Défis sud Dossier L'avenir de l'élevage africain - AlimentAtion et spéculAtion A la roulette du casino de la faim - ROPPA
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Dossier Numéro 98 Bimestriel décembre 2010 L’avenir de l’élevage africain janvier 2011 défis sud Rue aux Laines, 4 1000 Bruxelles Bureau de dépôt Bruxelles X N° d’agrément : P307409 Alimentation et spéculation A la roulette du casino de la faim
Somma i r e Alimentation et spéculation P 4-6 De nombreux analystes voient aujourd’hui les signes avant-coureurs d’une nouvelle flambée des prix des produits alimentaires, avec les conséquences que cela peut représenter pour les populations qui consacrent entre 50 % et 80 % de leur budget à leur alimentation. Une nouvelle crise alimentaire se profile-t-elle ou l’inquiétude est-elle sans fondement ? comprendre p 7-10 Le processus de réforme du Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) a débuté. Depuis la crise alimentaire mondiale de 2008, la restructuration de cette instance internationale s’est révélée impérative. Dossier p 11-31 L’avenir de l’élevage africain En 2006, un rapport de la FAO pointait du doigt l’élevage comme l’un des principaux responsables du réchauffement climatique. Si la viande semble donc bien sur le gril, faut-il pour autant tous devenir végétariens ? Dans les pays du Sud, l’élevage a une grande importance socio-économique. L’élevage est la ressource principale pour plus d’un milliard de paysans pauvres. C’est essentiellement le Nord, avec en moyenne 80kg de viande consommée par habitant et par an, qui contribue aux 18 % d’émissions de gaz à effet de serre dues à l’élevage. Mais dans les pays du Sud, l’élevage reste un des maillons essentiels de l’économie. Quel élevage au vingt et unième siècle ? 11-13 L’élevage paysan doit répondre à la demande africaine 14-16 « Vers des solutions multifonctionnelles » 17-19 Un secteur victime de désintérêt 20-22 Renaissance du pastoralisme nomade 23-25 Le salut par la chaîne de valeur 26-28 « Le bétail doit sécuriser la famille paysanne » 29-31 Directeur de la publication : Jean-Jacques Grodent. Rédacteur en chef : Pierre Coopman. Conseil éditorial : Laurent Biot, Christophe Brisme, François Cajot, Pierre Coopman, Thierry Defense, Jean-Jacques Grodent, Marine Lefebvre, Marc Mees Collaborateurs : Charline Cauchie, Patrice Debry, Mohamed biodiversité p 32-34 Gueye, Valérie Lontie, Miguël Mennig, François Misser, Aurélie Vankeerberghen, Patrick Veillard. Couverture : François Cajot/ Les superlatifs ne manquaient pas au moment de clore la 10e conférence de la SOS Faim. Rédaction-Belgique : Rue aux Laines, 4, 1000 Bruxelles. tél. 32 (0)2 511 22 38 Rédaction-Luxembourg : Convention sur la diversité biologique (CBD). « Une réussite historique » d’après le Rue Victor Hugo, 88, 4141 Esch/Alzette. Tél. 352 49 09 96 21 Réalisation : Studio Marmelade. Impression : Arte Print. Défis- directeur de WWF International. « Un rêve que tous les pays ont en tête depuis long- Sud est une publication de SOS Faim. Défis-Sud est un forum temps » selon le ministre japonais de l’Environnement. Un « succès » que beaucoup où des auteurs d’horizons divers s’expriment sur les thèmes du développement. Tous droits de reproduction réservés. Les ont attribué, de manière paradoxale, à l’énorme déception qu’avait suscitée l’échec articles n’engagent que leurs auteurs. Les titres et les sous- titres sont parfois de la Rédaction. Les manuscrits envoyés du sommet de Copenhague sur le climat en décembre dernier. spontanément ne sont pas rendus. E-mail : pco@sosfaim.org Site web : www.sosfaim.org agir p 35 Imprimé sur papier recyclé. Editeur responsable : Freddy Destrait Assemblée parlementaire UE-ACP. Carrefour paysan en RDC. Billital Maroobé et Oxfam rue aux Laines, 4 - 1000 Bruxelles. exhortent la communauté internationale. Défis Sud bénéficie du soutien de la Direction générale de la coopération au développement (DGCD) et d’un apport du Ministère des Affaires étrangères luxembourgeois (MAE).
éditorial Relever le défi céréalier L’éditorial de Freddy Destrait Secrétaire général de SOS Faim Belgique et de Thierry Defense Directeur de SOS Faim Luxembourg Du 23 au 25 novembre dernier à Ouagadougou, le Roppa (Réseau des orga- nisations paysannes et de producteurs d’Afrique de l’Ouest) et SOS Faim ont organisé un séminaire* régional sur le développement des filières céréalières en Afrique de l’Ouest. Cet événement a réuni une soixantaine de représen- tants d’organisations paysannes, d’ONG africaines et internationales, d’ins- titutions sous-régionales (Cedeao, Uemoa, CILSS…) et de bailleurs de fonds. © Mihnea Popescu. Les céréales (mil, sorgho, fonio, riz, maïs) constituent un enjeu crucial pour la souveraineté alimentaire de la sous-région : elles concernent plus de 80 % des exploitations familiales, elles demeurent la base de l’alimentation des ménages Freddy Destrait ruraux et contribuent à l’alimentation des populations urbaines. La région ouest- africaine produit 80 % de ses besoins (65 millions de tonnes), le solde étant cou- vert par les importations commerciales et l’aide alimentaire. Si la production céréalière a triplé en trente ans, cela est principalement dû à l’augmentation des surfaces cultivées et non à l’accroissement de leur rendement. Au regard du développement démographique et de l’urbanisation de l’Afrique © Etienne Delorme/ Paper Jam. de l’Ouest, ainsi que des besoins croissants d’aliments pour bétail ou pour les industries, l’augmentation de la production céréalière est absolument nécessaire. Mais, sous peine de dégâts irréversibles pour l’environnement et de conflits entre acteurs (producteurs, éleveurs, forestiers…), elle ne pourra se faire éventuellement par l’accroissement des surfaces de production. Thierry Defense Relever le défi céréalier suppose une importante révision des politiques de financement. Des subventions à l’agriculture vivrière sont indispensables, qu’elles proviennent des États ouest-africains ou de la coopération interna- tionale, non seulement pour relancer les filières mais aussi pour lutter contre les importations subventionnées de manière déloyale. L’agriculture vivrière a aussi besoin de crédits mais à des conditions adaptées. Les règles de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest doivent être adaptées en ce sens, afin que le secteur bancaire réinvestisse dans la production, la trans- formation et la commercialisation des produits de l’agriculture familiale. Au-delà des exigences paysannes sur les politiques, en vue du développe- ment des filières, les organisations paysannes (OP) ont plus que jamais pris conscience et réaffirmé que les changements viendront également d’elles- mêmes. Qui dit « modernisation de l’agriculture », dit « modernisation de l’agriculteur ». Les OP sont prêtes à se restructurer pour accompagner leurs membres, en tant qu’entrepreneurs ruraux dynamiques et progressistes. La défense de l’agriculture familiale est tout sauf conservatrice ou rétrograde ! Sans nécessairement mettre sa daba au musée et tout en défendant une agri- culture respectueuse de l’homme et de la nature, le paysan africain est amené à se moderniser, à se diversifier voire à changer d’attitudes. Son salut passe aussi – et d’abord ? – par là. * Les conclusions du séminaire sont disponibles au Roppa et à SOS Faim. n° 98 - décembre 2010, janvier 2011 défis sud 3
Alimentation et spéculation Matières premières agricoles À la roulette du casino de la faim ? Un article de Miguël Mennig (collaborateur de Défis Sud) anciennes républiques soviétiques), les stocks céréaliers sont nettement supé- Une nouvelle crise alimentaire se profile-t-elle ou l’inquiétude rieurs à leur niveau de 2007-2008. On ne est-elle sans fondement ? Les émeutes au Mozambique - après peut donc pas parler de pénurie. Et pour- tant, le même rapport constate que les l’envolée des prix alimentaires de base (34 % en six mois) - prix céréaliers sont toujours à la hausse. une canicule exceptionnelle en Russie et des inondations En conséquence, la facture estimée des importations céréalières pour les pays à catastrophiques au Pakistan raniment le spectre d’une nouvelle faible revenu et à déficit vivrier devrait crise alimentaire globale, comme celle de 2008. s’alourdir en 2010-2011. Les prix payés par ces pays sur les marchés mondiaux pour assurer leurs importations auront De nombreux analystes voient aujourd’hui de graves répercussions sur les prix de les signes avant-coureurs d’une nouvelle leurs productions locales, même si, dans flambée des prix, avec les conséquences l’absolu, le volume de ces importations Réglementer d’urgence Nombre de voix autorisées, dont le rappor- est relativement faible. teur des Nations unies Olivier De Schutter, qu’elle peut représenter pour les popula- demandent une réglementation stricte du tions, qui consacrent entre 50 % et 80 % secteur vital des matières primaires agri- de leur budget (contre 10 % en moyenne « Pour certains, coles. Ils réclament aussi l’interdiction, ou dans les pays développés) à leur ali- en tout cas des limites claires imposées sur mentation. Certains tirent la sonnette ce sont de simples les transactions opérées par des traders d’alarme. L’analyste indien Devinder actifs financiers » financiers au détriment des agents com- Sharma pense que les émeutes du Mo- merciaux et des consommateurs. zambique risquent de se multiplier dans le Le marché ne refléterait donc pas les Aux USA, Paul Volcker, conseiller de l’admi- monde si les PVD ne s’engagent pas sur la tendances réelles de la situation écono- nistration américaine, a défendu des pro- voie de l’autosuffisance. Pour C. Leather, mique, comme l’affirme le dogme néoli- positions de réglementation des banques. expert en politiques alimentaires d’Ox- béral. Il faut alors chercher ailleurs les Sa mesure connue sous le nom de «règle de Volcker» prévoyait, entre autres, que les fam, « une crise de l’ampleur de celle sur- causes de cette volatilité des prix. activités spéculatives des banques com- venue il y a deux ans n’est pas imminente, merciales ne bénéficient pas de la protec- mais ses causes sous-jacentes sont tou- Quand l’agriculture donne la fièvre tion de l’État en cas de difficultés. Mais, jours là », tandis qu’Olivier De Schutter, aux spéculateurs face aux pressions, seule une version rési- rapporteur spécial des Nations unies sur Olivier De Schutter manifeste son inquié- duelle de cette règle a survécu. le droit à l’alimentation, regrette que les tude devant la hausse des prix alimen- L’Europe, en retard dans ce domaine, ira- enseignements de la crise de 2007-2008 taires. La spéculation financière jouant t-elle plus loin dans cette réglementation n’aient pas été tirés. un rôle essentiel et extrêmement préjudi- urgente ou les lobbys européens feront-ils ciable dans la volatilité des prix, il invite preuve d’une pression aussi convaincante Les fondamentaux du marché alimen- le G-20 à se saisir de cette question. Aux que leurs homologues américains ? taire, les niveaux de l’offre et la de- États-Unis, la réforme financière a bien mande, sont-ils menaçants ? Selon été votée, mais considérablement vidée le dernier rapport de la FAO (L’État de de sa substance par l’opposition répu- l’insécurité alimentaire dans le monde blicaine, en plein accord avec les puis- 2010), il n’y a aucune raison de redou- sants lobbys financiers et bancaires. Un ter une crise alimentaire. La production volet important de cette réforme voulait céréalière mondiale reste la troisième la mettre un terme aux pratiques bancaires plus importante jamais enregistrée, mal- et à leurs outils financiers permettant gré une nette diminution dans la Commu- d’engager des sommes colossales dans nauté des États indépendants (11 des 15 les fonds spéculatifs. 4 défis sud n° 98- décembre 2010, janvier 2011
Alimentation et spéculation © Jeroen Oerlemans/ Panos. Un vendeur de blé fait ses comptes au marché de gros à Kaboul. En Afghanistan, en 2008, le prix du blé avait augmenté de 100 %. La France se promet aussi d’inscrire la tives du Nasdaq, des actions, puis de l’im-vestissement, fonds indiciels1 sont des régulation financière dans son agenda mobilier et des emprunts hypothécaires, instruments aux mains de spéculateurs prioritaire et le Commissaire européen au les opérateurs financiers sont contraints éminemment réactifs dans leur quête in- Marché intérieur et aux Services, Michel de réorienter leurs portefeuilles et de se cessante d’une maximisation des profits. Barnier, a violemment attaqué les pra- rabattre sur d’autres sources. Le mar- Ils se précipitent sur tout ce qui bouge. tiques de la spéculation sur les matières ché agricole, à travers l’accaparement Une alarme se profile quelque part, cani- alimentaires. En octobre 2010, le Comi- des terres ou de leurs produits, est une cule, sécheresse, inondation et les voilà té de la sécurité alimentaire mondiale proie tout indiquée. L’alimentation est sur le coup pour amplifier la tendance (CSA) de la FAO a demandé à son Groupe et pousser les cours à la hausse ou à la un besoin vital, les bouches à nourrir d’ici d’experts de haut niveau d’étudier « les à 2050 vont encore se multiplier et les baisse. Dans ce « casino de la faim », on causes et les conséquences de la volatilité habitudes alimentaires des pays émer- touche le jackpot à la sortie. Les perdants des prix des denrées alimentaires, y com- n’ont qu’à se serrer la ceinture, si ce n’est pris les pratiques de distorsion du marché. gents évoluent, avec une consommation qu’ils n’ont rien misé dans ce jeu mortel (…) Le Groupe de haut niveau examinera de viande et donc de céréales à la hausse et n’ont plus grand-chose à perdre. Selon comment les nations et les populations tandis qu’un nombre croissant de terres le Fonds international de développement vulnérables peuvent assurer l’accès à la sont devenues impropres à l’agriculture. agricole (Fida), chaque hausse de 1 % du nourriture lorsque la volatilité entraîne Cerise sur le gâteau, le nombre de terres prix des denrées de base précipite 16 mil- une perturbation du marché ». La FAO en- agricoles consacrées aux agrocarburants lions de personnes supplémentaires dans courage également le développement de ne fait que croître. l’insécurité alimentaire. Ce fut le cas pour programmes sociaux et productifs pou- Profits rapides 150 millions de ces victimes lors de la vant servir de filets de sécurité. crise alimentaire de 2007-2008 (estima- Dès lors, il n’est guère étonnant que, tions de la Banque mondiale). Mais que recouvre cette volatilité évo- depuis quelques années, de nouveaux quée par tant d’instances, quels sont ses acteurs financiers aient fait leur appa- Quand la spéculation protégeait modalités et son champ d’action ? Dans rition sur le marché des matières pre- La spéculation sur les produits agricoles une période d’incertitude financière glo- mières agricoles. Si, pour des popula- n’est pas un mécanisme nouveau. Mais bale qui ralentit l’activité économique et tions entières, celles-ci représentent une déstabilise l’ensemble des secteurs, toute question de vie ou de mort, pour certains 1 : Un fonds indiciel est un panier de différentes valeurs opportunité est à bonne à saisir pour les ce sont de simples actifs financiers pro- pondérées ; un fonds indiciel de matières premières regrou- investisseurs en quête de placements. metteurs de profits rapides. Fonds de pera par exemple gaz, pétrole, blé, maïs, soya…Il présente l’avantage d’offrir un portefeuille diversifié, un atout vanté Après le dégonflement des bulles spécula- pension, « hedge funds », banques d’in- pour les investisseurs… Suite à la page suivante n° 98 - décembre 2010, janvier 2011 défis sud 5
Alimentation et spéculation elle servait essentiellement, à l’origine, cet été les achats de maïs par les spécula- faire les banques centrales pour les mar- à prémunir les agriculteurs contre des teurs sur la place de Chicago représentent chés financiers. En cas d’envolée inquié- aléas imprévisibles, comme ceux de la la totalité de la consommation annuelle tante du prix des céréales par exemple, météo. En vendant sa récolte de blé à du Brésil, troisième consommateur mon- ces réserves pourraient libérer sur le terme (3 mois par exemple), le paysan dial. Au mois de juillet, le Financial Times marché les quantités de céréales néces- pouvait tabler sur des rentrées certaines relevait de son côté l’achat (à terme) saires pour calmer la fièvre des spécula- tandis que le négociant acheteur pré- spectaculaire par un « hedge fund » an- teurs et faire baisser les prix. voyait un certain bénéfice lors de la mise glais de 241 000 tonnes de cacao, soit 7 % en vente ultérieure. Il n’y a rien à redire de la production mondiale, faisant mon- On pourrait aussi imaginer la création à ce mécanisme de simple prudence qui ter le prix du cacao à son plus haut niveau d’un organe supranational, au sein des permet à l’agriculteur de dégager les depuis 33 ans. Nations unies, chargé de faire réguliè- moyens d’assurer sa prochaine saison en rement le point sur la production globale s’engageant à vendre sa récolte à terme et les stocks disponibles. Il pourrait ainsi à un négociant du secteur. Des ménages «Faudra-t-il attendre tirer le signal d’alarme en cas de détec- font de même en remplissant en été leur une nouvelle crise tion de nouvelle bulle et mettre sur pied cuve de pétrole pour éviter une hausse les politiques alimentaires et commer- possible du prix en hiver. Cette forme de alimentaire pour ciales adéquates pour prévenir des crises « spéculation » sur les prix futurs n’a rien dépasser les déclarations majeures en encourageant les politiques de pernicieux. Mais depuis une dizaine d’intention ?» nationales souveraines, accordées aux d’années, la financiarisation du secteur besoins de la région. agricole a pris des proportions démesu- rées et la dérégulation américaine de ce L’excitation est palpable lorsqu’on lit cer- Des filets de sécurité sociale doivent marché en 2000 n’y est évidemment pas tains passages sur les sites de conseils en aussi être encouragés et, en cas de étrangère. En Europe, c’est la City de investissement : « envolée magnifique du besoin, financés en partie, pour empê- Londres qui représente la plaque tour- cours du blé », « ne passez pas à côté du cher les populations les plus vulnérables nante de ces opérations financières. potentiel de soya », « coton : + 60 % en d’être à la merci des aléas climatiques ou 3 mois, une opportunité d’investisse- des errances du marché international. Si les contrats à terme sont initialement ment ? », « sécheresse au Brésil, inonda- prévus pour se couvrir contre des varia- tions en Inde, et autres aléas climatiques Mais au-delà de ces recommandations, tions de prix, ils concentrent désormais sur les grands producteurs de sucre... voilà des mesures à long terme sont tout aussi une part croissante de la spéculation, qui dope les cours ». Un fonds d’investis- pressantes, capables d’instaurer une avec la mise en place de nouveaux déri- sement de la première banque suisse, UBS, sécurité alimentaire durable qui rendrait vés financiers performants. Les produits remarquait dernièrement que si la pénurie les pays les plus fragilisés moins dépen- alimentaires sont considérés au même peut représenter « un risque pour certains dants des importations alimentaires. titre que d’autres biens négociables, pays », elle ouvre aussi « des possibilités Dans cette optique, il est impératif d’in- comme les indices boursiers, les devises, intéressantes pour les investisseurs ». Dif- vestir et de soutenir les cultures vivrières les taux d’intérêt, etc. Les contrats sont ficile d’afficher plus clairement le cynisme locales ainsi que les paysanneries im- rarement conduits à leur terme et cédés de ces opérations spéculatives… puissantes devant les forces du marché à d’autres spéculateurs qui ne verront international et les recommandations jamais la couleur de leur blé ou cacao Et pour attirer les investisseurs poten- de l’Organisation mondiale du commerce puisqu’ils ne sont en rien concernés par tiels (fonds déjà constitués, investis- (OMC) ou du Fonds monétaire internatio- ces biens, contrairement aux interve- seurs institutionnels ou privés), on leur nal (FMI). Ce qui suppose aussi s’atta- nants directs du marché agricole. fait miroiter des données factuelles quer de plein front aux lobbys agro-in- comme les taux démographiques ou les dustriels omniprésents jusqu’au sein des Nouvelle bulle spéculative ressources foncières limitées… autant structures internationales. Ces contrats à terme, virtuels, que les de facteurs qui renforcent ce nouveau spéculateurs se revendent entre eux, ali- marché spéculatif à la recherche de por-La défense de la souveraineté alimentaire mentent clairement l’émergence d’une tefeuilles judicieusement diversifiés. ne paraît pas faire partie des priorités à nouvelle bulle spéculative. En 3 mois, de- D’autant que certains analystes finan- l’ordre du jour de l’OMC. La question est puis juin 2010, les hausses sont specta- donc de savoir jusqu’où peut aller cette ciers voient déjà se profiler l’émergence culaires sur ce marché : 60 % pour le blé, d’un nouveau marché stratégique, celui financiarisation des marchés de produits 25 % pour le soya, 54 % pour le maïs, 90 % de base. Alors que tant de voix autorisées de l’eau. La privatisation de ce bien com- pour l’arabica… Dans l’instabilité finan- mun permet de rêver à des marges aussi, en dénoncent les effets pervers, fau- cière régnante, ces matières premières si pas plus rentables. dra-t-il attendre une nouvelle crise ali- représentent un refuge rentable qui per- mentaire pour dépasser les déclarations met aux fonds spéculatifs d’attirer de Comment réguler ? d’intention ? Qu’attend-on pour prendre nouveaux placements en promettant des Les réserves mondiales de céréales de- des mesures contraignantes empêchant « performances historiques ». Ainsi, le vraient jouer un rôle régulateur impor- ces mécanismes qui éloignent encore la World Development Movement estime que tant sur les marchés, comme peuvent le réalisation des Objectifs du millénaire ? 6 défis sud n° 98- décembre 2010, janvier 2011
Comprendre Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) La réforme du CSA expliquée et commentée Naissance d’un organe mondial de référence La crise alimentaire mondiale de 2008 a entraîné la hausse des mentaires successives, la flambée des prix mais aussi l’impact incontestable prix dans l’alimentation et a fait apparaître une nécessité : celle des changements climatiques sur l’agri- de créer une instance au niveau international capable d’être un culture, ne sont aujourd’hui plus l’affaire de quelques pays ou institutions et ne lieu de discussions et d’échanges sur les questions alimentaires. peuvent donc plus être ignorés par les C’est ainsi qu’en 2008, a débuté le processus de réforme du gouvernements. Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA). C’est lors de la Conférence de haut niveau sur la sécurité alimentaire mondiale or- Pour des personnes comme Mamadou ganisée par l’Organisation des Nations Cissokho, le combat pour une réforme unies pour l’alimentation et l’agriculture du CSA remonte à 1996 lorsque s’est tenu (FAO) à Rome en juin 2008 que le prési- le premier sommet du comité. Dès cette dent français Nicolas Sarkozy a parlé de date, les groupes représentant les pay- la nécessité de créer au niveau global un sans du monde entier (Afrique, Asie et partenariat pour la sécurité alimentaire, Amérique latine) et la société civile de la nutrition et l’agriculture qui s’organi- manière générale ont lancé le concept serait autour de trois piliers : politique, de souveraineté alimentaire et se sont scientifique et financier. Cette idée fut mobilisés pour la mise en place d’un es- reprise par le G8 fin 2008 et, en ce qui Avec les contributions de : concerne le pilier politique, on s’est ren- pace ouvert où les gouvernements et les du compte qu’il existait déjà un comité Mamadou Cissokho autres acteurs puissent échanger et se de sécurité alimentaire (le CSA) au sein Président d’honneur du Réseau mettre d’accord sur des principes d’ac- du FAO, mais dont le fonctionnement des Organisations paysannes et de tion communs. était au point mort. Ainsi, en février 2009 producteurs de l’Afrique de l’Ouest est née l’idée de faire du CSA réformé (Roppa) et du Conseil national de «Le CSA a l’ambition l’instance de référence au niveau mon- concertation et de coopération des dial en matière de sécurité alimentaire. ruraux (CNCR) d’être, à l’échelle mondiale, Le rôle de la Belgique Thierry Kesteloot dans la réforme du CSA la plateforme À la session plénière annuelle du CSA Oxfam Solidarité Belgique de coordination d’octobre 2008, Hugo Verbist s’est porté Hugo Verbist sur les questions candidat au bureau du comité qui comp- Vice-président du Comité de sécurité alimentaires» tait, à cette époque, cinq pays membres Mamadou Cissokho du FAO. La Belgique est ainsi devenue un alimentaire, Belgique des pays membre du bureau, tout comme l’Argentine (avec la présidente Maria del Ils voulaient faire du CSA un endroit plus Carmen Squeff), la Russie, Madagascar consistant qu’un simple « café » mais et la Jordanie, à un moment où les lignes pas non plus un tribunal ; un lieu qui se directrices de la réforme n’étaient encore définirait plutôt comme un observa- absolument pas clairement dessinées. toire de la souveraineté alimentaire où l’on insisterait sur les responsabilités Le processus a démarré en février 2009 des gouvernements face à la sécurité avec la création d’un groupe de contacts alimentaire. À partir de 2004, les évé- qui se constituaient de trois grands ac- nements s’accélérèrent. Les crises ali- teurs : les états membres de la FAO, les Suite à la page suivante n° 98 - décembre 2010, janvier 2011 défis sud 7
Comprendre Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) Le forum préparatoire de la société civile De par la diversité et la dispersion des acteurs qu’elle queue de peloton) et surtout que quatre personnes repré regroupe, la société civile éprouve plus de difficultés d’éviter de se contredire lors sentantes restent un nombre que les états membres à se coordonner de façon interne. de la réunion du CSA. Cette insuffisant). Ces forums ont C’est pour cette raison que celle-ci s’est rassemblée, année, la bonne tenue des permis à la société civile de débats et le consensus final venir avec des positions com comme chaque année, quelques jours avant la réunion obtenu leur a permis de se munes tant au niveau de la du CSA d’octobre 2010. mettre d’accord sur le fait que proposition de la réforme lors Thierry Kesteloot a, à l’occa de femmes, de jeunes, etc.) la responsabilité des échanges de la réunion du CSA de 2009 sion de ce forum prépara représentés par une centaine et des négociations lors de la que lors du sommet de 2010 toire, joué un rôle d’appui de délégués du monde entier. réunion du CSA serait délé qui a vu la première réunion méthodologique aux onze Le but de ces rassemblements guée par continent. Mamadou du comité réformé. Les repré Cissokho, un des délégués sentants des gouvernements secteurs impliqués rassem est d’anticiper les débats du élus, se félicite d’ailleurs de ont d’ailleurs félicité cette blant des milliers d’orga CSA en faisant participer un cette décision rappelant la initiative et apprécié le travail nisations (notamment les maximum d’intervenants sur spécificité des continents et accompli, preuve de la bonne groupes de pêcheurs, groupes les questions alimentaires la nécessité de travailler à coordination et de la cohésion autochtones, mouvements (en ne laissant personne en leur niveau (même s’il estime de la société civile. organisations internationales (Nations tives globales (de la part de la Banque la problématique des régimes fonciers unies, Banque mondiale, FMI, etc.) et mondiale, du « Standing Comittee on et les investissements internationaux la société civile ; ainsi qu’un quatrième Nutrition » ou encore celles prises lors du dans l’agriculture) ; et la troisième mis- acteur, plus minoritaire, formé par le sommet du G8 à Aquila en 2009), natio- sion consiste à aider les États membres secteur privé (mais qui, encore à l’heure nales, régionales ou locales en matière à mettre en œuvre ces mesures discutées actuelle, est moins impliqué). Ce groupe de gestion des crises alimentaires mais, tout en les obligeant à rendre compte de contacts (géré et coordonné par les par manque de transparence, celles-ci des progrès faits en matière alimentaire cinq membres du bureau) s’est réuni tout ne sont pas connues de tous. afin de s’en servir d’exemples à suivre et au long de l’année 2009 pour discuter du ainsi inciter les autres États membres à rôle et de la vision du nouveau CSA, de la faire de même. C’est dans ce but qu’est participation, de la nouvelle procédure et « La présence même en train de s’établir une cartographie des nouvelles structures qui devraient être de la société civile au des actions engagées au niveau des pays créées et de la mise en place d’un panel sein du CSA réformé (« mapping tool ») qui analyserait les d’experts qui donnerait l’input scienti- moyens financiers et proportionnelle- fique aux délibérations au sein du Comité. est une preuve de la ment les progrès d’un pays lambda. volonté manifeste des Les grandes missions du nouveau CSA Les structures du CSA gouvernements. » La réflexion du groupe de contacts a Mamadou Cissokho Le bureau s’est élargi (depuis octobre abouti à un texte de réforme approuvé 2009, Hugo Verbist en est le vice-prési- lors de la session du CSA d’octobre 2009 dent et Noël de Luna, représentant per- et de la conférence de la FAO de no- Selon M. Cissokho, il faut encourager manent des Philippines, le président) et vembre 2009. Trois missions principales les responsables politiques et la société est désormais épaulé, pendant la période y sont définies : le CSA devra devenir une civile à partager les expériences (bonnes intersessionnelle, par un groupe consul- plateforme internationale de coordina- ou mauvaises) et à en faire des outils de tatif (« advisory group ») composé de tion où l’on tentera de faire converger les référence dans le débat afin de capitali- treize membres « parties prenantes » politiques des États membres et dont les ser les succès et de permettre leur réap- (« stakeholders »). Ce sont eux qui sont décisions irrigueront les mesures mises propriation (« ownership ») par tous. en charge de la définition de l’agenda en œuvre au niveau national. De là découle la deuxième mission du pour la session annuelle d’octobre, et comité : la convergence des politiques non plus le FAO. Enfin, à l’image du panel En se fixant sa mission première, le CSA des États membres par l’élaboration de d’experts sur les changements clima- a l’ambition d’être, à l’échelle mondiale, stratégies internationales ou de direc- tiques, un comité indépendant de quinze la plateforme de réforme et de coordina- tives volontaires sur des problématiques experts internationaux sur la sécurité tion sur les questions alimentaires ; un transnationales qui nécessitent des so- alimentaire (« high level commission ») « espace de recommandations consen- lutions globales (comme la bioénergie, a été nommé. Deux de ses membres sont suel » comme le définit Mamadou Cisso- la volatilité des prix, la sécurité alimen- issus de la société civile dont la vice-pré- kho. Il existe en effet beaucoup d’initia- taire dans des pays en crise prolongée, sidente, l’Iranienne Maryam Rahmanian. 8 défis sud n° 98- décembre 2010, janvier 2011
Comprendre Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) Ces scientifiques dirigent un réseau d’ex- perts et des équipes de projets (« project teams ») afin de remplir les mandats qui leur ont été confiés en octobre dernier pour des études concernant l’accès au foncier, la volatilité des prix, le stockage, la production elle-même (la production africaine semble en effet très insuffi- sante) et la relation entre sécurité ali- mentaire et changement climatique (on estime que l’agriculture est responsable de plus de 30 % des émissions de CO2). Leurs résultats ainsi que les questions dont le groupe d’experts jugera utile de s’autosaisir serviront de base lors des discussions de la session d’octobre 2011. L’absence du pilier financier Lors de son allocution, Nicolas Sarkozy évoquait trois piliers : un pilier de coor- dination politique, un pilier d’expertise scientifique et, enfin, un pilier financier qui, lui, n’a pas été mis en place par la ré- © Matias Costa/ Panos. forme du CSA, mais plutôt par des initia- tives qui restent très cloisonnées. L’outil financier actuel est en effet une sorte de fonds vertical de la Banque mondiale (Global Agriculture and Food Security Pro- gram) pour lequel quelques États (comme Les prix de l’alimentation doivent être régulés. les USA, le Canada, l’Espagne, la Corée du Sud et quelques autres) ont contribué et qui vise à apporter un appui financier aux les pays s’étant engagés à verser des niveau national ou régional. Une fois pays qui sont les plus vulnérables face à sommes pour la souveraineté alimentaire l’objectif politique atteint, cela devrait la crise alimentaire. Cependant, tous n’y le font effectivement. En outre, l’espace entraîner la mise en place d’un volet contribuent pas et l’Union européenne de discussions qui caractérise la réunion financier. Néanmoins, pour Kesteloot, (UE), par exemple, y participe peu. Mais il annuelle du CSA est aussi une occasion il ne faut pas non plus balayer le risque ne s’agit là qu’une des manières de gérer d’aborder les questions financières, les d’aboutir, un jour, à un outil financier to- l’argent et de le transférer vers des pro- promesses de dons et/ou subsides et talement déconnecté de l’outil politique. jets des pays en développement (on pour- l’évolution des aides octroyées. D’autre part, on sait que les crises ali- rait citer ici les autres initiatives finan- mentaires ne se résolvent pas sans injec- cières comme celles liées à la réforme de tions de moyens financiers par les États la recherche agricole ou les programmes « le CSA s’est jusqu’à membres. La logique du nouveau CSA financiers régionaux). présent limité à la préconise d’investir dans la recherche partie la plus facile du et dans la prévention des crises alimen- La société civile s’étonnait que les deux processus.» taires plutôt que dans la gestion des premiers piliers soient intégrés au CSA Thierry Kesteloot crises elles-mêmes. Cependant, l’agri- tandis que le pilier financier dépend de la culture reste un secteur relativement Banque mondiale. De plus, Thierry Keste- imprévisible qui nécessite l’injection de loot fait remarquer que rien, dans les En réalité, plus d’un commentateur s’ac- moyens en cas d’urgence. Pour Mama- termes de référence de cet outil finan- corde à dire que le CSA n’a pas vocation dou Cissokho, nonobstant la nécessité cier, ne le rattache directement au CSA. à prescrire des mesures financièrement de réguler et de prendre des dispositions Cependant, pour Hugo Verbist, la réforme contraignantes aux États membres. réglementaires pour anticiper les crises, du CSA, à défaut d’un pilier financier en Son objectif principal à l’heure actuelle le financement de la sécurité alimentaire soi, a créé un « mapping tool », un outil consiste à gagner suffisamment de cré- doit rester une responsabilité des pays. qui permet d’évaluer au niveau global dibilité par les décisions qu’il prendra et national la gestion des fonds dis- et par ses activités ou ses propositions Une réelle volonté politique ? tribués. Il existe également un outil de d’appui aux politiques agricoles, de Pour Mamadou Cissokho, la présence « tracking » qui permet de s’assurer que nutrition et de sécurité alimentaire au même de la société civile au sein du CSA Suite à la page suivante n° 98 - décembre 2010, janvier 2011 défis sud 9
Comprendre Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) meront à l’avenir en réunions formelles L’agriculture familiale où les prises de décision seront toujours remises à l’année suivante. Pour ce qui sera-t-elle débattue au CSA ? est de la réunion d’octobre 2010, le CSA a atteint les deux objectifs inscrits à son agenda (formaliser et, ensuite, adop- Le débat sur les systèmes de production ne fait production est incontour ter un mécanisme légitime et fort de pas encore rage au sein du CSA, mais il est évi- nable. Cependant le débat est rendu complexe car fonctionnement interne incluant la so- demment incontournable. ciété civile) et a ainsi prouvé qu’il pou- il est fondamental de le Lors de la session secteur privé, encore très mener en relation avec vait prendre à bras-le-corps des sujets d’octobre 2010, le pro absent dans la structure les questions de change actuels et politiquement sensibles et blème a été mentionné du CSA. Ce qui amène un ments climatiques. s’imposer comme un forum inclusif dont dans le cadre d’une des autre débat : comment Le point a été mis à l’agenda engage les parties prenantes. trois tables rondes organi « inciter » le secteurl’agenda du CSA d’octo sées (« les régimes fon privé à s’intéresser plus ciers et investissements massivement au CSA? bre 2011 et c’est, à la Cependant, Thierry Kesteloot rappelle internationaux dans connaissance de Thierry Il en va, en effet, de la que le CSA s’est jusqu’à présent limité Kesteloot, la première à la partie la plus facile du proces- l’agriculture »). Il importe crédibilité de l’institution institution à sauter le surtout de signaler que le d’inclure en son sein tous pas. Il est clair que cette sus. La réforme désormais accomplie, groupe d’experts de haut les acteurs. Une réflexion confrontation entre une à l’agenda de l’année prochaine, des niveau a été saisi de plu (« task force ») a été lancée agriculture familiale et thématiques plus polémiques comme sieurs études sur le sujet en ce sens. une agriculture indus l’accaparement de terres ou la confron- dont l’une, notamment, tation entre une agriculture familiale Selon Mamadou Cissokho trielle a été identifiée s’intitule « Rôle respectif comme une tension et une agriculture industrielle nécessi- également, ce n’est pas des grandes plantations et des petites exploita encore d’actualité. La sur laquelle le groupe teront des décisions politiques fortes. tions agricoles ». question est cependant d’experts a un énorme Un processus est enclenché, il obligera patente : comment nourrir travail de préparation à bientôt les parties actuellement dans Hugo Verbist pense qu’il à long terme 9 milliards réaliser afin d’amener des propositions probantes une position d’attente à s’engager (ou serait dommage d’aborder d’êtres humains ? Dis le sujet sans y inclure le cuter des systèmes de dans moins d’un an. non) plus intensivement dans le renfor- cement du CSA. Les enjeux sont énormes et relèvent de chaque pilier : le CSA sera-t-il ca- réformé est une preuve de la volonté ty Crisis). Ceci étant, les USA ont très bien pable de prendre des décisions plus manifeste des gouvernements. Même préparé la session d’octobre et joué un engageantes et donc de faire face à des si le comité reste intergouvernemental rôle important lors de celle-ci, prouvant intérêts contradictoires ? Il lui faut prou- (c’est-à-dire que les États membres sont ainsi qu’ils veulent donner une chance au ver qu’une prise de décision politique et les seuls à disposer d’un droit de vote), CSA même s’ils ne sont pas prêts à avan- de cohérence (par rapport aux conclu- le CSA est certainement l’institution des cer dans la convergence et privilégient sions que lui soumettra le comité des Nations unies qui donne la plus grande toujours les décisions sur le plan natio- experts ou par rapport à la proposition position de participation à la société nal. Quant à l’Asie, elle semble soutenir le d’un cadre de régulation pour l’accapa- civile (sur le nombre d’interventions et le processus, le président du bureau étant rement de terres) est possible. La crédi- temps de parole, ils sont à égalité avec d’ailleurs issu de ce continent ; tandis que bilité d’un potentiel futur pilier financier les États membres). les membres des gouvernements africains en dépend. Enfin, le CSA devra parvenir sont eux moins actifs, ce qui, comme le à utiliser au maximum les propositions Cependant, il est clair que tous les États souligne Cissokho ou Verbist, est naturel- discutées par le panel d’experts pour membres ne partagent pas un même en- lement dommage du fait que les discus- renforcer les politiques nationales de thousiasme. Les deux régions « moteurs » sions concernent souvent ces pays. Outre manière inclusive (c’est-à-dire : avec de la réforme, selon Verbist, ont été l’UE le manque de participation de l’Afrique, la coopération des sociétés civiles) et à et l’Amérique latine (particulièrement le c’est également le désintérêt notoire du appuyer de manière efficace la mise en Brésil). Pour Kesteloot aussi, ce sont ces secteur privé qui reste à signaler, et Cis- œuvre des décisions à un niveau national pays qui ont exprimé le besoin de créer sokho d’insister sur le fait que c’est uni- et régional en insufflant une responsabi- un comité global intégrant l’ensemble quement en rassemblant tous les acteurs lité aux États. des acteurs et des institutions alors que autour de la table que l’on pourra établir Un article rédigé par Charline Cauchie d’autres régions, comme l’Amérique du un contenu de référence sur les questions Nord, étaient plus réticentes du fait no- alimentaires. tamment des tensions entre New-York et Rome, Ban Ki-moon ayant ses propres ini- Il est encore trop tôt pour conclure que, tiatives en matière alimentaire (The High comme pour les négociations sur le cli- Level Task Force on the Global Food Securi- mat, les sommets du CSA se transfor- 10 défis sud n° 98- décembre 2010, janvier 2011
Dossier L’avenir de l’élevage africain Quel élevage au vingt et unième siècle ? Une introduction de Patrick Veillard prix alimentaires de base. On estime ain- si que pour obtenir 1 kg de viande, il fau- En 2009, pour la deuxième fois en moins de 3 ans, l’Organisa- drait en moyenne 8 kg de céréales. Sans tion des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) compter les nombreuses autres externa- lités, qu’elles soient sanitaires (risques a consacré le thème clé de son rapport annuel à l’élevage1. Ce accrus d’épizooties) ou environnemen- secteur en pleine mutation tente de faire face au double défi de tales (pollution des nappes phréatiques par les pesticides et les antibiotiques, l’explosion de la demande et d’externalités environnementales surexploitation et érosion des terres, de plus en plus lourdes. Signe des temps, la révolution de l’éle- transport des aliments pour le bétail, grosse consommation d’eau)3. Dans de vage est sans doute l’un des plus grands défis pour l’agriculture nombreux cas, l’impact de l’élevage sur du vingt et unième siècle. les écosystèmes est jugé comme totale- ment disproportionné par rapport à son importance économique1. Ces arguments Le rapport qui a d’abord attiré le feu des poussent donc de nombreux experts ou projecteurs est celui de 2006 intitulé « Li- personnalités, tels l’ex-Beatle Sir Paul vestock Shadow »2. Extrêmement relayé Mc Cartney, à réclamer de manière ur- médiatiquement, ce rapport pointait du gente une diminution de la consomma- doigt l’élevage comme l’un des principaux tion mondiale de viande4. responsables du réchauffement climatique. Selon l’organisation onusienne, il serait à Des chiffres qui donnent le tournis Patrick Veillard Les pays développés sont loin devant lui seul responsable de 18 %, en équivalents Ingénieur de formation, avec CO2, du total des émissions de gaz à effet en termes de consommation, avec en une spécialité en sciences des de serre (GES), soit plus que l’ensemble du moyenne 90 kg de viande ingérée annuel- aliments, Patrick Veillard a étudié secteur des transports (14 %). lement par habitant. Les pays émer- le journalisme à l’IDJ (Institut de gents et en voie de développement (PVD) journalisme de Bruxelles). Il est connaissent cependant depuis quelques actuellement chercheur au Centre « La FAO prédit années une très forte croissance de la de recherche et d’information des un doublement de la demande. Aujourd’hui, par exemple, un organisations de consommateurs demande mondiale Chinois mange en moyenne 59,5 kg de (Crioc), traitant principalement de viande par an, contre 13,7 kg en 19805. problématiques liées à l’agriculture en protéines animales » C’est là le deuxième défi que doit affron- et l’alimentation. ter l’élevage en ce début de siècle : la Un bilan désastreux qui proviendrait forte augmentation de la consommation principalement de la déforestation (in- mondiale de viande, sous l’effet com- duite par l’extension des terres culti- biné de la croissance démographique, de vables), des émissions de méthane des l’urbanisation ainsi que des changements ruminants ainsi que de la gestion des rapides de modes de consommation, en déjections animales. Ces externalités particulier au Sud. La FAO prédit ainsi s’additionnent à un processus de pro- un doublement de la demande mondiale duction particulièrement inefficace, en protéines animales d’ici 2040. Face à responsable d’une énorme pression sur cette demande exponentielle, l’Institut les terres cultivables et d’une hausse des 3 : Élevage et changement climatique. Dépasser les idées reçues et reconnaître la place spécifique de l’élevage paysan. 1 : La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture. Avril 2010. Agronomes et vétérinaires sans frontières. 2009. FAO. 4 : Le défi de l’élevage. 8 mars 2010. Libération. 2 : Livestock’s long shadow. Environmental issues and options. 5 : « L’essor de l’élevage, une menace pour la planète. » 2006. FAO. 18 février 2010. Le Monde. Suite à la page suivante n° 98 - décembre 2010, janvier 2011 défis sud 11
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