AFGHANISTAN : CLÉ DE VOÛTE DE LA SÉCURITÉ LOCALE ET RÉGIONALE
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
DSC 066 DSC 18 F Original : anglais Assemblée parlementaire de l’OTAN COMMISSION DE LA DÉFENSE ET DE LA SÉCURITÉ AFGHANISTAN : CLÉ DE VOÛTE DE LA SÉCURITÉ LOCALE ET RÉGIONALE PROJET DE RAPPORT SPÉCIAL* Wolfgang HELLMICH (Allemagne) Rapporteur spécial www.nato-pa.int 12 avril 2018 * Aussi longtemps que ce document n’a pas été adopté par la commission de la défense et de la sécurité, il ne représente que le point de vue du rapporteur spécial.
066 DSC 18 F TABLE DES MATIÈRES I. INTRODUCTION ................................................................................................................... 1 II. POLITIQUE DE L’ADMINISTRATION TRUMP/DES ÉTATS-UNIS ........................................ 1 III. RAPPORT D’ACTUALISATION SUR LA RSM ...................................................................... 2 IV. ANDSF ET FORCES D’INSURRECTION .............................................................................. 4 A. LES ANDSF .................................................................................................................. 4 B. LES TALIBANS............................................................................................................. 5 C. DAECH EN AFGHANISTAN – EIIL-K ........................................................................... 6 D. AUTRES GROUPES D’INSURGÉS.............................................................................. 7 V. POINT SUR L’ENVIRONNEMENT DE SÉCURITÉ DES CIVILS ........................................... 7 VI. GOUVERNANCE ................................................................................................................... 8 A. ÉLECTIONS ET RÉFORME ÉLECTORALE ................................................................. 8 B. EFFORTS DESTINÉS À ENDIGUER LA CORRUPTION ............................................. 9 VII. RECENTRAGE SUR LA DIMENSION RÉGIONALE............................................................ 10 A. PAKISTAN .................................................................................................................. 10 B. INDE ........................................................................................................................... 13 C. CHINE ........................................................................................................................ 14 D. IRAN ........................................................................................................................... 16 VIII. CONCLUSIONS INTERMÉDIAIRES À L’INTENTION DES PARLEMENTAIRES DES ÉTATS MEMBRES DE L’OTAN ....................................................................................................... 16 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 18
066 DSC 18 F I. INTRODUCTION 1. L’aggravation de la violence suscitée en Afghanistan par la nouvelle montée en puissance des talibans et d’autres forces d’insurrection a ramené ce pays à l’avant-plan de la scène internationale. Les gains tactiques et stratégiques engrangés par les talibans de même que la corruption institutionnelle persistante poursuivent leur effet d’attrition sur les forces de défense et de sécurité nationale afghanes (ANDSF) et viennent modifier l’équilibre des forces sur le terrain. Alors que la situation du gouvernement afghan et de ses forces se détériore, les membres de l’OTAN et leurs partenaires internationaux intensifient leurs efforts. 2. Durant la réunion des chefs d’État et de gouvernement de l’OTAN tenue à Bruxelles le 25 mai 2017, les Alliés ont décidé non seulement de maintenir le soutien qu’ils apportent à la mission Resolute Support (RSM) menée par l’OTAN en Afghanistan, mais également de revoir à la hausse leurs contributions financières et en effectifs. Au cours des années qui viennent, les Alliés auront un rôle décisif à jouer dans le redressement d’une situation sécuritaire de plus en plus précaire sur le terrain. 3. En août 2017, l’administration Trump a fait savoir que l’action des États-Unis à l’appui des ANDSF et la mission de lutte antiterroriste menée parallèlement par Washington dans le pays seraient guidées par « les conditions sur le terrain ». Dans cette perspective, les États-Unis procèdent actuellement à une mini-montée en puissance des forces et des ressources qu’ils consacrent à l’Afghanistan. L’administration Trump a clairement annoncé, par ailleurs, que sa participation en Afghanistan serait dictée par son interprétation du concept de partage des charges dans le cadre de l’Alliance – autrement dit, elle attend de ses Alliés qu’ils en fassent plus pour aider l’OTAN à accomplir sa mission au sens large en Afghanistan, à savoir stabiliser ce pays de sorte qu’il ne soit plus le terreau fertile du terrorisme international. 4. Les nouvelles règles d’engagement permettent aux forces internationales de collaborer plus étroitement avec les ANDSF à l’établissement d’une force de combat plus efficace en théâtre. En outre, il semblerait que les pressions exercées par la communauté internationale incitent aujourd’hui le gouvernement afghan à revoir à la hausse les efforts nécessaires qu’il doit consacrer à l’éradication de la corruption sévissant dans les institutions de sécurité du pays. De son côté, l’administration Trump a assoupli les restrictions auxquelles étaient soumises les forces de combat sur le terrain, avec pour résultat un doublement des frappes aériennes menées en 2017 sous commandement états-unien. 5. Les États-Unis exercent également une pression accrue sur les États de la région pour qu’ils apportent une contribution déterminante à la paix et à la sécurité futures en Afghanistan. C’est notamment le cas pour le Pakistan, qui n’en fait pas assez pour restreindre la liberté d’action des talibans afghans et d’autres groupes terroristes internationaux dans ses zones frontalières avec l’Afghanistan. 6. Ce projet de rapport spécial livre un bilan approfondi de l’évolution de la situation de sécurité en Afghanistan, qui comporte notamment une évaluation de l’état des forces d’insurrection et des ANDSF. Par ailleurs, il revient en détail sur les variables régionales complexes qui pèsent sur la lutte pour l’avenir de l’Afghanistan. En conclusion, il soumet différentes perspectives à l’examen des parlementaires des pays membres de l’OTAN. II. POLITIQUE DE L’ADMINISTRATION TRUMP/DES ÉTATS-UNIS 7. Au terme de plusieurs mois de consultations, le président Donald Trump a annoncé, dans un discours à l’adresse des troupes prononcé à Fort Myer (Arlington, Virginie) le 21 août 2017, le lancement d’une nouvelle « politique envers l’Afghanistan et l’Asie méridionale ». Rompant avec la politique de son prédécesseur qui prévoyait un retrait militaire progressif d’Afghanistan, M. Trump 1
066 DSC 18 F a réaffirmé l’engagement de Washington dans le cadre de la mission de formation, de conseil et d’assistance (TAA) et de ses missions de lutte antiterroriste. La nouvelle stratégie des États-Unis prévoit notamment le déploiement de plusieurs milliers d’hommes supplémentaires, un assouplissement des règles d’engagement appliquées par les forces états-uniennes et une accentuation des pressions exercées sur les pays voisins pour les amener à contribuer à la stabilisation de l’Afghanistan. Écartant par ailleurs le calendrier de retrait avec clause de temporisation (sunset clause) prévu par l’administration Obama, la nouvelle stratégie indique que les retraits militaires futurs seront dorénavant fonction des conditions sur le terrain (Maison Blanche, 2017). À côté de ces vastes réaménagements stratégiques, le président n’a abordé que peu de détails, signalant notamment que les métriques devant présider à l’évaluation des conditions figurant dans la clause de temporisation révisée restent à définir. 8. Si la nouvelle stratégie prévoit un engagement politique moins poussé des États-Unis dans le volet relatif à la gouvernance afghane, elle renforce clairement l’engagement de Washington sur le plan de l’action militaire. Plus précisément, elle se fonde sur l’hypothèse selon laquelle il serait possible d’amener les talibans à négocier un accord politique en les maîtrisant sur le champ de bataille (IISS, 2017). Dans cette perspective, le président Donald Trump, faisant une fois encore le lien avec le débat sur le partage des charges1, a demandé aux pays membres ainsi qu’aux partenaires de l’OTAN engagés en Afghanistan de calquer leur attitude sur celle des États-Unis en revoyant troupes et financement à la hausse. 9. La politique plus vaste de l’administration Trump dans la région affiche elle aussi une évolution assez significative. L’administration exerce aujourd’hui de fortes pressions sur les acteurs déterminants pour la sécurité générale dans la région, qui pourraient peser de manière décisive sur les conditions prévalant sur le champ de bataille afghan. Cette approche régionale élargie est déterminante, en ce qu’elle constitue un des éléments clés à partir desquels seront tracés, à terme, les contours de l’approche de l’administration Trump pour l’Afghanistan. Les défis liés à ces variables régionales sont évoqués plus loin de manière détaillée. III. RAPPORT D’ACTUALISATION SUR LA RSM 10. Les membres et les partenaires de l’OTAN sont convenus, durant le sommet de Varsovie tenu en 2016, de prolonger la mission Resolute Support (RSM) au-delà de 2016, de maintenir le financement des ANDSF jusqu’à la fin 2020 et de renforcer le soutien politique et pratique apporté aux institutions gouvernementales afghanes. Annoncés officiellement dans la déclaration du sommet de Varsovie sur l’Afghanistan, ces engagements ont été réaffirmés lors de la réunion des chefs d’État et de gouvernement de l’OTAN tenue à Bruxelles en mai 2017. 11. Les objectifs de la RSM n’ont pas changé : il s’agit, premièrement, de faire en sorte que l’Afghanistan ne redevienne pas un sanctuaire pour des forces terroristes disposant de moyens d’exporter la violence et l’instabilité, et deuxièmement, de mettre en place des conditions ainsi que de mobiliser un soutien permettant à l’Afghanistan de préserver sa sécurité, sa gouvernance et son développement dans la durée. 12. Pour atteindre ces objectifs, la RSM continuera d’entraîner, de conseiller et d’assister les ANDSF, le ministère de la défense et le ministère de l’intérieur en mettant dorénavant l’accent sur le volet plus tactique de ces tâches (TAA). Les forces de l’OTAN et des partenaires collaboreront étroitement avec une série d’éléments des ANDSF – police, armée de l’air, forces d’opérations spéciales et forces terrestres conventionnelles – au départ de commandements régionaux et fonctionnels implantés à Kaboul, Mazar-e-Sharif, Hérat, Kandahar et Laghman (Resolute Support, 2018a). Afin de pérenniser les excellents résultats obtenus dans le cadre de la formation des forces spéciales afghanes par leurs homologues des États-Unis, la nouvelle 1 Le projet de rapport annuel publié cette année par la DSCTC [065 DSCTC 18 F] est essentiellement consacré au débat sur le partage des charges qui se poursuit aujourd’hui au sein de l’Alliance. 2
066 DSC 18 F politique états-unienne envers l’Afghanistan et l’Asie méridionale prévoit l’envoi de conseillers états-uniens et alliés supplémentaires, et ce jusqu’aux échelons « bataillon » et « brigade » des forces conventionnelles afghanes. Jusque-là, à quelques exceptions près, ces conseillers étaient présents uniquement au niveau du corps d’armée (US Lead IG, 2017). 13. Les forces affectées à la RSM continueront par ailleurs de recourir à certains éléments facilitateurs du combat pour remédier aux insuffisances capacitaires des ANDSF – moyens de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR), systèmes d’artillerie, appui feu aérien et soutien logistique sous la forme notamment de moyens aériens d’évacuation médicale (département de la défense des États-Unis, 2017). On notera également, et c’est là un point important, que la modification des règles d’engagement s’appliquant aux forces états-uniennes dans le cadre de la nouvelle politique envers l’Afghanistan et l’Asie du Sud a eu pour effet de supprimer certaines réserves qui limitaient l’appui feu et le soutien aérien aux opérations rapprochées contre des forces hostiles (Wasserbly, 2017). Ceci a permis aux forces des États-Unis opérant dans le cadre des missions Freedom’s Sentinel (OFS) et Resolute Support d’intensifier leurs opérations aériennes de manière significative. En 2017, par exemple, on a dénombré 1 248 sorties comptant au moins un tir d’arme (contre 615 en 2016). 14. La révision, par l’administration Trump, de la politique envers l’Afghanistan et l’Asie du Sud s’est traduite par un relèvement significatif des niveaux de forces de la RSM. Depuis la publication de la nouvelle stratégie en août dernier, les États-Unis ont déployé 3 000 hommes supplémentaires en Afghanistan, dont 2 400 ont été affectés à la RSM de l’OTAN (SIGAR, 2018). Il est également prévu d’affecter, à partir de février 2018, 1 000 hommes supplémentaires aux brigades d’assistance aux forces de sécurité (SFAB) nouvellement créées. Spécifiquement entraînées pour exercer une fonction de conseil au combat, les SFAB vont entraîner, conseiller et assister les ANDSF conventionnelles au niveau du bataillon (SIGAR, 2018 ; Wellman, 2018). 15. L’appel lancé par le président Donald Trump aux membres et aux partenaires de l’OTAN pour qu’ils emboîtent le pas aux États-Unis a été suivi d’effets. Dans le sillage de la dernière réunion en date des ministres de la défense de l’OTAN, en novembre 2017, le secrétaire général Stoltenberg a annoncé que l’effectif de la mission de l’OTAN en Afghanistan passerait de 13 000 à 16 000 hommes environ. Vingt-sept pays (hors États-Unis) fournissant des troupes à la RSM se sont engagés à revoir leurs contributions à la hausse dans les mois qui viennent (OTAN, 2017). C’est ainsi que le ministre allemand de la défense a annoncé récemment que son pays prévoyait de porter les forces allemandes en Afghanistan de 980 à 1 300 hommes (Sprenger, 2018). Le Monténégro, dernier pays à avoir rejoint l’OTAN, s’est également engagé à augmenter le niveau de ses troupes de 50 % environ (Tomovic, 2018). 16. Si l’on tient compte des renforts d’ores et déjà sur place, la RSM réunit aujourd’hui 15 046 hommes déployés par 39 pays (26 membres de l’OTAN et 13 partenaires d’opérations). Avec 8 475 hommes, les États-Unis restent, de loin, le premier pays fournisseur de troupes. Les troupes états-uniennes, outre leur participation à la RSM dirigée par l’OTAN, mènent également des opérations aériennes et de lutte antiterroriste dans le cadre de l’opération Freedom’s Sentinel dirigée par l’USFOR-A, ce qui porte à 14 000 le nombre total de membres des forces armées états-uniennes actuellement présents en Afghanistan (département de la défense des États-Unis, 2017). Tout en se félicitant de l’arrivée récente de ces renforts sur le terrain, les responsables états-uniens et de l’OTAN ont indiqué que les engagements internationaux n’en étaient toujours pas respectés pour autant, et ont mis en garde contre ces insuffisances en troupes qui pourraient, selon eux, compromettre la réussite de la mission ainsi que la protection effective des forces.2 2 On notera qu’avec l’achèvement du déploiement des SFAB, les troupes des États-Unis sur place devraient dépasser la barre des 15 000 hommes cette année. 3
066 DSC 18 F IV. ANDSF ET FORCES D’INSURRECTION A. LES ANDSF 17. La RSM a débuté en 2015, alors que dans le même temps les forces afghanes prenaient en charge la responsabilité exclusive de la sécurité sur la totalité du territoire afghan. Les ANDSF sont aujourd’hui sur le point d’entamer leur quatrième saison de combats depuis qu’elles se trouvent à la tête de la lutte contre l’insurrection dirigée par les talibans, et les responsables de l’OTAN se montrent optimistes quant à leur évolution. En novembre 2017, le général John W. Nicholson, commandant de la RSM, déclarait que la situation penchait dorénavant en faveur des ANSDF et que l’on était clairement sorti du « blocage », terme qu’il avait utilisé à peine sept mois plus tôt pour décrire la confrontation entre gouvernement et insurgés (Nicholson, 2017a, 2017b). Le général Curtis Scaparrotti, commandant suprême des forces alliées en Europe, a déclaré partager le sentiment du général Nicholson lors d’une visite récente à Kaboul en février 2018, se disant convaincu que « les talibans ne pourraient l’emporter sur le champ de bataille » (Resolute Support, 2018b). 18. Début 2017, le président afghan Ashraf Ghani entamait la mise en œuvre de ce qu’il est convenu d’appeler la « feuille de route pour les ANDSF », à savoir la stratégie devant permettre de réformer ces dernières sur une période de quatre ans. Ce plan vise 1) à renforcer les capacités de combat, en particulier celles des forces aériennes et d’opérations spéciales ; 2) à améliorer les capacités de commandement ; 3) à renforcer l’unité d’effort et de commandement entre les ministères de la défense et de l’intérieur, et 4) à combattre la corruption au sein de toutes les forces de sécurité afghanes. Ces mesures ont pour objectif de ramener 80 % de la population sous le contrôle du gouvernement, et d’obliger les talibans à s’asseoir à la table des négociations d’ici à 2020. 19. S’il est encore trop tôt pour évaluer l’efficacité de la « feuille de route » du président Ashraf Ghani, plusieurs avancées se sont lentement mises en place au cours de l’année écoulée. Tout d’abord, différentes mesures ont été prises en vue d’augmenter les effectifs et de renforcer les capacités des forces aériennes et d’opérations spéciales. Le commandement opérations spéciales de l’armée de terre afghane (ANASOC) a renforcé ses installations d’entraînement, permettant ainsi de former quatre, et non plus deux, compagnies de forces de sécurité spéciales afghanes (ASSF) par an. Dans le même temps, l’armée de l’air afghane (AAF) a reçu huit premiers hélicoptères des 159 UH-60 Black Hawk destinés à remplacer les 47 Mi-17 vieillissants qui composent sa flotte actuelle (Hecker, 2018). Deuxièmement, en termes d’amélioration du leadership, le ministère de l’intérieur a remplacé 13 de ses hauts responsables, dont le ministre lui-même (département de la défense des États-Unis, 2017). Les représentants de la RSM se sont félicités de la nomination de Wais Ahmad Barmak au poste de nouveau ministre de l’intérieur (US Lead IG, 2017). Au ministère de la défense, cinq des six commandants de corps de l’armée nationale afghane (ANA) ont été démis de leurs fonctions et remplacés par des officiers plus jeunes, dont trois possèdent une expérience dans le domaine des opérations spéciales. De plus, un processus d’évaluation normalisé et global a commencé à s’appliquer à tous les commandants de l’ANA. Troisièmement, la police afghane des frontières (ABP) porte désormais le nom de forces afghanes de sécurité frontalière (ABF) et est passée de la tutelle du ministère de l’intérieur à celle du ministère de la défense. Il devrait en être de même pour la police d’ordre civil afghane (ANCOP) dans le courant de l’année, ce qui signifie que toutes les forces de sécurité offensives vont se retrouver à terme sous le contrôle du ministère de la défense (département de la défense des États-Unis, 2017). 20. Les ANDSF restent en-deçà de leurs effectifs autorisés, soit 195 000 hommes pour l’ANA et 157 000 hommes pour la police nationale afghane (ANP) (soit un total de 352 000 hommes). Bien que l’effectif total des ANDSF soit resté relativement stable au cours de l’année écoulée, tant l’ANA que l’ANP sont confrontées à un haut niveau d’attrition. Les désertions représentent 70 % environ de l’ensemble des pertes d’effectifs, la cause plus fréquemment invoquée pour ce 4
066 DSC 18 F phénomène étant le commandement défaillant (département de la défense des États-Unis, 2017). Au-delà des chiffres, on constate également que le taux de rotation élevé (de 25 à 30 % par an) empêche les ANDSF de disposer de forces plus expérimentées. Sur recommandation de la RSM, l’ANA a mis en place un système de prime à l’intention des effectifs demeurant au sein des forces jusqu’au terme de leur période d’enrôlement (US Lead IG, 2017). Il est cependant trop tôt pour juger de l’efficacité de cette mesure. À côté des ANDSF financées sur une base multilatérale, il faut également compter avec la police locale afghane (ALP) placée sous l’autorité du ministère de l’intérieur et qui, forte de 30 000 hommes, reçoit le soutien des États-Unis (département de la défense des États-Unis, 2017). 21. Le gouvernement afghan et l’USFOR-A envisagent aujourd’hui de mettre sur pied une nouvelle force, la force territoriale de l’armée nationale afghane (ANATF), qui relèverait du ministère de la défense. Forte de 7 500 officiers de l’ANA et d’un effectif de 28 500 hommes recrutés au niveau local, elle aurait pour objectif d’empêcher les insurgés de reprendre du terrain dans les zones sous contrôle gouvernemental. Des programmes pilotes devraient débuter cette année dans différentes provinces. Si le modèle de l’ANATF s’avère efficace, il permettra à l’ANA, à court terme, de libérer des ressources pour des opérations offensives ; et à long terme, d’évoluer sur le modèle d’une force plus réduite et financièrement plus abordable (département de la défense des États-Unis, 2017). Certains observateurs craignent que cette proposition ne revienne purement et simplement qu’à former et qu’à équiper des milices privées qui œuvreraient essentiellement à la réalisation de leurs propres objectifs. Bien que ces milices de l’ANATF seraient placées sous la tutelle du ministère de la défense, de telles inquiétudes ne sont pas dénuées de fondement. Certains projets antérieurs qui faisaient eux aussi appel à des forces recrutées au niveau local – on pense tout particulièrement à l’ALP – ont enregistré des résultats mitigés, assurant la sécurité dans certaines régions mais se rendant coupables, ailleurs, de violations des droits humains à l’encontre des populations locales (US Lead IG, 2018). 22. Essentiellement imputables à des tirs et à des attentats au moyen d’engins explosifs improvisés (IED) et dans une moindre mesure à l’explosion de mines, les pertes enregistrées par les ANDSF n’ont pas vraiment évolué par rapport à l’année précédente (département de la défense des États-Unis, 2017). Les attaques de l’intérieur commises au sein des ANDSF (« vert sur vert ») et sur les forces de la RSM (« vert sur bleu ») ont certes diminué mais restent préoccupantes car elles nuisent au moral des troupes et alimentent la méfiance entre forces afghanes et internationales. Afin de parer à ce danger, le ministère de la défense a adopté en septembre 2017 une nouvelle politique visant à améliorer les procédures de protection des effectifs des ANDSF et de la RSM, notamment par un renforcement des mécanismes de sélection des effectifs. Une politique similaire devrait également être introduite pour le ministère de l’intérieur. Afin de soutenir l’action des deux ministères dans ce domaine, la RSM a créé un poste de conseiller pour la menace intérieure (ITA) (SIGAR, 2018). B. LES TALIBANS 23. Incapables d’atteindre l’objectif opérationnel fixé pour l’année 2017, à savoir s’emparer d’une capitale de province, les forces talibanes ont commencé, au cours de l’année, à rediriger leurs efforts sur les districts. C’est ainsi qu’elles ont été en mesure, en recourant à des techniques d’infiltration plutôt qu’à des attaques frontales, de prendre provisoirement le contrôle de certains centres de population. Mais les ANDSF avec, dans la plupart des cas, un soutien aérien des forces internationales, ont fait preuve d’efficacité et ont repris assez rapidement ces territoires perdus (IHS Jane’s, 2017 ; département de la défense des États-Unis, 2017). Repoussés en dehors de la plupart des centres urbains, les talibans ont par contre réussi à étendre légèrement leur emprise sur les zones rurales, où le gouvernement n’assure pas une représentation efficace. Selon les estimations les plus récentes de la RSM fondées sur des données d’octobre 2017, les talibans tiennent 14 % environ des 407 districts que compte le pays, contre 56 % pour le gouvernement (Burns et Baldor, 2018), les 30 % restants étant disputés. En termes de contrôle des populations, la RSM évalue l’emprise des insurgés à 10 % environ et celle du gouvernement à plus ou moins 5
066 DSC 18 F 60 %, la situation des 30 % restant n’étant pas établie (département de la défense des États-Unis, 2017). 24. Comme ils ne parviennent pas à s’emparer de centres urbains, même au niveau des districts, les talibans ont de plus en plus recours à des opérations de type guérilla contre les bases, les points de contrôle et les convois des ANDSF partout dans le pays, et mènent à Kaboul et dans d’autres grandes villes des attaques massives visant les populations civiles. Entre le 17 et le 19 octobre 2017, ils ont commis, dans les provinces de Paktia, Ghazni et Kandahar, une série d’attentats qui ont fait plus d’une centaine de morts, principalement des membres des forces armées et de police (ICG, 2017b). Ces incidents montrent que les talibans s’intéressent de plus en plus aux installations des ANDSF, et ce dans le but de dérober du matériel militaire et de saper le moral des forces afghanes (ONU, 2017). Plus récemment, en janvier 2018, les talibans ont revendiqué deux attaques spectaculaires à Kaboul. Le 21 janvier, un raid contre l’hôtel Intercontinental a fait 22 morts, principalement des étrangers. Une semaine plus tard, une bombe dissimulée dans une ambulance explosait dans une des zones les plus protégées de la capitale, à proximité de bâtiments gouvernementaux et d’ambassade, faisant plus de 100 morts (ICG, 2018). 25. L’intégration entre les talibans et le réseau Haqqani s’est poursuivie, à tel point que pour certains observateurs, il n’y a plus lieu de considérer ces deux groupes comme des entités distinctes (département de la défense des États-Unis, 2017). Les différends internes entre Haibatullah Akhundzada et Sirajuddin Haqqani, respectivement chefs des talibans et du réseau Haqqani, auraient été aplanis avec l’aide d’une médiation pakistanaise. Cette fracture a toutefois permis à Sirajuddin Haqqani de gagner en influence au sein de la choura de Quetta, le conseil de direction des talibans (IHS Jane’s, 2017). Cette évolution est jugée inquiétante par les observateurs, car le réseau Haqqani s’est montré traditionnellement moins soucieux de limiter les pertes civiles (département de la défense des États-Unis, 2017). C. DAECH EN AFGHANISTAN – EIIL-K 26. Les opérations de lutte antiterroriste, l’action des ANDSF et les combats contre les talibans ont eu pour effet de réduire l’emprise de l’EIIL-K (État islamique en Iraq et au Levant-Khorasan) en territoire afghan (département de la défense des États-Unis, 2017). Les positions occupées par le groupe dans le sud de la province de Nangarhar ont particulièrement souffert de la campagne intensive de frappes aériennes menée par les États-Unis. À la fin de l’année 2017, l’EIIL-K n’occupait plus que trois districts de cette province, contre 9 fin 2015. Certains éléments du groupe semblent toutefois s’être réimplantés dans d’autres parties du pays, plus particulièrement dans les provinces de Kunar et de Jowzjan (US Lead IG, 2018 ; Nicholson 2017). 27. Malgré ces pertes territoriales, le groupe s’est montré résilient et a toujours les moyens de mener des attaques de grande envergure. Cherchant à attiser les conflits confessionnels, l’EIIL-K s’en est pris en priorité à la communauté chiite d’Afghanistan. C’est ainsi qu’il a revendiqué tout récemment l’attentat-suicide du 28 décembre 2017 contre un centre culturel chiite de Kaboul qui a fait au moins 41 morts et 84 blessés (SIGAR, 2018). Le groupe est également responsable, en partie, de la recrudescence des attaques contre des cibles civiles et militaires à Kaboul en janvier 2018. Il a notamment revendiqué l’attentat du 24 janvier contre le bureau de Save the Children à Kaboul, où trois personnes au moins ont trouvé la mort, ainsi que le raid contre une académie militaire survenu le 29 janvier, qui a tué 11 membres des ANDSF (ICG, 2018). 28. Les opérations de l’USFOR-A et des ANDSF ainsi que les désertions ont pesé sur les effectifs combattants de l’EIIL-K. Le groupe tente de compenser ses lourdes pertes en recrutant les membres déçus d’autres groupes d’insurgés présents dans la région, principalement des anciens talibans et des membres de Tehrik-e-Taliban Pakistan (département de la défense des États-Unis, 2017). Les pressions croissantes exercées sur les combattants de Daech en Syrie et en Iraq n’ont toutefois pas entraîné, à ce jour, un gonflement des effectifs de la branche afghane de l’organisation (Nicholson, 2017). D’après les évaluations de la RSM pour décembre 2017, 6
066 DSC 18 F l’EIIL-K peut compter, sur l’ensemble du territoire afghan, sur un millier de personnes environ (Bunch, 2017). 29. L’EIIL-K continue d’éprouver des difficultés à se financer et à rallier le soutien des populations locales. Son idéologie ne fait pas beaucoup d’émules dans la population civile et ses tentatives de lever des fonds en usant de moyens illégaux le placent en concurrence – et le mettent en conflit – avec les talibans et d’autres groupes d’insurgés (département de la défense des États-Unis, 2017). D. AUTRES GROUPES D’INSURGÉS 30. Une des priorités des opérations de lutte antiterroriste menées en Afghanistan par les États-Unis reste l’endiguement de la menace représentée par al-Qaida. Le groupe maintient une présence limitée mais robuste dans l’est, le nord-est et, dans une moindre mesure, dans le sud-est de l’Afghanistan. De plus, al-Qaida dans l’océan Indien, groupe affilié dans cette région, est parvenu à s’implanter dans le sud et le sud-est du pays ainsi qu’au Pakistan. Aujourd’hui, al-Qaida a plus ou moins renoncé à se montrer offensif et consacre tous ses efforts à assurer sa propre survie et à parrainer des groupes armés locaux (Giustozzi, 2018 ; département de la défense des États-Unis, 2017). D’autres organisations extrémistes violentes, principalement les talibans, continuent d’apporter un refuge et un soutien aux membres d’al-Qaida en leur offrant des sanctuaires, tactique qui, de l’avis de l’USFOR-A, constitue « probablement l’obstacle le plus important sur la voie de l’éradication du mouvement en Afghanistan » (US Lead IG, 2018). On ne dispose toutefois d’aucune information donnant à penser que les deux groupes coordonnent leur action au niveau stratégique (département de la défense des États-Unis, 2017). V. POINT SUR L’ENVIRONNEMENT DE SÉCURITÉ DES CIVILS 31. Dans l’ensemble, la situation sécuritaire des citoyens afghans reste précaire. D’après la mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA), le conflit a fait 10 453 victimes civiles en 2017, soit 3 438 morts et 7 015 blessés. Malgré ce bilan global élevé, le décompte annuel des victimes a enregistré sa première baisse depuis 2012 (MANUA, 2018). À côté de ce nombre toujours élevé de victimes, le conflit a également entraîné le déplacement de plus de 445 000 civils en 2017 (UNOCHA, 2018). 32. D’après le dernier rapport de la MANUA, le nombre de victimes d’engins explosifs improvisés combinés a dépassé en 2017 celui des personnes tuées ou blessées dans le cadre d’engagements terrestres. La mission se dit préoccupée par la recrudescence des attentats à caractère confessionnel dirigés contre des lieux de culte et des personnalités religieuses, et en particulier par le recentrage croissant des attentats de l’EIIL-K sur la communauté chiite afghane. 33. D’après la MANUA, les forces antigouvernementales sont responsables de près de deux tiers de la totalité des victimes du conflit en 2017, contre un cinquième pour les forces progouvernementales. Les autres pertes sont à mettre au compte d’échanges de tirs non identifiés au cours de combats terrestres, de débris de guerre explosifs et de tirs de roquettes en provenance du Pakistan. 34. De nombreuses voix se sont élevées pour commenter les conséquences, en termes humains, de l’intensification des frappes aériennes menées par les forces internationales et afghanes. De fait, selon les chiffres produits par la MANUA, le bilan des victimes pour 2017 a été le plus élevé jamais enregistré d’une année sur l’autre depuis 2009, date à laquelle on a commencé à établir des statistiques. La MANUA indique cependant qu’une fois ces chiffres mis en perspective, l’augmentation du nombre de morts et de blessés reste relativement peu élevée par rapport à la multiplication significative des opérations aériennes au cours de l’année écoulée, et conclut à une réduction globale du coefficient de risque. Évoquant ce sujet, le général de division 7
066 DSC 18 F aérienne James B. Hecker, qui dirige le commandement aérien de l’OTAN en Afghanistan, a déclaré que l’entraînement des pilotes afghans dispensé par la RSM n’avait pas seulement pour objectif de développer les compétences techniques de ces derniers, mais aussi de leur impartir « une mentalité les encourageant autant que possible à épargner les civils » (Hecker, 2018). VI. GOUVERNANCE A. ÉLECTIONS ET RÉFORME ÉLECTORALE 35. À côté des enjeux directement liés à la sécurité et à la réforme du secteur sécuritaire, l’État afghan se trouve confronté à la montée des défis politiques. S’exprimant sur le sujet, le général James W. Nicholson a rappelé combien il était important d’organiser, dans un délai raisonnable, des scrutins crédibles qui permettraient de renforcer la légitimité du gouvernement et d’accentuer la pression sociale sur les talibans (Nicholson, 2017b). Lancée en prévision du scrutin législatif et des élections au niveau des conseils de districts programmés pour juillet 2018 et en vue de l’élection présidentielle d’avril 2019, le processus de mise en œuvre de la réforme électorale progresse plutôt lentement. Des problèmes politiques et techniques liés notamment à la difficulté de constituer les listes électorales ainsi que des préoccupations d’ordre sécuritaire et des litiges à caractère politique ralentissent les préparatifs en vue des élections. 36. La nouvelle loi électorale votée en novembre 2016 devait instituer un découpage électoral destiné à combattre la fraude la plus répandue observée lors du scrutin présidentiel de 2014, à savoir le bourrage d’urnes, (SIGAR, 2018). Plusieurs projets ambitieux visant à introduire un système d’inscription et de vérification basé sur des données biométriques ont été écartés en raison de la longueur des délais nécessaires à l’acquisition des équipements voulus. La nouvelle option choisie consisterait à demander aux citoyens de présenter directement leur tazkira (la carte d’identité nationale afghane) dans un bureau de vote afin de se voir délivrer une carte d’inscription électorale sous la forme d’un document papier (SIGAR, 2018 ; Yawar Adili, 2017b). Il faut toutefois savoir que 10 millions d’Afghans environ – principalement des femmes, d’anciens réfugiés rentrés au pays et des individus déplacés à l’intérieur du pays – ne possèdent pas de documents permettant de les identifier (Darnolf, 2018 ; NRC, 2018). D’après différents observateurs, l’autorité centrale afghane responsable des questions d’état civil (ACCRA), qui est censée émettre ces documents officiels, ne dispose pas des moyens institutionnels et de fonds suffisants pour délivrer à tous les électeurs éligibles les tazkiras devant leur permettre de s’inscrire en temps voulu sur les listes électorales (Darnolf, 2018). 37. L’adoption de la nouvelle loi électorale a coïncidé, en novembre 2016, avec la nomination par le gouvernement des nouveaux membres de la commission électorale indépendante (IEC) et de la commission des plaintes électorales (ECC). L’IEC et l’ECC, dorénavant les deux principales entités chargées de l’administration et de la supervision des élections, sont depuis quelque temps en butte aux critiques des partis politiques et des institutions de la société civile. Les principaux reproches qui leur sont adressés concernent leur immobilisme, leurs divisions internes et le manque de compétences de leur direction (Nations unies, 2017). Le 15 novembre 2017, le président Ashraf Ghani limogeait Najibullah Ahmadzaï, président de l’IEC, accusé d’incompétence par cinq des sept membres de la commission. Cette décision est intervenue après que plusieurs groupes de l’opposition, appuyés par des manifestations, eurent exigé la démission de tous les commissaires. Le poste de président de la commission restant vacant à ce jour et les préparatifs en vue des élections tournant de plus en plus à l’affrontement ouvert entre factions politiques opposées, les observateurs mettent sérieusement en doute la capacité de l’IEC à gérer correctement le processus électoral (Yawar Adili, 2017a). 38. La sécurité des électeurs reste également une question préoccupante. En 2017-2018, l’IEC a pour la première fois établi une cartographie des bureaux de vote dans tout le pays, de manière à évaluer leur accessibilité pour les électeurs (Nations unies, 2017). D’après la commission, 8
066 DSC 18 F 1 707 bureaux de vote sur les 7 300 répartis dans les 32 districts que compte le pays sont particulièrement vulnérables en termes de sécurité (Shaheed, 2018a). Parallèlement, le département de la défense des États-Unis a fait savoir que les États-Unis et les membres de l’OTAN ne prévoient pas d’affecter des forces significatives au maintien de la sécurité dans le cadre des élections (département de la défense des États-Unis, 2017). 39. La lenteur des préparatifs en vue des élections – le scrutin législatif avait, dans un premier temps, été programmé pour 2015 – fragilise la légitimité des instances parlementaires afghanes et entraîne des troubles internes. Certaines personnalités de l’opposition, notamment l’ancien président Hamid Karzaï, ont suggéré à plusieurs reprises la convocation d’une loya jirga, assemblée traditionnelle composée d’anciens, en guise de piste politique alternative. La majorité des politiciens ont rejeté cette proposition, mais celle-ci commence à gagner du terrain au fur et à mesure que la perspective d’élections à court terme s’éloigne (Nations unies, 2017). L’IEC a déjà fait savoir que le processus allait une fois encore être repoussé de trois mois (Shaheed, 2018b). B. EFFORTS DESTINÉS À ENDIGUER LA CORRUPTION 40. Parmi les principaux défis auxquels se trouve confronté l’Afghanistan, il y a la corruption, phénomène solidement implanté à tous les niveaux du secteur public, qui menace de saper l’efficacité et la légitimité du gouvernement afghan et de ses institutions de sécurité. Bien que le gouvernement d’unité nationale ait fait de la lutte contre la corruption une de ses priorités depuis son entrée en fonctions en 2014, les progrès réalisés dans ce domaine sont restés limités. L’Afghanistan stagne toujours au bas du classement, arrivant en 177e position sur les 180 pays référencés dans l’indice Transparency International de perception de la corruption (Transparency International, 2018). De plus, 83,7 % des personnes interrogées dans le cadre du dernier sondage réalisé auprès de la population afghane par l’organisation Asia Foundation considèrent que la corruption représente un grave problème à l’échelle du pays tout entier (The Asia Foundation, 2017). 41. Lors de la conférence sur l’Afghanistan tenue à Bruxelles en 2016, le gouvernement d’unité nationale s’était engagé à établir une stratégie globale de lutte contre la corruption qui s’étendrait à tous les secteurs du gouvernement. Près d’un an plus tard, le 28 septembre 2017, la « stratégie nationale de lutte contre la corruption » était adoptée par le conseil supérieur sur l’État de droit et la lutte anticorruption. Mais alors que le projet de loi contre la corruption prévoyait la mise sur pied d’une commission indépendante, la stratégie nationale place la lutte anticorruption sous l’autorité du Bureau du procureur général (SIGAR, 2018). Étant donné l’absence d’accord sur l’autorité de supervision, la loi anticorruption se trouve aujourd’hui dans l’impasse. 42. La mission RSM prévoit des activités spécifiques destinées à infléchir la corruption dans le secteur de la sécurité en Afghanistan. C’est ainsi qu’elle a créé un groupe consultatif pour la lutte anticorruption (CCAG) chargé d’aider les ministères de l’intérieur et de la défense à détecter les réseaux de corruption actifs en leur sein et à lutter contre ces derniers. Le CCAG a également pour mission de coordonner les activités de lutte anticorruption menées par les institutions sécuritaires afghanes, la RSM elle-même et les partenaires internationaux (département de la défense des États-Unis, 2017). Le commandement mixte de transition en matière de sécurité en Afghanistan (CSTC-A) et le ministère afghan des finances ont par ailleurs signé en août 2017 un mémorandum d’accord autorisant le CSTC-A à contrôler l’exécution de l’assistance aux forces et institutions de sécurité afghanes budgétisée par les États-Unis. Le CSTC-A a également apporté un soutien au projet du ministère des finances pour la mise en place du nouveau « système de recensement et de paie des effectifs afghans ». Ce dispositif, dont la mise en œuvre se poursuit actuellement, fait appel au fichage biométrique pour enregistrer tous les membres des ANDSF afghanes de manière à réduire les paiements au bénéfice de soldats « introuvables » (ou « fantômes ») (Nicholson, 2017b ; SIGAR, 2018). Les conseillers du CSTC-A collaborent aussi avec le centre de justice pénale contre la corruption (ACJC) et son principal organisme d’enquête, la cellule spéciale sur les infractions majeures (MCTF). Établi par le président Ashraf Ghani en 9
066 DSC 18 F 2016, l’ACJC réunit des enquêteurs, des procureurs et des juges appelés à traiter les cas de corruption au niveau élevé, c’est-à-dire ayant entraîné des pertes supérieures à 5 millions d’afghanis (AFN) ou incriminant des hauts fonctionnaires (Resolute Support, 2017 ; SIGAR, 2018). VII. RECENTRAGE SUR LA DIMENSION RÉGIONALE 43. Le rétablissement de la paix et de la stabilité passe bien évidemment par un règlement politique entre le gouvernement d’unité nationale et les talibans. La dimension régionale de cette entreprise est toutefois moins évidente et, de ce fait, souvent négligée dans le débat sur les perspectives de paix pour l’Afghanistan. L’annonce du retrait progressif des troupes de l’OTAN en 2011 a cependant ramené les voisins de l’Afghanistan, restés jusque-là en marge du débat, au centre de l’attention. A. PAKISTAN 44. Le pays voisin le plus déterminant pour le rétablissement de la paix et de la stabilité en Afghanistan est le Pakistan. Le Pakistan est l’un des trois seuls pays qui, avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, reconnaissaient la légitimité du gouvernement taliban entre 1996 et 2001. Bien que Pervez Musharraf, à l’époque président du Pakistan, ait officiellement rompu les liens avec les talibans dans les jours qui suivirent les attentats du 11 septembre, des canaux d’assistance moins visibles sont restés en place. À ce jour, les talibans afghans et le réseau Haqqani affilié à ces derniers continuent de trouver un asile sûr du côté pakistanais de la ligne Durand, où ils trouvent un sanctuaire de premier ordre pour s’abriter des ANDSF et des opérations militaires menées avec le soutien de la coalition, et disposent de l’espace nécessaire à la planification, à l’organisation et au lancement de leurs attaques (département de la défense des États-Unis, 2017). 45. De nombreux éléments attestent du soutien actif fourni par les forces armées pakistanaises – et en particulier par leur service de renseignement, la direction du renseignement interarmées (ISI) – aux talibans présents au Pakistan et en Afghanistan. Le ciblage, puis l’assassinat d’Oussama ben Laden il y a cinq ans ont révélé aux yeux du monde la complicité qui liait les militaires pakistanais et différents groupes armés, ainsi que la liberté dont jouissaient ces derniers dans leur zone d’opération. Plus récemment, en 2016, Mollah Ahktar Mohammad Mansour, à l’époque chef des talibans, était tué par un drone américain au Pakistan, où il se déplaçait sans armes ni escorte (Gall, 2017). Le fait qu’un dirigeant aussi connu d’un groupe terroriste ai pu opérer en toute liberté dans la région donne à penser qu’il bénéficiait du soutien à tout le moins tacite, si pas carrément déclaré, du gouvernement pakistanais. Enfin, les cas d’arrestation ou de disparition, au Pakistan, de chefs talibans afghans favorables à un rapprochement avec le gouvernement de Kaboul ou ses partenaires internationaux sans l’accord explicite du gouvernement pakistanais ne font que souligner encore l’influence décisive que la direction politique et militaire d’Islamabad continue d’exercer sur ces groupes (ICG, 2017a). 46. Le Pakistan, à supposer qu’il se montre prêt à coopérer et à sévir à l’encontre des sanctuaires talibans, doit toutefois composer avec le souhait de ses dirigeants politiques et militaires de maintenir dans la région des groupes armés à même d’endiguer par procuration l’influence que pourrait exercer l’Inde en Afghanistan. 47. Depuis 1947, lorsque l’Inde britannique s’est scindée pour former ce que l’on allait appeler la République du Pakistan et la République de l’Inde, les deux pays se sont affrontés dans le cadre de quatre guerres ouvertes et de 43 conflits de moindre envergure (Mitton, 2014). Au cœur de ce litige qui persiste aujourd’hui se trouve le Cachemire, dont le territoire est revendiqué par les deux protagonistes. Marquées par cette âpre rivalité historique, les forces armées pakistanaises considèrent que l’Afghanistan leur offre une profondeur stratégique critique vis-à-vis de l’Inde. Dans l’esprit des dirigeants pakistanais, exercer une forte influence politique en Afghanistan serait 10
Vous pouvez aussi lire