L'ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE À SUIVRE ? - policy paper Septembre 2016 - Cepess
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policy paper L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE À SUIVRE ? Septembre 2016 Eugenia Bardaro
Policy Paper L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE À SUIVRE ? Septembre 2016 Eugenia BARDARO | Conseillère CEPESS
Résumé Négocié pendant cinq ans dans un secret presque total, le CETA, l’accord de libre-échange conclu entre l’Union européenne et le Canada, est considéré par la Commission comme l’accord le plus ambitieux que l’UE ait jamais conclu. Le CETA est le premier accord signé après la signature du Traité de Lisbonne et qui inclut un dispositif de protection des investissements pour l’ensemble des pays membres de l’Union européenne. Il présente d’autres particularités : c’est le premier accord conclu avec un État membre du G8 et il intègre également les dispositifs du Conseil de coopération réglementaire et d’ouverture des services sur base d’une liste négative. Dès lors que le Canada et l’Europe jouissent déjà de fortes relations commerciales et d’investissement, les bénéfices économiques du traité devraient être relativement limités. Par contre, ce traité aura des impacts importants sur de nombreux domaines tels que l’agriculture, l’alimentation, les services publics, ou encore notre politique environnementale. Ces impacts affecteront durablement la vie de nos citoyens et changeront notre modèle de société, en limitant la capacité des Etats à réguler et réglementer afin de protéger les investisseurs. Car les enjeux, loin d’être purement économiques et commerciaux, sont avant tout liés à l’identité et aux valeurs européennes. L’accord soulève de nombreuses critiques trop vite balayées par ses partisans. Cette étude présente les principaux impacts de l’accord, tant positifs que négatifs et conclut sur la nécessité de 1) mettre en place une politique commerciale européenne capable de répondre aux défis du XXI siècle et 2) de trouver un nouvel équilibre dynamique entre croissance exogène et croissance endogène, afin de valoriser les acteurs économiques actifs au sein de l’Union.
TABLE DES MATIERES Introduction .............................................................................................................. 9 1. RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES ................................................ 11 1.1. Les racines d’un projet de traité ......................................................................... 11 1.2. Les objectifs politiques et stratégiques ............................................................... 13 1.3. Les objectifs économiques et commerciaux ........................................................ 13 1.4. Les bénéfices attendus ..................................................................................... 16 2. UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES ........................................................... 21 2.1 Libéralisation des services et protection des services publics ................................. 21 2.2 Accès aux marchés publics ................................................................................ 23 2.3 Le règlement des différends ............................................................................. 24 2.4 Mobilité des travailleurs ................................................................................... 29 2.5 Droits de propriété intellectuelle (DPI) ............................................................... 31 2.6 Droit de réglementer et exception culturelle ....................................................... 32 2.7 Le nœud agricole ............................................................................................. 33 2.8 Les Indications géographiques .......................................................................... 38 2.9 L’impact de l’accord sur la santé : une illustration des risques manifestes ............... 41 2.10 Commerce, développement durable et travail ..................................................... 43 3. QUELS ACCORDS COMMERCIAUX POUR L’AVENIR ? ...................................... 47 3.1 Défendre le multilatéralisme ............................................................................. 47 3.2 Commerce international et croissance endogène ................................................ 48 3.3 Une politique commerciale au service du développement humain ......................... 49 3.4 Une politique commerciale au service du modèle de développement européen ...... 51 Conclusion............................................................................................................... 54 BIbliographie ........................................................................................................... 58
INTRODUCTION
INTRODUCTION INTRODUCTION Jusqu'à récemment, les accords de libre-échange (ALE) étaient pour la plupart un phénomène Nord-Sud caractérisé par une forte asymétrie entre les parties concernées. Cette asymétrie avait un impact à la fois sur le processus de négociation et sur le contenu des accords. En effet, les négociations de ce type d’accords étaient souvent rapides et leurs normes étaient largement reproduites à partir de la législation des pays de l'OCDE et transplantées via ces accords aux pays en développement. En revanche, le CETA met ensemble deux grandes économies avancées. 1 Le CETA est le plus important ALE signé par le Canada après l'ALENA et le premier projet européen de zone de libre-échange avec un pays du G8. Comme la plupart des ALE conclus dans les années 2000, le CETA est un accord bilatéral, interrégional, global, guidé avant tout par une volonté politique et fondé sur des règles 2 spécifiques . Il rassemble deux acteurs – l’UE et le Canada – qui sont des contributeurs actifs à la multiplication actuelle d’accords de libre-échange. Le Canada a récemment signé un Partenariat transpacifique (PTP) avec onze pays, à savoir les États-Unis, le Japon, le Mexique, l'Australie, la Nouvelle Zélande, le Chili, le Pérou, Singapour, la Malaisie, le Vietnam et Brunei ; l'UE est quant à elle en train de négocier un partenariat de commerce et l’investissement avec les États-Unis (TTIP). Le CETA ne se limite pas à traiter les questions commerciales telles que les droits de douane 3 et les règles d'origine ; mais il inclut également les questions socio-économiques telles que le travail, les mesures sanitaires et environnementales. Comme la plupart des accords récents de libre-échange, le CETA est à la fois plus large dans sa portée et caractérisé par une 4 intégration plus profonde que les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) . On pourrait donc manifestement qualifier cette nouvelle génération d’accords de libre- échange comme « globaux » ou du « XXI siècle ». Un champ d’application plus large notamment sur les questions réglementaires et une certaine asymétrie économique entre les partenaires commerciaux, sont les deux caractéristiques de ces nouveaux accords de libre- 5 échange . La présente contribution se focalise sur le contexte qui a conduit à la signature du CETA, analyse dans le détail les principaux domaines couverts par l’accord, et les risques que la ratification d’un tel accord pourrait avoir pour la défense du multilatéralisme commercial. 1 Accord de libre-échange entre les USA, le Canada et le Mexique. 2 Erick DUCHESNE, Jean-Frédéric Morin, “Negotiating the Next Generation of Bilateral Trade Agreements”, International Negotiation, vol. 19, 2013. 3 Les “règles d’origine” constituent les critères qui permettent de déterminer l’origine nationale d’un produit : pour être considéré comme un « produit canadien » ou un « produit européen », une marchandise doit atteindre un certain niveau de contenu national. S’il est considéré comme un « produit national », il peut bénéficier des préférences établies par CETA. 4 Henrik HORN, Petros C. MAVROIDIS et André SAPIR, “Beyond the WTO? An Anatomy of EU and US Preferential Trade Agreement”, The World Economy, 33, 11: 1565–1588, 2010. 5 Erick DUCHESNE et Jean-Frédéric MORIN,op.cit. 9
1. RESSERER LES LIENS TRANSATLANTIQUES
RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES 1. RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES 1.1. LES RACINES D’UN PROJET DE TRAITÉ L’idée de mettre en place une zone de libre-échange entre le Canada et l'UE n’est pas nouvelle, mais pendant de nombreuses années, l'UE a rejeté toute initiative mise en avant par le Canada. Lors du sommet Canada-UE de 2004, les autorités canadiennes et européennes décidaient d’entamer des négociations pour le Trade and Investment Enhancement Agreement (l’Accord de renforcement du commerce et de l’investissement). Cet accord était conçu pour aller au- delà des questions d'accès au marché pour couvrir les services, les marchés publics, l'investissement, la propriété intellectuelle, et les qualifications professionnelles. Après seulement trois rounds de négociations, le Canada et l'UE annonçaient leur décision d’interrompre le dialogue, invoquant la nécessité d’attendre l'issue du cycle de Doha de l'OMC avant de le poursuivre. Peu de temps après la rupture des négociations, un certain nombre d'acteurs politiques ont travaillé activement pour lancer un nouveau projet d’accord commercial. À l'automne 2006, le nouvel Ambassadeur de la Commission européenne à Ottawa faisait savoir qu'une fenêtre d'opportunité était ouverte si le Canada était intéressé par un 6 partenariat économique étroit avec l'UE . Le gouvernement du Québec, plus que tout autre, a employé tous ses efforts pour prendre avantage de cette ouverture et réaliser un lobbying actif auprès de la Commission, des principaux Etats membres de l'UE, ainsi que des autres provinces canadiennes. L'alignement politique était particulièrement propice au sommet UE- Canada tenu au Québec en octobre 2008. Du côté européen, la présidence tournante du Conseil était à ce moment assurée par Nicolas Sarkozy, l'un des chefs d'État européens le plus réceptif aux arguments du Québec pour la réouverture des négociations commerciales. Du côté canadien, le Parti conservateur, traditionnellement plus favorable à la libéralisation En 2009, le économique que le Parti libéral, a été réélu le 8 décembre 2008 à Ottawa. Le premier Canada et l’UE ont ministre du Québec, Jean Charest, présidait le Conseil de la Fédération et avait avec succès annoncé convaincu les provinces canadiennes de soutenir le projet. Le soutien des provinces était une officiellement le condition préalable importante fixée par l'UE. Dans ce contexte, l'UE et les autorités lancement des canadiennes ont convenu de travailler ensemble pour définir la portée d’un accord négociations pour économique et commercial. Sept mois plus tard, au Sommet du mois de mai 2009, le Canada un accord et l’UE ont annoncé officiellement le lancement des négociations pour un accord économique et économique et commercial global. commercial global. Pendant cinq ans, d’octobre 2009 à août 2014, les négociateurs européens et canadiens ont tenu des cycles de négociations tous les trois mois. Le 26 septembre 2014, la fin des négociations a été célébrée lors d’un sommet UE-Canada, suivi par la publication de l’intégralité du projet d’accord. L’examen juridique du texte s’est achevé en février 2016. Il s’agit à présent de procéder à la ratification et la mise en œuvre de l’accord. 6 Patrick LEBLOND ., “The Canada-EU Comprehensive Economic and Trade Agreement: More to It Than Meets the Eye.” Policy Options, July–August, 2010, 74–78. 11
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ? Encadré 1 : La politique commerciale européenne Qui conduit les négociations ? En matière de politique commerciale, la Commission européenne négocie au nom de l’Union et de ses 28 États membres, en consultation avec ces derniers et le Parlement européen (article 207 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Au sein de la Commission, c’est la Direction générale du Commerce, placée sous l’autorité du commissaire chargé du Commerce, qui mène les négociations en collaboration étroite avec l’ensemble des autres services de la Commission. Dans le cadre du CETA, la Commission a mené les négociations sur la base d’un mandat adopté à l’unanimité par les États membres en 2009. Quelles sont les prochaines étapes ? Le CETA a été signé le 26 septembre 2014 par les responsables européens et canadiens, à l'issue de cinq ans de négociations. Le 29 février dernier, le Canada et la Commission européenne ont annoncé la fin de l’examen juridique du texte anglais de l’accord. Dans le cadre de cet examen juridique, des modifications ont été apportées au chapitre sur l’investissement et notamment au mécanisme de règlement des différends. Le texte sera soumis à l’approbation du Conseil et du Parlement européen. La Commission espère pouvoir le signer lors du Sommet UE-Canada de Bruxelles en octobre 2016. Quel est le processus de ratification ? Le processus de ratification pour ces accords diffère selon leur nature. Un processus simplifié est réservé aux accords "non-mixtes" qui ne touchent qu'aux compétences de l'Union européenne : 1. Une approbation à la majorité qualifiée par les gouvernements des Vingt-Huit Etats européens réunis en Conseil de l'UE (c'est à dire au moins 55 % des Etats représentant 65 % de la population européenne) 2. Un vote à la majorité du Parlement européen Le processus est plus complexe pour les accords "mixtes", car ceux-ci s'introduisent dans les compétences réservées aux Etats-membres (comme par exemple la propriété intellectuelle ou l'énergie). La procédure est dès lors la suivante : 1. Une approbation à l'unanimité des Vingt-Huit gouvernements européens réunis en Conseil de l'UE ; 2. Ensuite, un vote à la majorité du Parlement européen ; 3. Enfin, il sera soumis à la ratification dans chacun des Vingt-Huit Etats européens, par voie parlementaire ou référendaire. C’est sans doute l’étape la plus délicate, car un “non” d’un seul parlement saborderait l’accord. Notons qu’en Belgique, dans le cas où la « mixité » de l’accord est confirmée, la Belgique devra également soumettre le texte de l’accord aux Parlements des entités fédérées. En juillet dernier, la Commission a décidé de proposer le CETA comme un accord « mixte ». Y aurait-il une application provisoire ? L’Union européenne décide au cas par cas d’appliquer à titre provisoire la partie d’un accord qui concerne les matières relevant des compétences de l’Union, dans l’attente de la ratification qui permet l’entrée en vigueur de l’ensemble de l’accord. Cette technique est prévue par le droit international des traités. Dans le cas d’un accord mixte, elle présente l’avantage de ne pas avoir à attendre que toutes les procédures de ratification nationales, qui s’étalent sur plusieurs années, soient achevées pour bénéficier des effets économiques de l’accord, car elle a en pratique les mêmes effets que l’entrée en vigueur. Ce sont les Etats membres qui en décideront : le Conseil européen doit se prononcer sur l’opportunité d’une application provisoire. 12
RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES 1.2. LES OBJECTIFS POLITIQUES ET STRATÉGIQUES Pour le Gouvernement canadien, le CETA a avant tout une valeur politique et stratégique importante. Historiquement, la diversification du commerce a été un thème récurrent pour les politiciens canadiens. Le CETA pourrait potentiellement rappeler que, si les États-Unis adoptent un comportement protectionniste, le Canada a d'autres cartes dans sa main. Cela dit, le gouvernement canadien ne veut certainement pas renoncer à la « relation spéciale » qu'il entretient avec son puissant voisin. Le CETA fournit une occasion pour le gouvernement canadien d’afficher une politique commerciale indépendante. Jusqu'à récemment, la sélection des partenaires d'ALE de la part du Canada n’était pas le résultat d'une stratégie identifiée, mais une simple réplique des initiatives américaines. C’est ce qui explique que le Canada ait signé des accords avec le Mexique, Israël, le Chili, le Costa Rica, le Pérou, la Colombie, la Jordanie et le Panama. Du point de vue de l’Union européenne, le CETA présente surtout, pour ses défenseurs, un intérêt stratégique. La volonté de créer une coopération économique plus étroite entre le Canada et l'UE est encouragée par trois facteurs : 1) le blocage de l'Agenda de Doha pour le développement à l'OMC ; 2) un changement fondamental dans la puissance économique vers l’Asie ; et 3) l’importance du Canada en tant que producteur d'énergie, disposant d’un gouvernement stable et démocratique. Pour l’Europe, les négociations avec le Canada constituent un modèle archétypique de Pour l’Europe, les négociations pour les futurs accords de libre-échange. L'UE négocie actuellement des ALE négociations avec avec plusieurs autres partenaires, y compris l'Inde, l'ASEAN et le MERCOSUR. Il est le Canada peuvent certainement plus facile pour l'UE de parvenir à un accord avec un pays de l'OCDE comme le servir de modèle Canada qu'avec les économies émergentes en ce qui concerne notamment un certain pour les futurs nombre de questions telles que l'accès aux marchés, les services, les normes du travail et la accords de libre- coopération environnementale. échange Les négociations dans le cadre du CETA ne peuvent donc s’analyser indépendamment des autres négociations en cours. Ainsi, l'UE, par exemple, ne pouvait pas accepter une position de compromis sur la protection des brevets pharmaceutiques dans le cadre du CETA, sachant que l'Inde, avec qui elle est en train de négocier un ALE, est farouchement opposée à la position européenne sur cette question. Dans ce dossier de la protection des brevets, la position adoptée dans le cadre du CETA pourrait par conséquent constituer un précédent important pour l’UE. 1.3. LES OBJECTIFS ÉCONOMIQUES ET COMMERCIAUX Pour le Canada, un accord bilatéral avec l'UE pourrait lui donner un meilleur accès au marché européen qui représente 500 millions de consommateurs, et l'aider à attirer des investissements supplémentaires, de la technologie et des travailleurs qualifiés provenant d’Europe. 13
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ? Tableau 1 : Canada - Indicateurs principaux Indicateurs Unité 2012 2013 2014 2015 Population Millions 34,7 35,1 35,5 35,8 d’habitants PIB Mds d’€ 1.419,9 1.383,5 1.342,7 1.399,2 PIB € 40.920,7 39.413,7 37.862,2 39.055,4 par habitant Croissance % 1,7 2,2 12,5 1,2 réelle du PIB Source : World Economic Outlook ème En ce qui concerne le commerce, le Canada est le 11 partenaire commercial le plus important de l’UE, ce qui représente 1,8 % du commerce extérieur total de l’UE. A titre de comparaison, les Etats-Unis et la Chine, les deux plus importants partenaires commerciaux de l’Union, représentent 17,6% et 14,8% du commerce européen. Tableau 2 : Canada – Indicateurs commerciaux Indicateur Unité Année Importations Exportations Total Balance Commerciale 2015 Md 2015 28.231 35.221 64.453 6.990 € Classement 2015 12 13 11 comme Partner EU Part % 2015 1,6 2,0 1,8 dans le commerce de l’UE Taux de % 2014 2,9 11,3 croissance 2015 annuel Source : DG Trade, CE Pour le Canada, l’UE représente le second marché en importance après les États-Unis, avec 9,2% environ du commerce extérieur. La valeur des échanges bilatéraux de marchandises entre l’UE et le Canada s’est établie à 59 milliards d’euros en 2014. Les machines, les équipements de transport et les produits chimiques représentent une part prédominante des exportations de biens européens vers le Canada. 14
RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES Graphique 1: Le commerce de biens UE-Canada Source : DG Trade, CE Les échanges bilatéraux de services entre l’UE et le Canada se sont élevés à 28 milliards d’euros en 2015. Parmi les services négociés entre le Canada et l’UE, il y a le transport, la mobilité, les assurances et la communication. Graphique 2 : Le commerce de services UE-Canada Source : DG Trade, CE En 2014, les investisseurs européens détenaient des investissements représentant plus de 274 milliards d’euros au Canada alors que les stocks d’investissements directs canadiens dans l’UE s’élevaient à près de 166 milliards d’euros. Ainsi, l’UE a été le deuxième investisseur au ème Canada, avec environ 26,3 % des afflux d’IDE du Canada, tandis que le Canada est le 4 plus grand investisseur dans l’UE (environ 4,3 % de l’IDE de l’UE). 15
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ? Graphique 3: Les investissements directs à l’étranger Source : DG Trade, CE L’Union européenne et le Canada ont des relations économiques et commerciales de longue D’un point de vue date. Toutefois, d’un point de vue purement commercial, le Canada ne représente pas une commercial, le priorité pour l’Europe. La signature d’accords de libre-échange entre l’UE et des économies Canada ne émergentes offre un plus grand potentiel de croissance par rapport au CETA. Le volume représente pas d'échanges actuels avec ces pays émergents est également plus grand que le commerce avec pour l’Europe une le Canada. L'Inde et le Brésil, deux pays avec lesquels l'UE négocie actuellement des ALE, priorité. ème ème sont respectivement le 9 et le 10 partenaire commercial de l’UE, avec 2,2% et 1,9% des exportations de l'UE. Le Canada est rarement dans le top 5 des partenaires de l'UE pour toutes les principales catégories de marchandises, sauf pour l'importation de minerais et de métaux (notamment l’or, les diamants, les minerais de fer, l'uranium) et pour l'exportation de produits pharmaceutiques. Sans surprise, une communication de 2006 identifiait l'ASEAN, la Corée du Sud et le MERCOSUR comme des partenaires prioritaires pour les négociations d’accords de libre- échange, et non le Canada. Depuis lors, la Commission a poursuivi sa stratégie. Elle a signé un ALE avec la Corée du Sud en 2010 et négocie actuellement des ALE avec un certain nombre de pays y compris l'Inde, Singapour, la Malaisie, l'ASEAN et le MERCOSUR. 1.4. LES BÉNÉFICES ATTENDUS Pour clarifier leurs gains respectifs attendus, le Canada et l'UE ont conjointement mené une 7 étude d'évaluation d'impact préalable à l'ouverture de négociations . Cette pratique, de plus en plus commune dans les négociations commerciales, facilite les décisions politiques dans un contexte d'incertitude en fournissant une base d’évaluation commune. La conclusion de 7 CANADA AND EUROPEAN COMMISSION, Assessing the Costs and Benefits of a Closer EU-Canada Economic Partnership: A Joint Study by the European Commission and the Government of Canada, 2008. http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2008/october/tradoc_141032.pdf 16
RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES cette étude conjointe est que le Canada et l'UE pourraient bénéficier du CETA. Cet accord devrait conduire sur le long terme à une augmentation globale du PIB réel, du total des exportations, de la balance commerciale et des salaires du Canada et dans l'UE. L’augmentation du niveau d'activité économique résultant de l’accord a été estimée à 11,6 8 milliards d’euros pour l'UE et de 8,2 milliards d’euros pour le Canada . Vu que le PIB de l'UE est environ dix fois plus grand que celui du Canada, les gains attendus Les gains attendus comme mesure du PIB ont été estimés à 0,08% pour le premier et 0,77% pour le deuxième. comme mesure du Néanmoins, les gains en termes absolus restent peu fiables et les évaluations des impacts du 9 PIB ont été CETA varient considérablement d'une étude à l'autre . Toutes les études d'évaluation, estimés à 0,08% cependant, convergent sur le fait que le degré de symétrie n’est pas constant dans les pour l’UE et à 0,77 différents domaines couverts par l’accord. pour le Canada Toujours selon l’étude, la libéralisation du commerce pourrait amplifier les échanges commerciaux canado-européens de 41,2 milliards de dollars entre 2007 et 2014, soit un accroissement de 23 %. Près des trois quarts de cette augmentation (29,8 milliards de dollars) seraient attribuables au commerce de biens. D’après l’étude, les exportations canadiennes de biens vers l’UE pourraient grimper de 10,1 milliards de dollars (24,3 %) pendant cette période et les exportations européennes vers le Canada, de 19,6 milliards de dollars (36,6 %). Dans l'ensemble, le CETA pourrait bénéficier simultanément tant à l'UE qu’au Canada. L'UE serait le principal bénéficiaire de la libéralisation des marchés publics et du renforcement des droits de propriété intellectuelle. Le Canada serait le principal bénéficiaire de la libéralisation partielle des tarifs douaniers sur le porc, le poisson, les fruits de mer, le blé et le bœuf sans hormone. Les services représentent une part significative et comparable de la valeur ajoutée totale au 10 Canada (66,8% de l'activité totale) et dans l'UE (73,6% de l'activité totale) en 2010 . Comme les obstacles aux échanges de services sont encore élevés dans les deux économies, les exportations canadiennes et européennes dans les services pourraient se développer à un 11 taux de croissance haute similaire (environ 14%) à la suite du CETA . Cependant, l’expertise européenne dans les services est plus concentrée dans des secteurs spécifiques, tels que les télécommunications, le transport maritime et les services financiers. Les fournisseurs de services européens dans ces secteurs pourraient pénétrer significativement le marché canadien. Pour le Canada, les gains attendus de la libéralisation des services seront probablement plus diffusés sur l’ensemble des services. La question des investissements est un autre domaine où les relations économiques sont relativement symétriques. Plusieurs chapitres du CETA, y compris l'accès aux marchés, les services et les droits de propriété intellectuelle, stimuleront probablement les flux 8 Ibidem 9 R. CAMERON., and Loukine KONSTANTIN, Canada-European Union Trade and Investment Relations: The Impact of Tariff Elimination. Ottawa: DFAIT, 2011. Colin KIRKPATRICK, et al.,A Trade SIA Relating to the Negotiation of a Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) Between the EU and Canada. 2011, Trade 10/B3/B06, 2011 (www.eucanada-sia.org). 10 OECD, OECD Factbook Value Added by Activity, Paris, 2012. 11 CANADA AND EUROPEAN COMMISSION, Assessing the Costs and Benefits of a Closer EU-Canada Economic Partnership: A Joint Study, op. cit., 2008. Les importations canadiennes de services européens augmenteraient de 7,7 milliards de dollars (13,1 %), tandis que les exportations de services canadiens vers l’UE progresseraient de 3,5 milliards de dollars (14,2 %). 17
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ? d'investissements directs à l'étranger (IDE) dans une grande variété de secteurs tels que l'énergie, les ressources naturelles, l’aérospatiale, le transport, la communication et la technologie. Des zones d'incertitude demeurent, telles que l’impact de la protection des investissements sur les flux d'IDE, l'harmonisation réglementaire et l'impact de la protection accrue des droits de propriété intellectuelle au Canada. Il faut néanmoins interpréter avec prudence les résultats d’une évaluation de l’incidence économique d’un accord commercial. D’abord, dans le cas de l’étude citée, l’incidence prévue du libre-échange se fonde sur des suppositions quant au résultat des négociations. Par exemple, l’étude suppose que les augmentations prévues reposent notamment sur la réussite des négociations du cycle de Doha de l'OMC. Par ailleurs, elle présume la complète 12 élimination des tarifs et des contingents tarifaires dans tous les secteurs industriels et agricoles, y compris les secteurs sensibles. Une telle évaluation donne une indication de l’incidence qu’un tel accord commercial pourrait avoir sur les pays participants, indépendamment de tout autre facteur et sous réserve de certaines hypothèses. Par ailleurs, l’étude présente des résultats globaux. Les gains totaux s’accompagnent pourtant d’une addition de gains et de pertes à des niveaux plus micros, tant au niveau géographique que sectoriel. Dès lors, quand bien même le résultat total serait positif, il implique également une diminution d’activité significative dans certains secteurs d’activité. Il n’est pas garanti que ces pertes soient, au niveau sociétal, compensées par les pertes ailleurs, ni que les compensations soient observées pour chaque zone géographique. 13 Une récente étude de la Tufts University contredit les projections de croissance et d’emplois 14 mises en avant par l’Union européenne depuis le début des négociations . L’étude conjointe se base sur le modèle de simulateur, dit d’équilibre général calculable. Or ce modèle utilise des hypothèses telles que le plein emploi et la stabilité dans l’allocation des ressources. C’est pour cette raison que, d’après les chercheurs de la Tufts University, l’étude commanditée par la Commission ne constitue pas une base solide permettant de prendre des décisions politiques, dans la mesure où celle-ci repose largement sur un modèle économique inapproprié. Kohler et Storm proposent une évaluation du CETA basée sur un autre modèle et sur des hypothèses plus probables en matière de coûts d’ajustement économiques et de directions Le CETA politiques. entraînerait la destruction de plus Leurs résultats se distinguent radicalement des estimations mises en avant par la de 200.000 emplois Commission. D’après ces chercheurs, le CETA entraînerait des effets négatifs sur le long en Europe terme allant jusqu’à la destruction de plus de 200.000 emplois en Europe. Le CETA 12 Les contingents tarifaires sont des quotas d’importation qui permettent à une certaine quantité de marchandises à droit nul de pénétrer le marché canadien ou européen (par exemple : la viande de bœuf). 13 Pierre KOHLER, Servaas STORM, CETA Without Blinders : How cutting Trade Costs and More Will cause Unemploymen, Inequality and Welfare Losses, Tufts University, September 2016. 14 L’étude se base sur le même modèle utilisé par Jeronim CAPALDO pour analyser le TTIP. Cfr The Trans-Atlantic Trade and Investment Partnership: European Disintegration, Unemployment and Instability, 2014, Tufts University. 18
RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES entraînerait des pertes nettes en termes de PIB. L’Italie subirait une forte contraction de son PIB (-0,78%), suivie par la France (- 0,65%) et l’Allemagne (- 0,37%). Ces chiffres démontrent à quel point les résultats peuvent varier en fonction de l’utilisation d’un modèle d’analyse différent. La décision d’entamer ou non des réformes commerciales d’envergure ne peut se fonder uniquement sur des études mandatées. Il est par conséquent d’une importance majeure d’encourager la mise en place de forums où les hypothèses normatives peuvent être explicitées, les conclusions contradictoires comparées, les recherches pro forma clairement mises au rebut, et les zones d'incertitude reconnues. L'établissement d'un forum pour les chercheurs, parallèlement à des forums existants pour la consultation des parties prenantes, pourrait donner à ce type d’accords commerciaux de nouvelle génération, la crédibilité et la légitimité nécessaires. Tableau 3 : Les effets à long terme du CETA sur la croissance et l'emploi Taux de croissance Perte cumulative Emplois moyen % du PIB En milliers % Canada -0,12 -0,96 -23 UE (totale) -0,06 -0,49 -204 Allemagne -0,05 -0,37 -19 France -0,09 -0,65 -45 Italie -0,11 -0,78 -42 Royaume-Uni -0,03 -0,23 -9 Autres pays de -0,07 -0,53 -89 l’UE CETA (totale) -0,07 -0,53 -277 Reste du monde -0,01 -0,06 -80 Source : Kohler et Storm 19
2. UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES
UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES 2. UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES Le CETA comporte dans sa version consolidée 42 chapitres couvrant un large éventail de matières. Les 2 premiers sont consacrés au préambule et aux définitions, les 7 derniers clarifient une multitude de situations juridiques particulières à travers des déclarations spécifiques (déclaration sur les Vins et spiritueux, sur la République de Saint-Marin, etc.). La plupart des chapitres portent sur la libéralisation du commerce sur base des principes tels que le « traitement national » et « la clause de la nation la plus favorisée ». On y retrouve également des dispositions pour la facilitation du commerce et notamment des procédures douanières grâce à un échange d’informations automatiques et la mise en place d’un organisme conjoint pour simplifier les procédures. 2.1 LIBÉRALISATION DES SERVICES ET PROTECTION DES SERVICES PUBLICS La libéralisation du commerce des services exige des garanties solides afin d’assurer la capacité des pouvoirs publics à fournir des services de haute qualité. 15 Dans le CETA , les négociateurs canadiens et européens ont décidé de se baser sur une approche de liste dite négative en excluant les secteurs de services qui échapperont à la libéralisation. Aucune restriction autre que celles qui sont explicitement mentionnées n'est applicable. Dans la plupart des accords commerciaux, ce sont des listes positives qui sont utilisées : dans ce cadre, les législateurs listent explicitement les services qui seront libéralisés. Cette approche positive permet donc aux autorités publiques de conserver un meilleur contrôle sur les services publics y compris sur les services qui émergeront dans l’avenir. Cela n’est donc pas le cas pour le CETA. En effet, dans le cadre de l’accord, non seulement les investisseurs 16 bénéficieront de toute libéralisation qui interviendra dans le futur – mécanisme de cliquet – mais, de plus, aucun retour en arrière - mécanisme du statu quo- ne sera possible. Ce processus menace la tendance croissante à la re-municipalisation des services de gestion et de distribution de l'eau (en France, Allemagne, Italie, Espagne, Suède et Hongrie), et les services de transport (au Royaume-Uni ou en France). Revenir sur les privatisations du passé pourrait être considéré comme une violation des accords. Pourtant, les pouvoirs publics doivent rester maîtres de leur espace et pouvoir éventuellement corriger certaines décisions dans l’intérêt général, y compris, le cas échéant, en instaurant un cadre régulé. La Commission minimise les effets des listes positives et prétend que, pour ce qui est des listes, il s’agit de questions purement techniques. Or comme le souligne Krajewski, la distinction des approches entre la liste positive et négative est cruciale pour la détermination de l’impact des accords commerciaux sur les services publics. En particulier, alors qu’une approche par liste positive permet dans un certain secteur de s’abstenir de prendre des engagements dans ce secteur, tout simplement en ne l’incluant pas dans leur liste, une approche par liste négative empêche cette technique : au lieu de cela, les pays doivent spécifiquement dresser la liste des secteurs exclus dans leurs annexes et aussi mentionner 15 Les dispositions relatives au commerce des services se trouvent dans le chapitre 9. 16 Lorsqu’un gouvernement applique des mesures de libéralisation, ce niveau de libéralisation s’impose. 21
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ? positivement les mesures qu’ils souhaitent maintenir, ou délimiter soigneusement une 17 exclusion règlementaire pour des mesures futures . Quant aux services publics, le CETA ne prévoit pas une exception générale pour les services d'intérêt général et services d'intérêt économique général pour l'ensemble de l'application de l'accord, seule une combinaison hiérarchique des exceptions et réserves, laissant des parties 18 du groupe des SIG et SIEG vulnérables aux contestations en vertu de l'accord . Le chapitre 8 sur « l’investissement » et le chapitre 9 sur « le commerce transfrontalier des services » ne sont pas applicables, au sens des articles 8.2 et 9.2, aux « activités réalisées dans l’exercice d’un pouvoir gouvernemental défini comme des activités qui ne sont exercées ni sur une base commerciale ni en concurrence avec un ou plusieurs opérateurs économiques ». Cette exemption, trop étroite, risque d’exposer des secteurs considérés pourtant comme des services d’intérêt économique général aux obligations du CETA. Toutes les réserves formulées par l’UE et le Canada au niveau des investissements se retrouvent sur deux annexes. « L’annexe I » énumère toutes les mesures et restrictions existantes que le Canada, d'une part, et l'UE et ses États membres, d'autre part, souhaitent maintenir à l'égard des prestataires de services et des investisseurs de l'autre partie. Le second correspond à « l’annexe II », qui énumère également les mesures et restrictions existantes que les parties souhaitent continuer à appliquer, mais prévoit en outre la possibilité d'adopter des mesures nouvelles ou différentes (même plus restrictives) à l'avenir. C’est important pour les secteurs plus sensibles, dans lesquels les parties souhaitent conserver leur capacité à réglementer l'activité économique, pour des raisons qui leur sont propres, même si cela implique de limiter l'accès à leurs marchés ou de défavoriser des prestataires de services et des investisseurs étrangers. Il est donc légitime d’affirmer que les services publics sont inclus dans les règles de l’accord. Les exclusions explicites prévues dans le CETA - les services réalisés dans l’exercice d’une autorité gouvernementale et les services audiovisuels - ne sont pas suffisantes pour les protéger sans aucun doute possible. Des risques possibles En raison de ce manque d'exclusion sans ambigüité des services publics de l'accord, il semblerait que l'Allemagne ait choisi d'être rassurée en émettant dans l'Annexe II de larges réserves à propos de la santé et des services sociaux de manière générale c’est-à-dire dans les cinq domaines couverts par le CETA (Accès aux marchés, Traitement national, Traitement de la nation la plus favorisée, Prescriptions de résultats, Dirigeants et conseils d’administration) : « L’Allemagne se réserve le droit d’adopter ou de maintenir toute mesure relative à la prestation du système de sécurité sociale de l’Allemagne, en ce qui concerne les services qui peuvent être fournis par diverses entreprises ou entités sur une base commerciale et qui ne sont donc pas des « services dispensés dans l’exercice exclusif de l’autorité gouvernementale ». L’Allemagne se réserve le droit d’accorder un traitement plus avantageux dans le cadre d’un accord commercial bilatéral en ce qui a trait à la prestation de 19 services de santé et de services sociaux » . 17 Markus KRAJEWSKI, Public services in bilateral free trade agreements of the EU. European Federation of Public Service Union, 2011, p.31. 18 Thomas FRITZ, Public services under attack .TTIP, CETA, and the secretive collusion between business lobbyists and trade negotiators, eds., AITEC, CEO, EPSU, IGO, TNI, Vienna Chamber of Labour, War on Want, 2015. 19 CETA, p. 1382. 22
UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES La Commission a inclus dans l’accord une réserve applicable à toute l’UE pour l’accès au marché de la fourniture d’eau potable. Cependant, cette réserve se limite à la collecte, l’épuration et la distribution de l’eau ; les autres activités ne sont donc pas protégées. Une liste positive excluant la fourniture d’eau potable aurait garanti la juste protection. Pour ce qui est du traitement des eaux usées, seule l’Allemagne a demandé une réserve pour l’accès au marché. Une protection générale du traitement des eaux usées n’est pas prévue dans le cadre du CETA. L’ouverture réciproque aux investissements est non seulement prévue de manière large dans le CETA, mais en outre le principe de la liste négative et le mécanisme du cliquet orientent l’évolution dans une seule direction : celle de la dérégulation et de la libéralisation toujours accrue. Cette libéralisation toujours plus large porte préjudice à la justice sociale et au bien-être de l’ensemble des citoyens. 2.2 ACCÈS AUX MARCHÉS PUBLICS Selon les estimations de l’OMC, l’achat de biens et services au travers des marchés publics 20 représente entre 10 et 15% du PIB dans les pays développés . Ce type de marchés constitue donc un outil important de développement économique. Dans le cadre du CETA, le Canada permettra un accès plus complet et plus favorable à ses marchés publics que dans tous les autres accords de libre-échanges auxquels il participe. L’UE a notamment obtenu l’ouverture des marchés publics par les provinces et municipalités canadiennes qui en étaient jusqu’à présent exclues. Seuls deux domaines dans deux provinces font l’objet de restrictions de la part du Canada : d’une part les entreprises publiques du secteur de l’énergie dans les provinces de l’Ontario et du Québec ; d’autre part le domaine des transports publics. L’inclusion d’un chapitre sur les marchés publics dans le CETA aura une variété d’impacts économiques qui sont positifs pour certains et négatifs pour d'autres. Le principal effet attendu de ce chapitre est d'encourager la compétitivité dans le processus d'appel d'offres. La concurrence accrue peut entraîner des économies pour les autorités publiques canadiennes. Le CETA permettra probablement aux entreprises de l'UE d'acquérir une certaine part des marchés publics auxquels elles ne pouvaient pas accéder auparavant, par exemple dans certains services publics. L’accord permet également aux entreprises canadiennes de faire quelques gains, bien que relativement moindre, dans le marché européen. Le CETA peut créer certains effets positifs en termes de choix plus large des fournisseurs de services, bien qu’il n’existe pas d’éléments suffisants pour affirmer clairement que l’ouverture des marchés publics améliorera la qualité des biens et services publics. En revanche, les dispositions contenues dans le CETA risquent aussi d’empêcher les municipalités d’utiliser les marchés publics pour respecter des objectifs sociétaux comme par exemple le soutien à l’agriculture locale. Les engagements des provinces ont été aussi élargis au-delà des engagements prévus dans le cadre de l’accord sur les marchés publics de l’OMC. 20 WORLD TRADE ORGANIZATION, “Government Procurement — WTO and government procurement », 2014. http://www.wto.org/english/tratop_e/gproc_e/gproc_e.htm 23
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ? La plus grande ouverture des marchés publics bénéficiera surtout aux grandes entreprises européennes. Le CETA ne mentionne que très peu les PME et ne prévoit pas de dispositions 21 spécifiques pour les soutenir. Il ne comporte pas un chapitre spécifique pour les PME . Le 22 Parlement européen, dans sa résolution sur le TTIP, recommandait une telle inclusion . D’après l’UCM, en Belgique, seules 8,4% des entreprises de moins de 50 personnes réalisent 23 plus de 50% de leur chiffre d’affaires à l’exportation . Pour la plupart d’entre elles, il s’agit d’exportations vers des pays frontaliers. Les pourcentages pour la « grande » exportation ne représentent que 0,06%. 63% des entreprises de moins de 50 travailleurs déclarent ne pas réaliser de chiffre d’affaire à l’exportation. Quant à la chaîne de valeur, seules 18% tirent plus de 50% de leur chiffre d’affaires de la sous- traitance de grandes entreprises. Ces chiffres montrent donc que les PME susceptibles de bénéficier des grands accords tels que le CETA et le TTIP ne représentent qu’une petite partie de l’ensemble des PME belges. Au niveau européen, 99.3% des PME européennes n’exportent pas au-delà de l’Union européenne. Cela veut dire que seule une petite partie des PME serait concernées par l’accord. En plus, même si le CETA pourrait faciliter des flux commerciaux transatlantiques, cela pourrait avoir des répercussions négatives sur les flux intra-européens. L’accord permet de faciliter l’accès aux marchés publics de part et d’autre et pourrait amener à des réductions de coûts pour les autorités publiques. Toutefois, cette ouverture bénéficiera principalement aux grandes entreprises, les PME manquant de ressources pour y accéder. Par ailleurs, aucune clause n’est prévue afin de favoriser l’approvisionnement local, le développement de circuits courts ou le respect de critères sociaux ou environnementaux (alors que ces clauses peuvent être aujourd’hui invoquées au Canada et que nombreux sont ceux qui souhaitent le prévoir au niveau européen). 2.3 LE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS Dans la plupart des accords internationaux conclus ou en discussion, le règlement des différends est assuré par l’Investor-state dispute settlement (ISDS), qui instaure des tribunaux d’arbitrage ad hoc afin de protéger les entreprises d’abus de droit perpétrés par les Etats où elles s’installent. Il existe actuellement près de 3.200 Traités Bilatéraux d’investissements 24 (BITs) comprenant une clause ISDS . Ce mécanisme est cependant vivement critiqué, notamment parce qu’il bénéficie largement aux grandes entreprises et par ailleurs parce qu’il met sur un même pied les revendications commerciales des entreprises et la capacité de régulation des Etats, menaçant constamment celle-ci. 21 Ferdi DE VILLE, op.cit. p.15. 22 EUROPEAN PARLIAMENT, European Resolution of 8 July 2015 containing the European Parliament’s recommendations for the European Commission on the negotiations for the Transatlantic Trade and Investment Partnership, Strasbourg, 8 July 2015. 23 Cfr données de l’UCM, Note technique sur le TTIP, juillet 2015. 24 Elvire FABRY et Giorgio GARBASSO, L’ISDS dans le TTIP : le diable se cache dans les détails, Notre Europe, 13 janvier 2015. 24
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