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Burundi
Vers une alternance dans la continuité ?

 Le 20 mai 2020, les Burundais éliront leur prochain chef d’État et leurs futurs députés et
 conseillers communaux. Comment expliquer le revirement du président Nkurunziza dans sa
 quête à sa propre succession ? Quels sont les risques et les enjeux de ces élections ?
 Au-delà de ces questions, ce rapport tente de décrypter le profil du nouveau pouvoir, les
 luttes d’influence qui en résulteraient et leurs conséquences éventuelles sur les futures
 orientations du Burundi en termes de gouvernance.

                                                              RAPPORT SUR L’AFRIQUE CENTRALE 16 | AVRIL 2020
Principales conclusions
           	
            Le caractère potentiellement ouvert des               la page d’une gouvernance chaotique aux
            élections présidentielles et l’incertitude quant      conséquences pénibles pour la population.
            à leur issue risque d’amplifier les tentatives
                                                                	
                                                                 Le futur chef de l’État devra se défaire
            de manipulation du processus électoral et,
                                                                 de la double tutelle de son encombrant
            partant, de favoriser l’émergence d’une
                                                                 prédécesseur et d’un cercle de généraux
            nouvelle crise.
                                                                 puissants pour entreprendre les réformes
           	
            L’alternance au sommet de l’État constitue           nécessaires et améliorer les conditions de vie
            une opportunité pour le Burundi de tourner           des Burundais.

         Recommandations
           	La Commission électorale nationale                 	Les missions d’observation électorale nationale
             indépendante devrait favoriser le déploiement        crédibles devraient conjuguer leurs actions
             rapide et sans entraves des mandataires              pour se déployer largement sur le terrain et
             politiques pour l’observation et la surveillance     rendre compte de leurs conclusions de manière
             de l’ensemble des opérations de vote.                indépendante et coordonnée.

           	Les institutions de supervision et de contrôle     	L’Union africaine et la Communauté de
             des élections devraient garantir un minimum          l’Afrique de l’Est devraient mettre la pression
             d’intégrité du processus électoral en vue            sur les autorités et les institutions de contrôle
             d’éviter au Burundi une nouvelle crise.              des élections en vue de promouvoir un
                                                                  processus électoral crédible et éventuellement
           	Les médias et les leaders de la société civile
                                                                  les menacer de sanctions ciblées en cas de
             qui sont encore crédibles devraient rendre
                                                                  manipulations électorales manifestes.
             compte des enjeux et du déroulement des
             élections, et relever ses réussites et ses         	Les acteurs internationaux devraient exploiter
             échecs afin d’amener les autorités et les            les opportunités qu’offre l’alternance au
             mécanismes de supervision à améliorer le             sommet de l’État pour promouvoir un
             processus électoral.                                 changement de gouvernance au Burundi.

2   BURUNDI : VERS UNE ALTERNANCE DANS LA CONTINUITÉ ?
Introduction
Sauf report dicté par la pandémie du COVID-19, les Burundais seront appelés
à se prononcer sur leurs futures institutions pour la quatrième fois depuis la
fin de la guerre civile (1993-2003), les élections présidentielle, législatives et
communales étant organisées le même jour, le 20 mai 2020. Ces scrutins
interviennent dans un pays toujours marqué par la crise de 2015, consécutive
à la volonté du chef de l’État, Nkurunziza, de briguer un troisième mandat,
contraire à l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation de 2000. Depuis
lors, le Burundi connaît une dérive répressive notamment caractérisée par
de graves régressions en matière de libertés et de démocratie, conjuguées à
des violations massives des droits humains, si bien que le Burundi est sous
enquête de la Cour pénale internationale.

Ce nouveau processus électoral est conduit dans un espace politique
verrouillé où seul le parti hégémonique, le Conseil national pour la défense de
la démocratie – Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), occupe
le terrain sans limitation. Or, contrairement aux élections présidentielles de
2010 et 2015, toutes deux boycottées par l’opposition, plusieurs opposants
participeront à ce scrutin, y compris Agathon Rwasa, président du Congrès
national pour la liberté (CNL), seule force politique capable de rivaliser avec le
CNDD-FDD. En outre, à la surprise générale, le président Nkurunziza, après
avoir imposé en 2018 une nouvelle constitution, a renoncé à un quatrième
mandat, ouvrant la voie à une alternance au sommet de l’État.

   Le Burundi connaît une dérive répressive
   caractérisée par de graves régressions en matière
   de libertés et de démocratie

En effet, le 26 janvier 2020, le CNDD-FDD, lors de son congrès national,
a désigné son secrétaire général Evariste Ndayishimiye comme candidat
du parti à la présidentielle. Si cette nouvelle donne aurait pu permettre
de décrisper le climat politique et faciliter la transparence du scrutin, la
radicalisation du pouvoir et la brutalité de la répression exercée contre les
opposants et les voix dissidentes augurent l’inverse. De plus, les processus
électoraux au Burundi ont présagé jusque-là de nouvelles crises, seules
les élections de 2005 ayant été inclusives et crédibles et unanimement
acceptées par la classe politique. Le caractère potentiellement ouvert de ces
élections et donc l’incertitude de leur issue pourraient amplifier les risques de
leur manipulation et d’une nouvelle crise.

Le présent rapport porte sur les enjeux de ces élections. Il s’articule autour
de cinq parties. La première s’appesantit sur la volte-face du chef de l’État
dans sa quête à sa propre succession et les principaux évènements qui ont            20 MAI 2020
conduit à la configuration actuelle des acteurs politiques en compétition. La             ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLE,
seconde passe en revue les principales forces en lice. La troisième partie                LÉGISLATIVES, COMMUNALES
examine le contexte politique et sécuritaire, le cadre légal et réglementaire de

                                                                               RAPPORT SUR L’AFRIQUE CENTRALE 16 | AVRIL 2020   3
ces élections et les scénarios possibles ; elle consacre     et les atermoiements de la communauté internationale
    une section aux acteurs internationaux. La partie qui        et les divisions de l’EAC sur la crise burundaise ainsi
    suit établit un état des lieux du Burundi et, partant, un    que par les reculs dans des pays de la région liés aux
    panorama des multiples défis qui attendent les futures       réformes constitutionnelles1. Mais il a atteint également
    institutions. La cinquième partie se penche sur le profil    un autre objectif : si l’alibi du dialogue intérieur n’avait
    que pourrait prendre le nouveau pouvoir, les luttes          pas échappé aux observateurs, en revanche très peu
    d’influence qui en résulteraient et leurs conséquences       d’entre eux avaient anticipé l’une de ses fins ultimes. En
    éventuelles sur les orientations futures du Burundi en       effet, ce dialogue a abouti à une réforme constitutionnelle
    termes de gouvernance.                                       supposée remettre le compteur des mandats
                                                                 présidentiels à zéro et permettre au chef de l’État de
    Nkurunziza mis en échec                                      se maintenir au pouvoir selon ses commanditaires,
    Une nouvelle constitution taillée sur mesure                 hypothèse pourtant discutable2.

    Les élections manquées de 2015, échec provoqué par           Le président de la République s’est personnellement
    la volonté du président sortant de briguer un troisième      impliqué tout au long du processus de cette réforme
    mandat, ont déclenché une crise qui a poussé la              constitutionnelle au point d’en dicter chaque étape et
    communauté internationale à exercer de fortes pressions      d’esquiver l’approbation obligée du nouveau texte par
    sur le régime pour l’ouverture d’un dialogue inclusif sous   le Parlement qu’il jugeait trop risquée3. En outre, au-
    l’égide de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC)         delà de l’extension de la durée du mandat présidentiel
    en vue de trouver une solution consensuelle à l’impasse      et de la possibilité qui serait offerte à Nkurunziza d’en
    politique burundaise. Soucieux de desserrer l’étau de        briguer deux autres supplémentaires d’affilée, plusieurs
    ces pressions, le pouvoir burundais y a répondu fin 2015     des innovations apportées à la nouvelle loi fondamentale
    en organisant un dialogue national.                          portent visiblement la griffe du chef de l’État4. La
                                                                 nouvelle Constitution a été adoptée lors d’un référendum
                                                                 organisé en mai 2018 dans un climat d’intimidation et de
       La nouvelle Constitution a été adoptée
                                                                 répression5. Lors du discours qu’il a prononcé le 7 juin
       lors d’un référendum dans un climat                       suivant à l’occasion de la promulgation du texte, le chef
       d’intimidation et de répression                           de l’État, à la stupéfaction générale, a annoncé qu’il ne
                                                                 se porterait pas candidat à un quatrième mandat.
    Officiellement ouvert à toutes les forces politiques et      Un quatrième mandat qui ne passe pas
    composantes de la nation, à l’exception des présumés
                                                                 En 2015, la volonté du chef de l’État de briguer un
    putschistes et des personnes poursuivies par la justice,
                                                                 troisième mandat et le passage en force qui avait
    il en a exclu la plupart des opposants et figures de la
                                                                 suivi avaient également suscité une forte contestation
    société civile. Cette manœuvre visait à couper l’herbe
                                                                 intérieure dans le CNDD-FDD, provoquant même une
    sous les pieds des partisans du processus préconisé par
                                                                 crise interne. Cette dernière n’avait pu être maîtrisée
    les acteurs internationaux. Sans surprise, la composition
                                                                 qu’en employant la manière forte, en purgeant le parti
    de la commission chargée du dialogue, les thèmes,
                                                                 de tous les frondeurs et donc d’une bonne partie de ses
    les participants et les conclusions de ces assises ont
                                                                 cadres modérés. Ce qui a conduit à une tentative de
    répondu clairement à une commande du pouvoir qui a
                                                                 putsch dirigée partiellement par d’anciens compagnons
    contrôlé les développements de bout en bout.
                                                                 d’armes du président du temps du maquis. Déjà
    Le régime burundais est parvenu à réduire sensiblement       fin 2014, Nkurunziza avait été soumis à de fortes
    les pressions en maintenant notamment une position           pressions d’un groupe important de généraux qui
    intransigeante sur les conditions de sa participation au     exigeaient qu’il mette un terme à la toute-puissance du
    dialogue extérieur et vis-à-vis des diverses demandes        duo Adolphe Nshimirimana et Alain Guillaume Bunyoni,
    des organisations internationales impliquées dans ce         respectivement directeur général du Service national de
    processus. Il y a été encouragé par les incohérences         renseignement (SNR) et chef de cabinet civil du président.

4   BURUNDI : VERS UNE ALTERNANCE DANS LA CONTINUITÉ ?
Ils seraient, selon ce groupe, responsables d’agissements         justifier, Nkurunziza entend contrôler le processus de sa
qui terniraient l’image du pays6. Pour ne pas s’aliéner une       succession pour placer un de ses fidèles. De l’avis de
bonne partie des responsables des forces de sécurité, le          diverses personnalités qui l’ont côtoyé, le chef de l’État
chef de l’État s’était rapidement exécuté en les affectant        est extrêmement soupçonneux et se méfie même de
à des postes de moindre envergure7. Il s’est par la suite         ses plus proches collaborateurs. Pour avoir plusieurs
employé à gagner la faveur de plusieurs des généraux du           fois subi — et subir encore — de leur part déceptions,
groupe en leur octroyant des postes convoités et/ou des           coups fourrés et trahisons, il est devenu si suspicieux
avantages. Plusieurs de ceux qui s’étaient montrés très           à leur égard qu’il ne se déplace plus hors du pays
critiques en privé envers la perspective de son troisième         depuis la tentative de coup d’État de 201510. De plus,
mandat, se sont rangés progressivement derrière le                conscient des crimes qui pourraient le poursuivre11,
chef de l’État et son projet et ont même participé à la           Nkurunziza a besoin de solides garanties de protection
répression qui a suivi.                                           contre la justice internationale et celle de son pays.
                                                                  Ainsi, selon toute vraisemblance, le chef de l’État a tenté
Lors de son investiture en 2015, pour tempérer les
                                                                  de jouer la carte de son épouse, Denise Nkurunziza,
pressions et les contestations, le président s’était
                                                                  pour lui succéder avant de faire marche arrière devant
publiquement engagé à ce que ce troisième mandat
                                                                  les protestations.
soit le dernier. En 2018, ayant manifesté la volonté de
se maintenir de nouveau au pouvoir, Nkurunziza s’est
retrouvé pour la deuxième fois confronté à la fronde de              Nkurunziza entend contrôler le
ses généraux. Ces derniers l’ont ainsi poussé à passer               processus de sa succession pour
la main et à respecter la rotation régionale au pouvoir qui
                                                                     placer un de ses fidèles
aurait fait l’objet d’un accord tacite à l’arrivée aux affaires
du CNDD-FDD. A ces fortes pressions intérieures se
seraient ajoutées celles de la sous-région qui a été mise         Après avoir caressé d’autres scénarios, de guerre
devant le fait accompli de la réforme constitutionnelle8.         lasse, il se serait finalement rabattu sur la personne de
                                                                  Pascal Nyabenda, président de l’Assemblée nationale,
Enfin, certaines sources suggèrent que les véritables
                                                                  candidature notamment portée par la région Ouest du
résultats du referendum constitutionnel auraient pu influer
                                                                  Burundi, qui se prévaut d’avoir payé le prix fort lors
la décision du chef de l’État. Celui-ci aurait demandé et
                                                                  de la lutte de « libération »12. L’intéressé, un civil sans
obtenu les résultats réels du vote. Or, contrairement au
                                                                  passé militaire, présente l’avantage d’être perçu comme
raz de marée annoncé officiellement par la Commission
                                                                  malléable et craintif et de ne pas pouvoir se prévaloir de
électorale nationale indépendante (CENI), cette
                                                                  la légitimité du maquis. Bref, une personnalité plus encline
consultation populaire, perçue comme un plébiscite en
                                                                  à se soumettre à l’influence d’un Nkurunziza une fois
faveur du chef de l’État, aurait abouti à des résultats
                                                                  celui-ci retiré du pouvoir.
beaucoup plus contrastés, le non l’emportant dans
plusieurs provinces en dépit de la répression contre ses          Cependant, un noyau de généraux, constitué de hauts
partisans9. La conjonction de tous ces facteurs aurait            responsables, entend imposer de son côté un frère
donc eu raison du chef de l’État. Il ne s’est pas avoué           d’armes passé par le maquis. Le secrétaire général du
vaincu pour autant et a utilisé divers stratagèmes pour           parti, Evariste Ndayishimiye, bénéficie de ce point de
tenter de reprendre les choses en main.                           vue de la double légitimité de connaître les rouages du
                                                                  parti et d’être un ancien de la rébellion où il a d’ailleurs
La bataille souterraine entre Nkurunziza et                       progressivement gravi les échelons. Nkurunziza aurait
ses généraux
                                                                  implicitement fait miroiter à ce dernier la perspective
Les mois qui suivront seront marqués par des luttes               d’être choisi tout en donnant des assurances similaires
d’influence au sein du pouvoir et surtout par une                 à Nyabenda. Finalement, devant les fortes pressions des
bataille souterraine entre le président et plusieurs de           généraux à l’approche du congrès du parti, il s’est vu
ses généraux. En effet, à défaut de pouvoir tenter                dans l’impossibilité de tirer les ficelles comme il l’aurait
un nouveau revirement aussi périlleux que difficile à             voulu et s’est résolu à abandonner son projet.

                                                                                RAPPORT SUR L’AFRIQUE CENTRALE 16 | AVRIL 2020   5
Les forces politiques en lice                              Le CNDD-FDD : un parti prisonnier des
                                                               survivances du maquis
    Le troisième mandat du CNDD-FDD aux commandes
    du Burundi (2015-2020) s’est accompagné de                 Le parti au pouvoir tente de cultiver l’image d’une
    divers reculs qui n’ont pas été sans conséquences          formation politique en osmose avec la population. Ainsi,
    sur le paysage politique. Le pouvoir a eu raison des       lors de ses premières années de pouvoir, la proximité
    velléités guerrières de petits groupes rebelles et de      recherchée par le nouveau régime avec les masses
    l’opposition dans son ensemble contre laquelle il a        rurales et certaines mesures populaires semblaient
    obtenu victoire dans une bataille d’usure diplomatique     marquer une volonté de rupture avec les gouvernements
    et politique. Finalement, l’opposition est devenue         passés, fortement centralisés à Bujumbura. L’ancienne
    plus fragile et morcelée qu’en 2015 où la création en      rébellion peine cependant à se défaire de certaines
    exil du Conseil national pour le respect de l’accord       habitudes héritées du maquis : culture du secret,
    d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi      obsession du complot, recours à la force et l’intimidation
    et l’état de droit (CNARED) avait fait naître dans         au détriment du dialogue et du compromis, pratique de la
    les rangs de l’opposition de nombreux espoirs. Le          bastonnade des récalcitrants, etc. Il est vrai qu’en dépit
    rétrécissement de l’espace politique, les nombreuses       de sa transformation en parti politique en 2004, le CNDD-
    restrictions imposées à l’opposition intérieure et la      FDD reste soumis à l’influence d’un groupe de généraux
    répression qu’elle subit ont entraîné une certaine forme   perpétuant ainsi une certaine militarisation du parti. Ces
    de résignation chez une bonne partie de ceux qui           officiers dénommés « abarugwanye » (« ceux qui se sont
    la composent.                                              battus »), dont l’appartenance à tout parti politique leur
                                                               est légalement interdite, s’immiscent régulièrement dans
    A l’inverse, le CNDD-FDD a conforté sa mainmise sur
                                                               la gestion du parti et des affaires publiques sous couvert
    toutes les institutions et a même étendu son contrôle
                                                               du sang versé pour libérer le pays. Leur appellation
    à plusieurs secteurs-clefs de l’économie burundaise,
                                                               « benemugambwe » (« les propriétaires du parti ») à
    longtemps monopolisés par des groupes étrangers
                                                               l’opposé des banyamugambwe (« les membres du parti »)
    et les anciennes élites tutsi. Il s’est considérablement
                                                               est révélatrice de cette propension à l’instrumentalisation
    enrichi. Son omnipotence l’a transformé quasiment en
                                                               du parti.
    parti-État. Le CNDD-FDD défie l’État dans ses diverses
    prérogatives régaliennes, de nombreuses affaires
    illustrant la soumission de certaines institutions aux       L’ancienne rébellion peine à se
    directives de cercles occultes au sein du parti13.           défaire de certaines habitudes
    Mais l’omnipotence du CNDD-FDD ne doit pas pour
                                                                 héritées du maquis
    autant leurrer.

    La crise a eu de graves répercussions
                                                               Ces interférences seraient justifiées par la nécessité
    socioéconomiques dont le Burundi ne s’est toujours
                                                               de servir les intérêts du parti et de la majorité ethnique
    pas relevé. En effet, les Burundais ont vu leurs
                                                               contre les velléités de sabotage ou de renversement
    conditions de vie se dégrader et beaucoup d’entre
                                                               de la volonté populaire par d’autres forces politiques
    eux continuent d’être l’objet de toutes sortes de
                                                               ou des projets revanchards, insinuation qui désigne les
    contributions forcées quand ils ne sont pas victimes
                                                               anciennes élites tutsi. Cependant, leurs motivations
    de la répression de l’État. La cote de popularité du
                                                               semblent davantage dictées par des intérêts financiers
    parti au pouvoir devrait inévitablement s’en retrouver
                                                               ou des dynamiques identitaires, ces généraux tirant des
    affectée, le CNL d’Agathon Rwasa semblant bénéficier
                                                               revenus considérables de leur contrôle sur le parti14.
    des nombreux déçus du CNDD-FDD. Dans un
    contexte où, dans le même temps, un petit groupe           Ce faisant, Nkurunziza est resté la pièce maîtresse
    de responsables, couplé à quelques oligarques, est         du jeu politique, ses pouvoirs s’étant sensiblement
    dans une logique de prédation économique, le parti         renforcés depuis l’importante purge du parti et les
    présidentiel a vu grossir les rangs de ses mécontents.     différents amendements de ses statuts. Sa position

6   BURUNDI : VERS UNE ALTERNANCE DANS LA CONTINUITÉ ?
de président du comité des sages, organe suprême              réalités du moment, les thèmes de mobilisation portant
du parti, couplée à sa qualité de chef de l’État, lui         désormais davantage sur les problèmes de corruption et
confère une autorité certaine sur le CNDD-FDD. Cette          de mauvaise gouvernance.
suprématie ne l’empêche pas d’être régulièrement
                                                              Aujourd’hui, ce discours reste inchangé tout en
contrarié par ces généraux dès lors qu’ils sentent leurs
                                                              s’accompagnant notamment des nécessités de
intérêts menacés.
                                                              changement face à la pauvreté ambiante. Dans le narratif
Le caractère autoritaire du CNDD-FDD, ses pratiques           de sa vision politique, le CNL, à l’instar de la plupart des
néopatrimoniales, l’absence de débats internes, le            partis, se montre peu loquace, conséquence possible
peu de transparence lors des prises de décisions              des faiblesses idéologiques de la classe politique
d’importance, les clivages identitaires et les diversités     burundaise. Le choix discutable d’intégrer les institutions
des profils sociologiques sont en grande partie à             en 2015, alors que la coalition amizero y’Abarundi
l’origine des tensions et des crises répétitives qui le       avait prôné l’abstention des élections qualifiées de
traversent. La dernière purge interne de 2015 a renforcé      « mascarades »17, a mis le CNL dans une position
le cercle de ces généraux et, au-delà, le rôle répressif      ambiguë. En effet, il fait partie du gouvernement et de
des structures de sécurité officielles et officieuses.        l’opposition à l’Assemblée nationale où il n’assume pas
Les imbonerakure, son organisation de jeunesse, se            véritablement son statut de parti d’opposition pour ne
substituent à l’autorité dans presque toutes les localités,   pas être en défaut avec la loi18. Or, devant la répression
imposent leur loi et rançonnent les populations15.            féroce qui les frappe, ses militants attendent sans
                                                              doute de leurs élus une opposition plus déterminée
L’inconnu CNL
                                                              à l’Assemblée nationale. Enfin, face à la répression
Ancienne rébellion ayant passé près de trente ans             de ses activités en province par l’administration et
dans la clandestinité avant d’intégrer les institutions       les imbonerakure, le CNL en est réduit à perpétuer la
en 2009, le CNL ne cesse de se transformer. Issue             pratique de la propagande souterraine dont il a usée
de l’ancien PALIPEHUTU né en 1980 et devenu                   pendant des décennies de clandestinité.
PALIPEHUTU-FNL en 2001, l’ex-rébellion a pris le
nom de Forces nationale de libération (FNL) lors de
                                                                 Devant la répression féroce qui les
sa transformation en parti politique en 2009, nom
qu’il a gardé jusqu’au moment de se fondre en 2015               frappe, les militants du CNL attendent de
dans une coalition d’indépendants éphémère du                    leurs élus une opposition plus déterminée
nom d’amizero y’Abarundi. Il a enfin repris le statut
de parti politique en 2019 à l’agrément du CNL. La            Il y a lieu de se demander si les thèmes de mobilisation
seule constante de ces différents mouvements de               de sa propagande clandestine sont similaires à ceux
ces deux dernières décennies est Agathon Rwasa                propagés ouvertement. En d’autres termes, Agathon
qui en est le leader et l’incarnation depuis l’année          Rwasa s’est-il réellement départi de son caractère
2001. Caractériser le CNL est ardu tant le discours           intransigeant et basé sur l’ethnicité hérité du maquis pour
politique et les thèmes de mobilisation ont évolué au         se glisser dans la peau d’un leader modéré et réfléchi ?
fil du temps sans que l’on sache avec précision leur
                                                              Les années passées dans la vie civile et au sein des
dénominateur commun.
                                                              institutions ont sans doute changé le personnage. Ses
Fondé sur l’ethnicité, conséquence de décennies de            quelques années passées à la tête de l’Institut national
régime militaire d’exclusion de la majorité hutu et du        de sécurité sociale (INSS) ont laissé de lui l’image d’un
génocide de son élite en 1972, ce mouvement s’en              dirigeant droit et travailleur parmi le personnel de l’Institut.
est difficilement défait alors même que le pouvoir avait      Son bilan à la vice-présidence de la chambre basse du
connu en 2005 une alternance ethnique et politique avec       Parlement est plus contrasté au vu des ambiguïtés du
l’arrivée aux affaires du CNDD-FDD16. Ce n’est qu’à           groupe parlementaire de son ancienne coalition amizero
son entrée dans les institutions avec les perspectives        y’Abarundi, lequel cautionne régulièrement le rôle de
des élections de 2010 que le discours s’est adapté aux        chambre d’enregistrement de cette institution.

                                                                            RAPPORT SUR L’AFRIQUE CENTRALE 16 | AVRIL 2020       7
Une pléthore de partis politiques satellites du               Les autres formations politiques n’ont aucune assise
    CNDD-FDD                                                      populaire. La plupart sont dans la mouvance du CNDD-
                                                                  FDD tandis que d’autres oscillent entre cette position
    En dépit de la fermeture de l’espace politique, le Burundi
                                                                  et l’opposition modérée au gré des circonstances.
    compte près de 40 partis agréés dont plus de la moitié
                                                                  Plusieurs de ces partis participeront aux élections où
    proches du CNDD-FDD. Les partis d’opposition encore
    actifs ont connu un temps une certaine visibilité à           ils devraient surtout servir de caution démocratique au
    travers le CNARED dans lequel ils étaient pour la plupart     pouvoir. Il est peu probable que plus de l’un ou l’autre
    rassemblés. Cette plateforme politique de l’opposition        d’entre eux atteigne le seuil critique de 2 % assurant
    étant aujourd’hui en semi-léthargie, ces partis ne se         une participation à l’Assemblée nationale, à moins
    hasardent plus à tenter de faire entendre leur voix de        que ce score ne leur soit « attribué » pour diversifier la
    peur de subir les représailles du pouvoir. Les seules voix    couleur politique de l’hémicycle.
    critiques encore perceptibles dans la sphère politique, en
                                                                  Des élections à risque
    dehors de l’un ou l’autre député de l’ancienne coalition
    amizero y’Abarundi, sont celles de responsables d’ailes       Dérive autocratique
    dissidentes des partis traditionnels, l’Union pour le         Le régime est allé jusqu’au bout de son opposition et
    progrès national (UPRONA) et le Front pour la démocratie      des pressions de la communauté internationale pour
    au Burundi (FRODEBU), tous deux ayant été aux affaires        progressivement sortir de son isolement diplomatique.
    avant le CNDD-FDD. Or, l’un comme l’autre ne sont plus        Il tente maintenant de présenter l’image d’un Burundi
    que l’ombre d’eux-mêmes.
                                                                  normalisé aux yeux de l’extérieur. Non satisfait
                                                                  d’avoir totalement soumis les forces de sécurité et
       Le régime est allé jusqu’au bout de                        instrumentalisé l’appareil judiciaire, le pouvoir s’est attelé
       son opposition et des pressions de la                      à étendre son emprise aux autres institutions et à les
                                                                  « nettoyer » pour les débarrasser des personnes jugées
       communauté internationale
                                                                  trop neutres ou peu malléables.

    L’UPRONA, une formation politique assimilée à la              Nkurunziza a tiré les leçons de la crise de 2015 où des
    minorité tutsi, est divisée en plusieurs ailes. Les deux      responsables au sein d’institutions clefs avaient refusé
    ailes dissidentes de l’UPRONA ne sont pas reconnues           de se laisser instrumentaliser et ainsi failli compromettre
    légalement. Une partie des membres de l’une d’elles           son passage en force19. C’est pourquoi il a procédé à
    semble avoir intégré le CNL, en carence de Tutsi et de        divers changements dans les mécanismes de contrôle,
    cadres expérimentés, et une autre partie le Mouvement         de contre-pouvoirs, de réconciliation et de gestion
    pour la réhabilitation du citoyen (MRC), un petit parti       des conflits pour s’assurer de leur subordination. La
    d’opposition tutsi. L’aile de l’UPRONA reconnue               CENI, la Commission vérité et réconciliation, la Cour
    officiellement joue le rôle de partenaire institutionnel du   constitutionnelle, l’institution de l’Ombudsman, la
    CNDD-FDD qui, à son tour, l’utilise comme alibi pour faire    Commission nationale indépendante des droits de
    valoir son image de tolérance ethnique. Cette UPRONA          l’homme sont toutes, à des degrés divers, inféodées
    devrait faire plutôt dans la figuration au cours des          au pouvoir. Simultanément, la haute administration
    différentes élections.                                        publique et sécuritaire a été quelque peu purgée des
                                                                  Tutsi, la diplomatie ne comprenant plus que deux
    Le FRODEBU-Nyakuri, l’aile progouvernementale du
                                                                  ambassadeurs de cette communauté et le Service
    parti du même nom, ne devrait guère faire mieux. Le
                                                                  national de renseignement plus aucun responsable au
    Sahwanya FRODEBU, son rival, est tiraillé entre ses
                                                                  niveau provincial.
    partisans du rapprochement avec le pouvoir et ses
    tenants du jeu de l’opposition représentés par son            En outre, le pouvoir a considérablement durci sa
    candidat à la présidentielle. Ses chances d’attirer le plus   législation notamment sur les libertés publiques, la
    de voix possibles sont d’autant plus limitées que le parti    répression des crimes ou le monde associatif. Cela
    est en proie à des divisions.                                 lui permet d’assurer un plus grand contrôle sur les

8   BURUNDI : VERS UNE ALTERNANCE DANS LA CONTINUITÉ ?
médias, la société civile et les organisations non            régime militaire, les Burundais sont retournés au rang de
gouvernementales internationales (ONG)20. De surcroît         sujets, taillables et corvéables à merci.
ceux-ci sont régulièrement exposés à l’arbitraire de
                                                              La présence de groupes rebelles burundais dans l’Est de
la loi ou aux sautes d’humeur des autorités. Depuis
                                                              la RDC ne semble pas avoir particulièrement affecté la
novembre 2019, quatre journalistes du seul média
                                                              sécurité en dehors de l’une ou l’autre incursion non suivie
d’informations générales encore assez critique à
                                                              d’effets. En revanche, deux incidents violents opposant
l’égard du pouvoir, Iwacu, sont emprisonnés pour avoir
                                                              forces de sécurité et un groupe armé non identifié sont
couvert l’incursion d’une rébellion dans la forêt de la
                                                              encore entourés de mystère. En novembre 2019, une
Kibira, traditionnel sanctuaire de mouvements armés.
                                                              position militaire de l’armée burundaise dans la province
Deux des rares ONG locales à encore œuvrer dans les
                                                              de Cibitoke, à l’intérieur de la Kibira, a été attaquée et
thématiques sensibles de la gouvernance et la résolution
                                                              mise en déroute. Devant ce revers militaire qu’elles ont
des conflits sont suspendues. Des mesures qui visent
                                                              pour une fois assumé, les autorités se sont d’abord
clairement à intimider les contre-pouvoirs et à les acculer
                                                              murées dans un silence gêné avant d’accuser le Rwanda
à l’autocensure.
                                                              d’en être le responsable23. En février 2020, des échanges
Concernant l’opposition, en dépit de leur prudence,           de tirs sur les hauteurs de Bujumbura ont été suivis de
ses sympathisants et ses responsables restent                 l’arrestation d’une vingtaine de personnes présentées
encore soumis à des arrestations et diverses formes           comme des assaillants. Diverses organisations affirment
d’intimidation21. Cependant le CNL, fort de sa popularité,    que la plupart d’entre elles ont été exécutées24.
est la principale cible de la répression du pouvoir. Il a
été agréé en février 2019 malgré de fortes résistances        Le gouvernement n’a pas encore désigné les auteurs
au sommet. Sa reconnaissance légale a déclenché               de cette attaque présumée non accompagnée de
une vague de répression brutale à l’endroit de ses            revendication politique. Cependant des militants du CNL
militants, certains responsables locaux ayant même            ont été arrêtés dans la foulée. Le CNL avait dénoncé
été assassinés22. De fait, de manière plus générale, les      quelques mois auparavant un projet du gouvernement de
arrestations et les détentions arbitraires, les enlèvements   lui imputer une rébellion pour pouvoir ensuite procéder
et les exécutions extrajudiciaires n’ont jamais cessé         à l’arrestation de ses leaders. Au-delà des mobiles
depuis la crise de 2015, la seule année 2019 ayant            administratifs souvent avancés pour justifier l’arrestation
enregistré au moins 371 personnes tuées, 45 portées           des militants de ce parti, ces derniers font souvent les
disparues, 257 torturées et 1 046 arrêtées arbitrairement     frais de la criminalité ordinaire ou d’assassinats divers, les
selon la principale organisation de défense des droits        autorités locales les prenant souvent comme cibles de
humains, la ligue Iteka.                                      leurs enquêtes.

                                                              Par ailleurs, après avoir été particulièrement visés au plus
   Les arrestations et les détentions                         fort de la crise, les membres des forces de sécurité en
   arbitraires n’ont jamais cessé depuis                      fonction ou démobilisés de l’ethnie tutsi sont aujourd’hui
                                                              de plus en plus visés par des arrestations et parfois des
   la crise de 2015                                           exécutions extrajudiciaires. L’armée régulière enregistre
                                                              depuis quelques mois des désertions, les autorités
Certes, les violations graves des droits humains sont         soupçonnant certains de ces militaires de rejoindre
à la baisse par rapport aux pics des années 2015              les groupes rebelles. En effet, les membres des forces
et 2016, mais leur ampleur reste considérable pour            de sécurité d’ethnie tutsi ou originaires de la ville de
un pays « normalisé ». De plus, la province est le            Bujumbura seraient parmi les groupes-cibles soupçonnés
théâtre quotidien des exactions des imbonerakure              de sympathie, voire de complicité avec les rebelles par
qui quadrillent tout le pays, rançonnent les citoyens         les autorités25. En clair, sous l’apparence de la normalité,
ordinaires et à l’occasion les ONG locales ou                 le Burundi n’est pas véritablement sorti de la crise et
internationales. Après avoir peiné longuement pour            de très nombreux Burundais continuent à vivre dans un
acquérir le statut de citoyens après des décennies de         climat de peur et d’intimidation.

                                                                            RAPPORT SUR L’AFRIQUE CENTRALE 16 | AVRIL 2020     9
Un cadre juridique des élections plus                        et transparentes. La CENI, dont la composition a
     contraignant                                                 été approuvée lors d’une séance boycottée par les
                                                                  députés d’amizero y’Abarundi26, n’a d’indépendance
     Le code électoral de 2014 avait fait l’objet de larges
                                                                  que le nom27, l’un de ses commissaires donnant
     consultations organisées notamment sous l’égide du
                                                                  même libre cours à ses opinions partisanes dans des
     bureau des Nations unies (ONU) au Burundi et avait été
                                                                  Tweets virulents contre les opposants présumés. La
     finalement adopté de manière consensuelle. La nouvelle
                                                                  Cour constitutionnelle, organe de recours, étant elle-
     Constitution de 2018, de par certaines de ses innovations,
                                                                  même aux ordres, le pouvoir contrôle donc ces deux
     rendait nécessaire un nouveau code électoral. De plus, la
                                                                  institutions. En outre, le ministère de l’Intérieur — chargé
     CENI qui avait supervisé le referendum avait elle-même
                                                                  de la supervision des élections —, l’administration
     largement dépassé la durée de son mandat et devait
                                                                  territoriale, le commandement des forces de sécurité,
     donc être remplacée. Un projet de code électoral a donc
                                                                  la justice et les médias d’État étant tous partisans, le
     été élaboré. A l’inverse du précédent texte de 2014 le
                                                                  processus électoral risque d’être d’autant plus vicié,
     processus sera bâclé, l’avant-projet de loi n’ayant donné
     lieu qu’à une seule journée de discussions avec les partis   alors que l’observation internationale a été réduite à
     politiques, du reste pas tous représentés en raison du       la portion congrue et les observateurs locaux triés sur
     retard dans la transmission des invitations.                 le volet. Enfin, il subsiste d’importantes interrogations
                                                                  sur la capacité réelle du régime à mener à bien les
     De manière générale, les principaux griefs formulés contre   opérations de vote sur le plan matériel, logistique et
     le code électoral adopté en 2019 sont la suppression         technique, le processus électoral au Burundi étant
     des listes des candidats indépendants, le coût trop élevé    entièrement financé et organisé par les autorités
     de la caution exigée des candidats à la présidentielle       nationales pour la première fois28.
     et les conditions de son remboursement, le caractère
     trop restrictif des exigences relatives à la nationalité     Par ailleurs, les partis politiques ont adhéré à un code
     des candidats à la présidentielle et le nombre élevé de      « de bonne conduite ». Le Conseil national de la
     documents requis pour les candidats aux communales.          communication a fait de même et présenté un code
                                                                  de conduite des médias pendant la période électorale.
                                                                  Cependant, les médias n’ayant pas été consultés au
       Il subsiste d’importantes interrogations                   préalable, tous ne l’ont pas signé. En effet, deux d’entre
       sur la capacité du régime à mener à                        eux ont refusé de cautionner l’interdiction qui leur est faite
       bien les opérations de vote                                de diffuser par quelque canal que ce soit des résultats
                                                                  autres que ceux diffusés par la CENI ou encore celle de
     Paradoxalement le fichier électoral n’a pas fait             diffuser les résultats des sondages relatifs aux élections.
     véritablement l’objet de controverses alors qu’il compte     Faire l’économie d’une nouvelle crise électorale
     une augmentation du nombre des électeurs de 25 %
                                                                   « En Afrique, on n’organise pas des élections pour les
     en cinq années au cours desquelles plusieurs centaines
                                                                  perdre. » Cette réflexion d’Omar Bongo, ancien président
     de milliers de Burundais se sont réfugiés dans les pays
                                                                  gabonais, pourrait résumer l’état d’esprit qui règne
     de la sous-région et en Occident. De plus, le logiciel de
                                                                  parmi les ténors du pouvoir. Pour autant, le CNDD-FDD
     traitement des données pour ce même fichier a été confié
                                                                  est loin d’être serein. Il continue d’ailleurs à manifester
     à une société burundaise étroitement liée à un haut gradé
                                                                  régulièrement des signes de fébrilité. Déjà en 2018, le
     proche du parti au pouvoir.
                                                                  processus référendaire, durant lequel les Burundais avaient
     L’autre motif de contestations porte sur la composition      été enrôlés de force et malmenés pour être contraints à
     des démembrements de la CENI au niveau provincial            voter, avait été conduit dans la violence, les personnes
     et communal jugée trop déséquilibrée au profit du            soupçonnées de militer pour le non étant arrêtées ou
     parti au pouvoir et de ses alliés. En effet, le cadre        rouées de coups. De plus, il avait été ponctué d’appels à
     légal et réglementaire des élections, aussi parfait soit-    brutaliser, à torturer et même à éliminer physiquement tous
     il, n’est pas le meilleur garant d’élections crédibles       les partisans du non29.

10   BURUNDI : VERS UNE ALTERNANCE DANS LA CONTINUITÉ ?
Ce climat de peur et de répression n’avait pas empêché       des différentes élections devrait être serrés. Or, sauf
les militants de Rwasa de défier le pouvoir en manifestant   énorme surprise, la CENI devrait proclamer la victoire
en nombre pour le non une fois la campagne référendaire      du candidat du CNDD-FDD à la présidentielle et
officiellement ouverte. L’agrément du CNL a également        des scores élevés pour la même formation politique
donné lieu à un nouveau bras de fer entre le chef de         aux deux autres scrutins à même de lui assurer une
l’État et ses généraux, ces derniers voyant dans cette       majorité confortable au Parlement32. En effet, le pouvoir
reconnaissance légale une menace sérieuse à leur             semble exclure toute défaite.
pouvoir. Depuis lors, la répression brutale qui frappe ses
                                                             Dans le même temps, il devrait avoir la volonté
militants participe de la volonté d’intimider ces derniers
                                                             de s’épargner une nouvelle crise et d’entourer le
et de mettre au pas le CNL afin de le neutraliser pour les
                                                             processus électoral d’un « habillage » légal en vue
élections à venir.
                                                             de la légitimation des institutions qui en résulteront,
En parallèle, ces généraux se sont opposés au retour         deux objectifs difficilement conciliables tant les actions
d’anciens hauts responsables transfuges du CNDD-FDD,         posées par le pouvoir ont souvent contredit les
exilés depuis la crise de 2015 et ne faisant pas l’objet     intentions proclamées. Or, Agathon Rwasa a répété
de poursuites judiciaires, dont Gervais Rufyikiri, ancien    plusieurs fois que son parti n’est pas prêt à accepter
deuxième vice-président de la République (2010-2015)         des élections non crédibles33. Et les signes avant-
et Jérémie Ngendakumana, ex-dirigeant du CNDD-FDD            coureurs ne sont pas de bon augure.
(2007-2012). Ces derniers n’avaient pas caché leur
                                                             Dès lors, plusieurs scénarios pourraient se dessiner
volonté de participer aux élections. De crainte de voir de
                                                             en fonction de différents facteurs dont notamment : le
nombreuses défections au sein du parti au pouvoir en
                                                             caractère évident ou non d’irrégularités importantes et
faveur de ces figures, pour certaines respectées et non
                                                             leur ampleur ; la nature et l’étendue de la contestation
sans capacité de mobilisation, ces généraux ont opposé
                                                             que pourrait mobiliser le CNL ; le degré et la volonté
leur veto à leur retour qui avait pourtant été validé dans
                                                             d’implication de la communauté internationale en
un premier temps30.
                                                             cas de crise électorale ; la capacité d’ouverture à un
                                                             dialogue et un éventuel compromis de la part des
   Une crise électorale pourrait éclater                     autorités. Il est permis d’être très sceptique sur ce
   si des éléments probants plaident en                      dernier point et réservé sur l’engagement des acteurs
   la faveur d’une victoire confisquée                       internationaux.

   du CNL                                                    En partant du postulat énoncé plus haut, et en
                                                             tenant compte des divers paramètres ci-dessus, le
                                                             Burundi sera probablement préservé d’une crise si le
Conscient de la crise socioéconomique que traverse
                                                             CNL est battu régulièrement ou si, en cas de défaite
le Burundi et du mécontentement croissant de
                                                             contestable, il réalise que le rapport de forces lui est
la population à l’égard du CNDD-FDD pour ses
                                                             défavorable et subit d’importantes pressions pour se
responsabilités dans cette situation31, le pouvoir mise
                                                             contenter des résultats qui lui auront été accordés.
davantage sur la neutralisation de ses adversaires
                                                             L’un comme l’autre des scénarios pourrait être
politiques. Il est donc fort improbable qu’il favorise un
                                                             envisagé d’autant qu’il est peu plausible que Rwasa
environnement propice à des élections crédibles, le
                                                             fasse du jusqu’au-boutisme. En revanche, une crise
scénario le plus plausible étant d’en dicter l’issue dans
                                                             électorale pourrait éclater si des éléments probants
un climat d’intimidation et de répression à l’endroit de
                                                             plaident en la faveur d’une victoire confisquée du CNL
son principal concurrent le CNL.
                                                             dans l’un ou l’autre des scrutins et si la contestation
Sans présager du verdict qui sortira des urnes et            qui suit devient hors de contrôle. En ce cas de figure,
en l’absence de sondages d’opinion, il est difficile         seule une réponse forte, concertée et coordonnée de
d’envisager une victoire écrasante de l’un ou l’autre        la communauté internationale pourrait favoriser une
des partis CNDD-FDD et CNL, tant a priori les résultats      solution négociée.

                                                                          RAPPORT SUR L’AFRIQUE CENTRALE 16 | AVRIL 2020   11
Attentisme de la part de la communauté                         d’observation électorale qui a été poliment récusée. Elle
     internationale                                                 attend certainement de voir le déroulement et l’issue des
                                                                    élections pour adopter une attitude conséquente vis-à-vis
     En 2015, la gestion de la crise burundaise a été confiée à
                                                                    du Burundi. Elle est probablement celle qui sera la plus
     l’EAC. Cette organisation, peu expérimentée en matière de
                                                                    prompte à réagir en cas de nouvelle crise électorale étant
     gestion des conflits, a d’abord fait preuve d’une certaine
                                                                    donné les possibilités limitées de voir l’EAC s’enliser de
     détermination dans sa tâche avant que les divisions
                                                                    nouveau dans le bourbier burundais.
     internes entre ses chefs d’État sur base de conflits
     personnels et divergences géopolitiques n’entament cette       L’EAC devrait envoyer une mission d’observation
     volonté et cèdent le pas à des initiatives plus frileuses.     électorale au Burundi. Une mission exploratoire a
     Après trois années de tâtonnements et d’impasse, le            d’ailleurs déjà été effectuée. Les autorités avaient
     facilitateur désigné, Benjamin Mkapa, ancien président         pourtant affirmé ne pas vouloir accueillir des missions
     tanzanien, a jeté l’éponge et, depuis lors, l’organisation     d’observation électorale étrangères. Il y a lieu de se
     semble avoir enterré ce dossier. Or aucune autre               demander ce qui les a poussées à faire exception. Il est
     organisation n’a pu prendre la relève dans la gestion de la    vrai que son secrétaire exécutif est un Burundais proche
     crise burundaise à la grande satisfaction des autorités.       du pouvoir. En tout état de cause, l’EAC s’est soustraite
     L’Union africaine (UA) s’était montrée intéressée34, mais      à la gestion de la crise sans assumer cette dérobade.
     elle a dû revoir ses ambitions dès lors que son projet n’a     La voir s’y réinvestir semble d’autant plus hasardeux
     pas rencontré l’assentiment de l’EAC et le soutien déclaré     que d’autres pays membres devraient prochainement
     des autres acteurs internationaux. Du reste, le principal      connaître des processus électoraux à commencer par la
     obstacle était l’attitude du gouvernement burundais,           Tanzanie (octobre 2020) puis l’Ouganda (2021). Or, dans
     toujours ferme dans sa détermination à empêcher « toute        l’un ou l’autre cas, le processus semble mal engagé,
     atteinte à sa souveraineté ». De plus, l’année 2018, qui       l’Ouganda risquant fort d’aller au-devant d’une crise
     a précédé celle de la démission officielle de Mkapa, avait     électorale alors que son président garde officiellement la
     vu quelques passes d’armes entre l’UA et le régime de          position de médiateur dans la crise burundaise. Aura-
     Gitega. Le référendum constitutionnel avait en effet suscité   t-il dès lors la volonté et la capacité de s’y impliquer de
     des critiques de la part du président de la Commission         nouveau alors qu’il aura probablement déjà à gérer une
     de l’UA, auxquelles les autorités avaient réagi vertement.     situation interne critique ou acceptera-t-il de transmettre
     En fin de cette même année, le camouflet subi par le           le dossier burundais, en l’occurrence à l’UA ?
     commissaire à la paix et à la sécurité de l’UA lors de sa
     visite à Bujumbura35, suivi quelques semaines plus tard           L’UA aurait voulu envoyer une mission
     par l’annonce du retrait de 1 000 soldats du contingent           d’observation électorale qui a été
     burundais de l’AMISOM, avaient encore davantage refroidi
     les relations entre les deux entités.
                                                                       poliment récusée
     Depuis lors, le secrétaire général du CNDD-FDD s’est
                                                                    Malgré la persistance de son engagement dans la crise
     rendu au siège de l’UA où il a rencontré le président
                                                                    burundaise, l’ONU est empêtrée dans ce dossier en
     de la Commission. L’organisation panafricaine cherche
                                                                    grande partie du fait de positions antagonistes au sein
     désormais à éviter toute friction avec le pouvoir et a
                                                                    des membres permanents du Conseil de sécurité et
     même retiré le Burundi de son agenda des réunions du
     Conseil de paix et de sécurité 36. Elle a même édulcoré        de la fermeté des autorités burundaises. En 2019, son
     son discours à son égard37. Elle voudrait surtout pouvoir      envoyé spécial a démissionné et une cacophonie dans
     discuter avec le pouvoir des modalités d’organisation          le discours a été observée au sein de certaines de ses
     du processus électoral. Le président de la Commission          institutions. Le Burundi n’a plus été inscrit à l’agenda
     était d’ailleurs attendu à Bujumbura début avril mais          des réunions du Conseil de sécurité de l’ONU depuis le
     cette visite a été annulée compte tenu de la pandémie          30 octobre 2019, jour où l’envoyé spécial du secrétaire
     du COVID-19. L’UA aurait voulu envoyer une mission             général a remis son tablier.

12   BURUNDI : VERS UNE ALTERNANCE DANS LA CONTINUITÉ ?
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