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Chroniques du sol : l’aéroport Paris-Charles de Gaulle, archétype d’une nouvelle destination en marge de la ville. Analyse communicationnelle de l’aéroport Paris-CDG et du discours de la marque Paris Aéroport Hortensia Cisterna To cite this version: Hortensia Cisterna. Chroniques du sol : l’aéroport Paris-Charles de Gaulle, archétype d’une nouvelle destination en marge de la ville. Analyse communicationnelle de l’aéroport Paris-CDG et du discours de la marque Paris Aéroport. Sciences de l’information et de la communication. 2020. �dumas- 04017406� HAL Id: dumas-04017406 https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-04017406v1 Submitted on 7 Mar 2023 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Copyright
Mémoire de Master 2 Mention : Information et communication Spécialité : Communication Management et culture Option : Magistère, management et culture Chroniques du sol : l’aéroport Paris-Charles de Gaulle, archétype d’une nouvelle destination en marge de la ville Analyse communicationnelle de l’aéroport Paris-CDG et du discours de la marque Paris Aéroports Responsable de la mention information et communication Professeure Karine Berthelot-Guiet Tuteur universitaire : Pauline Brouard Nom, prénom : CISTERNA Hortensia Promotion : 2019-2020 Soutenu le : 05/11/2020 Mention du mémoire : Bien École des hautes études en sciences de l'information et de la communication – Sorbonne Université 77, rue de Villiers 92200 Neuilly-sur-Seine I tél. : +33 (0)1 46 43 76 10 I fax : +33 (0)1 47 45 66 04 I celsa.fr
Remerciements 3 Introduction 4 I. L’aéroport incarne la ville mais n’est pas la ville 11 1. L’aéroport vu depuis la ville 11 a. Une interaction ambiguë avec la ville 11 b. Le lieu périphérique de la ville 13 2. L’aéroport comme sas d’entrée vers Paris 16 a. Lieu d’ouverture, lieu de fermeture 16 b. Un espace touristique parisien à part entière 18 3. Une entreprise-métaphore de la capitale 21 a. Paris Aéroport, une marque gage de parisianité pour ADP 21 b. Parler au nom de Paris, sans être Paris 25 II. L’aéroport incarne la société de consommation moderne entre shopping et innovation 28 1. Le royaume du consumérisme d’aujourd’hui 28 a. Une allégorie de la société de consommation 28 b. Le voyage comme moment économique particulier 30 2. Une extension du mall à l’américaine 32 a. L’exportation du modèle du mall 32 b. Une attractivité inspirée des modèles américains 35 3. Le lieu de l’innovation technologique par excellence 36 a. Un espace qui performe le futur 36 b. Un écrin symbolique pour l’innovation 39 III. L’aéroport devient une destination à part entière 41 1. Une destination commerciale 41 a. La zone duty free, reine du commerce d’aéroport 41 b. Un sixième continent pour l’industrie du luxe 43 2. Une destination culturelle 45 a. L’aéroport comme écrin muséal 45 b. Une culture aéroportuaire universelle ? 49 3. Une destination spirituelle 53 a. La spiritualité matérialisée à l’aéroport 53 b. Rapprocher voyage et réalisation de soi 55 Conclusion 59 Bibliographie 62 Annexes 65 Résumé du mémoire 93 Mots-clefs 93 2
Remerciements Mes sincères remerciements vont tout d’abord à Pauline Brouard, pour son oreille attentive et impliquée tout le long de la production de ce mémoire, ainsi qu’à Lucie Marchais, ma tutrice professionnelle, qui m’a aidée de son expertise et de l’assurance de sa présence. Leur suivi bienveillant a été pour moi moteur de ce travail. Merci également à Thierry Devars, président du jury, pour ces années au CELSA, mais aussi pour la lecture de ce mémoire, qui je l’espère, lui plaira. Monsieur Devars personnifie pour moi les qualités de cette école, dans son enseignement comme dans son humanité. Au CELSA, de manière générale, mais aussi à des personnes comme Aïssatou Diallo-Camara et Sylvie Gesson, qui nous ont suivi avec la plus grande sympathie. Je suis reconnaissante d’avoir pu passer trois ans au 77 rue de Villiers, bien que l’effet de décentralisation au terminus de la ligne 3 du métro parisien n’était pas des plus réjouissants. Le CELSA m’a fait oublier ce caprice ! Merci également aux professeurs et aux intervenants rencontrés à l’école, dont je me remémorerai les cours pendant longtemps : Olivier Aïm, Valérie Patrin-Leclère, Adeline Wrona, Erwan Sommerer, Christophe Rioux, Bruno du Teilleul, Laurent Raverat, Joëlle Le Marec, Thibaut Thomas, Hervé Marc et bien d’autres. Merci à mes chers amis Louise de Longueville, Mathias Breteau et Marin Mornieux, pour leur grande douceur et leur générosité de tous les jours. À mon ami et soutien de bibliothèque Félix Duval. Merci à eux pour leur amitié et pour leur humour à toute épreuve. Pour mes parents et pour mon frère Horacio viennent des remerciements affectueux. Merci à eux pour leur soutien indéfectible et pour les encouragements qu’ils n’ont jamais cessé de me prodiguer tout au long de ma scolarité. Une pensée particulière s’adresse à Djaïd Yamak, avec qui j’ai connu mes plus beaux moments, au CELSA comme dans la vie, à la ville comme à la scène. 3
Introduction En temps de Covid-19, les possibilités de voyage sont rares. Si rares, que la nostalgie se fait ressentir. Mais plus que le rêve d’ailleurs, c’est l’expérience de l’aéroport elle-même puis du vol qui constitue un objet de convoitise pour les individus. C’est ce que nous apprend le succès des ventes « Flights to Nowhere » organisée par des compagnies aériennes qui ont eut l’idée de vendre des billets au départ et à l’arrivée de la même destination,« pour nulle part », avec des prix pour toutes les bourses, de la classe économique à la première1 . La vente organisée par Qantas pour voler au-dessus de Sydney s’est en effet retrouvée sold out en dix minutes, les Australiens étant reclus dans leurs frontières depuis le début de l’épidémie2. Nous aurions pourtant pu penser que la tendance scandinave du Flygskam (« honte de prendre l’avion », en suédois) aurait pu mettre à mal l’appétit des voyageurs pour les vols3. Nous observons en effet un mouvement de recul face à l’avion, considéré comme mode de transport le plus polluant, au bénéfice du train. Le trafic aérien contribue aux émissions de gaz à effet de serre4 . Il serait de la responsabilité de chacun de mesurer si oui ou non prendre l’avion pour son intérêt personnel prévaut sur l’intérêt de la planète. Pour se rendre au sommet mondial de l’ONU à New York en août 2019, Greta Thunberg, fidèle à ses convictions, a en effet préféré suivre une traversée de l’Atlantique de deux semaines en voilier de course zéro carbone5 . Dernièrement, au mois de juin 2020, des militants d’Extinction Rebellion se sont levés pour l’interdiction des vols intérieurs en tentant d’empêcher la réouverture de l’aéroport d’Orly, fermé pendant trois mois suite à l’épidémie liée au coronavirus : « Sauvons les vivants, pas les avions », pouvait-on lire sur leurs banderoles, alors que le hashtag #AvionsATerre battait son plein sur Twitter. Cette préoccupation écologique pour l’aérien donne son titre à un article du Monde publié le 3 1 MZEZEWA Tariro, « The Flight Goes Nowhere. And It’s Sold Out. » in New York Times, 19 septembre 2020 [En ligne] 2 LABEYRIE Isabelle, « En Australie, la croisière s’amuse…en avion », in France TV Info, 18 septembre 2020 [En ligne] 3AMSILI Sophie, « En Suède, la « honte de prendre l’avion » plombe déjà le trafic aérien », in Les Echos, 20 avril 2019 [En ligne] 4BIGO Aurélien, « Impact du transport aérien sur le climat : pourquoi il faut refaire les calculs », in Sud Ouest, 10 mai 2019 [En ligne] 5SERRAJORDIA Esther, « Greta Thunberg arrive à New York après sa traversée de l'Atlantique en voilier », in RTL, 28 août 2019 [En ligne] 4
octobre 2020 : « Les aéroports, nouvelles destinations des marches pour le climat »6. Une opération de « Marche sur l’aéroport » était organisée partout en France ce jour là, sous l’égide de Greenpeace. Mais revenons au succès des opérations « Flights to Nowhere ». Il évoque toute l’attraction que peut susciter le fait de se rendre à l’aéroport puis de prendre l’avion. Jamais un vol ne s’était vendu aussi vite que celui mis en ligne par Qantas. Un sentiment particulier propre au paysage aéroportuaire et aérien ? Des oeuvres culturelles parlent de la particularité du voyage en avion : des films surtout, avec des blockbusters américains, comme le récent Sully (2016), ou Flight Plan (2005), mais aussi Y a-t-il un pilote dans l’avion ? (1980); ou des comédies romantiques, comme le film français Amour et Turbulences (2013). Dans l’aéroport, nous pouvons songer à la série du photographe Harry Gruyaert, Last Call , qui raconte l’attente, mais surtout au film de Steven Spielberg Le Terminal (2004) récompensé aux Oscars. Dans ce film, la société américaine est mise en exergue au travers de l’histoire d’un réfugié bloqué pour des raisons politiques. Le personnage principal, incarné par Tom Hanks, se retrouve enfermé dans un microcosme aseptisé des Etats-Unis, et vit au fil des déconvenues la découverte d’une allégorie de la société américaine, dans sa dimension marchande, culturelle, et surtout inégalitaire. Plus récemment, dans Je Suis Là (2020), nous suivons le personnage d’Alain Chabat qui se confine de son propre chef dans l’enceinte de l’aéroport Incheong de Séoul, et qui arrive à vivre une véritable aventure humaine au gré d’activités et de rencontres, sans sortir des murs de ce gigantesque bâtiment. Nous pouvons également penser à la transformation de l’aéroport de Berlin-Est, Tempelhof, fermé en 2008, en un immense parc culturel inclus dans la ville, réapproprié par les habitants après des décennies de service. Véritable morceau de l’histoire de Berlin, sa fermeture puis sa réhabilitation en 2010 en un espace de verdure incontournable dans la capitale allemande confirment la symbolique d’un tel endroit7. L’aéroport semble donc incarner plus que ce lieu de passage, cet espace destiné au process de passagers et de machines à transporter. Car un aéroport, c’est avant tout, selon la définition du CNRTL, un lieu « aménagé pour le départ, l’arrivée, les escales des lignes aériennes, et comprenant notamment, l’aérogare, les pistes, les hangars ». 6MANDARD Stéphane, « Les aéroports, nouvelles destinations des marches pour le climat », in Le Monde, 03 octobre 2020 [En ligne] 7 RAZEMON Olivier, « Berlin Tempelhof, l’aéroport transformé en parc urbain », in Le Monde, 14 juin 2012 [En ligne] 5
Dans sa dimension symbolique d’une part, puis dans le rôle qu’on lui donne aujourd’hui d’autre part, l’aéroport change progressivement de définition et semble assumer un nouveau rôle, celui d’une ville autonome entre culture et commerce. Pour revenir à la genèse de ce travail, les rapports d’hybridité m’intéressent. Plusieurs sujets auraient pu faire l’objet de ce mémoire. Il n’en sont finalement pas si éloignés. - Premièrement, l’aisance avec laquelle les grands magasins deviennent des lieux d’expression artistique, comme c’est le cas avec le Bon Marché à Paris qui accueille régulièrement des artistes en résidence, ou 10 Corso Como à Milan, un concept-store de luxe qui intègre de manière permanente un espace de galerie. Nous observons, avec le sujet de l’aéroport, que la juxtaposition d’oeuvres d’art et de biens de consommation s’étend de plus en plus. - Deuxièmement, la manière dont les marques de mode peuvent proposer des performances, des expériences à la place du traditionnel défilé : Jacquemus dans la calanque de Sormiou à Marseille pour la collection « Gadjo », Weston et les chorégraphies de chaussures, Louboutin et le « Loubicircus » pour présenter sa nouvelle collection au Musée des Arts Forains. Finalement, euphémiser l’acte même de la consommation au profit de l’expérience est un élément que nous retrouvons aussi dans les transactions en aéroport. Mais c’est en lisant un article sur la grandiosité du nouvel aéroport de Singapour, Changi, que j’ai été frappée par son architecture et par les services qu’il propose. Une véritable forêt vierge installée en plein milieu de l’aérogare, avec en prime une cascade. Un décor majestueux, si bien réalisé dans son artificialité qu’il en devient naturel. Je me suis donc demandé, de manière intuitive, les raisons pour lesquelles les aéroports aujourd’hui se dotent de tels attributs, qui n’ont strictement rien à voir avec la fonction seule du voyage. Plusieurs pistes peuvent être envisagées. En effet, la technologie a permis de dévoyer la seule fonction du voyage car elle a libéré un certain nombre d’espaces, comme ceux dédiés à l’enregistrement des passagers : dorénavant, la carte d’embarquement se télécharge la veille du départ sur le téléphone portable. Ces espaces désormais vidés peuvent être utilisés à d’autres fins. Les chiffres sur les revenus liés aux activités extra-aéronautiques des aéroports sont révélateurs. Alors que les entreprises gestionnaires s’appuient en majorité sur la location des espaces d’atterrissage et des fuseaux horaires (les slots) aux compagnies aériennes, elles tirent de plus en plus de bénéfices du Travel retail (terme anglais qui 6
permet de désigner le commerce de détail tel qu’il est vendu en aéroport) : dans le cas du Groupe ADP, les commerces, services et l’immobilier ont généré 615 millions d’euros de chiffre d’affaires au premier semestre 2018 contre 906 millions pour les activités aéronautiques8. Développer une forte activité commerciale est donc un enjeu majeur pour le secteur aéroportuaire. Enfin, je me suis rendue compte que souvent les prestations proposées par les aéroports racontaient quelque chose du territoire dans lesquels ils étaient insérés. Ces prestations ont pour particularité de retranscrire l’identité de la ville ou du pays dans lequel l’aéroport se situe. C’est notamment le cas de l’aéroport d’Ibiza (Espagne), fidèle à sa réputation de capitale européenne de la fête, qui abrite dans sa zone duty free une boîte de nuit en collaboration avec la marque de bière Carlsberg ; de Munich (Allemagne), dont l’Oktoberfest rassemble pendant plus de deux semaines chaque année les consommateurs de bière du monde entier, avec une brasserie implantée en plein milieu de l’aéroport qui propose des visites guidées insolites afin de tout savoir sur le processus de fabrication de la bière. C’est encore le cas de l’aéroport de Tokyo (Japon), au pays du kawaï et des cerisiers en fleur, où l’on peut observer la voûte céleste du Planétarium Café qui recompose plus de quarante millions d’étoile ; et évidemment de Singapour, où la jungle et la forêt de papillons de l’aéroport Changi racontent le paysage luxuriant de la Cité-État. De plus en plus, il semblerait que les aéroports euphémisent leur fonction comme lieu de transit des passagers, qui attendent d’être pris en charge par des acteurs tiers, les compagnies aériennes, afin d’être transportés vers un Ailleurs. Ces lieux, spécifiquement dévolus au transport aérien, se dotent d’infrastructures qui s’éloignent de cette fonction première. Nous comprenons que dans des espaces mondialisés il est nécessaire de créer la préférence pour des voyageurs qui ont aujourd’hui le choix de plusieurs hubs pour se rendre dans leur destination. La digitalisation que nous évoquions plus tôt permet cette euphémisation puisqu’en libérant des espaces, elle permet de proposer une gamme de services de plus en plus larges, comme la création d’un musée interne à l’aéroport. Aujourd’hui, pour présenter des oeuvres, il ne suffirait plus d’être un musée : nous pouvons penser au succès de l’Atelier des Lumières à Paris et de son antenne aux Baux de Provence, les Carrières de Lumières, où le miracle se produit grâce à des installations sons et lumières grandioses. 8TREVIDIC Bruno, « Comment les grands aéroports sont devenus des poules aux oeufs d’or », in Les Echos, 1er août 2020 7
C’est dans ce contexte que, faute de pouvoir aller visiter l’aéroport Changi de Singapour, nous remarquons que l’aéroport Paris-Charles de Gaulle est lui aussi réceptacle des nouvelles problématiques à l’oeuvre pour les aéroports. Ainsi, ce sont pour des raisons de simplicité, d’accessibilité, de compréhension même, que cet aéroport, fleuron du Groupe ADP, constitue notre terrain de recherche, comme échantillon local des transformations que nous pouvons observer à travers le monde de ce secteur. Ainsi, pourquoi l’aéroport, espace périphérique pensé pour le transit de passagers, cherche-t-il à se définir de plus en plus comme une destination touristique de premier ordre ? Avant de procéder à l’énonciation des hypothèses qui font le sujet de ce mémoire de recherche, il est important de rappeler que la crise lié à la Covid-19 remet en question cette problématique. En effet, à la lumière d’un entretien avec Justine Léger, chargée de communication presse et digitale chez ADP, il est clair que les objectifs du secteur aéroportuaire ont du évoluer pour des questions de survie. Les sujets prioritaires pour le Groupe ADP portent sur la sécurité sanitaire et sur la restauration du lien de confiance entretenu avec ses utilisateurs (annexe 1). Je n’ai cependant pas adapté mon travail aux conséquences de cette conjoncture, pour plusieurs raisons. La première, est que le plan de ce mémoire a été construit avant même les événements de la crise sanitaire qui ont défini l’année 2020. La seconde, est que j’estime ne pas avoir assez de recul, dans mes lectures comme dans ma réflexion, pour pouvoir décrire les effets directs de cette situation sur le paysage aéroportuaire. C’est pour cela que nous répondrons à cette problématique par les trois hypothèses suivantes : Hypothèse 1. L’aéroport d’aujourd’hui raconte, parle même, au nom d’une ville sans être une ville. Cette hypothèse permet de questionner le statut de ville de l’aéroport, et d’amener le sujet de l’expérience que l’on donne de la ville alors que l’aéroport n’est pas, à première vue en tout cas, une ville à proprement parler. En outre, nous chercherons à connaître le rapport à son territoire qu’entretient l’aéroport, toujours rattaché à une zone géographique. Le Groupe ADP semble en effet fonder ses communications sur une évocation de la ville de Paris alors même que Paris-Charles de Gaulle ne s’y situe pas immédiatement. 8
Hypothèse 2. L’aéroport, écrin pour l’innovation et la technologie, est allégorique de la société de consommation moderne. La société de consommation du XXIème siècle comporte son lot d’imaginaires, tout comme les nouvelles technologies. Nous nous attacherons à observer la place que tient l’aéroport quant à ces discours, et de quelle manière Paris-Charles de Gaulle correspond au rêve consumériste du mall, né aux Etats-Unis, et à l’aura du grand magasin parisien. Hypothèse 3. L’aéroport est devenu une destination à part entière, en ce qu’il s’approche d’un lieu dédié à la culture et au commerce. En conséquence des hypothèses citées précédemment, nous nous intéresserons à une nouvelle approche de l’aéroport comme lieu de destination. L’espace de l’aéroport Paris-Charles de Gaulle s’est transformé afin de laisser place à de nouveaux services qui s’éloignent de sa fonction première comme lieu de passage. Comment cela s’y vérifie-t-il ? Méthodologie Afin de vérifier ou non ces hypothèses, la méthodologie employée repose à la fois sur des recherches bibliographiques, sur des analyses sémiotiques et sur la réalisation de deux entretiens directifs. J’ai également surveillé la presse internationale, friande de discours sur les aéroports, qu’il s’agisse de la presse généraliste ou de la presse spécialisée ; ceci afin de comprendre les circulations autour des différentes thématiques qui constituent ce mémoire. Tout d’abord, il est important de préciser que le thème de l’aéroport ne trouve que peu d’écho dans notre domaine d’études. J’ai donc d’abord constitué une bibliographie regroupant des ouvrages en sciences de l’information et de la communication, mais, par nécessité, je me suis ouverte à des ouvrages de géographie, en particulier deux thèses dont les sujets traitent du rapport de l’aéroport à la ville de laquelle il dépend. Ces deux thèses en géographie m’ont été très précieuses notamment par tout le travail d’enquête effectué. Les chercheurs ont mobilisé différentes disciplines, puisque nous retrouvons un regard sociologique, voire anthropologique dans leurs travaux. J’ai eu ensuite l’opportunité de rencontrer deux personnes dont les témoignages, et les verbatims que j’en ai retenus, sont clefs pour l’analyse de ce sujet. La première, Justine Léger, travaille au service de presse et de communication du Groupe ADP, et 9
connaît donc les rouages de l’image de marque à l’oeuvre dans les discours de l’entreprise. La seconde, Anne de Turenne, n’est pas employée par le Groupe ADP mais s’occupe directement de la gestion du projet culturel au sein de Paris-Charles de Gaulle, Espace Musées. Elle travaille en effet pour l’Agence Artcurial, qui est délégataire de ce projet. Sa position, mi-interne, mi-externe, m’a permis de comprendre les mécanismes d’Espace Musées et les ambitions culturelles du Groupe ADP. Consécutivement aux événements provoqués par la Covid-19, j’ai du renoncer à une étude de terrain sur place, et j’ai donc du reconsidérer mon objet de recherche au travers des communications autour de Paris Aéroport : ce que cette entreprise dit d’elle et de ses lieux à travers ses publicités principalement. Je me suis pour cela appuyée sur l’analyse sémiologique de la campagne de communication diffusée par le Groupe ADP autour de la nouvelle signature de marque de Paris Aéroport, « Paris vous aime ». Cette promesse, déclinée en affichage comme en digital, est révélatrice de l’utilisation de Paris à la fois comme figure symbolique et figure d’autorité pour raconter les bénéfices de l’aéroport Paris-Charles de Gaulle. Enfin, je me suis appuyée sur des documents, pour certains en accès-libre. Le premier est le Rapport d’activité et de développement durable produit par le Groupe ADP en 2018. Le deuxième est une note d’analyse de la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) paru en septembre 2017 qui résume une étude prospective commandée par la DGAC auprès du cabinet Ernest & Young sur « l’activité des aéroports métropolitains de plus de 5 millions de passagers à l’horizon 2025 ». Le dernier, communiqué directement par Anne de Turenne, est la maquette en PDF du livre consacré au projet Espace Musées, à paraître prochainement. Annonce de plan Le plan proposé s’attachera à répondre de façon chronologique aux trois hypothèses énoncées précédemment. Dans une première partie, nous analyserons le rapport de l’aéroport à la ville et particulièrement la manière dont Paris-Charles de Gaulle s’insère dans la capitale. La deuxième partie fera l’objet d’une étude sur la manière dont la société de consommation d’aujourd’hui s’affiche à l’aéroport. Enfin, il sera question dans la troisième partie de vérifier si l’aéroport devient une destination à part entière, entre commerce, culture et spiritualité. 10
I. L’aéroport incarne la ville mais n’est pas la ville 1. L’aéroport vu depuis la ville a. Une interaction ambiguë avec la ville La ville aujourd’hui, d’un point de vue géographique, « Agglomération relativement importante dont les habitants ont des activités professionnelles diversifiées, notamment dans le secteur tertiaire »9 est indissociable de la mondialisation. Le secteur tertiaire tel qu’il participe à la définition de la ville constitue 75% des emplois dans le tourisme, les services financiers, les télécommunications. De fait, le tourisme, comme les échanges de type commerciaux, font partie d’un processus de flux primordial aujourd’hui relatif à la mondialisation, autrement dit à la libre circulation des marchandises, des capitaux, des services et des personnes. De fait, l’aéroport semble constituer une condition sine qua none pour faire d’une ville une métropole. Ce qui caractérise aujourd’hui la grande ville, c’est sa faculté à nouer des échanges, commerciaux comme individuels, à gérer des flux. Par sa dimension de port, l’aéroport porte la symbolique de la globalisation. C’est d’ailleurs la thèse de John Kasarda, chercheur en économie américain, qui parle d’aerotropolis et qui considère que « les aéroports jouent le même rôle dans la formation des villes de demain que les ports ont pu exercer autrefois »10. Ainsi, l’aéroport permettrait donc d’adouber la ville au rang de capitale, de métropole, comme la présence d’une baignoire dans une chambre symbolise le passage des deux étoiles aux trois étoiles pour un hôtel. Chaque métropole d’importance possède donc un, voire plusieurs aéroports. C’est le cas de New York, qui en possède sept, et de Londres, qui en possède six. C’est en cela que nous pouvons estimer que l’aéroport est marqueur de la Ville en tant que telle, et non pas d’une ville. D’autant plus que l’architecture standardisée des aéroports, qui répond à des impératifs techniques, rend ce territoire immédiatement reconnaissable. La chercheuse en géographie Lucie-Emmanuelle Drevet-Demettre l’explique dans sa thèse soutenue en 2008, Quand l’aéroport devient ville : géographie d’une structure paradoxale. Au même titre qu’une autoroute, l’aéroport constitue un marqueur urbain : 9 Définition donnée par le CNRTL 10CELERIER Frédérique, « Entendu/Entretien : l’urbanité à l’épreuve des aéroports. Entretien avec Jean-Baptiste Frétigny », in revue-urbanites.fr, 16 avril 2015 [En ligne] 11
« Que l’on observe la carte ou la photographie aérienne de villes asiatiques, africaines, américaines ou encore européennes, certains éléments-clés rendent l’espace urbain immédiatement intelligible ». L’aéroport est donc un signe qui permet de faire la ville. Il est reconnaissable de tous car il est systématiquement identifiable. Cet esprit générique de l’aéroport quant à la ville se retrouve également dans la notion d’airport city telle qu’elle est citée par Lucie-Emmanuelle Drevet-Demettre dans sa thèse. En développant ses activités commerciales, l’aéroport prend un caractère urbain encore plus fort. « Ainsi, l’airport city peut être définie comme résultant de l’injection d’une combinaison de nouvelles préoccupations commerciales avec un ensemble plus ou moins dense d’activités aéronautiques, dans le périmètre aéroportuaire ou à sa proximité immédiate ». Comme si, en se dotant de commerces, l’aéroport deviendrait une ville à part entière ; un centre dynamique fait d’activités économiques. Une ville à côté de la ville. Cependant, dans notre cas de Paris-Charles de Gaulle, nous observons que l’aéroport ne cherche pas à remplacer la ville. Il cherche à en faire partie, et à s’ancrer dans une territorialité à la fois métropolitaine, par le fait qu’il soit facilement accessible en transports en commun, et locale. C’est notamment le coeur du projet des Maisons de l’environnement du Groupe ADP. Le site parisaeroport.fr en retrace les origines : « Créées en 1995 pour Paris-Charles de Gaulle et en 1996 pour Paris-Orly, les Maisons de l’Environnement et du Développement Durable sont au coeur de la relation avec les riverains, du citoyen à l’élu local. Elles ont pour but de développer les relations humaines, la compréhension et la connaissance mutuelle entre les riverains et les acteurs du transport aérien ». Il y a donc une visée de l’entreprise à ne pas nier son territoire d’emplacement, à interagir avec la localité. Une localité pourtant effacée, notamment par le nom de l’aéroport. En effet, l’aéroport Paris-Charles de Gaulle porte le nom de Paris. Cela témoigne, pour Drevet-Demettre, « d’une relation inaltérable, puisque l’aéroport international est d’abord désigné par la ville qu’il dessert, bien qu’il ne se situe qu’exceptionnellement sur les terres de la municipalité ». Prendre le nom de la ville garantirait de bénéficier du 12
rayonnement qui lui est associé. Cet enjeu du nom nous apparaît comme légitime. Comme le rappelle Justine Léger, chargée de communication presse et digitale, dans son entretien (annexe 1), « Comme l’aéroport est la première image de Paris, et la dernière image, c’est celle qui peut être déterminante pour donner envie de revenir grâce à l’expérience qu’on y a vécu ». L’aéroport s’incarnerait donc comme la première expérience que l’on a de la ville. Et donc à ce titre, nous pouvons l’envisager non pas comme une périphérie, mais comme un sas d’entrée, constituant de la ville. b. Le lieu périphérique de la ville Puisque nous avons pu définir l’aéroport comme élément constituant de la ville, il est désormais intéressant de se demander quelle place celui-ci tient quant à elle. Quel type de lieu est véritablement l’aéroport ? Sur ce point, nombreux sont les articles et les essais à citer en premier lieu le concept de non-lieu forgé par Marc Augé dans son ouvrage Non-Lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité ainsi que le concept d’hétérotopie de Michel Foucault. Nous allons observer si ces deux concepts correspondent à la définition de l’aéroport d’aujourd’hui et à son fonctionnement. Au premier abord, la théorie de Marc Augé sur les Non-Lieux peut sembler anachronique pour qualifier l’aéroport. C’est le mot « Non-lieux », en lui-même, terme qu’Augé récupère de Michel de Certeau, qui est porteur de sens, comme s’il niait au lieu sa possibilité d’être un lieu. Augé évoque cette ambiguïté : « Lorsque Michel de Certeau parle du « non-lieu », c’est pour faire allusion à une qualité négative du lieu, d’une absence du lieu à lui-même que lui impose le nom qui lui est donné »11. Puis, il explique le non-lieu intègre « des espaces constitués en rapport à certaines fins (transport, transit, commerce, loisir), et le rapport que des individus entretiennent avec ces espaces ». Dès lors, il est évident que l’aéroport participe de cette définition. Cela est d’autant plus renforcé lorsqu’Augé analyse le fait que le parcours du voyageur est quadrillé selon un jargon et des idéogrammes précis, des textes finalement, seuls interlocuteurs de l’individu. Comme si le non-lieu finalement était conditionné par le rapport du voyageur avec ce lieu, 11 AUGÉ Marc, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, 1992 13
et non pas seulement par l’intervention de l’aéroport. En cela, l’aéroport semble être la quintessence du non-lieu raconté par Marc Augé. En outre, suite à une conférence radiophonique, où il lit un texte écrit en Tunisie en 1967, Michel Foucault met à jour le concept d’hétérotopie afin de qualifier les différents espaces qui constituent l’époque12. Pour Foucault, nous traversons « l’époque de l’espace », une époque « du simultané », de la juxtaposition », et il faut donc définir la place que prend chaque lieu par rapport à un autre, à un emplacement. De fait, lorsqu’il dit « Nous vivons à l’intérieur d’un ensemble de relations qui définissent des emplacements irréductibles les uns aux autres et absolument non superposables », nous comprenons que l’aéroport, nouveau lieu né au XXème siècle, trouve sa place dans ce raisonnement. Plus loin, il analyse deux grands types d’espaces, « qui ont la curieuse propriété d’être en rapport avec tous les autres emplacements, mais sur un mode tel qu’ils suspendent, neutralisent ou inversent l’ensemble des rapports qui se trouvent, par eux, désignés, reflétés ou réfléchis ». De cette analyse découlent les utopies, « emplacements sans lieu réel », et les hétérotopies, des « espaces différents, des autres lieux ». Ce sont des lieux autres, dans le sens où il s’y déroule des choses qui ne pourraient avoir lieu ailleurs. Ils ne sont pas forcément délimités géographiquement, puisqu’il prend l’exemple du voyage de noces ou du service militaire. Mais en ce que l’aéroport est un lieu spécifique conditionnant le transport en avion pour les individus, nous pourrions imaginer qu’il s’agit d’une hétérotopie. Michel Foucault essaime cinq principes de l’hétérotopie, et nous pouvons jouer au jeu des correspondances pour observer si l’aéroport remplit ces principes. - Premier principe : « Il n’y a probablement pas une seule culture au monde qui ne constitue des hétérotopies ». Dans le cas de l’aéroport, nous pouvons estimer qu’une seule culture abrite ce type de lieu, une culture à caractère mondial. L’espace de passage, de process de passagers n’existe que dans le cas de rapports d’échanges et de commerce très développés. - Deuxième principe : « Au cours de son histoire, une société peut faire fonctionner d’une façon très différente une hétérotopie qui existe et qui n’a pas cessé d’exister ». Si nous partons du postulat que l’aéroport n’est plus seulement un lieu de passage, alors oui, nous pouvons estimer qu’il change de fonction - du moins, symboliquement. 12FOUCAULT Michel, « Des espaces autres, les Hétérotopies », retranscription de la conférence radiophonique diffusée le 14 mars 1967 14
- Troisième principe : « L’hétérotopie a le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles ». Si nous projetons musée (oeuvre d’art) et commerce (bien marchand) comme deux éléments incompatibles entre eux, l’aéroport peut répondre à cette assertion en ce qu’il les fait de plus en plus exister ensemble. - Quatrième principe : « Les hétérotopies sont liées le plus souvent à des découpages du temps ». Le rapport au temps est particulier à l’aéroport d’autant que les fuseaux horaires entrent en compte. Par exemple, dans le lounge La Première d’Air France à Paris-Charles de Gaulle, la temporalité du repas est décalée et il n’existe plus de segmentation classique du petit-déjeuner/déjeuner/dîner comme c’est le cas dans notre société française. - Cinquième principe : « Les hétérotopies supposent toujours un système d’ouverture et de fermeture qui, à la fois, les isole et les rend pénétrables ». L’aéroport correspond complètement à l’édiction d’un tel principe puisque l’on y accède contractuellement, suite à l’achat d’un billet d’avion qui fait office de passe-droit pour rejoindre les espaces. - Sixième principe : « Le dernier trait des hétérotopies, c’est qu’elles ont, par rapport à l’espace restant, une fonction ». La définition même de l’aéroport est sa fonction, telle que nous l’avons citée en introduction de ce mémoire : « Un lieu aménagé pour le départ, l’arrivée, les escales des lignes aériennes (…) ». Si nous analysons les six principes relatés par Foucault pour qualifier les hétérotopies, il est évident que l’aéroport, bien qu’il ne soit pas cité directement par le chercheur, correspond à ce concept. Mais nous pourrions également partir d’un autre point de vue. Tout le travail des entreprises actuelles qui occupent le paysage aéroportuaire n’est-il pas d’enlever la dimension hétérotopique à l’aéroport ? En effet, il est évident dans les discours qui circulent que le souhait des aéroports est de rentrer dans la ville, d’en être le prolongement. Pour cela, plusieurs éléments sont à prendre en compte. En effet, dans le rapport d’activité et de développement durable rendu par le Groupe ADP en 2018, l’entreprise insiste régulièrement sur la manière dont les aéroports ont vocation à être joignables facilement dans un horizon proche. Notamment le projet du Grand Paris permet d’envisager l’aéroport comme lieu de la ville puisqu’il inclue des métamorphoses du paysage urbain renforçant l’accessibilité de l’aéroport, et de fait sa banalisation comme un lieu urbain comme un autre. On parle même de « mue des plateformes parisiennes ». Le terme de mue est particulièrement révélateur puisqu’il induit 15
un changement mais aussi une adaptation à un environnement. Une rubrique reprend des « Exemples de temps de trajet en 2024 » : « Paris-Orly < > Olympiades : 16 minutes via la ligne 14 contre 43 minutes aujourd’hui. Paris-Orly < > Kremlin Bicêtre : 12 minutes via la ligne 18 contre 52 minutes aujourd’hui. » De plus, lors de l’entretien mené avec Justine Léger, celle ci évoque les objectifs du Groupe ADP : « Dans un futur proche, nous pourrions imaginer qu’il soit très simple de rejoindre le Terminal 1 pour déjeuner chez Thierry Marx et déguster son adaptation de la spécialité japonaise de Teppanyaki » (annexe 1). La finalité pour une entreprise comme celle du Groupe ADP est donc de s’insérer dans le paysage urbain de la ville de Paris comme un lieu comme un autre de la capitale. Ainsi, l’aéroport ne se veut plus seulement une zone de passage, ou un checkpoint. L’aéroport se veut comme une zone commerciale attractive afin de créer la préférence parmi les voyageurs, afin qu’ils choisissent cet aéroport là, plutôt qu’un autre. Une identité propre de l’aéroport se dessine, et cette identité joue précisément sur la prolongation de la ville. La place de l’aéroport apparaît donc être celle du prolongement de la ville, comme un espace originellement périphérique mais qu’il faut désormais intégrer au paysage local. Cet ancrage dans la territorialité, est une problématique pour une entreprise comme le Groupe ADP. Si nous observons cette volonté d’ancrage comme géographique, elle en est également symbolique. 2. L’aéroport comme sas d’entrée vers Paris a. Lieu d’ouverture, lieu de fermeture Ainsi nous pouvons envisager l’aéroport comme l’antichambre de la ville. Cependant, nous nous plaçons ici d’un seul point de vue : celui du touriste, celui de la femme ou de l’homme d’affaires en voyage. Ces différentes catégories de voyageur ne pourraient en être en réalité qu’une seule : celle de la personne qui est en règle et dont les portes s’ouvrent systématiquement, sur le plan symbolique comme physique. Cependant, d’autres populations parcourent l’aéroport. 16
Il y a en effet tout d’abord les personnes qui travaillent à l’aéroport mais qui ne voyagent pas. Il s’agit de tous les salariés, à la fois des compagnies aériennes, mais également des boutiques et des divers services. Un recensement de 2013 produit par le Groupe ADP compte environ 85 000 personnes. C’est une catégorie d’individus qui fait fonctionner toutes les industries autour de l’aéroport, dont la plupart oeuvrent pour que la première catégorie que nous avons évoquée puisse voyager le plus aisément, simplement possible. Mais il y a aussi toute un ensemble de personnes sans-abri qui ont élu domicile dans l’aéroport. Pour Jean-Baptiste Frétigny, « La mobilité, en tant que fait, n’en demeure pas moins une ressource inégalement qualifiée et distribuée au sein des espaces où elle est mobilisée »13. Ces individus n’ont pas accès à la mobilité. Ils ont un nom, donné par les salariés : les « Diogènes ». Le syndrome de Diogène désigne la particularité de certaines personnes à l’accumulation, à tout conserver par crainte du manque. Il y aurait en effet un cliché commun aux SDF de Paris-Charles de Gaulle de prendre avec eux des charriots de bagage remplis de leurs effets personnels. Au moment de la réalisation de ce mémoire, je me suis posée la question de la présence de ces individus délocalisés, vivant à Paris sans être vraiment à Paris14 . En effet, l’aéroport se voit être l’objet d’une dérive de sa fonction par la vie parallèle qui s’est installée sans son consentement. Une vie parallèle en marge des voyageurs, des personnes qui habitent là, ou alors qui viennent passer leur journée là et qui se débrouillent pour effectuer des petits boulots payés à la journée. Une cohabitation s’installe dans l’aéroport, dissonante : entre des gens installés dans le dénuement, et d’autres présents le temps de quelques heures, de passage. De plus, le temps de l’aéroport n’est pas le temps de la gare. Les gens y sont moins pressés, puisqu’ils prennent le temps de venir en avance. Le rapport à l’espace est différent, car l’aéroport est très étendu. Ainsi, la présence de Paris ne pèse pas dans le rapport de ces personnes à l’aéroport : comme si Paris était la périphérie et que c’était l’aéroport qui en était le centre. Cet effet de périphérie se retrouve pour une troisième catégorie d’individus. Jean- Baptiste Frétigny met en exergue l’idée selon laquelle tout travail sur les frontières induit un paradoxe : la frontière induit à la fois ouverture et blocage. Cela précipite l’impossibilité pour des individus de franchir les murs de l’enceinte de l’aéroport puisqu’ils y sont refusés. 13 FRETIGNY Jean-Baptiste, « La frontière à l'épreuve des mobilités aériennes : étude de l'aéroport de Paris Charles-de-Gaulle », Annales de géographie, 2013/2 (n° 690), p. 151-174 14 L’enquête de terrain sur ce sujet est présente en annexe 3 du mémoire. 17
« Ce phénomène de fermeture renvoie à l’ambivalence constitutive de la frontière et de la mobilité, qui hésitent toutes deux entre déplacement et blocage, entre réalisation et potentialité. Au coeur de l’aéroport ressurgit la fonction de filtrage de la circulation exercée par la frontière ». De fait, pour des raisons que nous imaginons politiques, cette existence de l’aéroport comme lieu de fermeture n’est pas invoquée dans les discours du Groupe ADP. Elle est même éludée : « Les aéroports (…) seront toujours des lieux de vie permettant l’inclusion, l’ouverture à soi et au monde », explique Augustin de Romanet dans une interview donnée à l’occasion du rapport d’activité 2018. En effet, la visibilité que nous avons de cette réalité est celle dans les discours qui portent sur la sécurité et sur le profilage des individus. Le rapport d’activité 2018 fait état de la présence de « Parafe » à l’aéroport, quatre-vingt seize au total, qui sont des portiques qui permettent de scanner les passeports et d’automatiser le passage des frontières. Or, cette innovation à l’aéroport n’est destinée qu’à une partie des voyageurs : les ressortissants de l’Union Européenne, de la Suisse, de l’Islande, du Liechtenstein et de la Norvège. La présence de tels dispositifs automatisés créerait donc un effet de fermeture aux personnes qui ne viennent pas de ces pays. En s’ouvrant facilement à certains, les portiques se ferment pour d’autres. C’est ainsi que l’aéroport est à réfléchir comme porte d’entrée vers Paris, mais également comme un lieu qui ne connaît pas de continuité. Cela s’inscrit, dans une bien autre mesure, également pour les voyageurs en escale, qui passent par Paris mais ne s’y arrêtent pas. Ces voyageurs sont concernés par l’objet de notre seconde sous-partie. b. Un espace touristique parisien à part entière Paris est une ville qui compte un certain nombre de monuments, qu’il s’agisse de la Tour Eiffel, de l’Arc de Triomphe ou de Notre-Dame. Ce sont des monuments dont l’architecture et les liens avec l’Histoire leur procurent une aura toute particulière. Ces trois monuments symboliques possèdent par ailleurs une architecture qui à chaque fois a constitué une performance technique et remarquable. Mais d’autres lieux font partie de l’histoire de la capitale, qu’il s’agisse de musées à visiter certes, mais aussi de grands magasins et de boutiques, dont la finalité, mercantile, ne se détache pas d’un effet emblématique. Ces lieux sont chargés d’histoire et disent quelque chose de Paris. Car nombre de grands magasins constituent le paysage culturel français à l’international, et sont très connus, comme les Galeries Lafayette ou le Bon Marché, 18
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