DE LA CROSSE À LA CROIX - JEAN-CLAUDE REBETEZ ET DAMIEN BREGNARD (DIR.) - L'ancien Évêché de Bâle devient suisse (Congrès de Vienne - 1815) ...
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JEAN-CLAUDE REBETEZ ET DAMIEN BREGNARD (DIR.) H I S T O I R E DE LA CROSSE À LA CROIX L’ancien Évêché de Bâle devient suisse (Congrès de Vienne – 1815) Fondation des Archives de l’ancien Évêché de Bâle, Porrentruy
Ce livre a été publié avec le soutien de : Délégation jurassienne à la Loterie Romande Gemeinde Stadt Laufen Aesch (BL) (BL)
Jean-Claude Rebetez, Damien Bregnard (dir.) De la crosse à la croix L’ancien Évêché de Bâle devient suisse (Congrès de Vienne - 1815) Éditions Alphil
© Éditions Alphil, 2018 Case postale 5 2002 Neuchâtel 2 Suisse www.alphil.ch Alphil Diffusion commande@alphil.ch Fondation des Archives de l’ancien Évêché de Bâle, Porrentruy ISBN 978-2-88930-170-6 Les Éditions Alphil bénéficient d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la culture pour les années 2016-2020. Illustration de couverture : Tableau des 36 communes des villes et vallées de Delémont et Laufon, formant le bailliage de Delémont, réunies à la Suisse et au Canton de Berne en 1815 (Musée jurassien d’art et d’histoire). Responsable d’édition : Sandra Lena
Sigles et abréviations Archives et institutions AAEB : Archives de l’ancien Évêché de Bâle (Porrentruy) AEB : Archives de l’État de Berne (Staatsarchiv Bern) ArCJ : Archives cantonales jurassiennes BCU : Bibliothèque cantonale et universitaire (Lausanne) BiASO : Bischöfliches Archiv des Bistums Basel, Solothurn (Archives du nouveau diocèse de Bâle, Soleure) GLA : Generallandesarchiv Karlsruhe HHStA : Haus-, Hof- und Staatsarchiv Wien Mémoires d’Ici : Mémoires d’Ici. Centre de recherche et de documen tation du Jura bernois (St-Imier) StABE : Staatsarchiv Bern (Archives de l’État de Berne) StABL : Staatsarchiv Basel-Landschaft StABS : Staatsarchiv Basel-Stadt StAF : Staatsarchiv Freiburg im Breisgau 7
De la crosse à la croix R Freiburg 1 : reproduction de StAF, U 100/1 (Depositum von Mentzingen) n° 899 (Correspondance de Conrad de Billieux, de Vienne, à Conrad d’Andlau)* R Freiburg 2 : reproduction de StAF, U 100/1 (Depositum von Mentzingen) n° 941 (Verwaltung des Generalgouvernements der Franche-Comté 1808-1817)* R Freiburg 3 : reproduction de StAF, U 100/1 (Depositum von Mentzingen) n° 953 (Verwaltung 1813-1814)* R Wien 1 : reproduction de HHStA, StK Kleinere Betreffe 2 (documents concernant l’administration provisoire de la principauté de Porrentruy conservés à Vienne)* R Wien 2 : reproduction de HHStA, StK Kleinere Betreffe 3-1 (documents concernant l’administration provisoire de la principauté de Porrentruy conservés à Vienne)* * Reproductions numériques consultables aux AAEB Ouvrages, collections et revues ASJE : Actes de la Société jurassienne d’Émulation (Porrentruy) BEZG : Berner Zeitschrift für Geschichte BEZGH : Berner Zeitschrift für Geschichte und Heimatkunde DHS : Dictionnaire historique de la Suisse, Hauterive : G. Attinger, 2002-2014 (=HLS) EA Rep. : Kaiser Jakob (éd.), Amtliche Sammlung der neuern Eidgenössischen Abschiede (1803-1848) EA Rep. II/1 : Repertorium der Abschiede der eidgenössischen Tagsazungen aus den Jahren 1814 bis 1848, Teil II Band I (§§ 1-75), Berne : Wyss, 1874 HLS : Historiches Lexikon der Schweiz, Bâle : Schwabe, 2002-2014 (=DHS) Klüber : Klüber Johann Ludwig, Acten des Wiener Congresses in den Jahren 1814 und 1815, Erlangen [s.n.], 1815-1835 (9 vol.) RSH : Revue suisse d’histoire (=SZG) 8
L’administration provisoire de la principauté de Porrentruy en 1814-1815 : organisation, fonctionnement, résistances Damien Bregnard Durant la parenthèse entre l’Empire français et l’entrée dans la Confédération, de décembre 1813 à décembre 1815, l’ancien Évêché de Bâle, qu’on appelle alors aussi « principauté de Porrentruy », connaît deux régimes provisoires, de durée inégale : le gouvernement général (de janvier 1814 à août 1815), au nom des Alliés, et le commissariat fédéral (d’août à décembre 1815). Les faits saillants et les articulations chronologiques majeures du premier sont présentés dans l’introduction de ce volume1 ; nous l’étudions ici sous des angles thématiques (rupture ou permanence des élites, résistance au pouvoir, traitements des fonctionnaires). Le second, ignoré de l’historiographie, fait l’objet d’une étude plus factuelle. 1 Voir dans le présent livre Rebetez, p. 12-19 ; voir aussi : Beuchat Arthur, L’Évêché de Bâle sous le Gouvernement Général du baron d’Andlau. Janvier 1814-août 1815, Delémont : Boéchat, 1912 ; Bandelier André, Porrentruy sous-préfecture du Haut-Rhin. Un arrondissement communal sous le Consulat et l’Empire, 1800-1814, Neuchâtel : La Baconnière, 1980 (p. 375-393). 147
De la crosse à la croix Les débuts du gouvernement général, entre retour des « ci-devant » et continuité avec la France Du 15 janvier au 30 mai 1814, date du Traité de Paris, Conrad d’Andlau n’est pas seulement gouverneur général de la principauté de Porrentruy : il administre aussi la Franche-Comté et le département des Vosges. Il gère la principauté à distance depuis Vesoul. Les débuts de son administration sont mal connus ; les historiens ont surtout retenu le passage des troupes alliées et les réquisitions imposées à un pays exsangue. Le baron d’Andlau, d’une importante famille noble de l’Évêché2, s’entoure de conservateurs. Son secrétaire général est Joseph Wilhelm de Neveu, neveu de l’évêque de Bâle3. La comptabilité et les finances sont dirigées par le chevalier de Braun. Joseph Xavier Scheppelin4, lieutenant de Saint-Ursanne sous les princes-évêques, est son secrétaire de langue allemande. Dans les départements, Andlau place des commissaires. Pour le Doubs par exemple, il fait appel à Jean-Baptiste Jobin, conseiller aulique sous les princes-évêques, et qui a participé à la répression des soulèvements révolutionnaires avant de fuir le pays5. Dans la principauté, le commissaire nommé par Andlau est son beau-frère, Conrad de Billieux ; il dirige l’administration depuis Porrentruy. Son père, anobli en 1782, était conseiller intime et chancelier épiscopal ; lui-même a émigré à la Révolution. Le retour au pouvoir des « ci-devant » contraste pourtant avec la continuité du système français, dans un premier temps du 2 Voir dans le présent livre Hug, p. 123-145. 3 Liste du personnel du gouvernement général, sans date mais probablement de janvier ou février 1814, StAF, U 100/1 n° 953 (reproduction numérique : AAEB, R Freiburg 3.1 et 3.2). Sur de Neveu, voir dans le présent livre Jorio, p. 80, n. 8. 4 Jorio Marco, Der Untergang des Fürstbistums Basel (1792-1815). Der Kampf der beiden letzten Fürstbischöfe Joseph Sigismund von Roggenbach und Franz Xaver von Neveu gegen die Säkularisation, Fribourg: Paulusdruckerei, 1982, p. 274-275. Scheppelin avait émigré à Vienne après avoir failli être pendu par des officiers français à Porrentruy en 1793. 5 Jorio 1982 (voir n. 4), p. 251-252. 148
Damien Bregnard Conrad de Billieux (1760-1824), commissaire du gouvernement général de la principauté de Porrentruy en 1814-1815 (GLA). moins. Soucieux d’assurer l’ordre, Andlau ordonne aux autorités administratives et judiciaires de continuer leurs fonctions6. Cela ne va pas de soi alors que Napoléon n’a pas encore abdiqué : à Porrentruy, le tribunal refuse d’abord de siéger, ayant appris qu’un décret de l’empereur interdisait aux juges de fonctionner sous peine d’être fusillés !7 Andlau reprend les structures françaises : des sous-préfets par 6 Proclamation du 27 janv. 1814 (AAEB, PP 77 GF). 7 Guélat François-Joseph, Journal de François-Joseph Guélat. Mémoires d’un bourgeois de Porrentruy (IIe partie, 1813-1824), Delémont : Le Démocrate, 1923, p. 22 (24 janv. 1814). Aucune audience n’est tenue de janvier au 20 avril (AAEB, 35 U 9). 149
De la crosse à la croix intérim succèdent aux sous-préfets anciennement français à la tête des arrondissements de Porrentruy et de Delémont, eux aussi conservés. Les lois françaises sont maintenues. Andlau tente de construire un État – fortunes diverses Après le Traité de Paris, le gouvernement général est réduit à la principauté de Porrentruy. Soutenu par la présence de troupes autrichiennes à Porrentruy, Andlau peut entamer la réorganisation de l’État, jusque-là différée par les prétentions françaises ; l’essentiel des nominations se fait de fin juin à fin août8. Il s’installe à Arlesheim, son village natal. Braun l’y suit. Le gouverneur garde Billieux à son service, sorte de premier ministre chargé de relayer ses ordres dans les arrondissements. À leur tête, des administrateurs (un à Porrentruy, un à Delémont) remplacent les sous-préfets par intérim. L’Erguël, La Neuveville et la Montagne de Diesse ont leur propre administrateur, Samuel Imer, nommé par Andlau et épaulé par deux lieutenants. Mais son pouvoir n’est pas reconnu par les populations9. De même, l’autorité d’Andlau sur Bienne et les villages de sa mairie est inexistante. Au moment où le gouverneur aurait besoin de toutes les forces vives pour récupérer le sud, il doit se passer de son commissaire et de l’administrateur de Delémont Melchior Delfils, délégués à Vienne10. Dans le nord, le canton, échelon intermédiaire avec les communes – et institution typiquement française – est conservé, et sa réalité effective puisqu’il continue d’abriter une justice de paix ; il est aussi 8 Les registres des mandats de paiement délivrés par la recette générale en 1814 et 1815 permettent de connaître les fonctionnaires et leur salaire (AAEB, PP 31 et 32). 9 Sur la résistance du sud de la principauté, voir dans le présent livre Rebetez, p. 17-19. Les habitants cherchent à échapper aux réquisitions de guerre imposées aux vaincus et aux contributions exigées par le gouvernement. 10 L’administrateur de Porrentruy, François Xavier Migy, remplace alors Billieux dans certaines fonctions subalternes, mais pour les décisions importantes, il doit en référer à Andlau (AAEB, PP 2-1.1, 20 nov. et 16 déc. 1814). Sur la députation de Vienne, voir dans le présent livre Jorio, p. 82-84, et Rebetez, p. 116-117. 150
Damien Bregnard La principauté de Porrentruy après le 1er Traité de Paris (juin 1814 – août 1815) 151
De la crosse à la croix utilisé lors des plébiscites de 181411. Mais en prévôté, les communes Sous-les-Roches, pourtant catholiques, tentent de quitter le canton de Delémont et de rejoindre celui de Moutier, dans le but d’être considérées comme suisses et d’échapper ainsi aux réquisitions alliées. Lajoux et Les Genevez, communes aussi catholiques du canton de Saignelégier dans la courtine de Bellelay, cherchent également à passer à Moutier. Dans les deux cas, Andlau s’y oppose, mais c’est pourtant bien cette situation-là qu’entérinera Escher en octobre 1815 (voir p. 162 de cet article)12. La Cour criminelle du département du Haut-Rhin siégeait à Colmar, tandis que les deux arrondissements étaient dotés d’un tribunal de première instance, ou tribunal civil. Par ordonnance du 26 juin, Andlau reprend le même système, mais en élevant les tribunaux de Porrentruy et de Delémont au rang de seconde instance, en matière civile et criminelle, l’un par rapport à l’autre, « solution ingénieuse pour pallier à la rupture avec Colmar »13. Le gouverneur établit la recette générale à Delémont, et une recette par arrondissement. Des gardes forestiers peu désirés La réorganisation de la gestion des forêts, « une des seules ressources » mais « la plus belle propriété du Gouvernement »14, est un exemple des tâches auxquelles le nouveau gouvernement doit s’atteler – et des résistances 11 Voir dans le présent livre Jeanneret, Rebetez, p. 169 sqq. 12 L’« État nominatif des maires […] des cantons de Delémont et Moutier », du 26 août 1814 (AAEB, PP 2-3.2, ad n° 618) reflète la vision théorique du gouvernement général, qui veut garder les communes de la prévôté Sous-les-Roches dans le canton de Delémont. Sur les tentatives d’Andlau de soumettre les gens de toute la prévôté, y compris Sous-les- Roches, voir p. ex. Folletête Casimir, Les origines du Jura bernois. Recueil de pièces et documents relatifs à l’histoire de la réunion de l’ancien Évêché de Bâle, au canton de Berne, Porrentruy : Prêtre, 1888, p. 236-238 (5 oct. 1814) : la question des contributions est au centre des récriminations des Prévôtois envers l’administration d’Andlau ; p. 204-205 (3 sept. 1814) : demande de la courtine d’être rattachée à la prévôté de Moutier. 13 Froidevaux Philippe, « Le fonds Justice de l’époque française », Rapport annuel des Archives de l’ancien Évêché de Bâle 1992. Ordonnance du 26 juin 1814 : AAEB, PP 77 GF. 14 Observations de Fellrath, sous-inspecteur des forêts à Delémont (AAEB, PP 2-5.1, n° 209, 12 juil. 1814). Les informations de ce paragraphe proviennent toutes du dossier PP 2-5.1. 152
Damien Bregnard qu’il rencontre. Une reprise en mains devient pressante en raison des abus tolérés par les communes. Tant les maires que les autorités supérieures décrivent l’onéreuse multiplication des gardes forestiers à l’époque française ; de quarante-trois, on reviendra à une vingtaine, comme sous l’Ancien Régime. Parmi ceux qu’Andlau nomme le 30 septembre, sept doivent fonctionner dans le sud, preuve de l’espoir d’y imposer encore son autorité. Si les noms des gardes indiquent qu’ils ont été plutôt choisis parmi des gens du cru dans le nord, ce n’est pas le cas pour le sud, ce qui peut renforcer leur rejet. Les maires de Moutier, de Crémines et de Court refoulent d’ailleurs ces fonctionnaires. Le rapport du garde nommé à Court est édifiant. Un propriétaire qui aurait pu le loger « a déclaré que pour le moment il n’oserait me louer sa maison, me déclarant que la commune avait déclaré que le premier qui se permettrait de donner asile ou recèlerait un garde forestier, que sa maison serait démolie sur le champ ». À cette occasion, le maire de Moutier a affirmé au garde forestier du lieu que les gens « se croient sous la domination du Canton de Berne et non dessous celui de M. le baron d’Andlaw ». L’Erguël refuse également15. Andlau échoue pareillement dans l’établissement de garde-polices dans le sud16. Plusieurs témoignages font état d’une situation anarchique, aggravée par un blocage de la justice, en particulier en Erguël17. Les régimes passent, les hommes restent… ou presque L’analyse du profil du personnel administratif et judiciaire supérieur montre une forte continuité entre le régime français et le gouvernement général, voire de l’Ancien Régime à la Restauration18. Billieux en est l’exemple type. D’une famille au service de l’évêque, il sait pourtant s’adapter aux circonstances, assumant des charges militaires pour la République helvétique (1799) puis le nouveau 15 AAEB, PP 16-10, n° 8 : lettre d’Imer à Billieux, du 8 oct. 1814. 16 AAEB, PP 2-5.2. 17 Par exemple AAEB, PP 10-5, n° 603, 8 déc. 1815. 18 Le phénomène a déjà été constaté par Bandelier 1980 (voir n. 1), p. 369-372. 153
De la crosse à la croix Canton de Baden19. Revenu à Porrentruy en 1801, il devient membre du Conseil d’arrondissement et président de l’assemblée électorale d’arrondissement. Ces petites « taches françaises » ne compromettront en rien la suite de sa carrière, que ce soit au service des Alliés, de la Confédération (voir plus bas) ou du Canton de Berne (il sera même le premier membre jurassien du Petit Conseil, puis bailli de Porrentruy). La même permanence vaut pour les administrateurs d’arron dis sement . À Porrentruy, François Xavier Migy a pour père un conseiller 20 de l’évêque qui s’est montré un farouche anti-révolutionnaire au début des années 1790. Sous Napoléon, il devient toutefois avocat et résigne sa charge pour son fils, qui poursuivra sa carrière sous le régime bernois comme juge au tribunal du bailliage. À Delémont, Delfils, camarade d’études d’Andlau au collège de Porrentruy21, puis syndic des États du pays juste avant la Révolution, émigre avant de revenir comme avocat sous le Haut-Rhin. Délégué par Andlau au Congrès de Vienne, il sera ensuite juge à la Cour d’appel de Berne. Quant à Samuel Imer, bailli d’Erguël sous les princes-évêques, puis membre du Conseil de régence à Perles lors de la fuite du prince, il est un fidèle parmi les fidèles à l’ordre d’avant la Révolution. En somme, tous trois présentent de bons certificats d’Ancien Régime, les deux premiers ayant su en outre composer avec la France de Napoléon. Quant au receveur général, Conrad de Grandvillers, il est le fils d’un lieutenant- colonel du régiment des princes-évêques au service de France, et le beau-fils de Sigismond Moreau, ancien partisan de l’évêque rallié à la Révolution, membre du Corps législatif sous Napoléon et futur membre du Petit Conseil bernois. 1793 et ses jacobins sont oubliés, les partisans du prince ou les napoléoniens modérés (qui appartiennent souvent à des familles proches du régime épiscopal) ont trouvé leur place dans le système d’Andlau. Il en va pareillement pour les tribunaux 19 Bandelier 1980 (voir n. 1), p. 370, n. 106. Bandelier (p. 546) précise que la Sammlung Bernischer Biographien « évite soigneusement toute allusion aux fonctions exercées sous la Révolution et le Premier Empire ». 20 On trouvera nombre de biographies dans Jorio 1982 (voir n. 4), p. 231-288. 21 Folletête 1888 (voir n. 12), p. 228. 154
Damien Bregnard d’arrondissement ; à Porrentruy par exemple, le gouverneur renomme les juges en place sous le Haut-Rhin, et étoffe le tribunal à cause de sa nouvelle fonction d’appel ; ce sont toujours les mêmes juges qui siègent en 1816, mais sous la présidence du grand bailli de Jenner22. Dans le domaine forestier, François Joseph Stockmar (père de Xavier), garde général, est maintenu à son poste. Il occupait la même fonction sous les princes-évêques, puis sous le régime français23. Francophiles indésirables Andlau procède toutefois à quelques épurations, en particulier parmi les fonctionnaires ou les maires jugés trop francophiles. Le jacobin Joseph Antoine Rengguer, figure de proue de la Révolution dans l’Évêché, a pu se replacer comme président du tribunal d’arrondissement de Delémont. Mais en août 1814, il doit céder le poste à son ennemi intime Jean-Baptiste Jobin, le contre-révolutionnaire déjà cité24. Étienne Ignace Hentzinger, secrétaire principal de l’arrondissement de Porrentruy, est écarté en août par Andlau pour ses idées pro-françaises25. Après la Déclaration du Congrès de Vienne du 20 mars 1815, les rares fonctionnaires français quittent le pays. Ainsi, le procureur du tribunal de Porrentruy, Jean Nicolas Barthélémy, en poste depuis plus de vingt ans, doit démissionner en juin26. Louis Treffa, dont l’épouse vient de Cernay et qu’Andlau avait nommé en août 1814 vérificateur de l’Enregistrement de l’arrondissement de Porrentruy, retourne en France27. 22 AAEB, 35 U 3, 5 juin 1816. 23 AAEB, PP 2-5.1, n° 867, 30 sept. 1814. 24 Brevet de nomination du 7 août 1814 (AAEB, PP 2-2.1, n° 418). 25 Guélat 1923 (voir n. 7), p. 144, cité par Bandelier 1980 (voir n. 1), p. 372. Voir aussi AAEB, PP 31, p. 5-6. Hentzinger est remplacé par Jean Népomucène Elsaesser (AAEB, PP 2-2.1, n° 594), beau-fils de Melchior Delfils. Sous le régime bernois, Hentzinger retrouvera une place de premier secrétaire du bailliage de Porrentruy. 26 AAEB, PP 2-2.1, n° 1498, 9 juin 1815. Guélat 1923 (voir n. 7), p. 102. 27 Nomination : AAEB, PP 2-2.3, n° 575, 27 août 1814. Démission (6 juin) : idem, ad n° 1523. Guélat 1923 (voir n. 7), p. 102 (8 juin 1815), précise que Treffa est devenu receveur des Droits réunis à Cernay. 155
De la crosse à la croix Mais c’est à l’échelon des mairies que les quelques « ajustements » d’Andlau produisent le plus d’impression. En août-septembre 1814, les maires conservateurs Joseph Arnoux (Porrentruy) et Antoine de Grandvillers (Delémont) remplacent l’imprimeur Joseph Goetschy et l’industriel François Verdan, jugés trop pro-français ou peu fiables28. Andlau tempère toutefois la mesure en nommant les deux derniers juges au tribunal de leur arrondissement29. Le cas du Birseck révèle aussi une tendance au retour en arrière, mais modérée : dans plusieurs communes, Andlau réintroduit le maire épiscopal, en conservant les conseillers communaux ; à Aesch, le maire épiscopal remplace son homologue français, néanmoins maintenu comme adjoint30. Pour la mairie de Laufon, deux partis s’affrontent : celui des révolutionnaires de 1792 et celui des conservateurs qui, grâce à Andlau, retrouvent le pouvoir31. À La Neuveville, où l’autorité du gouverneur est fortement contestée, il se montre plus radical et dissout le Conseil provisoire le 7 septembre32. Des salaires exorbitants ? Déjà chez les contemporains, le traitement des dirigeants a fait l’objet de supputations plus ou moins réalistes : Andlau gagnerait 100 000 francs français par an, Billieux 1 200 francs par mois33 (dans cet article, les 28 Arnoux est le beau-fils du conseiller intime de l’évêque, Schumacher ; Grandvillers, le père du receveur général. Goetschy était le maire de Porrentruy au moment où le Conseil a envoyé son adresse à Louis XVIII (voir dans le présent livre Rebetez, p. 108) ; Andlau destituera tout le Conseil par arrêté (PP 2-3.1, n° 593) du 28 août ! Verdan, grand acheteur de biens nationaux, est un des maires de la vallée de Delémont qui ont demandé en mai que leurs communes soient rattachées à Bâle (voir dans le présent livre Rebetez, p. 22). 29 AAEB, PP 77 GF et 35 U 3. 30 Utz Hans, Eine Fussnote der Geschichte. Französisches und baslerisches Birseck, 1792-1833, Liestal: Verlag des Kantons Basel-Landschaft, 2015, p. 109. 31 AAEB, PP 2-3.2, n° 3085 (juin 1814) et n° 207 (juillet 1814). 32 Beuchat 1912 (voir n. 1), p. 39-40. 33 Guélat 1923 (voir n. 7), p. 86 notamment, repris par Quiquerez Auguste, Histoire de la réunion de l’ancien Évêché de Bâle au Canton de Berne 1813 à 1818, Delémont : Boéchat, 1882, p. 24. Ni Guélat ni surtout Quiquerez ne portaient de sympathie à Andlau (voir dans le présent livre Rebetez, p. 118-119). 156
Damien Bregnard sommes sont exprimées en francs français34, pour des salaires nets qui ne comprennent pas les frais de bureau ni de personnel subalterne). Lorsque Jean Conrad Escher succède à Andlau à la tête de la principauté (voir plus bas), il ne manque pas de souligner, lui aussi, l’importance du coût des salaires des fonctionnaires35. En fait, c’est surtout le gouverneur général qui reçoit un traitement très élevé : 102,19 francs par jour, soit 37 300 francs par an36, équivalent à plus de la moitié de la fortune du maire de Porrentruy37. À sa décharge, il semble que ce montant n’ait pas été fixé par lui-même mais par les Alliés38. Andlau empoche en un jour le salaire mensuel d’un juge au tribunal d’arrondissement (104,16 francs) !39 Il gagne quatre fois plus que Billieux (8 665 francs par an)40, dont le salaire – très confortable – est identique à celui des commissaires dans les autres départements. En octobre 1814, près du tiers de la masse salariale du gouvernement général est absorbé par le gouverneur, son commissaire 34 1 franc suisse vaut 1,481 franc français (AAEB, PP 39-2), rapport confirmé par l’ordonnance du 14 mars 1816 qui fixe la contribution des bailliages du Jura « à 125 010 fr. suisses ancienne valeur (équivalent de 185 200 fr. français) ». L’ordonnance du 14 mars 1816 est citée par Comment Albert, Huber Hans, von Greyerz Hans, Rapport sur l’Acte de réunion du Jura au Canton de Berne, Delémont : Imprimerie du « Démocrate », 1948, p. 184. 35 AAEB, PP 10-5, n° 11, 27 août 1815. Sur les salaires élevés de Billieux et des administrateurs en particulier : PP 10-5, n° 162, 4 sept. 1815. 36 Chiffres confirmés par deux sources : AAEB, PP 40-1 (« État général des dépenses […] qui ont été acquittées par M. le baron d’Andlau du 1er juin au 23 août 1815 ») et AAEB, R Freiburg 3.1-2. 37 Jean Georges Quiquerez a une fortune de 60 000 francs ou un revenu (à 5 %) de 3 000 francs (Bandelier 1980 (voir n. 1), p. 366). Pour comparaison, la pension annuelle d’indemnisation de l’évêque pour la perte de sa principauté n’est « que » de 12 000 florins ; si ce sont bien des florins du Rhin et que nos calculs sont exacts, cela représenterait 18 000 francs suisses ou 26 666 francs français. 38 AAEB, R Wien 1.337, lettre à Metternich du 18 mai 1817 (Andlau est vexé qu’on lui reproche ses appointements, déterminés par von Stein, baron prussien et ministre de la Russie). Le salaire du gouverneur général vient s’ajouter au traitement qu’il touche encore du Grand-Duché de Bade et qu’il se plaint de devoir rembourser à fin avril 1815 (R Wien 1.315-316). Un an plus tard, il demande encore à Metternich d’intervenir pour lui faire toucher 11 000 florins d’appointements retenus par le grand-duc (R Wien 1.338 et 1.483). 39 Pour les salaires des fonctionnaires et des magistrats, Andlau excepté, nous nous fondons sur les registres des mandats de paiement (AAEB, PP 31 et PP 32). 40 Selon un autre document (ArCJ, 77 J 68), Billieux n’aurait reçu « que » 2 872,54 francs pour les cinq premiers mois de 1814, correspondant à un salaire annuel de 6 894 francs. 157
De la crosse à la croix et leurs chancelleries41, qu’on peut estimer à une dizaine de personnes. Quand le gouvernement général se limitera à la principauté, Andlau touchera le même salaire et gardera Billieux à son service ; on aurait sans doute pu limiter les coûts. Parmi les économies manquées, signalons que Delfils, délégué par Andlau à Vienne (et défrayé pour cela), continue de percevoir son traitement d’administrateur d’arrondissement, fonction remplie ad interim par le secrétaire principal Helg jusqu’au retour de son supérieur42. On peut supposer que Billieux touche aussi son salaire de commissaire pendant qu’il est à Vienne. Par an, le receveur général gagne 4 000 francs, plus que les sous-préfets par intérim (3 000 francs), augmentés de 600 francs en septembre 1814 quand ils deviennent administrateurs. À noter qu’Imer, administrateur de l’Erguël, est payé depuis septembre jusqu’en janvier 1815, après quoi il ne perçoit plus de traitement. À la fin de 1815, il réclame près de 4 000 francs à Escher, dont l’administration a beau jeu de répondre : « À la vérité, ses fonctions n’ont pas été pénibles : pendant tout le temps qu’elles ont duré, la justice, comme l’administration, ont presque continuellement chômé dans toute l’étendue de son ressort. »43 Le président du tribunal d’arrondissement touche 1 875 francs, les juges 1 250. Les curés et pasteurs ne gagnent que 500 francs44, comme un garde-police de village, qui cumule sans doute avec d’autres activités. À part l’augmentation des administrateurs, les traitements des fonctionnaires ne varient pas de 1814 à 1815, on peut même assurer que les membres des tribunaux d’arrondissement avaient le même salaire dans le département du Haut-Rhin. 41 AAEB, PP 40-1 et PP 41-2. 42 AAEB, PP 31 et P 32. 43 AAEB, PP 10-5, 13 déc. 1815 : « État des sommes dues aux fonctionnaires […] de l’Erguël et de la prévôté de Moutier-Grandval ». 44 Cette somme s’accompagne probablement de prestations en nature. Comme sous le Haut-Rhin, la majorité d’entre eux, les « desservants », gagnent 500 francs, sauf quelques « curés » ou « pasteurs » dans les localités plus importantes (1 000 francs). La somme de 500 francs doit être insuffisante puisque l’art. 7 de l’Acte de réunion prévoit un traitement minimal de 800 francs, outre la cure, un jardin et le bois d’affouage mis à disposition par les communes. 158
Damien Bregnard Selon l’estimation de Samuel Imer45, un ménage de notable (pasteur), de quatre personnes et un domestique, a besoin de 100 louis (env. 2 380 francs) pour vivre (en noir sur le graphique), ce qui signifierait que la très grande majorité des fonctionnaires ont un traitement insuffisant. Seuls Andlau, Billieux, le receveur général et les administrateurs se trouvent au-dessus de la barre, au contraire des juges par exemple46. Salaires annuels des juges et des principaux fonctionnaires ou dirigeants de la principauté de Porrentruy en 1814-1815, comparés à celui d’un curé ou d’un pasteur Gouverneur général 74,6 Commissaire général 17,33 Receveur général 8 Administrateur d’arr. 7,2 Salaire nécessaire à un notable 4,76 Présid. trib. arr. 3,75 Juge trib. arr. 2,5 0 10 20 30 40 50 60 70 80 Nombre de fois le salaire d’un curé ou pasteur (500 francs) Une réunion aux cantons différée : le commissariat fédéral d’Escher Si par sa Déclaration du 20 mars 1815 (articles 3 et 4), le Congrès de Vienne a décidé de réunir la principauté de Porrentruy aux Cantons de Berne et de Bâle, les Puissances refusent de leur transmettre ce territoire avant que Berne n’ait adapté sa constitution et que les Actes de réunion 45 ArCJ, 77 J 36 : « Pensées d’un citoyen… », p. 22, mars 1814. 46 Dès lors, il est difficile de comprendre pourquoi les salaires des membres du tribunal de Porrentruy ont été réduits de moitié au début du régime bernois, si l’on en croit Guélat 1923 (voir n. 7), p. 144. 159
De la crosse à la croix prévus soient conclus47. Dans l’intervalle, la principauté est administrée pour le compte de la Suisse par le commissaire Jean Conrad Escher, ancien bourgmestre de Zurich, nommé par la Diète le 26 juillet. Un mois plus tard, Andlau lui remet le pays, au nom des Alliés. Dans la continuité Le mandat d’Escher se borne à appliquer les articles 3 et 4 susmentionnés et à favoriser le transfert aux cantons dans les meilleures conditions48. Il installe son siège à Delémont49, géographiquement plus centrée qu’Arlesheim. Pour mener à bien sa mission, il s’entoure des spécialistes bernois de la région qui y ont déjà mené des enquêtes discrètes au printemps50 : Amédée de Jenner est nommé conseiller financier51, Rodolphe May de Rued52 administrateur de l’Erguël et de la prévôté de Moutier-Grandval53. Conscient du caractère bref et provisoire de son administration, 47 Voir dans le présent livre Rebetez, p. 14. 48 Rebetez Jean-Claude, « Staaten sind vergänglich. Das Verschwinden des Fürstbistums Basel zwischen dem Ende des Ancien Régime und der Vereinigung mit dem Kanton Bern », in Kaestli Tobias (éd.), Nach Napoleon. Die Restauration, der Wiener Kongress und die Zukunft der Schweiz 1813-1815, Baden: Hier und Jetzt, 2016, p. 128. 49 Dans la maison capitulaire de Moutier-Grandval, face à l’hôtel de ville, au coin de la Place de la Liberté et de la Rue du 23-Juin. Sous Andlau, elle était occupée par l’administrateur de l’arrondissement (AAEB, PP 36-3, 10/16 nov. et 2 déc. 1815) et auparavant par l’administration française. Dès le début du régime bernois, elle constitue le siège du secrétaire du bailli de Delémont (voir l’article de Jean-Louis Rais dans ASJE 2014, p. 175-184). 50 Comment 1948 (voir n. 34), p. 54-55. 51 Jenner-Pigott Eugen (éd.), Gottlieb von Jenner (1765-1834). Denkwürdigkeiten meines Lebens, Berne: K. J. Wyss, 1887, p. 245. 52 Charles Frédéric Rodolphe May de Rued (1768-1846), à ne pas confondre avec Albrecht Friedrich May, de Schadau (1773-1853), un des signataires de l’Acte de réunion au Canton de Berne, bailli de Courtelary (1816-1823). Voir Kamber Franz, Widmer- Dean Markus (éd.), Haus-Cronik. Meinen Kindern und Nachkommen gewidmet durch Carl Friedrich Rudolf May von Rued (1768-1846), Schöftland: F. Kamber, 2001. 53 AAEB, PP 10-5, nomination du 18 oct. 1815. 160
Damien Bregnard Escher s’inscrit dans la continuité du gouvernement général : Billieux est nommé lieutenant du commissariat le 27 août54. Escher reprend la structure et le personnel de l’administration en place, sans modifier les salaires55. La législation française, maintenue par Andlau, est prorogée56. Rétablir l’autorité dans le sud de la principauté La tâche majeure du commissaire consiste à reprendre en mains la partie sud de la principauté. Dans les arrondissements de Porrentruy et de Delémont, Escher maintient les administrateurs d’Andlau. En revanche, Samuel Imer, administrateur de l’Erguël, La Neuveville et la Montagne de Diesse depuis août 1814, est assez vite remplacé57. Le choix de May de Rued58 pour lui succéder n’est pas anodin. D’une famille patricienne argovienne et bourgeoise de Berne, bailli de Nidau, il a été nommé par la Diète, en mars 1815, commissaire civil dans cette région59. Parcourant le pays, il a envoyé des rapports au Conseil secret de Berne ; en prévôté et en Erguël, il a « recueilli les matériaux 54 AAEB, PP 10-5, n° 11. Le 29 août (n° 2/11), Billieux remercie Escher, l’assurant de son fidèle attachement à la Suisse. 55 AAEB, PP 32. Un bel exemple de permanence : François Ignace Helg, premier juge au tribunal civil de Delémont, déjà en place sous Napoléon puis Andlau, poursuit sa carrière au même poste sous Escher (AAEB, 28 U 19/9, n° 2421, 2 oct. 1815) ; le siège du tribunal est l’hôtel de ville (voir aussi AAEB, PP 8-2, n° 82 du 19 déc. 1815). 56 Proclamation du 23 août 1815 (AAEB, PP 77 GF). 57 AAEB, PP 10-5, dossier n° 321, n° 12, 19 octobre. Imer a écrit être « prêt à faire place » dans une lettre du 22 septembre (PP 8-4, in n° 46, 22 octobre). Perçu par les habitants comme proche d’Andlau, Imer aurait eu de la peine à imposer l’autorité de la Suisse dans le sud. 58 AAEB, PP 10-5, dossier n° 321, n° 1, 18 oct. 1815, p. 1. 59 Folletête 1888 (voir n. 12), p. 334. EA Rep. II/1, p. 159, lettre f. Sa fonction de commissaire civil s’achève à fin juillet, quand se dessine la remise du pays à la Suisse (EA Rep. II/1, p. 164, lettre v). Sa position de fonctionnaire bernois au service de la Suisse l’amène à servir des intérêts parfois divergents, mais il exprime son choix dans sa Haus-Cronik (voir n. 52), p. 127 : il a reçu l’instruction particulière du Conseil secret de ne jamais employer les troupes bernoises pour exécuter les exigences d’Andlau, même si des ordres contraires arrivent de Zurich. 161
De la crosse à la croix pour la prochaine organisation provisoire du pays »60, dès avril. C’est donc un connaisseur du terrain qu’Escher engage à l’automne 1815, qui a déjà établi, en mai, pour la Commission diplomatique de la Diète, un projet d’organisation de la partie helvétique de la principauté61. Au contraire du colonel Finsler62, chef de la Commission militaire fédérale, May tient absolument à intégrer Bienne, qui dispose pourtant d’un gouvernement provisoire depuis plusieurs mois. Le 18 octobre à Delémont, Escher, Jenner et May de Rued tiennent une séance qui jette les bases de l’organisation du sud de la principauté. Ils se fondent sur le « Projet d’une organisation provisoire pour la Prévôté, l’Erguël et Bienne » soumis le 13 septembre à l’approbation de Zurich, canton directeur63 – texte qu’ils amendent dans le sens du décret de la Commission diplomatique du 18 mai (hésitante, la Commission a décidé de ne rien changer au statut provisoirement autonome de Bienne64, au grand dépit de May65). On reprend les subdivisions géo-administratives françaises, mais en en évitant le vocabulaire (art. 1) : le sud est divisé en trois districts, correspondant à peu de chose près aux anciens cantons de communes : Courtelary (Haut-Erguël et Tramelan) ; Bas-Erguël (Bas-Erguël, Orvin, La Neuveville, Montagne de Diesse66) ; Moutier (prévôté de Moutier-Grandval Sur- et Sous-les-Roches, et courtine de Bellelay67). À part Moutier, ces espaces diffèrent de ceux que Berne définira en 1816 et qui s’inspirent, avec quelques différences, 60 Rapport du 10 avril 1815, cité par Folletête 1888 (voir n. 12), p. 348. 61 Folletête 1888 (voir n. 12), p. 379-380. 62 Folletête 1888 (voir n. 12), p. 378-379. 63 AAEB, PP 10-5, dossier n° 321, contenant notamment des notes sur la séance du 18 octobre (n° 1) et le projet soumis à Zurich (n° 2). 64 EA Rep. II/1, p. 160, lettre l, point 3. 65 Folletête 1888 (voir n. 12), p. 387. 66 Correspond à l’ancien canton de Bienne, amputé de la mairie de Bienne. 67 Sous le Haut-Rhin et le gouvernement général, la prévôté Sous-les-Roches, catholique, se trouvait dans le canton de Delémont ; la courtine appartenait au canton de Saignelégier (arrondissement de Porrentruy du Haut-Rhin). 162
Damien Bregnard des frontières d’Ancien Régime68. Chaque district aura un juge de paix (comme dans les cantons de communes sous le régime français) et un tribunal de première instance, les appels se rendant à Delémont (art. 2 et 3), alors que le projet de mai plaçait le tribunal d’appel à Bienne69. En matière criminelle, c’est le tribunal de Delémont qui confirmera ou modifiera la sentence rendue par les tribunaux de première instance (art. 4). Ainsi, le pouvoir judiciaire supérieur échappe au sud de la principauté. Au niveau administratif, les maires des communes continueront d’exercer leurs fonctions comme avant, l’administrateur leur transmettant les ordres de l’autorité supérieure (art. 5), à la manière d’un sous-préfet. Dans la même séance, Escher nomme les juges de paix et ceux des tribunaux de première instance70. On identifie plusieurs noms déjà rencontrés sous le(s) régime(s) précédent(s) : les juges de paix de Courtelary et de Moutier restent David Louis Belrichard, en poste depuis 180271, et Jacob Gobat, en fonction depuis 1808. Outre la continuité d’un régime à l’autre, les décisions du 18 octobre révèlent aussi des aspects intéressants de la désagrégation de l’autorité dans les communes : certaines d’entre elles n’ayant plus de maire ou manquant de conseillers par rapport à l’époque française, l’administrateur en proposera à Escher. La non-reconnaissance des « maires de paroisse » laisse à penser que les habitants avaient repris des structures du temps des princes-évêques comme les mairies ou paroisses (circonscriptions administratives et judiciaires)72. 68 Voir dans le présent livre Kaestli, p. 207. 69 Le souci de May de faciliter la transition avec le futur canton transparaissait déjà dans ses observations sur le premier projet, selon lequel l’organisation judiciaire prévue « a pour elle l’avantage qu’elle se rapproche de celle du Canton de Berne » (observations transmises par Finsler à la Commission diplomatique le 11 mai, éditées dans Folletête 1888 (voir n. 12), p. 380-384, ici p. 382). 70 AAEB, PP 10-5, dossier n° 321, n° 1’, 8 et 10. 71 AAEB, 9 U 31. Sous Andlau, il était lieutenant de l’administrateur Imer pour l’Erguël. 72 De pareilles tentatives de retour à l’ancien système d’organisation communale sont signalées en prévôté par Gigandet Cyrille, Les journaux particuliers des bourgeois de Malleray au xixe siècle, [Neuchâtel] : [Université], 1981, p. 22-23. 163
De la crosse à la croix May de Rued installe ensuite les juges et les fonctionnaires des districts de Moutier et de Courtelary, mais l’opposition est forte à La Neuveville, déçue de n’être pas chef-lieu du Bas-Erguël et d’être privée du tribunal de première instance, placé à Perles ; finalement, Escher cède le 2 novembre73. Le travail de May dans ce district est encore ralenti par la désorganisation du système postal74. Bienne fait des difficultés à remettre au tribunal du Bas-Erguël les papiers de l’ancienne justice de paix de son canton75. De mauvais contribuables Escher est confronté à la question – qui traverse les époques – des impôts en retard. Au 21 avril 1815, les perceptions de la partie sud n’ont versé que 14 % des contributions directes de l’année… précédente76. Entendant recouvrer l’arriéré avant la remise du pays, le commissaire écrit en ce sens à l’administrateur de l’Erguël, au maire de Moutier et au Magistrat de Bienne, leur enjoignant de collaborer avec le receveur général de Grandvillers77. Dans le nord comme dans le sud, il ordonne aux trois administrateurs de faire afficher dans les communes que les contribuables en retard ont quinze jours pour s’acquitter de leurs contributions « à peine d’y être contraints ». Il autorise par exemple le receveur général à charger le percepteur d’Arlesheim d’envoyer des garnisaires chez les retardataires, « en commençant par les plus imposés »78. Certaines communes obtiennent toutefois des remises partielles79. 73 AAEB, PP 10-5, n° 394, 414, 421. 74 AAEB, PP 10-5, sans numéro (15 nov. 1815). 75 AAEB, PP 10-5, n° 571 (29 nov. 1815). 76 AAEB, PP 39-2, tableau litt. B (19 112 francs payés sur un total de 134 826). 77 AAEB, PP 10-5, 19 sept. 1815. 78 AAEB, PP 35, 7 sept. et 10 oct. 1815. 79 Par exemple Damvant et Réclère, pillées par les partisans français en juin (AAEB, PP 55-5 et PP 61-3), ou Glovelier, qui a entretenu un lourd contingent de troupes suisses d’avril à juillet (PP 8-4, n° 225). 164
Damien Bregnard Escher peut compter sur l’aide de Jenner, qui incite May à faire pression sur les maires80. Des résultats tangibles sont obtenus dès octobre, en particulier dans le sud. Alors que, de janvier à septembre, la moyenne mensuelle des contributions directes versées par la principauté était de 17 421 francs (seul le nord payait), le montant atteint 62 360 francs en octobre, soit près de quatre fois plus81. En retard, le sud ne peut pas payer les contributions de 1815, il rembourse celles de 1814, versant dans la première décade de novembre trois fois plus de contributions directes que le nord (17 700 francs, contre 5 800). L’effort de rattrapage est considérable, mais les remboursements pourront s’étaler de septembre à février 181682. Dans les faits, les remboursements se poursuivront plus tard83. Au final, le sud se sera acquitté de plus de 70 % des contributions directes de 181584 – c’est aussi dire que près de 30 % resteront impayées. Bilan du commissariat fédéral Escher a atteint son objectif principal : préparer l’intégration de la principauté au Canton de Berne. En quatre mois, il n’a pas cherché à innover, ni dans le personnel dirigeant, ni dans les cadres géographiques administratifs, qui seront d’ailleurs profondément remaniés par Berne en 1816. Le besoin d’imposer un cadre administratif et judiciaire dans le sud explique sans doute pourquoi Escher a mis tant d’énergie à réorganiser le pays pour une si courte période. Dans les districts de Courtelary et de Moutier, il est parvenu à mettre en place l’administration et 80 AAEB, PP 8-4, n° 123/474. Exemple de la perception de Saint-Imier : le 10 novembre, Jenner informe le commissaire que le receveur vient de verser 1 700 francs. 81 AAEB, PP 24 et 26. 82 Proposition de Jenner acceptée par Escher le 17 sept. 1815 (AAEB, PP 8-4, n° 46). 83 AAEB, PP 39-5, n° 76 : le percepteur de Lajoux verse encore à la recette à fin juillet 1816. 84 95 976 francs sur 134 825 (AAEB, PP 39-5). 165
De la crosse à la croix la justice. En revanche, les résultats ont été plus lents et mitigés en Bas-Erguël (en particulier à La Neuveville), où il a rencontré une solide opposition, peut-être encouragée par Bienne. L’action d’Escher, épaulé par le conseiller financier bernois Jenner, a été efficace dans le recouvrement des contributions en retard. Par la suite, les nouveaux contribuables bernois paieront environ un tiers de moins d’impôts directs qu’à la fin du régime français85. Le poids des contributions de l’époque française – puis de celles du régime d’Andlau86 –, tant décrié par les contemporains et devenu un facteur majeur d’impopularité et d’opposition, apparaît ainsi flagrant au regard de la fiscalité bernoise de la Restauration. Zusammenfassung Die provisorische Verwaltung des Fürstentums Pruntrut 1814–1815: Organisation, Abläufe, Widerstände Nicht mehr zu Frankreich, aber auch noch nicht zur Schweiz gehörend, wurde das Fürstentum Pruntrut ab Januar 1814 im Namen der Alliierten verwaltet. In der Beamtenschaft nahmen wieder vor allem Angehörige der Elite des Ancien Régime Einsitz. Der Freiherr von Andlau, einer alten Adelsfamilie des Birsecks entstammend, wurde von Österreich zum Generalgouverneur der Freigrafschaft, der Vogesen und des Fürstentums ernannt. Er wählte seinen Sitz in Vesoul und berief gleichzeitig seinen Schwager Billieux als Kommissar in Pruntrut. Seit dem Pariser Frieden vom 30. Mai 1814 beschränkte sich das Generalgouvernement auf das Fürstentum Pruntrut, und Andlau liess sich in Arlesheim nieder. In der Struktur, aber auch im Verwaltungs- und 85 Impôts directs français en 1813 (contributions foncière, personnelle et mobilière ; portes et fenêtres, patentes : 390 000 francs (AAEB, PP 41-2) ; sans compter les impôts indirects (361 000 francs). Impôt foncier de 1816 à 1819 : 185 200 francs (ou 125 010 francs suisses ancienne valeur), plus les centimes additionnels (59 260 francs ou 40 000 francs suisses) ; idem, depuis 1820 : 249 000 francs (Comment 1948 (voir n. 34), p. 184). 86 Andlau reprend le système des contributions françaises, avec quelques allègements assez peu importants : suppression des droits réunis (sur les boissons), division par deux des droits de patente (AAEB, PP 37-3). 166
Damien Bregnard Justizpersonal war die französische Herrschaft weiterhin erkennbar. Die beiden oberrheinischen Arrondissements Delsberg und Pruntrut blieben erhalten, wurden aber interimistisch von Unterpräfekten, dann von Administratoren geleitet, welche die Fürstenherrschaft verteidigten oder gemässigte Anhänger des napoleonischen Regimes waren. Die bestehenden Gerichte setzten ihre Arbeit fort, indem sie weiterhin die französische Gesetzgebung anwendeten. Die Magistraten und Stadtmeier, die als zu frankophil galten (Rengguer, ein Revolutionär von 1793; die Stadtmeier von Pruntrut und Delsberg), wurden hingegen ersetzt. Dank der Präsenz österreichischer Truppen im Norden des Fürstentums gelang es Andlau, seine Macht durchzusetzen. Der südliche Teil jedoch erreichte, als schweizerisch anerkannt zu werden (zwischen Januar und Mai 1814), sodass er sich den Requirierungen durch die alliierten Truppen und den vom Gouverneur geforderten Kontributionen entziehen konnte. In der Folge erhob er sich gegen das Gouvernement, weshalb weder die Beamten noch die Magistraten, die Andlau im Sommer ernannt hatte, vom Administrator Imer eingesetzt werden konnten. Das Gerücht, wonach sich die hohen Beamten überrissene Gehälter auszahlen liessen, bestätigte sich zwar für Andlau sowie in minderem Umfang für Billieux und die Arrondissement- Verwalter. Auf die Mehrheit der Angestellten aber traf es nicht zu, denn ihre Besoldung blieb unverändert und folgte den unter französischem Regime geltenden Vorgaben. Da die alliierten Mächte von Bern eine Verfassungsänderung verlangten, bevor es die ihm vom Wiener Kongress am 20. März 1815 zugesprochenen Territorien erhielt, wurde das Fürstentum ab August vom Zürcher General- Kommissar Escher in Namen der Schweiz verwaltet. Sein Auftrag war, die Eingliederung in die Kantone Basel und vor allem Bern zu erleichtern. Dazu wählte er hohe Beamte aus Bern (z.B. Jenner, Finanzberater, und May von Rued, Administrator und Nachfolger von Imer), die das Fürstentum bereits aus ihren Untersuchungen vom vergangenen Frühling gut kannten. Das seit mehreren Monaten selbstverwaltete Biel entging dem eidgenössischen Kommissariat (die Tagsatzung war ohnehin gegen eine Eingliederung der Stadt). In den übrigen Gebieten des südlichen Fürstentums schaffte es Escher, Verwaltung und Justiz neu zu organisieren, trotz eines gewissen Widerstands aus Neuenstadt, das eine Zeit lang kein erstinstanzliches Gericht mehr hatte. Da der Zeitraum sehr kurz war – die Übergabe an die beiden Kantone sollte im Dezember stattfinden –, modifizierte Escher die 167
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