative. Le coût de la gestion administrative et de contrôle d'une demande d'aide peut être bien supérieur au 26
montant perçu par le bénéficiaire. Dans un contexte actuel de réduction des dépenses publiques et du nombre de fonctionnaires, cela n'a pas de sens. De plus, et dans la mesure où l'Etat membre le voudrait, cela pourrait être utilisé aussi pour redistribuer le soutien agricole des exploitations plus grandes vers les micro- exploitations ou vers des agriculteurs à temps partiel. Ceci est bien évidemment une décision politique lourde de sens mais nullement obligatoire pour les Etats membres. Il s'agissait donc d'un outil de plus mis à la disposition de ceux qui voudraient bien l'utiliser pour favoriser une redistribution plus sociale des aides. La décision39 Le régime est facultatif pour les États membres. Si l'Etat membre décide de l'appliquer, tout agriculteur demandant une aide pourra bénéficier d'un paiement forfaitaire annuel fixé par l'État membre, quelle que soit la taille de l'exploitation. Il se situera dans une fourchette comprise entre 500 et 1 250 €. Les États membres peuvent opter pour 5 différentes méthodes de calcul, y compris une formule selon laquelle les agriculteurs recevraient simplement le montant qui devrait normalement leur être versé. Les participants doivent répondre à des exigences moins strictes en matière de conditionnalité et ne seront pas non plus soumis aux exigences du verdissement. L'enveloppe maximale qu'un Etat membre peut dédier à cette aide est limiter à 10 % de l'enveloppe nationale, sauf lorsqu'un État membre décide de faire en sorte que les petits agriculteurs reçoivent ce qui leur reviendrait en l'absence de ce régime. 4.4.2. Les "grands" producteurs La Communication agricole annonçait "une limite supérieure pour les paiements directs perçus par les grandes exploitations individuelles (un «plafonnement») aux fins d'une meilleure répartition des paiements entre les agriculteurs. La prise en compte de l'intensité du travail salarié pourrait permettre d'atténuer les effets disproportionnés qui s'exercent sur les grandes exploitations dont les effectifs sont importants." 39 http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-13-621_fr.htm 27
Il fut proposé de réduire le montant des paiements directs à accorder à un agriculteur de 20 % pour les paiements compris entre 150 000 et 200 000 euros, de 40 % entre 200 000 et 250 000 euros, de 70 % entre 250 000 et 300 000 euros et de 100 % au-delà de 300 000 euros. Ce calcul est à faire en soustrayant les salaires payés, y compris les taxes et contributions sociales, du total des paiements directs dus initialement. La question de la modulation des aides est sur la table depuis que la Commission fit sa première proposition dans le cadre de la réforme Mac Sharry40. Mais cette proposition-là était beaucoup plus fine et intelligente que les propositions antérieures et ce pour les raisons suivantes: • L'argent ainsi récupéré reste à l'intérieur de l'Etat membre. Il n'y a donc pas de redistribution budgétaire entre Etat membre ni d'économie budgétaire pour la Commission. Il est utilisé dans le cadre du développement rural pour faire face aux nouveaux défis de l'Union, en particulier l'adaptation au changement climatique. • En prenant intégralement en compte les coûts salariaux, elle discrimine en faveur des agriculteurs qui jouent pleinement leur rôle d'acteurs dynamiques du monde rural. • Elle favorise les agriculteurs qui emploient de la main d'œuvre en toute légalité. • Elle résout le problème des grandes coopératives agricoles des nouveaux Etats membres et des Landers de l'Est de l'Allemagne. En particulier, de nombreuses coopératives agricoles qui font parties des grands bénéficiaires des aides directes, assurent en même temps que leurs activités agricoles d’autres activités importantes pour la vie des villages et disposent donc d’un grand nombre d’employés. 40 Unité Didactique 8 28
Vous pouvez aussi lire