CORTICOTHERAPIE ET CHOC SEPTIQUE

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QUOI DE NEUF DANS LE TRAITEMENT DE L’ETAT DE CHOC SEPTIQUE                            641

                    CORTICOTHERAPIE ET CHOC SEPTIQUE

O. Fourcade. Département d’Anesthésie-Réanimation, Service de Neurochirurgie,
Hôpital Purpan, Place du Dr Baylac, 31059 Toulouse Cedex, France.

INTRODUCTION
    L’état de choc septique [1] est une conséquence de la réponse inflammatoire
systémique, déclenchée par une agression d’origine septique. Les glucocorticoïdes étaient
couramment utilisés dans son traitement, en raison de leurs propriétés anti-
inflammatoires. L’administration de fortes doses était préconisée [2]. Le traitement devait
être précoce puis rapidement interrompu, afin de limiter les effets secondaires, et
notamment l’immunosupression. Cette attitude semblait logique. Tout d’abord, de
nombreuses études, menées in vitro ou sur l’animal, confirment l’effet inhibiteur des
glucocorticoïdes à forte dose, sur les médiateurs du syndrome de réponse inflam-
matoire systémique (SIRS). Par ailleurs, l’intensité du SIRS à la phase initiale du choc
septique est corrélée à la survenue de complications, et à la mortalité des patients.
    Pourtant, en 1995 un consensus fait suite à la publication de deux méta-
analyses [3, 4]. Les glucocorticoïdes n’apportent pas de bénéfice dans le traitement des
patients souffrant de choc septique, et ils augmentent la morbidité et la mortalité.
    Deux études récentes remettent partiellement en cause ces conclusions [5, 6]. Elles
montrent une efficacité de l’hydrocortisone si elle est administrée à de faibles doses, et
durant une plus longue période. Les connaissances actuelles concernant les cortico-
stéroïdes et leur régulation dans le choc septique permettent d’appuyer ces résultats sur
des hypothèses physiopathologiques [7, 8].

1. LA REPONSE INFLAMMATOIRE SYSTEMIQUE
    La libération d’endotoxines et d’exotoxines lors des sepsis [1] est responsable d’une
augmentation de la synthèse et de la libération de médiateurs pro- et anti-
inflammatoire [9]. Le facteur de nécrose des tumeurs alpha (TNFα) et l’interleukine 1
(IL1) sont des cytokines pro-inflammatoires proximales dont l’augmentation stimule la
synthèse de nombreux médiateurs dont l’IL6, l’IL8, les molécules d’adhésion, le fac-
teur tissulaire (tF), ou encore la phospholipase A2 sécrétée de type IIA (sPLA2).
    L’augmentation de sPLA2 [10, 11] favorise la synthèse de médiateurs lipidiques
comme les lysophospholipides (lyso-PL) ou le facteur d’activation plaquettaire (PAF),
et la libération d’acide arachidonique. Cet acide gras est utilisé comme substrat par les
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 cyclo-oxygénases (COX) pour la synthèse des prostaglandines et des leukotriènes. Les
 COXs et notamment la COX2 inductible sont par ailleurs stimulées par le TNFα et
 l’IL1. Le PAF active l’agrégation et la sécrétion des plaquettes, il est vasodilatateur et
 participe à l’altération de la perméabilité capillaire, comme certains facteurs du
 complément. Les lyso-PL sont pro-agrégants plaquettaires, inhibiteurs du surfactant
 pulmonaire, vaso-actifs, et modifient le chimiotactisme. Le tF initie la voie extrinsèque
 de la coagulation, et favorise la survenue d’une coagulation intravasculaire disséminée.
 L’augmentation d’IL8 et des molécules d’adhésion, favorise la diapédèse et le chimio-
 tactisme. Enfin, le TNFα et l’IL1 stimulent l’expression de la NO synthase inductible,
 et donc la synthèse de NO (monoxyde d’azote), puissant vasodilatateur.
     Ce descriptif simpliste de la cascade inflammatoire n’est ni exhaustif, ni détaillé. Il
 permet de comprendre certains objectifs de l’immunothérapie dans le choc septique.
 Les essais thérapeutiques dont l’objectif a été l’inhibition sélective de l’un de ces mé-
 diateurs n’ont pas été suivis de succès. L’effet des corticoïdes pourrait lui, s’exercer sur
 un grand nombre de ces facteurs.

 2. CORTICOSTEROIDES ET CYTOKINES PRO-INFLAMMATOIRES
     L’injection intraveineuse de TNFα, d’IL1 ou de sPLA2, reproduit chez l’animal les
 effets d’une injection d’endotoxine bactérienne. L’injection préalable de déxaméthaso-
 ne dans ces études, diminue le retentissement tensionnel et diminue la mortalité des
 animaux. In vitro, les glucocorticoïdes inhibent la synthèse du TNFα, d’IL1, et de sPLA2.
 Pourtant, l’administration de fortes doses de glucocorticoïdes, même si elle est préco-
 ce, aggrave la mortalité des patients atteints de choc septique [3, 4]. L’administration
 intraveineuse de doses de stress d’hydrocortisone (HC) avant l’injection d’endotoxine
 (3 µg.kg-1.min-1 pendant 6 h) diminue les concentrations de TNFα, et de protéine
 C-réactive (CRP). L’IL6 n’est pas modifiée [12]. Cette inhibition du TNFa est égale-
 ment obtenue par l’administration de bolus de 100 et 200 mg d’HC [13]. Par contre, si
 cette injection est unique et trop précoce (plus de 6 h avant l’endotoxine), elle est inef-
 ficace.
     Par ailleurs, la réponse inflammatoire s’amplifie à distance du traitement [12]. Mais
 ces résultats ont été obtenus avec des volontaires sains, et ils ne reflètent pas forcément
 l’effet de l’HC sur des patients en état de choc septique. L’étude in vivo [14], des modi-
 fications de concentrations des cytokines induites par l’HC ne montre pas de variations
 du TNFα, de l’IL8, et de l’IL10. Seule l’IL6 est diminuée. Briegel et al. montrent
 également [6] que l’administration d’HC diminue la sPLA2 et la CRP. Cette diminu-
 tion est associée à une amélioration des paramètres cliniques. À l’arrêt du traitement,
 entre le 7ème et le 13ème jour, le SIRS récidive chez certains patients, et l’état de choc
 s’installe à nouveau. Une ré-ascension de la sPLA2 est alors mesurée. La reprise du
 traitement est efficace sur les paramètres cliniques et biologiques.
     L’efficacité clinique de l’HC administrée, à des doses de stress [5, 6], ne semble
 donc pas liée à un effet inhibiteur de la synthèse et de la libération des cytokines
 proximales de l’inflammation (TNFα, IL1). L’effet sur l’IL6 peut entraîner la baisse de
 la CRP, un effet direct sur la synthèse de sPLA2 pourrait expliquer l’efficacité clinique
 du traitement. Toutefois, si l’effet de l’HC ne s’exerce pas par une action sur la concen-
 tration plasmatique des cytokines, il est séduisant de penser qu’elle peut agir en corrigeant
 une inefficacité du cortisol endogène. C’est le concept de syndrome d’insuffisance sur-
 rénalienne relative [8, 15].
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3. INSUFFISANCE RELATIVE EN CORTISOL
3.1. CONCENTRATION PLASMATIQUE DE CORTISOL
    La concentration plasmatique de cortisol est augmentée chez la plupart des patients
atteints de choc septique. Un déficit vrai en cortisol est défini par des concentrations
inférieures à 15 µg.dL-1. Cette situation est rare, et ces patients nécessitent bien sûr une
opothérapie substitutive. Par contre, de nombreux travaux suggèrent que si le dosage
plasmatique du cortisol permet de diagnostiquer ces insuffisances surrénaliennes vraies
reconnues par consensus (< 15 µg.mL-1), il ne permet pas de conclure que cette
concentration est adaptée à l’agression [16]. Ainsi, il est possible qu’une sécrétion
normale ou augmentée de cortisol, soit insuffisante dans l’état de choc septique. Cet
état serait alors davantage la conséquence d’un déficit relatif en cortisol, que d’un
excès en cytokines. Ce déficit peut par ailleurs exacerber l’effet des cytokines pro-
inflammatoires. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer cette
insuffisance relative [7, 8].
3.2. AXE HYPOTHALAMUS-HYPOPHYSE-SURRENALE (HPA) : DYSFONCTION
    L’agression des patients en réanimation entraîne normalement une stimulation de
l’HPA. La réponse à la CRH (corticotropin-releasing hormone) et à l’ACTH (cortico-
tropin) est stimulée, favorisant ainsi la sécrétion de cortisol en réponse à une agression.
Dans le choc septique [8], le TNFα inhiberait l’effet de la CRH sur l’ACTH [17]. La
stimulation de la glande surrénale par l’ACTH serait également diminuée [18]. Le
rétrocontrôle négatif, normalement exercé par le cortisol, est aboli. Le rythme circa-
dien de sécrétion du cortisol n’est plus respecté, ce qui pourrait diminuer la sensibilité
des cellules cibles. Par ailleurs, une insuffisance surrénalienne périphérique est classi-
quement reconnue si les concentrations de cortisol inférieures à 15 µg.mL -1,
n’augmentent pas au-dessus de 20 µg.mL-1 après un test à l’ACTH. Or, l’injection
d’ACTH n’entraîne pas une sécrétion appropriée de cortisol [19] chez les patients en
état de choc septique. De plus, il semble que ni les concentrations de cortisol, ni les
variations induites par l’ACTH n’aient de significations physiopathologiques dans cet-
te pathologie. Elles n’ont d’ailleurs pas de valeur pronostique [16]. Ainsi, les
dysrégulations de l’axe HPA pourraient être à l’origine d’une insuffisance relative de
sécrétion du cortisol face à l’agression.
3.3. INSENSIBILITE DES RECEPTEURS
    Les glucocorticoides agissent en se couplant à un récepteur intracellulaire. Le si-
gnal entraîne l’activation ou la répression d’un grand nombre de gènes qui possède un
élément de réponse aux corticoïdes (GRE). Les mécanismes qui peuvent diminuer l’ac-
tivation de ce récepteur au cours du choc septique sont nombreux et partiellement
connus [20]. La perte d’effet des glucocorticoïdes qui est induite par certaines cytoki-
nes pourrait être due à ce phénomène. Le facteur nucléaire kappa-B (nuclear factor-kappa
B ou NF-κB) est un facteur de transcription exprimé par les cellules immunitaires [21],
qui pourrait jouer un rôle clé. En effet, de nombreuses cytokines dont le TNFα et l’IL1
ont des gènes qui comportent des sites de fixation pour ce facteur nucléaire. Il stimule
leurs synthèses. De plus, l’activation de NF-κB est favorisée par le TNFα, le lipopoly-
saccharide (endotoxine bactérienne), ou encore par les signaux oxydatifs et certains
facteurs du complément. Une telle activation est mise en évidence dans le choc septi-
que et dans le syndrome de détresse respiratoire aiguë de l’adulte (SDRA). Or, l’activation
de NF-κB et de AP-1 (un autre facteur de transcription) pourrait être responsable de la
réduction d’affinité du cortisol pour son récepteur. Il est intéressant de noter que le
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 cortisol diminue l’activation de NF-kB. Ainsi, ce facteur nucléaire, qui est activé par de
 nombreux médiateurs de l’inflammation et inhibé par le cortisol, stimule la synthèse
 des cytokines et participe à la perte d’affinité du cortisol pour son récepteur. Dans cette
 hypothèse, l’administration d’HC diminuerait l’activité de NF-kB, et rétablierait la
 sensibilité des récepteurs au cortisol.
    Cette insensibilité des récepteurs pourrait expliquer l’augmentation importante de
 sPLA2, l’activation excessive de la NO-synthase, ou encore la perte de sensibilité
 vasculaire aux vasopresseurs.

 4. CORTICOTHERAPIE EN REANIMATION : INDICATIONS RECONNUES
     Certains états pathologiques nécessitent une corticothérapie [7]. L’insuffisance sur-
 rénale vraie est rare en réanimation, mais doit faire appel à une opothérapie substitutive.
 Certaines méningites de l’enfant, les pneumopathies à pneumocystis carinii chez le
 patient atteint de SIDA, et les cas sévères de fièvre typhoïde, sont des indications de
 corticothérapie. La phase tardive du SDRA peut être une indication d’administration
 prolongée de méthylprednisolone [22].

 5. DOSES DE STRESS D’HC DANS LE CHOC SEPTIQUE
     La dose de stress correspond aux concentrations maximales de cortisol sécrétées
 chez l’homme après stimulation à l’ACTH. Ces concentrations sont comprises entre
 150 et 300 mg par jour. Briegel et al. [6] administrent 100 mg d’HC en 30 min suivis
 d’une perfusion continue de 0,18 mg.kg-1.h-1. Ce traitement est débuté après remplis-
 sage vasculaire et après prescription d’un vasopresseur. Le profil hémodynamique est
 monitoré par cathétérisme de Swan Ganz. Seuls les patients qui présentent un choc
 septique hyperkinétique sont inclus (index cardiaque supérieur à 4 L.min-1.m2-1 sans
 tonicardiaque). Ce traitement entraîne une diminution de la durée d’administration des
 vasopresseurs, et une augmentation des résistances vasculaires périphériques. La
 réversibilité du choc et la mortalité ne sont pas significativement modifiées dans cette
 étude [6]. La mortalité est diminuée dans l’étude de Bollaert et al. [5] qui observent les
 mêmes bénéfices hémodynamiques. Le traitement n’a pas entraîné d’augmentation de
 la morbidité et de la mortalité [5, 6]. Aucun effet indésirable grave lié à l’HC n’a été
 observé. Une augmentation transitoire des transaminases et un effet minéralocorticoïde
 avec augmentation de la natrémie est retrouvé chez certains patients [6]. Le traitement
 est maintenu jusqu’à l’arrêt du vasopresseur, puis poursuivi pendant 6 jours à
 0,08 mg.kg-1.h-1. La posologie est réduite à 24 mg par jour en cas d’hypernatrémie [6].
 Les auteurs ont observé que la poursuite du traitement pendant 6 jours diminue le
 risque de récidive de l’état de choc [6, 8].
     Les résultats relatifs à la mesure de l’activité plasmatique de la sPLA2 [6] sont
 particulièrement intéressants. Ils confirment la valeur pronostique de ce marqueur [11]
 et sa corrélation à l’hypotension artérielle. Cette mesure est peu coûteuse et peut être
 réalisé en pratique clinique. La sPLA2, dont la cinétique est rapide, semble pouvoir
 s’imposer comme un facteur d’appréciation de l’efficacité thérapeutique dans le choc
 septique.

 CONCLUSION
     Deux études récentes, dont la méthodologie est remarquable, concluent à l’efficaci-
 té de l’administration de doses de stress d’HC dans l’état de choc septique hyperkinétique.
 L’ensemble de la prise en charge des patients inclus est parfaitement rigoureuse, et les
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effets thérapeutiques obtenus sont le résultat d’une association d’HC à un traitement
bien conduit. Il est important de rappeler le rôle primordial du traitement étiologique
du choc septique et notamment l’importance de l’antibiothérapie. Enfin, les résultats
obtenus dans ces études [5, 6] ne remettent pas en cause les conclusions concernant
l’administration de fortes doses de glucocorticoïdes à la phase aiguë du choc septique
qui aggrave la morbidité et la mortalité des patients [3, 4, 23, 24]. Par ailleurs, ces
résultats ne s’appliquent qu’aux états de choc hyperkinétiques et demandent bien sûr à
être confirmés.

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