1968 GAMBARDELLA L'ÉPOPÉE DES JUNIORS MARTÉGAUX - Ville de Martigues

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1968 GAMBARDELLA L'ÉPOPÉE DES JUNIORS MARTÉGAUX - Ville de Martigues
GAMBARDELLA
                                 1968
L’ÉPOPÉE DES JUNIORS MARTÉGAUX
1968 GAMBARDELLA L'ÉPOPÉE DES JUNIORS MARTÉGAUX - Ville de Martigues
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LA BELLE ÉQUIPE !

       Il y a 50 ans, le 15 juin 1968, c’est par la grande porte que les juniors du
Martigues Sport Football entraient dans l’histoire de la Ville en remportant la
prestigieuse Coupe Gambardella. Âgés de 16 à 18 ans ils étaient jeunes, et c’est
même parce qu’ils étaient les plus jeunes, qu’ils ont été déclarés vainqueurs
« à la moyenne d’âge » après un score final de 2 buts partout (7 corners à 7)
face à Reims.

C’est donc bien évidemment avec plaisir et fierté que la municipalité a
souhaité soutenir la réalisation de cet ouvrage, mais également celle d’un
film-documentaire et d’une exposition retraçant les moments forts et les
souvenirs de cette extraordinaire aventure. Ce 50ème anniversaire est une
belle occasion d’honorer cet événement mais surtout ces hommes qui, par
leur talent et leur esprit collectif, ont offert au désormais Football Club de
Martigues son premier titre retentissant.

Les 16 Martégaux ; Jean-Paul Cappone, Joseph Barraco, Jaime Pérez, Michel
Navarro, Pierre Lima, Jean-Noël Mourou, Marc Pecchi, Paul Domenech, Alain
Mercet, François Martinez, Paul Brot, Raymond Martinez, Henri Olive, Serge
Castejon, Antoine Bru, Paul Pecchi et l’Arlésien Jacques Augustin, ont su,
sous les conseils et les encouragements de leurs entraîneurs André Cornille
et Jacques Sucré, former une équipe solide et solidaire, une équipe portée
par la passion du ballon et par l’amitié. Une passion partagée par toute une
Ville qui le lendemain, le 16 juin, accueillait ces 17 copains en champions. Les
champions d’un petit club, d’une petite Ville, de 28 000 habitants à l’époque.

En célébrant l’exploit de ces sportifs formidables, la Ville veut aussi porter une
ambition, un message en direction des nouvelles générations. Au-delà des
défaites et des victoires, la vie d’un Club doit avant tout être dominée par les
valeurs du sport : l’entraide, la solidarité, l’amitié, l’effort, le fair-play et le respect.
Ce sont ces valeurs qui ont fait la force de cette équipe « Gambardella » et ce
sont ces mêmes valeurs qui pourront, demain, mener à nouveau le FCM au
plus haut niveau.

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                                                                            Maire de Martigues

                                                 3
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SOMMAIRE

p.3    La belle équipe, par Gaby Charroux, maire de Martigues

p.6    G.A.M.B.A.R.D.E.L.L.A

p.7    Avant-propos : Le printemps du football martégal

p.13   Au cœur de l’épopée

p.22   L’album

p.33   Le parcours

p.39   Le groupe martégal : joueurs et dirigeants

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GAMBARDELLA 1968

G   RENOBLE : 10 MARS 1968 stade municipal 8e de finale
                    MARTIGUES 5 - MEYTHET 0

A   VIGNON : 17 DÉCEMBRE 1967 Stade des Salins Martigues 5e TOUR
                     MARTIGUES 4 - AVIGNON 1

M    ARSEILLE : 6 AVRIL 1968 stade Vélodrome QUART DE FINALE
                         MARTIGUES 2 - LYON 0

B   ORDEAUX : 20 AVRIL 1968 Parc des Princes Paris DEMI-FINALE
                 MARTIGUES 3 - BORDEAUX (SBUC) 1

A   RLES : 14 JANVIER 1968 stade Municipal 32e DE FINALE
            MARTIGUES 1 - NIMES OLYMPIQUE 1 (3 corners à 3)
                     MARTIGUES Vainqueur à l’âge

R   ETOUR TRIOMPHAL à Martigues le dimanche 16 Juin 1968
                     Défilé en ville et fanfare

D   IRIGEANTS : Accompagnateurs : Raphaël DOMENECH, Amilcar GIAMPIETRI
            Entraîneurs : André CORNILLE, Jacques SUCRÉ
            Section Jeunes : Charly LINARES, Yvon TORRO
                    Président du Club : Robert HUC

E   FFECTIF : AUGUSTIN Jacques / BARRACO Joseph / BROT Paul /
         BRU Antoine / CAPPONE Jean-Paul / CASTEJON Serge /
          DOMENECH Paul / LIMA Pierre / MARTINEZ François /
                  MARTINEZ Raymond / MERCET Alain
          MOUROU Jean-Noël / NAVARRO Michel / OLIVE Henri
                PECCHI Marc / PECCHI Paul/ PEREZ Jaime

L
ES CAILLOLS : 26 NOVEMBRE 1967 4e TOUR
                  MARTIGUES 3 - LES CAILLOLS 1

L
YON : 11 FÉVRIER 1968 stade de Gerland Lyon 1/16 de FINALE
                 MARTIGUES 1 - R.C. STRASBOURG 1
              MARTIGUES vainqueur aux corners 5 à 4

A   VIGNON : SAMEDI 15 JUIN 1968, stade des Rotondes FINALE
           MARTIGUES 2 - STADE de REIMS 2 (7 corners à 7)
                   MARTIGUES vainqueur à l’âge

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AVANT-PROPOS

                          LE PRINTEMPS DU FOOTBALL MARTÉGAL

         1968, année électrique. Celle des guitares des grands groupes de pop an-
glais, de l’enlisement au Vietnam, de l’assassinat de Martin Luther King et du prin-
temps de Prague. En France, au coeur d’un printemps bouillant, les barricades
du quartier latin et les usines bloquées annoncent le crépuscule du Gaullisme. À
partir du 13 mai, le pays se trouve presque totalement paralysé par l’un des plus
importants mouvements sociaux de l’histoire, rappelant aux anciens les grandes
grèves de 1936.
Martigues, petite ville du Midi alors en plein développement économique,
n’échappe pas au grand chambardement national et à la transformation d’un pays
qui, s’il n’a jamais été aussi riche1, s’ennuie... À commencer par sa jeunesse. Pris
dans le carcan d’une société conservatrice aux normes et aux règles sévères, les
enfants du baby-boom semblent se réveiller, accrochant au hit-parade de leurs
slogans contestataires une formule lancée comme une boutade par l’humoriste
Jean Yanne aux premières heures des événements : « Il est interdit d’interdire ».
Cette jeunesse, rêvant de révolution, va en faire un de ses mots d’ordre, comme
elle remplace les refrains des chansons un peu « gnangnan » que l’on écoute sa-
gement sur de petits postes à transistor par les paroles d’un hymne contestataire
écrit quatre ans plus tôt par Bob Dylan : The Times They are A-changin’. Oui, les
temps sont en train de changer... C’est du moins ce que beaucoup espèrent.

Tandis que les ouvriers de la pétrochimie, matrice économique de l’étang de
Berre, entrent dans une grève dure, les élèves du lycée Paul Langevin montent
des comités et organisent leurs premiers sit-in. Un vent de liberté souffle sur la
cour de l’établissement mixte secondaire (à l’époque de la 6e au baccalauréat) où,
pendant la récréation, filles et garçons sont séparés par une ligne peinte en jaune.
Malheur à celui qui la franchirait ! Au coup de sifflet du pion « maton de service »,
le carton rouge conduit directement l’imprudent chez le surgé qui, après rappel à
l’ordre, signifie à l’élève expulsé la sanction : deux heures de colle pour le bécoteur
du banc des filles, quatre pour le récidiviste.
Du côté des garçons, un petit groupe de copains participe depuis l’automne à

1.   Malgré de très fortes inégalités salariales et sociales.

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une aventure tout aussi excitante que le rapprochement physique avec les filles
ou les manifestations qui vont immanquablement débuter - puisqu’il est interdit
d’interdire - par le franchissement de la ligne de démarcation. Cette aventure,
parallèle aux événements de mai 68, dont il ne nous semblait pas inutile de rap-
peler brièvement le contexte, ne serait-ce que parce que, comme nous le ver-
rons, ils influèrent sur son déroulement, c’est le challenge Gambardella, la coupe
nationale de football des juniors.

Nés en 1949 et 1950 et, pour les « pitchouns » (les cadets surclassés) en 1951, ces
lycéens (ils sont cinq) appartiennent à une formidable équipe qui, à la surprise
générale, est parvenue à se hisser en finale de la compétition. Avec eux sur le
terrain, les « anciens », juniors deuxième année. En cette période de plein emploi
lié au boom économique des Trente Glorieuses, plusieurs d’entre eux sont déjà
(bien qu’ils aient tous moins de 20 ans) dans la vie active. Paul Brot, le canonnier
de service, est comptable dans une banque. Michel Navarro, défenseur latéral ac-
crocheur, travaille comme tuyauteur en usine. Raymond Martinez, avant-centre
rapide et percutant, est apprenti. Alain Mercet, le métronome du milieu de terrain,
est ouvrier. Jacques Augustin, feu-follet de l’attaque doté d’un incroyable sens du
but, est employé, rêvant d’embrasser, comme Paul Brot, une carrière de footbal-
leur professionnel. Jean-Noël Mourou, le capitaine, comme le gardien Paul Pecchi,
poursuivent leurs études. Les défenseurs Pierre Lima et Jaime Pérez, sous les dra-
peaux (à l’époque pour 16 mois), parviennent à se faire libérer pour être inscrits
sur la feuille de match. Pour cela, une intervention en haut-lieu est parfois néces-
saire, comme à l’occasion de la demi-finale contre Bordeaux où le président du
club, Robert Huc, se démène afin d’obtenir de l’Amirauté le débarquement du
matelot Pérez. Déposé par son bâtiment en baie de Saint-Tropez, l’arrière central
peut rejoindre Martigues en auto-stop juste à temps pour sauter dans le train qui
conduit la délégation martégale à Paris. Henri Olive, l’enfant de Saint-Julien, titu-
laire indiscutable en attaque, a dû quitter le train en marche ; ayant réussi haut
la main le concours des PTT, il a abandonné à regret ses coéquipiers en cours de
saison pour rejoindre son premier poste à Paris. Non sans avoir permis à l’équipe
de franchir les tours préliminaires, inscrivant notamment deux buts décisifs aux
Caillols et contre Avignon. Après une victoire sans appel contre le club vauclusien
(4-1), les jeunes martégaux sortent sans coup férir le Nîmes Olympique en 32e. À
l’issue du temps réglementaire, le score est de 1 but partout. On aurait pu assis-
ter à des prolongations suivies de tirs au but mais, à l’époque, le règlement ne les
prévoyait pas, les experts de la fédération considérant que le décompte des coups
de pied de coin était censé témoigner de la supériorité offensive d’une équipe sur
l’autre. Mais là encore, l’égalité entre les deux équipes (3 corners à 3) est parfaite.
C’est finalement à l’âge que les martégaux obtiennent leur ticket pour les 16e.

Le tirage au sort de ce premier tour national les oppose au Racing Club de Stras-
bourg. Face à de solides alsaciens (qui leur rendent quelques kilos sur la balance

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et au moins 10 centimètres à la toise), l’affaire se dénoue aux corners (5-4) après
un score de 1 but partout. La 8e de finale, disputée à Grenoble face à l’AS Meythet
tourne à la démonstration, conclue par le score sans appel de 5 buts à 0.
Parmi les huit équipes qualifiées pour les quarts, les « sang et or », derniers re-
présentants de la ligue du Sud-Est après l’élimination du club phare de la région
l’OM, sont opposés à un épouvantail : l’Olympique Lyonnais. D’un simple lever
de rideau de match international, les juniors martégaux vont, par leur discipline
tactique, leur solidarité et leur opportunisme, faire un chef-d’oeuvre. Largement
dominés, ils donnent une leçon de réalisme à des lyonnais finalement battus 2-0.
La demi-finale qui suit, disputée à Paris, voit les protégés d’André Cornille et de
Jacques Sucré confirmer leur belle prestation du Vélodrome. Sur la pelouse du
Parc des Princes, ils éliminent par 3 buts à 1 le stade Bordelais UC, antichambre
des grands Girondins de Bordeaux.
La finale, qui doit également se disputer dans la capitale, se jouera face au stade
de Reims, tombeur en demi de Lens. Le club champenois n’est certes plus la
grande équipe des Kopa2, Fontaine, Piantoni et Jonquet, double finaliste de la
coupe d’Europe (1956, 1959) qui, dix ans plus tôt, a formé l’ossature de l’équipe de
France troisième de la coupe du monde en Suède mais, sur le papier, les proven-
çaux ne semblent pas devoir peser lourd... Sur le papier seulement.

La rencontre est programmée le dimanche 12 mai, en lever de rideau de la fi-
nale de la coupe de France opposant Bordeaux à l’AS Saint-Etienne. Si le match
phare du jour a bien lieu, la rencontre entre jeunes champenois et provençaux
est annulée au dernier moment. Craignant que les deux équipes ne puissent se
rendre dans la capitale en raison du mot d’ordre de grève générale lancé pour le
lendemain, la Fédération Française de Football préfère reporter (à deux reprises)
l’opposition entre les juniors. Ce « contretemps » social eut-il une influence sur le
résultat de la finale qui se dispute finalement un mois plus tard en Avignon ? Le
fait est que le samedi 15 juin 1968 les juniors de Martigues Sports Football (actuel
Football Club de Martigues) remportent la 14e édition du challenge Gambardel-
la. Un ultime exploit, mais aussi une performance unique pour un club amateur3
ayant auparavant accroché à son tableau de chasse d’autres grosses écuries du
championnat de France professionnel. Ce qui déjà n’était pas rien. Parfois avec
une facilité insolente, le plus souvent en allant puiser dans ses dernières res-
sources. Comme l’écrivit en des temps lointains Pétrone, « l’obstacle ajoute un
lustre à la victoire »4.

2. Raymond Kopa quitta le club champenois pour le Real de Madrid en 1956. Il remportera à trois reprises la Coupe des Clubs
    champions avec le club espagnol (1957, 1958, 1959) avant de revenir à Reims.
3. Le seul à ce jour pour un club dont l’équipe première évoluait en division d’honneur avec celui de l’US Quevilly vainqueur
    de l’épreuve en 1967. À la nuance près que le club normand, contrairement à Martigues, disposait à l’époque d’un sta-
    tut    semi-professionnel.
4. In Le Satyricon, XCIII, roman satirique écrit vers 60 avant JC et dont l’adaptation cinématographique de Federico Fellini,
    sorti en 1969, était en tournage en 1968.

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À l’issue d’un dernier acte poignant, même s’il ne fut pas spectaculaire, ce lustre
prit la forme d’une coupe en cristal, pour un titre obtenu tout au bout du sus-
pense, au bénéfice de l’âge, à l’issue d’une belle après-midi de juin 1968 qui consti-
tue le printemps du football martégal.

Comment ces jeunes joueurs, dont beaucoup avaient spontanément appris à
maîtriser le ballon dans la rue avant d’être formés à l’école d’un petit club de pa-
tronage (l’AS Jeanne d’Arc) où se constitua, année après année, l’ossature du Mar-
tigues Sports, ont-ils vécu, de l’intérieur, cette incroyable aventure ? Comment la
petite ville provençale a-t-elle suivi le parcours de ses « minots », jusqu’à la finale
d’Avignon ? C’est ce que nous vous proposons de découvrir dans ce livret rédigé
par les joueurs eux-mêmes, à partir du récit de Paul Pecchi enrichi des témoi-
gnages de Joseph « Pino » Barraco et de Marc Pecchi (frère cadet de Paul), avec le
concours de Nicolas Balique, ancien journaliste sportif, chargé de mission histoire
et mémoire d’habitants pour la Ville de Martigues.

La présente publication s’inscrit dans le cadre de l’exposition « Football et cinéma,
la belle équipe ! » proposée de juin à octobre 2018 par le cinéma Jean Renoir et la
cinémathèque Gnidzaz à l’occasion du 50e anniversaire de la victoire de 1968. Elle
accompagne le film documentaire de 52mn « Gambardella 68, le printemps du
football martégal » diffusé à cette occasion. Une manifestation portée par la Direc-
tion culturelle et la Direction des sports de la Ville de Martigues.

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AU CŒUR DE L’ÉPOPÉE

       Entrés dans la compétition au second tour, les juniors martégaux bénéfi-
cient du forfait du club de Port-Saint-Louis-du-Rhône. Un premier obstacle certes
écarté sans gloire, mais qui ne constitue que la toute première étape d’une longue
ascension semée d’embûches. Pas moins de 1200 clubs se trouvent en effet, en ce
début d’automne 1967, sur la ligne de départ, dans un premier temps répartis par
ligues fédérales.

Pour leur première rencontre, sur le terrain et en crampons cette fois, les « sang
et or » sont opposés à de « vieilles » connaissances : les juniors de l’US Marignane.
Depuis la création de leur club respectif1, les deux villes de l’étang de Berre se sont
affrontées à de nombreuses reprises. Que ce soit en équipe première ou chez les
jeunes, ces rendez-vous ont toujours donné lieu à des rencontres très disputées,
parfois épiques, même si à aucun moment l’enjeu ne prit le pas sur le jeu... Ce
qui jamais n’a empêché quelques débats « musclés » autour du ballon. Le match
a lieu sur le stade des Salins bâti, comme son nom l’indique, sur les anciens ma-
rais salants de la ville, asséchés puis comblés (et aplanis !) pour en faire plusieurs
terrains de jeu. Ce qui n’est encore que l’ébauche du futur stade Francis Turcan2,
construit en 1965, offre, ce qui est un luxe, une « vraie » pelouse, mais ne compte
ni tribune digne de ce nom3 (juste deux gradins inconfortables situés côté che-
min de Paradis), ni vestiaires. Pour se changer, les joueurs doivent se rendre au
gymnase Chave, pour ensuite rejoindre les Salins en bus ou serrés à l’arrière des
voitures des dirigeants, parents et amis. Seule une barrière sépare les joueurs des
spectateurs qui se chargent de bonne grâce d’aller récupérer les ballons qui atter-
rissent régulièrement dans les jardins voisins, parfois dans le canal. Juste en face
du stade, à l’emplacement de l’actuel hôtel de ville, deux terrains annexes, en terre
battue, complètent le parc sportif de la ville amené à succéder au stade Aldéric
Chave, théâtre de tant de matchs légendaires, mais aussi d’inondations mémo-
rables... La vieille enceinte du bord de l’étang laissera quelques années plus tard sa
place à l’actuelle piscine municipale. Mais revenons au match, disputé le samedi
15 novembre 1967.

1. 1921 pour Martigues, 1924 pour Marignane.
2. Du nom de l’ancien maire de Martigues, décédé en décembre 1968.
3. Elle sera construite au début des années 70.

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A priori supérieurs aux marignanais, les « sang et or » engagent la partie sûrs de
leur force mais ont la surprise de tomber sur un os. Face à d’opiniâtres aviateurs4,
les martégaux se heurtent en première mi-temps à une défense efficace et terre à
terre. Quatre minutes après la reprise, Alain Mercet ouvre le score. Mais à quelques
minutes du coup de sifflet final, Marignane parvient à égaliser. On procède alors
au décompte des corners pour départager les deux équipes : compte, décompte,
palabres... Le verdict enfin tombe, favorable d’une unité (5-4) aux « sang et or ».
La joie est réelle, même si les jeunes martégaux et leur entraîneur André Cornille
ne nourrissent encore aucune ambition pour la suite d’une compétition dont ils
connaissent parfaitement les exigences et le niveau ; nul ne peut alors imaginer
l’épopée qui va suivre, d’autant qu’à ce stade de la saison, comme dans le cham-
pionnat régional junior, le groupe se voit régulièrement privé de quelques-uns de
ses meilleurs éléments, prélevés par l’équipe fanion. C’est le cas de trois joueurs
prometteurs, Paul Brot, Alain Mercet et Jacques Augustin. Un bien pour un mal
car, comme nous le verrons, les matchs qu’ils disputent en division d’honneur
avec les séniors vont les aguerrir... Comme ils vont permettre à quelques « jeunes
pousses », les cadets surclassés appelés à compléter l’effectif, d’apprendre à tenir
le choc physique face aux juniors du département.

Au tour suivant, le tirage au sort offre justement aux martégaux l’une des meil-
leures formations de la région chez les jeunes : Les Caillols. Par le dynamisme de
ses encadreurs et l’action de ses dirigeants, le club marseillais est une véritable
pépinière de footballeurs. Certains, après avoir porté dès les pupilles les couleurs
du petit club de la banlieue Est de Marseille, se sont ensuite illustrés au plus haut
niveau. Citons parmi eux les internationaux Roger Jouve, Jean Tigana et Eric Can-
tona, sans oublier les frères Green, Gérard et Jean-Louis, et Patrick Dho qui ont
tous trois porté le maillot du FCM. La rencontre se dispute sur le petit stade des
Caillols. Après un début de match difficile, les martégaux, menés dès la 8e minute,
parviennent à égaliser en fin de première mi-temps par Henri Olive avant deux
buts imparables de Raymond Martinez et Jacques Augustin dans les dix dernières
minutes. Mauvais jour pour le club marseillais battu 3 buts à 1, d’autant que son
meneur de jeu, Francis Parra, manque un pénalty à un moment crucial de la par-
tie. Le manque-t-il ? Pas si sûr car face à lui il y a Jean-Paul Cappone, titulaire ce
jour-là, qui détourne sa frappe avec brio. Le gardien martégal se souvient parfai-
tement de son arrêt, mais aussi des provocations (de bonne guerre de la part de
celui que l’on appelle communément le 12e homme) des supporters du club hôte
qui, installés juste derrière son but, tentaient de le déconcentrer. Lassé d’entendre
les incessantes galéjades et autres « martégalades », Cappone se retourne vers le
plus bavard de la bande, un monsieur d’un certain âge portant l’incontournable
casquette marseillaise qui vient de lui lancer : « Et ben vé, vous les martégaux,
vous n’irez pas loin ». Ce à quoi le goal martégal, tout en veillant sur le ballon et sur

4.   Surnom du club marignanais.

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le placement de sa défense répond en rigolant : « C’est sûr qu’après la finale on
ne peut pas aller plus loin ! ». Simple rodomontade ou véritable oracle ? Le fait est
que Jean-Paul Cappone a sans doute impulsé sans le savoir ce 26 novembre 1967,
le formidable parcours des juniors martégaux.

C’est ensuite l’Olympique Avignonnais que le sort place sur la route des « sang et
or ». Un rude morceau puisque les vauclusiens, dont l’équipe première navigue
alors entre la première et la deuxième division, disposent d’un centre de forma-
tion réputé. Disputée le 17 décembre à Martigues, la rencontre se termine sur le
score sans appel de 4 buts à 1, Augustin, Olive, Bru et Brot trouvant tour à tour le
chemin des filets. Bien sûr, il ne s’agit pour l’instant que de tours préliminaires,
régulièrement atteints par les juniors martégaux, mais face à des adversaires évo-
luant en criterium, le plus haut niveau pour les juniors, la qualité du jeu produit et
l’importance de ce dernier score autorisent un relatif optimisme pour la suite de la
compétition. Ce que ne manque pas de souligner la presse régionale.

En 32e de finale, les martégaux tirent le Nîmes Olympique. Les gardois, doubles
vainqueurs de la Gambardella, en 1961 et 1966, font partie des favoris de l’épreuve.
Le match est programmé le 14 janvier 1968 à Arles, en lever de rideau de la ren-
contre de coupe de France entre Nîmes et l’OM. Dès le coup d’envoi, les actions
offensives se succèdent, et les défenses, tour à tour sur la brèche, tiennent le choc.
Le public, venu en nombre pour le match des pros qui va suivre, apprécie la qua-
lité du jeu produit et ne ménage pas ses encouragements. À un quart d’heure de
la fin, les nîmois trouvent la faille par Mathieu mais, dès la remise en jeu, François
Martinez, bien servi par Jacques Augustin, remet les deux équipes à égalité. Il en
est de même au nombre de corners : 3 à 3. Il faut donc avoir recours au décompte
de l’âge. Détail surprenant : les deux équipes regagnent leur ville respective sans
connaître le nom du qualifié. Ce n’est en effet qu’au milieu de la semaine suivante
que le résultat de la ligue est officiellement notifié : 235 ans, 4 mois et 23 jours
pour Martigues contre 235 ans, 10 mois et 11 jours pour Nîmes.

À peine le temps de savourer la qualification que le tirage au sort des 16e est
connu. Ce sera le RC Strasbourg. Comme les gardois, les alsaciens, vainqueurs de
l’édition 1965, partent largement favoris. Le match se déroule à Lyon, sur la pelouse
du stade de Gerland, en lever de rideau de la 16e de finale de coupe de France op-
posant Nantes à Annecy. Au terme d’une partie serrée, bien que moins spectacu-
laire que celle contre Nîmes, le score final est là encore de 1 but partout, Kasper
répondant à la 16e minute à l’ouverture du score de Paul Brot sur un penalty trans-
formé à la 9e. Martigues s’impose finalement aux corners (5-4), mais une victoire
au nombre de buts n’aurait pas été usurpée tant la domination et les occasions
des « sang et or » furent nombreuses. C’est à partir de cette étape de la compéti-
tion que les joueurs martégaux prennent pleinement conscience de leur valeur
et de leurs possibilités, et que leurs dirigeants sentent qu’avec un brin de réussite,

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la route déjà ouverte peut mener l’équipe très loin. Jusqu’à la victoire finale ? Nul
n’en parle mais certains commencent sérieusement à y penser d’autant qu’après
l’élimination d’Aix et surtout de l’OM (respectivement sortis par Bastia et Dijon),
le club de l’étang de Berre reste le dernier représentant de toute la ligue Sud-Est5.

Le tirage au sort des 8e de finale est a priori plus clément puisqu’il offre aux mar-
tégaux l’AS Meythet. En l’apprenant, les joueurs empruntent à leur père une carte
routière Michelin afin de savoir où se trouve cette localité dont pas un d’entre
eux ne connait le nom. S’il n’a pas le prestige des autres clubs encore en lice,
dont Lens, Lyon, Sochaux ou Reims, le club de la banlieue d’Annecy a pourtant
une excellente réputation au niveau de ses équipes de jeunes dans toute la ré-
gion savoyarde. La rencontre se joue le 10 mars 1968 à Grenoble, en prélude au 8e
de finale de la coupe de France opposant les Girondins de Bordeaux au Gazélec
d’Ajaccio. D’entrée de jeu, Martigues prend son adversaire à la gorge. En moins
de 15 minutes, le score est de 2 buts à 0, sur un doublé de Raymond Martinez. Au
cours d’une deuxième période bien maîtrisée, Paul Brot inscrit sur coup franc un
nouveau but avant que Martinez ne marque à deux nouvelles reprises, signant un
quadruplé historique portant le score à 5-0. De l’avis des joueurs, ce match ne fut
pas une promenade de santé. À ce stade de la compétition, il n’y a plus de « pe-
tites » équipes, même celles vous obligeant à réviser votre géographie...

En apprenant qu’ils allaient affronter les tombeurs de Meythet en quart de fi-
nale, les lyonnais pensent qu’il s’agit d’un petit club de la banlieue de Marseille.
Mais les rhodaniens vont rapidement découvrir, à leurs dépens, qui est Martigues
Sports : une équipe très soudée, au sommet de sa condition, pratiquant un jeu
collectif à la fois spectaculaire et redoutablement efficace. Les lyonnais ignorent
également le remarquable état d’esprit et le mental à toute épreuve de leur ad-
versaire qui, ce samedi 6 avril va réaliser le match parfait.
Pour cette rencontre, Martigues a indiscutablement l’avantage du terrain puisque
le match se joue presque à domicile, dans l’enceinte du stade Vélodrome de Mar-
seille, de surcroît en lever de celui opposant la France à la Yougoslavie, comp-
tant pour le Championnat d’Europe des Nations. Près de 40000 spectateurs,
dont nombre de martégaux (venus en voisins et non en banlieusards), sont déjà
massés dans les tribunes lorsque, dans une ambiance survoltée, le rouleau com-
presseur lyonnais entre en action. Pendant dix longues minutes, la pression est
terrible sur le but martégal. Mais la défense se montre héroïque, enrayant une à
une toutes les tentatives lyonnaises. Après avoir laissé passer l’orage, les « sang
et or » parviennent à mener plusieurs contres percutants. Sur l’un d’eux, les po-
teaux lyonnais tremblent; simple avertissement suivi, à la 17e minute d’un premier
but, signé Jacques Augustin. En seconde période, les rhodaniens accentuent leur
pression mais se heurtent toujours à un rempart martégal parfaitement coordon-

5.   Aujourd’hui Ligue de la Méditerranée.

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né par Joseph Barraco. Par ses multiples interventions, le gardien Paul Pecchi finit
par écœurer les gones qui, sur un nouveau contre, encaissent à deux minutes du
coup de sifflet final un but assassin signé Augustin. La victoire est unanimement
saluée par un public enthousiaste, tout acquis durant 90 minutes à la cause des
« petits » martégaux.

C’est à partir de ce match référence, joué devant tout le Gotha du football français,
que la presse nationale (les quotidiens régionaux ayant quant à eux suivi, dès les
premiers tours, l’ascension martégale) et les grands clubs commencent à prêter
attention à une équipe dont la réputation n’avait jusqu’alors guère franchi les li-
mites des Bouches-du-Rhône, voire celles de l’étang de Berre. Plusieurs joueurs
se trouvent dans le viseur des « sergents-recruteurs » présents en tribune ce jour-
là : Jacques Augustin, Paul Brot, Alain Mercet et Paul Pecchi. Ce dernier, digne
héritier de la grande tradition des gardiens martégaux, de Di Lorto à Vincent Galy
en passant par André Cornille, sollicité par Sochaux, l’AS Saint-Etienne et Monaco,
préfèrera poursuivre ses études d’ingénieur. Augustin et Mercet, également dans
le viseur de Saint-Etienne, mais aussi de l’OM, signeront quelques mois plus tard
dans le club de la Principauté. Quant à Paul Brot, il connaîtra une belle carrière
professionnelle, conclue 11 ans plus tard par une finale de coupe de France avec
l’AJ Auxerre6. Ayant également évolué à Sochaux, Brot portera à 17 reprises le bras-
sard de capitaine de l’équipe de France Olympique.

Pour l’heure, oubliant les sirènes du monde pro, le groupe reste soudé, se concen-
trant sur les demi-finales pour lesquelles restent en lice le Stade Bordelais, Lens
et le Stade de Reims. Le tirage au sort offre aux martégaux le SBUC ; pas forcé-
ment le meilleur tirage puisque le club universitaire constitue l’antichambre des
Girondins de Bordeaux. Les deux équipes se retrouvent le 20 avril à Paris, en le-
ver de rideau de la demi-finale de coupe de France opposant justement le club
bordelais à l’US Quevilly. Dans un Parc des Princes partiellement démoli avant sa
rénovation, mais qui accueille tout de même plus de 20000 spectateurs, se pro-
duit un curieux phénomène. À l’entrée des juniors sur le terrain, deux camps se
forment spontanément dans les tribunes : d’un côté les supporters bordelais, de
l’autre ceux de Quevilly associés aux martégaux montés à Paris pour soutenir leur
équipe. Jamais peut-être dans l’histoire du football français, provençaux et nor-
mands n’auront été aussi proches et solidaires. Les joueurs se souviennent aussi
de la chaleur étouffante régnant sur Paris ce jour-là.

Les premières minutes de la rencontre sont à l’avantage des bordelais qui, sous
l’impulsion des frères Gallice7 multiplient les offensives. Comme au tour précé-
dent la défense martégale supporte le poids de la partie et tient remarquable-

6. Finale perdue par les bourguignons 1-4 après prolongations face au FC Nantes.
7. André et Jean Gallice qui connurent une belle carrière professionnelle, essentiellement aux Girondins de Bordeaux, l’aîné
   Jean comptant 7 sélections (1 but) en équipe de France.

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ment le choc, à commencer par Paul Pecchi qui, à la 11e minute, détourne un pé-
nalty. Et comme à Marseille deux semaines plus tôt, une fois l’orage passé, Mar-
tigues prend l’initiative, pratiquant un jeu rapide et collectif parfaitement rôdé.
Le poteau bordelais tremble une première fois. Les actions se succèdent puis
la récompense arrive par deux buts remarquables inscrits en moins d’un quart
d’heure. Le premier est l’oeuvre de Paul Brot après un premier tir de François Mar-
tinez (10e minute), le second signé Jacques Augustin (25e) qui double la mise après
un « une-deux » avec Alain Mercet. En deuxième période, les martégaux restent
superbement concentrés et appliqués. Semblant encore un peu sonnés par la
réussite de leurs adversaires en première période, les bordelais tentent de revenir
dans la partie mais, après un tir frappant le poteau de Paul Pecchi, une offensive
« à la martégale » amène le troisième but sur une superbe frappe des 25 mètres
d’Augustin. Le match perd ensuite de son intensité, uniquement marqué par la
réduction du score des bordelais, qui ne change rien à l’issue de la rencontre. Mar-
tigues jouera donc « sa » finale.

Après un repas animé pris dans une brasserie des abords de la gare de Lyon,
toute la délégation prend place dans le train de nuit Paris - Marseille, desservant à
l’époque la gare de Martigues. Malgré la fatigue, le retour vers le sud est fort joyeux
(principalement en raison de la bouteille de grand cru offerte par les bordelais à
chacun des joueurs et dirigeants), suivi d’une arrivée que les joueurs eux-mêmes
qualifient de surréaliste. Lorsque, vers 7h du matin, le train entre en gare de Ca-
ronte, un épais brouillard masque en effet le paysage. À peine le groupe est-il
descendu sur le quai qu’un air de fête retentit, provenant d’une source encore in-
visible : c’est le Président du club, Robert Huc, venu accueillir ses juniors accompa-
gné d’une avant-garde de la fanfare municipale. L’entrée en ville est triomphale,
de nombreux supporters s’étant massés le long des rues afin de fêter bruyam-
ment les tombeurs de Bordeaux. Cet obstacle franchi, tout semble possible lors
du dernier match qui opposera Martigues Sports au Stade de Reims, vainqueur
de Lens à l’avantage des corners (6 à 5 après un score de 1-1). La rencontre est pré-
vue le dimanche 12 mai, au stade de Colombes, en lever de rideau de la finale de
la coupe de France entre l’AS Saint-Étienne et les Girondins de Bordeaux. Mais les
événements nationaux vont en décider autrement.

Car si le « grand » match du jour est maintenu, marqué par la victoire 2 buts à 1
des stéphanois emmenés par Rachid Mekhloufi auteur d’un doublé, la Fédéra-
tion, craignant que les deux délégations juniors ne puissent se rendre à Paris, dé-
cide en effet de reporter la finale de la Gambardella. Annoncé au dernier moment,
après l’annulation du vol puis du dernier train pour Paris, ce report vaut une pe-
tite mésaventure à quelques fidèles supporters martégaux, « montés » par leurs
propres moyens dans la capitale la veille, n’apprenant qu’à leur arrivée au stade
que la rencontre n’aurait pas lieu.

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Une première fois reporté au dimanche 19 mai, le match est de nouveau annulé
en raison des grèves qui à présent paralysent tout le pays. La finale est finalement
renvoyée au samedi 15 juin 1968 en Avignon. Ce choix de la Fédération Française
de Football n’a rien d’innocent puisqu’il permet à la rencontre de garantir une
affluence inhabituelle pour une finale de coupe Gambardella disputée en match
principal, en raison de la proximité de la cité des Papes avec Martigues. La Fédé-
ration ne sera pas déçue car plus de 2500 supporters martégaux, qui n’auraient
pas pu effectuer le déplacement à Paris, se rendent au stade des Rotondes. Deux
heures avant le coup d’envoi, les tribunes sont presque exclusivement couvertes
des couleurs « sang et or ». Mais il en aurait fallu beaucoup plus pour émouvoir les
rémois.

Dès les premières minutes, les juniors champenois exercent une très forte pres-
sion sur le but provençal. Le scénario est maintenant connu des martégaux, mais
contrairement à ce qui s’était produit contre Lyon et Bordeaux, la défense « sang
et or » finit par craquer. À deux reprises (17e et 25e) l’avant-centre et déjà interna-
tional Jean-François Jodar trouve le chemin des filets. Dans les tribunes, c’est la
désolation, certains craignant une humiliation pour les protégés d’André Cornille
et Jacques Sucré. L’enjeu d’une finale nationale rend-t-il les martégaux moins li-
bérés qu’aux tours précédents, les deux mois ayant séparé les demi-finales ont-ils
démobilisé le groupe ? La réponse va être apportée à la demi-heure de jeu par
Paul Brot dont le coup franc « coup de canon » transperce le mur rémois, sonnant
le réveil des martégaux. À la mi-temps, les consignes des deux entraîneurs « sang
et or » sont claires : la victoire passe impérativement par la neutralisation de Jodar.
Jacques Sucré recadre ses défenseurs et réclame plus de vigilance à l’égard de
l’attaquant rémois. Jaime Pérez, défenseur aguerri, va s’y employer avec efficacité;
jusqu’au coup de sifflet final, on ne verra plus Jodar que par intermittence. Mieux,
dès l’engagement de la seconde période, Jacques Augustin fait étalage de toute
sa classe en égalisant sur un exploit individuel. La confiance à présent totalement
revenue permet aux juniors martégaux, poussés par un public enthousiaste, de
tenir le score.
À quelques minutes de la fin de la rencontre, les rémois, qui mènent par 7 corners
à 6, pensent avoir le trophée en main. Mais un dernier coup franc détourné, tiré
par Paul Domenech, permet à Martigues de revenir à la hauteur des champenois.
Au coup de sifflet final, il faut, comme contre Nîmes, attendre le verdict de l’âge.

Les officiels de la Fédération s’isolent pour procéder aux calculs indispensables.
Bien qu’elle ne dure que quelques dizaines de minutes, l’attente semble inter-
minable aux joueurs des deux équipes qui errent comme des âmes en peine sur
la pelouse. Le bruit ayant couru dans les tribunes que les « sang et or » seraient
nettement plus jeunes, les supporters martégaux n’attendent pourtant pas la dé-
cision officielle pour envahir le terrain. Tout au bout du suspense, chacun se tait
pour écouter l’annonce du haut-parleur du stade : « Martigues : 238 ans, 6 mois,

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23 jours. Reims : 240 ans... ».
L’explosion de joie est telle que nul n’entend la fin du message du speaker (11
mois, 11 jours). Le contraste est alors saisissant entre l’euphorie des provençaux et
les larmes des champenois. La tension d’un match indécis, puis l’attente de son
dénouement, ont décuplé l’intensité des sentiments éprouvés par tous, que ce
soit dans le camp des gagnants ou dans celui des vaincus. Le plus fort de l’émo-
tion passée, les rémois viennent sportivement féliciter leurs adversaires, se de-
mandant certainement comment ils ont pu perdre un match totalement maîtrisé
au cours des 25 premières minutes de jeu.

La remise du titre s’effectue dans un délire indescriptible. Un moment, Joseph
Barraco, capitaine de l’équipe8 à qui le trophée a été remis, craint que l’oeuvre en
cristal qui passe de main en main ne soit brisée. Mais pour les 17 joueurs ayant
pris part à l’épopée, elle paraît indestructible. Elle représente en effet la sueur,
les émotions, les souffrances mais est aussi le résultat d’une solidarité sans faille
concluant une incroyable épopée. Le traditionnel repas d’après match, offert par
la Fédération, est le moment privilégié pour refaire cinquante fois (au moins !)
la finale et en apprécier ses moindres instants, y compris les plus difficiles. Une
certaine sympathie et un respect mutuel s’établissent entre rémois et martégaux
installés à deux tables voisines. Malgré leur déception, les champenois font
preuve d’une grande sportivité tandis que les « sang et or » savourent, sans vrai-
ment réaliser, la portée de leur victoire. Pour eux, la fête ne fait que commencer.

Le lendemain, tout Martigues fait un triomphe à ses joueurs qui défilent, tels des
héros antiques, installés à l’arrière de voitures décapotables ou sur le toit de vé-
hicules plus modestes. De Jonquières à Ferrières, et jusqu’à l’Ile où toute la dé-
légation est reçue à l’ancien hôtel de ville par le maire Francis Turcan, les mar-
tégaux se pressent le long du parcours de la parade ouverte par les majorettes
et la fanfare. La victoire du 15 juin 1968 est historique car jusqu’à ce jour, jamais la
Gambardella n’a été remportée par un club aussi modeste. Un exploit qui restera
sans doute unique car le challenge semble à présent réservé aux clubs pros les
plus puissants, disposant de surcroît de centres de formation dans lesquels évo-
luent nombre de futurs professionnels, renforcés par de jeunes joueurs de talent
principalement venus d’Afrique.

Comment expliquer un tel exploit (car c’en est indiscutablement un) ayant défié,
il y a 50 ans, toute logique sportive ? Comment pareille équipe de copains a-t-elle
pu faire plier une telle série de clubs prestigieux comptant de nombreux joueurs
évoluant régulièrement au plus haut niveau ?
Difficile, voire hasardeux d’avancer ici une explication globale à ce qui demeure
l’une des plus grandes surprises de l’histoire du football français. On peut toute-

8.   En l’absence de Jean-Noël Mourou blessé.

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fois trouver quelques éléments de réponse en analysant le parcours des jeunes
martégaux depuis leurs débuts dans le football.
Le premier est que l’équipe était formée de bons joueurs, dont plusieurs de
talent, très complémentaires, passionnés par leur sport, tous animés par une
vraie camaraderie et un fort esprit collectif. C’est ainsi que chacun se sentait par-
tie prenante du but marqué comme responsable de celui encaissé. De mémoire
de joueurs, il n’y eut jamais (ce qui est extrêmement rare dans un sport collectif)
le moindre reproche formulé par l’un d’entre eux envers un autre. La solidarité est
donc le premier secret d’un succès avant tout collectif.
Le second élément, qui en découle directement, est le respect des joueurs entre
eux. Cela s’explique en grande partie par le fait que presque tous se connaissaient
parfaitement. Ils jouaient ensemble depuis leur plus jeune âge, d’abord à travers
le football de rue ou sur des terrains vagues, puis en pratiquant un football plus
structuré dans lequel, au fil des catégories, leur équipe avait obtenu régulière-
ment des places d’honneur, que ce soit en championnat ou en coupe de Pro-
vence. Ils avaient pris l’habitude de gagner et détestaient la défaite !
Entre eux l’encouragement était la règle et la critique individuelle bannie, prin-
cipes judicieusement entretenus par des dirigeants de qualité, à l’état d’esprit
remarquable, ennemis de toute forme de tricherie.
En dernier lieu, et ce fut sans doute le « petit plus » menant à l’exploit, l’équipe
s’est décomplexée au fil des matchs, devenant progressivement capable de bâtir
un collectif très rapide, cohérent et efficace et de gérer les moments difficiles. En
football, les valeurs établies sont tenaces et, en général, le petit club opposé à une
équipe plus prestigieuse nourrit un sentiment d’infériorité qui constitue un han-
dicap souvent insurmontable. Fort heureusement, à partir des 8e de finale, peut-
être même dès le match contre Nîmes, l’équipe a su dépasser cet obstacle en se
dotant d’un mental à toute épreuve ; au point que l’on peut se demander si le mot
stress faisait partie de son vocabulaire.
En ajoutant à ces trois raisons essentielles une dose de réussite, la fameuse « ba-
raka », indispensable dans toute compétition à élimination directe, on obtient la
recette d’une épopée mémorable.
Aujourd’hui aussi plaisante et aisée à écrire qu’elle fut difficile à mener à son
terme !

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L’ALBUM

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Saison 1962 - 1963 : les pupilles «A» de l’AS Jeanne d’Arc.
En haut de g. à d. : Thomas Besgeorges, Raymond Martinez, Hubert Perrier, Jean-Jacques Spagnol, Patrick Perrier, Michel
Chancel, Charles Lauricella, Alain Mercet, Jean-Paul Gili.
En bas : Gaby Granier, François Martinez, Michel Besgeorges, Jean-Jacques Savournin, Guy Roux.

Saison 1965-1966 : les cadets «Excellence» de Martigues Sports.
En haut de g. à d. : Jean-Noël Mourou, Pierre Lima, Paul Pecchi, André Magnialdi, Joseph Barraco, Jaime Pérez.
En bas : Henri Olive, Michel Navarro, Paul Brot, Alain Mercet, Michel Salmon.

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Printemps 1967 : deux équipes cadets de Martigues Sports en finale du traditionnel tournoi de sixte des
«Vieux crampons».
En haut de g. à d. : Marc Pecchi, Alain Mercet, François Martinez, Tony Sanchez, Paul Brot, Joseph Barraco, Michel Besgeorges.
En bas : Robert Navarro, Paul Domenech, Raymond Martinez, Patrick Perrier, Jean-Jacques Spagnol.

17 décembre 1967 : le banc martégal lors du 5e tour contre Avignon.
De g. à d. : Raphaël Domenech, Yvon Torro, Amilcar Giampietri (dirigeants), André Cornille (entraîneur), Antoine Bru
(12e homme).

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14 janvier 1968 à Arles : intervention du gardien martégal Paul Pecchi face à Nîmes en 32e de finale sous le regard
de Joseph Barraco.

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14 janvier 1968 à Arles : duel entre Antoine Bru (à droite) et un défenseur nîmois.

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14 janvier 1968 à Arles : intervention de Paul Pecchi en 32e de finale face à Nîmes sous le regard des défenseurs Jaime
Pérez, Jean-Noël Mourou et Michel Navarro.

6 avril 1968 à Marseille : le groupe martégal avant le quart de finale contre Lyon.
En haut de g. à d. : Jean-Paul Cappone, Jaime Pérez, Jacques Augustin, Joseph Barraco, François Martinez, Paul Pecchi,
Marc Pecchi, Michel Navarro, André Cornille.
En bas : Amilcar Giampietri, Paul Domenech, Alain Mercet, Jean-Noël Mourou, Raymond Martinez, Antoine Bru,
Jacques Sucré, Paul Brot.

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20 avril 1968 au Parc des Princes : Joseph Barraco face aux attaquants girondins lors de la demi-finale contre le Stade
Bordelais Université club.

15 juin 1968 : départ de la délégation martégale pour Avignon. Parmi les dirigeants (de g. à d.), Yvon Torro, André Cornille,
Julien Olive, Amilcar Giampietri et Raphaël Domenech avec au centre René Fossati.

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15 juin 1968 en Avignon : le maire Francis Turcan et son premier adjoint
                 Paul Lombard viennent encourager les joueurs et leurs entraîneurs avant la finale.

Avant le coup d’envoi du match face à Reims.
En haut de g. à d. : Jean-Noël Mourou, Jean-Paul Cappone, Paul Brot, Jaime Pérez, Joseph Barraco, Paul Pecchi, Michel
Navarro, Marc Pecchi.
En bas : Paul Domenech, François Martinez, Raymond Martinez, Jacques Augustin, Alain Mercet, Pierre Lima.

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Après la victoire : Jacques Augustin porté en triomphe par les supporters martégaux.

            16 juin 1968 : le défilé de la victoire dans les rues de Martigues.

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16 juin 1968 : le défilé de la victoire dans les rues de Martigues.

Sur la «Tintaine» : les juniors martégaux lors de la fête vénitienne 1968.

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La joie des joueurs martégaux et de leurs supporters après la victoire face à Reims sur la pelouse du stade des Rotondes
d’Avignon.

50 ans après, les juniors martégaux reprennent la pose sur la pointe San Christ de l’Île.

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LE PARCOURS

Tours préliminaires régionaux

2e tour
15 octobre 1967 : contre Port-Saint-Louis-du-Rhône à Port-Saint-Louis-du-Rhône.
Victoire par forfait 3-0

3e tour
15 novembre 1967 : contre US. Marignane à Martigues.
Victoire 5 corners à 4 (1-1 à l’issue du temps réglementaire)
Les buts : Mercet (49e) pour Martigues, Pouvatchy (83e) pour Marignane
• Ce qu’en a dit la presse1 :
    « Fin de match inhabituelle au stade des Salins ! Chacun des deux camps,
    exprimant sa joie, pensait l’avoir emporté aux corners. Le décompte des of-
    ficiels donnait Martigues vainqueur au grand désarroi des Marignanais. »

4e tour
26 novembre 1977 : contre SO. Caillolais aux Caillols (Marseille).
Victoire 3-1
Les buts : Corrieri (8e) pour les Caillols, Olive (44e), R. Martinez (82e), Augustin (86e)
pour Martigues
• Ce qu’en a dit la presse :
    « Victoire indiscutée de Martigues qui sera certainement l’équipe à suivre
    dans cette magnifique épreuve. »

5e tour
17 décembre 1967 : contre Avignon à Martigues.
Victoire 4-1
Les buts : Augustin (16e), Olive (27e), Bru (65e), Brot (83e sp.) pour Martigues, Mourier
(87e) pour Avignon.
• Ce qu’en a dit la presse :
    « La victoire des « sang et or » a été acquise avec un brio et une autorité qui
    en disent long sur les possibilités de cette équipe martégale. »

1.   Sources : Le Provençal, Le Soir, La Marseillaise, Le Méridional.

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