Trimestriel d'actualité d'art contemporain: oct., nov., déc.. 2016 N 71 3€ - Flux News
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Belgïe-Belgique P.P. bureau de dépôt Liège X 9/2170 Trimestriel d’actualité d’art contemporain : oct., nov., déc.. 2016 • N°71• 3€ Alain Janssens, La Gaudaine 160710, Impression jet d’encre pigmentaire.
S o m m a i r e E d i t o Il sera beaucoup question de passages et de mi- de restituer la chair de la peinture, nous ne grations dans ce 71e numéro. La récente Biennale parlons donc plus d’un poster, d’une simple 2 Édito. 18 11e edition de Manifesta à Zurich, un texte Internationale de Photo de Liège qui s’est muée, copie, mais d’un deuxième original. Il suffit de se de Colette Dubois, Hommage à Patricia Kaiser pour la bonne cause, en Biennale de l’image pos- rendre sur place pour réaliser que la magie opère: 5 Pierre Ardouvin expose chez Yoko Uhoda, par Messieurs Delmotte sible entre de plein pied dans ce débat. En intro- il y a plus de sacralité dans la réplique que du interview de l’artiste par Lino Polegato. Vincent duisant l’idée d’image possible ne formulons coté de la relique. Peut-on pourtant, comme le fait Barré au Musée Matisse, un texte de Michel Voi- 19 Interview de Mary Sherman par Yannick nous pas l’idée d’une image impossible qu’il Bruno Latour, parler de vol de l’aura? Il est vrai turier Franck. serait bon de ne pas montrer? Un long débat qu’il que tout joue dans ce sens: la réinstallation de la 6 Iselp, Institut de l’entre deux”, un texte de serait difficile d’entamer tant dans ce domaine les copie dans son lieu de fabrication, le réfectoire Catherine Callico. 21 Expo Facing the Future au Bozar, un texte de paradoxes en art sont légions. Ma dernière visite des moines dessiné par Palladio, le cheminement Luk Lambrecht. dans le département d’art Ancien au nouveau par paliers pour accéder à la pièce centrale, la Expo Tandem au Centre de la Gravure, un texte musée de la Boverie m’a conforté dans ce que je lumière naturelle de la lagune baignant la salle, de Michel Voiturier. 23 Exposition Lucien Kroll au Bozar, un texte de craignais: quand l’oeuvre n’est plus montrée dans entrant en osmose avec le sujet de la toile elle 7 Expo d’Alain Janssens chez Flux, un texte de Charlotte Lheureux. Intervention de Djos Jans- des conditions optimales de visibilité pour le re- même. Mais aussi la hauteur idéale de présenta- Sylvie Bacquelaine sens à l’Hopital de Beveren, un texte de Jeremie gardeur elle perd automatiquement son pouvoir tion s’intégrant parfaitement dans l’architecture et Demasy auratique et devient une image. Aujourd’hui, offrant au regard la possibilité de camper immé- 8 Exposition de Francesca Woodman et sortie du cette spécificité est devenue un problème interna- diatement, en un seul regard, la totalité de la livre “Devenir un ange”, un texte de Véronique 24/25 Energy Flash, exposition de groupe au tional. Tous les musées du monde, par souci d’ef- scène. Une série de facteurs, et j’en oublie, qui Bergen. Muhka, un texte de Yoann Van Parys. ficacité, souffrent de ces engorgements d’espaces concourent à donner raison à Latour quand il 10 Recensement de l’expo de Sigmar Polke au de présentation qui renvoient l’oeuvre d’art au parle de migration de l’aura. 26 Juan D’Outremont au Musée d’Ixelles, un Palazzo Grassi à Venise, un texte de Louis Anne- statut d’image. L’idée d’un déclin, de la désagrégation de l’aura, texte de Joke Lootens. Expo BPS22, un texte de court. Il y a bien sûr des exceptions... L’une d’entre elle à l’heure de sa reproduction technique, théorisée Kariine Janssen. a été vécue à Venise cet été. Un court séjour qui par Walter Benjamin, va t elle définitivement 11 Expo d’Helena Almeida au Wiels, un texte de 29 Expo de René Guiffrey au Centre d’art de m’a permis de voir une magnifique exposition, au être rangée au placard de l’histoire? Devons nous Judith Kazmierczak et de Sandra Ancelot. Camprédon, un texte de Michel Voiturier. Expo Palazzo Grassi, l’anti show room par excellence. nous réjouir qu’en lieu et place d’une possibible 12 Expo de Thierry Grootaers et Laurent Impe- J’étais à la recherche de la sirène de Sigmar Polke disparition de l’aura vienne se greffer, à travers ce “Irisations” à la Fondation Vasarely, un texte de gentiment conseillée par Louis Annecourt, qui passage possible une nouvelle renaissance? Le duglia à la Galerie Nadine Feront, Michel Voiturier. consacre une page à cette expo dans ce journal. miracle de Cana qui symbolise le premier miracle Expo de Valentin Dommanget au Triangle Bleu, 30 Expo Paul McCarthy chez Xavier Hufkens, un Et puis surtout l’éblouissement, partagé avec du Christ, la transformation de l’eau en vin, un texte de Lino Polegato texte de Annabelle Dupret. Judith, ma compagne : la visite de la copie d’un trouve-t-il sa consécration à Venise? Peut on Robert Varlez à la Maison de la Culture de St Véronèse, Les Noces de Cana au réfectoire du parler pour autant de vol de l’aura? A mes yeux 13 Biennale de L’Image Possible à Liège, recen- Gilles, un texte d’Annabelle Dupret. couvent palladien de San Giorgio Maggiore. l’aura qualitative sera toujours présente dans sement de Celine Eloy J’avais pu contempler l’original du tableau, pré- l’original du Louvre, quoi qu’il arrive. Je parlerai 14 Expo Edith Dekyndt au Drapier, Liège, un 31 Recensement du film d’Abbas Fadhel, senté au Louvre en face de la Joconde, il y a de plutôt, pour la réplique originale de Venise, texte de Ludovic Demarche. Luzia Simons, Out “Homeland” et de l’expo de Bilal Bahir sur la cela quelques années. Bruno Latour, scientifique d’aura quantitative. Un supplément d’âme aura- Of the Blues, un texte de Romain Masquelier guerre en Irak, un texte de Catherine Angelini. français de renom, a donc réussi à convaincre le tique permis par la réplique, qui serait la résul- directeur de la Fondation Cini de tenter l’opéra- tante d’une mise en conformité avec un lieu, une 16 Expo de Guy Mees à Bruxelles, un texte de 32 “Un temps sans Age”, la 14e chronique d’Aldo tion du double parfait, grâce à un artiste génial, lumière, un silence,... C’est une réjouissance de Colette Dubois Guillaume Turin. Adam Lowe. Une vidéo d’une conférence de se retrouver devant un faux plus vrais que le Bruno Latour sur le sujet postée sur you tube vrais, en résonnance avec la vraie vie. Je vous 17 Expo de Ferrée/Hennig à l’Ikob, un texte de 33 page d’artiste du collectif Martiensgohomme m’avait mis l’eau à la bouche, Latour parlait litté- convie à vivre cette expérience par vous même. A Romain Masquelier, Interview de Frank-Thorsten ralement du vol de l’aura. Une migration vers Venise, Véronèse reçoit sur rendez vous unique- Moll par Lino Polegato 35 La Flandre et la Wallonie, deux mondes bien Venise justifiée par le fait de la réussite totale de ment. l’opération. Le scannage 3D permet aujourd’hui distincts, un texte de Joke Lootens
GUY MEES S E P T E M B E R 9 - O C TO B E R 2 2 / 2 0 1 6 GALERIE GALERIE MICHELINE SZWAJCER MICHELINE RUE DE LA REGENCE - REGENTSCHAPSSTRAAT 67 1000 BRUSSELS BELGIUM SZWAJCER Tuesday to Friday: 10:00 - 18:30 Saturday: 12:00 - 18:30 Closed on Sunday and Monday T: +32 (0)2 540 28 57
Page 5 Pierre Ardouvin à la galerie Yoko Uhoda Partout le danger nous menace mais ce n’est pas une raison de s’arrêter de ramer. Pierre Ardouvin commence son parcours artis- balisaient les murs de leurs ombres éléments, des objets, des meubles. À tique dans les années 90 en autodidacte. Il se portées, hommage détourné à une partir de ces éléments je crée des pièces distingue par une approche post-appropria- culture populaire qu’il revisite réguliè- nouvelles, très liées aux rêves. Je me tionniste. Ce qu’il aime avant tout c’est créer rement. Ses installations, par leur carac- raconte des histoires. Je parle d’un quo- des histoires en jouant sur les associations ab- tère habité et animé sont proches de tidien complètement réinvesti par une surdes qui fonctionnent comme des révélateurs l’esprit d’un Boltansky. Pour lui, cela sorte de fiction. J’aime réanimer des d’affects liés à l’enfance. L’artiste recycle et semble clair, nous sommes tous présences enfouies, apporter une pré- réassemble des objets familiers, tels que aujourd’hui contaminés par cette am- sence fantomatique. Certaines pièces meubles, jouets, images, cartes postales, afin biance morose désenchantée. L’art est traitent de ça et puis il y en a d’autres ou de recréer des ensembles qui fonctionnent le médoc par excellence, il doit nous l’on sent la rêverie, une pensée flottante. comme des récits ou le fantastique et le réel aider à désengorger ce trop plein de À partir de mobilier lié à l’enfance, s’entrecroisent. La métamorphose du quoti- spleen négatif. Une thérapie audacieuse comme un cheval à bascule qui sera dé- dien est au centre de sa démarche créative. qui nous propulse avec distance et tourné. humour dans des mondes parallèles où Pour l’expo chez Yoko Uhoda, l’artiste a choisi les codes de lecture interroge notre L.P. : Détourné dans quel sens ? de créer de nouvelles pièces s’inscrivant dans son société du spectacle, devenue de plus en P.A. : C’est à dire qu’il sera animé, la registre particulier lié à la réappropriation plus dévorante. tête du cheval porte un masque. Ce dé- d’objets familiers, meubles, jouets, qu’il trouve et tournement on le retrouve aussi avec des récolte entre autre dans les brocantes. Sous l’effet L’entretien qui suit nous aide à œuvres que j’appelle des « Écrans de d’assemblages aux allures parfois incohérentes mieux comprendre la nature de sa veille », des tableaux qui sont faits à ses installations dégagent souvent un climat au démarche créative. partir d’images. Au départ ce sont des caractère intrigant et poétique. cartes postales que j’assemble et re- Pierre Ardouvin nous invite à sortir du cadre L.P.: Quel sens pouvons nous donner touche à la peinture pour former une régulé un court instant. Ses petits théâtres ab- à votre travail ? autre image, une image hybride qui est surdes qui frisent parfois le ridicule fonctionnent Pierre Ardouvin : Le travail que je fais imprimée sur toile. La surface est comme des récits qui sont là pour nous question- est un questionnement sur l’histoire de ensuite travaillée avec des résines, c’est ner sur l’état d’un monde en déliquescence. Il la mémoire, non seulement personnelle une métamorphose. Ma pratique est liée Inclusions, cartes postales, papillons , resine nous propose de faire une halte et de nous laisser mais aussi commune. à l’assemblage, au collage et à l'installa- bercer par ses mondes décalés. Des mondes fic- A travers des éléments du quotidien : tion . tionnels peuplés d’affects et de « pensées flot- objets et images que l’on identifie directement et P.A. : Oui c’est comme ça que je vois les choses. tantes » comme il aime les nommer. Il apprécie que je détourne, que je recontextualise différem- Au départ, je suis attiré par certaines choses mais Galerie Yoko Uhoda, les mobiles et renverser le décor, à l’instar de ce ment. Il y a une notion de jeu et d’humour, j’aime être surpris aussi par des rapprochements Pierre Ardouvin, du 11/11 au 11/12/2016. qu’il a présenté dernièrement dans une expo à parfois de mélancolie. de réalités plus ou moins éloignées. succès au MAC/Val (Musée d’art contemporain Dans l’expo chez Yoko Uhoda, il y aura des du Val-de-Marne). Dans la pénombre, il faisait L.P. : On a l’impression dans votre démarche pièces nouvelles et des pièces qui ont été peu circuler au plafond des meubles. Comme il le artistique que vous aimez jouer par opposition vues. J’ai pris comme concept d’exposition de précise dans son entretien : « Des meubles bien des contraires. Vous confrontez souvent l’inno- travailler sur la galerie qui est aussi une maison. réels, pas des meubles Ikea, des meubles chargés cence du monde de l’enfance au désenchante- L’idée, c’est de réanimer ce lieu, cette maison qui d’histoires », Tous ces meubles en mouvement ment de l’adulte ? sera ré-habitée de manière très décalée. Avec des Vincent Barré : histoire de l’art en transversale Au musée Matisse, il y a toujours ‘Nu de dos » dont on voit les états suc- d’acier et de bois. Ainsi le lisse grès de quelque chose qui se passe et qui dé- cessifs entre 1909 et 1930, le passage Sèvres émaillé des ‘Étuis’ s’avère-t-il veloppe un lien avec le maître des progressif d’une anatomie classique très différent de la terre chamotée et de papiers découpés. Les influences dé- jusqu’à des formes quasi géomé- son bourgeonnement hérissé de la celées ou avouées sont si nombreuses triques. De même les papiers découpés ‘Série noire’. La rigidité rêche de l’alu- qu’il n’y a, jusqu’à présent, aucun d’ ‘Oceania’ qui ont engendré une minium est étrangère à la souplesse du risque de monotonie. La preuve série d’éléments élégants en caout- caoutchouc. encore, avec Vincent Barré. chouc. Les monotypes sur papier Japon se À l’origine, Vincent Barré (Vierzon, Certains titres sont explicites des liens présentent en tant que signes gra- 1948 ; vit et travaille à Paris, en entretenus par le sculpteur avec le phiques, formes complexes, mono- Normandie, dans le Loiret) a été archi- passé historique, tels Laocoon ou chromes noirs imposés au mur blanc. tecte. Il a choisi de s’exprimer par la Perséphone, empruntés à la mythologie Ils disent une sorte d’alphabet plas- sculpture à partir de 1982. Il a pratiqué grecque ; d’autres renvoient au boud- tique qui ne correspond à aucun des techniques variées : assemblage de dhisme ; quelques-uns à l’architecture langage connu en dehors de celui des métal et de bois, découpage de verre et à la géométrie comme ‘métope’ ou sculptures de leur auteur. ou de plaques d’acier, terre cuite et ‘mandorle’. Ou cette couronne cire, fonte dite au sable avec de l’alu d’épines qui se réfère au peintre du Au-delà, il y a les carnets, ceux qui dé- ou du fer, bronze... XVe siècle Jean Fouquet et à une de tiennent des esquisses, des croquis, des Vue d’ensemble des « Grand ex-voto », 2015-2016 © ADAGP, F. Kleinefenn ses ‘Pieta’. Sans omettre ces nombreux dessins faits à l’instant, surgis dans À la période où il change d’orientation, ex-votos en rapport avec des rituels l’action même. Ces fruits du spontané il avait beaucoup voyagé, beaucoup vu pieux et qui sont prétextes à explorer sont ceux qui aideront le sculpteur à et lu. Il n’aborde donc pas la sculpture les volumes du corps humain. penser l’acte de travailler la matière, vierge de toute connaissance. Il avoue lique ou métaphorique. venirs de modèles préhistoriques bruts, de la préparer à ses trois dimensions. avoir subi nombre d’influences, de totems et de masques primitifs, de L’approche historique ne doit pas faire L’intérêt est de participer en différé au d’avoir été touché par nombre de Sa recherche se base fondamentale- statuaire des civilisations assyrienne et oublier que le travail de cet artiste est à processus créatif, d’en être les témoins statues et de créateurs. Il est néan- ment sur des formes simples. Quitte à gréco-romaine, d’objets à usage de regarder aussi en tant que présence au à posteriori. moins parvenu à élaborer un univers et les assembler de manière complexe. travail ou de culte, de déconstructions sein d’un espace. Cette insertion dans des réalisations qui témoignent de sa Face à une de ses créations, le regard avant-gardistes… Karen Wilkin l’écrit des lieux joue avec les vides et les Michel Voiturier personnalité. reçoit un ensemble où les détails précis : ses « formes énigmatiques sont riches pleins, avec l’horizontalité et la verti- sont omis, où la réalisation questionne en évocations ». calité, avec les angles et les courbes, À première vue, les allusions qu’il fait puisque n’étant ni réaliste dans le sens avec la monumentalité ou la discrétion. Prochaine expo de « Vincent Barré, sous à l’histoire de l’art sont latentes. On les d’une représentation imitative du réel, Un créateur sous influences La coloration et les textures des ma- les grands arbres » au Gerhard Marcks pressent sans toujours parvenir à les ni pas davantage d’une abstraction. tières retiennent une attention autre : Haus, Am Wall 208 à Bremen (Brême) préciser. Ce qui le préoccupe avant Tout se passe comme si il s’agissait Barré soi-même ne dissimule pas les celle de la vue et celle du toucher. [D]du 2 octobre 2016 au 25 janvier 2017. tout, c’est le corps humain. C’est, du d’un appel lancé à la mémoire cultu- influences qui l’ont nourri. À commen- www.marcks.de coup, sa référence analogique avec relle de chacun. cer par les petits torses façonnés par Ainsi est-il surprenant de voir des co- l’arbre, aussi bien formelle que symbo- Matisse exposés dans le musée qui lui lonnes jumelles s’ériger en alternance Ainsi défilent en nos cerveaux des sou- est dédié ainsi que ce plâtre baptisé
Iselp # INSTITUT de l’entre-deux Page 6 Autour du concept # INSTITUT, ‘zone 1992 des objets dont la propriété intel- ment de l’institut, son intervention d’altération temporaire’, Iselp découpe lectuelle reste incertaine, soumise à s’apparente à un bug entre deux sa rentrée en trois volets-expositions, des controverses, jurisprudences etc, et moments et deux expositions, précise un blog et autres événements annexes. convoque ces choses lors d’assem- Laurent Courtens, commissaire. L’art Où il est question de l’essence de l’art, blées: expositions, lectures, perfor- de Yoann est fait de narrations fictives de l’oeuvre et de son lien à l’écrit, à la mances... que l’on s’approprie avec des outils sé- parole ou à l’image, et de parasitages. lectifs, de commentaires verbaux et Dans le cadre d’Assemblée#INSTI- graphiques qui sont des terrains de La première rentrée académique de la TUT, il réactive le débat entre les édi- jeux et de création. Des outils qui infil- directrice de l’Iselp Maïté Vissault, teurs John Dicks et Edmund Yates trent tant la communication, avec des arrivée début 2016, marque une étape autour du titre du roman du 19e siècle images juxtaposées (blog, instagram, transitoire, au cours de laquelle l’Iselp Splendid Misery et pour cela, invite carton d’invitation...) que l’oeuvre en entend redéfinir son rôle et ses mis- historien littéraire, philosophe, ou elle-même (sérigraphies, dessins parta- sions. Autour de 5 mots: montrer- avocat à confronter leurs points de vue gés...) ou une soirée de visites perfor- méditer-produire-éditer-débattre. autour d’une installation: un livre posé mées, telle ‘Astérix chez les Belges’, L’idée est de travailler davantage sur la table, avec des bancs autour. autour des stéréotypes nationaux et comme un institut d’art et de re- culturels. cherche, autour d’une même question, De son côté, Freek Wambacq détourne Pour clore 2016, l’ exposition ‘erg’ de et de faire ricocher différentes exposi- des objets, les assemble, les dispose et Catharina van Eetvelde, où l’institut se Freek Wambacq, Twelve birds, five horses and a small fire, 2009 tions, relève Catherine Henkinet, com- leur donne un statut lié au titre attri- table, leather gloves, halved coconut shells, cellophane foil fait système et corps, construction et missaire de ‘Table of content, Show bué. Tout en créant des fragments 100 x 220 x 107 cm production avec en son centre, ‘erg’ et Title@258 by Stefan Brüggeman’, un d’une histoire sonore, à partir de pro- l’imprimante. Celle-ci matérialise la premier volet qui interroge l’acte cédés de bruitage. ‘Twelve birds, five matière grise de l’institut et les flux d’exposer, et par là l’identité de l’insti- horses and a small fire’ réunit ainsi des dans le monde de l’art. Lors de ren- common story’ de Sarah van quotidiens de celui-ci (textes, tut et son rapport à l’art, à partir de gants en cuir, des demi-coques de noix contres organisées, il distribuait des Lamsweerde, se focalise sur la mise en visuels...), de même que la production l’oeuvre de Joseph Kosuth ‘A map de coco, et des feuilles de cellophane. cartes de visite avec l’adresse de son mots de l’oeuvre, son récit fictionnel d’ ‘erg’, oeuvre et système de l’artiste. with 13 points’, qui occupe un mur de Chaque élément correspondant à un hôtel, afin de rencontrer les intéressés ou réel. Chaque mot est proposé lors Sous la tutelle de Maïté Vissault: l’Iselp depuis 1998. bruit (noix de coco = cheval, etc). dans un cadre non artistique, et un d’une vente aux enchères, où le public l’espace-temps de l’Institut deviendra autre espace-temps. tente de reconstruire l’histoire de ainsi le lieu d’un dialogue permanent Les dix artistes sélectionnés présentent La primauté de l’idée Au fil de l’exposition, le texte génère l’oeuvre à partir des mots adjugés (par avec l’artiste, un dialogue qui usera du des oeuvres autour du texte et/ou du une autre manière de voir ou convevoir un certificat d’authenticité). langage singulier généré par l’activa- récit. Installation, dessin, vidéo, ... et Se pose également dans la plupart des l’objet ou l’oeuvre, et lui donne son Du bug à l’imprimante tion d’erg (..). Ce qui se produira là, même titre. Table of Content est ainsi oeuvres exhibées, la question de ce sens. Dans sa ‘Collection particulière’, Les deux autres volets d’#INSTITUT sera l’émergence du dessin, un dessin tiré de la liste de plus de 1200 titres de qu’est l’art. Dans sa performance ‘I Léa Mayer crée des oeuvres (peintures, se succèdent jusqu’à la fin de l’année, en train de se faire, sorti des entrailles Stefan Brüggeman, mise librement à can’t speak in Art galleries or photos, céramiques...) à partir des in- interfèrant à certains moments. L’ex- de l’imprimante et déployé dans disposition des artistes et curateurs, Museums’, l’artiste conceptuel mexi- formations (contenu, format, maté- position De l’assemblée à l’impri- l’espace. lesquels en retour sont juste tenus de cain Mario Garcia Torres, promoteur riaux...) incluses dans des cartels mante, de Yoann Van Parys, dont la mentionner Show Title # le numéro du de l’idée au-delà de la réalisation, a d’expositions issus d’institutions artis- pratique plastique est aussi très liée à Catherine Callico titre de la liste. pris le parti du mutisme, face à tiques. la parole et aux mots, joue sur le para- De même sous le générique Agence, l’ardeur développée par d’autres L’installation numérique ‘Tell/Sell, a sitage. Dans une phase de redéploie- Du 07/10 au 24/12 à L’Iselp, l’artiste Kobe Matthys collecte depuis condisciples pour se faire une place www.iselp.be Tandem : la gravure au poids de centaines de publications ouvrir la voie à des échanges sous forme d’expos de Ransonnet, ceux d’Yves Namur et les éclate- France Borel, inspirée par un séjour à Tokyo. et d’éditions. Rapidement, des liens apparaitront ments formels de Belgeonne lui-même, de John Carter ou Antoine Mortier éclairent leur avec les U.S.A. et le Japon. Devolder et les narrations amusées de Vinche. travail artistique par notes et croquis. Heyrrens, Portefeuille naîtra en 88. On y trouve les Meurant et Mouffe dialoguent avec Claude Au bout d’un moment, l‘organisation d’exposi- Polonais Bartczak, Bigoszewski, Fijalkowski, les Lorent. Quant à Dotremont, il a droit à une an- tions étant une charge plutôt lourde à assumer, Japonais Akira Abe, Atsuko Ishii mais aussi thologie posthume qui mêle ses logogrammes Tandem, dont la composition a évolué avec de Horváth, John Carter, Luc Étienne, Lismonde, avec de la correspondance entre lui et nouveaux participants, restreindra l’essentiel de Kate Van Houten, Thorbeke, etc. Alechinsky. son action à la parution de portfolios explorant des thèmes techniques divers. Ainsi surgissent les Par ailleurs, une collection de livres est baptisée Dans le but de promouvoir la jeune création, noms de Biondino, Delattre, Étienne, Jossart, Conversation avec qui comporte plus de 80 titres. Belgeonne lance Histoire(s) en images, des petits Lambotte, Musieaux, Urbain, Scouflaire, Van On y découvre des entretiens réalisés avec des ar- formats de visuels avec ou sans texte. Parmi la Houtte, Waselle, Winance… tistes par Eddy Devolder (Baselitz, Beuys, centaine de livrets réalisés, se retrouvent les D’Haese, Leroy, Pratt, Segui, Stella, Tal Coat, noms de Kikie Crévecoeur, Eve Calingaert… Au début des années 80, plus ou moins histori- Warhol…) ou par Ben Durand (Baudin, Clergue, Enfin, depuis 96, une autre collection, Carnets de quement en concomitance avec les importantes et Dewint, Horvat, Maury, Olyff, Tibet, Viallat, voyage dont les pages se présentent en accor- trop éphémères biennales de Bon-Secours Willems, Wuidar) et quelques autres tels que déon. Elle comporte, par exemple, un Félix (Péruwelz), naît la collection Monographie. Roger Pierre Turine (Soulages), Goyens de Roulin aux croquis dessinés lors d’un séjour à Chaque recueil de gravures est consacré à un Heusch (Bertrand, Van Lange, Willequet), Rome, un Emir Dragulj, l'homme des débuts, artiste belge renommé. Outre les estampes, il Philippe Robert Jones (Lismonde), Meurant avec des moments tragiques empruntés à la comprend une photo portrait, une biographie, une (Ivanosky), Angelo Vermeulen (J. Vilet), guerre civile en ex-Yougoslavie. présentation signée par un critique d’art. Cette Desaive (Lennep), Bekers (Jan Fabre), Baudouin J-P Ransonnet, S.T., gravure sur bois - 2003 série permettra une belle approche de Jo Oosterlinck (Fourez)… Tandem, au vu de cette expo bilan, témoigne Delahaut, Pierre Caille, Jean-Pierre Scouflaire, d’une inlassable activité, d’une volonté de Lionel Vinche… Cette édition permet également Ce volet particulier des éditions Tandem corres- couvrir pas mal de disciplines de la production Il était bon de rendre hommage aux éditions de montrer la diversité des techniques : par pond à la prise de conscience par Belgeonne du artistique du XXe siècle et d'aujourd’hui, tou- Tandem de Thérèse et Gabriel Belgeonne. La exemple la linogravure avec Thierry Lenoir ou risque de marginalisation de l’image imprimée jours en quête, à la fois, de rigueur et d’inventi- maison existe maintenant depuis 1971. Elle a Kurzatkowski, la sérigraphie avec Luc Van face aux autres pratiques artistiques et donc, vité plastique, de recherche graphique et de publié nombre de livres d’artistes et de collabora- Malderen. comme le souligne Pierre-Jean Foulon, de « l’im- complémentarité avec les mots. tions entre écrivains et graveurs C’est devenu un portance d’un recours à la théorisation […] de véritable panorama de la création contemporaine La rencontre de Belgeonne avec le poète l’art contemporain au sein duquel la gravure joue Michel Voiturier d’image imprimée. François Jacqmin renforce les liens déjà noués désormais un rôle significatif par ses possibilités avec la confection et la diffusion de livres de multiplication du message […] et surtout par Centre de la Gravure et de l’Image imprimée, 10 L’aventure commença avec Antonio Segui. Elle puisque alors surgit la série Textes & Images qui son intégration aux courants stylistiques les plus rue des Amours à La Louvière, jusqu’au 28 août se poursuivit de manière encore plus internatio- associe plasticien avec écrivain et qui cherchera avant-gardistes ». 2016. Infos : +32 (0)64 27 87 27 ou http://www.cen- nale avec Emir Dragulj. L’amitié entre les de plus en plus à s’éloigner des pratiques habi- tredelagravure.be/fr/ membres fondateurs du groupe Tandem tuelles du face à face texte-image. Ainsi Plus récemment, Alentours aligne des volumes (Belgeonne, Benon, Cotton, Jacobs, Lambillotte, s’élabore une connivence entre les poèmes de de réflexions et méditations, d’interrogations sur Catalogue : Pierre-Jean Foulon, «Les éditions J-M. Mahieu, Mineur) va tisser des relations par- Jacqmin et des aquatintes de Vandercam, les des techniques et des pratiques. Le bouquin Tandem de la gravure au livre », La Louvière, ticulières avec la Yougoslavie, puis la Pologne et écrits d’Alain Delaunois et la nature élémentaire initial est signé par l’ex-directrice de La Cambre, Centre de la Gravure, 2016, 160 p.
Page 7 C’est dans le quotidien qu’Alain Janssens puise son plein. Le temps et l’espace du quotidien Hors du cadre sont les éléments moteurs du travail « C’est partir de l’idée qu’une image créatif d’Alain Janssens. ne remplit pleinement son existence que quand elle oppose une perspective La magie du quotidien dans le regard de celui qui est devant « C’est dans le quotidien qu’on fait le elle ». Hors du cadre, c’est là que les plein ». Dans celui-ci semble som- photos d’Alain Janssens semblent meiller la promesse d’une jouissance, vouloir nous emmener, à la recherche le moment ou l’unité ; entre le sujet, le de ce qui n’est pas montré, pas visible, photographe et tant d’autres choses ; dans un monde imaginaire tout aussi est furtive mais tellement réelle. Un important que le monde réel, dans moment qui échappe, un temps que l’ombre aussi. Les « procédés » sont l’artiste offre à notre imaginaire, un variés, allant de la photographie d’un instant qui l’émerveille. Lenteur et fragment de corps qui reste indéfini à contemplation semblent être convo- une vue dont les plans semblent se quées. révéler les uns les autres Rentrons dans une photo, dans étrangement, au gré des sens de lecture l’osmose d’un instantané, dans la en passant par des paysages flous, des magie du lieu et de celui qui l’habite, filtres dans tous les sens, brouillant ou de celui qu’il habite… mystère, notre vue, renforçant le côté ouvert, poésie et portes ouvertes. Ce morceau suggestif de l’œuvre. de forêt par exemple, Alain Janssens semble l’avoir décelé, perçu, mis en Une vue étrange : la mer cernée lumière comme au terme d’une quête d’arbres. Les plans sont tels des aplats, fortuite ou inconsciente, au gré de flâ- se superposant curieusement, le specta- neries, ou comme au bout d’une transe teur déchiffre, s’embourbe, perd la même. Le moment quasi mystique se vue, sort du cadre. révèle enfin. Sensualité Le quotidien. L’artiste explore ses Texture, flou, lumière, Les photos travées, sans thématique précise, le d’Alain Janssens sont indéniablement noir et blanc et la lenteur de l’argen- empreintes de sensualité. La technique tique comme outil. La couleur aussi, de l’argentique tout d’abord et du parfois mais pas trop, idéalement une papier baryté, servant autant le mat que Alain Janssens, Fontenois_291215 ou deux à la fois, dans un rapport de le brillant. Les lumières ensuite, contraste noir/blanc. Alain Janssens parfois chaudes et surtout vaporeuses. tous nos sens en éveil, révélant notre de la ville. ciant les contraires par exemple, créant défend volontiers l’idée qu’une bonne Les sujets varient, mais le rendu, très rapport aux autres et aux choses, notre L’artiste est aussi un poète. Si ses pho- dans le regard du spectateur une troi- photo ne doit pas être trop construite, sensuel, incite au touché… que ce soit regard profondément humain, elle tographies semblent dire l’ineffable, sième image, sollicitant constamment que d’une certaine spontanéité découle un citron en pierre, des chaussures ou semble bien loin d’être anecdotique. les mots sont important pour lui et ils notre imaginaire. Le rythme ou les le geste poétique. Des arbres, des encore un fragment de mur. Si la spon- évoluent en parallèle aux images. blancs laissés participe également à plantes, des fruits, des corps, des vues tanéité et la sensualité caractérise A coté l’unité de l’œuvre. par exemple, quelques portraits aussi, l’œuvre, l’artiste aime discuter de son Côté professionnel Alain Janssens Quand il ne prend pas des clichés, il on sent que l’idée l’intéresse, qu’il la travaille, s’amuser des convergences et réalise principalement des photogra- donne notamment des cours de photo- Sylvie Bacquelaine murit encore. Les lieux aussi ont toute partage l’idée que « la photographie phies d’architecture. De 2 001 à 2009, graphie à l’Ecole Supérieur des Arts leur importance, ceux dans lesquels il construit la pensée et pas l’inverse ». Il a couvert le chantier de la construc- Saint-Luc de Liège. On l’imagine bien Les citations Sont issues du livre se sent existé, habité. tion de la gare des Guillemins à Liège. dans son rôle, il nous explique au « Nulle part et partout » d’Alain Inspiration Ce travail de commande, reflet des passage que ça le nourrit. Janssens La part et le tout. Quand on parle de ce qui l’inspire, les évolutions diverses et de la vie sur le « Que le pli du paysage commence à la idées fusent, de Philippe Jaccottet à chantier est un témoignage historique Exposition Aperte de vue lisière de la peau et du poil ». Au début Lee Friedlander en passant par mais il est également empreint de la Après avoir exposé dans des lieux im- Alain Janssens du 11/11-3/12/2016 des années quatre-vingt, Alain Vladimir Jankélévitch ou Andrei patte du photographe, capturant portants dédiés à la photographie, Espace Galerie Flux Janssens a travaillé avec des personnes Tarkovski, la conversation fait des l’énergie et la vie avec un regard comme Contretype par exemple, Alain 60 rue paradis, 4000 Liège handicapées mentales au Créahm tours et des détours des plus réjouis- présent. Comme c’est le cas dans son Janssens présentera son travail en no- à Liège. Le photographe y nourrit son sant. Son moteur c’est avant tout cet œuvre plus intime, très architecturale vembre à la Galerie Flux : des œuvres regard singulier, un œil taillé pour ancrage dans le quotidien, ce bonheur aussi, la lumière travaille les volumes, montrées à Bruxelles mais pas à Liège, mettre en lumière le détail, ou ce qui d’un émerveillement perpétuel, qu’il les crée et les brouille, les laisse inter- des inédits, de la couleur, du noir et n’en est plus un justement… ce frag- soit le fruit de la feuille d’une plante, agir. Notons que Alain Janssens a éga- blanc, de l’argentique et du numérique. ment qui existe par lui-même et qui du grain d’une peau ou d’une décou- lement photographié le chantier du Pour lui le montage de l’exposition est participe à un tout, capturé pleinement verte littéraire. Parce que l’œuvre cinéma de la Sauvenière aussi important que les photos, qu’il dans le moment vécu. d’Alain Janssens participe à un grand à Liège, lieu non moins emblématique aime faire résonner entre elles en asso- tout fondamentalement indéfini tenant Contro-corrente #2 Chantal Vey expose son périple pasolinien au FRAC NORD -PAS DE CALAIS Chantal Vey: « Ma recherche artistique se construit autour de la notion de territoire. Le territoire au sens large, comme un Ailleurs que j’explore par la marche et le voyage, mais aussi dans l’approche de l’Autre, que je sollicite pour découvrir son univers. Inspirée par La Longue route de sable, qui décrit un voyage réalisé par Pier Paolo Pasolini en 1959, j’ai suivi cet iti- néraire à contre-courant, en commençant par Trieste et la région de son enfance. Au fil de la route et des rencontres fortuites, je revis les situations décrites et les interprète en tant qu’artiste et femme d’aujourd’hui ; toujours très proche des êtres, comme aimait le faire Pasolini. » «Contro-corrente #1» et «Contro-corrente #2» ne représentent que la moitié de l’itinéraire, la dernière étape est prévue au prin- temps 2017, en repartant de Pescara pour finir à Ostie, longeant le littoral par le Sud-Est et le Sud-Ouest de l’Italie. Du 24 septembre au 20 novembre 2016 FRAC NORD -PAS DE CALAIS 503 Avenue des Bancs de Flandres 59140 DUNKERQUE (FR) Chantal Vey, Argentario, 2015. © Chantal Vey. Cette photo prise le long d’une plage italienne, décrit un voyage réalisé par Pier Paolo Pasolini en 1959. Par son action, ses clichés et ses films, une façon indirecte pour l’artiste de rendre hommage au poète disparu.
Page 8 FRANCESCA WOODMAN LA GÉOMÉTRIE EUCLIDIENNE NE CONVIENT PAS AUX ANGES miroir-Minotaure, ne pas le nourrir, ne pas lui donner son corps en ectoplasme, lémure ou à son devenir arbre. Recouverts d’écorce, pâture. Aller à la rencontre de ses fantômes intérieurs, tenter de ses bras quittent le règne de l’humain pour se muer en branches par- recomposer un corps, un être disséminé dans l’espace et la durée, fois levées vers le ciel. c’est frayer une quête initiatique où il s’agit, non de se trouver, mais de se perdre. Afin de disparaître, de se dessaisir, il faut se chercher. Miroirs, gants, cygnes, anguilles, gravats, longues robes, nudité, L’on est vivant si le miroir reste vide. Les glaces, les psychés chevelure, sexe, voiles, masque dérobant le visage parsèment la pic- dévoilent moins la psyché qu’elles ne l’avalent. Les miroirs turalité de ses œuvres de motifs empruntés au bestiaire du surréal- s’avèrent des ogres, des gouffres qui capturent l’imprudent, le isme. La photographie de 1976 « On Being an Angel » et sa deux- déboussolé. Ils sont d’impossibles fenêtres, des puits de lumière, ième version réalisé un peu plus tard offre la torsion d’un corps nu des simulacres qui doivent être traversés. Se faisant sœur d’Alice pris dans une métrique folle, dans une géométrie aux axes qui passant au-delà du miroir, Francesca Woodman le traversera en se bifurquent tandis que l’on perçoit un parapluie noir à l’arrière-plan. défenestrant, en faisant le saut de l’ange, regagnant la tribu des Clin d’œil aux associations surréalistes, à Man Ray, dans le sillage séraphins. de Lautréamont, de la rencontre d’un parapluie et d’une machine à coudre des Chants de Maldoror. Rappelant la Poupée, les proto- bondages de Bellmer, le corps ficelé de Francesca Woodman Francesca Woodman. From Space2, Providence, Rhode Island, 1976 © George and Betty Woodman. « Je me sens comme flottant dans le plasma », Francesca Woodman. Où, spectateurs, nous situons-nous par rapport à « cette étrange géométrie du temps » mise en scène par Francesca Woodman, comète de la photographie qui s’est donné la mort à vingt-deux ans ? Comment ne pas succomber au leurre de lire son œuvre depuis sa mort tragique ? Comment ne pas flécher notre regard depuis son saut de l’ange le 19 janvier 1981 ? Après le Moderna Museet de Stockholm, le FOAM à Amsterdam, la Fondation Henri Cartier- Bresson à Paris, l’exposition On Being an Angel conçue et organ- isée par Anna Tellgren terminera son itinérance au Moderna Museet de Malmö. Les très belles éditions Xavier Barral proposent à cette occasion un magnifique ouvrage Devenir un ange. Francesca Woodman a compris très jeune que la géométrie euclidienne ne convenait pas aux anges, aux fantômes qui traversent les murs et vivent en apesanteur, qu’il lui fallait inventer une autre géométrie, celle du zigzag, pour les siens, pour elle en passe de devenir angélique. Ses centaines de photographies, la plupart en noir et blanc, prises entre 1972 et 1981, entre treize et vingt-deux ans, respirent l’urgence du geste photographique conçu comme subver- sion de l’autoportrait, comme interrogation des relations entre espace, temps et corps. Sa quête inlassable, tourmentée prend la Francesca Woodman, Self-deceit #1, Rome, Italie, 1968. © George and Betty Woodman. forme d’un paradoxe : mettre en scène son corps, ses corps frag- mentés, ébréchés en vue de sa dissipation, mettre en œuvre une esthétique de la disparition. Celle qui ne se sent pas appartenir de plain pied à l’humain, « serait-elle un ange ? » écrit Agnès Sire dans la préface. L’exploration d’un devenir angélique, d’une autre Esthétique de la disparition. genèse qui soit une renaissance résonne comme une issue. Très tôt, le motif de l’ange obsède Francesca Woodman, sous l’angle d’une Celle qu’on appelle la « Sylvia Plath de la photographie » se tient cherche à faire des liens un moyen magique afin de ne pas fuir, de expérience métamorphique salutaire pour qui se vit comme du coté des sœurs fracassées, des incendiées, Diane Arbus, Clarice ne se vider. Les jambes emprisonnées par du scotch, les pinces à étrangère, inadaptée à la géométrie orthodoxe de l’espace-temps Lispector, Alejandra Pizarnik, Sarah Kane, Unica Zürn, Anna linge apposées aux tétons, au nombril, au ventre sont autant de céré- (« From Angels series », « From a series on Angels » en 1977, Kavan, Heather Lewis, Ingeborg Bachmann, Camille Claudel, monies qui mettent à l’épreuve le corps, ses limites, qui le forcent à « Angels » en 1977-1978). Marina Tsvétaïeva… S’il n’y a pour l’artiste ni de corps propre, se sentir, à se recentrer sous l’effet du ligotage, à expérimenter plein, unifié, ni d’espace euclidien, ni de temps linéaire, si a priori l’ambiguïté d’une contrainte et d’un envol dans le lâcher-prise. Les rien n’est donné comme complet, stable, fondé, il faut créer ce qui vitres plaquées contre la chair, les cages de verre où se lover rem- Marquée par l’Italie où ses parents artistes avaient une résidence à manque, suppléer au chaos, reconstruire à partir des ruines. Le désir pliront cette même fonction bifide : contenir l’écoulement au- Antella, près de Florence, elle devait avoir appris de La Divine d’être se confond avec le désir de ne plus être, ou, moins radicale- dehors, viser un possible rassemblement et voyager dans d’autres comédie de Dante que les morts n’ont pas d’ombre. Comme les ment, avec le désir de n’être plus que mur, arbre, spectre aérien, dimensions psychiques. Les images s’avancent comme des tenta- enfants, elle savait que les défunts n’apparaissent pas dans les créature volatile. Dans des compositions à la grammaire et aux tives de dialogue avec un soi qui est étranger, autre, perdu, émietté. miroirs. C’est pourquoi elle plaçait le miroir en pièce centrale de motifs récurrents proches du surréalisme, son espace mental, ses Le soi, le corps n’est que délabrement à l’instar des intérieurs aban- ses dispositifs afin de voir si elle n’était pas morte. Produire des troubles et tourments se voient prolongés par des espaces abandon- donnés, vétustes, décatis où il élit domicile. Les fissures, les milliers d’images pour ne pas mourir, pour jouer à cache-cache nés, des lieux vétustes. Au plus loin du monde moderne, des ébréchures, les poussières, le délabrement des lieux sont le miroir avec un soi incertain, en pointillé, diffracté, pour aiguiser un espace mythologies contemporaines du verre et de l’acier, les décors évo- de ceux du corps exposé. Une même énergie, un analogon traverse jusqu’à son dépeuplement. Au rebours de tout narcissisme, l’explo- quent un monde tout à la fois onirique, surréaliste et symboliste à la les maisons désertées et le corps de F. W. en déshérence, désappro- ration introspective que l’artiste mène s’aventure dans les parages lisière de l’ancien (vieilles bâtisses victoriennes…) et de l’intem- prié, tous deux logés sous l’enseigne du désaccordé. Les lieux du Corps sans organes. Au plus loin d’une distance théorique, les porel. Cristallisé en images photographiques qui agissent comme intérieurs comme les lieux extérieurs, jardins, bois, plages sont questions métaphysiques qui la taraudent sont viscérales, des doubles, comme des images « pharmakon », à la fois remède et désertés par toute présence humaine, laissés à l’abandon. C’est dans physiques, vitales. Comment inscrire une portion d’espace corporel poison, le territoire psychique de l’artiste se traduit par l’introduc- ces espaces vacants, oubliés de tous, promis à la ruine que le corps dans l’espace terrestre, cosmique ? Comment se raccordent des tion du flou, du bougé qui brouille la représentation et induit un de ruines, en ruines, fracturé peut jouer avec ses doubles, ses échos espaces hétérogènes, dissonants non seulement en leurs rapports mouvement, un effet cinétique dans la photographie. Touchant plastiques. Le double abandon qui frappe contenant et contenu, mais en eux-mêmes ? Comment s’emboîtent-ils, s’épousent-ils ? sélectivement le corps humain et non le décor qui abrite ce dernier, espace et corps jusqu’à leur indistinction procure aux œuvres de Comment vivre son corps, dans son corps-esprit, avec lui quand on le flou témoigne de l’érosion des frontières entre le sujet et l’objet, Francesca Woodman cette prodigieuse patine de silence. Appar- a pris conscience que le miroir n’est que leurre, que l’image est l’intérieur et l’extérieur, de l’évanescence des formes. Il fait signe tenant à la tribu des anges, Francesca Woodman n’ignorait pas qu’il tromperie comme le montre la série « Self-deceit » (« Auto- vers l’esthétique de la disparition, d’un évanouissement qui frappe à n’y a pas de propagation du son dans l’espace, qu’en apesanteur, les leurre ») ? Dans cette série de sept photographies de petit format, nouveau le seul « sujet » impersonnel F. W. et non son environ- ondes acoustiques ne se diffusent guère. Dans les torsions d’un dans un intérieur abandonné, décrépit, une femme nue joue comme nement. Dans les séries « House », « From Space », « Polka Dots », buste souvent renversé, retourné, détourné de ses usages, on un chat avec un miroir cassé. Sur une photographie, la femme l’artiste se dématérialise, entre dans un processus d’évaporation, aperçoit parfois une bouche entrouverte, barrée par des cris noirs ou rampe, observant son reflet. Sur d’autres de la série, une voix lui disparaît derrière une tapisserie, se fond dans un mur, se confond par une spirale métallique de rideau, aussi bien écarteur buccal souffle de se cacher, de se soustraire à l’emprise du miroir. La ruse avec la cheminée. Davantage qu’à sa métamorphose en une créature improvisé qu’accessoire d’une séance de spiritisme (« Self-portrait est de mise : pour n’être dévorée, il faut se tenir à côté des griffes du passe-muraille, on assiste à son devenir inanimé, pierre, minéral, talking to Vince »).
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