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Burundi Vers une alternance dans la continuité ? Le 20 mai 2020, les Burundais éliront leur prochain chef d’État et leurs futurs députés et conseillers communaux. Comment expliquer le revirement du président Nkurunziza dans sa quête à sa propre succession ? Quels sont les risques et les enjeux de ces élections ? Au-delà de ces questions, ce rapport tente de décrypter le profil du nouveau pouvoir, les luttes d’influence qui en résulteraient et leurs conséquences éventuelles sur les futures orientations du Burundi en termes de gouvernance. RAPPORT SUR L’AFRIQUE CENTRALE 16 | AVRIL 2020
Principales conclusions Le caractère potentiellement ouvert des la page d’une gouvernance chaotique aux élections présidentielles et l’incertitude quant conséquences pénibles pour la population. à leur issue risque d’amplifier les tentatives Le futur chef de l’État devra se défaire de manipulation du processus électoral et, de la double tutelle de son encombrant partant, de favoriser l’émergence d’une prédécesseur et d’un cercle de généraux nouvelle crise. puissants pour entreprendre les réformes L’alternance au sommet de l’État constitue nécessaires et améliorer les conditions de vie une opportunité pour le Burundi de tourner des Burundais. Recommandations La Commission électorale nationale Les missions d’observation électorale nationale indépendante devrait favoriser le déploiement crédibles devraient conjuguer leurs actions rapide et sans entraves des mandataires pour se déployer largement sur le terrain et politiques pour l’observation et la surveillance rendre compte de leurs conclusions de manière de l’ensemble des opérations de vote. indépendante et coordonnée. Les institutions de supervision et de contrôle L’Union africaine et la Communauté de des élections devraient garantir un minimum l’Afrique de l’Est devraient mettre la pression d’intégrité du processus électoral en vue sur les autorités et les institutions de contrôle d’éviter au Burundi une nouvelle crise. des élections en vue de promouvoir un processus électoral crédible et éventuellement Les médias et les leaders de la société civile les menacer de sanctions ciblées en cas de qui sont encore crédibles devraient rendre manipulations électorales manifestes. compte des enjeux et du déroulement des élections, et relever ses réussites et ses Les acteurs internationaux devraient exploiter échecs afin d’amener les autorités et les les opportunités qu’offre l’alternance au mécanismes de supervision à améliorer le sommet de l’État pour promouvoir un processus électoral. changement de gouvernance au Burundi. 2 BURUNDI : VERS UNE ALTERNANCE DANS LA CONTINUITÉ ?
Introduction Sauf report dicté par la pandémie du COVID-19, les Burundais seront appelés à se prononcer sur leurs futures institutions pour la quatrième fois depuis la fin de la guerre civile (1993-2003), les élections présidentielle, législatives et communales étant organisées le même jour, le 20 mai 2020. Ces scrutins interviennent dans un pays toujours marqué par la crise de 2015, consécutive à la volonté du chef de l’État, Nkurunziza, de briguer un troisième mandat, contraire à l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation de 2000. Depuis lors, le Burundi connaît une dérive répressive notamment caractérisée par de graves régressions en matière de libertés et de démocratie, conjuguées à des violations massives des droits humains, si bien que le Burundi est sous enquête de la Cour pénale internationale. Ce nouveau processus électoral est conduit dans un espace politique verrouillé où seul le parti hégémonique, le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), occupe le terrain sans limitation. Or, contrairement aux élections présidentielles de 2010 et 2015, toutes deux boycottées par l’opposition, plusieurs opposants participeront à ce scrutin, y compris Agathon Rwasa, président du Congrès national pour la liberté (CNL), seule force politique capable de rivaliser avec le CNDD-FDD. En outre, à la surprise générale, le président Nkurunziza, après avoir imposé en 2018 une nouvelle constitution, a renoncé à un quatrième mandat, ouvrant la voie à une alternance au sommet de l’État. Le Burundi connaît une dérive répressive caractérisée par de graves régressions en matière de libertés et de démocratie En effet, le 26 janvier 2020, le CNDD-FDD, lors de son congrès national, a désigné son secrétaire général Evariste Ndayishimiye comme candidat du parti à la présidentielle. Si cette nouvelle donne aurait pu permettre de décrisper le climat politique et faciliter la transparence du scrutin, la radicalisation du pouvoir et la brutalité de la répression exercée contre les opposants et les voix dissidentes augurent l’inverse. De plus, les processus électoraux au Burundi ont présagé jusque-là de nouvelles crises, seules les élections de 2005 ayant été inclusives et crédibles et unanimement acceptées par la classe politique. Le caractère potentiellement ouvert de ces élections et donc l’incertitude de leur issue pourraient amplifier les risques de leur manipulation et d’une nouvelle crise. Le présent rapport porte sur les enjeux de ces élections. Il s’articule autour de cinq parties. La première s’appesantit sur la volte-face du chef de l’État dans sa quête à sa propre succession et les principaux évènements qui ont 20 MAI 2020 conduit à la configuration actuelle des acteurs politiques en compétition. La ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLE, seconde passe en revue les principales forces en lice. La troisième partie LÉGISLATIVES, COMMUNALES examine le contexte politique et sécuritaire, le cadre légal et réglementaire de RAPPORT SUR L’AFRIQUE CENTRALE 16 | AVRIL 2020 3
ces élections et les scénarios possibles ; elle consacre et les atermoiements de la communauté internationale une section aux acteurs internationaux. La partie qui et les divisions de l’EAC sur la crise burundaise ainsi suit établit un état des lieux du Burundi et, partant, un que par les reculs dans des pays de la région liés aux panorama des multiples défis qui attendent les futures réformes constitutionnelles1. Mais il a atteint également institutions. La cinquième partie se penche sur le profil un autre objectif : si l’alibi du dialogue intérieur n’avait que pourrait prendre le nouveau pouvoir, les luttes pas échappé aux observateurs, en revanche très peu d’influence qui en résulteraient et leurs conséquences d’entre eux avaient anticipé l’une de ses fins ultimes. En éventuelles sur les orientations futures du Burundi en effet, ce dialogue a abouti à une réforme constitutionnelle termes de gouvernance. supposée remettre le compteur des mandats présidentiels à zéro et permettre au chef de l’État de Nkurunziza mis en échec se maintenir au pouvoir selon ses commanditaires, Une nouvelle constitution taillée sur mesure hypothèse pourtant discutable2. Les élections manquées de 2015, échec provoqué par Le président de la République s’est personnellement la volonté du président sortant de briguer un troisième impliqué tout au long du processus de cette réforme mandat, ont déclenché une crise qui a poussé la constitutionnelle au point d’en dicter chaque étape et communauté internationale à exercer de fortes pressions d’esquiver l’approbation obligée du nouveau texte par sur le régime pour l’ouverture d’un dialogue inclusif sous le Parlement qu’il jugeait trop risquée3. En outre, au- l’égide de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) delà de l’extension de la durée du mandat présidentiel en vue de trouver une solution consensuelle à l’impasse et de la possibilité qui serait offerte à Nkurunziza d’en politique burundaise. Soucieux de desserrer l’étau de briguer deux autres supplémentaires d’affilée, plusieurs ces pressions, le pouvoir burundais y a répondu fin 2015 des innovations apportées à la nouvelle loi fondamentale en organisant un dialogue national. portent visiblement la griffe du chef de l’État4. La nouvelle Constitution a été adoptée lors d’un référendum organisé en mai 2018 dans un climat d’intimidation et de La nouvelle Constitution a été adoptée répression5. Lors du discours qu’il a prononcé le 7 juin lors d’un référendum dans un climat suivant à l’occasion de la promulgation du texte, le chef d’intimidation et de répression de l’État, à la stupéfaction générale, a annoncé qu’il ne se porterait pas candidat à un quatrième mandat. Officiellement ouvert à toutes les forces politiques et Un quatrième mandat qui ne passe pas composantes de la nation, à l’exception des présumés En 2015, la volonté du chef de l’État de briguer un putschistes et des personnes poursuivies par la justice, troisième mandat et le passage en force qui avait il en a exclu la plupart des opposants et figures de la suivi avaient également suscité une forte contestation société civile. Cette manœuvre visait à couper l’herbe intérieure dans le CNDD-FDD, provoquant même une sous les pieds des partisans du processus préconisé par crise interne. Cette dernière n’avait pu être maîtrisée les acteurs internationaux. Sans surprise, la composition qu’en employant la manière forte, en purgeant le parti de la commission chargée du dialogue, les thèmes, de tous les frondeurs et donc d’une bonne partie de ses les participants et les conclusions de ces assises ont cadres modérés. Ce qui a conduit à une tentative de répondu clairement à une commande du pouvoir qui a putsch dirigée partiellement par d’anciens compagnons contrôlé les développements de bout en bout. d’armes du président du temps du maquis. Déjà Le régime burundais est parvenu à réduire sensiblement fin 2014, Nkurunziza avait été soumis à de fortes les pressions en maintenant notamment une position pressions d’un groupe important de généraux qui intransigeante sur les conditions de sa participation au exigeaient qu’il mette un terme à la toute-puissance du dialogue extérieur et vis-à-vis des diverses demandes duo Adolphe Nshimirimana et Alain Guillaume Bunyoni, des organisations internationales impliquées dans ce respectivement directeur général du Service national de processus. Il y a été encouragé par les incohérences renseignement (SNR) et chef de cabinet civil du président. 4 BURUNDI : VERS UNE ALTERNANCE DANS LA CONTINUITÉ ?
Ils seraient, selon ce groupe, responsables d’agissements justifier, Nkurunziza entend contrôler le processus de sa qui terniraient l’image du pays6. Pour ne pas s’aliéner une succession pour placer un de ses fidèles. De l’avis de bonne partie des responsables des forces de sécurité, le diverses personnalités qui l’ont côtoyé, le chef de l’État chef de l’État s’était rapidement exécuté en les affectant est extrêmement soupçonneux et se méfie même de à des postes de moindre envergure7. Il s’est par la suite ses plus proches collaborateurs. Pour avoir plusieurs employé à gagner la faveur de plusieurs des généraux du fois subi — et subir encore — de leur part déceptions, groupe en leur octroyant des postes convoités et/ou des coups fourrés et trahisons, il est devenu si suspicieux avantages. Plusieurs de ceux qui s’étaient montrés très à leur égard qu’il ne se déplace plus hors du pays critiques en privé envers la perspective de son troisième depuis la tentative de coup d’État de 201510. De plus, mandat, se sont rangés progressivement derrière le conscient des crimes qui pourraient le poursuivre11, chef de l’État et son projet et ont même participé à la Nkurunziza a besoin de solides garanties de protection répression qui a suivi. contre la justice internationale et celle de son pays. Ainsi, selon toute vraisemblance, le chef de l’État a tenté Lors de son investiture en 2015, pour tempérer les de jouer la carte de son épouse, Denise Nkurunziza, pressions et les contestations, le président s’était pour lui succéder avant de faire marche arrière devant publiquement engagé à ce que ce troisième mandat les protestations. soit le dernier. En 2018, ayant manifesté la volonté de se maintenir de nouveau au pouvoir, Nkurunziza s’est retrouvé pour la deuxième fois confronté à la fronde de Nkurunziza entend contrôler le ses généraux. Ces derniers l’ont ainsi poussé à passer processus de sa succession pour la main et à respecter la rotation régionale au pouvoir qui placer un de ses fidèles aurait fait l’objet d’un accord tacite à l’arrivée aux affaires du CNDD-FDD. A ces fortes pressions intérieures se seraient ajoutées celles de la sous-région qui a été mise Après avoir caressé d’autres scénarios, de guerre devant le fait accompli de la réforme constitutionnelle8. lasse, il se serait finalement rabattu sur la personne de Pascal Nyabenda, président de l’Assemblée nationale, Enfin, certaines sources suggèrent que les véritables candidature notamment portée par la région Ouest du résultats du referendum constitutionnel auraient pu influer Burundi, qui se prévaut d’avoir payé le prix fort lors la décision du chef de l’État. Celui-ci aurait demandé et de la lutte de « libération »12. L’intéressé, un civil sans obtenu les résultats réels du vote. Or, contrairement au passé militaire, présente l’avantage d’être perçu comme raz de marée annoncé officiellement par la Commission malléable et craintif et de ne pas pouvoir se prévaloir de électorale nationale indépendante (CENI), cette la légitimité du maquis. Bref, une personnalité plus encline consultation populaire, perçue comme un plébiscite en à se soumettre à l’influence d’un Nkurunziza une fois faveur du chef de l’État, aurait abouti à des résultats celui-ci retiré du pouvoir. beaucoup plus contrastés, le non l’emportant dans plusieurs provinces en dépit de la répression contre ses Cependant, un noyau de généraux, constitué de hauts partisans9. La conjonction de tous ces facteurs aurait responsables, entend imposer de son côté un frère donc eu raison du chef de l’État. Il ne s’est pas avoué d’armes passé par le maquis. Le secrétaire général du vaincu pour autant et a utilisé divers stratagèmes pour parti, Evariste Ndayishimiye, bénéficie de ce point de tenter de reprendre les choses en main. vue de la double légitimité de connaître les rouages du parti et d’être un ancien de la rébellion où il a d’ailleurs La bataille souterraine entre Nkurunziza et progressivement gravi les échelons. Nkurunziza aurait ses généraux implicitement fait miroiter à ce dernier la perspective Les mois qui suivront seront marqués par des luttes d’être choisi tout en donnant des assurances similaires d’influence au sein du pouvoir et surtout par une à Nyabenda. Finalement, devant les fortes pressions des bataille souterraine entre le président et plusieurs de généraux à l’approche du congrès du parti, il s’est vu ses généraux. En effet, à défaut de pouvoir tenter dans l’impossibilité de tirer les ficelles comme il l’aurait un nouveau revirement aussi périlleux que difficile à voulu et s’est résolu à abandonner son projet. RAPPORT SUR L’AFRIQUE CENTRALE 16 | AVRIL 2020 5
Les forces politiques en lice Le CNDD-FDD : un parti prisonnier des survivances du maquis Le troisième mandat du CNDD-FDD aux commandes du Burundi (2015-2020) s’est accompagné de Le parti au pouvoir tente de cultiver l’image d’une divers reculs qui n’ont pas été sans conséquences formation politique en osmose avec la population. Ainsi, sur le paysage politique. Le pouvoir a eu raison des lors de ses premières années de pouvoir, la proximité velléités guerrières de petits groupes rebelles et de recherchée par le nouveau régime avec les masses l’opposition dans son ensemble contre laquelle il a rurales et certaines mesures populaires semblaient obtenu victoire dans une bataille d’usure diplomatique marquer une volonté de rupture avec les gouvernements et politique. Finalement, l’opposition est devenue passés, fortement centralisés à Bujumbura. L’ancienne plus fragile et morcelée qu’en 2015 où la création en rébellion peine cependant à se défaire de certaines exil du Conseil national pour le respect de l’accord habitudes héritées du maquis : culture du secret, d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi obsession du complot, recours à la force et l’intimidation et l’état de droit (CNARED) avait fait naître dans au détriment du dialogue et du compromis, pratique de la les rangs de l’opposition de nombreux espoirs. Le bastonnade des récalcitrants, etc. Il est vrai qu’en dépit rétrécissement de l’espace politique, les nombreuses de sa transformation en parti politique en 2004, le CNDD- restrictions imposées à l’opposition intérieure et la FDD reste soumis à l’influence d’un groupe de généraux répression qu’elle subit ont entraîné une certaine forme perpétuant ainsi une certaine militarisation du parti. Ces de résignation chez une bonne partie de ceux qui officiers dénommés « abarugwanye » (« ceux qui se sont la composent. battus »), dont l’appartenance à tout parti politique leur est légalement interdite, s’immiscent régulièrement dans A l’inverse, le CNDD-FDD a conforté sa mainmise sur la gestion du parti et des affaires publiques sous couvert toutes les institutions et a même étendu son contrôle du sang versé pour libérer le pays. Leur appellation à plusieurs secteurs-clefs de l’économie burundaise, « benemugambwe » (« les propriétaires du parti ») à longtemps monopolisés par des groupes étrangers l’opposé des banyamugambwe (« les membres du parti ») et les anciennes élites tutsi. Il s’est considérablement est révélatrice de cette propension à l’instrumentalisation enrichi. Son omnipotence l’a transformé quasiment en du parti. parti-État. Le CNDD-FDD défie l’État dans ses diverses prérogatives régaliennes, de nombreuses affaires illustrant la soumission de certaines institutions aux L’ancienne rébellion peine à se directives de cercles occultes au sein du parti13. défaire de certaines habitudes Mais l’omnipotence du CNDD-FDD ne doit pas pour héritées du maquis autant leurrer. La crise a eu de graves répercussions Ces interférences seraient justifiées par la nécessité socioéconomiques dont le Burundi ne s’est toujours de servir les intérêts du parti et de la majorité ethnique pas relevé. En effet, les Burundais ont vu leurs contre les velléités de sabotage ou de renversement conditions de vie se dégrader et beaucoup d’entre de la volonté populaire par d’autres forces politiques eux continuent d’être l’objet de toutes sortes de ou des projets revanchards, insinuation qui désigne les contributions forcées quand ils ne sont pas victimes anciennes élites tutsi. Cependant, leurs motivations de la répression de l’État. La cote de popularité du semblent davantage dictées par des intérêts financiers parti au pouvoir devrait inévitablement s’en retrouver ou des dynamiques identitaires, ces généraux tirant des affectée, le CNL d’Agathon Rwasa semblant bénéficier revenus considérables de leur contrôle sur le parti14. des nombreux déçus du CNDD-FDD. Dans un contexte où, dans le même temps, un petit groupe Ce faisant, Nkurunziza est resté la pièce maîtresse de responsables, couplé à quelques oligarques, est du jeu politique, ses pouvoirs s’étant sensiblement dans une logique de prédation économique, le parti renforcés depuis l’importante purge du parti et les présidentiel a vu grossir les rangs de ses mécontents. différents amendements de ses statuts. Sa position 6 BURUNDI : VERS UNE ALTERNANCE DANS LA CONTINUITÉ ?
de président du comité des sages, organe suprême réalités du moment, les thèmes de mobilisation portant du parti, couplée à sa qualité de chef de l’État, lui désormais davantage sur les problèmes de corruption et confère une autorité certaine sur le CNDD-FDD. Cette de mauvaise gouvernance. suprématie ne l’empêche pas d’être régulièrement Aujourd’hui, ce discours reste inchangé tout en contrarié par ces généraux dès lors qu’ils sentent leurs s’accompagnant notamment des nécessités de intérêts menacés. changement face à la pauvreté ambiante. Dans le narratif Le caractère autoritaire du CNDD-FDD, ses pratiques de sa vision politique, le CNL, à l’instar de la plupart des néopatrimoniales, l’absence de débats internes, le partis, se montre peu loquace, conséquence possible peu de transparence lors des prises de décisions des faiblesses idéologiques de la classe politique d’importance, les clivages identitaires et les diversités burundaise. Le choix discutable d’intégrer les institutions des profils sociologiques sont en grande partie à en 2015, alors que la coalition amizero y’Abarundi l’origine des tensions et des crises répétitives qui le avait prôné l’abstention des élections qualifiées de traversent. La dernière purge interne de 2015 a renforcé « mascarades »17, a mis le CNL dans une position le cercle de ces généraux et, au-delà, le rôle répressif ambiguë. En effet, il fait partie du gouvernement et de des structures de sécurité officielles et officieuses. l’opposition à l’Assemblée nationale où il n’assume pas Les imbonerakure, son organisation de jeunesse, se véritablement son statut de parti d’opposition pour ne substituent à l’autorité dans presque toutes les localités, pas être en défaut avec la loi18. Or, devant la répression imposent leur loi et rançonnent les populations15. féroce qui les frappe, ses militants attendent sans doute de leurs élus une opposition plus déterminée L’inconnu CNL à l’Assemblée nationale. Enfin, face à la répression Ancienne rébellion ayant passé près de trente ans de ses activités en province par l’administration et dans la clandestinité avant d’intégrer les institutions les imbonerakure, le CNL en est réduit à perpétuer la en 2009, le CNL ne cesse de se transformer. Issue pratique de la propagande souterraine dont il a usée de l’ancien PALIPEHUTU né en 1980 et devenu pendant des décennies de clandestinité. PALIPEHUTU-FNL en 2001, l’ex-rébellion a pris le nom de Forces nationale de libération (FNL) lors de Devant la répression féroce qui les sa transformation en parti politique en 2009, nom qu’il a gardé jusqu’au moment de se fondre en 2015 frappe, les militants du CNL attendent de dans une coalition d’indépendants éphémère du leurs élus une opposition plus déterminée nom d’amizero y’Abarundi. Il a enfin repris le statut de parti politique en 2019 à l’agrément du CNL. La Il y a lieu de se demander si les thèmes de mobilisation seule constante de ces différents mouvements de de sa propagande clandestine sont similaires à ceux ces deux dernières décennies est Agathon Rwasa propagés ouvertement. En d’autres termes, Agathon qui en est le leader et l’incarnation depuis l’année Rwasa s’est-il réellement départi de son caractère 2001. Caractériser le CNL est ardu tant le discours intransigeant et basé sur l’ethnicité hérité du maquis pour politique et les thèmes de mobilisation ont évolué au se glisser dans la peau d’un leader modéré et réfléchi ? fil du temps sans que l’on sache avec précision leur Les années passées dans la vie civile et au sein des dénominateur commun. institutions ont sans doute changé le personnage. Ses Fondé sur l’ethnicité, conséquence de décennies de quelques années passées à la tête de l’Institut national régime militaire d’exclusion de la majorité hutu et du de sécurité sociale (INSS) ont laissé de lui l’image d’un génocide de son élite en 1972, ce mouvement s’en dirigeant droit et travailleur parmi le personnel de l’Institut. est difficilement défait alors même que le pouvoir avait Son bilan à la vice-présidence de la chambre basse du connu en 2005 une alternance ethnique et politique avec Parlement est plus contrasté au vu des ambiguïtés du l’arrivée aux affaires du CNDD-FDD16. Ce n’est qu’à groupe parlementaire de son ancienne coalition amizero son entrée dans les institutions avec les perspectives y’Abarundi, lequel cautionne régulièrement le rôle de des élections de 2010 que le discours s’est adapté aux chambre d’enregistrement de cette institution. RAPPORT SUR L’AFRIQUE CENTRALE 16 | AVRIL 2020 7
Une pléthore de partis politiques satellites du Les autres formations politiques n’ont aucune assise CNDD-FDD populaire. La plupart sont dans la mouvance du CNDD- FDD tandis que d’autres oscillent entre cette position En dépit de la fermeture de l’espace politique, le Burundi et l’opposition modérée au gré des circonstances. compte près de 40 partis agréés dont plus de la moitié Plusieurs de ces partis participeront aux élections où proches du CNDD-FDD. Les partis d’opposition encore actifs ont connu un temps une certaine visibilité à ils devraient surtout servir de caution démocratique au travers le CNARED dans lequel ils étaient pour la plupart pouvoir. Il est peu probable que plus de l’un ou l’autre rassemblés. Cette plateforme politique de l’opposition d’entre eux atteigne le seuil critique de 2 % assurant étant aujourd’hui en semi-léthargie, ces partis ne se une participation à l’Assemblée nationale, à moins hasardent plus à tenter de faire entendre leur voix de que ce score ne leur soit « attribué » pour diversifier la peur de subir les représailles du pouvoir. Les seules voix couleur politique de l’hémicycle. critiques encore perceptibles dans la sphère politique, en Des élections à risque dehors de l’un ou l’autre député de l’ancienne coalition amizero y’Abarundi, sont celles de responsables d’ailes Dérive autocratique dissidentes des partis traditionnels, l’Union pour le Le régime est allé jusqu’au bout de son opposition et progrès national (UPRONA) et le Front pour la démocratie des pressions de la communauté internationale pour au Burundi (FRODEBU), tous deux ayant été aux affaires progressivement sortir de son isolement diplomatique. avant le CNDD-FDD. Or, l’un comme l’autre ne sont plus Il tente maintenant de présenter l’image d’un Burundi que l’ombre d’eux-mêmes. normalisé aux yeux de l’extérieur. Non satisfait d’avoir totalement soumis les forces de sécurité et Le régime est allé jusqu’au bout de instrumentalisé l’appareil judiciaire, le pouvoir s’est attelé son opposition et des pressions de la à étendre son emprise aux autres institutions et à les « nettoyer » pour les débarrasser des personnes jugées communauté internationale trop neutres ou peu malléables. L’UPRONA, une formation politique assimilée à la Nkurunziza a tiré les leçons de la crise de 2015 où des minorité tutsi, est divisée en plusieurs ailes. Les deux responsables au sein d’institutions clefs avaient refusé ailes dissidentes de l’UPRONA ne sont pas reconnues de se laisser instrumentaliser et ainsi failli compromettre légalement. Une partie des membres de l’une d’elles son passage en force19. C’est pourquoi il a procédé à semble avoir intégré le CNL, en carence de Tutsi et de divers changements dans les mécanismes de contrôle, cadres expérimentés, et une autre partie le Mouvement de contre-pouvoirs, de réconciliation et de gestion pour la réhabilitation du citoyen (MRC), un petit parti des conflits pour s’assurer de leur subordination. La d’opposition tutsi. L’aile de l’UPRONA reconnue CENI, la Commission vérité et réconciliation, la Cour officiellement joue le rôle de partenaire institutionnel du constitutionnelle, l’institution de l’Ombudsman, la CNDD-FDD qui, à son tour, l’utilise comme alibi pour faire Commission nationale indépendante des droits de valoir son image de tolérance ethnique. Cette UPRONA l’homme sont toutes, à des degrés divers, inféodées devrait faire plutôt dans la figuration au cours des au pouvoir. Simultanément, la haute administration différentes élections. publique et sécuritaire a été quelque peu purgée des Tutsi, la diplomatie ne comprenant plus que deux Le FRODEBU-Nyakuri, l’aile progouvernementale du ambassadeurs de cette communauté et le Service parti du même nom, ne devrait guère faire mieux. Le national de renseignement plus aucun responsable au Sahwanya FRODEBU, son rival, est tiraillé entre ses niveau provincial. partisans du rapprochement avec le pouvoir et ses tenants du jeu de l’opposition représentés par son En outre, le pouvoir a considérablement durci sa candidat à la présidentielle. Ses chances d’attirer le plus législation notamment sur les libertés publiques, la de voix possibles sont d’autant plus limitées que le parti répression des crimes ou le monde associatif. Cela est en proie à des divisions. lui permet d’assurer un plus grand contrôle sur les 8 BURUNDI : VERS UNE ALTERNANCE DANS LA CONTINUITÉ ?
médias, la société civile et les organisations non régime militaire, les Burundais sont retournés au rang de gouvernementales internationales (ONG)20. De surcroît sujets, taillables et corvéables à merci. ceux-ci sont régulièrement exposés à l’arbitraire de La présence de groupes rebelles burundais dans l’Est de la loi ou aux sautes d’humeur des autorités. Depuis la RDC ne semble pas avoir particulièrement affecté la novembre 2019, quatre journalistes du seul média sécurité en dehors de l’une ou l’autre incursion non suivie d’informations générales encore assez critique à d’effets. En revanche, deux incidents violents opposant l’égard du pouvoir, Iwacu, sont emprisonnés pour avoir forces de sécurité et un groupe armé non identifié sont couvert l’incursion d’une rébellion dans la forêt de la encore entourés de mystère. En novembre 2019, une Kibira, traditionnel sanctuaire de mouvements armés. position militaire de l’armée burundaise dans la province Deux des rares ONG locales à encore œuvrer dans les de Cibitoke, à l’intérieur de la Kibira, a été attaquée et thématiques sensibles de la gouvernance et la résolution mise en déroute. Devant ce revers militaire qu’elles ont des conflits sont suspendues. Des mesures qui visent pour une fois assumé, les autorités se sont d’abord clairement à intimider les contre-pouvoirs et à les acculer murées dans un silence gêné avant d’accuser le Rwanda à l’autocensure. d’en être le responsable23. En février 2020, des échanges Concernant l’opposition, en dépit de leur prudence, de tirs sur les hauteurs de Bujumbura ont été suivis de ses sympathisants et ses responsables restent l’arrestation d’une vingtaine de personnes présentées encore soumis à des arrestations et diverses formes comme des assaillants. Diverses organisations affirment d’intimidation21. Cependant le CNL, fort de sa popularité, que la plupart d’entre elles ont été exécutées24. est la principale cible de la répression du pouvoir. Il a été agréé en février 2019 malgré de fortes résistances Le gouvernement n’a pas encore désigné les auteurs au sommet. Sa reconnaissance légale a déclenché de cette attaque présumée non accompagnée de une vague de répression brutale à l’endroit de ses revendication politique. Cependant des militants du CNL militants, certains responsables locaux ayant même ont été arrêtés dans la foulée. Le CNL avait dénoncé été assassinés22. De fait, de manière plus générale, les quelques mois auparavant un projet du gouvernement de arrestations et les détentions arbitraires, les enlèvements lui imputer une rébellion pour pouvoir ensuite procéder et les exécutions extrajudiciaires n’ont jamais cessé à l’arrestation de ses leaders. Au-delà des mobiles depuis la crise de 2015, la seule année 2019 ayant administratifs souvent avancés pour justifier l’arrestation enregistré au moins 371 personnes tuées, 45 portées des militants de ce parti, ces derniers font souvent les disparues, 257 torturées et 1 046 arrêtées arbitrairement frais de la criminalité ordinaire ou d’assassinats divers, les selon la principale organisation de défense des droits autorités locales les prenant souvent comme cibles de humains, la ligue Iteka. leurs enquêtes. Par ailleurs, après avoir été particulièrement visés au plus Les arrestations et les détentions fort de la crise, les membres des forces de sécurité en arbitraires n’ont jamais cessé depuis fonction ou démobilisés de l’ethnie tutsi sont aujourd’hui de plus en plus visés par des arrestations et parfois des la crise de 2015 exécutions extrajudiciaires. L’armée régulière enregistre depuis quelques mois des désertions, les autorités Certes, les violations graves des droits humains sont soupçonnant certains de ces militaires de rejoindre à la baisse par rapport aux pics des années 2015 les groupes rebelles. En effet, les membres des forces et 2016, mais leur ampleur reste considérable pour de sécurité d’ethnie tutsi ou originaires de la ville de un pays « normalisé ». De plus, la province est le Bujumbura seraient parmi les groupes-cibles soupçonnés théâtre quotidien des exactions des imbonerakure de sympathie, voire de complicité avec les rebelles par qui quadrillent tout le pays, rançonnent les citoyens les autorités25. En clair, sous l’apparence de la normalité, ordinaires et à l’occasion les ONG locales ou le Burundi n’est pas véritablement sorti de la crise et internationales. Après avoir peiné longuement pour de très nombreux Burundais continuent à vivre dans un acquérir le statut de citoyens après des décennies de climat de peur et d’intimidation. RAPPORT SUR L’AFRIQUE CENTRALE 16 | AVRIL 2020 9
Un cadre juridique des élections plus et transparentes. La CENI, dont la composition a contraignant été approuvée lors d’une séance boycottée par les députés d’amizero y’Abarundi26, n’a d’indépendance Le code électoral de 2014 avait fait l’objet de larges que le nom27, l’un de ses commissaires donnant consultations organisées notamment sous l’égide du même libre cours à ses opinions partisanes dans des bureau des Nations unies (ONU) au Burundi et avait été Tweets virulents contre les opposants présumés. La finalement adopté de manière consensuelle. La nouvelle Cour constitutionnelle, organe de recours, étant elle- Constitution de 2018, de par certaines de ses innovations, même aux ordres, le pouvoir contrôle donc ces deux rendait nécessaire un nouveau code électoral. De plus, la institutions. En outre, le ministère de l’Intérieur — chargé CENI qui avait supervisé le referendum avait elle-même de la supervision des élections —, l’administration largement dépassé la durée de son mandat et devait territoriale, le commandement des forces de sécurité, donc être remplacée. Un projet de code électoral a donc la justice et les médias d’État étant tous partisans, le été élaboré. A l’inverse du précédent texte de 2014 le processus électoral risque d’être d’autant plus vicié, processus sera bâclé, l’avant-projet de loi n’ayant donné lieu qu’à une seule journée de discussions avec les partis alors que l’observation internationale a été réduite à politiques, du reste pas tous représentés en raison du la portion congrue et les observateurs locaux triés sur retard dans la transmission des invitations. le volet. Enfin, il subsiste d’importantes interrogations sur la capacité réelle du régime à mener à bien les De manière générale, les principaux griefs formulés contre opérations de vote sur le plan matériel, logistique et le code électoral adopté en 2019 sont la suppression technique, le processus électoral au Burundi étant des listes des candidats indépendants, le coût trop élevé entièrement financé et organisé par les autorités de la caution exigée des candidats à la présidentielle nationales pour la première fois28. et les conditions de son remboursement, le caractère trop restrictif des exigences relatives à la nationalité Par ailleurs, les partis politiques ont adhéré à un code des candidats à la présidentielle et le nombre élevé de « de bonne conduite ». Le Conseil national de la documents requis pour les candidats aux communales. communication a fait de même et présenté un code de conduite des médias pendant la période électorale. Cependant, les médias n’ayant pas été consultés au Il subsiste d’importantes interrogations préalable, tous ne l’ont pas signé. En effet, deux d’entre sur la capacité du régime à mener à eux ont refusé de cautionner l’interdiction qui leur est faite bien les opérations de vote de diffuser par quelque canal que ce soit des résultats autres que ceux diffusés par la CENI ou encore celle de Paradoxalement le fichier électoral n’a pas fait diffuser les résultats des sondages relatifs aux élections. véritablement l’objet de controverses alors qu’il compte Faire l’économie d’une nouvelle crise électorale une augmentation du nombre des électeurs de 25 % « En Afrique, on n’organise pas des élections pour les en cinq années au cours desquelles plusieurs centaines perdre. » Cette réflexion d’Omar Bongo, ancien président de milliers de Burundais se sont réfugiés dans les pays gabonais, pourrait résumer l’état d’esprit qui règne de la sous-région et en Occident. De plus, le logiciel de parmi les ténors du pouvoir. Pour autant, le CNDD-FDD traitement des données pour ce même fichier a été confié est loin d’être serein. Il continue d’ailleurs à manifester à une société burundaise étroitement liée à un haut gradé régulièrement des signes de fébrilité. Déjà en 2018, le proche du parti au pouvoir. processus référendaire, durant lequel les Burundais avaient L’autre motif de contestations porte sur la composition été enrôlés de force et malmenés pour être contraints à des démembrements de la CENI au niveau provincial voter, avait été conduit dans la violence, les personnes et communal jugée trop déséquilibrée au profit du soupçonnées de militer pour le non étant arrêtées ou parti au pouvoir et de ses alliés. En effet, le cadre rouées de coups. De plus, il avait été ponctué d’appels à légal et réglementaire des élections, aussi parfait soit- brutaliser, à torturer et même à éliminer physiquement tous il, n’est pas le meilleur garant d’élections crédibles les partisans du non29. 10 BURUNDI : VERS UNE ALTERNANCE DANS LA CONTINUITÉ ?
Ce climat de peur et de répression n’avait pas empêché des différentes élections devrait être serrés. Or, sauf les militants de Rwasa de défier le pouvoir en manifestant énorme surprise, la CENI devrait proclamer la victoire en nombre pour le non une fois la campagne référendaire du candidat du CNDD-FDD à la présidentielle et officiellement ouverte. L’agrément du CNL a également des scores élevés pour la même formation politique donné lieu à un nouveau bras de fer entre le chef de aux deux autres scrutins à même de lui assurer une l’État et ses généraux, ces derniers voyant dans cette majorité confortable au Parlement32. En effet, le pouvoir reconnaissance légale une menace sérieuse à leur semble exclure toute défaite. pouvoir. Depuis lors, la répression brutale qui frappe ses Dans le même temps, il devrait avoir la volonté militants participe de la volonté d’intimider ces derniers de s’épargner une nouvelle crise et d’entourer le et de mettre au pas le CNL afin de le neutraliser pour les processus électoral d’un « habillage » légal en vue élections à venir. de la légitimation des institutions qui en résulteront, En parallèle, ces généraux se sont opposés au retour deux objectifs difficilement conciliables tant les actions d’anciens hauts responsables transfuges du CNDD-FDD, posées par le pouvoir ont souvent contredit les exilés depuis la crise de 2015 et ne faisant pas l’objet intentions proclamées. Or, Agathon Rwasa a répété de poursuites judiciaires, dont Gervais Rufyikiri, ancien plusieurs fois que son parti n’est pas prêt à accepter deuxième vice-président de la République (2010-2015) des élections non crédibles33. Et les signes avant- et Jérémie Ngendakumana, ex-dirigeant du CNDD-FDD coureurs ne sont pas de bon augure. (2007-2012). Ces derniers n’avaient pas caché leur Dès lors, plusieurs scénarios pourraient se dessiner volonté de participer aux élections. De crainte de voir de en fonction de différents facteurs dont notamment : le nombreuses défections au sein du parti au pouvoir en caractère évident ou non d’irrégularités importantes et faveur de ces figures, pour certaines respectées et non leur ampleur ; la nature et l’étendue de la contestation sans capacité de mobilisation, ces généraux ont opposé que pourrait mobiliser le CNL ; le degré et la volonté leur veto à leur retour qui avait pourtant été validé dans d’implication de la communauté internationale en un premier temps30. cas de crise électorale ; la capacité d’ouverture à un dialogue et un éventuel compromis de la part des Une crise électorale pourrait éclater autorités. Il est permis d’être très sceptique sur ce si des éléments probants plaident en dernier point et réservé sur l’engagement des acteurs la faveur d’une victoire confisquée internationaux. du CNL En partant du postulat énoncé plus haut, et en tenant compte des divers paramètres ci-dessus, le Burundi sera probablement préservé d’une crise si le Conscient de la crise socioéconomique que traverse CNL est battu régulièrement ou si, en cas de défaite le Burundi et du mécontentement croissant de contestable, il réalise que le rapport de forces lui est la population à l’égard du CNDD-FDD pour ses défavorable et subit d’importantes pressions pour se responsabilités dans cette situation31, le pouvoir mise contenter des résultats qui lui auront été accordés. davantage sur la neutralisation de ses adversaires L’un comme l’autre des scénarios pourrait être politiques. Il est donc fort improbable qu’il favorise un envisagé d’autant qu’il est peu plausible que Rwasa environnement propice à des élections crédibles, le fasse du jusqu’au-boutisme. En revanche, une crise scénario le plus plausible étant d’en dicter l’issue dans électorale pourrait éclater si des éléments probants un climat d’intimidation et de répression à l’endroit de plaident en la faveur d’une victoire confisquée du CNL son principal concurrent le CNL. dans l’un ou l’autre des scrutins et si la contestation Sans présager du verdict qui sortira des urnes et qui suit devient hors de contrôle. En ce cas de figure, en l’absence de sondages d’opinion, il est difficile seule une réponse forte, concertée et coordonnée de d’envisager une victoire écrasante de l’un ou l’autre la communauté internationale pourrait favoriser une des partis CNDD-FDD et CNL, tant a priori les résultats solution négociée. RAPPORT SUR L’AFRIQUE CENTRALE 16 | AVRIL 2020 11
Attentisme de la part de la communauté d’observation électorale qui a été poliment récusée. Elle internationale attend certainement de voir le déroulement et l’issue des élections pour adopter une attitude conséquente vis-à-vis En 2015, la gestion de la crise burundaise a été confiée à du Burundi. Elle est probablement celle qui sera la plus l’EAC. Cette organisation, peu expérimentée en matière de prompte à réagir en cas de nouvelle crise électorale étant gestion des conflits, a d’abord fait preuve d’une certaine donné les possibilités limitées de voir l’EAC s’enliser de détermination dans sa tâche avant que les divisions nouveau dans le bourbier burundais. internes entre ses chefs d’État sur base de conflits personnels et divergences géopolitiques n’entament cette L’EAC devrait envoyer une mission d’observation volonté et cèdent le pas à des initiatives plus frileuses. électorale au Burundi. Une mission exploratoire a Après trois années de tâtonnements et d’impasse, le d’ailleurs déjà été effectuée. Les autorités avaient facilitateur désigné, Benjamin Mkapa, ancien président pourtant affirmé ne pas vouloir accueillir des missions tanzanien, a jeté l’éponge et, depuis lors, l’organisation d’observation électorale étrangères. Il y a lieu de se semble avoir enterré ce dossier. Or aucune autre demander ce qui les a poussées à faire exception. Il est organisation n’a pu prendre la relève dans la gestion de la vrai que son secrétaire exécutif est un Burundais proche crise burundaise à la grande satisfaction des autorités. du pouvoir. En tout état de cause, l’EAC s’est soustraite L’Union africaine (UA) s’était montrée intéressée34, mais à la gestion de la crise sans assumer cette dérobade. elle a dû revoir ses ambitions dès lors que son projet n’a La voir s’y réinvestir semble d’autant plus hasardeux pas rencontré l’assentiment de l’EAC et le soutien déclaré que d’autres pays membres devraient prochainement des autres acteurs internationaux. Du reste, le principal connaître des processus électoraux à commencer par la obstacle était l’attitude du gouvernement burundais, Tanzanie (octobre 2020) puis l’Ouganda (2021). Or, dans toujours ferme dans sa détermination à empêcher « toute l’un ou l’autre cas, le processus semble mal engagé, atteinte à sa souveraineté ». De plus, l’année 2018, qui l’Ouganda risquant fort d’aller au-devant d’une crise a précédé celle de la démission officielle de Mkapa, avait électorale alors que son président garde officiellement la vu quelques passes d’armes entre l’UA et le régime de position de médiateur dans la crise burundaise. Aura- Gitega. Le référendum constitutionnel avait en effet suscité t-il dès lors la volonté et la capacité de s’y impliquer de des critiques de la part du président de la Commission nouveau alors qu’il aura probablement déjà à gérer une de l’UA, auxquelles les autorités avaient réagi vertement. situation interne critique ou acceptera-t-il de transmettre En fin de cette même année, le camouflet subi par le le dossier burundais, en l’occurrence à l’UA ? commissaire à la paix et à la sécurité de l’UA lors de sa visite à Bujumbura35, suivi quelques semaines plus tard L’UA aurait voulu envoyer une mission par l’annonce du retrait de 1 000 soldats du contingent d’observation électorale qui a été burundais de l’AMISOM, avaient encore davantage refroidi les relations entre les deux entités. poliment récusée Depuis lors, le secrétaire général du CNDD-FDD s’est Malgré la persistance de son engagement dans la crise rendu au siège de l’UA où il a rencontré le président burundaise, l’ONU est empêtrée dans ce dossier en de la Commission. L’organisation panafricaine cherche grande partie du fait de positions antagonistes au sein désormais à éviter toute friction avec le pouvoir et a des membres permanents du Conseil de sécurité et même retiré le Burundi de son agenda des réunions du Conseil de paix et de sécurité 36. Elle a même édulcoré de la fermeté des autorités burundaises. En 2019, son son discours à son égard37. Elle voudrait surtout pouvoir envoyé spécial a démissionné et une cacophonie dans discuter avec le pouvoir des modalités d’organisation le discours a été observée au sein de certaines de ses du processus électoral. Le président de la Commission institutions. Le Burundi n’a plus été inscrit à l’agenda était d’ailleurs attendu à Bujumbura début avril mais des réunions du Conseil de sécurité de l’ONU depuis le cette visite a été annulée compte tenu de la pandémie 30 octobre 2019, jour où l’envoyé spécial du secrétaire du COVID-19. L’UA aurait voulu envoyer une mission général a remis son tablier. 12 BURUNDI : VERS UNE ALTERNANCE DANS LA CONTINUITÉ ?
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