Fiction Nuit blanche - Érudit
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Document généré le 25 oct. 2022 01:58 Nuit blanche Fiction Numéro 101, hiver 2005–2006 URI : https://id.erudit.org/iderudit/19125ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Nuit blanche, le magazine du livre ISSN 0823-2490 (imprimé) 1923-3191 (numérique) Découvrir la revue Citer ce compte rendu (2005). Compte rendu de [Fiction]. Nuit blanche, (101), 16–26. Tous droits réservés © Nuit blanche, le magazine du livre, 2005 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
commentaires avant d'en savourer la première fiction bouchée. La notion de première fois revêt pour Philippe Delerm une importance quasi symbo- lique, intrinsèquement associée les motivations passées d'Émilien au plaisir épicurien dissimulé Claude Vaillancourt demeurent obscures ; les sen- dans le plus petit geste du quo- RÉVERSIBILITÉ timents de Julie pour Reinhardt, tidien. Ailleurs, le plaisir s'affran- Triptyque, Montréal, 2005, son premier amant parisien, chit de la mémoire, se livre seul, 251 p. ; 20 $ semblent nettement plus réels et sans artifice. Philippe Delerm authentiques que ceux qu'elle évoque l'image d'un père dont Émilien Charles, un poète aurait éprouvés pour le poète ; la vie entière se pliait aux diktats arrogant, est décidé à revoir les brusques changements sur- du devoir et des responsabilités. Julie, une pianiste québécoise venus dans la vie récente de la Aujourd'hui enfermé dans la qu'il a connu en France il y a jeune femme apparaissent plus maladie d'Alzheimer, il a perdu plusieurs années. Le Parisien ou moins fondés ; enfin, le jeu le contrôle sur sa vie, sur sa débarque donc à Montréal, autour de la notion de miroir, qui mémoire, et n'est plus en mesure quelques indices en poche. traverse tout le roman, manque d'opposer au plaisir le renon- D'abord lancé sur la piste d'une de force pour s'avérer convain- cement convenu. À l'infirmière autre Julie Tremblay, le jeune cant. Bref, avec Réversibilité, qui lui tend un verre de grena- homme multiplie les tentatives Claude Vaillancourt semblait dine il répond simplement, afin de retrouver la musicienne avoir dressé la table pour un après avoir porté le verre à ses qui a brièvement traversé sa vie. savoureux repas ; or, le lecteur lèvres : « C'est bon ». La douce Aufilde ses recherches et de ses repart malheureusement non revanche du plaisir est entiè- conversations avec des gens qui rassasié du banquet auquel il a rement contenue dans ces deux ont connu cette pianiste de été convié. mots, c'est bon, deux mots qui grand talent, Émilien découvrira Véronique Pépin n'avaient jusque-là jamais fait que la vie n'est pas réversible, et partie du vocabulaire du père. qu'il est parfois impossible de Les trente-quatre textes racheter le passé. Philippe Delerm regroupés ici n'ont pas tous le Le professeur, romancier, DICKENS, BARBE À PAPA même pouvoir évocateur, la essayiste et musicien Claude ET AUTRES NOURRITURES même intensité, mais tous rap- E B M P HiLwre D» Vaillancourt livre, avec Réver- DÉLECTABLES pellent à leur façon que le plaisir sibilité, son quatrième roman. L'Arpenteur, Paris, 2005, est là, sous nos yeux, au bout de Correctement écrit et, de façon 106 p.; 18,75$ DICKENS, nos doigts, et qu'il nous appar- générale, bien mené, cet ouvrage BARBE À P ^ tient de le goûter pleinement. „ MJW» réserve toutefois peu de sur- LABULLEDETIEPOLO O&KTMW* N(X!HRi-nJ»« Le dernier roman de Philippe prises à son lecteur. Alternant Gallimard, Paris, 2005, Delerm emprunte un tout autre entre les narrateurs et les épo- 120 p.; 19,95$ registre. La bulle de Tiepolo ques (Émilien, aujourd'hui ; nous plonge au cœur des inter- Julie, il y a six ans), Réver- PHILIPPE Le nouveau recueil de textes de rogations liées à la création sibilité se veut le récit d'une Philippe Delerm - curieuse- DELERM littéraire et picturale, à la fois « touchante histoire d'amour ». ment présenté sous l'appellation sous l'angle de la forme et du Si, tout au long de son ouvrage, récits - s'inscrit dans la pour- contenu, et des motivations l'auteur s'attarde à brosser le suite du répertoire des plaisirs inhérentes à la démarche de portrait des principaux prota- oubliés, voire perdus, entrepris faire naître la seule vue d'une création. Critique d'art, Antoine gonistes, il ne réussit cependant avec la publication de La pre- purée de pommes de terre onc- Stalin aperçoit un jour dans la pas à montrer en quoi la liaison mière gorgée de bière et autres tueuse lorsque, enfant, on en boutique d'un brocanteur une du poète et de la pianiste a été plaisirs minuscules. En exer- déposait une assiette devant soi. toile dont la facture lui rappelle marquante, ni de quelle façon gue, une phrase d'Etienne de La Le plaisir est ici indissociable celle de Matisse, de Bonnard, de cette brève et inachevée relation Boétie annonce le propos, comme du souvenir qui l'évoque. Vuillard. La toile représente peut s'avérer touchante. un menu que l'on nous tend Philippe Delerm en retrace deux femmes assises sur un En bout de parcours, plu- avec un sourire de connivence : chacun des éléments, de sofa, dont l'une est nue. Intrigué, sieurs éléments affaiblissent « J'aime ce qui me nourrit : le l'étalement du journal pour il cherche à obtenir des rensei- effectivement la portée du récit, boire, le manger, les livres ». éplucher les pommes de terre gnements sur le peintre, mais que les premiers chapitres lais- Le premier texte, « Purée jusqu'au dessin des légères doit se rendre à l'évidence : il saient pourtant croire promet- vivante », tire lentement de stries que l'on traçait à la pointe s'agit de l'œuvre d'un inconnu. teur. Entre autres maladresses, l'oubli le plaisir que suffisait à de la fourchette sur sa portion Au moment où il quitte les N" 101 . NUIT BLANCHE . 16
lieux, regrettant déjà de ne pas s'être porté acquéreur de la Haïti toile, une jeune femme, Ornella Malese, entre dans la même L La carrière d'Edwidge Danticat va bon qui, un jour, décide de se boutique et, à la vue de la train : à 36 ans, cette Haïtienne qui habite joindre à la grande famille signature au bas de la toile, aux États-Unis depuis un quart de siècle des miliciens. « On lui avait achète le tableau. Débute entre compte déjà à son actif plusieurs titres fourni une carte d'iden- les deux personnages un (romans et nouvelles) qui ont été loués tant tité, un treillis d'uniforme chassé-croisé qui plonge le par la critique américaine qu'européenne. Son bleu indigo, un chapeau lecteur au cœur d'une enquête dernier roman, Le briseur de rosée, devrait mou, un pistolet P38 et le (quelle est l'identité du peintre ? connaître le même succès que les publications privilège de marcher au quelles sont les motivations qui précédentes car l'auteure a l'étoffe d'une pas dans tous les défilés des jours fériés natio- poussent Antoine et Ornella à grande romancière. Dans ce roman bien ficelé, naux. » Commence alors pour lui la carrière de tenir tant à cette toile ?) dont les Edwidge Danticat met en scène des per- tortionnaire qui, sous Duvalier, ouvre la porte motifs véritables s'avèrent sonnages blessés qui tentent de rassembler à toutes sortes de privilèges. rapidement d'une autre nature : leurs souvenirsfissurés,pour le meilleur... et Voilà un roman intéressant et troublant que retient-on d'une œuvre ? le pour le pire. sur une époque qui n'en finit plus definir.Un sujet revêt-il davantage d'im- L'artiste Ka, qui signifie « bon ange » en témoignage des atrocités passées dont l'évo- portance que la facture ? et le créole, a immortalisé son père dans une cation, malheureusement, ne semble pas guérir style en littérature ? un auteur sculpture. Au cours du voyage qu'elle fait avec les hommes. Et se pose ici encore avec acuité la est-il avant tout reconnu pour lui pour livrer l'œuvre à une actrice célèbre, question déconcertante du rachat et du pardon. son écriture ou parce qu'il traite son père, incapable d'accepter l'hommage que Sylvie Trottier de sujets qui sont au goût du lui rend safille,lui révèle un lourd secret de sa jour ? Ornella, qui vient de voir vie passée dont témoigne encore et toujours son premier roman couronné une profonde balafre sur sa joue. Edwidge Danticat d'un succès inespéré pour une Dans un chassé-croisé de réminiscences, LE BRISEUR DE ROSÉE première publication, craint que Edwidge Danticat raconte entre autres Trad, de l'anglais par Jacques Chabert la critique n'ait été sensible qu'à l'histoire d'un jeune homme de dix-neuf ans Boréal, Montréal, 2005,277 p. ; 24,95 $ la surface des choses, à l'histoire racontée, et non pour ce qu'elle juge essentiel : l'écriture elle- même. « Elle n'avait pas ima- giné ce genre de réussite. Elle est ici formulé avec un soin qui de toujours tuer des milliers qui reste de la vie appartient rêvait de reconnaissance litté- est source de plaisir en soi. Cela d'humains. Cette fois, Gil encore à celui qui la vit. Ce qui raire, et voilà qu'elle était promue vaut bien des réponses. Courtemanche cherche, à débutait en remontrance tourne au rang de phénomène sociolo- Jean-Paul Beaumier l'échelle familiale, ce que vaut la à la connivence. gique. On lui prêtait une éthique vie si elle n'est que l'anticham- À l'autre extrémité du par- zen, on essayait de l'enrôler dans bre de la mort. Est-ce respecter cours humain, c'est l'enfant qui un courant de mode où les gou- Gil Courtemanche la vie que de gâcher les derniers explique à son oncle l'écoute qui rous du bonheur avaient soudain UNE BELLE MORT mois du vieillard tyrannique ? fait la force des grands-parents. la parole. » Le même genre de Boréal, Montréal, 2005, Est-ce tuer que de laisser le père « C'est peut-être parce qu'ils préoccupations hante Antoine 213 p. ; 22,50$ insupportable s'empiffrer de n'ont plus de vie que celle des qui, depuis qu'il a perdu les êtres tout ce qui est savoureux et... autres les intéresse. Les parents, qui lui étaient chers, consacre Du Courtemanche à son meil- lourd de cholestérol ? Quand eux, parlent. » sa vie à l'étude de l'œuvre d'un leur. Le registre, pourtant, diffère la descendance se partage Dans un style élégant qui fait peintre. D'autres questions sur- de ce qu'offrait Un dimanche en « médicaux » et en « boud- coexister le détachement et gissent : l'art peut-il racheter la à la piscine à Kigali. Autant dhistes », dans quel camp se l'émotion, le sourire et le trait, la vie ? s'y substituer ? la dimension internationale réfugie la vie ? pudeur et la totale honnêteté, Philippe Delerm ne formule occupait l'avant-scène dans la Le personnage de la mère Gil Courtemanche exprime le aucune réponse, se contentant terrible évocation du génocide n'en finit plus de surprendre et quotidien des grands déchi- ici de sonder les exigences liées rwandais, autant Une belle d'émouvoir. Elle n'est pas rési- rements et des repères fonda- au travail de création, d'interro- mort se fait intimiste, familial, gnée, mais mesurée. Sa gestion mentaux : la famille, l'amour, le ger les motivations sous-jacentes traversé de confidences chucho- des crises préfère l'érosion aux contrôle, la liberté... « Pourquoi aux œuvres, la réceptivité et tées d'une génération à l'autre. éclats. Quand on la croit dépas- mon mari ne veut pas mourir, l'impact qu'elles connaissent. Si Dans les deux cas, c'est cepen- sée par l'impatience vaguement dit la mère, même si la vie est La bulle de Tiepolo nous laisse dant de mort qu'il s'agit. meurtrière du fils et du petit- un calvaire pour lui ? Pourquoi avec davantage de questions que À Kigali, elle frappait à la fils, elle rebondit en rappelant je ne veux pas mourir, même si de réponses, le questionnement machette et estropiait à défaut sans jeter les hauts cris que ce je suis tellement épuisée, telle- N° 101 . NUIT BLANCHE . 17
commentaires fiction mais le mystère demeure tou- jours complet, car il réside dans le calvaire même du peuple palestinien auquel seul peut correspondre ce geste désespéré ment fatiguée ? Parce que nous anything fuck. Tu restes assis defiertévengeresse. avons peur, même nous, les sur foufounes. Who's gonna pay Le récit est écrit de main bons catholiques, qu'il n'y ait the phone bill, the electricity de maître et nous fait partager plus rien après. Bon, je l'ai dit. » bill ? Corvette, listen to me ! Tu les perplexités et les angoisses Le livre aussi dit les choses. vas retrousser tes hanches ! du héros dans sa recherche, au Magnifique. Quand toé rote bouche ouverte, terme de laquelle il trouve à son Laurent Laplante ça met moé beau jouai vert ». tour la mort dans un attentat Malgré tout, on ne peut contre un chef intégriste reli- s'empêcher de ressentir une gieux. L'horreur du récit se mêle Alexandre Laferrière certaine sympathie pour Paquin aux charmes multiples de ce POUR UNE CROÛTE et Jérémy. En somme, Alexandre territoire écartelé. Une belle et Triptyque, Montréal, 2005, Laferrière réussit parfaitement pathétique histoire d'amour. 120 p. ; 19$ bien à dépeindre la vie peu Jean-Claude Dussault reluisante et sans grand espoir ,van*cU.W* rc Paquin et son ami Jérémy N., que mènent les deux com- parses. Vie que Véra en vient à POUR UNE CROÛTE alias Baquet, sont deux incor- Gilles Jobidon rigibles paresseux dont la « jeu- partager, par la force des choses. L'ÂME FRÈRE nesse se sauve ». Pour eux, la Pour une croûte représente en VLB, Montréal, 2005, belle vie consiste à boire de somme le sentiment de pro- 127 p.; 17,95$ la bière, à travailler le moins fonde impuissance que peuvent possible et à baiser dès que ressentir, face à la vie, certains En mai 1691, en Nouvelle- l'occasion se présente. Lorsque êtres laissés-pour-compte. Il est France, Jean Fillio est surpris Paquin se rend en Europe, où il même difficile de décider si la dans une grange, en pleine nuit, espère pouvoir suivre ce pro- fin s'ouvre sur une certaine dans les bras de Nicolas d'Aucy, gramme, les compères gardent lueur d'espoir ou sur un avenir un homme marié, de dix ans contact par correspondance. Les encore plus désespérant. son aîné. Livrés au bailli, les lettres qu'ils échangent pendant Gaétan Bélanger deux amants sont jugés et quelques mois constituent la condamnés pour « avoir commis première partie de Pour une des actes d'impudicité contre croûte. Le voyage de Paquin se Yasmina Khadra nature du détestable vice sodo- déroule si bien qu'il se fait une L'ATTENTAT mitique de bougrerie ». Tandis blonde, une Hongroise nommée Julliard, Paris 2005, que d'Aucy, fils de seigneur, a Véra, sa « seule botte en deux 268 p. ; 29,95 $ droit à un traitement de faveur, ans ». Il la suit dans son pays, où Fillio, lui, qui a connu un dur elle habite un « shack » qui Œuvre d'un auteur algérien qui passé, est fustigé publiquement tombe en ruine et qu'elle lui écrit sous le pseudonyme de de 20 coups de fouet, marqué au demande de réparer. Yasmina Khadra, L'attentat fer rouge, banni de la colonie à Paquin convainc Jérémy de porte sur la crise identitaire du perpétuité et déporté « vers les venir le rejoindre en Hongrie peuple palestinien privé de Isles », à 19 ans. Un jour, la fille pour l'aider dans les travaux de ses terres et réduit à un état de incompréhensible, le signe qui de Nicolas, Blanche, part pour rénovation. Ils seront donc dénuement national, et sur les aurait pu en être l'annonciateur. « les isles du Vent » où Jean bientôt trois à partager une vie attentats kamikazes qui ont Il entre alors dans le monde de Fillio, dont elle est amoureuse, de misère. Malgré le petit boulot déchiré ce territoire. Le récit s'ou- la filière terroriste des kami- s'est installé comme chirurgien. que les deux amis dénichent, vre sur la disparition de l'épouse kazes pour qui le sacrifice de Seize ans plus tard, le fils que leurs chapardages et les em- d'un chirurgien arabe natura- leur vie paraît être la seule tous deux ont conçu va à son prunts qu'ils font, ils se retrou- lisé israélien. Elle prit l'autobus rédemption. Comme le narra- tour rejoindre son père. Ce vent souvent avec à peine de un matin pour se rendre chez sa teur lui-même, on a de la diffi- dernier décide alors de revenir quoi survivre. Véra est de grand-mère et l'on retrouva son culté à comprendre ce qui anime en Amérique, mais il meurt sur plus en plus exaspérée. Elle corps déchiqueté sur la scène ces héros de l'immolation. Il se le bateau du retour. l'exprime à son chum - qu'elle d'un attentat kamikaze. demande s'il n'est pas incons- Sans être véritablement appelle Corvette, allez savoir La vie du héros bascule ciemment responsable du geste un roman historique, et sans pourquoi - dans le français qu'il soudainement et il cherche de son épouse, puis découvre appartenir davantage au roman lui a enseigné : « You don't do à percer le secret de cet acte une possible infidélité conjugale ; d'aventures, au roman de mœurs N" 101 . NUIT BLANCHE . 18
ou au roman d'amour, L'âme son passe, y compris avec son La Fraga s'avère un roman frère emprunte à tous ces genres Danièle Sallenave père et ses frères. Venise, quoi- initiatique et une fresque d'épo- en privilégiant la reconstitution LA FRAGA que plutôt décadente, lui offre le que. Sensuel, voire erotique des us et coutumes sociales, Gallimard, Paris, 2005, cadre voulu pour nourrir son par moments, ce roman donne familiales, religieuses, judi- 386 p. ; 32,95 $ penchant pour les arts, notam- par ailleurs une impression de ciaires, médicales, vestimen- ment son aptitude au dessin, surcharge. La surabondance taires, culinaires, monétaires, Fin XIXe siècle, à Venise. Une et pour échapper à la condition de détails historiques, picturaux voire musicales, d'alors ; le tout femme de 29 ans, issue d'une des femmes de son époque. et architecturaux crée un effet dans une langue à la fois inven- famille pauvre et austère de Son émancipation se fera d'étalage plutôt que d'érudition, tive et économe qui allie un ton Nouvelle-Angleterre, s'engage en plusieurs étapes, au gré des sans compter les nombreux mots volontiers poétique au vocabu- sur les chemins de la liberté. personnages que le hasard et la et phrases en italien non traduits laire et aux tournures lexicales Fille de pasteur, orpheline de nécessité placeront sur sa route, dont l'écrivaine italianisante de l'époque : c'est le principal mère, Mary Gordon a été qui la mènera de Venise en 1893 parsème son récit sans que la mérite de ce roman peu commun réduite dix ans plus tôt à se faire à New York en 1939, en passant chose ne soit motivée. Finale- que de nous restituer une gouvernante, l'un des rares par Vienne, Nantes et Paris. ment, l'emploi immodéré de période révolue en même temps métiers accessibles à unefillede Mary reconnaît devoir à chacun parenthèses laisse croire que que son langage. Jean Fillio sa condition. Au début du roman, des amants, avec qui elle a le temps a manqué à la roman- « amoure » par exemple son Mary est en devoir à Venise avec délibérément fait un bout de cière pour une dernière révision. amant et lui exprime le « sur- la fillette qui lui est confiée, chemin, une part de sa libéra- Néanmoins, ce n'est pas ce qui plus de tendre » qu'il a sur les Annabelle. À la fin du séjour, à tion sexuelle. Si quelques per- fera ombrage à la réputation de lèvres. Pancrace, le père de Jean, la veille de rentrer, la gouver- sonnages féminins l'inspirent, la Danièle Sallenave, écrivaine s'établit dans une ville du nante est conduite à l'hôpital plupart illustrent plutôt l'alié- française reconnue pour la qua- « ponant de l'ouest » et son fils pour ce qui ne s'avérera par la nation des femmes de son épo- lité de ses traductions de grands met du temps « à ne plus être suite qu'un malaise. Guérie et que et servent de faire-valoir à romanciers italiens, pour ses en naissance de lui-même ». seule, Annabelle étant partie en celle qui a choisi contre vents et nombreux romans et essais, Ailleurs, on voit « l'appentis compagnie de sa mère, la gou- marées de se consacrer à son dont le dernier, Dieu.com, [d'une] maison toute en délabre vernante prend la ferme déci- art, ce qui implique d'être maî- témoigne de sa vaste culture, de à l'aboutant du marigot ». De sion de couper les amarres avec tresse de son existence. sa lucidité et de sa sensibilité. même ne parle-t-on pas d'ho- Pierrette Boivin mosexuel ni d'homosexualité (les deux mots datent du XIXe siècle) mais plutôt de « vice italien », de confrérie des « chevaliers de la manchette » ou « de la jaquetteflottante», et, Réal Ouellet William Boyd LA FEMME SUR LA PLAGE AVEC UN CHIEN surtout, de « bougre » (homo- PAR AILLEURS Trad, de l'anglais par Christiane Besse sexuel passif) et de « bougrerie » (sodomie), un thème illustré par • Seuil, Paris, 2005, Un livre qui nous 197 p. ; 29,95$ les faits et gestes de plusieurs ramène à l'essentiel, autres protagonistes du roman. sans tambour ni trompette. William Boyd a réuni ici de Signalons en outre que les courtes histoires inspirées par la données géographiques et his- Et nous rappelle vie quotidienne. Après deux toriques du récit sont souvent à notre propre récits attachants sur le chemi- données en filigrane : il en nature dans ce „ nement du désir erotique, un est ainsi pour la « capitale » qu'elle a de peu à la façon de Maupassant, fondamental. (Québec) de la « colonie » (la Nouvelle-France), pour la « ville m un troisième met en scène une femme incohérente qui raconte ! 1 la plus éloignée de la colonie », « sur une isle grande » (Montréal),
commentaires fiction d'une seule traite. Son écriture fluide, sensible et introspective s'accorde très bien avec son pro- pos : les rapports amoureux, la famille, la filiation. En pré- dicapé de la dernière guerre. La abandonne la réception pour sentant une femme dans la dernière histoire nous trans- aller prendre l'air. Dans la rue, cinquantaine en pleine crise porte en Russie au sein d'une elle tombe face à face avec son existentielle, So long renvoie à famille aristocratique avec ses second ex-mari qui se rendait des préoccupations qui touchent secrets et ses extravagances. chez elle. Ils vont prendre un la société dans son ensemble. Tous les récits comportent café, mais le courant ne passe Louise Villemaire des allusions au travail d'écri- plus entre eux. Katie le plante là ture et sont traversés de furtifs et rentre à la maison où l'atten- courants d'émotions authenti- dent sesfillesdésormais seules, Marc Dugain ques qui leur procurent une les invités ayantfinipar partir. LA MALÉDICTION certaine parenté malgré leur Toute la journée Katie a eu D'EDGAR différence de ton et de style. l'esprit ailleurs : ses pensées Gallimard, Paris, 2005, Jean-Claude Dussault ont été accaparées par François 333 p. ; 32,95 $ Rajotte, l'amoureux virtuel qui lui écrit des courriels enflam- passer la nuit ensemble. L'au- S'agit-il d'un roman ? La Louise Desjardins més du Manitoba et qu'elle a teure nous laisse sur cette nou- couverture l'affirme, mais il est SO LONG promis d'aller chercher à Dorval velle relation qui commence : permis d'y voir l'alibi habituel. Boréal, Montréal, 2005, le soir même. François parle Katie va-t-elle faire fausse route L'œuvre dite defictioncomporte 159 p.; 19,95$ déjà de l'épouser alors qu'ils une fois de plus ou, au contraire, de moindres risques au chapitre ne se sont jamais rencontrés. se trouve-t-elle sur le point de des poursuites et des dénéga- Le jour de ses 55 ans, Katie Le récit, qui se termine un peu prendre un nouveau départ ? tions. Tortueuse à souhait, McLeod se livre à un bilan de rapidement, se conclut alors que Louise Desjardins nous offre l'entrée en matière accentue vie. Elle repense à ses jeunes les deux amants viennent de un beau petit roman qui se lit l'équivoque : ni la vendeuse du années, du temps où elle vivait manuscrit ni son acheteur ne en Abitibi. Entre un père coléri- garantissent l'authenticité du que qui levait le coude et faisait Vot/4 ftntz tr. M A U le fcobtff ou le. Lxrouut document. Ainsi fragilisés et la cour aux femmes et une mère éloignés de la mêlée, les « sou- du i e x t . . . — ^ fU..lbo_î fArvfAXMt* flouée, frustrée, Katie a grandi venirs attribués à Clyde Toison » fekft* dans un milieu familial où peuvent être de la plume de l'ad- l'amour avait du mal à s'expri- joint et amant d'Edgar Hoover mer. Son premier mariage lui ou l'œuvre d'un faussaire. Quant aura donné l'occasion de rom- à l'auteur, Marc Dugain, il se pre les ponts et de venir s'établir « Si l'amour refuse à départager invention et à Montréal. Cette union, dont était une faute, recherche historique. Pourquoi est née une fille, se terminera Dieu ne l'aurait ne serait-il pas ce faussaire ? pas fait si par un divorce, à la suite duquel tentant. » Malgré ce brouillard épaissi Katie se remariera et aura une Antonin ARTAUD par des calculs qu'aurait appré- secondefille.Ce mariage s'étant ciés l'inamovible patron du FBI, « L 'amour ? lui aussi terminé par un échec, le récit est savoureux. Il témoi- je lefaissouvent, Katie mène depuis lors une mais je n 'en gne du rôle énorme et excessif existence de célibataire déçue. parle jamais. » assumé par Hoover pendant les En ce jour d'anniversaire, les Marcel PROUST décennies de sa gouvernance. filles de Katie, Sandra et Claire, « Plus l'amour Par ses soins, les États-Unis se lui préparent une surprise- est nu, moins sont dressés contre un risque party. Elles ont invité les frères il a froid. » communiste poreux. « Ne pas de leur mère, sa belle-sœur, ses John OWENS définir de limite était pour nous deux anciens maris ainsi que le 432 p. • 35 $ • isbn 2-921956-05-5 le seul moyen de faire entrer qui demi-frère et la demi-sœur de .... *,_,,.«_. ..,~...*,.~_._,..,. www.adaqe-edition.com nous souhaitions dans ce spec- UNE EDITION EXCEPTIONNELLE Diffusion Raffin Claire. Toute sa vie Katie a désiré tre moralisateur et de margi- qu'on fête son anniversaire, 2 6 0 0 MOTS ET EXPRESSIONS « POUR LE FAIRE » ET, naliser les récalcitrants. Le mais cette réunion de revenants « POUR METTRE EN APPÉTIT », 4 0 0 0 CITATIONS EROTIQUES communisme, c'était tout ce qui l'affole : fuyant la confrontation DE 5 0 0 AUTEURS DE LITTÉRATURE CLASSIQUE ET MODERNE, ne respectait pas la croyance en avec son passé mal assumé, elle PLUS 2 2 5 ILLUSTRATIONS DU « PLUS VIEUX JEU DU MONDE ». un Dieu unique et blanc veillant N° 101 . NUIT BLANCHE . 20
sur un État garant de la libre entreprise... » Le bouquin Critique sociale affirme, par contre, l'existence d'un pacte de coexistence paci- près avoir lu en 2004 Le dégoût dans toute cette histoire, fique entre le crime organisé et le FBI de Hoover : chacun des deux en savait trop long sur l'adversaire pour que s'engage A d'Horacio Castellanos Moya, auquel succédait La mort d'Olga Maria (que je lirai), j'étais demeurée perplexe : l'auteur fait preuve d'un incontestable talent de c'est qu'il s'en sort sans une seule égratignure psychologique. Et le plus malheureux, c'est qu'on y une lutte à finir. La réalité pasticheur, mais sait-il au moins inventer une croit. Il tue une femme ressembla passablement à ce voix qui lui soit propre ? Le narrateur du devant ses enfants, se cure que Dugain présente comme un Dégoût se prenait en effet pour l'écrivain les ongles tachés du sang « documentaire fiction ». À ceci autrichien Thomas Bernhard dont il mimait d'une victime, assassine près que l'orientation globale du jusqu'à la rage. sa maîtresse après lui avoir fait l'amour, et cela, récit enlève au clan Kennedy En fait, le talent d'Horacio Castellanos comme n'importe quel acte de violence, tout droit à la moindre sym- Moya réside dans une capacité peu commune s'inscrit dans la succession des jours et des pathie, mais ne corrobore qu'en de s'imprégner d'un langage, d'un univers, en nuits aux côtés des banalités quotidiennes. Sa partie le titre qu'Anthony particulier celui de la violence et de la famille le rejette... et l'on est presque désolé Summers a donné à sa propre corruption. Dans L'homme en arme, la réus- pour lui. C'est un homme, en somme, pris dans biographie d'Edgar Hoover : Le site est totale. Avec Juan Alberto Garcia - la tourmente des événements historiques, peu plus grand salaud d'Améri- Robocop pour les intimes -, l'écrivain nous sentimental, mais pas trop stupide puisqu'il que. On s'étonnera d'ailleurs invite à pénétrer dans le « merveilleux » sait demeurer vivant. Un travail de maître de que les attaques massives de monde de la guerre civile. En 1991, le l'auteur salvadorien, qui démontre que la James Ellroy contre l'ensemble personnage-narrateur, sergent d'un escadron critique sociale peut demeurer littéraire et de ces personnages ne soient de la mort au Salvador, est démobilisé après susciter chez le lecteur des sentiments on ne même pas mentionnées dans la les accords de paix. Mais le problème, c'est peut plus contradictoires. bibliographie. Comme le lecteur qu'il aimait cet emploi, il s'y sentait utile. Judy Quinn n'est jamais certain de la nature Quand on lui propose de se joindre à une de ce qu'il lit, mieux vaut appré- armée secrète, il revit. Le coup foire, tant pis ; cier le côté pétillant du récit vivant un groupe rival l'engage. Tant et si bien qu'au Horacio Castellanos Moya que de poser des questions sans fil des événements qui passent de mal en pis, il L'HOMME EN ARME avenir. Plus de vie, toutefois, que finit par se mettre au service d'une cause à Trad, de l'espagnol par Robert Amutio de style. À preuve, des phases laquelle il n'adhère pas. Le plus fantastique Les Allusifs, Montréal, 2005,123 p. ; 16,95 $ comme celle-ci : « Edgar fut surpris de recevoir une lettre d'un boxeur à la retraite, Gene Tunney, qu'Edgar était venu admirer détruire son adversaire ». clé. Consacrer un disparu est une Du début du XXe siècle Sympathique mais vieillot, le Laurent Laplante première dans ce monde presti- jusqu'à la Seconde Guerre, ce roman semble découpé pour en gieux, décision qui sera par chassé-croisé de familles bour- tirer rapidement un scénario de ailleurs abondamment contestée. geoises amuse et intéresse film. L'habitude, peut-être ? Il Irène Némirovsky Irène Némirovsky n'était parfois mais lasse souvent. « Ces est vrai que certains romans LES BIENS DE CE MONDE pourtant pas une inconnue dames [...] avançaient avec d'Irène Némirovsky ont été Albin Michel, Paris, 2005, lorsque sa brève carrière a été peine [... ] mais, naturellement, portés à l'écran, David Golder 318 p.; 32,95$ brisée. De 1926 à sa mort, elle l'idée de se déchausser ne leur en 1929 et Le bal l'année sui- avait publié une douzaine de serait pas plus venue que celle vante - qui révélera la grande Le destin tragique d'Irène romans. À partir de 1946, sept d'ôter leurs corsets. » Irène actrice Danielle Darrieux. Némirovsky ne cesse d'étonner. romans posthumes ont suivi. Némirovsky écrit bien mais ne Michèle Bernard Née à Kiev en 1903 d'une richis- À mi-chemin entre l'ingé- réussit guère ici à se démarquer sime famille juive et morte à nuité de la comtesse de Ségur et de ses nombreux compétiteurs. Auschwitz en 1942, l'écrivaine l'intelligence amère d'Yves Le roman se termine sur une Naïm Kattan franco-russe obtient le Renaudot Navarre, Goncourt 1980, Les note d'espoir, tristement ironi- JE REGARDE LES FEMMES 2004. À titre posthume, bien sûr. biens de ce monde aborde la que quand on sait la fin du Hurtubise HMH, Montréal, La fille de l'auteure, Denise France provinciale et pudique couple Némirovsky-Epstein. « Il 2005, 350 p. ; 34,95 $ Epstein, extirpe en effet d'une de l'époque. « Elle se tenait lui semblait qu'elle avait fait sa malle ayant appartenu à sa mère debout dans la rue [...], tête moisson [... ], que tous les biens Trente-trois nouvelles consacrées un manuscrit inachevé, la Suite nue. C'était de la dernière de ce monde avaient été engran- au couple, et autant de scénarios française, qu'elle fait publier. inconvenance de se montrer gés par elle [...]. Ils achè- qui témoignent de sa fragilité. Succès et reconnaissance à la ainsi, sans chapeau ni manteau. » veraient leur vie ensemble. » Des couples qui se font et se N° 101 . NUIT BLANCHE . 21
commentaires fiction tueurs, la détective littéraire Thursday Next réussira, après bien des aventures, à ramener la douce Jane entre les pages de « son » roman et du même coup défont, sans grand débordement le recueil. Fin observateur, Naïm à trafiquer la fin pour la rendre d'émotions. Dans quelques cas, Kattan multiplie les angles de plus « hollywoodienne ». c'est la mort de l'un qui y met vision, cerne des situations Dans Délivrez-moi !, Thursday fin, comme dans « L'enterre- et caractérise ses personnages Next doit s'introduire à nouveau ment ». Le soir de l'enterrement par petites touches, en restant dans une œuvre littéraire, en de sa femme, Edmond suit toujours à distance, créant ainsi l'occurrence « Le corbeau » sa routine habituelle. « Sauf un effet de détachement, de d'Edgard Allen Poe, pour libérer qu'Armande était absente. Il désinvolture même. Il laisse au un homme qu'elle y a enchaîné allait pouvoir tousser et ronfler lecteur le loisir d'interpréter, lors de sa précédente enquête à son aise. » Le nouvelliste saisit quoique son épigraphe au début afin de ressusciter son mari la plupart de ses personnages au du recueil propose une orien- « éradiqué » par une grosse mitan de leur vie et visite des tation. Mais la citation en exer- multinationale américaine. Aidée bribes de leur passé. Ils ont gue, tirée de l'Ancien Testament de son père mort - ce qui ne quitté un conjoint ou ont eux- (Livre de Ruth, 3,14) garde une l'empêche pas de rendre visite mêmes été abandonnés, plus part de mystère. quotidiennement à sa veuve - et d'une fois. Ils sont à la recherche L'écrivain originaire de Bagdad qui voyage librement dans le d'une nouvelle relation, viennent a reçu le prix Athanase-David, temps, du chat du Cheschire d'en entamer une, ou choisis- Prix du Québec 2004, pour l'en- venu d'Alice au pays des mer- sent, comme Edmond, le confort semble de son œuvre. Je regarde veilles et d'une Miss Havisham de ne pas avoir à composer avec les femmes qui vient s'y ajouter pétaradante tout droit sortie des quelqu'un d'autre. Le désir illustre bien la qualité d'écriture Grandes espérances de Charles d'enfant s'est rarement mani- de Naïm Kattan. Dickens, notre détective doit, de festé dans ces couples et, quand surcroît, sauver le monde de sa Pierrette Boivin il y a enfants, ils sont mainte- disparition. nant grands et ont fui leur Inclassable, mais parfaitement famille le plus loin possible en Jasper Fforde cohérent malgré le foisonne- ne maintenant qu'un contact DÉLIVREZ-MOI ! ment de rebondissements abra- ténu, un téléphone pour annon- Trad, de l'anglais cadabrants, Délivrez-moi ! est cer une naissance, un décès, une par Roxane Azimi un roman unique en son genre, carte de Noël, et encore ! Ce Fleuve noir, Paris, 2005, intelligent, spirituel et pétillant. n'est pas que l'on se dispute chez 412 p.; 34,95$ On en redemande encore et ces comptables, ingénieurs, encore. avocats, représentants de À l'aulne de nos lectures récen- Yvon Poulin commerce, etc., certes non ! On tes, rien n'est paru de plus déli- se parle, pour le nécessaire, ou cieux, de plus inventif et de plus l'on fuit. Quelques rares per- délirant que Délivrez-moi !, Vania Jimenez sonnages échappent à l'indif- de l'Anglais Jasper Fforde. LE SILENCE férence ou au désamour, comme Ni ouvrage d'anticipation, ni DE MOZART Rémi, dans « Italiens et Amérin- thriller au sens classique, ce Québec Amérique, Montréal, diens », qui « allait lui dire qu'il roman est impossible à résumer. Formant un tout en lui- 2005, s'apercevait que le temps de la Disons que l'action se déroule même, Délivrez-moi ! est le 377 p. ; 24,95 $ passion parvenait à son terme dans les années 80, dans une prolongement du précédent et qu'il était heureux que Angleterre sillonnée par les roman de Jasper Fforde, L'affaire Une histoire d'orphelinat des Claudia fût toujours là. Était-ce mammouths, en guerre depuis Jane Eyre. Dans ce dernier, années 1930 et 1940, mais au- finalement la naissance de 150 ans avec la Crimée, où les le triste roman d'amour de delà des récits d'horreur qui l'amour ? Il découvrirait un jour personnages voyagent dans le Charlotte Brontë se trouve privé semblent être les seuls sou- les mots pour le dire ». temps, où les « Neandertals » de son héroïne, kidnappée par venirs qu'on veuille en garder En dépit du caractère grave conduisent des voitures de un dangereux criminel venu du aujourd'hui. L'auteure, Vania du thème, le ton des nouvelles métro et où les crimes littéraires monde réel, le terrible Acheron Jimenez, ne cherche à disculper demeure léger. Ironie (« Tous font de tels ravages qu'on a Hadès. C'est la panique chez les personne ; elle se donne simple- des obsédés »), sensualité et dû créer une brigade spéciale fans. Plus habituée à débusquer ment le droit de parler de la humour (« Je regarde les femmes » d'intervention. Perdu ? Patience, les contrefaçons et les erreurs vie à l'orphelinat d'Huberdeau et « Mon physique ») traversent nous n'en sommes qu'au décor. typographiques qu'à traquer les (dans les Hautes-Laurentides) N" 101 . 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sans insister sur les scandales. se fait plaquer par sa femme un récit prenant qui ferait Sobriété, pureté de la forme, Ceux-ci ne sont jamais très loin, médecin qui n'en peut plus de certainement un bon film ou transparence cristalline du toutefois, comme le déplore le son mari impuissant et cons- une bonne série télévisée. En vocabulaire, telles sont les quali- vieux frère Laurier, qui, se rap- tamment tourmenté. Entre les attendant, on lira son roman tés de cette poésie qui reven- pelant les paroles de « Souvenir deux, une cassure : Michel Adler d'une traite et on se laissera dique l'héritage de Rimbaud. d'un vieillard » (« Dernier amour est le petit-fils de Mozart toucher par la profondeur de Jean-Claude Dussault de ma jeunesse / Venez à moi, Ménard, mais il n'en sait rien son histoire et de ses person- petits enfants / Je veux de vous car son père,filscadet de Mozart, nages. une caresse / Pour oublier mes a changé de nom pour devenir François Lavallée Pierrette Fleutiaux cheveux blancs... »), commente Luis Adler après avoir été adopté LES AMANTS IMPARFAITS aussitôt : « Attention ! Si jamais vers la fin de l'adolescence. Tout Actes Sud, Arles/Leméac, je fredonne les paroles de cette ce que sait Michel de son père, Fulvio Caccia Montréal, 2005, 311 p. ; 29,95 $ chanson, je suis suspect, et je c'est qu'« il chantait... » Il ne sait LA CHASSE SPIRITUELLE passerais pour un maudit cochon même pas qu'il avait été élevé Le Noroît, Montréal 2005, En début d'année scolaire, si on m'entendait ! Pourtant, dans un orphelinat. Au fil du 43 p.; 15,95$ Raphaël, neuf ans, fait la qu'elle est belle, cette chanson ! » récit, grâce à un ou deux hasards connaissance d'un couple bien Voilà donc la toile de fond et à la mémoire de deux vieux La chasse spirituelle est un étonnant, Camille et Léo, six sur laquelle se déroulera une frères de la Miséricorde qui long poème en trois volets. Une ans. Enfants de diplomate, les histoire émouvante s'étendant s'occupent de ce qui est devenu histoire d'amour difficile à jumeaux Van Broeker-Desfon- sur quatre générations et racon- la base de plein air du lac Ser- naître, difficile à maintenir et taines ne sont jamais que de tée par tableaux représentant gent où il va reconduire son difficile à quitter. Le texte est passage. Hébergés cette année- des sauts dans le temps en avant petit garçon de six ans, Michel très beau, rempli d'évocations là chez leurs grands-parents, ils et en arrière. Lorsque sa femme Adler réussira à recoller les de couleurs ensoleillées, d'odeurs noueront avec Raphaël une meurt, dans les années 1930, morceaux de son passé, ne de désert et de ruines légendai- amitié stimulante mais exi- Mozart Ménard, handicapé, doit sachant même pas au début que res. Derrière la beauté formelle geante. Troublé par ces gamins confier ses deux enfants à c'est ce dont il a besoin depuis du texte évocateur se dégage mystérieux, Raphaël se laissera l'orphelinat. Par ailleurs, à notre toujours. le mystère d'un affrontement entraîner bien au-delà de ce que époque, Michel Adler, pianiste, Vania Jimenez nous sert ici amoureux. son imagination peut concevoir. ^Triptyque NOUVEAUTÉS AUTOMNE 2005 www.triptyque.qc.ca tél. et téléc. : (514) 597-1666 Marie HcthK foitm Patrick Nicol LA BLONDE DE PATRICK NICOL •iM U M M DE « * IOHONN * plyqiK- |fcTn*W« ôn^n« PATRICK NICOL MARIE-HÉLÈNE POITRAS ALEXANDRE I M I KKII RI SOPHIE LEPAGE La blonde de Patrick Nicol La mort de Mignonne Pour une croûte Lèche-vitrine roman, 93 p., 18 S et autres histoires roman, 120 p., 19 S roman, 147 p., 19 S récits, 169 p., 19 $ Derrière les aventures réelles et inventées, Il y a Paquin, grand paresseux puis Lorsque Marie déniche un trésor, comme derrière les fantasmes et les questionne- Après Soudain le Minotaure (Prix Anne- Jérémy, laissé pour compte qui croit une veste bleue ou un inconnu aux che- ments de cet homme triste et prétentieux, Hébert 2003), Marte Hélène Poitras livre innocemment à l'amour par correspon- veux bouclés, elle en rêve longtemps. comique et mesquin, se dessine une douze histoires mettant en scène des per- dance. Deux Québécois exempts d'édu- Philippe, lui, est un consommateur avisé absente : la blonde de Patrick Nicol. sonnages hypersensibles au bord de la cation qui se retrouvent en Hongrie et qui ne prend rien à la légère, surtout pas Pendant que le travail l'absorbait et que désillusion, tous à la recherche d'une tentent, de boires en déboires, de survivre sa vie amoureuse. Andy devient l'amant s'écoulaient les années, alors même qu'il sorte de grâce, que seuls les plus chanceux à la plus noire des misères. de Marie le jour où, lassée d'attendre la voulait être aimé, Patrick Nicol a négligé atteignent. Bestiaire sombre, gonflé d'une Dans ce portrait frais peint de vaincus voiture de ses rêves, elle opte pour une celle qui vivait à ses côtés. énergie proche de celle de l'adolescence, d'avance, Laferrière offre une tragicomé- Lada d'occasion. Chassé-croisé amoureux La mort de Mignonne et autres histoires trou- die colorée. On s'assoit sagement pour ayant pour toile de fond la consomma- Un rappel de l'ingratitude, un témoi- ve son équilibre entre brutalité et can- goûter à l'oralité et au lyrisme pétillants tion, Lèche-vitrine scrute le quotidien de gnage sur la maladie du travail, sur l'âge deur, fébrilité et fatalité. de l'écriture, s'offrant ainsi une place de choix au théâtre des Incapables. jeunes Montréalais en quête de rela- et l'endormissement... tions... et d'acquisitions. N° 101 . NUIT BLANCHE . 23
commentaires fiction perdre pied, de voir s'ouvrir le plancher sous soi. La haine, ensuite. Pierre Vaugeois venait de passer de l'autre côté du miroir, celui où il voulait commettre un Dans une atmosphère à la fois acte vraiment déraisonnable. » envoûtante et inquiétante, le Gérald Galarneau Pour assouvir sa vengeance, très beau roman de Pierrette MOTEL RIVIERA Vaugeois, dans un moment de Fleutiaux raconte l'histoire de JCL, Chicoutimi, 2005, rage folle, commet l'irréparable. ce trio d'enfants qui partent à 260 p.; 17,95$ Si ce n'était de la perspicacité et l'aventure vers les frontières, du zèle d'une jeune policière de toujours un peu floues, de la Par un soir brumeux et pluvieux la ville de Belœil, Katia Moreau, moralité, voyage singulier qui se d'automne, et contre toute et des bourdes que commet poursuivra à l'adolescence puis attente, la vie de Pierre Vaugeois l'infâme mari, Pierre Vaugeois au début de l'âge adulte. bascule : le voilà cocu ! Après aurait peut-être pu s'en tirer. Un malaise s'installe dès les une brèvefilature,il en a désor- Voilà, la table est mise ! premières pages, malaise qui mais la certitude... c'est bien la Le thriller de Gérald persiste jusqu'à la fin du livre Ford Tempo blanche de sa Galarneau est habilement mené, puisque Raphaël nous raconte à femme qui se trouve au Motel tous les ingrédients y sont : un rebours l'histoire de sa déroute, Riviera ! Sa femme... avec un il ne l'avait pas prévenue, elle ne criminel à l'esprit tordu fran- soit depuis sa rencontre avec les autre homme ! Inimaginable l'attendait que le lendemain. chement antipathique, une jeune jumeaux. « Ces deux-là cultivent pour cet affreux macho aux Defilen aiguille, le doute fait policière diligente aux idéaux l'art de vous égarer, j'ai mis un certitudes inébranlables, inqui- d'abord place à la stupéfaction élevés, une atmosphère trouble certain temps à le comprendre. siteur, habitué du bar L'Érotica. qui se transforme rapidement et tendue, des personnages en [... ] Ils voulaient que je sois le Sa femme Josée, dont il venait en fureur dans le cœur de Pierre détresse... Un livre qui ne tient scribe de leur vie, à défaut d'être pour ainsi dire de découvrir Vaugeois - si tant est qu'il en pas vraiment la route si on leur jumeau. Nous coucher tous l'existence, aurait dû se trouver eût un ! « Ça lui prit d'un coup, le compare avec les grands du les trois dans leur beau cahier à à la maison. Mais bien sûr, comme le goût de vomir, l'impression de genre mais, somme toute, un papier parchemin, encordonnés thriller québécois qui se dis- par nos mots de gamins. Je tingue nettement des autres que suppose que je le voulais aussi. » j'ai lus jusqu'à maintenant. Un Gémellité, expériences fusion- début prometteur. nelles, tentations inconscientes NOUVEAUTÉS AUTOMNE 2005 Sylvie Trottier donneront lieu, chez ces enfants qui n'ont pas encore un sens Marie Hélène *_m_ de la réalité affermi, à des Frankétienne comportements narcissiques ANTHOLOGIE SECRÈTE ^•"Isuwitm* dont l'aboutissement, à l'ado- - Mémoires d'encrier, lescence, aura des conséquences Montréal, 2005, 172 p.; 20$ dramatiques. Interpellant tour à tour son Dans son séminaire consacré à psychologue et Natacha, une jeune Joyce, Lacan en venait à se écrivaine entrevue au Mali, demander si l'écrivain irlandais Raphaël, début vingtaine, tente .» n'était pas à partir d'un certain d'exorciser un passé encore moment - avec sa manie du récent tout en consolidant une £,_¥*»_ Finnegans Wake - devenu fou. vocation naissante d'écrivain. MARIE-HÉLÈNE POITRAS ALEXANDRE LAFERRIÈRE La question méritait effecti- En tentant de rattacher les fils La mort de Mignonne Pour une croûte vement d'être posée au sens où et autres histoires roman, 120 p., 19 S cassés de sa vie, il revisite son il est possible que se croire le récits. 169 p., 19 S Il y a Paquin, grand paresseux puis enfance puis son adolescence Après Soudain le Minotaure (Prix Anne- Jérémy, laissé pour compte qui croit Rédempteur ait quelque chose à afin d'expliquer à ses juges Hébert 2003), Marie Hélène Poitras livre innocemment à l'amour par correspon- dance. Deux Québécois exempts d'édu- voir avec l'interrogation sur le douze histoires mettant en scène des per- ce qui s'est réellement passé sonnages hypersensibles au bord de la cation qui se retrouvent en Hongrie et Père. désillusion, tous à la recherche d'une tentent, de boires en déboires, de survivre en un jour fatidique dans le sorte de grâce, que seuls les plus chanceux à la plus noire des misères. Or, sur quoi s'ouvre tout atteignent. Bestiaire sombre, gonflé d'une Dans ce portrait frais peint de vaincus studio des jumeaux. Les amants énergie proche de celle de l'adolescence, d'avance, Laferrière offre une tragicomé- justement cette magnifique imparfaits raconte l'histoire La mort de Mignonne et autres histoires trou- die colorée. On s'assoit sagement pour ve son équilibre entre brutalité et can- goûter à l'oralité et au lyrisme pétiliants anthologie de Frankétienne, bouleversante d'une amitié deur, fébrilité et fatalité. de l'écriture, s'offrant ainsi une place de écrivain haïtien (faux-)blanc, choix au théâtre des incapables. absolue. ponctuée par les photographies Sylvie Trottier fort bienvenues de Rodney N° 101 . NUIT BLANCHE . 24
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