Génération Telecom - Media - Sports - Dossier spécial
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# 28 > Éditorial Les télécoms, les médias et les filières sportives face à la remise en cause de leur modèle économique Voilà deux industries, au cœur du numérique, qui font face à la remise en cause rapide et douloureuse de leurs business models. Les opérateurs télécom européens, soumis à la pression des régulateurs, font Bernard Desprez face à l’arrivée des géants de l’internet qui captent une part croissante de la Directeur général France, valeur générée par les réseaux haut débit qu’ils déploient. Opérant sur des Kurt Salmon marchés matures, sur des géographies en crise, dans un environnement forte- ment concurrentiel, les opérateurs voient leurs marges s’éroder et doivent repenser leur approche du marché et leur modèle opérationnel. De leur côté, les acteurs des médias font face à des situations contrastées : la musique se restructure et espère un retour à la croissance après une décennie de chute de son chiffre d’affaires. Sur la télévision, les opérateurs locaux de télévision gratuite et payante sont confrontés à la fragmentation des audiences avec la multiplication des écrans et vont devoir se préparer à l’arrivée de la télévision connectée et de la concurrence nouvelle des acteurs « Over The Top » s’appuyant sur les technologies Internet. La presse poursuit sa mutation : organisation bimédia des rédactions, réforme du système de distribution, poursuite de la diversification et recherche de synergies opérationnelles. Dans l’édition, bien que le basculement se fasse plus lentement en Europe qu’aux Etats-Unis, le livre numérique va précipiter des restructurations et stimuler l’innovation. Les filières sportives, de leur côté, subissent le contrecoup de la pression financière sur les médias, qui sont leurs principaux bailleurs de fonds et doivent s’adapter. Autant d’enjeux sur lesquels nos équipes ont le privilège de conseiller et d’accompagner nos clients. Dans ce numéro de Génération, ces derniers témoignent de ces transformations ; nos équipes, au cœur de ces projets, font part de leurs expériences et de leur point de vue. Mutualisation des infrastructures, consolidation des acteurs, mise en place de nouveaux modèles opéra tionnels mais aussi recherche de nouveaux business models digitaux et réorientation vers les géographies en croissance (et en particulier l’Afrique) sont à l’agenda des leaders des industries numériques et au sommaire de ce numéro. A propos de Kurt Salmon Ineum Consulting et Kurt Salmon Associates se sont unis pour créer une organisation unique, intégrée et globale qui opère sur les 4 continents, sous une même marque : Kurt Salmon. Nos clients bénéficient de la spécialisation sectorielle et fonctionnelle de nos 1 400 consultants en stratégie, organisation et management. Dans un environnement de plus en plus complexe, nous sommes convaincus que nous ne devons pas nous contenter d’être un cabinet de conseil. Nous voyons notre rôle comme celui d’un partenaire de confiance, qui, aux côtés de ses clients, conçoit et met en œuvre les stratégies et les solutions les plus pertinentes, à la mesure de leurs ambitions. Forts de notre expérience, notre préoccupation permanente est de leur apporter des résultats mesurables et d’assurer le succès de leurs projets, de manière significative et durable. Notre signature : l’excellence dans l’exécution. Kurt Salmon est membre du Management Consulting Group (MCG Plc - Bourse de Londres). Pour plus d’informations, www.kurtsalmon.com Génération Kurt Salmon # 28 3
Génération Kurt Salmon est édité par Kurt Salmon. SAS au capital de 8 491 000 euros. 433 224 847 RCS Nanterre. 159, avenue Charles-de-Gaulle, 92521 Neuilly-sur-Seine Cedex. Tél. standard : 01 55 24 30 00. Président et directeur de la publication : Chiheb Mahjoub. Responsable de la rédaction : Vincent Chaudel (01 55 24 31 79). Rédactrice en chef : Amandine Solanet (01 55 24 32 64). Mise en page : Valérie Klein, Domino (01 45 23 09 79). Crédits photo : Fotolia. Impression : Planète Graphique, Le Mesnil-Grémichon, 76160 Saint-Martin-du-Vivier. Parution et dépôt légal : 2013. Diffusion gratuite. ISSN : 2260-8583. Imprimé sur papier recyclé. © 2013 Kurt Salmon - Tous droits réservés - Domino 4 Génération Kurt Salmon # 28
sommaire # 28 Telecom - Media - Sports Interviews Stéphane Martin, Directeur Transformation, Performance et Progrès, chez Bouygues Telecom La mise en œuvre d’une démarche de performance et d’amélioration continue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 Marc Feuillée, Président du SPQN (Syndicat de la Presse Quotidienne Nationale) et Directeur Général du Groupe Le Figaro Transformation digitale de la presse : bilan et perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Jean-Noël Tronc, Directeur Général de la Sacem Retour sur la mutation numérique de l’industrie musicale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Pierre Camou, Président de la Fédération Française de Rugby Les Assises Nationales du Rugby : une démarche de transformation novatrice et collective pour poursuivre le développement de l’ensemble du Rugby français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 Retours d’expérience Quels leviers d’optimisation pour favoriser la nécessaire transformation des opérateurs télécoms européen ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 La fusion d’entreprise, un exercice particulièrement délicat et sans droit à l’erreur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 Marchés émergents, une promesse de croissance pour les opérateurs : le continent africain . . . . . . . . . . . . . 25 Repenser son modèle industriel en temps de crise : l’exemple de la distribution de la presse . . . . . . . . . . . . . 27 La différenciation par l’Expérience Client chez Méditel au Maroc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 Points de vue Les opérateurs télécoms confrontés à la nécessité de transformer en profondeur leurs réseaux de distribution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 Réseaux sociaux : au-delà du « community management », un nouveau canal pour le marketing direct . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 Les contenus « Over The Top » investissent nos télévisions : chronique d’une rupture que les acteurs traditionnels peuvent devancer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 Le NFC Mobile entrera dans nos quotidiens… sur la pointe des pieds . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 Après l’ebook, les groupes d’édition face à la nécessité de repenser le modèle industriel du livre . . . . . . . . . 43 La nouvelle fabrique de l’innovation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 ACTUALITéS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Génération Kurt Salmon # 28 5
interviews Bouygues Telecom La mise en œuvre d’une démarche de performance et d’amélioration continue Vous dirigez la Direction Transformation, la mise en place d’indicateurs pertinents Stéphane Martin, Performance et Progrès, pouvez-vous de performance économique et opéra- Directeur Transformation, nous expliquer dans quel contexte elle tionnelle. Et ce, dès le premier niveau de Performance et Progrès, a été créée ? management. chez Bouygues Telecom La Direction Transformation, Performance En complément, nous avons conçu et Progrès est le fruit d’un programme de une méthode d’amélioration continue Propos recueillis par Jérôme Besse transformation lancé en 2009 pour anti- pour aider les managers à réaliser des et Philippe Pestanes ciper les mutations du marché et l’arrivée analyses de causes suffisamment pro- d’un nouvel acteur sur le marché de la fondes pour traiter, « pour de vrai », les téléphonie mobile. zones d‘inefficience et suivre de manière Lancé en septembre 2009, ce programme plus systématique la mise en place des s’articulait autour de deux axes majeurs : actions correctives dans leurs domaines le développement commercial et l’amé- de responsabilité. lioration de la productivité. Enjeux : Enfin, nous avons développé, en collabo- assurer un niveau d’EBITDA suffisant pour ration avec la Direction des Ressources assurer notre développement et faire Humaines, un programme d’accom- évoluer l’entreprise de manière pérenne pagnement, intitulé « Croissance et vers une culture de la performance et du Performance », destiné à l’ensemble des progrès. managers de l’entreprise et visant à ren- C’est ainsi qu’une réflexion approfondie forcer la culture de performance et de sur le management de la performance progrès, insistant notamment sur l’impor- économique a été menée. Il s’agissait de tance des comportements et des rôles dépasser la simple logique de pilotage managériaux dans la démarche. budgétaire pour s’orienter vers un pilo- A l’issue d’une phase de conception qui a tage économique de chaque activité, sur pris fin mi 2010, 60 initiatives concrètes la base de volumes et de prix unitaires et ont été progressivement transmises à des porteurs opérationnels pour être mises en place. Parcours Etant déjà porteur des démarches « Lean » et responsable de la conduite • Diplômé de l’Institut Commercial de Nancy, Stéphane missions d’organisation au sein de débute sa carrière en février 1990 en qualité de Bouygues Telecom, c’est tout naturelle- consultant en organisation chez Andersen Consulting ment que les sujets de management de à Londres puis Paris dans les secteurs des Utilities et la performance économique et d’amé- des Télécommunications. lioration continue m’ont été confiés avec • Il rejoint Bouygues Telecom en 1995 où il prend suc- l’objectif d’ancrer davantage encore la cessivement la responsabilité du Service Organisation, culture de performance et de progrès au puis de la Direction Facturation et Encaissements et sein de l’entreprise. Ceci s’est traduit par enfin la responsabilité des Achats d’équipements et la création d’un réseau d’une cinquan- Maîtrise d’Ouvrage Déléguée du réseau en qualité de taine d’acteurs de la performance répartis Directeur Développement et Projets. dans l’ensemble des métiers et animé par • En juin 2000, il intègre Dolphin Telecom en tant que une équipe centrale légère. Directeur des Services Clients puis le Groupe Saur, opérateur privé de services publics (eau, propreté, Bouygues Telecom a récemment trans- énergie), en novembre 2001. Il y occupe les postes de formé son organisation, comment votre Directeur Relation Clients avant de prendre en charge direction a-t-elle évoluée ? la Direction Métiers, en charge de la performance opé- Dans la foulée d’une réflexion stratégique rationnelle du Groupe. menée sur le dernier semestre 2011, le • Il rejoint Bouygues Telecom fin septembre 2009 pour système de management de l’entreprise a piloter le programme de transformation Oser. Il est été repensé et l’organisation modifiée. En nommé Directeur Transformation Performance et avril 2012, une organisation plus simple Progrès en avril 2012. et agile a été mise en place conduisant notamment à la création de 3 Directions 6 Génération Kurt Salmon # 28
4. Piloter les projets, transverses, com plexes et/ou critiques, nécessitant, compte tenu de leur enjeu, de position- ner des directeurs ou chefs de projets aguerris ; 5. Développer la culture de la Perfor mance et du Progrès dans l’entre prise par l’accompagnement et la mise à disposition d’outils et de méthodes d’amélioration continue. Concrètement, comment travaillent ces responsables de portefeuilles d’amé- lioration ? Quels types de services peuvent-ils proposer aux équipes opé- rationnelles ? Aujourd’hui, trois responsables de porte- feuille d’amélioration ont été nommés : un premier sur la Direction Foyers & de Marchés dont l’autonomie a été ren- Mobiles, un deuxième sur la Direction forcée ainsi qu’au rapprochement de Offres fixes, Services et Contenus et un certaines directions pour gagner en effi- troisième sur la Direction Entreprises. cacité. Ils peuvent s’appuyer sur l’ensemble des C’est ainsi que m’ont rejoint les direc- entités de la direction pour remplir leur teurs et chefs de projets chargés de faire mission : l’interface entre les maîtrises d’ouvrage métiers et la Direction des Systèmes • l’entité « Excellence Opérationnelle » d’Information. qui mène des missions d’amélioration de la performance avec une palette L’objectif ? Garantir une transformation d’outils et de méthodes éprouvés : le plus rapide et efficace de l’entreprise par Lean, les missions d’organisation et la le rapprochement d’équipes aux compé- définition de plans de progrès, tences très complémentaires. • l’entité « Alignement stratégique », en Quelles sont aujourd’hui les missions de charge du référentiel des processus votre direction ? métiers transverses dans un souci per- Les missions qui m’ont été confiées sont manent de clarté et de simplicité, aujourd’hui au nombre de cinq : • l’entité « Pilotage des projets de trans- 1. Assurer le pilotage d’un programme formation », qui assure la gestion des d’économies lancé début 2012 ; grands projets de l’entreprise sur l’en- 2. Dans un rôle d’architecte d’entreprise, semble de leurs composantes (Coûts, cadrer et assurer l’alignement des Qualité, Délais, Fonctionnalités et projets majeurs de l’entreprise Valeur), avec les enjeux stratégiques et les • l’entité en charge du pilotage de notre contraintes budgétaires de l’entre programme de réduction des coûts, prise, mission qui consiste à être le qui aide les porteurs d’initiatives à les garant d’une architecture cohérente et mettre en œuvre et à traiter les risques optimisée (mutualisation, réutilisation et les éventuelles difficultés, de briques existantes…) du portefeuille • et enfin, l’entité « Management de la des projets ; performance transverse », qui recueille 3. Accompagner nos clients internes et analyse l’ensemble des données dans la construction et la mise en disponibles, y compris au travers de œuvre de plans d’amélioration benchmarks, pour identifier l’ensemble des processus critiques dans une des zones de non performance de logique de bout en bout, mission Bouygues Telecom dans ses grands pour laquelle j’ai créé des rôles de processus transverses. responsable de portefeuilles d’amé- lioration en charge de définir avec les Comment s’est faite l’appropriation responsables de Directions de Marchés des outils et méthodes que vous avez les plans d’amélioration nécessaires, déployés et quelle est la perception des et ce, quelque soit la méthodologie opérationnels aujourd’hui ? requise (amélioration continue, Lean 6 Il n’y a pas de règle. Certaines directions Sigma…) ; ont très vite été intéressées et séduites Génération Kurt Salmon # 28 7
interviews par ces outils et méthodes (la Direction 2. Optimiser nos dépenses pour ce qui Réseau et la DSI notamment) alors que concerne le Mobile dont l’équilibre d’autres directions ont eu plus de mal à économique est en train de changer en voir l’intérêt ou le potentiel. profondément. De manière générale, les directions qui 3. Installer un nouveau modèle de com- ont engagé des projets étaient les plus mercialisation avec notre marque sensibles à l’atteinte de résultats concrets, B&You. qu’ils se traduisent en gains économiques 4. Enfin, nous devons renforcer nos posi- directs ou bien en agilité et en qualité. tions dans le monde du Digital. Avec le recul, voyez-vous des écueils à Quant aux facteurs clés de succès d’une éviter ? transformation, le pré-requis indispen- Pour ce qui est de la diffusion de la sable est la prise de conscience de culture, le principal écueil est de vouloir l’urgence et de la nécessité de se trans- aller trop vite. Il faut prendre garde à former. ce que les collaborateurs embarqués L’implication de la Direction Générale est adhèrent véritablement à la démarche. bien évidement un facteur clé de succès Une transformation ne se décrète pas. Il déterminant. Implication qui doit se tra- faut accepter de prendre du temps. duire par un affichage clair et régulier des priorités de l’entreprise à l’ensemble des > qui facilite le travail, il est crucial de donner du sens à l’action et de s’assurer Concernant les méthodes, et notam- que chacun a bien compris comment il ment le Lean 6 Sigma, il faut respecter pouvait contribuer, par son action, à la scrupuleusement la méthode, ne pas la performance globale de l’entreprise. dévoyer. Au début, nous avons pu avoir Enfin, il ne faut pas hésiter, dans un trop tendance à privilégier le nombre de marché aussi changeant que le nôtre, à projets lancés. Bilan : des projets qui ont réajuster le tir. L’alignement stratégique, eu du mal à aboutir voire même n’ont mené sur la base de cycles courts, nous jamais correctement démarré. Il faut permet de réviser le cap pour mieux le donc accepter d’en faire moins mais de tenir. faire bien. Enfin, il ne faut pas négliger l’importance Quels sont les grands défis que vous de l’accompagnement et du coaching. La souhaitez relever dans les années qui formation des managers ne suffit pas. Il viennent ? faut coacher et « faire avec » pour que le Le grand défi est celui de la durée. Faire geste change. En complément, certains en sorte que la démarche devienne natu- projets Lean réclament, pour obtenir les relle pour l’ensemble des collaborateurs, gains un accompagnement spécifique qui n’auraient plus besoin d’être stimulés renforcé. Il faut l’anticiper. dans la recherche d’amélioration de leur activité. Quels sont les grands enjeux de trans- Autrement dit, réussir ce que nous nous formation que vous identifiez ? Quels sommes dits en 2009 ; faire évoluer sont les facteurs clés de succès de la l’entreprise de manière pérenne vers une transformation d’une entreprise comme Bouygues Telecom ? culture de la performance et du progrès. Au-delà des enjeux classiques auxquels est confrontée toute entreprise qui se transforme, Bouygues Telecom doit relever quatre principaux défis. En savoir plus : Jérôme Besse, 1. Relever le défi d’industrialisation de jerome.besse@kurtsalmon.com, ses processus lié à la croissance signi Philippe Pestanes, ficative de notre base sur le Fixe. philippe.pestanes@kurtsalmon.com 8 Génération Kurt Salmon # 28
Groupe Le Figaro Transformation digitale de la presse : bilan et perspectives Marc Feuillée, Président du SPQN et Directeur Général du Groupe Le Figaro, fait un point sur l’évolution du marché de la presse et analyse les initiatives de transformation entreprises et à entreprendre par les groupes de presse. Marc Feuillée, Président du SPQN (Syndicat de la Presse Quotidienne Entre 2000 et 2010, la presse, en réparti auprès de plusieurs acteurs. Il a Nationale) et Directeur France, a perdu 950 M€ (– 9,8 % sur été aspiré pour partie par la télévision Général du Groupe Le Figaro la période)1 – presse imprimée et qui a cru à travers les offres TNT, mais presse en ligne. Les groupes de presse surtout par le secteur du numérique Propos recueillis ont perdu environ 50 M€ de chiffre et en particulier les portails comme par Philippe Pestanes et Guillaume Raoux d’affaire de diffusion (vente d’exem- Google, qui dans le même temps repré- plaires imprimés et numériques) et sente un volume d’affaire d’à peu près 900 M€ de chiffres d’affaires publi- 1 milliard d’euros en France. Je vois une citaires presse imprimée et presse concomitance entre le déclin à hauteur en ligne comprises1. Pour inverser la de 10 % des revenus de notre média et tendance et survivre à la révolution la montée en puissance d’un acteur qui numérique, les groupes de presse se est devenu très dominant sur le marché transforment. de la publicité numérique. En revanche la presse a stabilisé sa Comment expliquez-vous la difficulté des groupes de presse à maintenir leur diffusion et surtout elle a gagné la chiffre d’affaire sur leurs deux princi- bataille de l’audience. Jamais les jour pales sources de revenus (diffusion et naux et les marques de presse n’ont publicité) ? eu une audience aussi importante. En 10 ans, la perte de chiffre d’affaire L’audience de nos supports imprimés de la presse est d’environ 1 mil reste forte puisque 35 millions de fran- liard d’euros. La perte de chiffre çais déclarent lire la presse chaque d’affaires de la presse est essentiel jour (tous types de presse confondus), lement due à la perte de chiffre d’af 22 millions déclarent lire au moins un faire publicitaire. Ce chiffre d’affaire est quotidien, 27 millions déclarent lire au moins un magazine. Sur l’audience numérique, la presse, et Parcours en particulier la presse quotidienne, a remporté ses plus gros succès. En Né le 1er septembre 1962, diplômé de l’Institut politique de Paris et 10 ans la presse s’est imposée sur la de l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales (HEC), Monsieur Marc plupart des médias digitaux. Que ce Feuillée fut contrôleur de gestion à la holding du Groupe Presse soit sur le web, sur le mobile ou sur les Hachette (1987-1990). tablettes, l’audience des sites de presse Il rejoignit la SA Groupe Express où il fut contrôleur de gestion puis est particulièrement forte. Sur le web, directeur de la gestion (1990-1994) et directeur financier de la SA parmi les 10 premiers sites d’actualités, Groupe Express (1994-1996). on retrouve 7 sites de presse qui repré- Directeur général adjoint du Groupe LSA et Cie (éditeur de l’heb- sentent 75 % de l’audience cumulée de domadaire « LSA-Le Journal de la Distribution ») (1997), il devint ces 10 sites (source : Médiamétrie, juin en 1998 membre du directoire et directeur général adjoint de la SA 2012). On retrouve les sites du Figaro, Groupe Express. du Monde, du Parisien, du Nouvel Nommé en 1999 directeur général de la SA Groupe Express, il Observateur, de l’Express, du Point et de fut parallèlement directeur général du pôle information générale 20 minutes aux côtés des sites d’autres regroupant les Groupes Express et Expansion – devenu en janvier médias comme celui de TF1, Europe1, 2002 Groupe Express-Expansion (2002-2006). Yahoo News, Orange news et MSN actualités. Toujours sur le web, parmi Il est nommé en septembre 2006 président du directoire du Groupe devenu en 2008 Groupe Express-Roularta. 1. Tous types de presse hors presse C’est en janvier 2011 qu’il prend la direction générale du Groupe gratuite d’annonces et d’information, presse Figaro et est élu à la présidence du Syndicat de la Presse Quotidienne hebdomadaire régionale, presse étrangère - Nationale (SPQN) en juillet 2011. en euros courants - source : DGMIC, enquête éditeurs, analyse KS Génération Kurt Salmon # 28 9
interviews les 10 premiers sites d’information éco- développement et au numérique – et nomiques on retrouve 6 sites de presse. d’autre part, par une augmentation de L’equipe.fr est le site leader d’informa- la productivité dont le niveau hérité des tion sportive devant Eurosport, Orange périodes fastes de la presse n’est plus sport, Dailymotion ou Yahoo Sport. Enfin, aligné avec les impératifs de compétiti- dans le top 50 des sites, toutes catégo- vité actuels. ries confondues, on retrouve 9 sites de Parallèlement, plusieurs leviers de valo- presse, les deux premiers sites étant risation de notre audience doivent être Google et Facebook. Par ailleurs, un peu approfondis. Sur le plan de la publicité, plus de 8 millions de « mobinautes » nous devons mieux valoriser nos inven- consultent la presse depuis leurs mobiles taires, introduire un media planning des et 1,4 millions d’utilisateurs de tablettes sites de qualité comme les nôtres qui consultent la presse sur leurs tablettes. sortent de la simple volumétrie et du L’audience numérique de la presse est ROI et nourrissent les marques, valoriser donc une audience très grand public et les données clients, et enfin, apprendre à c’est également une audience nouvelle commercialiser de manière différente à pour la presse. A titre d’exemple, seul travers notamment les « ad exchange » 25 % de l’audience numérique du Figaro (sorte de bourses où se négocient les est commune à l’audience de ses jour- espaces publicitaires). Sur le plan de naux imprimés. la diffusion, nous devons habituer nos Ce succès d’audience témoigne de la lecteurs à mieux faire la différence entre capacité de la presse à créer des conte- les contenus gratuits, qui resteront dans nus qui séduisent de plus en plus de l’offre comme les breaking news, et, des consommateurs même si leurs modes contenus plus approfondis que nous de consommation évoluent. devons apprendre à commercialiser. Cependant, le changement de modèle > dépendants de distributeurs en situation de monopole de fait. Sur le web, le trafic issu des portails et moteurs de recherche La véritable problématique des aboutissant sur les sites de presse vient groupes de presse est une problé à 93,5 % de Google (le reste venant de matique de modèle économique. Ces Yahoo ou Bing). Sur les tablettes, plus de 10 dernières années, nous n’avons pas 90 % des téléchargements de la version pu valoriser notre audience numérique pdf de nos journaux sont faits depuis les dans les conditions dans lesquelles nous iPAD d’Apple. Dans le domaine du smart- avions pu historiquement valoriser notre phone, a émergée une concurrence à audience « print ». Pour relever le chal- Apple avec Samsung et Android, qui, lenge de la monétisation des contenus, espérons le, ne sera pas remis en cause les groupes de presse disposent cepen- avec par les batailles juridiques qui se dant de deux atouts : l’audience déjà livrent actuellement. constituée d’une part et la propriété des contenus qu’ils produisent d’autre part. De plus, ces distributeurs captent l’inté- gralité de la valeur des contenus qu’ils Que doivent faire les groupes de presse distribuent, alors même que les groupes pour recouvrer un modèle économique de presse supportent les coûts néces- vertueux sur Internet ? saires à la production d’une information Les groupes de presse disposent de qualité. Tout cela pose un problème à de deux champs d’actions : mener terme pour le pluralisme et l’originalité une action sur les coûts, continuer à des créations de contenu. développer l’audience et apprendre à Ces acteurs sont gigantesques et la valoriser. leurs centres de décision sont hors de Nous devons mener une action sur les France : ils sont inaccessibles au lobby coûts qui passe par un redéploiement des groupes de presse Français, qui sont des moyens d’une part – moins de frais en fait de grosses PME domestiques. généraux et de frais industriels tradi- Nous travaillons donc avec les pou- tionnels et plus de moyens accordés au voirs publics pour mettre en place des 10 Génération Kurt Salmon # 28
redirigé sur le site de l’éditeur). C’est un faux semblant car cette audience n’est pas monétisable car elle est déjà moné- tisée par les portails. Il y a donc une piste pour la création d’un droit voisin, c’est d’ailleurs la piste du droit d’auteur qui est utilisée par les allemands dans leur projet de loi. Probablement faut-il permettre la redistribution via une taxation des objets connectés. L’extraordinaire essor des ventes d’objets connectés doit per- mettre d’enrichir la création qui déve- loppe l’usage de ces objets. Le cinéma, la musique, l’information développent l’usage des objets connectés et pour autant la valeur qui est créée par cette nouvelle économie est essentiellement captée par quelques acteurs. Il serait donc logique de mettre en place des mécanismes de redistribution. La TVA, qui est plus élevée sur la presse en ligne (19,6 %) que sur la presse impri- mée (2,6 %), nous handicape considé mécanismes régulateurs. Les acteurs de rablement à un moment où les ventes l’audiovisuel commencent à se joindre à de presse en ligne se développent et nous dans ce combat pour plus de régu- peuvent représenter jusqu’à 10 % de nos lation, comme le feront demain les édi- ventes. teurs de livre. Je note qu’en Allemagne, Enfin les conditions générales de vente grand pays de médias, pour la première et plus spécifiquement les paliers tari fois, les groupes de presse ont réussi à faires imposés par Apple qui est le prin- faire en sorte que leur gouvernement cipal distributeur de nos offres de presse élabore une proposition de loi visant à en ligne payante nous handicapent car ils réglementer l’utilisation des contenus ne sont pas adaptés à nos produits. de presse par les portails et notamment Google, et ce malgré le lobbying très Comment voyez-vous évoluer le mar- agressif de la blogosphère et de Google ché de la presse imprimée dans les 5 lui-même. à 10 années à venir ? Comment les groupes de presse vont s’adapter et sta- Le cas de la presse en ligne est un rare biliser leur économie qui repose encore cas où la distribution capte l’intégralité aujourd’hui largement sur la presse de la valeur d’un secteur économique. imprimée ? La télévision, même en monopole sur la TV payante, participe au financement La distinction ne se fera plus vraiment des contenus qu’elle distribue : Canal+ entre « print » et « numérique » mais participe au financement des films entre contenus payants et contenus qu’il diffuse. Dans le cinéma, les billets gratuits. Les versions imprimées étant sont soumis à une taxe qui participe au évidemment des contenus payants, chers financement des créations cinématogra- et super premiums. Sur les sites Internet phiques. figureront de plus en plus des offres com- plémentaires payantes et premium. Il y Quels sont les mécanismes régulateurs aura une offre breaking news gratuite, que vous voyez se mettre en place dans que ce soit sur des quotidiens imprimés les années à venir ? gratuits ou sur Internet, mobile… La création d’un droit voisin. Les por- La part de la presse imprimée continuera tails aspirent la totalité de nos conte- de baisser dans les revenus des groupes nus et les mettent à disposition de de presse au fur et à mesure du dévelop- leur audience sans demander aucune pement de la presse en ligne. Dans les autorisation et aucun droit. Ils estiment diffusions des journaux imprimés payants, que ce droit est rempli par le fait que la part de la vente kiosque déclinera et cela génère de l’audience sur nos sites la part des abonnements progressera. La (lorsque l’internaute clique sur un article part des diffusions numériques commen- présent sur Google Actualités, il est cera à peser véritablement. Génération Kurt Salmon # 28 11
interviews Tout cela se fera sur la base d’un et résoudre ses problématiques. Ce outil industriel rénové et mutualisé. n’est pas parce que le Figaro a racheté Les rédactions s’organiseront autour Ticketac (billetterie spectacle et théâtre de pôles d’information, « newsrooms » sur Internet) que cela va transformer ou agences internes qui diffuseront des la logique de travail au sein du Figaro contenus multisupports. Les régies seront culture et du Figaroscope. Cela peut multisupports. Des efforts d’organisation participer à un projet global de diversi- et de productivité permettront une bonne fication des recettes et des profits mais allocation des moyens et une plus forte en revanche, le problème de modèle éco- rentabilité. nomique, de valorisation de l’audience et de productivité ne trouve pas sa solution Pour tirer la quintessence du multi sup- dans les diversifications. Les groupes de port, les groupes de presse ne devront- presse doivent transformer leur modèle ils pas être de plus en plus multimédia, traditionnel. La mode de l’acquisition la grande partie de leur production étant qui devrait transformer une culture ou aujourd’hui écrite ? une logique économique est passée. La De plus en plus, la production numé diversification c’est du développement, rique des groupes de presse est c’est de la croissance nouvelle, des hybride. L’information produite par les profits nouveaux, de la complémentarité, groupes de presse évolue et évoluera : mais la transformation du métier de base information écrite, base de données, vers l’information numérique disponible contenu communautaire, image et vidéo. 24/24h sur tous supports – le web, les mobiles, les tablettes et demain la TV Quel a été le rôle de la diversification connectée – doit se faire à l’intérieur des entreprise par les groupes de presse ces grandes rédactions des journaux. dernières années ? Par ailleurs, on est à un moment où La diversification a toujours fait partie les groupes de presse tirent les ensei de la vie des groupes de presse. A titre gnements des diversifications menées d’exemple, la diversification dans les ces dernières années – qu’est ce qui grands groupes de presse quotidienne marche/ne marche pas, qu’est ce qui est représente en moyenne 45 % des revenus. synergique/pas synergique, qu’est ce qui On y trouve, par exemple, les suppléments est rentable/pas rentable – pour faire le magazines, les événements ou encore tri dans leurs politiques de développe- les annonces classées sur Internet : le ment. Ces dernières années, les acquisi- groupe Figaro avec Cadremploi et Figaro tions n’étaient pas véritablement ciblées, Classifieds, le groupe Axel Springer il fallait à tout prix réaliser des acquisi- avec Seloger en France ou Totaljobs au tions « transformatrices ». Maintenant, les Royaume Uni, Schibsted avec Leboncoin. acquisitions sont beaucoup plus ciblées, Ces diversifications sont très proches on sait ce qui marche, les modèles ren- finalement de l’activité de base des tabilité sont mieux connus, les équipes groupes de presse : les quotidiens ont numériques sont plus étoffées et toujours étaient un maillon important de occupent une place importante dans la la mise en relation dans l’emploi, l’immo- hiérarchie des groupes, ce qui permet de bilier, l’automobile. faire des choix plus judicieux. Que dire des diversifications plus éloi- Quelles vont être les champs de diversi- gnées du métier de base des groupes fication dans les années à venir ? de presse qui visaient à appréhender un nouveau territoire qu’est le numérique ? D’abord le classified, le classified, le clas- sified. Je pense que le e-Commerce sous On est à un moment où les groupes de certaines réserves est un bon relais de presse tirent les enseignements des croissance. Ensuite l’événementiel est aussi diversifications menées ces dernières un territoire important : séminaires/forma- années. Tout le monde pensait que ces tions, salons, manifestations sportives. diversifications étaient transforma trices du métier de base. La réponse Par ailleurs, les groupes de presse, dans est non. la recherche d’une taille critique, vont effectuer des mouvements de consolida- Le métier de base doit se réformer en lui- tion en France. même. Ce n’est pas parce que le groupe NY Times a racheté about.com que cela En savoir plus : va transformer son quotidien. Ce n’’est Philippe Pestanes, pas parce que le groupe Axel Springer a philippe.pestanes@kurtsalmon.com, acheté aufeminin.com que cela va trans- Guillaume Raoux, former le Bild (grand quotidien allemand) guillaume.raoux@kurtsalmon.com 12 Génération Kurt Salmon # 28
Sacem Retour sur la mutation numérique de l’industrie musicale © Marc Chesneau. L’industrie de la musique est l’une des premières industries culturelles à avoir été confrontée à la révolution numérique, cette dernière ayant engendré une mutation du secteur toujours à l’œuvre aujourd’hui. Jean-Noël Tronc, Directeur Général Ainsi, depuis début 2012, le marché de la musique affiche de la Sacem encore une chute des ventes physiques (– 13 % entre Q4 2011 Propos recueillis et Q1 2012)1 pour s’établir au premier trimestre 2012 à par Sarah Perez 83,1 M€. En contrepartie, on constate une progression des et Philippe Pestanes ventes de musique dématérialisée, auxquelles s’ajoutent les abonnements ou produits musicaux financés par la publicité (+ 23,9 % à 32 M€ au premier trimestre 2012). Mais le chemin reste encore long pour compenser les pertes de revenus sur support physique : la croissance du numérique représente la moitié des pertes du support physique en valeur absolue. En plus de 10 années, l’industrie de la de financement participatif) font plutôt musique a contribué à de profondes évo- figure d’exception. Et le retour récent lutions liées au numérique, notamment de Trent Reznor (Nine Inch Nails) dans en terme d’accessibilité, de mode de une maison de disque – après avoir été création, de production ou de diffusion, autoproduit quelques années – en est un etc. Quelles ont été les principales rup- autre exemple. tures que vous retenez dans cette trans- formation profonde du marché ? La seconde, c’est une fragmentation importante dans tout ce qui concerne la J’en retiens principalement deux choses. musique. A commencer par la croissance La première est la possibilité pour tout importante dans la diversité des réper- créateur, tout artiste, de diffuser via toires que nous écoutons. Il y a quelques Internet ses musiques, ses créations, ce décennies, les goûts musicaux étaient qu’on appelle communément le « direct- relativement stables, limités à quelques to-fan », ou la désintermédiation. Pour genres. De nos jours, on écoute de très autant, le rôle essentiel des grands nombreux types de musique, du classique acteurs du métier de la musique pour à l’électro, en passant par la pop, le rap, produire les artistes, organiser des tour- le R’n’B, les musiques du monde… Notre nées, distribuer les œuvres, sous format univers musical s’est fortement enrichi. numérique comme physique, demeure 1. Source : SNEP, chiffre publié pleinement d’actualité. Des artistes Les droits à traiter sont également de Q1 2012. comme Grégoire (soutenu par un site plus en plus complexes, et les diffusions de musique explosent. Les œuvres sont de plus en plus morcelées pour leurs Parcours droits, par exemple certaines œuvres de musiques urbaines qui font une carrière Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et de l’Essec, internationale et où il peut y avoir des Jean-Noël Tronc a travaillé pour le Parlement européen, puis chez Andersen Consulting et au Commissariat général du Plan, avant de dizaines d’ayants-droits concernés. Les devenir conseiller “nouvelles technologies et société de l’informa- droits perçus sont fréquemment du micro- tion” du Premier ministre de 1997 à 2002. paiement, quelques millièmes d’euros pour une écoute en streaming par exemple. Et Après cinq ans chez France Telecom/Orange (2002-2007) où il fut la prolifération des terminaux numériques notamment directeur de la stratégie et de la marque, puis directeur multiplie les possibilités d’écoute et de général d’Orange France, il a été durant trois ans PDG de Canal+ copie pour nous tous. La musique est Overseas qui regroupe les activités de télévision payante du groupe partout, et sous des formes très diverses. Canal Plus dans l’Outre-Mer et à l’international, avant de rejoindre la Sacem en tant que Directeur général, en juin 2012. De nombreux nouveaux business Il est également Vice-Président du GESAC (groupement européen modèles ont émergé ces dernières des sociétés d’auteurs). années. Par quels types de business modèles l’industrie sera-t-elle désormais Génération Kurt Salmon # 28 13
interviews portée ? Quels impacts ont-ils sur la vous et moi, des téléphones portables à chaîne de valeur traditionnelle du sec- plus de 500 €, qui du point de vue de la teur ? Comment les acteurs historiques téléphonie ne sont pas aussi performants se sont-ils ou doivent-ils s’adapter ? que ce qui se faisait il y a cinq ans (plus Il existe deux modèles principaux pour fragile, moins d’autonomie…) et dix fois écouter sa musique en ligne. D’une part, plus chers ? Principalement, parce que le téléchargement de morceaux (via des nous pouvons y stocker et écouter notre sites comme Qobuz, Fnac.com ou ITunes musique, y regarder des vidéos et y jouer etc.) : vous achetez le titre et le conser- aux jeux vidéos. vez sur vos appareils. Cet achat peut être Et pourtant, les créateurs, artistes, pro- direct (payé par vous) ou indirectement ducteurs reçoivent quelques euros seu- payé par la publicité (par exemple sur lement sur ces appareils, au titre de la Beezik). redevance pour copie privée, et même D’autre part, l’écoute en continu (dite ces quelques euros, les importateurs de « streaming ») où vous accédez à des ces matériels trouvent qu’ils sont exces- titres pour les écouter sans en disposer sifs, et ils font tout leur possible pour définitivement. Ce sont des modèles détruire le système de la copie privée, en comme ceux de Spotify, Deezer, mais France et en Europe. aussi Youtube, les webradios. Là aussi, Le problème est mutatis mutandis le tous les modèles existent, de l’abonne- même avec les réseaux : pendant des ment mensuel, au « gratuit » payé par la années, l’usage du web s’est développé publicité. notamment grâce aux œuvres de l’esprit qui y circulaient. Il est difficile en effet de croire que les Français ont massivement > Et pourtant, aujourd’hui, les fournisseurs d’accès à Internet, par exemple, ne parti- cipent pas au financement de la création, Et puis, il y a l’arrivée de services comme notamment musicale. Il y a là une question le cloud-computing, qui proposent encore d’équité et de justice qu’il faut traiter. d’autres modèles économiques. Donc, l’industrie sera portée, comme çela Malgré les nombreux accords signés a toujours été le cas, par l’ensemble de avec les principaux diffuseurs de conte- nus numériques (iTunes, Youtube…), les ces modèles… et par la permanence des recettes numériques ne pèsent encore modes de consommation antérieurs, qui que 2 % des 820 M€ de droits perçus continuent d’exister. Par le passé, la radio en France par la SACEM. Comment n’a pas fait disparaître les disques, la télé- cette dernière peut-elle faire croître vision n’a pas tué le cinéma. L’histoire des d’avantage ces revenus ? Comment ses pratiques culturelles est toujours celle homologues Européen et Américains s’y d’une coexistence des nouveaux modes prennent-ils ? de consommation avec les plus anciens. En réalité, les recettes numériques de la Deux exemples : pour le moment, 70 % Sacem pèsent plus près de 15 % de ses de la musique achetée en France (hors perceptions totales, car la copie privée, spectacle vivant) l’est encore sur sup- c’est du numérique, les fournisseurs ports physiques. Et une étude récente d’accès à Internet qui distribuent des de Nielsen aux Etats-Unis cet été, sur les chaînes de télévision, c’est du numé- « teens » (les adolescents) montrait que rique… Et on pourrait même considérer, ces derniers, contrairement aux idées avec la diffusion par le câble et satellite, reçues, achètent plus de musique que et l’extinction de l’analogique, que toute leurs parents. C’est bien normal, puisqu’ils diffusion par la télévision est dorénavant ont beaucoup plus d’occasions et de numérique. moyens technologiques de le faire que les générations antérieures ! Avec les sociétés de l’Internet, la Sacem La question centrale est celle de la a plus de 300 contrats. La croissance de chaîne de valeur, ou plus exactement du ces revenus pour l’avenir tient à trois fac- partage de valeur entre tous les maillons teurs principaux : de la chaîne. Pour le moment, pour les • Une politique active de signature de créateurs et artistes, le compte n’y est licences avec l’ensemble des diffu- pas. En effet, pourquoi achèterions-nous, seurs de contenus numériques sur 14 Génération Kurt Salmon # 28
les réseaux, que la Sacem poursuit économiques numériques que sont les depuis des années, et sur laquelle nous télécoms, les fabricants de terminaux et sommes très en pointe – nous avons les plus grands acteurs du web, quels signé dès 2004 avec Itunes, au lance- qu’ils soient, au financement de la ment du service en Europe, nous avons création et aux revenus des créateurs. été les premiers en France à signer avec YouTube, nous avons des licences Quels sont les enjeux et batailles futures paneuropéennes avec Spotify et Itunes que l’industrie devra mener dans les depuis 2009, nous sommes aussi titu- années à venir ? Par quels moyens le laires du contrat de centralisation d’Uni- secteur de la musique pourra-t-il sortir versal Music Publishing International de la tenaille dans laquelle il est pris Ltd pour les usages en ligne. aujourd’hui, entre les opérateurs télé- coms d’une part, et les équipementiers • Un vrai développement de l’offre légale internationaux d’autre part, qui captent en ligne qu’elle soit payante ou gra- une part croissante de la valeur ? tuite. Le piratage sur Internet a fait L’une des principales batailles que nous des ravages en particulier parce qu’il devrons mener en tant qu’industrie est perturbe la transition économique vers d’abord pédagogique : faire comprendre ces modèles légaux. Heureusement, que les industries culturelles sont l’avenir nous avons – pour la musique en tous du numérique et une force pour l’emploi cas – passé le plus difficile, même si et la croissance dans notre pays, et en beaucoup reste à faire pour consolider Europe. les entreprises en ligne. Depuis plus de 15 ans que la question • U ne réflexion approfondie sur le du rapport entre industries numériques partage de la valeur dans l’ensemble et industries culturelles se pose, on en de la chaîne. Une partie de la valeur revient toujours à cette idée fausse que générée par la circulation et l’utilisation les premières n’ont qu’à se développer et des œuvres de l’esprit sur les réseaux, les secondes à s’adapter. ne revient pas pour le moment aux créateurs et artistes, qui sont En réalité, les industries créatives, qui pourtant les premiers maillons de la combinent la création, la production et chaîne économique, ceux par qui tout la distribution de biens et de services qui commence, et qui se trouvent aussi sont culturels par nature et protégés par être les plus faibles économiquement. les droits de propriété intellectuelle, et En ce qui concerne nos membres, dont la musique fait partie, représentent auteurs et compositeurs de musique, dans notre pays 1,6 millions d’emplois et nous avons mené une étude qui montre 7 % du PIB. La plupart de ces emplois ne que depuis 2003, leurs revenus ont sont d’ailleurs pas délocalisables. baissé en moyenne de 26 %… alors Le domaine des industries culturelles même que leurs œuvres sont de plus est le seul où la France (et l’Europe) ont en plus diffusées, et écoutées. Il faut encore les atouts suffisants pour espérer donc trouver des solutions pour faire donner naissance à des champions inter- participer plus les premiers bénéficiaires nationaux du numérique. Génération Kurt Salmon # 28 15
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