"Charlie Hebdo" dans le miroir de l'affaire Rushdie

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"Charlie Hebdo" dans le miroir de l'affaire Rushdie
NOTRE DOSSIER: LES ATTENTATS DE PARIS ANALYSE
                                   19 JANVIER 2015
                                   PAR CHRISTIAN SALMON

"Charlie Hebdo" dans le miroir de
l’affaire Rushdie
L’attentat contre Charlie Hebdo s’inscrit dans une longue histoire,
celle des relations qu'entretiennent le sacré et le profane, le champ
de la foi et celui du rêve. Tous les verrous construits depuis les
Lumières, afin de protéger l'espace de la création, sont en train de
sauter.
Les images des manifestations qui se sont déroulées au Niger, au Pakistan, au Mali, en Algérie ou
au Sénégal pour protester contre la publication par Charlie Hebdo d’une nouvelle caricature du
prophète Mahomet nous rappellent ce que l’affaire Rushdie avait démontré pour la première fois en
1989.

Pour le meilleur et pour le pire, le monde est irréparablement ouvert. Il n'offre plus de refuge. La
censure a changé. De formes, d’agents, de cibles. Elle ne reconnaît plus les frontières. Elle ne frappe
plus seulement les journaux, les livres ou les films. Elle s’attaque directement aux personnes,
auteurs, journalistes.

Surtout, elle ne traque plus seulement des opinions politiques, religieuses ou idéologiques mais elle
s'attaque à toute forme de représentation, image, fiction, caricature en tant que telle. Elle prétend
transformer en délit d’opinion toute pratique artistique libre.

                                   Manifestation, samedi 17 janvier, au Yémen à Sanaa contre «Charlie Hebdo». ©
                                   (dr)

                                   En Iran, c’est la musique dans son ensemble, sa diffusion, son
                                   enseignement qui ont été longtemps interdits ou réglementés. En
                                   Afghanistan, l'une des premières initiatives des talibans, après leur
                                   entrée dans Kaboul, fut de brûler des bobines de films, sans même
                                   les visionner, dans des autodafés que retransmirent les télévisions
                                   du monde entier.

En Algérie, le seul fait d’être réputé écrivain suffisait pour figurer sur les listes noires des commandos
islamistes.

Depuis la chute du mur de Berlin, la censure n’est plus seulement le fait des États totalitaires. La
figure dominante d’une censure centrale, disposant d’organes bureaucratiques qui permettaient de
traquer la pensée dissidente, se double aujourd'hui de multiples phénomènes de violence et de
répression, qui ont pour seul point commun une haine aveugle de l'art et de la fiction. Et cette haine
gagne du terrain non seulement dans les régions à fondamentalisme islamiste mais aussi en Europe

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ou aux États-Unis, où de véritables lobbies anti-artistiques tentent d’imposer aux artistes et aux
écrivains leurs raisons, leurs critères, leurs limites.

Il n’y a pas si longtemps, les romans de Steinbeck ou Richard Wright ont été interdits dans certains
lycées sous la pression des organisations de parents d'élèves. En France, dans les municipalités
conquises par l'extrême droite en 1995, sont apparues des listes de livres à retirer des bibliothèques.
Le code pénal de 1994, adopté sous la pression d’organisations familiales, ne légitime-t-il pas les
intimidations, les poursuites contre des livres ou des expositions ? La sculpture en forme de "plug
anal" de Paul McCarthy a été vandalisée place Vendôme à Paris.

Toutes les protections, tous les verrous savamment ménagés depuis l'époque des Lumières, afin de
protéger l'espace de la création, sont en train de sauter. La réaction du pape François ne doit pas
surprendre : c’est la position constante de l’Église catholique qu’il a exprimée. Monseigneur Lustiger,
membre de l'Académie française, était allé bien plus loin lors de l’affaire Rushdie, ne craignant pas
d'affirmer que

                                  Manifestants devant les bureaux de l'éditeur des «Versets sataniques», à New
                                  York en 1989. © (dr)

                                  Monseigneur Decourtray, primat des Gaules, établissant un lien
                                  entre l'affaire Rushdie et la campagne déclenchée quelques mois
                                  auparavant contre le film de Scorsese La Dernière Tentation du
                                  Christ, s'écriait :

L'archevêque de New York, monseigneur John O'Connor, estimait lui aussi que le livre de Rushdie
offensait la foi et demandait à ses fidèles de ne pas le lire. Le grand rabbin d'Israël, le Vatican et
Margaret Thatcher exprimèrent la même réprobation… Jacques Chirac, futur président de la
République française, déclara imprudemment :

"Distorsion gratuite" !

Quelques jours après l'annonce de la fatwa contre Rushdie, l'Osservatore Romano, l'organe officiel
du Vatican, a exprimé

Merveilleuse assurance des critiques littéraires du Saint-Siège, qui s'autorisent à juger des
distorsions gratuites de la fiction !

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"Charlie Hebdo" dans le miroir de l'affaire Rushdie
En novembre 1993, nous avions convié à Strasbourg, à l'occasion de la fondation du Parlement
international des écrivains, une soixantaine d’écrivains pour organiser un réseau international de
villes refuges capables d’accueillir et de protéger les écrivains et les journalistes menacés de mort
dans leur pays. À l’occasion d’une émission qu’Arte réalisa en présence de Toni Morisson, Pierre
Bourdieu, Édouard Glissant, Jacques Derrida, Susan Sontag et Assia Djebar, Salman Rushdie
expliqua que le meurtre d'écrivain ou de journaliste, après les prises d'otages et les détournements
d'avion, pourrait bien devenir un nouveau modèle de terrorisme international.

                                    L'attentat contre "Charlie Hebdo", le 7 janvier 2015. © Reuters

                                    Et c'est bien ce qui s'est passé. Depuis un quart de siècle, les
                                    fatwas se sont multipliées en Iran, en Égypte, au Bangladesh, en
                                    Algérie. Les écrivains, les journalistes, les artistes sont devenus la
cible privilégiée d'attentats aveugles et à haut rendement médiatique. De la censure des œuvres, on
est passé à la persécution des auteurs, des textes censurés aux têtes tranchées. Le massacre de
Charlie Hebdo en est un aboutissement. Il démontre que ce qui est en jeu n’est pas seulement la
liberté d’expression des individus mais un droit non écrit et pourtant imprescriptible : le droit
d’interroger le monde en dessinant des petits bonhommes, le droit à l’ironie qui n’est rien d’autre
qu’une manière de chercher de nouveaux angles pour pénétrer la réalité, d’esquisser ce qui, dans la
fiction, ébauche d'autres mondes, d'autres types de relation entre les hommes.

Bien sûr Charlie Hebdo n’était pas toujours à la hauteur de cet objectif. Bien sûr, depuis quelques
années, l’équipe de Charlie avait muté. Les savonaroles de la laïcité avaient rejoint les gentils
bouffeurs de curés ; les moines soldats de l'idée fixe de l’islamofascisme s’étaient taillé une place à
la table des vieux potaches écolos et ils avaient viré Siné, coupable de lèse-majesté envers le fils
Sarkozy. Ce ne sont pas eux qui ont été pris pour cibles mais les saints insolents, les joyeux drilles,
les pourfendeurs de l’esprit de sérieux, les descendants de Villon et de Rabelais, les héritiers de
Brassens... Ceux-là n’accomplissaient pas un programme idéologique. Ils ambitionnaient seulement
un certain regard démystificateur sur le monde. Ils luttaient pour une autre hiérarchie des sens,
d'autres modes de perception.

L’attentat contre Charlie Hebdo s’inscrit dans une longue histoire, celle des relations qu'entretiennent
le sacré et le profane, le champ de la foi et celui du rêve, le rire et le sérieux. Le christianisme à ses
débuts condamnait le rire. On pouvait même prétendre comme saint Jean Chrisostome (mort en 407)
que les plaisanteries et le rire ne venaient pas de Dieu, mais du Diable ; et même que le Christ
n'avait jamais ri. Plus près de nous, le jansénisme et le cri de Rancé, "                                ",
portent la marque d'un rigorisme moral que ne renieraient pas aujourd'hui les accusateurs de
Rushdie.

L'attitude de l'Église est loin d'avoir été toujours aussi répressive. Et si la fatwa lancée contre
Rushdie a été perçue comme une violence obscurantiste "                   ", associée immédiatement à
la prétendue barbarie du Moyen Âge, cela relève plus du cliché que de la vérité historique. C'est au
Moyen Âge au contraire que la tolérance des autorités religieuses à l'égard des fêtes carnavalesques
et des rites de parodie de la religion a été la plus grande. La lecture du livre de Mikhaïl Bakhtine sur
l'œuvre de Rabelais, qui témoigne de la cohabitation joyeuse de la foi et du rire, de la liturgie et du
carnaval, devrait être rendue obligatoire dans tous les séminaires et conseillée à tous ceux qui se
sont insurgés contre les prétendues provocations de Salman Rushdie.

Dès le XIe siècle, tous les éléments du culte officiel font l'objet de parodies, la parodia sacra en latin,
mais aussi en langue vulgaire : les prières – Pater Noster, Ave Maria, Credo –, les Évangiles, les
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"Charlie Hebdo" dans le miroir de l'affaire Rushdie
règles monacales, les décrets de l'Église, les arrêtés de concile, les bulles et les messages
pontificaux, les sermons religieux… Pour les cérémonies de Pâques, la tradition permettait le rire et
les plaisanteries licencieuses à l'intérieur même de l'Église (le risus paschalis qui était associé à la
renaissance joyeuse). Il existait aussi le rire de Noël.

Il est difficile d'imaginer aujourd'hui l'étendue de ces pratiques parodiques : les clercs, mais aussi les
ecclésiastiques haut placés et les doctes théologiens rédigeaient des traités comiques… L'une des
œuvres les plus anciennes de cette littérature parodique en latin, la Cène de Cyprien (Cena
Cypriani), écrite entre le Ve et le VIIe siècles, travestissait dans un esprit carnavalesque l'Écriture
sainte (Bible et Évangile) et détournait toute l'histoire sacrée (depuis Adam jusqu'au Christ) dans la
description d'un banquet bouffon et excentrique. Ainsi, Ernst Robert Curtius peut écrire :

Du rire carnavalesque au roman moderne

Dans les manuscrits des XIIIe et XIVe siècles, notamment les livres de légendes retraçant la vie des
saints, on trouve, à côté d'enluminures pieuses illustrant le texte, des figures de chimères
enchevêtrant des formes humaines, animales et végétales, des diablotins comiques, des jongleurs
exécutant des tours d'acrobatie…

Les peintures murales et les sculptures des églises témoignent également de cette coexistence du
rire et du sérieux.

                        Rabelais. © (dr)

                        C'est pendant la Renaissance que ce rire carnavalesque, longtemps
                        cantonné au niveau des fêtes populaires, a fait irruption dans la littérature,
                        donnant naissance à des chefs-d'œuvre mondiaux, tels le Décaméron de
                        Boccace, l'œuvre de Rabelais, le roman de Cervantès, les drames et
                        comédies de Shakespeare…

Bakhtine rappelle que si la prudence poussa Rabelais à retirer toutes les attaques contre la
Sorbonne de ses deux premiers livres pour leur édition de 1542,

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L'interpénétration entre le texte sacré et la littérature profane était telle que la première traduction de
la Bible en français, réalisée par Olivétan, porte la marque de la langue et du style rabelaisiens.

À l'inverse, ce n'est pas toujours du côté de l'Église que se recruteront les critiques les plus sévères
de Rabelais. L'histoire de la réception de son œuvre en France nous livre quelques surprises. Dès
1690, le jugement de La Bruyère est sans appel :

Et Voltaire, la grande figure des Lumières, qu'on invoque sans cesse contre l'obscurantisme,
reprochait à Rabelais d'avoir mêlé l'érudition, les ordures et l'ennui

Il proposait que les œuvres de Marot et de Rabelais fussent réduites à cinq ou six feuilles.

Et Bakhtine de conclure :

et sa conception carnavalesque du monde. Ceux qui convoquent les philosophies des Lumières en
défense de Charlie Hebdo devraient y réfléchir à deux fois. Rabelais serait plus convaincant à leur
place.

Swift opposait la possession d’une illusion agréable à la folie propre aux hommes d'État et grands
réformateurs religieux. Comment s’opposer à la folie religieuse et politique, lorsque la folie est telle
que l’illusion ne peut plus être distinguée du réel ?

Cervantès a le premier montré que la folie et le désordre entrent dans le monde lorsque s'efface la
subtile nuance qui sépare le réel de la fiction. Qui est don Quichotte en effet, sinon celui qui s'est
perdu quelque part aux confins des livres et du réel et qui ne perçoit plus très bien cette frontière ?
N’ira-t-il pas jusqu'à interrompre un spectacle de Guignol et transpercer de son épée des
marionnettes en bois parce que celles-ci ne se conduisent pas conformément aux principes de la
chevalerie ?

Il témoigne du même aveuglement que nos assassins de l’imaginaire, qui ne peuvent comprendre la
différence entre le réel et la fiction, entre un dessin et une insulte, une caricature et une image sainte.

L’idée fixe de leur folle chevalerie les rend incapables de ce minimum de distance sans laquelle il n'y
a ni parodie, ni jeu, ni même représentation.

Nadejda Mandelstam rapporte un récit de Khrouchtchev sur Staline regardant à la télévision un
comédien célèbre qui jouait un rôle de traître. Staline fut si impressionné par le jeu du comédien qu'il
déclara que seul un authentique traître pouvait jouer aussi bien ce rôle. Aussi ordonna-t-il qu'on
prenne des mesures en conséquence.
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"Charlie Hebdo" dans le miroir de l'affaire Rushdie
Un demi-siècle plus tard, le 13 février 1989, l'ayatollah Khomeiny regardait lui aussi la télévision. Et il
vit la police pakistanaise tirer sur des manifestants qui protestaient contre la parution aux États-Unis
d'un livre intitulé Les Versets sataniques. Khomeiny n'avait pas lu ce livre mais il fut si impressionné
par les images du massacre à la télévision, qu'il en déduisit qu'un livre qui avait pour titre Les Versets
sataniques ne pouvait être que satanique, n'ayant d'autres fins que l'insulte ou le blasphème. Il se
retira pour dicter sur-le-champ un ordre d'exécution de Salman Rushdie.

Une éthique du discernement

La peine de mort émise par l’Iran contre un citoyen britannique, un acte de terrorisme d'État, ne
violait pas seulement les lois internationales, elle franchissait la frontière fragile qui sépare la fiction
de la réalité. Quelques semaines après la fatwa, Jamel Eddine Bencheikh, professeur de poétique
arabe à la Sorbonne et traducteur des Mille et Une Nuits, écrivait :

                         Le dessinateur Cabu. © (dr)

                         Lorsqu’on assimile l’auteur à ses personnages, le dessinateur à ses
                         caricatures, on fait sauter tous les verrous qui protègent l’espace de la fiction.

                        On sait que l'œuvre de fiction n'est pas le simple produit de la volonté de
                        l'auteur, qui y déposerait significations et prédicats, mais un processus
                        complexe où l'écrivain paradoxalement s'absente et s'efface. Cabu racontait
                        qu’il lui arrivait dans certaines circonstances de dessiner avec un petit crayon
                       et la main dans sa poche...

Le roman n’a que faire des opinions, des croyances (des hérésies même) de son auteur. Il ne relève
pas de l’expression de soi, mais signifie au contraire la défaite de toute expressivité. Flaubert en a
formulé la règle :

La censure qui frappe les artisans de l’imaginaire, qu’ils soient dessinateurs, écrivains, cinéastes,
peintres ou sculpteurs ne sanctionne pas un délit d'opinion (sa défense ne relève donc pas de la
défense de la liberté d'expression brandie comme un fétiche), mais la fiction elle-même, le droit à la
littérature, à l’humour, à la métamorphose…

La devise de Cervantès, c’est la formule populaire, empreinte d’humour et de sagesse qui aurait pu
faire la une de Charlie Hebdo :

Pour la première fois un récit ne prétendait fonder ni une loi ni une communauté, mais affirmait une
éthique du discernement. À l’orée des temps modernes, une lecture transcendantale du monde n'est
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plus possible ; le sens du monde s'est pulvérisé en milliers de signes indéchiffrables ; leur
miroitement énigmatique autorise toutes sortes d'interprétations qui vont s'épanouir en milliers de
récits. La seule éthique possible, c'est une éthique de la traduction, de l'interprétation, une éthique de
la séparation. Avec Don Quichotte, Cervantès ouvre l'âge d'or des voyageurs du sens, des artistes
intrépides de l'herméneutique. À l'opposé des romans de chevalerie qui cherchaient à occulter le réel
et à y substituer un monde enchanté, le roman moderne va se tourner vers le monde, s'ouvrir à lui et
tenter, toutes tendances confondues, de le déchiffrer.

Tournant le dos à la fiction d'un monde unifié et clos, ce roman moderne ne va cesser de s'ouvrir à
une réalité diverse et stratifiée. Des complexités de l'âme à la mécanique des sociétés, de la
conquête des nouveaux mondes à l'exploration du passé, le roman va se faire historien, sémiologue,
psychologue, géographe, sociologue.

À l'opposé des visées encyclopédistes qui lui sont contemporaines, il produira non pas des
synthèses, mais du discernement, non pas des systèmes, mais une prolifération de l'expérience, une
dissémination du sens. Tout le savoir du roman, son unique savoir, est le fruit de ces expériences de
la séparation.

                                   Milan Kundera. © (Gallimard)

                                 Dans 'La Plaisanterie', Kundera a décrit le monde totalitaire
                                 comme celui où tend à s’effacer la nuance qui existe entre la
                                 plaisanterie et le sérieux, où une plaisanterie ne fait plus rire mais
                                 peut détruire une vie (à cause d’une carte postale que, pour rire, il
                                 avait signée Trotsky, un étudiant est renvoyé de l’université, sa vie
                                 bascule…). La plaisanterie est une prolongation de la fiction dans
la vie quotidienne. Avec la parodie, le jeu, le rire, c’est la possibilité à l’intérieur d’une relation
humaine d’inventer d’autres rapports, d’inverser des rôles, de relativiser sa propre signification.

Nous savons maintenant que l’impossibilité de la plaisanterie dans le monde totalitaire annonçait
notre entrée dans un monde où l’illusion romanesque est devenue la cible des cohortes sinistres de
l’idée fixe. Ce monde, le monde des médias et des mollahs, se caractérise par la confusion du réel et
de la fiction, du sacré et du profane, du jeu et de la foi. C'est un monde où l’éthique du discernement
n’a plus de sens.

C’est cette éthique qui est en jeu dans le débat autour de Charlie Hebdo. Elle n’oppose pas croyants
et incroyants, car l’éthique du discernement s’exerce au sein même des religions du Livre (Exégèse
canonique, Talmud et Tafsir). Elle ne définit pas non plus l’Occident des Lumières contre un islam
prétendument obscurantiste. Elle projette à l'échelle du monde, à travers mille distorsions, confusions
et malentendus, la nouvelle guerre pour le monopole du récit que mène un Occident militarisé, qui
poursuit ses guerres indifférenciées contre le terrorisme depuis le 11-Septembre, nourrissant la
terreur qu’il prétend annihiler.

Dans cette guerre dont les enjeux dépassent les caricatures de Charlie Hebdo, l’imagination, l’ironie,
la poésie ne sont que des otages désarmés qui essaient de faire entendre leur voix. On mesure
l’étendue du malentendu planétaire qui est en train de s’abattre sur elles, en rappelant simplement
que l’universitaire palestinien Edward Saïd avait pris la défense de son ami Salman Rushdie, dont il
avait qualifié le roman de "                     ".

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