DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE TERRITORIAL : COMMENT LES COLLECTIVITÉS LOCALES PEUVENT-ELLES FAVORISER DES FILIÈRES AGRICOLES DURABLES ?

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DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE TERRITORIAL : COMMENT LES COLLECTIVITÉS LOCALES PEUVENT-ELLES FAVORISER DES FILIÈRES AGRICOLES DURABLES ?
DÉVELOPPEMENT
ÉCONOMIQUE TERRITORIAL :

COMMENT LES COLLECTIVITÉS
LOCALES PEUVENT-ELLES
FAVORISER DES FILIÈRES
AGRICOLES DURABLES ?

                                                        JUIN 2018
                      Ce guide de recommandations et bonnes pratiques est issu
                      des travaux du réseau national des sites pilotes eau & bio,
                            coordonnés par la FNAB et Bio en Hauts-de-France.
DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE TERRITORIAL : COMMENT LES COLLECTIVITÉS LOCALES PEUVENT-ELLES FAVORISER DES FILIÈRES AGRICOLES DURABLES ?
PRÉAMBULE
Un besoin de mieux identifier le rôle que pourraient jouer les collectivités locales
dans l’émergence de systèmes agroalimentaires durables et territorialisés

                                                                                GÉNÈSE ET
LE RÉSEAU                                                                       FONCTIONNEMENT
DES SITES PILOTES                                                               D’UN GROUPE DE
EAU & BIO,                                                                      TRAVAIL
EN QUELQUES MOTS…                                                               DÉDIÉ À CETTE
                                                                                PROBLÉMATIQUE
Si en matière de reconquête et             Ce réseau - animé par la FNAB
de préservation de la qualité de           - se compose d’une trentaine de      Le réseau des sites pilotes et la
l’eau sur des secteurs agricoles, la       sites pilotes représentatifs de la   FNAB ont l’intuition que le déve-
solution la plus durable et la plus        diversité des systèmes agricoles,    loppement économique et l’appui à
efficace est le développement à            des contextes pédoclimatiques,       la structuration de filières longues
grande échelle de l’agriculture bio-       des dimensions géographiques,        (projets allant au-delà et en complé-
logique1, les références locales ou        politiques et administratives que    ment des circuits courts de proximi-
européennes en la matière sont             l‘on retrouve en France.             té tels que les paniers, marchés de
peu nombreuses, notamment sur                                                   plein vent, la restauration collective)
les leviers d’actions publics.             1
                                            Girardin et Sardet, INRA, 2003.     pourraient être de puissants leviers
                                           Billen, Piren Seine-Normandie,       pour développer et structurer loca-
Le dispositif site pilote Eau & Bio,       CNRS, 2011.                          lement l’agriculture biologique.
créé en 2010, est un réseau de
co-production,       d’expérimenta-                                             Pourtant, ces leviers sont souvent
tion, d’innovation et de transfert                                              méconnus et sous-employés. Nous
d’expériences visant à mieux fa-                                                disposons de peu d’exemples dans
voriser et comprendre les dyna-                                                 lesquels la collectivité locale a pu
miques territoriales en faveur du                                               faire émerger une économie agroa-
développement de l’agriculture                                                  limentaire durable et reterritoriali-
biologique.                                                                     sée. Par ailleurs, les collectivités en
                                                                                charge de la protection de l’eau n’ont
Il réunit à ce titre les territoires les                                        soit pas la compétence développe-
plus innovants et engagés dans                                                  ment économique, soit peinent à
la problématique du développe-                                                  articuler leurs compétences avec les
ment agricole, plus particulière-                                               politiques publiques de développe-
ment celui du mode de produc-                                                   ment économique agricole et agroa-
tion biologique, dans un contexte                                               limentaire.
d’enjeu de protection de l’eau.
                                                                                Ce groupe de travail animé par la
                                                                                FNAB et le GABNOR (aujourd’hui
         www.eauetbio.org                                                       Bio en Hauts-de-France) en par-
                                                                                tenariat avec le bureau d’études
                                                                                Epices, composé de collectivités

2       Préambule
DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE TERRITORIAL : COMMENT LES COLLECTIVITÉS LOCALES PEUVENT-ELLES FAVORISER DES FILIÈRES AGRICOLES DURABLES ?
Source : SEV - SIEPDEP de la vallée de la Courance

locales du réseau des sites pilotes, a
cherché à mieux comprendre le rôle
des collectivités en matière de dé-
veloppement économique agricole
et alimentaire.

A travers cette analyse écono-
mique, l’objectif était d’identifier
de nouvelles pistes de soutiens pu-
blics au développement territorial
de l’agriculture biologique. Pour ce
faire, le groupe de travail composé
d’une dizaine de collectivités lo-
                                          26 acteurs ressources ont été in-         l’Auxerrois, Saint Etienne Métro-
cales s’est réuni trois fois et a orga-
                                          terviewés afin d’enrichir l’analyse :     pole, Grenoble Alpes Métropole,
nisé un voyage d’étude à la Bioval-
                                                                                    Pays du Ternois, Communauté de
lée (Drôme) en mai 2016.
                                          • Opérateurs économiques :                Communes Val de Drôme, Eau de
                                          société IRIS (ex-SANOFLORE),              Paris
                                          SCOP Ti (ex – FRALIB), Agrobio-
                                          drôme, Terres Dioises, société            • Têtes de réseau et experts :
                                          roses et d’or, fromagerie de la Lé-       Fédération Nationale des PNR,
                                          mance, fermes de Figeac                   Association des Régions de
                                                                                    France, Agence Bio, CAP Rural,
                                          • Acteurs publics :                       CERDD, ATEMIS, France Clus-
                                          Pays des Herbiers, PNR Pyrénées           ters, l’Assemblée Des Commu-
                                          Ariégeoises, Conseil Départe-             nautés de France, ANPP
                                          mental de la Savoie, Agence de
                                          l’Eau Seine Normandie, Com-
                                          munauté d’Agglomération de

                                                                                  Enfin, un séminaire et des ateliers
                                                                                  de co-production dédiés organisés à
                                                                                  Paris le 19 janvier 2017 ont réunis
                                                                                  élus, collectivités locales, produc-
                                                                                  teurs et opérateurs économiques :
                                                                                  http://www.eauetbio.org/catego-
                                                                                  rie-dossiers-thematiques/semi-
                                                                                  naire-transition-agricole-des-ter-
                                                                                  ritoires/

                                                                                                  Préambule         3
DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE TERRITORIAL : COMMENT LES COLLECTIVITÉS LOCALES PEUVENT-ELLES FAVORISER DES FILIÈRES AGRICOLES DURABLES ?
UN GUIDE DE RECOMMANDATIONS

                                                                                            05
ET DE BONNES PRATIQUES
POUR DONNER ENVIE AUX COLLECTIVITÉS                                       CONTEXTE
LOCALES DE S’ENGAGER
                                                                         LES CARACTÉRISTIQUES
                                                                         DU SYSTÈME AGROA-
                                                                         LIMENTAIRE LIMITENT
    Comment encourager                                                   L’ACTION DES COLLEC-
    l’entreprenariat agricole                                            TIVITÉS TERRITORIALES
    individuel et collectif ?          Que faire quand les centres
                                       de décision des entreprises       Un système agroalimentaire
                                       ne sont plus dans les terri-      concentré, spécialisé et
                                       toires ?                          globalisé…
                                                                         -
    Comment mobiliser des                                                Qui invite à repenser le mode
    acteurs économiques                                                  d’organisation des filières…
    positionnés sur des marchés                                          -
    internationaux ?                                                     Mais qui révèle les difficultés
                                                                         des collectivités territoriales
                                                                         à intervenir sur l’organisation
                                                                         des filières

                                                                                            11
    Comment créer davantage
    de coopérations entre les
    acteurs économiques et les                                            RECOM. 1
    élus d’un territoire ?
                                                                         SORTIR DU CADRE,
                                                                         CHANGER DE
                                                                         POSTURE :
Voici quelques-unes des ques-
                                                                         UN PRÉALABLE
tions soulevées par le groupe de
travail auxquelles nos travaux se                                        Des compétences en
sont attachés à répondre. L’ob-                                          développement économique,
jectif de ce guide est de valori-                                        mais une difficulté des
ser les échanges et expériences                                          collectivités à se positionner
                                    - La proposition d’un schéma
issus de ces travaux à travers                                           sur l’économie agricole, à
                                    méthodologique et de clés à
                                                                         penser le lien aux ressources
                                    destination des collectivités lo-
- Une présentation du contexte                                           en eau
                                    cales pour se lancer dans la mise
agroalimentaire                                                          -
                                    en œuvre de politiques de déve-      Pourquoi et comment
                                    loppement économique facili-         dépasser ce cadre ?
- La formulation de 3 recom-
                                    tant la transition agroalimentaire
mandations clés à destination
                                    d’un territoire
des élus et agents de collectivi-
tés locales

4      Préambule
DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE TERRITORIAL : COMMENT LES COLLECTIVITÉS LOCALES PEUVENT-ELLES FAVORISER DES FILIÈRES AGRICOLES DURABLES ?
RECOM. 2
                   16               SYNTHÈSE

                                    MÉTHODOLOGIQUE
                                                             27
ENCOURAGER
L’ENTREPRENARIAT                   Des actions ponctuelles pour
INDIVIDUEL OU                       démarrer
COLLECTIF, POUR FAIRE              -
ÉMERGER DES ALTER-                 Schéma méthodologique
NATIVES AU SYSTÈME
AGROALIMENTAIRE

Accompagner et mettre
en réseau les initiatives
entrepreneuriales alternatives
-
Attirer des entrepreneurs qui
contribueront à la mise en
œuvre du projet de territoire :
zones d’activité immobilières
                                    CONTEXTE
dédiées, marketing territorial,
crowdfunding territorial…
                                   LES CARACTÉRISTIQUES
                                   DU SYSTÈME AGROALIMENTAIRE
 RECOM. 3

INFLUENCER LES
                   23              LIMITENT L’ACTION DES
                                   COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
PRATIQUES DES
ENTREPRISES AGROA-                 UN SYSTÈME AGROALIMENTAIRE
LIMENTAIRES DU TER-
RITOIRE : DES MARGES               CONCENTRÉ, SPÉCIALISÉ ET GLOBALISÉ…
DE MANŒUVRE À
EXPLORER
                                   La théorie des avantages compara-         Les filières agricoles se sont donc
                                   tifs soutient l’idée que chaque ter-      structurées autour de ce principe,
Se construire un avenir
                                   ritoire a intérêt à se spécialiser dans   conduisant à la simplification des
commun en révélant les
                                   la production agricole pour laquelle      systèmes de production (moindre
enjeux communs entre les
                                   il dispose de la productivité la plus     diversité des assolements, réduc-
entreprises et le territoire
                                   forte. En fonction de différents fac-     tion de la durée des rotations…).
-
                                   teurs : contexte pédoclimatique,          Cette simplification des systèmes
Saisir les opportunités pour
                                   infrastructures logistiques, outils       des production s’est accompagnée
influencer les pratiques des
                                   de transformation et organisation         d’une spécialisation des territoires
entreprises
                                   des acteurs… Le système de libre-         autour de bassins de production, or-
                                   échange a poussé les régions agri-        ganisés à travers des acteurs et des
                                   coles à se spécialiser en vertu de        outils de transformation de plus en
                                   cette théorie, sur un modèle écono-       plus concentrés.
                                   mique basé sur le couple volume /
                                   prix.

             Les caractéristiques du système agroalimentaire limitent l’action...             Contexte         5
DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE TERRITORIAL : COMMENT LES COLLECTIVITÉS LOCALES PEUVENT-ELLES FAVORISER DES FILIÈRES AGRICOLES DURABLES ?
SPÉCIALISATION                                                 Diminution des rotations culturales entre 1970 et 2000

L’histoire agricole, avec les appa-
ritions progressives de la moto-
risation, mécanisation, intrants,
sélection variétale, a conduit les
exploitations agricoles puis les ter-
ritoires à se spécialiser. Cette spé-
cialisation s’est accélérée par la
structuration des filières agro-in-
dustrielles basées sur des bassins
de production afin de maîtriser vo-
lumes, qualité, logistique et de réa-
liser des économies d’échelles. Les
cartes ci-dessous montrent cette
spécialisation des territoires et des
systèmes productifs par la simplifi-      Sur ces cartes, plus la couleur tend
cation des rotations alors même que       vers le rouge, plus les rotations
la diversification des cultures, pierre   culturales sont faibles.
angulaire des systèmes bio, est le
principal levier pour le développe-       Source des cartes : SOLAGRO et
ment de systèmes de productions           AGRESTE - RGA
durables économes en intrants et
respectueux des territoires.

Schéma décrivant la concentration         CONCENTRATION
des acteurs dans la filière
alimentaire                               Le schéma ci-contre représente la
                                          chaîne agroalimentaire de six pays
                                          européens en 2000 avec le nombre
                                          d’acteurs à chaque niveau : on ob-
                                          serve une atomisation des consom-
                                          mateurs et des agriculteurs face à
                                          une concentration croissante des
                                          acteurs à mesure que l’on s’avance         Les cartes ci-contre montrent l’évo-
                                          vers la distribution.                      lution du secteur sucrier, symbole
                                                                                     de la spécialisation des territoires et
                                          Aujourd’hui en France, deux tiers du       la concentration des outils de pro-
                                          chiffre d’affaires de l’industrie agroa-   duction : la betterave est surtout
                                          limentaire est réalisé par moins de        cultivée dans le Nord de la France, et
                                          10% des entreprises. La distribution       s’il existait à la fin du XIXème siècle
Source : BASIC
                                          est encore davantage concentrée            plus de 200 sucreries rien que sur le
                                          puisque 90% du commerce de dé-             département de l’Oise, ce territoire
                                          tail alimentaire en libre-service est      n’en compte aujourd’hui plus qu’une
                                          réalisé par 6 entreprises, regroupées      seule, 20 sur le territoire national…
                                          autour de 4 centrales d’achats.

6       Contexte        Les caractéristiques du système agroalimentaire limitent l’action...
DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE TERRITORIAL : COMMENT LES COLLECTIVITÉS LOCALES PEUVENT-ELLES FAVORISER DES FILIÈRES AGRICOLES DURABLES ?
Nombre sucreries 1960                                          Nombre sucreries 2010

                                                   Source : Association pour la sauvegarde de la sucrerie de franciere
GLOBALISATION

Le monde agricole fait l’objet d’at-      Une étude2 menée en 2014 a cher-        vis-à-vis de ses débouchés puisque
tentes contradictoires. D’un côté, la     ché à comprendre l’impact du sys-       90% de la production est vouée à
société qui lui demande de prendre        tème agroalimentaire de la région       l’export.
en compte toutes les ressources           Nord-Pas-de-Calais sur la ressource
dont il est indirectement en charge       en eau. Cette étude, basée sur le
localement, liées à la nature ou au       suivi des flux d’azote du système
bien commun de la société (eau,           agroalimentaire régional, a mis en
biodiversité, santé, gestion du pay-      évidence la vulnérabilité et la forte
sage…), dans une vision de long           dépendance de la région vis-à-vis de
terme. De l’autre côté, on observe        ses intrants (engrais azotés, alimen-
une pression économique crois-            tation animale…) mais également
sante due à un marché mondialisé,
dérégulé, libéralisé, où l’on attend
de l’agriculteur esprit d’initiatives
et prise de risques : l’agriculteur est
concurrent de bassins de produc-
tions globalisés, ce qui implique une
vision plutôt court-termiste.

 2
    Analyse du système agroalimentaire
 de la région Nord-Pas-de-Calais et ses
   enjeux sur l’eau, Mémoire de Master
   2 réalisé par Mohamed BENHALIMA
  sous la direction de Florence SCARSI
       (Bureau de l’Agriculture, MEDDE)
           Gilles BILLEN (CNRS/UPMC),
                        Septembre 2014

              Les caractéristiques du système agroalimentaire limitent l’action...                 Contexte         7
DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE TERRITORIAL : COMMENT LES COLLECTIVITÉS LOCALES PEUVENT-ELLES FAVORISER DES FILIÈRES AGRICOLES DURABLES ?
DES CONSTATS
QUI INVITENT À
REPENSER LE MODE
D’ORGANISATION
DES FILIÈRES…

Pourtant, seuls un allongement des
rotations, une diversification des         MAIS... QUI RÉVÈLENT
cultures, un équilibre entre pro-
ductions animales et végétales à           LES DIFFICULTÉS DES COLLECTIVITÉS
l’échelle des territoires permettront      TERRITORIALES À INTERVENIR SUR
l’émergence d’écosystèmes agroa-
limentaires respectueux des res-           L’ORGANISATION DES FILIÈRES
sources locales. L’émergence de ces
systèmes agroalimentaires durables
passera donc par la capacité des           Dans ce contexte, la principale difficulté pour les collectivités territoriales est
acteurs économiques à s’organiser          l’absence d’interlocuteurs locaux : les centres de décision de la majorité des
collectivement pour parvenir à va-         opérateurs agroalimentaires, collecteurs, coopératives ne sont plus présents
loriser un maximum de productions          localement. La proximité relationnelle et idéologique entre acteurs écono-
diverses à l’échelle des territoires. Il   miques et élus locaux est perdue et rend le dialogue difficile.
sera pour cela nécessaire de travail-
ler sur un nouvel agencement des
acteurs économiques et repenser
                                                                                          Que faire quand les centres
les modèles de développement éco-
                                                                                          de décision des entreprises
nomiques et territoriaux : mise en
                                                                                          ne sont plus dans les
place d’outils de gouvernance coo-                                                        territoires ?
pératifs multi acteurs, contractuali-
sation inter-filière, plan d’investis-
sement dans des outils post-récolte
et de transformation de petites
tailles, économes, accessibles, poly-                                                  L’aventure de Sanoflore a débuté
valents… La durabilité des systèmes                                                    il y a une vingtaine d’années sur
agricoles est donc conditionnée                                                        notre territoire. Le jour où Sano-
par la façon dont les acteurs éco-                                                     flore a été racheté par L’Oréal,
nomiques s’organisent à l’échelle                                                      nous avons perdu la proximité que
des territoires. C’est à cette échelle                                                 nous avions tissé avec eux. Au-
que les collectivités territoriales ont                                                jourd’hui le dialogue est rompu.
toutes leurs places, notamment à
travers des compétences renfor-
cées en matière de développement                                                       un élu de la Communauté de Com-
économique.                                                                            munes du Val de Drôme.

                                                                                       L’éloignement des pouvoirs de dé-
    Comment créer davantage                                                            cision des entreprises complique
    de coopérations entre les                                                          la tâche des collectivités qui sou-
    acteurs économiques et les                                                         haitent les mobiliser sur des enjeux
    élus d’un territoire ?                                                             territoriaux tels que la protection de
                                                                                       l’eau ou le maintien de l’emploi.

8       Contexte          Les caractéristiques du système agroalimentaire limitent l’action...
DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE TERRITORIAL : COMMENT LES COLLECTIVITÉS LOCALES PEUVENT-ELLES FAVORISER DES FILIÈRES AGRICOLES DURABLES ?
Nous disposons d’un maillage            Les industries agroalimentaires         Comment faire converger
dense d’entreprises agroalimen-         du territoire telles que le groupe      un projet de territoire au
taires notamment des fromage-           Arivé, Fleury Michon…, toutes           service de l’intérêt général
ries, des glaciers... Pour la plupart   positionnées sur les marchés            avec les réalités écono-
d’entre elle, aucun approvision-        internationaux, ont participé           miques des entreprises ?
nement n’est réalisé auprès des         aux échanges avec les élus du
éleveurs laitiers du territoire. En     territoire, mais à aucun mo-
cherchant à construire un pro-          ment nous n’avons réussi à par-
jet visant à mieux valoriser les        tager un projet avec eux. Parler     Par ailleurs, du fait de la financiari-
ressources locales du territoire        qualité de l’eau du bassin ver-      sation du système agroalimentaire,
dans les rations animales, on           sant à des industriels position-     la gouvernance des multinationales
s’est rendu compte de la diffi-         nés sur les marchés mondiaux         est davantage actionnariale que
culté à mobiliser ces entreprises       dans des chaines intégrées, ne       partenariale : nouer des partenariats
dans un projet de territoire.           rencontrait aucun écho car ils       dans le territoire devient compliqué.
                                        n’y voyaient pas d’intérêt. A        Les avantages concurrentiels poussent
Julien Viaud, chargé de mission au      l’époque, les démarches RSE          parfois à la délocalisation des unités
PNR des Pyrénées Arriégeoises.          étaient encore peu répandues ;       industrielles : dans ce cas, l’impact sur
                                        peut-être qu’à travers cet outil     l’activité agricole est considérable.
Les grands groupes agroalimentaires     on aurait pu les mobiliser.
et multinationaux ont plutôt des po-
litiques court-termistes alors que le
territoire, pour répondre aux enjeux                                         Le groupe Unilever décida en
tels que la protection de l’eau, doit      Comment mobiliser des             2010, de délocaliser le site de
nécessairement s’inscrire dans une         acteurs économiques               production de Gémenos (13),
vision de long terme. Le Pays des          positionnés sur des marchés       jugé non rentable, en Pologne,
                                           internationaux ?
Herbiers (85) s’est également heur-
té à cette difficulté.
                                                                             Olivier Leberquier, engagé dans le
Pour enrayer la dégradation de l’eau                                         bras de fer qui a suivi avec FRALIB.
du bassin versant de la Bultière, la
collectivité s’est engagée à travers
un programme LEADER intitulé
Filière agroalimentaire et qualité de
l’eau. Il ambitionnait d’associer les
opérateurs économiques du terri-
toire, constatant que chercher à agir
sur les pratiques des agriculteurs ne
suffisait pas.

             Les caractéristiques du système agroalimentaire limitent l’action...               Contexte            9
DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE TERRITORIAL : COMMENT LES COLLECTIVITÉS LOCALES PEUVENT-ELLES FAVORISER DES FILIÈRES AGRICOLES DURABLES ?
Face à ces constats, les collectivités    Il est impératif d’associer ceux qui,
                            territoriales membres du groupe de        a priori, ne veulent pas changer.
                            de travail ont tout d’abord montré        L’étude menée sur l’impact du sys-
                            une certaine résignation dans leur        tème agroalimentaire de la région
                            capacité à mobiliser les entreprises      Nord-Pas-de-Calais et ses enjeux
                            agroalimentaires de leurs territoires     sur l’eau a montré que vouloir agir
                            dans un processus de changement.          sur l’avenir du territoire et la pro-
                            Les politiques locales de déve-           tection de l’eau nécessite d’influen-
                            loppement économique semblent             cer les pratiques de l’ensemble des
                            peu adaptées face à ces enjeux.           acteurs du système agroalimentaire
                            Néanmoins, exclure ces entreprises        car ils représentent des volumes im-
                            agroalimentaires correspondrait à         portants qui peuvent avoir un effet
                            nier leur importance, pourtant dé-        levier déterminant sur le change-
                            terminante. Nier ce contexte re-          ment agricole.
                            viendrait à rester dans les marges,
                            et passé à côté d’une véritable tran-
                            sition agricole et alimentaire de son
                            territoire.                                  Comment influencer les
                                                                         pratiques des opérateurs
                                                                         économiques pour faciliter
                                                                         la conversion des
                               Collectivités territoriales               agriculteurs à la bio ?
                               et entreprises : parta-
                               geons-nous la même défini-
                               tion du territoire ?

                            Ces questionnements nous ont permis, malgré les difficultés de l’exercice,
                            d’identifier quels pourraient être le rôle et les marges de manœuvre des col-
                            lectivités pour agir sur le changement agroalimentaire. En cherchant à éviter
                            les raccourcis manichéens, les expériences recensées à travers ce groupe de
                            travail ont permis de caractériser trois recommandations à destination des
                            collectivités territoriales :

                               RECOMMANDATION 1
                               Sortir du cadre, changer de posture, un préalable

                               RECOMMANDATION 2
                               Encourager l’entreprenariat individuel ou collectif, pour faire émerger
                               des alternatives au système agroalimentaire

                               RECOMMANDATION 3
                               Influencer les pratiques des entreprises agroalimentaires du territoire :
                               des marges de manœuvre à explorer

10   Contexte   Les caractéristiques du système agroalimentaire limitent l’action...
RECOMMANDATION 1
Sortir du cadre, changer de posture,
un préalable

DES COMPÉTENCES EN DÉVELOPPEMENT
ÉCONOMIQUE, MAIS UNE DIFFICULTÉ
DES COLLECTIVITÉS À SE POSITIONNER
SUR L’ÉCONOMIE AGRICOLE, À PENSER
LE LIEN AUX RESSOURCES NATURELLES

                                        soutiennent tout particulièrement        rurales de plus en plus grandes en
                                        l’immobilier d’entreprise (zones         termes de taille2. Les approches du
                                        d’activités) ou le mobilier d’intérêt    développement économique sont
                                        communautaire, peuvent assurer           elles aussi en recomposition. On
                                        l’animation dans le domaine écono-       constate une part croissante de col-
                                        mique... Au-delà, d’autres échelons      lectivités qui abordent ce dévelop-
                                        sont aussi partie prenante histo-        pement en référence à des projets
                                        rique de ces logiques de développe-      territoriaux formalisés, là où 50%
Le développement économique             ment – Pays, PNR - avec une entrée       des communautés rurales étaient
s’organise traditionnellement au-       davantage tournée vers le déve-          auparavant dans le « simple exercice
tour des politiques sectorielles        loppement local et la promotion          de compétences ».
des grandes branches d’activités,       des projets locaux soutenus par les
relayées au niveau territorial par      contractualisations territoriales ou
des compétences en développe-           des programmes Leader.
                                                                                 1
                                                                                   Le Conseil régional est en charge de la
                                                                                 définition d’une stratégie régionale de
ment économiques des Conseils                                                    développement économique, d’innova-
régionaux, des EPCI, voire des com-     La profonde réforme territoriale en-     tion et d’internationalisation (SRDEII)
munes. Le niveau territorial est donc   gagée au cours de la dernière décen-     en concertation avec les intercommu-
investi sur ces sujets du fait de ses   nie conduit petit à petit à redessiner   nalités.
compétences, et outillé pour inter-     le paysage des territoires : forte       2
                                                                                   Seuil minimal de 20 000 habitants et
venir dans le champ du développe-       concentration / agrandissement des       fort accroissement des communautés
ment.                                   communautés, renforcement des            de plus de 50 communes.
                                        échelons régionaux, la limitation des
A titre d’exemple, les collectivi-      prérogatives des communes… Elle
tés régionales sont engagées tout       s’accompagne aussi d’une évolution
particulièrement sur la stratégie et    marquée des compétences, condui-
planification économique (SRDEII)1      sant globalement à renforcer les
apportant aussi le plus souvent de      moyens et capacités d’intervention
soutiens financiers au dévelop-         des communautés d’agglomération,
pement (appels à projets et mani-       des métropoles et plus largement
festations). Les intercommunalités      de l’ensemble des communautés

                    Sortir du cadre, changer de posture, un préalable                Recommandation 1                 11
Les logiques de soutien à l’écono-
mie évoluent petit à petit de modèles
très « classiques » (accueil et finance-
ment de zones d’activités) – vers des
approches plus complexes (mise en
réseau, chaîne de valeur, démarches
collaboratives, clusterisation et re-
groupement d’entreprises…).

Néanmoins, malgré la diversité des
collectivités engagés dans le champ
du développement et l’importance
des réformes en cours, les inter-
ventions des acteurs territoriaux
restent modestes et circonscrites             Typologie des actions économiques mises en oeuvre par les EPCI
dans le domaine agricole, avec une            Source : ADCF et institution supérieur des métiers, 2010
difficulté à se positionner sur l’agri-
culture et davantage encore sur les
filières agroalimentaires. D’après            De façon symétrique, la gestion de          nomie de la transition », n’est pas vrai-
une enquête de l’ADCF de 2010,                l’eau par les collectivités s’organise      ment présente dans le débat public
seules 27% des communautés ur-                elle aussi de façon assez sectorielle       et dans les interventions des acteurs
baines et 17 % des communautés                au cours des dernières décennies,           locaux, alors même que les collectivi-
de communes conduisent une ac-                sans faire le lien avec les politiques      tés, de plus en plus grandes et dotées
tion économique dans le champ                 d’aménagement du territoire ou de           sur le plan des compétences écono-
agricole. En dehors des politiques            développement économique. Les               miques, se retrouvent aussi mission-
de développement local abordant               enjeux de qualité de la ressource           nées sur la protection de la ressource
le sujets de l’agriculture de proxi-          sont abordés comme des problé-              (cf. loi Gemapi) et impliquées sur les
mité (circuits courts, vente directe,         matiques de mises aux normes des            questions alimentaires3.
transformation à la ferme…) les col-          techniques et activités agricoles
lectivités sont peu présentes sur ces         (ajustement des pratiques, des bâti-
sujets. A partir des années 2000              ments, de la gestion des effluents) et      3
                                                                                           cf. Lois d’Avenir et projet de loi
elles élargissent ces interventions           non comme un enjeu de développe-            alimentation visant à promouvoir les

en faisant le lien aux préoccupations         ment économique alternatif sur les          projets alimentaires territoriaux PAT

de la restauration collective, mais           territoires hyperspécialisés et orien-
sans vraiment changer d’échelle.              tés vers la production de commodités
Au final, les collectivités mobilisent        agricoles industrielles. Là aussi, l’idée
peu leurs compétences écono-                  d’un développement axé sur « l’éco-
miques dans le domaine agricole
pour orienter l’évolution de l’appa-
reil agroalimentaire de leurs terri-
toires. La plupart d’entre elles su-
bissent les évolutions du secteur
soumis aux politiques globales, sans
chercher à infléchir les tendances à
l’œuvre par des projets de dévelop-
pement économique spécifiques,
compatibles avec les enjeux de du-
rabilité et de préservation des res-
sources.

12       Recommandation 1                  Sortir du cadre, changer de posture, un préalable
TÉMOIGNAGES
                                                 D’ACTEURS
POURQUOI
ET COMMENT
DÉPASSER                                      Changement de paradigme au sein d’une
CE CADRE ?                                    collectivité territoriale : le cas de l’AESN
                                              dans la lutte contre les pollutions d’ori-
                                              gine agricole
REPENSER SA FAÇON DE
TRAVAILLER PAR UNE
APPROCHE INTÉGRÉE ET
UN DÉCLOISONNEMENT                                                         Romain DEGOUL,
DES OUTILS D’INTER-                                                        chargé de mission au sein de
VENTION PUBLIQUE                                                           l’Agence de l’Eau Seine Normandie

La majorité des collectivités en-
quêtées constatent que leur prin-             L’Agence de l’Eau Seine Normandie a constaté que la façon dont elle agis-
cipale marge de manœuvre pour                 sait pour lutter contre les pollutions diffuses manquait d’efficacité, car elle
appréhender ce sujet consiste à               portait sur les pratiques agricoles, à la parcelle. Or, l’Agence a considéré
faire évoluer leur façon de travailler.       qu’en prenant de la hauteur, en interrogeant les pratiques de l’agriculteur
On pointe notamment la nécessité              dans son environnement socio-professionnel, son action pourrait gagner
de décloisonner les services. Bien            en efficacité. Une étude sur les cultures à bas niveau d’intrants (BNI) a
souvent, la question de la transi-            été réalisée et a révélé la nécessité d’un changement culturel au sein de
                                              l’Agence, notamment en décloisonnant les approches et en agissant à
tion agricole et alimentaire d’un
                                              l’échelle des filières.
territoire, c’est l’affaire des services
en charge de l’agriculture ou de la
                                              Pour Romain DEGOUL, « il est nécessaire de mettre en synergie la politique de
protection de l’eau. Pourtant notre           l’eau avec le développement des filières.
travail montre qu’il faut repenser ses
méthodes de travail : travailler en           On s’est rendu compte que, indirectement, l’énergie, le bâtiment sont par exemple
interservices avec les services déve-         des domaines d’activités intéressants pour la qualité de l’eau. Ces filières peuvent
loppement économique, urbanisme,              encourager le développement de cultures à BNI telles que le chanvre par exemple.
aménagement, protection de l’eau…
; avoir une approche intégrée des             Cette évolution dans notre approche de l’enjeu de qualité de l’eau va nous pousser à :
questions économiques ; coopérer
                                              • Expliciter, faire connaître les enjeux de la qualité de l’eau auprès d’autres élus
avec d’autres territoires voisins…
                                              afin de créer des alliances, notamment avec les élus et services des intercommu-
                                              nalités en charge des questions économiques.
                                              • Formaliser de nouveaux partenariats avec des acteurs avec qui nous n’avons
                                              pas l’habitude de travailler : le ministère du logement, l’ADEME…
                                              • Passer d’une logique de financement direct des agriculteurs à un financement
                                              des filières et de son réseau d’acteurs : aide à l’investissement, ingénierie, anima-
                                              tion et mise en réseau. Des filières bio, lentilles, chanvre sont autant d’opportuni-
                                              tés pour protéger la ressource en eau. »

                                                 RETROUVEZ LA VIDÉO ICI

                                               bit.ly/FNAB-AESN

                      Sortir du cadre, changer de posture, un préalable                    Recommandation 1                     13
FAIRE ÉMERGER UNE CULTURE COMMUNE ENTRE
ÉLUS ET ENTREPRISES PAR UN DIALOGUE
ÉCONOMIQUE TERRITORIAL

Les nombreux témoignages convergent         en 2022 et 90% sur les champs cap-
vers la nécessité de multiplier les es-     tants. Pour atteindre ces objectifs
paces de paroles dans les territoires.      et animer la mise en œuvre du plan
Pourtant, si les entreprises ont bien       d’actions, une gouvernance parta-
souvent des liens étroits avec la col-      gée a été mise en place à travers le
lectivité au début de son implanta-         COPIL Bio. Cette instance, qui se
tion (zone immobilière, aides…), on         réunit deux fois par an, est présidée
observe un délitement du dialogue           par un élu du territoire. Tous les ac-
au fil du temps. « Pourtant ce n’est        teurs du territoire sont invités à par-
pas parce que nous existons depuis          ticiper à ces COPIL. Les coopératives
10 ans que nous n’avons pas de              du territoire y participent systémati-
projet pour le territoire », constate       quement.
Julien Gauthey, directeur adjoint de
la fromagerie de la Lémance. Mais           Pour Dominique Olivier, directeur de
pour cela, il est nécessaire d’identi-      la coopérative « fermes de Figeac » et
fier et d’investir ces espaces de dia-      président du Pays de Figeac, « l’en-
logue.                                      treprise doit s’occuper du territoire,
                                            mais les élus ont du mal à lâcher
                                            prise car ils se pensent responsables
Les collectivités territoriales de-         du Territoire pour lequel ils sont
vraient participer aux Assem-               élus. Je pense que les élus se voient
blées Générales des coopératives.           en aménageurs alors qu’ils devraient
Il faut que les pouvoirs publics se         être des développeurs.»
réapproprient ces lieux de dia-
logue. Nous invitons systémati-
quement les élus de notre terri-
toire aux nôtres.                                        OUTILS ET
directeur d’une coopérative céréa-                       RESSOURCES
lière Drômoise.

                                                      LE SCENARIO Afterres 2050,
Les Conseils de développement
des Pays sont également des                           un outil de prospective territoriale
lieux où élus et acteurs écono-
miques peuvent débattre.                              Ouvrir un débat pluridisciplinaire sur des bases chiffrées, pour relever de
                                                      nombreux défis inter-dépendants : tel est l’objectif d’Afterres 2050. Com-
Mickaël RESTIER, de l’Association                     ment nourrir une population plus nombreuse en 2050 ? Comment nour-
                                                      rir aussi nos cheptels, fournir du carbone renouvelable pour l’énergie, la
Nationale des Pays (ANPP).
                                                      chimie, des biomatériaux alors que l’équivalent d’un département français
                                                      est artificialisé tous les ans ? Est-il possible d’y parvenir en préservant la
                                                      santé des populations, en restaurant la biodiversité, en luttant contre le
En Hauts-de-France, le Parc naturel                   changement climatique ? Le scénario Afterres a souhaité répondre à ces
régional de l’Avesnois porte l’ambi-                  questions et offrir une image de l’agriculture française en 2050, à même de
tieux objectif de développer l’agricul-               répondre aux grands enjeux de notre temps.
ture bio sur son territoire : 30% de
la surface agricole utile certifiée bio               Source : Scenario Afterres 2050

14       Recommandation 1                 Sortir du cadre, changer de posture, un préalable
TÉMOIGNAGES
                                               D’ACTEURS
MOBILISER LES OUTILS
DE PROSPECTIVE ÉCO-
NOMIQUE, FACTEUR                            Les Fermes de Figeac, une coopérative de
D’UN DÉVELOPPEMENT                          territoire qui renouvelle la façon de faire
TERRITORIAL INTÉGRÉ
                                            du développement territorial
Pour Dominique Olivier, directeur
de la coopérative « fermes de Fi-
geac », l’appui de la recherche a été
déterminant dans la conduite du
                                                                           Dominique OLIVIER,
projet coopératif. « Depuis 1994,
                                                                           directeur des Fermes de Figeac
nous sommes accompagnés par
Sols & Civilisation, ainsi que l’IN-
RA. Le monde de la recherche a été
un outil puissant pour nous aider à
prendre du recul sur notre activité          1. Votre ambition est d’être une coopérative de territoire : ça
et surtout dessiner le futur de notre        veut dire quoi ?
coopérative ». Aujourd’hui, la coo-
pérative compte plus de 160 sala-            Nous sommes en passe de remporter le championnat de France de la plus petite
                                             coopérative : 600 producteurs, 160 salariés dans un rayon de 20km… Depuis
riés dans un rayon de 20km. Le fait
                                             1994, nous travaillons avec l’association Sols & Civilisation pour nous aider à
d’ancrer cette coopérative dans son
                                             prendre du recul sur notre activité : la prospective est déterminante. En 2003, nous
territoire permet de diversifier les         décidons que le territoire doit devenir notre allié. Puis, en 2008, en se posant la
activités et d’intensifier les emplois.      question « quel avenir pour une petite coopérative comme la notre ? », notre réponse
La prospective a permis à la coopé-          a été simple : notre avenir, c’est le territoire. Si on ne fait rien, en 2020, on n’existe
rative de prendre de la hauteur. En          plus. C’est à partir de ce constat que nous avons changé de cap : nous ne produisons
2008, c’est par exemple autour de            pas que du lait. Nous produisons un ensemble de biens pour le territoire : de l’eau de
la question : « quel avenir pour une         qualité, de l’air, du lien social… Par exemple, on crée une coopérative de toit solaire,
petite coopérative comme la nôtre            une ferme éolienne citoyenne… Plutôt que de grossir et fusionner entre coopéra-
à l’horizon 2020 ? » que nous avons          tives, l’orientation que nous avons donné à notre entreprise nous a permis d’être
construit notre projet. La réponse à         intensif en emplois.
cette question a été claire : « Notre
avenir, c’est le territoire ! Si on ne       2. Vous avez été président du Pays de Figeac, président d’un Pôle
faisait rien, en 2020, petite coopé-         Territorial de Coopération Economique : quel regard portez-vous
rative laitière, nous disparaitrions ».      sur l’action des collectivités en matière de développement éco-
                                             nomique ? Comment cette volonté de s’ancrer dans le territoire a
D’autres outils de prospective               également changé vos pratiques ?
comme le scénario AFTERRE de So-
lagro ou l’étude du PIREN sur l’im-          Nous nous sommes vite rendu compte qu’on arrive à s’impliquer dans un territoire
pact du système agroalimentaire sur          que lorsqu’on y appartient, qu’on y vit. Mais c’est compliqué, car chacun est dans ses
la ressource en eau, sont également          verticalités, que je considère mortifères. Tout est organisé en silo. Or, l’innovation
                                             est au carrefour du vertical (la filière agricole) et du transversal (le territoire). Il faut
des outils de prospective intéres-
                                             aussi considérer que seul, personne n’est légitime. C’est l’alliance du territoire, d’en-
sants pour les territoires.
                                             treprises et de la société civile, qui donne cette légitimité.

                                             Les élus d’un territoire ont souvent une approche trop descendante. Ils ont souvent
                                             du mal à lâcher prise car ils se pensent responsables du territoire pour lequel ils sont
                                             élus. A l’inverse, les entreprises doivent également s’occuper du territoire, se préoc-
                                             cuper de son avenir. C’est intimement lié. Or j’observe que chacun pense que l’autre
                                             n’est pas légitime. C’est pourtant le couple élu – entreprise qui rend une légitimité.

                      Sortir du cadre, changer de posture, un préalable                       Recommandation 1                       15
Plus qu’un couple d’ailleurs, je parlerai d’une triade : collectivités locales, société civile, Club
d’entreprises.                                                                                                     Les collectivités
                                                                                                                   territoriales
Réunir les entreprises à travers des clubs me semble pertinent : cela permet de passer du be-
soin individuel de l’entreprise, à un besoin collectif. En club d’entreprises, on ne parle pas du
besoin de l’entreprise, mais du besoin du territoire.
                                                                                                                    La société civile
On a créé en 2015 un Pôle Territorial de Coopération Economique, Figeac’teur, qui réunit
70 acteurs locaux : cela dépasse le champ agricole car on identifie des besoins communs
(crèche, tiers-lieu, mobilité…). Par exemple, on a un enjeu fort autour du renouvellement des
générations en agriculture : il faut faire venir des jeunes de l’extérieur. Les entreprises du ter-
                                                                                                                    Les clubs
ritoire (Airbus par exemple) rencontrent les mêmes problématiques. Plutôt que de raisonner
l’installation agricole en silo, la réflexion à l’échelle du territoire permet d’avoir une réponse
                                                                                                                    d’entreprises
coordonnée : nous devons travailler sur l’attractivité du territoire.                                               locaux

www.sicaseli.fr
                                                               bit.ly/FNAB-Figeac                  RETROUVEZ LA VIDÉO ICI

                                                           RECOMMANDATION 2
                                                     Encourager l’entreprenariat individuel
                                                           ou collectif pour faire émerger
                                                              des alternatives au système
                                                                           agroalimentaire
                                                    ACCOMPAGNER ET METTRE EN RÉSEAU
                                                    LES INITIATIVES ENTREPRENEURIALES
                                                    ALTERNATIVES

                                                    Le métier d’animateur de développeur               Cette mise en réseau des acteurs
                                                    de territoire, est central pour tirer              économiques semble être le moteur
                                                    parti des forces vives d’un territoire.            essentiel du changement. Lorsqu’elle
                                                    Toutes les entreprises rencontrées                 est défaillante, « nous cohabitons, en-
                                                    convergent sur ce point :                          treprises, élus, mais nous ne portons
   Comment attirer des entre-                                                                          pas de projets communs », ajoute un
   prises qui développeront une                                                                        directeur d’entreprise.
   activité qui répond à mon                        Même dans des territoires qui
   projet de territoire ? Des                       semblent verrouillés il y a toujours
   activités qui préserveront les
                                                    des acteurs qui portent des initia-
   ressources du territoire ?
                                                    tives de changement. Le rôle de la
                                                    collectivité est alors de les identi-
                                                    fier et de les mettre en réseau.

16         Recommandation 2                     Encourager l’entreprenariat individuel ou collectif,...
ATTIRER DES ENTREPRENEURS
                                                                                        Quels sont les outils à ma
QUI CONTRIBUERONT À LA                                                                  disposition ?
MISE EN ŒUVRE
DU PROJET DE TERRITOIRE

Lorsqu’une collectivité locale porte         toriale transversale, décloisonnement
un projet de territoire bien défini et       des acteurs, capacité à se projeter,
partagé, elle peut chercher à favori-        prospective territoriale… Par contre, il
ser l’installation d’opérateurs écono-       nous manque des outils d’intervention
miques sur son territoire dont l’activité    incitatifs, concrets, qu’on peut aller
est en adéquation avec le projet poli-       chercher au sein des EPCI ».
tique local. Les recherches du groupe
de travail ont bien souvent montré
une complémentarité entre les EPCI              De quelles compétences
en charge des politiques de dévelop-            m’entourer pour y parvenir ?
pement économique et les Territoires
de projets (PNR, Pays…). Pour Julien
Viaud, chargé de mission au Parc na-
turel régional des Pyrénées Ariégeois,
« les territoires de projets ont les com-
pétences pour construire un projet de
territoire que n’ont pas forcément les
EPCI : ingénierie de projet, vision terri-

  OUTILS ET
  RESSOURCES

Un référentiel de compétences des
développeurs économiques territoriaux
La loi NOTRe du 7 août 2015 renforce les responsabilités des Régions et
des intercommunalités (communautés et métropoles) en matière de dé-
veloppement économique. Cette nouvelle donne appelle la mobilisation
des compétences professionnelles des développeurs économiques dont le
nombre est évalué à 8000 personnes en France. Dans ce contexte, l’As-
semblée des Communautés de France (AdCF) et le réseau national des
agences de développement (CNER), en lien avec la Caisse des Dépôts et
Régions de France, ont pris l’initiative dès 2015 de proposer une réflexion
entre les principaux représentants d’employeurs de développeurs écono-
miques. L’enjeu : consacrer la professionnalisation de l’action économique
locale en organisant une véritable communauté professionnelle.

                     Encourager l’entreprenariat individuel ou collectif,...             Recommandation 2            17
TÉMOIGNAGES
                                      D’ACTEURS

                                   Regards croisés sur le rôle de la collectivité :
                                   Hugues VERNIER et deux entrepreneurs du
                                   territoire

                                                                  Hugues VERNIER,
                                                                  chargé de mission à la Communauté
                                                                  de Communes du Val de Drôme

                                   Point de vue de la collectivité :
                                   « La collectivité locale doit être en capacité d’identifier puis d’accompagner les signaux
                                   faibles. J’entends par là l’accompagnement d’initiatives alternatives qui peuvent pa-
                                   raître anecdotiques ou marginales dans un premier temps mais qui pourront faire
                                   masse dans le futur. Lorsqu’on a accompagné SANOFLORE à ses débuts, c’était une
                                   initiative alternative. 25 ans après, l’entreprise employait près de 150 salariés pour
                                   un chiffre d’affaires de 15 millions d’euros : à partir de là, l’impact des pratiques de
                                   l’entreprise, notamment en matière d’approvisionnement en matières premières bio
                                   régionales a eu un impact significatif sur l’activité agricole. On peut alors parler d’effet
                                   levier. D’un point de vue organisationnel, la CCVD a fait le choix d’inclure le dévelop-
                                   pement agricole et agroalimentaire au service développement économique. Cela nous
                                   permet de faire du lien entre AMONT et AVAL et de rencontrer individuellement les
                                   entreprises, de connaître leurs besoins et d’être en capacité de les accompagner, par
                                   exemple pour la réponse à des appels à projets, pour mobiliser du financement ou
                                   les mettre en réseau avec les agriculteurs du territoire. Lorsqu’on porte une politique
                                   volontariste comme celle-ci, les liens entreprises / territoire sont plus faciles et plus
                                   réactifs face aux préoccupations des entrepreneurs. La rencontre des entrepreneurs, ,
                                   la connaissance des fonctionnements administratifs, financiers mais aussi des projets
                                   de développement est très bien perçue par le monde économique. Des rendez-vous
                                   individuels réguliers avec les entreprises du territoire sont nécessaires, tout comme
                                   l’existence d’une interface facile, lisible et accessible aux entreprises locales ».

                                   Point de vue d’entrepreneur :
                                   « la collectivité locale doit écouter, être en veille et accompagner les signaux faibles
                                   portés par des agriculteurs et entrepreneurs locaux. En tant qu’entrepreneur, nous
                                   sommes face à une multitude d’interlocuteurs : la collectivité connaît les acteurs, elle
                                   est en capacité de nous mettre en relation les uns avec les autres. Elle doit se position-
                                   ner en chef de file car la mise en réseau est déterminante. Cela nécessite des moyens
                                   d’animation dédiés »

                                   Point de vue d’entrepreneur :
                                   « Nous avons pour projet de nous installer dans la Biovallée car nous intégrerons un
                                   écosystème favorable : une zone d’activité dédiée et surtout un dense réseau d’agri-
                                   culteurs bio avec qui nous espérons pouvoir développer une filière de production
                                   d’amandes bio, sésame bio ou huiles essentielles. Aujourd’hui toutes ces matières pre-
                                   mières sont importées, principalement d’Espagne ou du Mali. La collectivité locale a la
                                   connaissance des agriculteurs, des possibilités offertes par le territoire. Les entreprises
                                   n’ont pas le temps de faire ce travail : la mise en réseau est ici essentielle ».

18   Recommandation 2   Encourager l’entreprenariat individuel ou collectif,...
CONCEVOIR
                                                                                              DES ZONES D’ACTIVITÉ
                                                                                              IMMOBILIÈRES DÉDIÉES
Des zones d’activités immobilières dédiées
                                                                                              À LA BIO :
à la bio : le cas de la Communauté de                                                         CONDITIONNALITÉ
Communes du Val de Drôme                                                                      D’ACCÈS

Un Pôle bio dans la Drôme : malgré une rude concurrence pour l’accès à ce type de
                                                                                              Un consensus ressort des travaux
zones d’activités, la CCVD impose aux candidats à l’installation de porter un projet          du groupe de travail : la condition-
d’entreprise compatible avec le projet du territoire. « La volonté politique de la collec-    nalité des aides aux entreprises est
tivité est dans ce cas déterminante : nous avons par exemple récemment refusé l’im-           un levier sous-exploité. Bien sou-
plantation d’un entrepreneur qui souhaitait faire de l’import–export de produits bio,         vent le critère de création d’emploi
sans aucune interaction avec l’agriculture du territoire. Dans un contexte de tension         est la seule condition d’accès. La
pour l’accès au foncier, il faut savoir assumer ce choix politiquement : l’accès au Pôle      collectivité peut pourtant utiliser
Bio est conditionné par le respect du cahier des charges de la zone immobilière.              cet outil comme un véritable moteur
La marque Biovallée, véritable projet de territoire, nous y aide ». La création de ce Pôle    d’attraction. L’émergence de zones
Bio reflète bien l’envie de regrouper les différentes structures locales travaillant sur la   immobilières dédiées à l’implanta-
BIO et surtout l’envie de faire du lien entre production et transformation, commer-
                                                                                              tion d’activités bio, sous forme de
cialisation et recherche. Ce bâtiment s’intègre aussi au milieu d’une zone d’activités
                                                                                              Pôles bio, est symbolique de cette
dédiée aux entreprises en lien avec l’agriculture biologique. Il est financé par la CCVD
et le Fonds National d’Aménagement et du Développement du Territoire (FNADT). «
                                                                                              capacité à agir localement.
Les espaces seront à terme mis à la location pour les entreprises afin de permettre à la
CCVD de faire une opération blanche ».

« Nous avons décidé de nous installer sur ce Pôle Bio car cette zone d’activité dédiée
à la filière bio fait converger des projets d’entrepreneurs autour d’un même objectif :
favoriser les collaborations entre entreprises locales et agriculteurs du territoire pour
amplifier encore davantage le développement de la production bio sur le territoire »,
complète un entrepreneur local.

                       Encourager l’entreprenariat individuel ou collectif,...                    Recommandation 2            19
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