Des terres à protéger du soleil - Agrivoltaïsme DOSSIER - cède les jachères à l'agriculture productiviste
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N° 384 – juin 2022 – 6 € – ISSN 09834-9181 DOSSIER Agrivoltaïsme Des terres à protéger du soleil La Commission européenne cède les jachères à l’agriculture productiviste
Vie syndicale p.4 AG et table ronde, élections législatives Dossier et mégabassines Agrivoltaïsme p.5 Se former politiquement et s’organiser pour la suite Des terres à protéger du soleil p.6 Les maux de la faim Actualité p.7 Stop à l’usine à poules de Lescout ! p.8 La sécurité sanitaire des aliments en danger p.9 Le lait bio sous tension p.10 La Commission européenne cède les jachères à l’agriculture productiviste p.11 La CR lève le voile Ami·e·s de la Conf’ p.13 Un pressoir mobile pour valoriser des variétés fruitières anciennes Le Samson du mois Internationales p.14 Près de Genève, sauver les terres des Cherpines p.15 Les mensonges des protéines cultivées en laboratoire Agriculture paysanne p.16 Loir-et-Cher Les bons fruits du Bel Air p.17 Pays basque « Je voulais produire ce que j’aime consommer » Initiative p.18 Deux-Sèvres Pâti’Bar à la ferme p.19 Culture Marie Gazeau Une vie près de la terre Éric Chaumillon, Mathieu Duméry et Guillaume Bouzard La mer contre-attaque Abonnement p.22 p.22 Petites annonces La Conf’ en action p.24 Charivari pour les terres de Pertuis Les textes publiés dans Campagnes solidaires peuvent être reproduits avec indication d’origine à l’exception de ceux de la rubrique Point de vue qui sont de la responsabilité de leurs auteurs et pour lesquels un accord préalable est requis. 2 Campagnes solidaires N° 384 – juin 2022 Campagnes solidaires est imprimé sur du papier recyclé
On l’ouvre Nourrir le monde Jusqu’à présent, l’agriculture pro- à des questions d’accessibilité aux ductiviste n’a pas permis d’éradiquer aliments que d’offre alimentaire insuf- la précarité et les crises alimentaires. fisante), les propositions pour remé- Elle a aussi des conséquences né- dier à cette crise, brandie comme une fastes pour les paysan·nes (manque menace, ne se sont pas fait attendre. de revenu, conditions de travail dé- L’une des plus caricaturales est celle gradées, perte de sens du métier…), du patron de Syngenta, multinationale l’environnement et les consommateurs agrochimique, qui a appelé à abandon- et consommatrices. Malgré tout, elle ner l’agriculture biologique (1). D’après reste LA norme. Toujours soutenue fi- lui, « la bio nuit au climat et favorise nancièrement et politiquement, et bien la consommation de terres » car elle accompagnée par les filières et les nécessiterait un labour important, pra- Laurence Marandola, marchés dérégulés, il semble qu’elle tique émettrice de CO2, ainsi que de paysanne en Ariège, puisse continuer de produire plus à plus grandes surfaces. Cette affirma- secrétaire nationale l’infini, ce qui n’est aucunement le cas. tion est mise à mal par de nombreuses Face aux aléas climatiques et aux études qui montrent que l’agriculture dépendances colossales (aux éner- sans pesticides pourrait vraiment nour- gies fossiles, engrais, aliments pour rir le monde. À l’inverse, l’agriculture animaux…), le produire plus rencontre conventionnelle, à grand renfort d’in- V oici un mois de juin qui rime avec sécheresse pour certain·es, avec élections législatives pour tous les ter- de réelles limites, même avec les nou- velles et insistantes propositions d’al- lègements de règles (de l’utilisation de trants et d’engrais azotés, met en péril le climat. Mais les attaques les plus violentes ritoires français, mais aussi avec les jachères à celle des OGM). sont peut-être celles que nous enten- incessantes attaques contre l’agricul- Les expert·es de l’Institut du déve- dons au quotidien, relayées par les ture paysanne partout dans le monde. loppement durable et des relations médias et certains politiques pour (1) Entretien au Les promoteurs de l’agriculture in- internationales (Iddri) affirment : « Ce qui l’agriculture paysanne est pas- journal suisse NZZ, dustrielle ne désarment pas : une agri- ne sont pas les réglementations en- sée d’une alternative sympathique 8 mai. culture plus écologique ne produirait vironnementales qui limitent les ren- à un système de production dange- pas assez pour « nourrir le monde ». dements, mais bien les chocs clima- reux parce qu’il ne pourrait pas nourrir La guerre en Ukraine est instrumen- tiques, la perte de pollinisateurs ou le monde ! talisée pour faire suspendre certaines encore la dégradation des sols. » Alors une fois encore, nous réaf- mesures liées au respect de l’environ- Cela implique de repenser totale- firmons que l’agriculture industrielle nement en agriculture, positions plutôt ment les politiques agricoles actuelles, n’a pas vaincu la faim dans le monde cyniques et aux effets davantage idéo- à commencer par la Pac dont la nou- jusqu’à présent et qu’accélérer dans logiques que réellement productifs. velle déclinaison du plan stratégique cette même voie ne le permettra pas Quotidiennement, on entend la ques- national (PSN) français est en pleine non plus dans le futur. En revanche, tion : peut-on satisfaire les besoins négociation à l’heure d’écrire ces l’agriculture paysanne peut sans au- alimentaires avec l’agriculture pay- lignes. Mais ce PSN sera malheureu- cun doute jouer un rôle majeur dans les sanne et/ou l’agroécologie ? Avec une sement vraiment trop peu ambitieux défis que nous affrontons aux niveaux réponse qui semble une évidence… pour répondre aux enjeux climatiques, climatique et alimentaire. Pour cela, les Mais on pourrait aussi renverser la environnementaux et alimentaires. soutiens et politiques adaptées pour question : peut-on satisfaire les be- Malgré les impasses du produire accompagner les paysan·nes, plutôt soins alimentaires en continuant avec plus et une vision erronée de la crise que les attaques incessantes, sont l’agriculture industrielle ? alimentaire mondiale (due davantage indispensables. n Mensuel édité par Abonnements : 01 43 62 82 82 Comité de publication : Dessins : Samson et Rodho l’association Média Pays abocs@confederationpaysanne.fr Andréa Blanchin, Céline Berthier, Maquette : Julia Klag et Pierre Rauzy 104, rue Robespierre Directeur de la publication : Christian Boisgontier, Michel Curade, Impression : Chevillon 93170 Bagnolet Nicolas Girod Marc Dhenin, Florine Hamelin, 26, boulevard Kennedy Tél. : 01 43 62 82 82 – fax : 01 43 62 80 03 Rédaction : Véronique Léon, Jean-Claude BP 136 – 89101 Sens Cedex campsol@confederationpaysanne.fr Benoît Ducasse Moreau, Michèle Roux, Geneviève CPPAP n° 1126 G 88580 confederationpaysanne.fr et Sophie Chapelle Savigny N° 384 – juin 2022 facebook.com/confederationpaysanne Secrétariat de rédaction : Diffusion : Anne Burth Dépôt légal : à parution Twitter : @ConfPaysanne Benoît Ducasse et Jean-Pierre Edin Bouclage : 25 mai 2022 Campagnes solidaires N° 384 – juin 2022 3
Vie syndicale AG et table ronde La Confédération paysanne a tenu À la table ronde participaient Phi- tout le monde s’accorde à vouloir son assemblée générale les 4 et 5 mai, lippe Martinez, secrétaire général – et devoir – construire collective- à Paris. L’AG est une étape statutaire de la CGT, Murielle Guilbert, co-dé- ment un autre modèle de société. entre deux congrès bisannuels. léguée générale de Solidaires, Entendu parmi les propos tenus : (1) La plus Le second jour s’est tenue une table Jean-François Julliard, directeur « sortir de son couloir », « élargir récente étant ronde du collectif Plus Jamais ça, fon- général de Greenpeace France, nos audiences », « échanger ex- l’appel commun dé en 2020 par quatre syndicats (CGT, Elyne Etienne, chargée de mis- pertises et pratiques », « trouver de à participer aux FSU, Solidaires et la Confédération sion « agriculture » des Amis de la nouvelles façons de s’adresser au manifestations paysanne) et quatre ONG (Green- Terre, et Nicolas Girod, porte-pa- public, de nouvelles façons de faire » du 1er mai, « pour défendre nos peace, Oxfam, Attac et les Amis de la role national de la Confédération pour « conjuguer droits sociaux et droits et rappeler Terre). L’occasion de faire le point sur paysanne. combats écolos ». Un travail « éner- l’urgence de cette dynamique, les actions (1) et les Sans nier les divergences pouvant gisant », en conclusion d’une des construire un publications communes (2). exister entre les uns et les autres, participantes. n monde socialement et écologiquement juste ». (2) Dont Propositions pour un plan de rupture et Pas d’emploi sur une planète morte, à lire et télécharger sur : plus-jamais.org Élections législatives (communiqué Lors de la campagne présiden- quinquennat d’Emmanuel Macron tives de juin, à la démarche de large de presse du 12/5) tielle, la Confédération paysanne rendra les paysan.nes encore plus rassemblement de la gauche au sein avait appelé à rompre avec les po- dépendant·es de l’agro-industrie. de la Nouvelle Union Populaire Eco- litiques libérales qui font disparaître Au vu de la situation exception- logique et Sociale (NUPES), la plus et s’appauvrir les paysan·nes depuis nelle – urgence agricole et alimen- à même d’offrir des perspectives de des décennies. Le triptyque « robo- taire, climatique, démocratique et nouveaux droits sociaux et paysans tique-numérique-génétique » qui se- sociale – le syndicat apporte son et de mettre en œuvre la transition ra la boussole agricole du nouveau soutien, pour les élections légista- agroécologique. n Vers la fin des mégabassines ! Une procédure judiciaire avait En parallèle, cette bassine de Cram- été lancée contre le porte-parole Chaban et les quatre autres du bassin de la Confédération paysanne, du Mignon ont une nouvelle fois été suite à la plainte de Thierry Bou- jugées illégales par la cour administra- ret (1), bénéficiaire de la bassine de Cram-Chaban (Charente-Maritime), tive d’appel de Bordeaux. Le 17 mai, la cour a annulé l’arrêté préfectoral (1) Mégabassines : l’agri-manager La Conf’ a dit contre laquelle la Confédération d’autorisation de création de ces cinq qui s’accapare paysanne avait manifesté le 6 no- bassines. Elle a estimé que les élé- un million de m3 Tous les communiqués de vembre. Bien que le vol d’un mor- ments complémentaires apportés par d’eau : urlz.fr/ijMN presse publiés nationale- ceau de pompe ait été qualifié, Ni- leurs promoteurs étaient toujours dé- ment par la Confédération colas Girod a été dispensé de peine faillants pour assurer que ces bassines paysanne sont à lire sur le et le préjudice moral a été ramené avaient un impact limité sur le milieu. site : à l’euro symbolique. Ce démontage Ces deux décisions légitiment les confederationpaysanne.fr est donc bien reconnu comme une actions syndicales contre ces mé- (rubrique : Presse) action syndicale légitime. gabassines. n 4 Campagnes solidaires N° 384 – juin 2022
Se former politiquement et s’organiser pour la suite Après la Haute-Vienne en 2020, puis le Pays basque en 2021, une nouvelle rencontre nationale des groupes « jeunes » de la Confédération paysanne s’est déroulée les 18, 19 et 20 mars, en Alsace. Notre point de départ a été l’envie Ces espaces inclusifs et émanci- Paloma têtes l’objectif d’un groupe « jeunes » d’affiner notre rôle et de continuer pateurs permettent d’intégrer à notre Cuevas, Amélie par département. Pour faciliter l’émer- à nous définir collectivement. Les rythme la vie syndicale. Ce sont des Ségard et Samuel gence de nouvelles dynamiques, nous groupes « jeunes » de la Confédération lieux privilégiés de recrutement. En Bodin avons créé un groupe de suivi national paysanne ont essaimé ces dernières ce sens, les groupes « jeunes » nous se réunissant par téléphone une fois années dans plusieurs départements. semblent être un moyen de se saisir par mois. Nous travaillons la commu- Parmi les participant·es à la rencontre du renouvellement futur de nos respon- nication, notre organisation interne et en Alsace, nous retrouvions une grande sables locaux. Il en va de la vie de notre externe afin d’accroître notre visibilité. diversité de situations : des installé·es organisation, et donc de la défense des Cet article y contribuera et, nous l’es- récemment, mais aussi de nombreux paysannes et des paysans. pérons, sera le premier d’une longue porteurs et porteuses de projets, non Pendant ces deux jours, nous avons série. encore adhérent·es du syndicat par dé- travaillé sur nos stratégies de lutte et sur Au sein du groupe « jeunes » national finition. Certain·es se sont déplacé·es la place de la radicalité dans le syndicat, s’est imposée naturellement la volonté en tant que représentant·es de groupes en lien direct avec le vote du dernier de poursuivre la formation syndicale et déjà constitués, d’autres seul·es mais congrès (1) et les débats au comité na- politique dans les groupes déjà exis- avec la volonté de monter un groupe tional. Le groupe « jeunes » national (1) À Velanes tants, pour acquérir des outils de lutte, dans leur département. avait, en février, porté un texte sur le (Isère), en juin 2021 s’approprier le plaidoyer et contribuer Parmi les actions des groupes exis- sujet, avec comme objectif de faire avan- aux débats qui animent le syndicat. tants, la mise en place de temps convi- cer ces questions qui bousculent nos Pour cela, il n’y a pas mille solutions : viaux réguliers, hors du champ politique imaginaires et nos cultures politiques. nous avons besoin de nous réunir, de institutionnel, est très appréciée. Tout Nous avons discuté de la nécessaire nous former ensemble et de continuer comme l’organisation d’actions directes évolution de nos modalités d’action et de nous rencontrer dans la réflexion, symboliques, pour donner du sens à de nos partenaires de lutte face aux mais aussi dans l’action. Si tu es in- l’implication collective et concrétiser la urgences auxquelles fait face notre gé- téressé·e pour rencontrer les jeunes définition du modèle agricole et social nération. Avec l’envie, notamment, de paysan·nes de ton territoire et te former qui nous rassemble. C’est aussi ré- se saisir des interrogations nouvelles à la dynamique syndicale, les groupes apprendre ensemble le syndicalisme qu’apportent sur la table paysanne les « jeunes » sont là pour ça ! Pour savoir comme moyen de lutte pour sortir des alliances syndicales et citoyennes. si un groupe existe dans ton départe- postures individualistes dans lequel le À l’issue de ces journées intenses, ment, t’en rapprocher ou en créer un, système capitaliste essaye de nous notre priorité est de poursuivre l’essai- nous contacter : enfermer. mage sur les territoires, avec dans nos jeunes@confederationpaysanne.fr n Installation Reconnaissance des structures alternatives d’accompagnement Le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des es- Les financements du programme pour l’accompagnement à l’installa- paces ruraux (CGAAER) a rendu en avril son rapport d’évaluation tion et la transmission en agriculture (AITA) doivent aussi être mieux du fonctionnement des structures chargées de la préparation à répartis en faveur des structures locales (Adear) qui accompagnent l’installation agricole. Ce rapport salue l’importance des structures près d’un tiers des futur·es installé·es chaque année. dites alternatives d’accompagnement à la création d’activité. Ces Il est également nécessaire d’assurer à ces structures de pouvoir structures – dont la Fédération associative pour le développement travailler sereinement à l’amélioration continue de leurs accompa- de l’emploi agricole et rural (Fadear) (1) – sont enfin pleinement gnements. Pour cela, le montant du Compte d’affectation spécial reconnues pour leurs compétences et leur professionnalisme. au développement agricole et rural (CasDAR), de 130 000 euros Leur travail est bien adapté à l’évolution sociologique des porteuses par an alloué à la Fadear, est largement insuffisant. et porteurs de projets d’installation agricole. Mais il faut désormais que Sans oublier que la dotation jeune agriculteur (DJA) ne finance les soutiens financiers publics à ces structures soient à la hauteur des qu’un tiers des installations et que ce soutien doit être repensé. enjeux : la baisse de ces aides, année après année, est inadmissible (communiqué du 28/3) alors qu’une ferme sur deux ne trouve pas repreneur ou repreneuse. (1) agriculturepaysanne.org Campagnes solidaires N° 384 – juin 2022 5
Vie syndicale Bifurquer C’était le 30 avril, lors de la remise des diplômes à l’école Agro Paris Tech. Huit étudiant·es y ont fait part de leur évalua- tion très mordante du monde vers lequel leur formation d’ingénieur·e agronome voulait les emmener. Défiant l’autosatis- faction de l’école qui assure former les « talents d’une planète soutenable », ils et elles entendent bifurquer. Pourquoi bifurquer ? Entre autres parce qu’il n’y a pas « besoin de toutes les agricultures » puisque « l’agro-in- dustrie mène une guerre au vivant et Les maux de la faim à la paysannerie sur toute la terre. » L’école, par le tri des interventions Le 5 mai, dans la foulée de la tenue mondiaux, Cargill et ses concurrents en son sein, peut être facteur de nor- de son assemblée générale (cf. p. 4), la dans la course sans fin aux profits par- Confédération paysanne s’est rendue ticipent à affamer les populations du jour malisation, de mise au pas de l’esprit dans le quartier d’affaires de la Défense, au lendemain. Il en va de même pour les critique. Et l’école voudrait donner une aux portes de Paris, pour pointer du éleveurs et éleveuses, pris à la gorge vision de complémentarité de ces agri- doigt les maux de la faim : spéculation, par l’augmentation brutale du coût de libre-échange et agrocarburants. l’alimentation animale. La volatilité des cultures-là quand ces jeunes relèvent Une cinquantaine de paysan·nes prix n’est pourtant pas une fatalité. des contradictions, des oppositions et a ainsi manifesté devant le siège de des luttes inégales. Cargill, numéro un mondial du négoce Situation absurde international des matières premières En se posant deux secondes, on Dans un deuxième temps, ils et elles (1) Même si agricoles. Cette multinationale, opa- comprend vite l’absurdité de cette la production se sont adressé à leurs camarades, « à que et surpuissante, dont le chiffre spéculation débridée car, dans le mondiale de blé ceux et celles qui doutent ». Le plus tendre pourrait d’affaires atteint les 130 milliards de monde, près de 85 % de tous les nettement baisser dollars, profite du laisser-faire néoli- aliments sont consommés locale- grand mérite de leur intervention est en 2022-2023 béral sur les marchés mondialisés. ment, principalement produits par sûrement d’avoir partagé ce qui fait jus- à cause de la Aucune souveraineté alimentaire l’agriculture paysanne. Pourtant, le guerre en Ukraine, n’est possible avec ces règles du commerce mondial a une influence tement la noblesse de leur expérience : elle est quand libre-échange, dont Cargill est un décisive sur les prix des marchés. « Nous avons douté et nous doutons même attendue à 746 millions des emblèmes. La Confédération paysanne a éga- parfois encore. Mais nous refusons de Après le pétrole, le maïs et le soja lement dénoncé le détournement des de tonnes, servir ce système et avons décidé de selon le Conseil sont les principales matières pre- productions alimentaires à des fins chercher d’autres voies, de construire international des mières négociées en bourse. Quatre énergétiques. En France, 800 000 céréales, tandis entreprises détiennent plus de 75 % hectares sont aujourd’hui détournés nos propres chemins. » que la demande de ce négoce et de celui des céréales : de leur vocation alimentaire pour la atteindrait Et enfin : « Ne perdons pas notre 750,5 millions Archer Daniel Midlands, Bunge, Louis production de d’agrocarburants. de tonnes, Dreyfus, et donc Cargill. C’est pourquoi la Confédération temps (…) N’attendez pas le 12e rapport principalement Avec l’invasion de l’Ukraine par les paysanne porte trois revendications du Giec qui démontrera que les États pour les utilisations armées russes, les prix du blé et du fondamentales : et les multinationales n’ont jamais fait humaines. Soit un maïs (dont les deux pays sont les • L’arrêt de la spéculation sur l’ali- déficit global en principaux exportateurs mondiaux) mentation. qu’aggraver les problèmes et qui place- fin de campagne ont explosé. Dès les premiers jours • La régulation des marchés (stocks ra ses derniers espoirs dans les révoltes équivalant à 0,5 % de la production. de la guerre, le cours du blé est passé publics, transparence des stocks, pro- populaires (…) À vous de trouver vos de 280 à plus de 400 euros la tonne. tection économique des paysan·nes manières de bifurquer ! » Or, les stocks existent ! Du point de et des marchés intérieurs, contrôle vue de la disponibilité physique, il n’y des prix des biens essentiels…). Chaleureuse ovation de leurs cama- a pas aujourd’hui de pénurie (1). Mais • L’arrêt de la production d’agrocarbu- rades : leurs mots ont tapé juste. la spéculation et les règles libérales rants, qui contribue à la hausse des du commerce mènent la danse et font cours alimentaires et aux émeutes La vidéo : urlz.fr/iiP1 monter les prix. En affolant les cours de la faim. n 6 Campagnes solidaires N° 382 – juin 2022
Actualité ÉCOBRÈVES Stop à l’usine à poules de Lescout ! Fantasme agronomique À Lescout, dans le Tarn, l’opposition contre l’extension d’un poulailler industriel ne L’idée : permettre aux principales cé- faiblit pas. La ferme-usine « élève » actuellement 150 000 poules pondeuses et un réales de capter l’azote de l’air comme nouveau bâtiment en projet permettrait d’en recevoir 30 000 supplémentaires. le font les légumineuses, et limiter ain- si l’usage d’engrais azotés. Des cher- cheurs et chercheuses de 4 universités, dont Oxford et Cambridge, ont combiné Nouvelle manifestation, le 26 avril, au regard du nombre d’animaux. In- Jean-Luc un orge et une bactérie : le génome devant la ferme-usine de Lescout. terpellés par le Collectif, les services Hervé, porte-parole de l’orge a été manipulé pour lui faire Accompagné·es par une dizaine de de l’État assurent que « toutes les de la Confédération paysanne du Tarn produire une molécule qui stimule la tracteurs, les manifestant·es pro- règles sont respectées »… tout en bactérie présente dans les racines de testent contre la construction d’un reconnaissant que la visite de la ré- la plante afin de lui faire capter l’azote 5 e bâtiment pour 30 000 poules pression des fraudes sur le terrain n’a de l’air. L’association ne devrait être supplémentaires : défilé depuis le pu se faire, compte tenu du contexte bénéfique qu’à la plante d’intérêt, pas village, blocage de l’entrée de la sanitaire et des mesures de claus- aux « mauvaises herbes » autour. C’est ferme-usine, circulation alternée tration (3). des véhicules et tractage, prises de L’arrêté d’ICPE (4) de 2009 qui bien ce qui a été observé, selon un ar- paroles, dont celle de Nicolas Girod, n’autorise à Lescout que l’élevage ticle paru dans Le Monde le 19 avril, qui porte-parole national de la Confédé- de poules en cage aurait dû être précise que le chemin sera encore long ration paysanne. modifié. Le Collectif soutient que le du labo au champ. Le permis de construire fait l’objet passage au plein air constitue une d’un recours contentieux devant le modification substantielle qui induit OGM clandestins (1) Agence Début mai, l’équipe d’Inf’OGM a fait tribunal, pas encore jugé sur le fond. une nouvelle procédure, avec étude régionale de santé L’ARS (1) avait pourtant donné un avis d’impact, enquête publique, etc. Deux (2) Sur Facebook : part de sa découverte : lors du tournage défavorable « par application du prin- cabinets d’avocats planchent sur la urlz.fr/imuy d’une émission consacrée aux agro- cipe de précaution, et au titre de la question, ce qui a contraint les ser- (3) Relatives au carburants (attendue sur France 5), risque de grippe protection de la santé publique ». Le vices de l’État à réexaminer la nature aviaire, ces derniers « nous avons récolté des plants de Collectif de Lescout (2), dont fait partie de la modification ; les résultats sont mois. colza qui poussaient le long des routes, la Conf’ du Tarn, demande un mora- attendus pour l’automne. (4) Installations près du port de Rouen. Ces repousses toire sur l’extension tant que l’impact Notre détermination ne faiblit pas. classées protection de l’environnement. se sont avérées être majoritairement de la ferme-usine sur la qualité de l’air De nouvelles organisations rejoignent et la santé des riverain·es n’est pas sans cesse le Collectif. Et la médiati- transgéniques. Ce colza, résistant à un évalué. Mais les analyses de la qualité sation donne à notre lutte une dimen- herbicide, a été importé en France par de l’air, promises par la préfecture sion nationale. D’autres actions sont bateau. Des graines se sont « échap- depuis plus de 4 ans, ne commence- envisagées à l’automne. n pées » lors du déchargement. Les agro- ront pas avant l’automne. Et il faudra carburants français sont donc, en partie, attendre l’automne 2023 pour la mise issus de colza transgénique importé, à jour de la note d’analyse épidémio- lequel se dissémine illégalement sur le logique de Santé Publique France. La territoire ». L’article complet : urlz.fr/i9s3 préfecture se hâte avec lenteur… Et, à Lescout, le principe de précaution Inique ne s’applique pas. Frappe lourde : le 11 mai, le tribunal correctionnel de Toulouse a condamné L’arnaque du plein air industriel 3 faucheurs volontaires d’OGM à une La ferme-usine, de son côté, tient amende de 458 000 euros et à trois un discours vertueux d’adaptation aux besoins des consommateurs. Ceux-ci mois de prison avec sursis. Le pro- boudent les œufs de poules en cage, cès, du moins son simulacre selon on passe donc au « plein air ». Ou les faucheurs, s’était tenu le 30 mars. plutôt par l’arnaque du plein air indus- En 2017, les condamnés avaient par- triel : moins de 10 % des poules sortent ticipé à la neutralisation de cinq par- effectivement du bâtiment, quelques celles de tournesol expérimental près heures par jour, pendant la moitié de de Toulouse. L’expérimentation était leur vie… quand les mesures de claus- conduite par Arvalis. Les faucheurs et tration ne les confinent pas à l’intérieur. faucheuses avaient justifié leur action Le consommateur ou la consomma- par « la certitude qu’une ou plusieurs trice, abusé·e par les belles photos variétés rendues tolérantes aux her- de poules picorant dans l’herbe, croit faire un achat responsable. bicides (VRTH) y [étaient] cultivées », L’industriel ne dispose pas des lesquelles « sont des OGM ». La suite surfaces de parcours nécessaires en appel, dans quelques mois. Campagnes solidaires N° 382 – juin 2022 7
Actualité ÉCOBRÈVES La sécurité sanitaire des aliments Amazon Saucisson de Savoie, comté, carré en danger d’agneau… La « boutique des produc- teurs », créée par Amazon en 2018, Les contrôles de sécurité alimentaire de la Direction générale de la concurrence, de réunit aujourd’hui plus de 400 produc- la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) vont être abandonnés teurs et productrices qui vendent sur la au ministère de l’Agriculture. Traduction et alerte du syndicat Solidaires de la DGCCRF. plateforme 13 000 produits alimentaires et boissons. Ils et elles payent pour cela un abonnement mensuel de 39 euros et une Source : Le ministre de l’économie et des génèrent des profits financiers, et l’ex- commission de 8 à 15 % est perçue sur communiqué finances, Bruno Le Maire, a fait plai- pertise des agent·es de la DGCCRF chaque produit vendu. Les producteurs et (12 mai) de sir à l’industrie agroalimentaire, alors ne se bornant pas à la seule question Solidaires CCRF que l’émotion des scandales Buitoni sanitaire, leur retirer ces missions est productrices peuvent passer par les ser- et SCL vices d’Amazon pour l’expédition de leurs et Kinder n’est pas retombée (1). Les impensable. De plus, il est de notorié- missions de la DGCCRF sont variées, té publique que le ministère de l’Agri- produits ou les expédier eux-mêmes. Le et recouvrent notamment le contrôle culture entretient des liens privilégiés monstre est bien dans la place. des produits alimentaires, à la pro- avec les lobbys de l’agroalimentaire : Pour rappel, notre dossier sur Amazon : duction comme à la distribution. Ce on peut s’interroger sur les conflits urlz.fr/ij1H sont ses enquêtrices et enquêteurs d’intérêts que ce transfert sous-tend. Victoire qui ont mené ou mènent encore des Après presque 3 ans de luttes, Cha- investigations, notamment dans les Casse d’un service public pelle-Darblay, dernier site français de dossiers Buitoni et Kinder, mais aus- Bref, l’une des toutes dernières dé- fabrication de papier journal et d’em- si dans ceux de la viande de cheval cisions politiques de MM. Castex, Le ballage 100 % recyclé, est sauvé de la trouvée dans des lasagnes au bœuf Maire et Denormandie aura été de de Findus et Picard, des laits infantiles casser le service public de la sécurité délocalisation. Le 10 mai, la métropole (1) 2 morts et 56 Lactalis contaminés par la salmonelle, sanitaire des aliments, en dehors de cas graves de de Rouen, qui avait préempté le site et salmonellose suite des aliments contaminés à l’oxyde tout débat public. Pire, cette décision les machines, a signé l’acte de vente à la consommation, d’éthylène (cancérogène) découverts ouvre la porte à un vieux serpent de à un consortium d’industriels, Fibre en février-mars, en 2021… mer : l’externalisation des missions de de pizzas Buitoni Excellence et Véolia. La production va fabriquées à Enfin, c’étaient ses missions : ce contrôle en hygiène alimentaire à la pouvoir redémarrer. C’est une victoire Caudry (Nord). 11 mai, par courriel aux personnels, distribution : restaurants, charcuteries, pour les salarié·es et le collectif Plus Plus de 150 cas sans concertation préalable, la direc- boucheries et boulangeries, dont celles de salmonellose trice générale a informé les agent·es des grandes surfaces… Des contrôles jamais ça – dont est membre la Confé- recensés dans le dération paysanne – qui se sont associés monde, depuis de « la création d’une police unique en payants, exercés par des entreprises à à cette occasion. « Les luttes sociales le début de charge de la sécurité sanitaire des ali- but lucratif, employant des personnels l’année, parmi les ments par le transfert de compétences parfois précarisés, et non plus par des et écologiques menées collectivement personnes ayant du ministère de l’économie, des fi- personnels indépendants. Idem pour peuvent payer », a déclaré l’association consommé des nances et de la relance vers le ministère les analyses en laboratoire, exercées Attac, autre membre du collectif, dans un Kinder (Ferrero) fabriqués en de l’agriculture et de l’alimentation ». jusque-là par le Service Commun des communiqué publié le 12 mai : urlz.fr/ifDl. Belgique. La Direction générale de l’Alimentation Laboratoires (SCL) de Bercy, désor- (DGAL) du ministère de l’Agriculture mais fortement menacé. Agrocarburants devrait récupérer, au 1er janvier 2023, Et la protection des consommatrices « Fabriquer des biocarburants à partir l’ensemble des contrôles liés à la sé- et consommateurs dans tout ça ? Les de blé, de colza et de maïs, ce n’est pas curité sanitaire des aliments. crises alimentaires se suivent, sans ré- durable », a déclaré, le 2 mai, le ministre Cette décision ne tient pas compte action de gouvernements qui préfèrent allemand de l’Agriculture, Cem Özdemir. d’un élément décisif concernant les le mot de compétitivité à celui de sécuri- « La place des aliments est d’abord dans infractions en matière de sécurité de té et se satisfont du sacrifice d’un bouc nos assiettes, pas dans nos réservoirs, l’alimentation : si des fraudes sont émissaire administratif plutôt que poin- surtout quand il y a de plus en plus de commises, c’est bien parce qu’elles ter du doigt les industriels défaillants. n gens qui meurent de faim sur cette pla- nète. » Quelques jours plus tôt, la mi- nistre de l’Environnement, Steffi Lemke, annonçait qu’elle souhaitait « continuer Une police sanitaire déroutée et désarmée de réduire la part de biocarburants issus Le 13 mai, c’est la CFDT Spagri (person- ministre a toujours soutenu que le transfert de cultures vivrières et fourragères ». Un nels du ministère de l’Agriculture) qui a dé- de missions vers le ministère de l’Agriculture positionnement très différent de celui du ploré « une réorganisation décidée dans un ne pouvait pas se faire sans transfert des gouvernement français. objectif budgétaire sans prendre en compte moyens ». Or, sur les 180 agent·es que ré- les agents ». Le syndicat assure ne pas clame la DGAL du ministère pour assurer ces NB : La plupart de nos écobrèves ont pour avoir reçu d’informations « officielles » de nouvelles missions, seul·es 60 leur seraient source les informations fournies par les la part de son ministère, rappelant que « le transféré·es de la DGCCRF. agences Agra et Contexte. 8 Campagnes solidaires N° 382 – juin 2022
Actualité ÉCOBRÈVES Le lait bio sous tension Sécheresse La collecte de lait de vache bio continue de progresser (+5 % en début d’année, Alors que des températures étaient en après les +11 % en 2020 et 2021), mais la demande augmente bien moins vite. Cela France jusqu’à 9 °C supérieures aux se répercute depuis près d’un an par une baisse des prix payés aux producteurs et normales de saison, la sécheresse se productrices par Biolait (qui collecte un tiers des volumes de la filière). manifestait déjà en mai. Dès avril, les ministres de l’Agriculture et de la Tran- sition écologique « ont décidé d’aug- menter en 2022 de 100 millions d’euros Voilà 30 ans que j’élève avec fierté des fectuer nombre de travaux autour des Jean-François le plafond de dépenses des Agences vaches laitières. Pendant 20 ans, j’ai haies, des cours d’eau… ce qui n’est pas Guitton, paysan en de l’eau ». Objectif : accompagner les livré du lait conventionnel sans aucune répercuté dans le prix de vente. Loire-Atlantique filières agricoles dans leur stratégie augmentation du prix de vente, alors que On parle aussi, depuis des années, d’adaptation, soutenir les collectivités les charges connaissaient une inflation. d’imposer une part de produits bio dans territoriales dans la lutte contre les fuites Depuis 10 ans, j’adhère au cahier des la restauration collective. Mais la loi Ega- dans les réseaux, ou encore accélérer charges de l’agriculture bio. Jusqu’en lim est mal ficelée : si elle vise les 20 % la désimperméabilisation urbaine pour 2020, j’ai eu le sentiment d’être reconnu, de bio dans les cantines publiques à valorisé et bien rémunéré grâce à cette partir du 1er janvier 2022, elle ne prend traverser « une période plus sèche et conversion. pas en compte la part de produits vé- chaude que la normale ». Mais l’excep- Puis, de nouveau la spirale de l’ina- gétaux ou animaux. C’est pourquoi on tion semble de plus en plus devenir la daptation de l’offre à la demande, qui va plus facilement trouver des oranges, normale. entraîne une baisse du prix du lait alors avocats ou bananes que des yaourts, (1) Le surplus de production de lait Chèque alimentaire que les charges, même s’il y en a moins, du fromage ou une blanquette de veau bio a été estimé progressent. dans le menu des cantines. à 250 millions Le Secours catholique, l’association Lorsque je cherche à comprendre de litres en 2021 Vrac (Vers un réseau d’achat commun) pourquoi nous en sommes là, la colère Réflexion collective (source : Les et le réseau Cocagne craignent que le Échos). n’est pas loin. Il nous appartient de réfléchir collecti- (2) Les quotas « chèque alimentaire », prévu par la loi Alors que les consommatrices et vement à la gestion de cette situation. laitiers qui climat et résilience et relancé par Emma- consommateurs ont été très nombreux Depuis plus de deux ans, les pré- encadraient la nuel Macron en campagne, ne soit qu’un à acheter bio et à vouloir un environ- visionnistes se sont trompés. Ils ont production en « gadget ». Les sommes évoquées, de nement plus sain, soudainement les sous-estimé l’augmentation de la pro- Europe ont été supprimés le 30 à 50 euros par mois et par bénéfi- ventes de nos produits stagnent, voire duction de lait biologique et surestimé 31 mars 2015. régressent. Nous sommes toutes et sa consommation (1). ciaire, parlent d’elles-mêmes. Les asso- tous influençables par la pub, la mise Tandis que chez Biolait, dès 2020, ciations craignent en outre que le dispo- en rayon et le prix. Et, bien que nous le on a pris conscience du risque de voir sitif soit financé au prix d’un transfert de sachions, nous avons laissé le champ le prix producteur baisser s’il n’y avait subventions existantes. Ainsi, le réseau libre à tous les nouveaux logos (souvent pas de maîtrise de la production (2), les Cocagne, qui va perdre 300 000 euros de bidon) sur le « consommer local », le autres opérateurs, coopératives en tête, subvention publique pour ses « paniers « sans OGM », le « plus riche en ceci ont déclassé de 18 à 30 % de lait bio solidaires », a indiqué que le gouverne- ou cela », le « végétal plutôt que l’ani- en conventionnel dans la plus grande ment avait justifié cette mesure par le fu- mal » et, cerise sur le gâteau, après le discrétion, repoussant ainsi les prises tur déploiement des chèques. On est loin « raisonné » apparaît le HVE ! de décisions qui s’imposaient. de la Sécurité sociale de l’alimentation. Le client ou la cliente, sensible aux Comme en 2009 et en 2016, les enjeux environnementaux et à la rému- mêmes qui avaient organisé la surpro- Sale gaz nération du producteur, pense donc être duction de lait conventionnel ont refusé Pour réduire sa dépendance au gaz cohérent·e en faisant l’effort de payer d’anticiper en espérant grignoter des russe, Engie va importer du gaz de un peu plus cher, même « si ce n’est parts de marché sur les concurrents. Et pas tout à fait bio ». Il faut reconnaître une fois encore, ce sont les producteurs schiste américain à partir de 2026. que les produits étiquetés bio sont par- et productrices qui vont servir de variable Le contrat avec la firme NextDecade fois bien chers. Mais ce n’est pas une d’ajustement, par leur nombre et leur prévoit 1,75 million de tonnes de gaz fatalité. rémunération. naturel liquéfié (GNL) par an. Ce gaz D’une part, la grande distribution se Le contexte haussier du coût de l’éner- de schiste, issu de la fracturation hy- gave sur notre dos avec des marges gie et des intrants doit nous conforter draulique, méthode d’extraction que la insensées. D’autre part, les politiques dans la poursuite de systèmes plus Confédération paysanne a combattu publiques nous ont abandonné·es au mi- autonomes, même avec des volumes en réseau et avec succès en France, lieu du gué. Derrière des discours bien- produits inférieurs. transitera par le terminal texan Rio veillants sur l’intérêt d’une alimentation L’échec des laiteries privées et coo- Grande LNG, un mégaprojet contesté plus saine, sur la nécessité de diminuer pératives à rémunérer correctement les pour les menaces qu’il fait peser sur l’utilisation de pesticides et d’engrais livreurs doit nous inciter à pousser plus chimiques, les actions vont à l’inverse. loin notre capacité à nous organiser en les communautés autochtones et sur On nous a ainsi sucré la prime au organisation de producteurs, afin de la réserve naturelle au sein de laquelle maintien. Pourtant, je continue d’ef- rester maître de notre destin. n il est en cours de construction. Campagnes solidaires N° 382 – juin 2022 9
Actualité ÉCOBRÈVES La Commission européenne cède les Guerre et dépendances Solagro propose ses solutions face à jachères à l’agriculture productiviste la guerre en Ukraine. Le 27 avril, l’asso- Le 23 mars, la Commission européenne a adopté un train de mesures destinées ciation a mis en ligne trois notes avec ses « pistes de réflexion ». Pour le blé, à amortir les impacts de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. En bonne elle encourage à augmenter de quelques place, la possibilité de cultiver les jachères, à titre exceptionnel pour 2022, quintaux à l’hectare les rendements 30 ans après leur introduction dans les règlements de la Pac. dans les pays les moins productifs, plu- tôt qu’à produire plus dans ceux où les rendements sont déjà très élevés, tels Benoît L’Ukraine et la Russie repré- agricultrices et agriculteurs fran- la France : « Les quelques quintaux ga- Ducasse sentent 30 % du commerce mondial çais : selon un sondage réalisé début gnés au prix soit d’une consommation du blé, 32 % de celui de l’orge, 17 % avril auprès de 525 personnes par significativement accrue d’intrants, soit de de celui du maïs et plus de 50 % de La France agricole, seuls 8 % des la destruction d’infrastructures agroécolo- celui de l’huile et des graines de sondé·es prévoyaient de remettre giques, ne sont pas de nature à changer tournesol (1). en culture leurs jachères et 6 % s’in- la donne à l’échelle mondiale », Solagro Pour autant, l’Union européenne terrogeaient. est globalement autosuffisante au Alors pourquoi tant de bruit autour promeut aussi la substitution d’une partie niveau de la production d’aliments de l’annonce de cette dérogation des besoins en protéines animales par de base, sauf pour ses approvision- temporaire ? des protéines végétales et la promotion nements en maïs venant d’Ukraine. Pour Jean-Bernard Lozier : « La des systèmes herbagers. Pour la France, la production de Commission européenne s’est fait La fiche sur le blé : urlz.fr/i6Zw blé ou de maïs est suffisante pour manipuler par le Copa-Cogeca, le couvrir la consommation intérieure puissant rassemblement des gros Guerre, climat et dépendances à plus de 150 % en moyenne (2). syndicats agricoles européens, Le cabinet d’études et de conseil indépen- Ce sont surtout les pays d’Afrique, présidée par Christiane Lambert, dant Carbone 4 a publié fin avril un article notamment l’Afrique du Nord, et du la présidente de la FNSEA. Cette par lequel il appelle à un « virage du sys- Proche Orient qui sont affectés (3). dérogation pour la remise en culture tème alimentaire » français alliant autono- De plus, ce n’est pas sur les ja- des jachères est le prétexte pour chères qu’on comblerait les éven- remettre le pied dans la porte afin mie des productions, sobriété énergétique tuels déficits d’approvisionnement. de demander à produire plus et de et bas carbone. Il s’appuie sur l’exemple de « Ce qu’on met en jachères dans contrer la stratégie européenne Farm trois productions : tomate, poulet et grandes les régions de grandes cultures, to fork. (4) » Cette feuille de route, éta- (1) Source : DG cultures. Il rappelle ainsi le poids des serres Agri Commission ce sont les terres les moins pro- blie par la Commission dans le cadre chauffées dans la production de tomates, le européenne ductives », rappelle Jean-Bernard du Pacte vert européen, prévoit de gaz naturel représentant 77 % de l’énergie (2) Entre 2015 Lozier, cultivateur dans Eure et réduire d’ici 2030 le recours aux pes- et 2019, données membre du comité national de la ticides de 50 %, l’usage d’engrais utilisée pour cela. Il souligne ensuite la part FranceAgriMer (3) L’Égypte importe Confédération paysanne. « Et elles chimiques de 20 %, et de consacrer importante de protéines importées pour son blé tendre à ne représentent que peu de sur- 25 % de surfaces agricoles au bio l’alimentation animale : « Les tourteaux que 61 % de Russie et à faces » : en France, 300 000 hec- (contre 8,5 % en 2019). Un casus consomment nos poulets sont très peu de 23 % d’Ukraine. tares, soit 1 % de la surface agricole belli pour la FNSEA et ses alliés, (4) « De la ferme à France pour le tournesol (31 %) ou pas du la fourchette », en utile et 2 % des terres arables. fidèles à leur dogme productiviste. tout de France pour le soja (1 %). » Enfin, français. La demande de la FNSEA est aus- pour les grandes cultures, Carbone 4 rap- (5) Rapport Amis de Plus d’engrais, si un écran de fumée pour cacher pelle que la France couvre « seulement » la Terre/Canopée, plus de pesticides… au public une autre réalité : loin octobre 2021, Jean-Bernard Lozier : « Si on re- des 300 000 hectares de jachères un tiers de ses besoins en azote, le reste données 2017 : met ces terres en culture et qu’on du pays, 800 000 hectares sont 170 213 hectares venant d’ailleurs en Europe, d’Égypte ou de céréales intensifie les productions sur les consacrés en France à la production de Russie. pour l’éthanol et autres terres, cela voudra aus- d’agrocarburants (5). Et la Confédé- 520 000 hectares si dire plus d’utilisation d’engrais ration paysanne de rappeler : « La La publication : urlz.fr/i708 d’oléagineux pour l’agrodiésel. chimiques et de synthèse qui nous solution urgente est d’arrêter d’uti- Faim sont fournis… par la Russie, fabri- liser les productions alimentaires Selon un rapport publié le 4 mai par le qués à partir de son gaz. Et plus de pour la production énergétique Réseau mondial contre les crises alimen- pesticides, alors que les jachères (agrocarburants, méthanisation), taires – qui réunit notamment la FAO, l’UE s’inscrivent dans les surfaces d’inté- proposition d’ailleurs formulée par et le Programme alimentaire mondial – rêt écologique (SIE) de la Pac, avec la Commission. En France, cela 193 millions de personnes dans le monde un rôle affirmé pour la protection de libérerait immédiatement jusqu’à la biodiversité. » 5 % de la surface agricole pour la se trouvaient dans une situation de crise Remettre en culture quelques production alimentaire, face à un alimentaire aiguë ou « pire » en 2021. Soit arpents de leurs plus mauvaises potentiel incertain de 2 % pour les 40 millions de plus qu’en 2020 (+24 %). terres ne semble pas motiver les jachères. » n 10 Campagnes solidaires N° 382 – juin 2022
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