Clémentine Fort - Ville de Pau
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 PRÉSENTATION P2 Je développe, depuis plusieurs années, un Actuellement ma recherche artistique s’attache à interroger de manière active et Des expériences professionnelles anté- rieures dans le domaine de la décoration renouvelée la notion de décoratif au sens d’intérieur, m’avaient amenée à réfléchir travail artistique recourant à des médiums large : celle qui embrasse l’architecture, la sur les codes fonctionnalistes et esthé- décoration intérieure mais aussi le théâtre, tiques régissant notre environnement et divers tels que la sculpture, la photographie le cinéma et l’histoire de l’art. J’appréhende à produire des objets et des installations le mobilier et les décors de nos intérieurs qui perturbent et mettent en crise le rap- et l’écriture. Ces différentes disciplines jouent comme autant d’occasions de déjouer les contraintes ou les codes que suppose leur port intime que nous entretenons avec nos espaces intérieurs préfabriqués par toutes avec l’idée d’édition multiple : c’est ce agencement. Je crée des objets hybrides entre sculpture et accessoires mobiliers l’industrie. Les objets qui dérangent et Standard /particulier en sont le résultat. qui m’a amenée à m’engager comme membre avec lesquels je compose des zones de sensibilité particulière où peuvent circuler Ils ont été conçus au cours d’une année de résidence de recherche menée entre fondateur du collectif Maison des éditions qui parfois des figures humaines. Ces compo- sitions mobilières suggèrent à leur specta- 2013 et 2014 dans le département Céra- mique de l’école supérieure d’art des Py- teur un regard renouvelé sur l’histoire des rénées, site de Tarbes. Il s’agit d’une sé- s’est réuni, en 2011, autour de l’acte d’éditer formes et sur différentes manières d’occu- rie de sculptures discrètement associées à per les espaces intérieurs. des pièces de mobilier IKEA et qui en per- des objets textuels, sonores, plastiques turbent l’usage. Ces ajouts insidieux sont Dans mon parcours, la pratique photogra- des invitations au déconditionnement en et graphiques. Depuis 2018, j’ai le statut phique est longtemps demeurée centrale et plusieurs séries, telles que Rue de Gre- douceur de notre rapport à l’objet et à sa fonction. Les objets sont « empêchés » de d’artiste associée au Bel Ordinaire, espace nelle et Rue Adoue évoquaient les strates de présences accumulées dans des lieux fonctionner et détournés de leur fonction par des interventions discrètes mais non d’art contemporain et de design graphique fréquentés quotidiennement. Cette thé- matique du souvenir et de la mémoire définitives. Il n’est pas question d’accom- plir un geste autoritaire en coupant l’ob- ancrés dans des espaces précis continue jet de son usage, je préfèrerais parler d’un de la communauté d’agglomération Pau- d’affleurer dans mes derniers tirages pho- suspend d’activité qui restitue à l’usager tographiques mais cette fois la manière de un possible regard distancié. D’autre part, Pyrénées. Par ailleurs, j’ai collaboré avec le les donner à voir et de les installer dans les objets continuent d’exister, en dehors l’espace change complètement. Ça a été le de leur valeur critique, comme des sculp- poète et performeur Julien Blaine. Des textes cas pour la série D’une rive à l’autre qui dé- tures inscrites dans l’histoire des formes ploie les images imprimées en vitrophanie de la modernité interrogeant la distinction et dessins sont parus aux éditions Collodion sur les vitres du lieu qui les accueille. Dé- sormais la manière de regarder les images, entre art majeur et art mineur. et on peut également trouver un ensemble d’être placé devant elles, est privilégiée et je m’efforce d’inventer des dispositifs qui L’exposition Désordre d’octobre 2014 ré- unissait plusieurs pièces qui étaient mises de textes et de photographies dans la revue contournent les attendus liés à cet étrange vis à vis. en relation avec l’architecture, l’espace d’habitation et le lieu d’exposition. Cette manière de faire, à la fois ironique et for- Invece aux éditions Al Dante. mellement exigeante, invitait le spectateur
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 PRÉSENTATION P3 à poser un regard nouveau qu’il soit amu- Ma démarche artistique débouchait alors sé ou évaluateur sur l’ensemble des objets sur une nouvelle période et l’exposition présentés. À partir de cette invitation, je Paysages domestiques a été l’occasion de cherchais à favoriser l’autonomie du spec- mettre en situation les objets-sculptures tateur et même son implication concrète réalisés pendant la résidence au Bel Or- dans l’acte de regarder. dinaire, et de les faire dialoguer avec de nouvelles installations in situ. Dans un es- Conçu comme un prolongement de l’ex- pace d’exposition appréhendé, comme position et une application de son prin- une maison plutôt que comme une galerie, cipe, Bancal creuse le même sillon. Cet le spectateur était invité à découvrir un objet édité qui invite à désorganiser l’es- aménagement visuel où l’espace intérieur pace domestique, existe en équilibre entre et le paysage étaient envisagés comme un catalogue d’exposition et pièce à part en- continuum. En donnant à observer le pay- tière de celle-ci. Il contient quatre pièces sage depuis l’intérieur, j’essayais de rendre de bois en quatre dimensions et en quatre visible l’influence de celui-ci sur la concep- coloris qui permettent concrètement à tion de nos décors. l’acquéreur de « décaler » dans son propre intérieur, des éléments de mobilier ou de Les expositions collectives Yöp et Glisse- décoration. Mais cette période d’ « ode au ment de terrain ont été l’occasion d’affir- bancal » n’était pas close et de nouveaux mer le désir de penser en terme d’ « en- arrangements étaient possibles pour vironnement » les ensembles de pièces continuer à interroger les modalités d’ac- présentées. crochage et les formes d’exposition. À ce jour, de nouveaux moyens deviennent Le moment était venu, pour moi, de pro- nécessaires pour expérimenter d’autres longer ma recherche photographique en formats afin de produire des agencements pensant les prises de vue en même temps mixtes de mobilier et d’artefacts durables que des dispositifs de présentation ca- ou éphémères capables de renouveler le pables de rafraîchir le regard porté sur les regard porté sur le décor qui contraint ou images exposées. Le projet de résidence oriente le point de vue. de production qui a suivi portait juste- ment sur des modalités d’exposition des tirages qui proposent un face à face re- nouvelé avec ceux ci en déjouant les im- pératifs d’alignement et d’encadrement qui le limitent. C’est en poursuivant mes recherches que la montagne est devenue le matériau de ce qui allait devenir mon premier « environnement » présenté en fé- vrier 2017 à la Cité des Pyrénées.
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 SOMMAIRE P4 PROJET EN COURS Regarder le soleil dans les yeux 6 EXPOSITIONS INDIVIDUELLES Les futur n’existe pas 13 Paysages domestiques 16 Désordre 21 EXPOSITIONS COLLECTIVES In vitro 29 Glissement de terrain 30 Yöp 35 PROJETS INDÉPENDANTS Te prends pas la tête ! 41 D’une rive à l’autre 43 Standard / particulier 45 Bancal 46 Mary 48 Les absents 50 De la chair pour le béton 52 Rue de grenelle 55 Quand fond la neige, où va le blanc ? 57 COLLECTIF MAISON DES ÉDITIONS Voir et faire voir 60 Volumes 61 Luc Soriano 62 Les motifs du travail 63 ATELIERS 64 BIOGRAPHIE 66 CURRICULUM VITÆ 68 CONTACT 72 Des prises de vues détaillées de toutes les pièces sont visibles sur le site internet : clementinefort.com
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 PROJET EN COURS P6 Regarder EXPOSITION INDIVIDUELLE PRÉSENTÉE DU 11 SEPTEMBRE AU 17 OCTOBRE 2020 À L’ASSAUT DE LA MENUISERIE, SAINT-ÉTIENNE. COLLECTION D’OBJETS-SCULPTURES ET D’INSTALLATIONS IN-SITU. le soleil PROJET RÉALISÉ AVEC LE SOUTIEN DU BEL ORDINAIRE, ESPACE D’ART CONTEMPORAIN ET DE DESIGN GRAPHIQUE DE LA COMMUNAUTÉ D’AGGLOMÉRATION PAU-PYRÉNÉES ET L’ASSAUT DE LA MENUISERIE, LIEU D’ART CONTEMPORAIN dans DE SAINT-ÉTIENNE. les yeux
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 PROJET EN COURS P7 REGARDER LE SOLEIL DANS LES YEUX La première vague 16 kilomètres De Firminy à Saint-Étienne Du site Le Corbusier à la galerie l’assaut de la menuiserie 16 kilomètres De l’architecture à la sculpture Des grands ensembles aux fragments De l’aplat au vêtement De l’autorité à la désinvolture 16 kilomètres où se disperse, se désassemble, se courbe la référence de Le Corbusier pour en retirer ce qui peut, en dehors de la fonction, créer un imaginaire
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 PROJET EN COURS P8 REGARDER LE SOLEIL DANS LES YEUX La deuxième vague C’est presque un vase ou une coupe presque une chaise presque une table un tabouret ou une sandale ? C’est presque la mer presque ma maison au bord de l’eau mon cabanon C’est presque Corbu C’est presque Charlotte presque un couple presque l’équilibre C’est presque eux C’est presque ça
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 PROJET EN COURS P9 REGARDER LE SOLEIL DANS LES YEUX La troisième vague
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 PROJET EN COURS P 10 REGARDER LE SOLEIL DANS LES YEUX Entretien avec tidien et que je pourrai utiliser tout en leur conférant aussi une dimension poétique. plâtre brut déjà produits. autre chose. Le point commun reste « le presque » qui est cette distance que l’ima- Pour la première salle, j’ai produit des ob- ginaire ou le poétique prend avec le réel Monique Larrouture-Poueyto C’est aussi une recherche vers plus d’au- jets qui sont comme échappés d’un rêve, et qui le re-qualifie. N’est-ce pas ? tonomie qui me fait imaginer et fabriquer presque des objets mais pas tout à fait. des pièces que je peux stocker facilement Ensemble, ils composent un paysage, une C’est exactement ça, les objets indus- c’est-à-dire qui ne me demandent pas un scène de plage abandonnée au soleil, au triels par l’intervention de la main peuvent espace supplémentaire dédié et que je vent, au sable et à la mer. C’est la fin de être modifiés et perdre leur fonction peux réaliser moi-même avec peu d’ou- l’été et de l’insouciance. Le début d’une d’usage comme je l’ai dit auparavant, pour tils, principalement des outils mécaniques. époque où l’innocence a été perdue pour gagner une autre forme d’existence plus Alors oui, cette résidence confinée a chan- toujours. poétique. C’est peut-être quelque chose gé des choses mais des choses auxquelles qui a avoir avec la survie, avec ce qui a pu Bonjour Clémentine je m’étais préparée, une direction dans Ces formes en plâtre dont tu parles et être sauvé du bateau après le naufrage et Je suis venue te rendre visite en atelier laquelle j’avais déjà commencé à aller. En dans lesquelles sont enchâssées des frag- avec lequel on va travailler ou rêver. à peu près à chacune de tes résidences fait ça a été un accélérateur. ments de structures tubulaires colorées, mais cette fois ma visite sera un peu par- elles portent effectivement cette duali- Les deux paysages horizontaux que je suis ticulière puisque nous sommes à distance, Et comme ma résidence au Bel Ordinaire té de l’objet fait main et de l’objet manu- en train de composer sont délimités, l’un chacune confinées dans nos domiciles avait débuté avant le confinement, j’y facturé, tout en marquant l’empreinte de par une canisse posée au sol, l’autre par respectifs. Cependant le travail continue avais déjà amené du matériel et des outils l’architecture moderniste. Dans ces ob- un tapis et sont comme des embarcations pour toi puisque j’ai reçu plusieurs pho- nécessaires à la réalisation de certaines jets-sculptures la fonction ou la valeur sou- légères, des pistes d’envol pour l’imagi- tos de pièces nouvelles et des croquis de pièces, donc j’en ai encore moins chez moi venir disparaissent au profit de la fonction naire, tout en définissant des périmètres à nouveaux dispositifs. que d’habitude et c’est une contrainte qui poétique et l’on glisse doucement, des partir desquels se dessine au sens propre m’intéresse et qui prend encore plus de constructeurs aux rêveurs. d’autres paysages horizontaux. Voici donc ma première question : Qu’est sens aujourd’hui. Je vais donc faire avec ce qui change vraiment pour toi dans ce ce que j’ai autour de moi, avec les restes La deuxième salle sera plus douce, plus lé- mode de résidence confinée ? Et est-il du naufrage. Alors, je sculpte du bois, je gère, elle a plus à voir avec le désir amou- possible que l’orientation de ta prochaine modèle la terre, je cueille des fleurs. reux. C’est pour cet autre espace que je exposition s’en trouve infléchie ? travaille actuellement la terre et le bois en En ayant chez toi uniquement la possibili- réalisant des formes qui sont elles aussi in- En fait, ça fait déjà un moment que je ré- té de travailler des objets à la main, il me déterminées. Comme si après le naufrage, fléchis aux questions liées à l’espace dans semble que tu renoues avec une préoccu- après le temps, nous avions oubliés quelles ma pratique artistique et jusque dans la pation déjà présente dans Les objets qui fonctions avaient pu avoir ces objets et logistique que cela engage et là je pense dérangent. On y percevait déjà ton intérêt que nous essayons de nous en souvenir ou à l’espace de stockage et aussi à la dimen- pour le travail artisanal et surtout dans sa d’en inventer d’autres, ou faire simplement sion des pièces. Dans mes récentes propo- confrontation avec des pièces de fabrica- quelque chose de beau plutôt qu’utile. En- sitions, j’ai réalisé des objets et du mobilier tion industrielle. core une façon pour moi de me situer dans en ayant toujours en tête ces questions, Avec tes dernières pièces où inter- un rapport entre la fonction d’usage et la c’est-à-dire que particulièrement pour le viennent la céramique et la sculpture du poésie, entre art et design. mobilier, j’ai réfléchi à des pièces qui pou- bois, il semble que tu prépares ce type de vaient aller aussi chez moi, dans mon inté- confrontation avec les pièces de mobilier Pourtant tous les objets qu’ils soient rieur, avec lesquelles j’allais vivre au quo- métalliques détournées et les carreaux de détournés ou fabriqués sont presque
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 PROJET EN COURS P 11 REGARDER LE SOLEIL DANS LES YEUX La dernière vague La dernière vague Ça y est, c’est la fin. Le moment où tout se lie, où les fragments éparpillés se rejoignent et s’assemblent. Le moment où les formes et les mots qui étaient posés les uns à coté des autres s’emboîtent et trouvent leur place naturellement. Le moment où, l’évocation de la relation entre Le Corbusier et Charlotte Perriand parle bien de la domination des hommes sur les femmes. Le moment où le corps morcelé de la femme devient l’image des dégâts qu’engendre cette prise de pouvoir. Le moment où ce qui est caché prend l’apparence de bouts de corps qui remontent à la surface. Le moment où l’eau se retire et laisse apparaître les épaves. Le moment où il s’agit de ne pas fermer les yeux sur ce qu’on voit, sur ce qui est. Le moment où les apparences tombent et le regard reste droit. Regarder le soleil dans les yeux. C’est encore et toujours le moment.
Expositions individuelles
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 EXPOSITIONS INDIVIDUELLES P 13 Le futur Mourenx, longtemps « ville nouvelle », dont EXPOSITION INDIVIDUELLE PRÉSENTÉE la nouveauté liée aux années 50 est désor- DU 14 SEPTEMBRE AU 27 OCTOBRE 2018 mais historique, accueille dans un bâtiment À LA GALERIE D’ART CONTEMPORAIN neuf, des images de L’hôtel de princes. DE MOURENX. Elles évoquent un lieu fastueux à proximi- té, marqué par une histoire prestigieuse COLLECTION D’OBJETS-SCULPTURES. et qui est aujourd’hui en ruine, comme DIMENSIONS VARIABLES. n’existe au bord du monde, prêt à tomber. Un tel contexte géographique pose d’emblée une PROJET RÉALISÉ EN COPRODUCTION réflexion qui touche aussi à la question du AVEC LA VILLE DE MOURENX ET LE temps. L’espace d’exposition se présente BEL ORDINAIRE ET DÉVELOPPÉ AVEC comme une tentative de construire un es- L’AIDE À LA CRÉATION DE LA DRAC pace-temps et c’est d’abord par l’image et NOUVELLE-AQUITAINE. ses larges ouvertures redessinant les vo- lumes de la galerie qu’on y entre. Portes pas et fenêtres donnent accès à différents ni- veaux de temporalités. Mais la confron- tation avec la sculpture qui creuse dans l’image des durées jusqu’alors impossibles ou impensables, prolonge le parcours. Ce qui se dit, se construit par strates : der- rière une image, une autre image, derrière un passé, un autre passé. Pénétrer dans Le futur n’existe pas c’est accepter que le pas- sé et le présent deviennent vastes et com- plexes et qu’il n’existe plus un futur unique mais une multitude de futurs possibles. Aujourd’hui, des plasticiens mais aussi des historiens, des écrivains, des philosophes reposent le futur sous des formes plus ouvertes de possibles. De cette marche dans le temps, personne ne ramènera la même chose mais chacun pourra y trou- ver quelques indices pour tenter de faire émerger ce qui n’apparaît qu’à peine.
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 EXPOSITIONS INDIVIDUELLES P 14 LE FUTUR N’EXISTE PAS
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 EXPOSITIONS INDIVIDUELLES P 15 LE FUTUR N’EXISTE PAS « Quoi dire... Je dirai que... Je ne sais pas exactement où nous sommes Entre les Eaux-Bonnes et Mourenx Entre le passé et le futur Entre l’objet et la sculpture Entre art et design Entre exposition et arrangements photographiques Entre le paravent et le retable Entre récupération et fabrication Entre le showroom et le motel Entre. Un mot défini comme un espace ou un temps qui sépare Je crois que le Futur n’existe pas est une tentative de réunir ce qui est séparé. »
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 EXPOSITIONS INDIVIDUELLES P 16 Paysages Ce sont d’abord les mots qui ont réuni les EXPOSITION INDIVIDUELLE objets-sculptures produits lors de la rési- DU 27 FÉVRIER AU 31 MARS 2017 dence au Bel Ordinaire et l’invitation de la CITÉ DES PYRÉNÉES, PAU. Maison de la Montagne. Ainsi, c’est dans son rapport à l’espace domestique que le COLLECTION D’OBJETS-SCULPTURES lieu d’exposition a été appréhendé, comme ET D’INSTALLATIONS IN-SITU. une maison plutôt que comme une galerie. CRÉATION D’UN OUTIL NUMÉRIQUE domestiques Aussi, Paysages domestiques nous invite POUR LA MÉDIATION DE L’EXPOSITION à pénétrer dans un environnement, à dé- EN COLLABORATION AVEC JULIEN couvrir un aménagement visuel composé BIDORET, MEMBRE DU COLLECTIF d’objets-sculptures où l’espace intérieur MAISON DES ÉDITIONS. et le paysage sont envisagés comme un PAYSAGES.MAISONDESEDITIONS.FR continuum. La montagne devenant ainsi le matériau premier de cet aménagement. PROJET RÉALISÉ AVEC LE SOUTIEN On peut alors se demander si c’est le pay- DU BEL ORDINAIRE, DE LA MAISON DE sage qui pénètre le décor ou si c’est le dé- LA MONTAGNE ET DE LA MAISON DES cor qui entre en collision avec le paysage. ÉDITIONS. Au pied des montagnes, une pièce au sol spécifiquement conçue pour le lieu, repré- sentant un paysage mystérieux, cristallise des enjeux devenus récurrents : le refus de la distinction entre art majeur et art mi- neur, le renouvellement des codes contrai- gnants de l’accrochage d’exposition, la né- cessité de créer des situations où le regard est sollicité autrement, la révélation dans un espace donné de l’inscription d’autres espaces possibles.
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 EXPOSITIONS INDIVIDUELLES P 17 PAYSAGES DOMESTIQUES
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 EXPOSITIONS INDIVIDUELLES P 18 PAYSAGES DOMESTIQUES Propos recueillis par contrarie l’orthogonalité ambiante de nos espaces de vie. sage de l’intérieur, depuis une sorte de refuge ? Dans cette exposition les visiteurs sont plus invités à faire quelque chose avec l’image de la montagne qu’à venir appré- Monique Larrouture-Poueyto J’avais envie de quelque chose d’immer- cier des représentations de celle-ci. Pourquoi justement cette image des sif. Et comme la moitié de la salle est en Pyrénées ? verre et que le rapport dedans-dehors est Pas seulement, il peuvent aussi bousculer évident dans l’architecture de ce lieu, j’ai leur façon d’être dans une exposition. Si Je crois qu’en vivant à Pau, on ne peut pas fait le choix de garder uniquement un élé- j’y amène du mobilier, tel le bloc canapé, y échapper. Où que l’on aille, on finit tou- ment vitré. Cela crée un découpage, un c’est pour que l’on puisse l’utiliser. Pou- jours par tomber sur la chaîne qui nous fait échantillon de paysage que j’introduis voir s’asseoir, se poser et regarder autour, face. Elle est une sorte de décor de théâtre, dans la composition de la chaine de mon- comme on pourrait le faire chez soi, me un fond, un papier peint devant lequel se tagne déstructurée de l’exposition. Mais paraît important. Cela nous rapproche des On va rentrer dans le vif du sujet puis déroule nos vies. Son image nous accom- les autres espaces vitrés sont considérés espaces qui nous sont familiers et peut- revenir par la suite sur des travaux plus pagne en permanence. La montagne, n’est comme des seuils entre intérieur et ex- être que cela permettra aux gens qui ont anciens pour préciser les différents fils pas quelque chose que je pratique, c’est térieur et j’ai voulu créer une « réaction du mal à entrer dans une exposition de conducteurs qui guident ta recherche ar- surtout une image que j’ai devant les yeux paysagère » à cet endroit, une sorte d’épi- franchir le pas. tistique. Qu’est ce qui t’amène ici, à la Cité depuis toujours. Et c’est cela qui m’a inté- derme sensible. des Pyrénées ? ressée. Dans cette exposition il y a quelque chose On se situe donc dans un espace inté- de japonais. Est ce que cette référence te En effet cela peut paraître étrange car Actuellement à Pau, avec l’exposition rieur, en immersion au milieu d’éléments paraît juste ? mon travail porte habituellement sur le Monts et Merveilles, on s’aventure au mi- de mobilier comme les cadres au mur, les rapport que nous entretenons avec les ob- lieu des montagnes avec des œuvres qui assiettes cassées découpées comme des En effet dans les constructions japonaises, jets du quotidien, ceux qui nous entourent mettent plutôt l’accent sur des détails rochers, les stores qui miment la succes- on constate que des formes de tailles ré- dans l’espace intime, chez nous, et dont géologiques, les forces naturelles en pré- sion des pics. duites peuvent suggérer des modèles plus les images font partie. Cela a commencé sence et l’usage physique ou mytholo- grands. Je me suis inspirée de la façon avec une exposition au Bel Ordinaire Dé- gique que les hommes font de ce terri- Oui comme des pics, mais l’inclinaison que dont les volumes des intérieurs et des jar- sordre pour laquelle j’avais produit une sé- toire. Ce n’est pas le cas de ton travail. je donne aux stores peut aussi évoquer un dins sont pensés, non pour les reproduire rie de pièces qui s’appelle Les objets qui battement d’ailes ou la pente des toits. mais pour en extraire des mécanismes de dérangent. Puis cela a été prolongé par Non, dans mon travail, la montagne est On introduit l’évocation du paysage à l’in- composition qui font que dans de tous pe- une résidence qui a été l’occasion d’in- une matière première qui m’a permis de térieur et on en recompose la variation tits espaces on peut retrouver l’infini ou la clure l’image dans la démarche. J’ai donc créer l’aménagement intérieur de l’expo- avec ce qui nous entoure, avec différents profondeur. Voilà, cela a nourri le travail au développé un projet fait d’une série de sition. Elle apparaît comme une image qui éléments du domestique. C’est l’image départ mais ensuite je m’en suis détachée, cinq cadres contenant chacun une par- me sert à mettre en place un environne- de la chaîne de montagne que je ramène même si dans la simplicité des formes que tie d’un panoramique photographique en ment, elle est un prétexte pour faire re- chez moi pour me l’approprier. J’essaye je propose il en reste encore des traces. vue d’en déconstruire l’alignement. C’est culer les limites de ce qui cache l’horizon. de rendre visible l’influence du paysage là qu’intervient la montagne : à travers le Déstructurer son image c’est une façon de sur nos décors intérieurs et en fait l’un et Dans celle-ci, on trouve aussi la suite de stéréotype d’une vision de la chaîne des voir plus loin, derrière le papier peint. l’autre se pénètrent et c’est pour cela que la série de tes objets qui dérangent et Pyrénées que j’ai choisi de « déranger » en je parle de collision entre le paysage et l’envie de sourire et d’être complice de la introduisant des obliques, du mouvement, Dans cette exposition, tu montres aus- l’espace domestique. Elle entraîne ce côté désinvolture amusée avec laquelle tu les des ruptures. En fait j’ai voulu trouver dans si des formes qui naissent sur les vitres. bancal de la recherche de l’oblique et du traites. ce dispositif, un chemin de traverse qui Est-ce une invitation à observer le pay- mouvement.
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 EXPOSITIONS INDIVIDUELLES P 19 PAYSAGES DOMESTIQUES Pourtant, à tout instant, les stores peuvent la distinction art majeur et mineur. chine, sur un sac poubelle rempli d’une être redressés et les images ré-alignées. documentation ancienne sur les Pyrénées Rien n’est jamais endommagé tout peut Ça m’intéresse depuis longtemps et je me constituée de descriptions de randonnées, revenir « à la normale ». L’installation pro- suis saisie de l’opportunité de cette expo- de cartes, de relevés topographiques et duit seulement un décalage du regard ; sition pour l’expérimenter. J’avais déjà bien géologiques réunis par une personne pro- c’est l’ordinaire qui est rattrapé par l’ima- avancé sur l´accrochage et il me fallait bablement décédée. J’avais accès à l’his- gination. Une assiette tombe, elle se casse continuer à appréhender le grand espace toire d’un homme à travers sa déambula- et on peut voir des choses émerger des au sol. C’était l’occasion de positionner du tion dans la montagne. Cela m’a beaucoup débris, je provoque juste un « replace- mobilier en dialogue avec les pièces qui touchée parce que j’avais l’impression ment » du regard. C’est le même effet qui occupent les murs et qui ont de ce fait un d’entrer dans sa vie et de refaire son che- se produit quand les codes d’accrochage statut d’œuvre. Cette confrontation parti- min. Cet héritage me permettait de me re- sont modifiés. Lorsque j’installe les pièces cipait de la même réflexion à l’œuvre pour trouver au milieu de ces montagnes sans très en hauteur et que je place du mobilier l’exposition Désordre : où se place la limite même y aller. C’est un peu comme s’il m’y au sol ces décalages entraînent des points entre l’art et l’artisanat ? avait guidée et cela a nourri ma réflexion. de vue différents. Le store mis de guingois revendique ici un Il me semble que cette personne anonyme statut d’œuvre d’art, mais dans un autre se réjouit peut être du fait que tous ses Autre chose, on retrouve souvent la ques- contexte il a été conçu pour obturer des souvenirs aient servi à un travail artistique tion du temps et des superpositions tem- ouvertures. Certains éléments de mobi- qui fait l’objet d’une exposition à la Cité porelles dans ton travail. Est-ce le cas ici ? lier ont été réalisés par des designers qui des Pyrénées. ont apporté lors de sa conception une Dans la présence intemporelle de la mon- connaissance du dessin et de la matière tagne, en effet, des strates de temps se ainsi qu’un savoir faire qui ne se laisse pas superposent et créent la complexité de ce effacer. Comment évaluer sa valeur en re- qu’on a sous les yeux. gard de ce qui est proposé avec un statut L’autre superposition sensible est celle d’œuvre d’art ? Cette question, les visiteurs des formes décoratives. Cette histoire des ont le droit de se la poser et d’ailleurs elle assiettes peintes que l’on choisit d’expo- anime tout un pan de la création artistique ser comme des tableaux est assez an- contemporaine. cienne. Les assiettes au mur, on a vu ça dans les cuisines de nos grand-mères et la Tu m’avais parlé, lorsque tu étais en ré- tendance actuelle en décoration les remet sidence, de ce fond de documentation au goût du jour. J’ai beaucoup de respect trouvé dans la rue, de cette rencontre pour l’artisanat d’art, les objets fabriqués inattendue avec une sorte de trésor. Cette à la main, les matériaux nobles. Cet intérêt découverte a-t-elle aussi contribué à pour la décoration et le design contempo- l’évolution du projet ? rain, je l’inscris vraiment dans mon travail comme un sorte de contre-point au travail J’avais déjà décidé de fabriquer la série proprement artistique. des cadres et d’y placer cette image de la chaîne de montagnes à laquelle j’avais En effet tu as déjà introduit dans des tra- envie de m’attaquer. C’est juste après que vaux précédents un questionnement sur je suis tombée, grâce à mon chien qui
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 EXPOSITIONS INDIVIDUELLES P 20 PAYSAGES DOMESTIQUES
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 EXPOSITIONS INDIVIDUELLES P 21 Désordre Ce nouveau projet soutenu par l’espace DU 1ER AU 31 OCTOBRE 2014 d’art contemporain le Bel Ordinaire et co- AU BEL ORDINAIRE. produit par la Maison des éditions, dé- veloppe une réflexion sur notre espace SÉRIE DE 18 PIÈCES. intérieur et les codes qui régissent com- CHAQUE PIÈCE EST COMPOSÉE D’UN munément son organisation. L’uniformisa- MEUBLE IKEA ET D’UNE SCULPTURE tion et la globalisation des convenances (MÉDIUM ET CONTREPLAQUÉ, LAQUÉS en matière de design visent des principes MAT ET BRILLANT, PIN ET CHÂTAIGNIER récurrents d’orthogonalité et de fonction- MASSIF, PLANTES, BOULONS, ÉCROUS, nalisme que Clémentine Fort parvient ici à MOTEURS, RALLONGE 20M.). perturber. En introduisant du mouvement, DIMENSIONS VARIABLES. en tirant des diagonales dans l’espace domestique, en imaginant des pièces qui PROJET RÉALISÉ AU COURS D’UNE viennent chahuter l’ordre établi, l’artiste ANNÉE DE RÉSIDENCE DE RECHERCHE nous amène à reconsidérer notre rapport MENÉE DANS LE DÉPARTEMENT à ce cadre usuel et aux habitudes que nous CÉRAMIQUE DE L’ÉCOLE SUPÉRIEURE y développons. D’ART DES PYRÉNÉES, PAU TARBES Cette approche non-fonctionnelle remet ET RÉALISÉ AVEC LE SOUTIEN DU BEL en question notre lien fétichiste à l’objet et ORDINAIRE ET DE LA MAISON DES s’interroge plus généralement sur le condi- ÉDITIONS. tionnement de nos activités humaines. Loin d’imposer une alternative autoritaire, Clé- mentine Fort opte pour des interventions subtiles qui viennent détourner de leurs fonctions des pièces de mobilier courant. Sa vision à la fois ironique et esthétique se joue de la rationalité et invite le specta- teur à poser un regard nouveau, amusé ou critique, sur un univers normalisé.
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 EXPOSITIONS INDIVIDUELLES P 22 DÉSORDRE Multiples, Rue de grenelle D’entrée de jeu c’est en tant que photo- celle d’un sujet qui vient, à travers le temps qui passe, donner la répartie au bâtiment graphe que Clémentine Fort agit, elle pho- et en modifier la temporalité. Monique Larrouture-Poueyto tographie le temps qui est passé et qui pourtant demeure. Dans la série Rue de Les objets qui dérangent grenelle, en se rendant visite à elle même Pour ce travail plus récent, c’est une forme dans un lieu où elle a réellement vécu, elle de résistance comparable qui est à l’œuvre, Les artistes d’aujourd’hui ne se laissent pas facilement saisir nous fait partager une expérience tempo- relle inusitée. Elle invente selon ses propres mais cette fois la dimension temporelle n’est plus aussi prégnante, même si elle ou apprécier à travers la pratique d’une unique discipline mots, « le plus-que-présent », un temps qui restait à inventer : celui qui enrichit le n’en est pas totalement exclue. Les pièces rassemblées dans les deux dernières salles artistique ; c’est ainsi que Clémentine Fort, pour conduire présent de sa concomitance avec le passé. proviennent en partie d’un stock de pe- tit mobilier produit et mis en vente par sa recherche, convoque tour à tour la photographie, la Les absents C’est encore cette actualité du passé qui la chaîne Ikea. Leur design est nettement issu d’une conception moderniste liée à la est révélée dans la série Les absents. Pour production industrielle mais aussi à l’his- céramique, la sculpture et l’installation. Ces différentes Clémentine Fort, les cols en céramique sont toire de l’art puisque les formes abstraites des « objets fossiles qui possèdent la blan- et très construites évoquent celles qui ont pratiques ont pour point commun de jouer avec l’idée cheur poreuse de l’os ». Ils évoquent les été conçues par les artistes russes des souvenirs dont on ne peut se déprendre ou avant gardes du début du XXe siècle et re- d’édition multiple. Désormais, ce n’est plus seulement l’objet les fantômes qui nous habitent « comme un vêtement porté en nous » écrit-elle. prises plus tard par le courant de l’art mi- nimal. Ces petits meubles aux formes très d’art unique qui véhicule l’idée des artistes car ils sont De la chair pour le béton simples et épurées ont fait l’objet d’un traitement spécial : ils ont été empêchés nombreux à assumer « la reproductibilité technique » de leur Dans la série de photographies qui évoque à nouveau ces strates de présences accu- de fonctionner ou détournés de leur fonc- tion par des interventions discrètes. Clé- mulées dans les lieux que nous fréquentons mentine Fort insiste pour dire qu’elle n’a production artistique ; pour eux l’édition ou le tirage limité quotidiennement, une autre préoccupa- pas voulu accomplir un geste autoritaire tion affleure. Un personnage féminin vient en coupant l’objet de son usage ou en le d’objets artistiques ne suppose pas la facilité de la production se confronter à différentes architectures, détériorant, elle préfère parler d’un sus- sa silhouette vient perturber le jeu formel pend d’activité qui restitue à l’usager un industrielle mais plutôt une production ouverte à un public des bâtiments en rivalisant à l’aide de ses possible regard critique. Mais la portée de courbes, ses couleurs et ses accessoires cette action est d’emblée complexe, elle plus large. Il en est de même pour l’ensemble des pièces avec le construit. Dans ce jeu, entre révé- rence et résistance, il est difficile d’évaluer se révèle à la fois critique et esthétique tout en relevant de l’histoire de l’art. proposées ici que leur auteure fait émerger de la tension celui qui prendra le pas sur l’autre. Pour cette chorégraphie, l’architecture qui n’est D’une part, l’investigation porte sur l’usage de cette mono-forme qui est le résultat de provoquée entre le corps et l’espace au sein duquel elle pas seulement décor, vient dialoguer avec des corps dont la présence est réelle ou la mondialisation ainsi que de pratiques commerciales douteuses. C’est plutôt à ce simplement évoquée. On peut y voir la que l’on a nommé la « génération Ikea » évolue à travers différentes strates temporelles. mise en scène d’une résistance sensible : que la question est posée : comment peut-
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 EXPOSITIONS INDIVIDUELLES P 23 DÉSORDRE on prendre la mesure de cette forme de ment domestique. On se souvient alors que Ikea des formes qui auraient pu trouver standardisation de l’environnement do- si de nombreux designers sont restés des leur place en leur temps dans une exposi- mestique parfaitement consentie ? En adeptes du fonctionnalisme en matière de tion d’art minimal, par exemple. Les sculp- nous mettant en présence de ces objets création de mobiliers, d’autres ont préfé- tures, produites par des artistes à une courants mais qui sont en quelque sorte ré travailler à dé-conditionner l’homme de époque donnée, ont voyagé dans le temps. « empêchés », Clémentine Fort nous sug- son rapport fétichiste à l’objet. Pour eux le D’autres hommes, et pas seulement des gère de réagir, ou pas, à ce que suppose design est une façon de débattre de la vie artistes, les ont reçues et les ont transfor- cette omniprésence dans nos intérieurs. et on retrouve cette même recherche de mées en un autre produit, en l’occurrence Elle dérange leur fonction pour un temps vitalité dans ces sculptures qui dérangent. des éléments de mobilier contemporain. et étend le dérangement à l’observateur, À l’aide d’ajouts discrets Clémentine Fort Mais, au cours de ce voyage dans le temps, en provoquant un sursaut qui réactive le parvient à déjouer le piège de la rationali- qu’est-il advenu de leur statut d’œuvre regard. Grâce à ce suspend l’interrogation té à l’œuvre. Les étagères de guingois ne d’art ? Et ceci est bel et bien une question devient possible, c’est à chacun de se po- peuvent plus, bien entendu, supporter des qui intéresse les artistes. Clémentine Fort sitionner en souriant d’un air entendu ou livres ou des objets mais avions nous vrai- est experte à mettre en œuvre cette inso- en construisant une stratégie d’évitement ment besoin de ceux-ci ? et quelle place lence bien tempérée qui soulève des ques- de la question. prenaient-ils dans notre environnement : tions importantes sans donner de leçons. Par ailleurs, comme dans la série De la chair décor ou nécessité ? Rien de ravageur Comment, sans abandon spectaculaire, pour le béton évoquée plus haut, c’est en- dans cette ironie, la réponse à la question ces formes sont elles devenues des objets core le formalisme strict en matière de de- posée par ces assemblages dépendra uni- usuels ? Ou quand et comment s’est opé- sign qui est remis en question à travers les quement du spectateur et il pourra choisir rée la substitution ? Cette fois, ce sont les perturbations infligées à ces objets issus de la formuler en silence ou bien de la par- habitudes de penser les formes artistiques de la théorie fonctionnaliste. Dans l’instal- tager. À lui d’accepter d’être dérangé ou comme intouchables ou sacrées qui sont lation, étagères et autres pièces de petit pas, d’en sourire ou de prendre la question dérangées. mobilier ont subi une transformation sans au sérieux. être détériorés, leur fonction a été suspen- Une dernière piste d’interprétation peut due par l’adjonction de prothèses étranges. être empruntée pour apporter un nouvel On peut facilement, en supprimant celles- éclairage sur ces objets devenus sculp- ci, rétablir la situation initiale sans altérer tures. Plusieurs raisons à cela : leur pré- les objets d’origine. Cependant dans l’in- sence dans un lieu d’exposition, la forme tervalle c’est leur légitimité qui a été in- d’accrochage choisie ainsi que leur appar- terrogée. Certes leur forme première reste tenance au registre des formes évoquant le parfaitement ajustée à leur fonction qui courant de l’art minimal ou la pratique du est de soutenir des objets disposés contre ready-made. Dans des travaux antérieurs un mur mais l’exposition montre que cette Clémentine Fort accorde une place impor- apparente rationalité cache probablement tante à la dimension temps de l’image, ca- quelque chose. pable de nous transporter dans ce préci- Et c’est justement cela que nous sommes pité temporel particulier. Cette fois c’est invités à découvrir grâce à ce suspend d’ac- la même invitation qui nous est faite : celle tivité que l’artiste veut provisoire. On peut de déceler, dans des objets, les formes désormais regarder différemment ces ob- passées telles qu’elles sont devenues, de jets qui font souvent partie de l’environne- voir dans les étagères et les bibliothèques
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 EXPOSITIONS INDIVIDUELLES P 24 DÉSORDRE
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 EXPOSITIONS INDIVIDUELLES P 25 DÉSORDRE Ode au bancal, Comment le projet Les objets qui dé- rangent s’inscrit-il dans ta démarche ? à tout prix. Dans cette idée, mon propos consiste à imaginer un objet qui pourrait nous détacher de l’objet. Une façon de Propos recueillis par Catherine Bordenave. Ce projet marque plutôt un tournant dans questionner l’univers du design, l’habitude ma démarche. Jusqu’ici, j’ai beaucoup tra- des gestes, la fonction et l’orthogonalité, vaillé la question de la construction de mais sans imposer de réponse pour autant. l’identité, la thématique du souvenir et Pour avoir travaillé quelques années dans le de la mémoire. J’évoquais la dilution des domaine de la décoration, je me suis rendue formes et des corps dans mon travail pho- compte que l’on ne fait que piocher dans tographique ou dans ma pièce en céra- un répertoire de formes, de couleurs dont mique, Les absents. Dans les séries Rue de on propose des assemblages. On évolue Grenelle ou Rue Adoue, j’abordais l’intime dans un univers pré-mâché par l’industrie, en mettant en scène ma famille, en rejouant on a l’impression d’être libre et d’avoir des des expériences personnelles. Donc j’avais choix mais on se rend vite compte que l’on envie d’un projet plus léger qui m’éloigne est à l’intérieur de quelque chose d’assez un peu de moi, de ma figure. Aujourd’hui, verrouillé et prédéterminé. inconsciemment, alors que je vis à nou- veau dans ma ville natale, je prends un Face aux codes du design régis par le peu de distance avec ma propre histoire. souci de fonctionnalisme, tu proposes Par ailleurs, j’ai eu envie de faire une pause une alternative à ce formatage. En quoi avec la photographie à cause du rapport consiste-elle ? très distancié qui empêche le contact di- rect avec la matière. Ce projet me donnait En m’inspirant des architectes déconstruc- l’occasion de retrouver la céramique et de tivistes qui pensent en terme de mouve- prendre le temps d’expérimenter, de tester ment, d’oblique et de déséquilibre, je trou- de nouvelles formes. vais intéressant, dans un premier temps déjà, de déconstruire un système en per- Dans cette série, tu questionnes le mobi- turbant les codes, pour démontrer à quel lier, l’espace intérieur. Comment abordes- point ce qu’on nous propose est autori- tu cette problématique et quelle approche taire. Pour cela, je suis partie de pièces de 1 Ettore Sottsass (1917-2007) est à la as-tu du design ? mobilier usuel de l’enseigne IKEA comme fois architecte, artiste et designer symbole de l’uniformisation mondiale et de Italien, membre actif du mouvement antidesign et du groupe de Memphis. Le design m’a toujours intéressée mais je ne la fonctionnalité. Loin d’imposer quelque « Faire du design, ce n’est pas donner voulais pas avoir une démarche de designer chose d’autoritaire à mon tour, j’ai plutôt forme à un produit plus ou moins stu- et créer de nouveaux objets. Je me sens choisi d’insuffler de la poésie, du mou- pide pour une industrie plus ou moins plus proche des considérations d’Ettore vement en créant des déséquilibres, des luxueuse. Pour moi le design est une façon de débattre de la vie. » Sottsass1 et du groupe de Memphis2 sur l’anti petites perturbations en introduisant des design. Selon eux, le designer doit nous objets de passage qui induisent une autre 2 Le groupe Memphis (1980) met « l’in- déconditionner du rapport fétichiste qu’on lecture de notre intérieur. Par exemple, j’ai dustrie au service du design ». Il sou- haite que chacun utilise ses objets co- peut entretenir avec l’objet, pour ne pas imaginé une cale qui décale une étagère lorés et modulables à sa manière. être dans un processus de consommation et la rend incapable de supporter quoique
CLÉMENTINE FORT PORTFOLIO 2020 EXPOSITIONS INDIVIDUELLES P 26 DÉSORDRE ce soit. Inéluctablement, on en revient au Les objets qui dérangent pointe en fili- questionnement sur la fonction et le sta- grane la question du corps dans l’espace, tut de l’objet dans la lignée de Duchamp 3 déjà évoquée dans ton travail par son rap- et de sa pratique du détournement. Ces port à l’architecture notamment. Faut-il y formes évoquent aussi celles de l’art mini- voir le lien qui inscrit ce projet dans ton mal et les visées d’artistes tels que Donald parcours ? Judd4 par exemple. Par rapport à mon travail, ce projet est un Dans la forme, tu as imaginé des pièces des rares dans lequel il n’y a pas de repré- en céramique et en bois qui viennent se sentation du corps. Je montre des objets, mêler à des objets manufacturés. Est-ce un décor intérieur qui induisent forcément une façon de réhabiliter le geste manuel des comportements humains. Je procède avec ce qu’il peut avoir d’incertain ? finalement par métonymie en évoquant le contenant pour parler du contenu. Cette L’artisanat et le travail à la main sont en ef- série m’a en quelque sorte donné l’oppor- fet des choses qui me parlent. J’avais en- tunité de retrouver l’architecture via la dé- vie de retravailler la céramique pour cette coration et le design. J’ai grandi dans une raison, même si cette technique amène famille d’architectes au milieu des plans son lot de contraintes, de difficultés pour et des agencements, c’est ce qui explique obtenir quelque chose de précis. Pour ce mon intérêt pour ce sujet. La notion de lieu, qui est du bois, je ne l’avais jamais travaillé d’espace est très présente dans mon tra- donc j’ai bénéficié de l’expertise en menui- vail : je donne des noms de rue à mes séries serie et ébénisterie d’Alix Allain, l’assistant photographiques, j’enferme mes person- technique du BO, pour la réalisation des nages dans des huis clos. Le lieu devient pièces. À l’opposé des méthodes de fabri- un personnage supplémentaire, un témoin cation à grande échelle, je voulais proposer de la présence humaine. De fait, ce nou- quelque chose de fait à la main avec des veau projet, qui questionne notre rapport savoir-faire et des matériaux ancestraux. à l’espace intérieur, trouve son sens dans Peu importe les imperfections, les petits l’ensemble de ma démarche artistique. accidents, c’est justement cette fragilité que je trouve belle, là où normalement elle serait écartée. Donc je suis plutôt dans le 3 Marcel Duchamp (1887-1968), peintre, plasticien, homme de lettre français, « low tech », dans l’éloge de la lenteur et notamment connu pour avoir inventé le culte du bancal à l’image de mes chaises le ready-made. sur lesquelles on ne peut pas s’asseoir. 4 Donald Judd (1928-1994) artiste plas- ticien et théoricien américain. Princi- pal représentant du minimalisme. Il cherche à réduire ses sculptures aux formes géométriques les plus simples et élabore le concept d’installation permanente.
Vous pouvez aussi lire