DE LA CROSSE À LA CROIX - JEAN-CLAUDE REBETEZ ET DAMIEN BREGNARD (DIR.) - L'ancien Évêché de Bâle devient suisse (Congrès de Vienne - 1815) ...

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DE LA CROSSE À LA CROIX - JEAN-CLAUDE REBETEZ ET DAMIEN BREGNARD (DIR.) - L'ancien Évêché de Bâle devient suisse (Congrès de Vienne - 1815) ...
JEAN-CLAUDE REBETEZ ET DAMIEN BREGNARD (DIR.)

                                                                     H I S T O I R E

     DE LA CROSSE À LA CROIX
L’ancien Évêché de Bâle devient suisse (Congrès de Vienne – 1815)

                                                     Fondation des Archives
                                                     de l’ancien Évêché de Bâle,
                                                     Porrentruy
DE LA CROSSE À LA CROIX - JEAN-CLAUDE REBETEZ ET DAMIEN BREGNARD (DIR.) - L'ancien Évêché de Bâle devient suisse (Congrès de Vienne - 1815) ...
Ce livre a été publié avec le soutien de :

           Délégation jurassienne
            à la Loterie Romande

Gemeinde                  Stadt Laufen
Aesch (BL)                    (BL)
DE LA CROSSE À LA CROIX - JEAN-CLAUDE REBETEZ ET DAMIEN BREGNARD (DIR.) - L'ancien Évêché de Bâle devient suisse (Congrès de Vienne - 1815) ...
Jean-Claude Rebetez, Damien Bregnard (dir.)

    De la crosse à la croix
L’ancien Évêché de Bâle devient suisse
     (Congrès de Vienne - 1815)

              Éditions Alphil
DE LA CROSSE À LA CROIX - JEAN-CLAUDE REBETEZ ET DAMIEN BREGNARD (DIR.) - L'ancien Évêché de Bâle devient suisse (Congrès de Vienne - 1815) ...
© Éditions Alphil, 2018
Case postale 5
2002 Neuchâtel 2
Suisse

www.alphil.ch

Alphil Diffusion
commande@alphil.ch

Fondation des Archives de l’ancien Évêché de Bâle, Porrentruy

ISBN 978-2-88930-170-6

Les Éditions Alphil bénéficient d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la
culture pour les années 2016-2020.

Illustration de couverture : Tableau des 36 communes des villes et vallées de
Delémont et Laufon, formant le bailliage de Delémont, réunies à la Suisse et au
Canton de Berne en 1815 (Musée jurassien d’art et d’histoire).

Responsable d’édition : Sandra Lena
Sigles et abréviations

Archives et institutions
AAEB : Archives de l’ancien Évêché de Bâle (Porrentruy)
AEB : Archives de l’État de Berne (Staatsarchiv Bern)
ArCJ : Archives cantonales jurassiennes
BCU : Bibliothèque cantonale et universitaire (Lausanne)
BiASO : Bischöfliches Archiv des Bistums Basel, Solothurn (Archives
du nouveau diocèse de Bâle, Soleure)
GLA : Generallandesarchiv Karlsruhe
HHStA : Haus-, Hof- und Staatsarchiv Wien
Mémoires d’Ici : Mémoires d’Ici. Centre de recherche et de documen­
tation du Jura bernois (St-Imier)
StABE : Staatsarchiv Bern (Archives de l’État de Berne)
StABL : Staatsarchiv Basel-Landschaft
StABS : Staatsarchiv Basel-Stadt
StAF : Staatsarchiv Freiburg im Breisgau

                                   7
De la crosse à la croix

R Freiburg 1 : reproduction de StAF, U 100/1 (Depositum von
Mentzingen) n° 899 (Correspondance de Conrad de Billieux, de
Vienne, à Conrad d’Andlau)*
R Freiburg 2 : reproduction de StAF, U 100/1 (Depositum von
Mentzingen) n° 941 (Verwaltung des Generalgouvernements der
Franche-Comté 1808-1817)*
R Freiburg 3 : reproduction de StAF, U 100/1 (Depositum von
Mentzingen) n° 953 (Verwaltung 1813-1814)*
R Wien 1 : reproduction de HHStA, StK Kleinere Betreffe 2
(documents concernant l’administration provisoire de la principauté
de Porrentruy conservés à Vienne)*
R Wien 2 : reproduction de HHStA, StK Kleinere Betreffe 3-1
(documents concernant l’administration provisoire de la principauté
de Porrentruy conservés à Vienne)*
* Reproductions numériques consultables aux AAEB

Ouvrages, collections et revues
ASJE : Actes de la Société jurassienne d’Émulation (Porrentruy)
BEZG : Berner Zeitschrift für Geschichte
BEZGH : Berner Zeitschrift für Geschichte und Heimatkunde
DHS : Dictionnaire historique de la Suisse, Hauterive : G. Attinger,
2002-2014 (=HLS)
EA Rep. : Kaiser Jakob (éd.), Amtliche Sammlung der neuern
Eidgenössischen Abschiede (1803-1848)
EA Rep. II/1 : Repertorium der Abschiede der eidgenössischen Tagsazungen aus
den Jahren 1814 bis 1848, Teil II Band I (§§ 1-75), Berne : Wyss, 1874
HLS : Historiches Lexikon der Schweiz, Bâle : Schwabe, 2002-2014 (=DHS)
Klüber : Klüber Johann Ludwig, Acten des Wiener Congresses in den
Jahren 1814 und 1815, Erlangen [s.n.], 1815-1835 (9 vol.)
RSH : Revue suisse d’histoire (=SZG)

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L’administration provisoire de la principauté
           de Porrentruy en 1814-1815 :
     organisation, fonctionnement, résistances

                             Damien Bregnard

   Durant la parenthèse entre l’Empire français et l’entrée dans la
Confédération, de décembre 1813 à décembre 1815, l’ancien Évêché
de Bâle, qu’on appelle alors aussi « principauté de Porrentruy », connaît
deux régimes provisoires, de durée inégale : le gouvernement général
(de janvier 1814 à août 1815), au nom des Alliés, et le commissariat
fédéral (d’août à décembre 1815). Les faits saillants et les articulations
chronologiques majeures du premier sont présentés dans l’introduction
de ce volume1 ; nous l’étudions ici sous des angles thématiques
(rupture ou permanence des élites, résistance au pouvoir, traitements
des fonctionnaires). Le second, ignoré de l’historiographie, fait l’objet
d’une étude plus factuelle.

1
  Voir dans le présent livre Rebetez, p. 12-19 ; voir aussi : Beuchat Arthur, L’Évêché
de Bâle sous le Gouvernement Général du baron d’Andlau. Janvier 1814-août 1815,
Delémont : Boéchat, 1912 ; Bandelier André, Porrentruy sous-préfecture du Haut-Rhin.
Un arrondissement communal sous le Consulat et l’Empire, 1800-1814, Neuchâtel : La
Baconnière, 1980 (p. 375-393).

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De la crosse à la croix

Les débuts du gouvernement général, entre retour
des « ci-devant » et continuité avec la France
   Du 15 janvier au 30 mai 1814, date du Traité de Paris, Conrad
d’Andlau n’est pas seulement gouverneur général de la principauté de
Porrentruy : il administre aussi la Franche-Comté et le département
des Vosges. Il gère la principauté à distance depuis Vesoul. Les débuts
de son administration sont mal connus ; les historiens ont surtout
retenu le passage des troupes alliées et les réquisitions imposées à un
pays exsangue. Le baron d’Andlau, d’une importante famille noble de
l’Évêché2, s’entoure de conservateurs. Son secrétaire général est
Joseph Wilhelm de Neveu, neveu de l’évêque de Bâle3. La
comptabilité et les finances sont dirigées par le chevalier de Braun.
Joseph Xavier Scheppelin4, lieutenant de Saint-Ursanne sous les
princes-évêques, est son secrétaire de langue allemande. Dans les
départements, Andlau place des commissaires. Pour le Doubs par
exemple, il fait appel à Jean-Baptiste Jobin, conseiller aulique sous les
princes-évêques, et qui a participé à la répression des soulèvements
révolutionnaires avant de fuir le pays5. Dans la principauté, le
commissaire nommé par Andlau est son beau-frère, Conrad de
Billieux ; il dirige l’administration depuis Porrentruy. Son père, anobli
en 1782, était conseiller intime et chancelier épiscopal ; lui-même a
émigré à la Révolution.
   Le retour au pouvoir des « ci-devant » contraste pourtant avec
la continuité du système français, dans un premier temps du

2
  Voir dans le présent livre Hug, p. 123-145.
3
  Liste du personnel du gouvernement général, sans date mais probablement de janvier
ou février 1814, StAF, U 100/1 n° 953 (reproduction numérique : AAEB, R Freiburg 3.1
et 3.2). Sur de Neveu, voir dans le présent livre Jorio, p. 80, n. 8.
4
  Jorio Marco, Der Untergang des Fürstbistums Basel (1792-1815). Der Kampf
der beiden letzten Fürstbischöfe Joseph Sigismund von Roggenbach und Franz Xaver
von Neveu gegen die Säkularisation, Fribourg: Paulusdruckerei, 1982, p. 274-275.
Scheppelin avait émigré à Vienne après avoir failli être pendu par des officiers français
à Porrentruy en 1793.
5
  Jorio 1982 (voir n. 4), p. 251-252.

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Damien Bregnard

                          Conrad de Billieux (1760-1824),
                        commissaire du gouvernement général
               de la principauté de Porrentruy en 1814-1815 (GLA).

moins. Soucieux d’assurer l’ordre, Andlau ordonne aux autorités
administratives et judiciaires de continuer leurs fonctions6. Cela ne va
pas de soi alors que Napoléon n’a pas encore abdiqué : à Porrentruy,
le tribunal refuse d’abord de siéger, ayant appris qu’un décret de
l’empereur interdisait aux juges de fonctionner sous peine d’être
fusillés !7 Andlau reprend les structures françaises : des sous-préfets par

6
  Proclamation du 27 janv. 1814 (AAEB, PP 77 GF).
7
  Guélat François-Joseph, Journal de François-Joseph Guélat. Mémoires d’un bourgeois
de Porrentruy (IIe partie, 1813-1824), Delémont : Le Démocrate, 1923, p. 22
(24 janv. 1814). Aucune audience n’est tenue de janvier au 20 avril (AAEB, 35 U 9).

                                        149
De la crosse à la croix

intérim succèdent aux sous-préfets anciennement français à la tête des
arrondissements de Porrentruy et de Delémont, eux aussi conservés.
Les lois françaises sont maintenues.

Andlau tente de construire un État – fortunes diverses
    Après le Traité de Paris, le gouvernement général est réduit à
la principauté de Porrentruy. Soutenu par la présence de troupes
autrichiennes à Porrentruy, Andlau peut entamer la réorganisation de
l’État, jusque-là différée par les prétentions françaises ; l’essentiel des
nominations se fait de fin juin à fin août8. Il s’installe à Arlesheim,
son village natal. Braun l’y suit. Le gouverneur garde Billieux à son
service, sorte de premier ministre chargé de relayer ses ordres dans les
arrondissements. À leur tête, des administrateurs (un à Porrentruy,
un à Delémont) remplacent les sous-préfets par intérim. L’Erguël,
La Neuveville et la Montagne de Diesse ont leur propre administrateur,
Samuel Imer, nommé par Andlau et épaulé par deux lieutenants.
Mais son pouvoir n’est pas reconnu par les populations9. De même,
l’autorité d’Andlau sur Bienne et les villages de sa mairie est inexistante.
Au moment où le gouverneur aurait besoin de toutes les forces vives
pour récupérer le sud, il doit se passer de son commissaire et de
l’administrateur de Delémont Melchior Delfils, délégués à Vienne10.
    Dans le nord, le canton, échelon intermédiaire avec les communes
– et institution typiquement française – est conservé, et sa réalité
effective puisqu’il continue d’abriter une justice de paix ; il est aussi

8
   Les registres des mandats de paiement délivrés par la recette générale en 1814 et 1815
permettent de connaître les fonctionnaires et leur salaire (AAEB, PP 31 et 32).
9
   Sur la résistance du sud de la principauté, voir dans le présent livre Rebetez, p. 17-19.
Les habitants cherchent à échapper aux réquisitions de guerre imposées aux vaincus et aux
contributions exigées par le gouvernement.
10
    L’administrateur de Porrentruy, François Xavier Migy, remplace alors Billieux dans
certaines fonctions subalternes, mais pour les décisions importantes, il doit en référer à
Andlau (AAEB, PP 2-1.1, 20 nov. et 16 déc. 1814). Sur la députation de Vienne, voir
dans le présent livre Jorio, p. 82-84, et Rebetez, p. 116-117.

                                            150
Damien Bregnard

La principauté de Porrentruy après le 1er Traité de Paris (juin 1814 – août 1815)

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De la crosse à la croix

utilisé lors des plébiscites de 181411. Mais en prévôté, les communes
Sous-les-Roches, pourtant catholiques, tentent de quitter le canton de
Delémont et de rejoindre celui de Moutier, dans le but d’être considérées
comme suisses et d’échapper ainsi aux réquisitions alliées. Lajoux et Les
Genevez, communes aussi catholiques du canton de Saignelégier dans la
courtine de Bellelay, cherchent également à passer à Moutier. Dans les
deux cas, Andlau s’y oppose, mais c’est pourtant bien cette situation-là
qu’entérinera Escher en octobre 1815 (voir p. 162 de cet article)12.
   La Cour criminelle du département du Haut-Rhin siégeait à
Colmar, tandis que les deux arrondissements étaient dotés d’un tribunal
de première instance, ou tribunal civil. Par ordonnance du 26 juin,
Andlau reprend le même système, mais en élevant les tribunaux de
Porrentruy et de Delémont au rang de seconde instance, en matière
civile et criminelle, l’un par rapport à l’autre, « solution ingénieuse pour
pallier à la rupture avec Colmar »13. Le gouverneur établit la recette
générale à Delémont, et une recette par arrondissement.

Des gardes forestiers peu désirés

   La réorganisation de la gestion des forêts, « une des seules ressources »
mais « la plus belle propriété du Gouvernement »14, est un exemple des tâches
auxquelles le nouveau gouvernement doit s’atteler – et des résistances

11
   Voir dans le présent livre Jeanneret, Rebetez, p. 169 sqq.
12
   L’« État nominatif des maires […] des cantons de Delémont et Moutier », du 26 août
1814 (AAEB, PP 2-3.2, ad n° 618) reflète la vision théorique du gouvernement général,
qui veut garder les communes de la prévôté Sous-les-Roches dans le canton de Delémont.
Sur les tentatives d’Andlau de soumettre les gens de toute la prévôté, y compris Sous-les-
Roches, voir p. ex. Folletête Casimir, Les origines du Jura bernois. Recueil de pièces et
documents relatifs à l’histoire de la réunion de l’ancien Évêché de Bâle, au canton de Berne,
Porrentruy : Prêtre, 1888, p. 236-238 (5 oct. 1814) : la question des contributions est
au centre des récriminations des Prévôtois envers l’administration d’Andlau ; p. 204-205
(3 sept. 1814) : demande de la courtine d’être rattachée à la prévôté de Moutier.
13
   Froidevaux Philippe, « Le fonds Justice de l’époque française », Rapport annuel des
Archives de l’ancien Évêché de Bâle 1992. Ordonnance du 26 juin 1814 : AAEB, PP 77 GF.
14
   Observations de Fellrath, sous-inspecteur des forêts à Delémont (AAEB, PP 2-5.1, n° 209,
12 juil. 1814). Les informations de ce paragraphe proviennent toutes du dossier PP 2-5.1.

                                            152
Damien Bregnard

qu’il rencontre. Une reprise en mains devient pressante en raison des abus
tolérés par les communes. Tant les maires que les autorités supérieures
décrivent l’onéreuse multiplication des gardes forestiers à l’époque
française ; de quarante-trois, on reviendra à une vingtaine, comme sous
l’Ancien Régime. Parmi ceux qu’Andlau nomme le 30 septembre, sept
doivent fonctionner dans le sud, preuve de l’espoir d’y imposer encore
son autorité. Si les noms des gardes indiquent qu’ils ont été plutôt choisis
parmi des gens du cru dans le nord, ce n’est pas le cas pour le sud, ce
qui peut renforcer leur rejet. Les maires de Moutier, de Crémines et
de Court refoulent d’ailleurs ces fonctionnaires. Le rapport du garde
nommé à Court est édifiant. Un propriétaire qui aurait pu le loger « a
déclaré que pour le moment il n’oserait me louer sa maison, me déclarant que
la commune avait déclaré que le premier qui se permettrait de donner asile
ou recèlerait un garde forestier, que sa maison serait démolie sur le champ ».
À cette occasion, le maire de Moutier a affirmé au garde forestier du lieu
que les gens « se croient sous la domination du Canton de Berne et non
dessous celui de M. le baron d’Andlaw ». L’Erguël refuse également15.
   Andlau échoue pareillement dans l’établissement de garde-polices
dans le sud16. Plusieurs témoignages font état d’une situation anarchique,
aggravée par un blocage de la justice, en particulier en Erguël17.

Les régimes passent, les hommes restent… ou presque
   L’analyse du profil du personnel administratif et judiciaire
supérieur montre une forte continuité entre le régime français et le
gouvernement général, voire de l’Ancien Régime à la Restauration18.
Billieux en est l’exemple type. D’une famille au service de l’évêque,
il sait pourtant s’adapter aux circonstances, assumant des charges
militaires pour la République helvétique (1799) puis le nouveau

15
     AAEB, PP 16-10, n° 8 : lettre d’Imer à Billieux, du 8 oct. 1814.
16
     AAEB, PP 2-5.2.
17
     Par exemple AAEB, PP 10-5, n° 603, 8 déc. 1815.
18
     Le phénomène a déjà été constaté par Bandelier 1980 (voir n. 1), p. 369-372.

                                           153
De la crosse à la croix

Canton de Baden19. Revenu à Porrentruy en 1801, il devient membre
du Conseil d’arrondissement et président de l’assemblée électorale
d’arrondissement. Ces petites « taches françaises » ne compromettront
en rien la suite de sa carrière, que ce soit au service des Alliés, de la
Confédération (voir plus bas) ou du Canton de Berne (il sera même le
premier membre jurassien du Petit Conseil, puis bailli de Porrentruy).
    La même permanence vaut pour les administrateurs d’arron­          dis­
sement . À Porrentruy, François Xavier Migy a pour père un conseiller
        20

de l’évêque qui s’est montré un farouche anti-révolutionnaire au
début des années 1790. Sous Napoléon, il devient toutefois avocat et
résigne sa charge pour son fils, qui poursuivra sa carrière sous le régime
bernois comme juge au tribunal du bailliage. À Delémont, Delfils,
camarade d’études d’Andlau au collège de Porrentruy21, puis syndic
des États du pays juste avant la Révolution, émigre avant de revenir
comme avocat sous le Haut-Rhin. Délégué par Andlau au Congrès
de Vienne, il sera ensuite juge à la Cour d’appel de Berne. Quant à
Samuel Imer, bailli d’Erguël sous les princes-évêques, puis membre du
Conseil de régence à Perles lors de la fuite du prince, il est un fidèle
parmi les fidèles à l’ordre d’avant la Révolution. En somme, tous trois
présentent de bons certificats d’Ancien Régime, les deux premiers
ayant su en outre composer avec la France de Napoléon. Quant au
receveur général, Conrad de Grandvillers, il est le fils d’un lieutenant-
colonel du régiment des princes-évêques au service de France, et
le beau-fils de Sigismond Moreau, ancien partisan de l’évêque rallié
à la Révolution, membre du Corps législatif sous Napoléon et futur
membre du Petit Conseil bernois. 1793 et ses jacobins sont oubliés,
les partisans du prince ou les napoléoniens modérés (qui appartiennent
souvent à des familles proches du régime épiscopal) ont trouvé leur
place dans le système d’Andlau. Il en va pareillement pour les tribunaux

19
   Bandelier 1980 (voir n. 1), p. 370, n. 106. Bandelier (p. 546) précise que la
Sammlung Bernischer Biographien « évite soigneusement toute allusion aux fonctions exercées
sous la Révolution et le Premier Empire ».
20
   On trouvera nombre de biographies dans Jorio 1982 (voir n. 4), p. 231-288.
21
   Folletête 1888 (voir n. 12), p. 228.

                                           154
Damien Bregnard

d’arrondissement ; à Porrentruy par exemple, le gouverneur renomme
les juges en place sous le Haut-Rhin, et étoffe le tribunal à cause de sa
nouvelle fonction d’appel ; ce sont toujours les mêmes juges qui siègent
en 1816, mais sous la présidence du grand bailli de Jenner22. Dans le
domaine forestier, François Joseph Stockmar (père de Xavier), garde
général, est maintenu à son poste. Il occupait la même fonction sous
les princes-évêques, puis sous le régime français23.

Francophiles indésirables

    Andlau procède toutefois à quelques épurations, en particulier parmi
les fonctionnaires ou les maires jugés trop francophiles. Le jacobin
Joseph Antoine Rengguer, figure de proue de la Révolution dans
l’Évêché, a pu se replacer comme président du tribunal d’arrondissement
de Delémont. Mais en août 1814, il doit céder le poste à son ennemi
intime Jean-Baptiste Jobin, le contre-révolutionnaire déjà cité24.
Étienne Ignace Hentzinger, secrétaire principal de l’arrondissement de
Porrentruy, est écarté en août par Andlau pour ses idées pro-françaises25.
Après la Déclaration du Congrès de Vienne du 20 mars 1815, les rares
fonctionnaires français quittent le pays. Ainsi, le procureur du tribunal de
Porrentruy, Jean Nicolas Barthélémy, en poste depuis plus de vingt ans,
doit démissionner en juin26. Louis Treffa, dont l’épouse vient de Cernay
et qu’Andlau avait nommé en août 1814 vérificateur de l’Enregistrement
de l’arrondissement de Porrentruy, retourne en France27.

22
   AAEB, 35 U 3, 5 juin 1816.
23
   AAEB, PP 2-5.1, n° 867, 30 sept. 1814.
24
   Brevet de nomination du 7 août 1814 (AAEB, PP 2-2.1, n° 418).
25
   Guélat 1923 (voir n. 7), p. 144, cité par Bandelier 1980 (voir n. 1), p. 372. Voir
aussi AAEB, PP 31, p. 5-6. Hentzinger est remplacé par Jean Népomucène Elsaesser
(AAEB, PP 2-2.1, n° 594), beau-fils de Melchior Delfils. Sous le régime bernois,
Hentzinger retrouvera une place de premier secrétaire du bailliage de Porrentruy.
26
   AAEB, PP 2-2.1, n° 1498, 9 juin 1815. Guélat 1923 (voir n. 7), p. 102.
27
   Nomination : AAEB, PP 2-2.3, n° 575, 27 août 1814. Démission (6 juin) : idem, ad
n° 1523. Guélat 1923 (voir n. 7), p. 102 (8 juin 1815), précise que Treffa est devenu
receveur des Droits réunis à Cernay.

                                        155
De la crosse à la croix

    Mais c’est à l’échelon des mairies que les quelques « ajustements »
d’Andlau produisent le plus d’impression. En août-septembre 1814,
les maires conservateurs Joseph Arnoux (Porrentruy) et Antoine de
Grandvillers (Delémont) remplacent l’imprimeur Joseph Goetschy et
l’industriel François Verdan, jugés trop pro-français ou peu fiables28.
Andlau tempère toutefois la mesure en nommant les deux derniers juges
au tribunal de leur arrondissement29. Le cas du Birseck révèle aussi une
tendance au retour en arrière, mais modérée : dans plusieurs communes,
Andlau réintroduit le maire épiscopal, en conservant les conseillers
communaux ; à Aesch, le maire épiscopal remplace son homologue
français, néanmoins maintenu comme adjoint30. Pour la mairie de
Laufon, deux partis s’affrontent : celui des révolutionnaires de 1792 et
celui des conservateurs qui, grâce à Andlau, retrouvent le pouvoir31. À
La Neuveville, où l’autorité du gouverneur est fortement contestée, il
se montre plus radical et dissout le Conseil provisoire le 7 septembre32.

Des salaires exorbitants ?
   Déjà chez les contemporains, le traitement des dirigeants a fait l’objet
de supputations plus ou moins réalistes : Andlau gagnerait 100 000 francs
français par an, Billieux 1 200 francs par mois33 (dans cet article, les

28
   Arnoux est le beau-fils du conseiller intime de l’évêque, Schumacher ; Grandvillers, le
père du receveur général. Goetschy était le maire de Porrentruy au moment où le Conseil
a envoyé son adresse à Louis XVIII (voir dans le présent livre Rebetez, p. 108) ; Andlau
destituera tout le Conseil par arrêté (PP 2-3.1, n° 593) du 28 août ! Verdan, grand acheteur
de biens nationaux, est un des maires de la vallée de Delémont qui ont demandé en mai
que leurs communes soient rattachées à Bâle (voir dans le présent livre Rebetez, p. 22).
29
   AAEB, PP 77 GF et 35 U 3.
30
   Utz Hans, Eine Fussnote der Geschichte. Französisches und baslerisches Birseck,
1792-1833, Liestal: Verlag des Kantons Basel-Landschaft, 2015, p. 109.
31
   AAEB, PP 2-3.2, n° 3085 (juin 1814) et n° 207 (juillet 1814).
32
   Beuchat 1912 (voir n. 1), p. 39-40.
33
   Guélat 1923 (voir n. 7), p. 86 notamment, repris par Quiquerez Auguste, Histoire
de la réunion de l’ancien Évêché de Bâle au Canton de Berne 1813 à 1818, Delémont :
Boéchat, 1882, p. 24. Ni Guélat ni surtout Quiquerez ne portaient de sympathie à
Andlau (voir dans le présent livre Rebetez, p. 118-119).

                                            156
Damien Bregnard

sommes sont exprimées en francs français34, pour des salaires nets qui
ne comprennent pas les frais de bureau ni de personnel subalterne).
Lorsque Jean Conrad Escher succède à Andlau à la tête de la principauté
(voir plus bas), il ne manque pas de souligner, lui aussi, l’importance du
coût des salaires des fonctionnaires35. En fait, c’est surtout le gouverneur
général qui reçoit un traitement très élevé : 102,19 francs par jour, soit
37 300 francs par an36, équivalent à plus de la moitié de la fortune du
maire de Porrentruy37. À sa décharge, il semble que ce montant n’ait pas
été fixé par lui-même mais par les Alliés38. Andlau empoche en un jour le
salaire mensuel d’un juge au tribunal d’arrondissement (104,16 francs) !39
Il gagne quatre fois plus que Billieux (8 665 francs par an)40, dont le
salaire – très confortable – est identique à celui des commissaires dans les
autres départements. En octobre 1814, près du tiers de la masse salariale
du gouvernement général est absorbé par le gouverneur, son commissaire

34
   1 franc suisse vaut 1,481 franc français (AAEB, PP 39-2), rapport confirmé par
l’ordonnance du 14 mars 1816 qui fixe la contribution des bailliages du Jura « à 125 010 fr.
suisses ancienne valeur (équivalent de 185 200 fr. français) ». L’ordonnance du 14 mars 1816
est citée par Comment Albert, Huber Hans, von Greyerz Hans, Rapport sur l’Acte de
réunion du Jura au Canton de Berne, Delémont : Imprimerie du « Démocrate », 1948, p. 184.
35
   AAEB, PP 10-5, n° 11, 27 août 1815. Sur les salaires élevés de Billieux et des
administrateurs en particulier : PP 10-5, n° 162, 4 sept. 1815.
36
   Chiffres confirmés par deux sources : AAEB, PP 40-1 (« État général des dépenses […]
qui ont été acquittées par M. le baron d’Andlau du 1er juin au 23 août 1815 ») et AAEB,
R Freiburg 3.1-2.
37
   Jean Georges Quiquerez a une fortune de 60 000 francs ou un revenu (à 5 %)
de 3 000 francs (Bandelier 1980 (voir n. 1), p. 366). Pour comparaison, la pension
annuelle d’indemnisation de l’évêque pour la perte de sa principauté n’est « que » de
12 000 florins ; si ce sont bien des florins du Rhin et que nos calculs sont exacts, cela
représenterait 18 000 francs suisses ou 26 666 francs français.
38
   AAEB, R Wien 1.337, lettre à Metternich du 18 mai 1817 (Andlau est vexé qu’on lui
reproche ses appointements, déterminés par von Stein, baron prussien et ministre de la
Russie). Le salaire du gouverneur général vient s’ajouter au traitement qu’il touche encore
du Grand-Duché de Bade et qu’il se plaint de devoir rembourser à fin avril 1815 (R Wien
1.315-316). Un an plus tard, il demande encore à Metternich d’intervenir pour lui faire
toucher 11 000 florins d’appointements retenus par le grand-duc (R Wien 1.338 et 1.483).
39
   Pour les salaires des fonctionnaires et des magistrats, Andlau excepté, nous nous
fondons sur les registres des mandats de paiement (AAEB, PP 31 et PP 32).
40
   Selon un autre document (ArCJ, 77 J 68), Billieux n’aurait reçu « que » 2 872,54 francs
pour les cinq premiers mois de 1814, correspondant à un salaire annuel de 6 894 francs.

                                            157
De la crosse à la croix

et leurs chancelleries41, qu’on peut estimer à une dizaine de personnes.
Quand le gouvernement général se limitera à la principauté, Andlau
touchera le même salaire et gardera Billieux à son service ; on aurait sans
doute pu limiter les coûts. Parmi les économies manquées, signalons que
Delfils, délégué par Andlau à Vienne (et défrayé pour cela), continue
de percevoir son traitement d’administrateur d’arrondissement, fonction
remplie ad interim par le secrétaire principal Helg jusqu’au retour de son
supérieur42. On peut supposer que Billieux touche aussi son salaire de
commissaire pendant qu’il est à Vienne.
    Par an, le receveur général gagne 4 000 francs, plus que les sous-préfets
par intérim (3 000 francs), augmentés de 600 francs en septembre 1814
quand ils deviennent administrateurs. À noter qu’Imer, administrateur
de l’Erguël, est payé depuis septembre jusqu’en janvier 1815, après quoi
il ne perçoit plus de traitement. À la fin de 1815, il réclame près de
4 000 francs à Escher, dont l’administration a beau jeu de répondre :
           « À la vérité, ses fonctions n’ont pas été pénibles : pendant tout le
        temps qu’elles ont duré, la justice, comme l’administration, ont presque
        continuellement chômé dans toute l’étendue de son ressort. »43

   Le président du tribunal d’arrondissement touche 1 875 francs, les
juges 1 250. Les curés et pasteurs ne gagnent que 500 francs44, comme
un garde-police de village, qui cumule sans doute avec d’autres activités.
    À part l’augmentation des administrateurs, les traitements des
fonctionnaires ne varient pas de 1814 à 1815, on peut même assurer
que les membres des tribunaux d’arrondissement avaient le même
salaire dans le département du Haut-Rhin.

41
   AAEB, PP 40-1 et PP 41-2.
42
   AAEB, PP 31 et P 32.
43
   AAEB, PP 10-5, 13 déc. 1815 : « État des sommes dues aux fonctionnaires […] de
l’Erguël et de la prévôté de Moutier-Grandval ».
44
   Cette somme s’accompagne probablement de prestations en nature. Comme sous le
Haut-Rhin, la majorité d’entre eux, les « desservants », gagnent 500 francs, sauf quelques « curés »
ou « pasteurs » dans les localités plus importantes (1 000 francs). La somme de 500 francs
doit être insuffisante puisque l’art. 7 de l’Acte de réunion prévoit un traitement minimal de
800 francs, outre la cure, un jardin et le bois d’affouage mis à disposition par les communes.

                                               158
Damien Bregnard

    Selon l’estimation de Samuel Imer45, un ménage de notable (pasteur),
de quatre personnes et un domestique, a besoin de 100 louis (env.
2 380 francs) pour vivre (en noir sur le graphique), ce qui signifierait que
la très grande majorité des fonctionnaires ont un traitement insuffisant.
Seuls Andlau, Billieux, le receveur général et les administrateurs se
trouvent au-dessus de la barre, au contraire des juges par exemple46.

Salaires annuels des juges et des principaux fonctionnaires ou dirigeants
de la principauté de Porrentruy en 1814-1815, comparés à celui d’un curé
ou d’un pasteur

            Gouverneur général                                                    74,6

          Commissaire général                       17,33

              Receveur général                8

            Administrateur d’arr.             7,2

Salaire nécessaire à un notable          4,76

                 Présid. trib. arr.      3,75
                   Juge trib. arr.      2,5
                                0     10    20 30        40 50 60 70            80
                         Nombre de fois le salaire d’un curé ou pasteur (500 francs)

Une réunion aux cantons différée :
le commissariat fédéral d’Escher
   Si par sa Déclaration du 20 mars 1815 (articles 3 et 4), le Congrès de
Vienne a décidé de réunir la principauté de Porrentruy aux Cantons de
Berne et de Bâle, les Puissances refusent de leur transmettre ce territoire
avant que Berne n’ait adapté sa constitution et que les Actes de réunion

45
  ArCJ, 77 J 36 : « Pensées d’un citoyen… », p. 22, mars 1814.
46
  Dès lors, il est difficile de comprendre pourquoi les salaires des membres du tribunal
de Porrentruy ont été réduits de moitié au début du régime bernois, si l’on en croit
Guélat 1923 (voir n. 7), p. 144.

                                              159
De la crosse à la croix

prévus soient conclus47. Dans l’intervalle, la principauté est administrée
pour le compte de la Suisse par le commissaire Jean Conrad Escher,
ancien bourgmestre de Zurich, nommé par la Diète le 26 juillet. Un
mois plus tard, Andlau lui remet le pays, au nom des Alliés.

Dans la continuité

   Le mandat d’Escher se borne à appliquer les articles 3 et 4
susmentionnés et à favoriser le transfert aux cantons dans les
meilleures conditions48. Il installe son siège à Delémont49,
géographiquement plus centrée qu’Arlesheim. Pour mener à bien
sa mission, il s’entoure des spécialistes bernois de la région qui y
ont déjà mené des enquêtes discrètes au printemps50 : Amédée de
Jenner est nommé conseiller financier51, Rodolphe May de Rued52
administrateur de l’Erguël et de la prévôté de Moutier-Grandval53.
Conscient du caractère bref et provisoire de son administration,

47
   Voir dans le présent livre Rebetez, p. 14.
48
   Rebetez Jean-Claude, « Staaten sind vergänglich. Das Verschwinden des
Fürstbistums Basel zwischen dem Ende des Ancien Régime und der Vereinigung mit
dem Kanton Bern », in Kaestli Tobias (éd.), Nach Napoleon. Die Restauration, der
Wiener Kongress und die Zukunft der Schweiz 1813-1815, Baden: Hier und Jetzt, 2016,
p. 128.
49
   Dans la maison capitulaire de Moutier-Grandval, face à l’hôtel de ville, au coin
de la Place de la Liberté et de la Rue du 23-Juin. Sous Andlau, elle était occupée par
l’administrateur de l’arrondissement (AAEB, PP 36-3, 10/16 nov. et 2 déc. 1815) et
auparavant par l’administration française. Dès le début du régime bernois, elle constitue
le siège du secrétaire du bailli de Delémont (voir l’article de Jean-Louis Rais dans ASJE
2014, p. 175-184).
50
   Comment 1948 (voir n. 34), p. 54-55.
51
   Jenner-Pigott Eugen (éd.), Gottlieb von Jenner (1765-1834). Denkwürdigkeiten
meines Lebens, Berne: K. J. Wyss, 1887, p. 245.
52
   Charles Frédéric Rodolphe May de Rued (1768-1846), à ne pas confondre avec
Albrecht Friedrich May, de Schadau (1773-1853), un des signataires de l’Acte de réunion
au Canton de Berne, bailli de Courtelary (1816-1823). Voir Kamber Franz, Widmer-
Dean Markus (éd.), Haus-Cronik. Meinen Kindern und Nachkommen gewidmet durch
Carl Friedrich Rudolf May von Rued (1768-1846), Schöftland: F. Kamber, 2001.
53
   AAEB, PP 10-5, nomination du 18 oct. 1815.

                                          160
Damien Bregnard

Escher s’inscrit dans la continuité du gouvernement général :
Billieux est nommé lieutenant du commissariat le 27 août54. Escher
reprend la structure et le personnel de l’administration en place,
sans modifier les salaires55. La législation française, maintenue par
Andlau, est prorogée56.

Rétablir l’autorité dans le sud de la principauté

    La tâche majeure du commissaire consiste à reprendre en mains la
partie sud de la principauté. Dans les arrondissements de Porrentruy
et de Delémont, Escher maintient les administrateurs d’Andlau. En
revanche, Samuel Imer, administrateur de l’Erguël, La Neuveville et
la Montagne de Diesse depuis août 1814, est assez vite remplacé57. Le
choix de May de Rued58 pour lui succéder n’est pas anodin. D’une
famille patricienne argovienne et bourgeoise de Berne, bailli de Nidau,
il a été nommé par la Diète, en mars 1815, commissaire civil dans
cette région59. Parcourant le pays, il a envoyé des rapports au Conseil
secret de Berne ; en prévôté et en Erguël, il a « recueilli les matériaux

54
    AAEB, PP 10-5, n° 11. Le 29 août (n° 2/11), Billieux remercie Escher, l’assurant de
son fidèle attachement à la Suisse.
55
    AAEB, PP 32. Un bel exemple de permanence : François Ignace Helg, premier juge
au tribunal civil de Delémont, déjà en place sous Napoléon puis Andlau, poursuit sa
carrière au même poste sous Escher (AAEB, 28 U 19/9, n° 2421, 2 oct. 1815) ; le siège
du tribunal est l’hôtel de ville (voir aussi AAEB, PP 8-2, n° 82 du 19 déc. 1815).
56
    Proclamation du 23 août 1815 (AAEB, PP 77 GF).
57
    AAEB, PP 10-5, dossier n° 321, n° 12, 19 octobre. Imer a écrit être « prêt à faire place »
dans une lettre du 22 septembre (PP 8-4, in n° 46, 22 octobre). Perçu par les habitants
comme proche d’Andlau, Imer aurait eu de la peine à imposer l’autorité de la Suisse dans
le sud.
58
    AAEB, PP 10-5, dossier n° 321, n° 1, 18 oct. 1815, p. 1.
59
    Folletête 1888 (voir n. 12), p. 334. EA Rep. II/1, p. 159, lettre f. Sa fonction de
commissaire civil s’achève à fin juillet, quand se dessine la remise du pays à la Suisse
(EA Rep. II/1, p. 164, lettre v). Sa position de fonctionnaire bernois au service de la
Suisse l’amène à servir des intérêts parfois divergents, mais il exprime son choix dans sa
Haus-Cronik (voir n. 52), p. 127 : il a reçu l’instruction particulière du Conseil secret de
ne jamais employer les troupes bernoises pour exécuter les exigences d’Andlau, même si
des ordres contraires arrivent de Zurich.

                                             161
De la crosse à la croix

pour la prochaine organisation provisoire du pays »60, dès avril. C’est donc
un connaisseur du terrain qu’Escher engage à l’automne 1815, qui a
déjà établi, en mai, pour la Commission diplomatique de la Diète,
un projet d’organisation de la partie helvétique de la principauté61.
Au contraire du colonel Finsler62, chef de la Commission militaire
fédérale, May tient absolument à intégrer Bienne, qui dispose pourtant
d’un gouvernement provisoire depuis plusieurs mois.
   Le 18 octobre à Delémont, Escher, Jenner et May de Rued
tiennent une séance qui jette les bases de l’organisation du sud
de la principauté. Ils se fondent sur le « Projet d’une organisation
provisoire pour la Prévôté, l’Erguël et Bienne » soumis le 13 septembre
à l’approbation de Zurich, canton directeur63 – texte qu’ils
amendent dans le sens du décret de la Commission diplomatique
du 18 mai (hésitante, la Commission a décidé de ne rien changer
au statut provisoirement autonome de Bienne64, au grand dépit de
May65).
   On reprend les subdivisions géo-administratives françaises,
mais en en évitant le vocabulaire (art. 1) : le sud est divisé en trois
districts, correspondant à peu de chose près aux anciens cantons
de communes : Courtelary (Haut-Erguël et Tramelan) ; Bas-Erguël
(Bas-Erguël, Orvin, La Neuveville, Montagne de Diesse66) ; Moutier
(prévôté de Moutier-Grandval Sur- et Sous-les-Roches, et courtine
de Bellelay67). À part Moutier, ces espaces diffèrent de ceux que
Berne définira en 1816 et qui s’inspirent, avec quelques différences,

60
   Rapport du 10 avril 1815, cité par Folletête 1888 (voir n. 12), p. 348.
61
   Folletête 1888 (voir n. 12), p. 379-380.
62
   Folletête 1888 (voir n. 12), p. 378-379.
63
   AAEB, PP 10-5, dossier n° 321, contenant notamment des notes sur la séance du
18 octobre (n° 1) et le projet soumis à Zurich (n° 2).
64
   EA Rep. II/1, p. 160, lettre l, point 3.
65
   Folletête 1888 (voir n. 12), p. 387.
66
   Correspond à l’ancien canton de Bienne, amputé de la mairie de Bienne.
67
   Sous le Haut-Rhin et le gouvernement général, la prévôté Sous-les-Roches, catholique,
se trouvait dans le canton de Delémont ; la courtine appartenait au canton de Saignelégier
(arrondissement de Porrentruy du Haut-Rhin).

                                           162
Damien Bregnard

des frontières d’Ancien Régime68. Chaque district aura un juge de
paix (comme dans les cantons de communes sous le régime français)
et un tribunal de première instance, les appels se rendant à Delémont
(art. 2 et 3), alors que le projet de mai plaçait le tribunal d’appel
à Bienne69. En matière criminelle, c’est le tribunal de Delémont
qui confirmera ou modifiera la sentence rendue par les tribunaux
de première instance (art. 4). Ainsi, le pouvoir judiciaire supérieur
échappe au sud de la principauté. Au niveau administratif, les maires
des communes continueront d’exercer leurs fonctions comme avant,
l’administrateur leur transmettant les ordres de l’autorité supérieure
(art. 5), à la manière d’un sous-préfet.
    Dans la même séance, Escher nomme les juges de paix et ceux
des tribunaux de première instance70. On identifie plusieurs noms
déjà rencontrés sous le(s) régime(s) précédent(s) : les juges de paix de
Courtelary et de Moutier restent David Louis Belrichard, en poste
depuis 180271, et Jacob Gobat, en fonction depuis 1808. Outre la
continuité d’un régime à l’autre, les décisions du 18 octobre révèlent
aussi des aspects intéressants de la désagrégation de l’autorité dans les
communes : certaines d’entre elles n’ayant plus de maire ou manquant
de conseillers par rapport à l’époque française, l’administrateur en
proposera à Escher. La non-reconnaissance des « maires de paroisse »
laisse à penser que les habitants avaient repris des structures du temps
des princes-évêques comme les mairies ou paroisses (circonscriptions
administratives et judiciaires)72.

68
    Voir dans le présent livre Kaestli, p. 207.
69
    Le souci de May de faciliter la transition avec le futur canton transparaissait déjà dans
ses observations sur le premier projet, selon lequel l’organisation judiciaire prévue « a pour
elle l’avantage qu’elle se rapproche de celle du Canton de Berne » (observations transmises
par Finsler à la Commission diplomatique le 11 mai, éditées dans Folletête 1888 (voir
n. 12), p. 380-384, ici p. 382).
70
    AAEB, PP 10-5, dossier n° 321, n° 1’, 8 et 10.
71
    AAEB, 9 U 31. Sous Andlau, il était lieutenant de l’administrateur Imer pour
l’Erguël.
72
    De pareilles tentatives de retour à l’ancien système d’organisation communale sont
signalées en prévôté par Gigandet Cyrille, Les journaux particuliers des bourgeois de
Malleray au xixe siècle, [Neuchâtel] : [Université], 1981, p. 22-23.

                                             163
De la crosse à la croix

    May de Rued installe ensuite les juges et les fonctionnaires des
districts de Moutier et de Courtelary, mais l’opposition est forte à
La Neuveville, déçue de n’être pas chef-lieu du Bas-Erguël et d’être
privée du tribunal de première instance, placé à Perles ; finalement,
Escher cède le 2 novembre73. Le travail de May dans ce district est
encore ralenti par la désorganisation du système postal74. Bienne fait
des difficultés à remettre au tribunal du Bas-Erguël les papiers de
l’ancienne justice de paix de son canton75.

De mauvais contribuables

   Escher est confronté à la question – qui traverse les époques –
des impôts en retard. Au 21 avril 1815, les perceptions de la partie
sud n’ont versé que 14 % des contributions directes de l’année…
précédente76. Entendant recouvrer l’arriéré avant la remise du pays, le
commissaire écrit en ce sens à l’administrateur de l’Erguël, au maire
de Moutier et au Magistrat de Bienne, leur enjoignant de collaborer
avec le receveur général de Grandvillers77. Dans le nord comme dans
le sud, il ordonne aux trois administrateurs de faire afficher dans
les communes que les contribuables en retard ont quinze jours
pour s’acquitter de leurs contributions « à peine d’y être contraints ».
Il autorise par exemple le receveur général à charger le percepteur
d’Arlesheim d’envoyer des garnisaires chez les retardataires, « en
commençant par les plus imposés »78. Certaines communes obtiennent
toutefois des remises partielles79.

73
   AAEB, PP 10-5, n° 394, 414, 421.
74
   AAEB, PP 10-5, sans numéro (15 nov. 1815).
75
   AAEB, PP 10-5, n° 571 (29 nov. 1815).
76
   AAEB, PP 39-2, tableau litt. B (19 112 francs payés sur un total de 134 826).
77
   AAEB, PP 10-5, 19 sept. 1815.
78
   AAEB, PP 35, 7 sept. et 10 oct. 1815.
79
   Par exemple Damvant et Réclère, pillées par les partisans français en juin (AAEB, PP
55-5 et PP 61-3), ou Glovelier, qui a entretenu un lourd contingent de troupes suisses
d’avril à juillet (PP 8-4, n° 225).

                                         164
Damien Bregnard

   Escher peut compter sur l’aide de Jenner, qui incite May à faire
pression sur les maires80. Des résultats tangibles sont obtenus
dès octobre, en particulier dans le sud. Alors que, de janvier à
septembre, la moyenne mensuelle des contributions directes versées
par la principauté était de 17 421 francs (seul le nord payait), le
montant atteint 62 360 francs en octobre, soit près de quatre fois
plus81. En retard, le sud ne peut pas payer les contributions de
1815, il rembourse celles de 1814, versant dans la première décade
de novembre trois fois plus de contributions directes que le nord
(17 700 francs, contre 5 800). L’effort de rattrapage est considérable,
mais les remboursements pourront s’étaler de septembre à
février 181682. Dans les faits, les remboursements se poursuivront
plus tard83. Au final, le sud se sera acquitté de plus de 70 % des
contributions directes de 181584 – c’est aussi dire que près de 30 %
resteront impayées.

Bilan du commissariat fédéral
   Escher a atteint son objectif principal : préparer l’intégration de la
principauté au Canton de Berne. En quatre mois, il n’a pas cherché à
innover, ni dans le personnel dirigeant, ni dans les cadres géographiques
administratifs, qui seront d’ailleurs profondément remaniés par Berne
en 1816.
   Le besoin d’imposer un cadre administratif et judiciaire dans le sud
explique sans doute pourquoi Escher a mis tant d’énergie à réorganiser
le pays pour une si courte période. Dans les districts de Courtelary
et de Moutier, il est parvenu à mettre en place l’administration et

80
   AAEB, PP 8-4, n° 123/474. Exemple de la perception de Saint-Imier : le 10 novembre,
Jenner informe le commissaire que le receveur vient de verser 1 700 francs.
81
   AAEB, PP 24 et 26.
82
   Proposition de Jenner acceptée par Escher le 17 sept. 1815 (AAEB, PP 8-4, n° 46).
83
   AAEB, PP 39-5, n° 76 : le percepteur de Lajoux verse encore à la recette à fin
juillet 1816.
84
   95 976 francs sur 134 825 (AAEB, PP 39-5).

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De la crosse à la croix

la justice. En revanche, les résultats ont été plus lents et mitigés en
Bas-Erguël (en particulier à La Neuveville), où il a rencontré une
solide opposition, peut-être encouragée par Bienne. L’action d’Escher,
épaulé par le conseiller financier bernois Jenner, a été efficace dans le
recouvrement des contributions en retard. Par la suite, les nouveaux
contribuables bernois paieront environ un tiers de moins d’impôts
directs qu’à la fin du régime français85. Le poids des contributions de
l’époque française – puis de celles du régime d’Andlau86 –, tant décrié
par les contemporains et devenu un facteur majeur d’impopularité et
d’opposition, apparaît ainsi flagrant au regard de la fiscalité bernoise de
la Restauration.

Zusammenfassung

Die provisorische Verwaltung des Fürstentums Pruntrut
1814–1815: Organisation, Abläufe, Widerstände

    Nicht mehr zu Frankreich, aber auch noch nicht zur Schweiz gehörend,
wurde das Fürstentum Pruntrut ab Januar 1814 im Namen der Alliierten
verwaltet. In der Beamtenschaft nahmen wieder vor allem Angehörige der Elite
des Ancien Régime Einsitz. Der Freiherr von Andlau, einer alten Adelsfamilie
des Birsecks entstammend, wurde von Österreich zum Generalgouverneur der
Freigrafschaft, der Vogesen und des Fürstentums ernannt. Er wählte seinen
Sitz in Vesoul und berief gleichzeitig seinen Schwager Billieux als Kommissar
in Pruntrut. Seit dem Pariser Frieden vom 30. Mai 1814 beschränkte sich
das Generalgouvernement auf das Fürstentum Pruntrut, und Andlau liess
sich in Arlesheim nieder. In der Struktur, aber auch im Verwaltungs- und

85
   Impôts directs français en 1813 (contributions foncière, personnelle et mobilière ;
portes et fenêtres, patentes : 390 000 francs (AAEB, PP 41-2) ; sans compter les
impôts indirects (361 000 francs). Impôt foncier de 1816 à 1819 : 185 200 francs (ou
125 010 francs suisses ancienne valeur), plus les centimes additionnels (59 260 francs ou
40 000 francs suisses) ; idem, depuis 1820 : 249 000 francs (Comment 1948 (voir n. 34),
p. 184).
86
   Andlau reprend le système des contributions françaises, avec quelques allègements
assez peu importants : suppression des droits réunis (sur les boissons), division par deux
des droits de patente (AAEB, PP 37-3).

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Damien Bregnard

Justizpersonal war die französische Herrschaft weiterhin erkennbar. Die beiden
oberrheinischen Arrondissements Delsberg und Pruntrut blieben erhalten,
wurden aber interimistisch von Unterpräfekten, dann von Administratoren
geleitet, welche die Fürstenherrschaft verteidigten oder gemässigte Anhänger
des napoleonischen Regimes waren. Die bestehenden Gerichte setzten ihre
Arbeit fort, indem sie weiterhin die französische Gesetzgebung anwendeten.
Die Magistraten und Stadtmeier, die als zu frankophil galten (Rengguer, ein
Revolutionär von 1793; die Stadtmeier von Pruntrut und Delsberg), wurden
hingegen ersetzt.
    Dank der Präsenz österreichischer Truppen im Norden des Fürstentums
gelang es Andlau, seine Macht durchzusetzen. Der südliche Teil jedoch
erreichte, als schweizerisch anerkannt zu werden (zwischen Januar und
Mai 1814), sodass er sich den Requirierungen durch die alliierten Truppen
und den vom Gouverneur geforderten Kontributionen entziehen konnte.
In der Folge erhob er sich gegen das Gouvernement, weshalb weder die
Beamten noch die Magistraten, die Andlau im Sommer ernannt hatte, vom
Administrator Imer eingesetzt werden konnten. Das Gerücht, wonach sich die
hohen Beamten überrissene Gehälter auszahlen liessen, bestätigte sich zwar
für Andlau sowie in minderem Umfang für Billieux und die Arrondissement-
Verwalter. Auf die Mehrheit der Angestellten aber traf es nicht zu, denn ihre
Besoldung blieb unverändert und folgte den unter französischem Regime
geltenden Vorgaben.
    Da die alliierten Mächte von Bern eine Verfassungsänderung verlangten,
bevor es die ihm vom Wiener Kongress am 20. März 1815 zugesprochenen
Territorien erhielt, wurde das Fürstentum ab August vom Zürcher General-
Kommissar Escher in Namen der Schweiz verwaltet. Sein Auftrag war, die
Eingliederung in die Kantone Basel und vor allem Bern zu erleichtern. Dazu
wählte er hohe Beamte aus Bern (z.B. Jenner, Finanzberater, und May von
Rued, Administrator und Nachfolger von Imer), die das Fürstentum bereits
aus ihren Untersuchungen vom vergangenen Frühling gut kannten. Das
seit mehreren Monaten selbstverwaltete Biel entging dem eidgenössischen
Kommissariat (die Tagsatzung war ohnehin gegen eine Eingliederung der
Stadt). In den übrigen Gebieten des südlichen Fürstentums schaffte es
Escher, Verwaltung und Justiz neu zu organisieren, trotz eines gewissen
Widerstands aus Neuenstadt, das eine Zeit lang kein erstinstanzliches
Gericht mehr hatte. Da der Zeitraum sehr kurz war – die Übergabe an die
beiden Kantone sollte im Dezember stattfinden –, modifizierte Escher die

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