ANGLEs D' SEPTEMBRE 2016 - Bruxelles
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AVENUE LOUISE n° 555 l’hôtel de Jacqueline Vastapane Situé dans le clos du Bois, hôtel particulier de style Beaux-Arts, architecte Linssen, 1927, sur parcelle traversante avec un garage au n°38 avenue Legrand, par le même architecte la même année. Élévation de deux niveaux sous mansarde, et de trois travées aux étages, en briques et pierre blanche. Imposant dispositif d'entrée avec porche cintré, reposant sur deux colonnes annelées, flanquée de deux jours grillés. Fenêtres à encadrement à crossettes, sous plate-bande en escalier à l'étage. Lucarnes à fronton triangulaire ou courbe. Menuiserie conservée. C'est un petit village», confie Jacqueline Vastapane, propriétaire du très bel hôtel particulier sis au numéro 555. «Chacun vit chez soi. Mais cela n'empêche pas le sens de l'entraide. Si un domestique a besoin d'un oeuf ou d'autre chose, il trouvera toujours bon accueil chez un serviteur voisin»… Août 1995. Dans son salon savamment décoré de peintures anciennes, la veuve de Dino Vastapane –surnommé «le roi de l'apéritif» pour avoir été l'importateur de plu- sieurs marques italiennes, telle Martini Rossi– revient d'un séjour à Saint-Jean-Cap- Ferrat. Élégante dans sa robe d'un jaune éclatant, soulignant une silhouette élancée de jeune première, Madame allume une cigarette anglaise en faisant claquer son briquet Dupont. De sa voix grave et posée, elle explique les raisons pour lesquelles elle a choisi de vivre dans l'un des lieux les plus huppés de la capitale. «Après le décès de mon mari, je ne me sentais pas la force de rester seule avec ma mère dans notre propriété de 40 hectares à l'extérieur de Bruxelles. Je cherchais une maison dans le Square du Bois. On s'y sent si protégé». «"On" s'y sent si proté- gé»… C’est qui : «"On" ?». Elle ne veut pas le dire. Mais, c’est facile à deviner : des bienheureux par héritage, des richissimes en convoitise, des anoblis du business, plus quelques spécimens rares représentant une certaine bourgeoisie montante et démontée –qu’elle soit fourrée ou en fourrure.
Avenue Louise n° 541, Résidence ASCOT Penthouse 270 m² sur deux niveaux. Hors de prix. Tous fortunés, ils ont ainsi leur propre paysage –en forme d'écrin– adossé à la forêt : une petite rue pa- vée, défendue par une grille en fer forgé. Refermée sur elle-même, cette voie –qui ne mène vers nulle part– est bordée par des demeures d'exception, plus indéniables les unes que les autres... Remarquablement, ce dévoiement de haut luxe a pour fonction de délimiter –telle une césure privati- sée– la fin de l'avenue Louise et l'entrée du Bois de la Cambre. OUTRANCIER. Le plan de Bruxelles l'appelle «le Squa- re du Bois». Les mauvaises langues, «le Clos des milliardaires». Et c’est bien vu. Car après avoir franchi l'entrée et ses deux barrières automatiques d'un orange outrancier, on découvre ébahi les faça- des ravalées de demeures raffinées, seigneuriales, construites au tout début du vingtième siècle. ●●●
Avenue Louise n° 545 Hôtel de maître des années 20. 960m². Hors de prix. ●●● Chacune d'entre elles est précédée d'un jardinet. C'est une obligation. Chaque maison ou hôtel particulier du Square du Bois doit empiéter de quelques mètres de verdure sur ses devants. La rue, les réverbères, la grille, les égoûts et les trottoirs figurent aussi dans le patrimoine commun de cette copropriété d'exception… Une exception tout à fait originale, obtenue par Arrêté royal, et qui se transmet par acte notarié. SERVITUDES. À l'origine, le terrain occupé par le Square du Bois appartenait à Joseph Tas- son, un industriel qui était par ailleurs Conseiller provincial du Brabant. En 1877, il avait racheté une superbe maison de cam- pagne à cet endroit. Après sa mort, ses qua- tre filles y font établir dès 1913 une voie pri- vée en impasse, et lotissent la propriété de sorte qu'il s'y forme un quartier prestigieux cachant la partie droite du Bois de la Cam- bre. Cette propriété indivise imposera des servitudes à respecter par chaque partie prenante. Elles sont toujours en vigueur au- jourd’hui. C'est ainsi qu'il faut que chaque habitant du square soit «d'occupation hono- rable et bourgeoise». La construction démarre alors avec deux hô- tels «Louis XV» dus à l'architecte Govaerts, trônant de part et d'autre de l'entrée.
Avenue Louise n° 549 Hôtel particulier de style Beaux-Arts, architecte Arthur Verhelle, 1924, sur parcelle traversante avec un garage au n° 28 avenue Legrand, par le même architecte la même année. Élévation de trois travées et deux niveaux sous mansarde. Porte métallique à arc en plein cintre sous corniche et baie Avenue Louise n° 551 d'imposte rectangulaire, Hôtel particulier de style Beaux-Arts, au seuil épousant l'arc. architecte Arthur Verhelle, 1928, Balcon continu sur sur parcelle traversante avec un garage les deux travées au n° 30 avenue Legrand, par de droite. Fenêtres le même architecte la même année. à arc en plein cintre Élévation en briques, rehaussée de pierre à l'étage, reliées par blanche, de trois travées et deux niveaux un cordon. Corniche sous toiture mansardée denticulée à modillons, à deux registres de lucarnes. continue avec Porte métallique sous auvent le n° 551 du et fenêtre en dessus de porte octogonale. même architecte. Baies à agrafe feuillagée au rez et Châssis à petits-bois à encadrement à crossettes à l'étage. et ferronnerie d'origine. Lucarnes sous fronton courbe. Avenue Legrand, garage Porte et châssis à petits-bois conservés. de style Beaux-Arts, Corniche continue avec le n° 549 d'un niveau sous mansarde du même architecte, recouverte de PVC. Puis, plusieurs personnalités de la capitale acquièrent ou construisent leur propre maison dans ce qui s'ap- pelle encore à l'époque «l’avenue Louise enclavée». Des hôtels de maître, dont la taille varie entre 700 et 1.000 m²… Le cumulard sidérurgiste Lucien Boël habi- tera dans le clos de 1935 jusqu’à son décès en 1999 ; le comte Robert Lippens et la famille Coppée –à l’entregent argenté– y prendront aussi leur quartier. Total : d'un point de vue strictement cadastral et donc administratif, l’impasse, d'une centaine de mètres de longueur, porte les numéros 535 à 587 pour 61 loge- ments –moitié appartements, moitié hôtels de maître, répartis dans 27 immeubles ●●●
Avenue Louise n° 557 Situé dans le clos du Bois, hôtel particulier de style Beaux-Arts, architecte Albert Huvenne, 1928, construit sur parcelle traversante avec le n° 40 avenue Legrand, à usage de garage. Élévation de deux niveaux sous mansarde, et de trois travées, en briques, rehaussée de pierre blanche. Baies à arc surbaissé, frappé d'une clef ornementée. Porte métallique ouvragée à encadrement à gorge. Balcon axial de plan chantourné, à garde-corps en fer forgé. Corniche en pierre. Lucarnes à ailerons en pierre. Châssis à petits-bois d'origine. ●●● Le splendide 557, par exemple, est toujours occupé par une personnalité de choix : l’ex-bourgmestre de Bruxelles-ville, le che- valier MR François-Xavier de Donnéa de Hamoir, qui a bien (man)œuvré au fil des années pour que rien ne vienne ternir la quiétude des lieux. Si le square a aussi longtemps gardé son caractère familial, c'est (entre autres) parce que le règlement de copropriété... interdit la division des immeubles en appartements. Mais de dérogations en dérogations, cette obligation a été annihilée par des ambitions plus capitalistiques. Avec la construction en 2008 du dernier ter- rain vierge du square, les appartements ont même dépassé, en nombre, celui des maisons. Heureux hasard…, la première déro- gation a été inaugurée par le tout-puissant groupe d'assurances Generali. Comme les deux premiers immeubles du square, côté droit, étaient à l'abandon, sans preneur possible pour des biens de cette taille, Generali en a fait 18 appartements revendus à la pièce.
Avenue Louise n° 573 Hôtel particulier de style moderniste, dit «Maison Périer» du nom de son commanditaire, comportant un atelier d'artiste, par l'architecte Paul Bonduelle en 1928. Élévation d'une simplicité radicale, intégralement en briques, de cinq niveaux inégaux, le dernier en attique, et de trois travées aux étages. Élévation caractérisée par un avant-corps de plan circulaire à usage de porche d'entrée, sous terrasse. Porte de garage et châssis remplacés. Intérieur relevant de la même simplicité que la façade et caractérisé notamment par des enchâssements de niveaux en mezzanine. Un atelier de peinture était prévu pour le commanditaire, Gaston Périer, peintre à ses heures. Dans le grand salon de réception et la mezzanine qui le surplombe, peintures murales réalisées à l'huile par les peintres Paul Delvaux et Émile Salkin, entre 1954 et 1956. Sujets illusionnistes et surréalistes, dans un décor inspiré de l'Antiquité : banquet des Sages, allégorie de la Musique, Gilbert Périer et sa famille, etc… Classement 27 mars 1997 (totalité du salon –en ce compris la galerie qui le surplombe et la cage d'escalier– abritant les peintures murales de Paul Delvaux). En face, le propriétaire de trois maisons a tiré sur la même corde. Derrière les façades maintenues intactes, a été cons- titué un complexe de huit appartements sur des sous-sols comprenant notam- ment une grande piscine et une salle de réception pour 200 personnes. Prix de location ? Au 553 par exemple, la maison de 480 mètres carrés sur trois niveaux a été entièrement rénovée, pos- sède 5 chambres, 4 salles de bain et un ascenseur. Loyer mensuel demandé en août 2016 : 9.500 euros. Une somme anémique pour des ambassadeurs atti- trés, le Secrétaire général de l’OTAN ou des… «évadés fiscaux», français de préférence : ces derniers sont au moins une quinzaine à résider ici. Au n° 541, il y a Jacques Espinasse, an- cien Président de Bernard Tapie Finance, passé du Directoire de Vivendi Universal au Conseil d’administration de Canal Plus. Gérard Pariente, le créateur de Naf Naf, crèche au 585, ainsi que son frère Guy; Claude Ott, l’un des dirigeants d’Olympia Finance, habite au 579... Quant à Amaury Taittinger, l’héritier de la maison de champagne, l’ingrat a dé- ménagé ●●●
●●● Combien coûte une des maisons ? Les prix oscillent comme au gré des périodes de flambée ou de morosité. Un petit hôtel particulier est actuellement en vente. Avec ses 650 mètres carrés, ses huit chambres, ses six salles de bains et son immense salle de réception, il est propo- sé aux «amateurs» pour «la modique somme» de 1,5 million d’euros. D'autres demeures, plus imposantes encore, sont estimées à plus de deux millions. PRÉNOM. Vous connaissez Charles De Pauw ? Le type a un illustre parent : «Charly», décédé en 1984, était son grand-père. Avec l’aide de Paul Vanden Boeynants, ce dernier était parvenu (dans les années 70) à mettre Bruxelles-ville en coupe réglée : CDP avait alors saccagé plusieurs hauts lieux du patrimoine architectural en les remplaçant par des parkings et rasé tout «le Quartier Nord» pour que des gratte-ciel y fassent la loi. Sur le coup, le promoteur immobilier avait réussi à faire de sa famille l’une des plus riches de Belgique Quarante ans plus tard…, c’est au tour du petit-fils –Charles De Pauw– à se faire un prénom : avec 21 autres personnes, il est poursuivi par la justice pour «faux, usage de faux, fraudes et corruption». Les prévenus sont accusés d’avoir, via la SA Action Trading, fraudé pour plusieurs dizaines de millions d’euros. Vu la consistance du dossier à charge, l’affaire (qui date des années 1990) aurait dû connaître pas moins de 18 audiences. Mais à la suite de manœuvres procédurières dilatoires multipliées par les avocats de la défense, le tribunal correctionnel de Bruxelles prononcera en 2013 la prescription des faits.
Eh bien justement, le Charles De Pauw en question pos- sède par héritage une maison dans le Square, au numéro 559. «J’aurais pu y vivre. Mais avec nos enfants en bas âge, mon épouse a préféré plus de verdure», lance-t-il afin de justifier la vente de son bien. Pour bénéficier des largesses du fisc, la demeure (aux al- lures époustouflantes) a évidemment été cédée en 2008 à la société immobilière Area Real Estate, dont Charles est… l’administrateur-délégué. Développée sur sept ni- veaux (dont trois en sous-sol) desservis par un ascenseur, la maison abritait auparavant un théâtre –ce qui laisse imaginer la superficie des salles de réception… Le tout premier propriétaire, très amateur, invitait des troupes pour y donner des spectacles privés. Comme de bien entendu, tout un étage est réservé à la «chambre des maîtres»: c’est la moindre des choses. Mais un bien de ce standing ne serait pas complet sans sa salle de projection, son hammam, sa salle de sport, ses deux parkings…, et son appartement de service ul- tramoderne –lui aussi organisé autour d’un patio qui le baigne de lumière naturelle. En vente depuis deux ans, le «559» n’a pas encore trouvé preneur. Prix de vente escompté : 7,5 millions, soit 12.000 euros le mètre carré Jean FLINKER Marc VANESSE
LE 16 janvier 2015, c’est gagné : le coup de force a eu lieu. Dans un communiqué victo- rieux, la société Ackermans & van Haa- ren peut annoncer son bonheur : pour 75 millions d’euros, sa filiale «"Extensa Group" a acquis 100% des deux autres sociétés qui contrôlaient le site "Tour & Taxis" à Bruxelles»… Avec «l’achat des 50% d’actions qui, depuis la création de la joint-venture en 2001, étaient entre les mains d’"Iret De- velopment" (groupe "De Vocht") et "Stak Rei" (groupe "Johannes Fredericus Lis- man")», plus rien ne peut désormais empêcher le groupe batave A&v de dé- marrer immédiatement plusieurs chan- tiers pharaoniques. Et de définir, «avec les autorités compétentes», la meilleure manière de se faire un argent pas pos- sible...
L’immeuble Herman Teirlinck –et ses 48.096 m² [sic] destinés à la Communauté flamande ? Son chantier débutera dès avril (la réception du bâtiment devant s’effectuer en 2017). Dans la foulée, Extensa lance (via l’entreprise flamande Van Laere, autre filiale du groupe Ackermans & van Haaren) la construction d’ une première série de 115 appartements, du côté de la rue Picard. Ce projet inaugural fait évidemment partie d’une zone résidentielle «plus large, à développer en priorité» ●●●
●●● Ainsi, en accord avec le Maître-Architecte pour la Région bruxel- loise (l’ex-stadsbouwmeester de la Ville d'Anvers, Kristiaan Borret) est-il convenu «outre l’édification d’une maison de repos et de soins», d’utiliser 370.000 m² pour y construire bureaux, commerces et loge- ments (au moins 2.000) –dans des bâtiments aux hauteurs variant entre 16 et 150 mètres. Une manne ! INTERLOPE. «Tour & Taxis», «Turn & Taxis», «La Tour et Tassis»… A la fin du 19ème siècle, la ville de Bruxelles en acquiert les terrains – d’une surface totale de 45 hectares– auprès de propriétaires devenus oisifs: la famille princière von Thurn und Tassis, qui en avait la jouis- sance depuis 350 ans. MARÉCAGES PRINCIERS Le site de Tour & Taxis est situé au Nord de Bruxelles, le long du canal de Willebroek. Il tire son nom de ses premiers propriétaires, la famille prin- cière von Thurn und Tassis – laquelle utilisait cette vaste étendue marécageuse comme pâturage pour les chevaux de la Poste impériale. La famille Torriani e Tassi, originaire de Bergame, a en effet construit sa fortune et acquis ses lettres de gloire et de noblesse en organisant le premier grand réseau de postes à travers les Pays-Bas, la Belgique, la France et l’Empire. Le succès de ce service postal, assuré par des centaines de coursiers à cheval, va toutefois engendrer –sur les pavés de la capitale belge– des nuisances sonores vite insupportables. Suite à un différend avec le Conseil de la ville, Francisco Tasso –fondateur de la dynas- tie– décide alors de transférer une partie de ses activités à Frankfurt et prend ainsi le nom de Franz von Tassis. Le nom «La Tour et Tassis» sera dorénavant employé dans les pays latins alors que «von Thurn und Taxis» sera utilisé dans les pays germaniques.
En 1895, l’écrivain George Eekhoud décrit ainsi «les plai- nes» peu avenantes et les pourtours défaits du lieu-dit et maudit: «Peu de régions faubouriennes sont aussi mal fa- mées que les plaines de "Tour-et-Taxis" s’étendant, au-delà du canal, derrière un quai bordé d’usines, de mornes dé- barcadères, de hangars à bois et de tas de briques où nui- tent et s’apostent les rôdeurs. En attendant qu’on l’assainis- se, c’est la zone essentiellement interlope, prédestinée aux écarts et aux méfaits, la steppe des libres vauriens et, cha- que jour, les faits divers des gazettes attestent le péril couru à la traverser. Point même n’est besoin, pour amorcer les mauvais garçons, de s’engager de l’autre côté de l’eau, dans ces prairies de gravats et de chardons. En deçà du canal, la flânerie vespérale n’est pas moins critique. Le long de la rive droite, l’Allée Verte aligne ses grands vieux ormes dont le feuillage sombre, déshonoré par la suie des chemi- nées et les fumerons des locomotives desservant une gare de marchandises, se reflète plus opaque et plus fuligineux encore dans ce ruban d’eau glauque et stagnante». Aide à la bourgeoisie industrieuse : en 1900, les autorités bruxelloises veulent inscrire l’importante acquisition dans le cadre du développement économique et commercial de la capitale. Le fameux Entrepôt royal est érigé entre 1904 et 1910 pour devenir la pièce maîtresse d’une vaste plateforme intermodale de marchandises (gare ferroviaire, voie d’eau, route) –centre de transit et de douane où la Société des Chemins de fer occupe plus de trois mille travailleurs ●●●
●●● Durant près d’un lustre, cette ambition va perdurer puis perdra pro- gressivement sa raison d’être avec l’ouverture des frontières européennes. A l’aube des années 90, les activités prennent fin, les pouvoirs publics s’en désintéressent avec pour conséquences : des bâtiments désaffectés et des terrains laissés à l'abandon. Dix ans après ce fiasco absolu, au tout début des années 2000, on n’est pas plus avancé : les édiles bruxellois n’ont aucun plan, aucune affectation particulière à proposer pour valoriser cette Ambition de cette triade : attirer une réserve foncière énorme, alors que la crise du logement (frappant surtout clientèle au standing affirmé –aiman- les milieux populaires) prend des proportions de plus en plus dramatiques. tée par des commerces de luxe, des Au contraire. Au lieu de réaménager l’ensemble et le reconvertir en espace Salons prestigieux et de l’habitat sé- verdural où serait privilégié du logement social fonctionnel, on a préféré lect. Pour concrétiser cette perspec- évoquer une sulfureuse «MusicCity» dotée d’un amphithéâtre de 12.000 tive, T&T Project entreprend aussitôt places (pour boboïstes dispendieux) ou la construction d’une Cité de la la rénovation de l’Entrepôt royal : dès Science et de la Connaissance (en fait, un espace free tax pour PME bran- 2008, l’édifice enluminé a trouvé une chées…). Foireux. quarantaine d’entreprises suffisam- MAINMISE. En décembre 2001, tout change : deux sociétés hollandaises ment nanties pour occuper ses 45.000 (Extensa et Royal Properties Group) ainsi que le groupe flamand IRET m² de bureaux et d’espaces commer- Development constituent une joint-venture opportuniste [désignée sous le ciaux haut de gamme. Gains garan- nom de «T&T Project»] afin d’acquérir les droits réels sur 30 hectares du tis : T&T Project se met à encaisser, site. Prix de la transaction : 50 millions d’euros (payés au Port de Bruxelles chaque année, le jackpot –avec des et à la SNCB). revenus locatifs de 6 millions d’euros…
Dans la même veine sont entièrement restaurés l’Hôtel de la Poste et ses divers lieux de travail. Après avoir abrité des guichets, puis des bureaux et même un club de nuit dans les années 1990, l’Hôtel de la Poste construit en 1904 retrouve ses beautés d’antan, sa délicate ornementation de style néo-classique, ses pilastres en acier, sa grande verrière… pour accueillir dorénavant sé- minaires, fêtes et spectacles ; et tous ceux qui sont prêts à y mettre le prix: 4.500 euros par jour (hors frais TVA, bien entendu) ●●●
●●● Autre investissement, détonant et énergéti- que ? La construction d’un «ouvrage» de 16.250 m² loué à Bruxelles Environnement (l’ex-IBGE), dès novembre 2014. Un exploit : avec sa struc- ture noire et bombée, couverte de panneaux photovoltaïques, ce projet d’écoconstruction aux grandes baies vitrées a été édifié juste à côté de l’Entrepôt Royal. Un véritable attentat esthétique. Comme d’habitude, c’est l’entreprise Van Laere qui en a été le maître d’ouvrage. Montant de l’annuité exigée auprès de l’heureux locataire : 3,6 millions d'euros à charge de Bruxelles Envi- ronnement, c’est-à-dire des contribuables. «Nous sommes particulièrement fiers de ce pro- jet car il nous permet de développer un concept de "communauté durable" [sic]», se sont félicités les promoteurs immobiliers.
D’autant qu’Extensa (la société mère) n’a pas hésité un instant : elle a trouvé acqué- reur et revendu immédiatement le bien, clé sur porte, à la compagnie liégeoise d’assu- rances Intégrale pour… 72 millions d'euros. «MÉANDRE». Pour Michel De Bièvre, le Di- recteur Général de T&T Project, tout ici est fantastique et vaut de l’or. C’est peu de le dire. En février 2015, le dirigeant –littérale- ment en transe– ne peut cacher son émo- tion. «Tour & Taxis continue son dévelop- pement avec un nouveau venu ; après "Bru- xelles Environnement", c’est l’administra- tion flamande qui s’installe sur le site. "Le Méandre" [sic], voilà un nom original pour un nouvel immeuble de bureaux développé par "T&T Project". Un bâtiment passif qui accueillera bientôt 2.600 fonctionnaires». Dessiné par le Bureau Neutelings Riedijk d’Anvers en collaboration avec Conix Rdbm Architecten, le gigantesque bâtiment au style nord-coréen occupera une surface de 46.000m², six étages et de multiples scéna- rios souterrains. Lieu d’implantation de ce mastodonte à la laideur étalée ? Juste de- vant Bruxelles Environnement. On ne pou- vait mieux faire… Les travaux de construction du «Méandre» [sic] étant planifiés de manière à être termi- nés en 2017, l’entreprise Van Laere met donc les bouchées doubles –n’hésitant pas à faire travailler la main-d’œuvre tant qu’ elle peut, y compris le samedi et durant les congés. Evidemment, côté budget, c’est déjà plié : le holding de la Région flamande ParticipatieMaatschappij voor Vlaanderen (PMv) est décidé à louer l’ensemble du bâti –rebaptisé «Herman Teirlinck»– pour une période fixe de 18 ans, au prix de base de 9 millions d’euros par an ●●●
JARDIN D’EDEN S’étendant sur 6 hectares le long de l’ancienne ligne 28 des chemins de fer, le parc –dont les travaux sont en cours depuis mars 2014– a été «imaginé» par le paysagiste Bas Smets. «L’histoire du site et la nature particulière du sol ont rendu indispensable une réalisation phasée, peut-on lire dans les nombreuses communications publicitaires éditées par Extensa. D’abord, tous les terrains de Tour & Taxis ont dû être mis à niveau. Le terrain en pente naturelle, de Molenbeek ACKERMANS & VAN HAAREN vers le canal, a été déblayé sur plus En 1850, Nicolaas van Haaren (considéré comme le fondateur d’A&v) suit les de 6 mètres de hauteur avec comme traces de son père, maçon : il entreprend, comme indépendant, des travaux conséquence, la disparition du sol nutritif. publics un peu partout aux Pays-Bas. Les liens familiaux très étroits unissant Pour aménager l’espace, doivent donc être Nicolaas van Haaren et son beau-frère Hendrik Willem Ackermans (qui relevés de nombreux défis : le sol peu deviendra également son gendre) joueront un rôle déterminant dans la ge- adapté, les terres argileuses de forte densité nèse de la société anonyme. et le bas niveau des eaux souterraines. Le développement de l’entreprise est évidemment défini par les circonstances Dans une première phase, il est prévu de économiques de l’époque : le milieu du 19ème siècle voit les débuts de planter une grande quantité de saules marsaults l’industrialisation et de l’urbanisation du pays. L’aménagement des sols, des (espèce d’arbres à croissance rapide). Ces arbres voies d’eau et des routes prend une importance cruciale. Le chapitre belge de joueront plusieurs rôles importants. Tout l’entreprise familiale commence, lui, dès 1888. Avec la construction de forts d’abord, ils amélioreront la qualité du sol grâce à sur la Meuse, l’aménagement du Ruppel, le dragage du bas-Escaut, la cons- leurs racines qui oxygèneront la terre et truction de digues. augmenteront ainsi la perméabilité, diminuant Après la Première guerre mondiale, A&v travaille aussi à l’extension du port le risque d’inondation. En automne, d’Anvers. Au fil du temps, la base de recrutement du personnel d’Ackermans la décomposition des feuilles augmentera & van Haaren se déplace d’ailleurs géographiquement : au début, la majorité la quantité de humus fournissant les substances des employés sont des Néerlandais, puis des ouvriers flamands. Loi du genre, nutritives nécessaires. Les saules assureront aussi les ambitions du groupe sont de plus en plus multinationales : Argentine, une fonction de structure puisqu’ils permettront Congo belge, Egypte, Ghana, Lybie… aux chênes, frênes ou tilleuls de pousser de façon Dans les années 60, A&v se structure en véritable holding : la volonté rectiligne. Enfin, ces arbres "guérisseurs" d’optimiser ses importants moyens financiers est la première préoccupation serviront d’écran, préservant de la vue les de ses dirigeants. Pour ce faire, A&v rentre en Bourse, jette son dévolu (en nombreux chantiers présents sur le site. Après 1992) sur le groupe anversois Delen (parce que «c’est un acteur de niche, en quelques années, les arbres temporaires seront forte croissance et très profitable») puis sur la Banque J. Van Breda & Cie (en coupés, le sol se sera naturellement amélioré déboursant 204 millions) afin de constituer le groupe bancaire Finaxis. et seuls les arbres définitifs resteront. Toujours Désormais, le groupe est actif dans cinq secteurs clés : «Marine Engineering durant cette phase, la partie du parc entre l’avenue & Infrastructure» (à travers DEME, la filiale d’Ackermans & van Haaren, du Port et la Gare Maritime sera aménagée en une l’une des plus grandes entreprises de dragage au monde) ; le «Private Ban- plantation plus urbaine, au milieu des bâtiments king» (comme gestionnaire de grandes fortunes) ; la réalisation de projets et historiques et des bureaux. le leasing immobiliers ; le créneau des ressources énergétiques ; et le «Deve- En formant des alignements droits, les arbres lopment Capital» (par investissement dans des achats purement spéculatifs). créeront une structure claire guidant les visiteurs Exemple-type : GIB. «En 2002, une OPA a permis à A&v et à la CNP d’Albert vers le parc et l’entrée principale de la Gare Frère d’acquérir ensemble GIB, à raison de 50% chacun, pour 1,2 milliard Maritime. La deuxième phase permettra de réaliser d’euros. Quatre ans plus tard, Ackermans & van Haaren et La Compagnie l’objectif de T&T Project: créer un parc de style Nationale à Portefeuille ont chacun touché 211 millions en liquide et une plus- anglais. Une variété d’arbres indigènes groupés value de 150 millions sur la vente des restaurants Quick à la compagnie fran- autour d’une vallée et de l’eau donneront çaise CDC» [sic]… cette impression…». Pour Luc Bertrand, le patron d’Ackermans & van Haaren, la firme a une Evidemment, ce tableau idyllique a seule mission, qui est sa raison d’être : «Créer de la valeur pour l'actionnaire une fonction vénale : attirer une clientèle en investissant à long terme dans un nombre limité de participations stratégi- argentée susceptible d’y établir domicile. ques avec un potentiel de croissance internationale».
Le Baron Luc BERTRAND Le Baron Luc Bertrand a exercé la fonction extrêmement bien rémunérée de Président du Comité exécutif d’Ackermans & van Haaren jusqu’en mars de cette année. A cette date, il «présidait» toujours de nombreux autres Conseils d’administration (DEME, Dredging International, Finaxis, Sofinim, Atenor Group...) –assumant, en dehors du groupe, des mandats d’administrateur chez Schroeders et ING Belgium. Avis aux nombreux Belges, qui manifestement l'ignoraient : ils auront été dirigés, pour leur malheur, par un gouvernement «marxiste». En 2012, telle était le genre d’allégations assénées par le baron du Bel20. Un an plus tard, il réitérait la même accusation contre, cette fois, les partis de gauche qui «tentent d’installer un État qui ne sera pas bien géré et qui fera disparaître la croissance». Pour réfréner la crise qui touche le pays, le grand patron flamand (aux salaires magnifiquement cumulés) avait cependant rendue publique une solution de bon sens : que tous les autres citoyens travaillent une demi-heure de plus, à salaire inchangé. Bosser 40 heures payées 37,5 «vous trouvez cela radical ? Moi pas». Dans une interview à Trends Tendances, Luc Bertrand l’avouait, sans fausses pudeur : «Je n’ai jamais été aussi inquiet qu’aujourd’hui. Il faut que chacun se rende compte qu’il va falloir travailler plus dur si nous voulons conserver notre niveau de vie actuel. On doit faire quelque chose. Travailler une demi-heure de plus ne fera de mal à personne». ●●● D’ailleurs, pour le Président du Conseil d’administration d’Acker- mans & van Haaren –le baron Luc Bertrand–, les perspectives sont tout simplement impressionnantes. «Nous avons très vite compris l’énorme potentiel de Tour & Taxis. La rénovation de "l’Entrepôt royal" et des "Magasins" a été un grand succès. Magnifique. Une très belle réussite. De futurs développements résidentiels sont prévus entre le parc et le bâtiment de "Bruxelles Environnement". D’autres projets sont dans les cartons à plus long terme. Pourquoi, par exemple, ne pas faire de Tour & Taxis un centre d’art. Nous possédons d’ailleurs encore du terrain pour construire un petit "Guggenheim"…». «D’ici cinq ans, la zone pourrait connaître un visage complètement dif- férent, confie Yves Goldstein, chef de Cabinet du ministre-Président Rudi Vervoort (PS). Et réconcilier les Bruxellois avec le canal». Bien sûr, bien sûr : autorités publiques et société propriétaire des lieux sont d’accord sur l’essentiel. Il est inenvisageable qu’une partie –fût-elle mi- nimaliste– des 370.000 de m² de main mise «privée» soit réservée à du logement social. Il n’en est pas question : cela ne ferait pas «classe» Jean FLINKER
le site d’Optima, on pouvait toujours découvrir –à la date du 15 juin– «le dernier mot» du Président Piqueur : «Nous agissons avec un succès grandissant : nous venons d’être élus ″Ambas- sadeurs″ de la Région par le magazine économique "Trends Tendance". Nous le devons parce que nous sommes "la grande entreprise de Flandre orientale à la croissance la plus rapide" – malgré la crise». Le mercredi 15 juin 2016 à 11 heures 15 en tous cas, le tribunal du commerce de Gand prend acte, prononce l’oraison funèbre d’Optima Bank et en désigne la curatelle : «Il s'agit d'un collège de curateurs qui disposent d'une expérience académique en faillites», tient à préciser le Président du tribunal. C’est «unique en Belgique, rétorque le personnel furieux. Le 6 juin, on évoque une entreprise saine et 8 jours plus tard, on dépose le bilan»… Mais les faits sont là, têtus : la Banque Nationale de Belgi- que avait dû retirer en catastrophe sa licence à la banque fla- mande, tant les actes relevant du pénal s’accumulaient à l’en- droit de Jeroen Piqueur –fondateur, actionnaire, Président du Conseil d’administration d’Optima et agent immobilier agréé. UN MODÈLE PERVERS. Depuis lors, il est difficile de dire ce qu’il adviendra des deux autres pôles d’Optima : l’assurance, dont la FSMA (l’Autorité de contrôle) a suspendu l’inscription comme courtier ; et l’immobilier dont on a finalement assez peu parlé. «Or, c’est bien l’immobilier qui est à l’origine de la croissance et de la fortune d’Optima», commente un observateur préférant – comme d’autres agents du secteur– garder l’anonymat.
Un pôle qui, en parallèle, a soutenu bon nombre de ses développeurs : Allfin, Besix, Bouygues, Eaglestone, Ghelamco… «Car on ne parle pas de centaines d’appartements, mais de milliers : entre 3.000 et 4.000 !». La force d’Optima Global Estate ? «Vendre non pas de l’immobilier mais une analyse patrimo- niale et successorale dans laquelle il y a très souvent de l’immobilier. La ma- jorité des acheteurs n’ont même jamais vu le bien qu’ils ont acquis». Le mo- dèle appliqué par Optima Global Estate à ses clients? «Simple, génial». Le bras immobilier d’Optima cède à la pièce des projets de plusieurs dizaines d’appartements sur lesquels il s’est engagé en bloc –moralement ou sur base d’options croisées cessibles. «Optima n’achète rien, ne paye ni taxes, ni frais. Il est intermédiaire entre un promoteur et un acheteur. Et il va très vite». Mieux, il assortit la vente d’un service complet de gestion locative (recherche d’un locataire, état des lieux d’entrée…) dont il se charge. «Un magnifique travail d’agent de placement qui lui rapporte cinq à sept fois la commission normale d’un courtier immobilier. Comme il s’engage sur une promotion en bloc, il peut négocier avec le pro- moteur des ristournes de 5 à 10% de la valeur totale. Et étant donné que c’est un rendement qu’il promet et un loyer qu’il assure, voire garantit, il se permet de vendre 10 à… 20% plus cher que le prix du marché». Il n’empêche, tous les appartements ne sont pas loués : «Soit que le calcul du rendement est trop optimiste –sur base d’un prix d’acquisition surévalué, au- cun locataire n’est prêt à payer les loyers demandés ; soit que les apparte- ments mis sur le marché sont trop nombreux pour être tous loués rapide- ment» ●●● Erwin DERNICOURT le Procureur général du Parquet de Gand en charge de l’afffaire
Jeroen PIQUEUR en grande conversation avec le comte Léopold LIPPENS, bourgmestre de Knokke ●●● Il n’est évidemment pas convenable de se réjouir du malheur des autres. Mais la décon- fiture du groupe Optima est révélatrice de la mentalité de «cow-boy» dont ses dirigeants ont pu profiter durant 25 ans. Comment en est- on arrivé là ? ESQUIMAU. Jeroen Piqueur était un vendeur hors pair qui séduisait les classes nouvellement en- richies mais délaissées par les banquiers privés traditionnels. «Il savait convaincre et il aurait vendu un frigo à un Esquimau», nous confie une source bien informée. Il est vrai que la mécanique était bien rodée. Un call center balayait les régions du pays de façon systématique. «Ils appelaient, par exem- ple, tous les médecins de Roulers ou tous les riches bouchers de la région de Courtrai. La clientèle ciblée était surtout les nouveaux ri- ches qui ne s’y connaissaient pas bien en fi- nance. Il fallait aussi qu’ils aient des sommes suffisantes en liquidités pour pouvoir investir dans des projets immobiliers dans lesquels le groupe avait des intérêts». Une fois la proie ferrée, un représentant arrive chez le client po- tentiel. BMW rutilante, costume brillant, cheveux gominés et montre clinquante, tout l’attirail bling- bling est étalé pour impressionner le client –lui- même nouveau riche. «Lorsqu’il s’installe à Waterloo, Jeroen Piqueur tient à avoir son adresse sur la prestigieuse Drève de Richelle auprès de sociétés aux noms connus. Rolls-Royce, yacht, promotion du tournoi de tennis des vétérans au Zoute, sponsoring du joueur de tennis David Goffin, voyages luxueux pour les membres du person- nel, le train de vie n’était plus soutenable et il y aurait eu confusion entre les frais personnels et les frais de la société», entend-on dans les milieux proches de l’affaire.
Pour rappel, le Parquet de Gand a été saisi au pénal. Des personna- li- tés influentes étaient systématiquement invitées dans les organes de décision permettant à Jeroen Piqueur d’actionner ces contacts dans les milieux socialistes et libéraux de la classe politique flamande. VDB, LE RETOUR. Actionnaire principal du groupe, le boulimique Jeroen Piqueur est accusé, depuis le prononcé de la faillite, de s’être un peu trop servi dans les caisses de sa banque. Pire, il est suspecté d’avoir aidé de nombreux clients à blanchir de l’argent. À partir de ce moment- là, tous les amis gantois de Piqueur deviennent suspects. À commencer par les camarades politiques qu’il a fait rentrer dans Op- tima. Un premier nom sort du lot : celui de Luc Van den Bossche (68 ans). Luc VdB est l’ancien ministre SP.A de la Fonction publique. Cer- tes, il a quitté le Socialistische Partij Anders en 2003. Mais l’étiquette reste. Puis sa fille, Freya, est toujours députée et active au sein du parti. À l’heure actuelle, aucun élément ne permet d’affirmer que Luc Van den Bossche a fauté dans le dossier Optima. Il est bien trop malin pour ça. Mais vu les fonctions qu’il a occupées au sein du groupe, il est suscep- tible de savoir ce qui s’y est réellement tramé. VdB a été nommé admi- nistrateur de la société en 2008. Puis il est devenu CEO de la banque en 2011. Evidemment, l’ancien ténor socialiste s’est défendu de toute irrégularité à l’époque où il sié- geait au Comité de direction de la banque jusqu’en janvier 2015. Au sujet de ses émoluments, il affirme avoir reçu la même rémunération que les autres membres du Comité de direction. Toutefois, des sources bien informées mettent en cause ces déclara- tions. Luc Van den Bossche –qui est passé, début 2015, d'Optima Bank vers la branche immobilière Optima Global Estate (dont il est de- venu le Président du Conseil d'administration)– a été gratifié d’une in- demnité de départ d'un an… alors qu’il s'agissait là d'un transfert en in- terne. «Je trouve cela fair play», a réagi Luc VdB qui affirme ne pas avoir demandé cette indemnité, mais l'avoir reçue ●●●
●●● Mais la presse flamande s’est fait une joie de dénicher les casseroles trimballées par d’autres socialistes impliqués dans le dossier. À commencer par John Crombez, leur actuel Président. En 2013, lorsqu’il était Secrétaire d’Etat à «la lutte contre la fraude fiscale», Crombez avait rendu une visite de courtoisie à Optima, se laissant interviewer pour le magazine de la banque. Le «hic», c’est que l’Inspection spéciale des impôts de Gand était passée dans cette même banque quelques mois plus tôt dans le cadre d’une enquête fiscale. Autre pointure dans «le rouge» : Daniël Termont, le bourgmestre de Gand. On lui reproche surtout une communication boiteuse à propos de ses relations avec Piqueur. Termont a d’abord affirmé qu’il n’avait aucun lien avec Optima Bank. Jusqu’à ce que la presse publie le discours qu’il avait prononcé au mariage de Jeroen, son «bon ami». Explication : la ville de Gand avait déjà conclu, à l’époque, plusieurs marchés immobiliers importants avec le groupe Optima. Autre élément accablant : Piqueur et Termont s’étaient retrouvés sur un bateau à Cannes en 2005. Dans un premier temps, le mayeur gantois a bien essayé de nier. Dans une interview à De Morgen, il avait fait consigner : «Vous pouvez écrire que je ne suis jamais allé sur le yacht de Piqueur». Jusqu'au moment où le bourgmestre –et, avec lui, la moitié du Collège échevinal– avait été confondu par des photos compromettantes. Dans le cadre de la Bourse cannoise de l'im- mobilier, Piqueur avait loué l'Alter Ego, un yacht de luxe valant la bagatelle d’un million d'euros –avec jacuzzi sur le pont et le chef étoile Roger Souvereyns aux fourneaux ; 600 euros le couvert ! «LA MAISON NOIRE». A vrai dire, la collaboration entre la ville de Gand et Jeroen Piqueur s’approfondissait de jour en jour, alors que sa qualité d’escroc était de notoriété publique. Déjà dans les années 80, Piqueur avait attiré –via son fonds de placement Ascona– des investisseurs crédules dans des affaires immobilières texanes qui s’avérèrent sans valeur, pendant que lui-même s'enrichissait grâce à des commissions exorbitantes. Sans vergogne. Daniël TERMONT
Et illégalement. Pourtant Piqueur n'a jamais été jugé et les faits délictueux ont été pas- sés à l’as, considérés comme prescrits. Or dans les milieux de l’investissement, Optima avait la réputation d'être «la maison noire» de Belgique, en raison des circuits lu- xembourgeois frauduleux que Piqueur avait mis en place. Via des investissements de la branche 23, libre d’impôts, des millions d’eu- ros –certains disent 6 milliards– d'argent sale avaient été insolemment blanchis. En 2012, lorsque l'Inspection spéciale des impôts fera une descente chez Optima, l’ administration gantoise ne réagira pas : Luc Van den Bossche était alors devenu CEO de la société. Daniël Termont a cependant été obligé de confirmer, le 25 juin 2016 dans De Tijd : «Il y a un an et demi, j'ai dîné dans les bureaux d'Optima en compagnie de Luc Van den Bossche et de Jeroen Pi- queur. Ça se passe ainsi quand on discute affaires». Elu «deuxième meilleur bourgmestre du monde» en 2015 –parce que ses valeurs morales avaient toujours été citées en exemple–, Termont passait jusqu’au 15 juin dernier pour «un sage», «un bon père de famille», «un courageux», «un visionnaire», bref : «un mec bien». Depuis lors, il a été sommé de passer devant une Commission de déontologie, créée tout exprès. Entendu par 19 Conseillers communaux et une tren- taine d’administrés gantois le 29 août der- nier, le bourgmestre a tenté de se justifier. «J’étais convaincu alors [le 24 juin dernier, NDLR] que j’avais commis deux possibles imprudences. En 2004 et 2005, je suis allé au Salon immobilier de Cannes dans un a- vion affrété par Jérôme Piqueur. Et le 15 et 16 novembre, je me suis rendu à Londres, avec lui, pour un congrès sur le futur des stades de football. Et je lui ai même dit alors : "Jeroen, envoie la facture", mais je ne l’ai plus demandée par la suite». Lundi 29 août, Daniël Termont a certes pro- duit la preuve de paiement du vol vers Can- nes. Mais pas celle pour le trajet «Gand- Londres-Gand» ●●●
●●● Termont présent aux funérailles de la première femme de Piqueur, à son mariage avec sa deuxième femme, et celui de son fils ? «J’ai manqué celui de sa fille, a-t-il commenté. Mais ces contacts sont-ils anormaux ? Je n’ai ja- mais dit que je ne connaissais pas Je- roen Piqueur. Et c’est logique que l’on apprenne à mieux connaître quelqu’un quand on travaille ensemble sur un dossier. C’est logique alors qu’on aille parfois ensemble au football ou man- ger», a plaidé le bourgmestre. LIBÉRAL. Celui qui aujourd’hui se tait dans toutes les langues, c’est Mathias De Clercq, le candidat bourgmestre de l'Open VLD. Le wonder boy libéral a de bonnes raisons de se taire. Mathias est le fils de Yannick De Clercq, le parrain politique de la coalition violette à Gand. C'est Yannick De Clercq qui, en tant que Commissaire du gouvernement, avait donné son feu vert pour un prêt de 10 millions d'eu- ros à Optima, à un taux rabaissé... des plus suspects. La banque Optima était déjà à l'époque au bord de la faillite et Piqueur avait alors d'urgence besoin d'argent. Heureusement, à la dernière minute, la Banque Nationale opposera son veto, et l'affaire ne se fera pas. Geert Versnick est un autre de ces politiciens versatiles très présents dans le scandale «Optima» et plein d'autres merdiers gantois. Ce libéral notoire fut long- temps échevin de la ville de Gand et occupe aujourd'hui le poste de député provincial. Versnick est un politicien cumulard tout terrain. Jusqu’au 24 juin, il combi- nait des mandats dans la politique et dans le Conseil d’admi- nistration de la holding qui chapeaute la banque Optima. Un député provincial, supposé représenter l'intérêt commun, qui siège – dans le même temps– au Conseil d'administration d'une banque...? Evidemment, il faut y voir malice. Geert VERSNICK
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