L'ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE À SUIVRE ? - policy paper Septembre 2016 - Cepess

 
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L’ACCORD UE-CANADA :
CHEVAL DE TROIE OU
EXEMPLE À SUIVRE ?
Septembre 2016

Eugenia Bardaro
L'ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE À SUIVRE ? - policy paper Septembre 2016 - Cepess
Policy Paper

L’ACCORD UE-CANADA :
CHEVAL DE TROIE OU
EXEMPLE À SUIVRE ?

Septembre 2016

Eugenia BARDARO | Conseillère CEPESS
Résumé

Négocié pendant cinq ans dans un secret presque total, le CETA, l’accord de libre-échange
conclu entre l’Union européenne et le Canada, est considéré par la Commission comme
l’accord le plus ambitieux que l’UE ait jamais conclu. Le CETA est le premier accord signé
après la signature du Traité de Lisbonne et qui inclut un dispositif de protection des
investissements pour l’ensemble des pays membres de l’Union européenne. Il présente
d’autres particularités : c’est le premier accord conclu avec un État membre du G8 et il
intègre également les dispositifs du Conseil de coopération réglementaire et d’ouverture
des services sur base d’une liste négative. Dès lors que le Canada et l’Europe jouissent déjà
de fortes relations commerciales et d’investissement, les bénéfices économiques du traité
devraient être relativement limités. Par contre, ce traité aura des impacts importants sur
de nombreux domaines tels que l’agriculture, l’alimentation, les services publics, ou encore
notre politique environnementale. Ces impacts affecteront durablement la vie de nos
citoyens et changeront notre modèle de société, en limitant la capacité des Etats à réguler
et réglementer afin de protéger les investisseurs. Car les enjeux, loin d’être purement
économiques et commerciaux, sont avant tout liés à l’identité et aux valeurs européennes.
L’accord soulève de nombreuses critiques trop vite balayées par ses partisans. Cette étude
présente les principaux impacts de l’accord, tant positifs que négatifs et conclut sur la
nécessité de 1) mettre en place une politique commerciale européenne capable de
répondre aux défis du XXI siècle et 2) de trouver un nouvel équilibre dynamique entre
croissance exogène et croissance endogène, afin de valoriser les acteurs économiques
actifs au sein de l’Union.
TABLE DES MATIERES

Introduction .............................................................................................................. 9

1.            RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES ................................................ 11
     1.1.     Les racines d’un projet de traité ......................................................................... 11
     1.2.     Les objectifs politiques et stratégiques ............................................................... 13
     1.3.     Les objectifs économiques et commerciaux ........................................................ 13
     1.4.     Les bénéfices attendus ..................................................................................... 16

2.            UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES ........................................................... 21
     2.1      Libéralisation des services et protection des services publics ................................. 21
     2.2      Accès aux marchés publics ................................................................................ 23
     2.3      Le règlement des différends ............................................................................. 24
     2.4      Mobilité des travailleurs ................................................................................... 29
     2.5      Droits de propriété intellectuelle (DPI) ............................................................... 31
     2.6      Droit de réglementer et exception culturelle ....................................................... 32
     2.7      Le nœud agricole ............................................................................................. 33
     2.8      Les Indications géographiques .......................................................................... 38
     2.9      L’impact de l’accord sur la santé : une illustration des risques manifestes ............... 41
     2.10     Commerce, développement durable et travail ..................................................... 43

3.            QUELS ACCORDS COMMERCIAUX POUR L’AVENIR ? ...................................... 47
     3.1      Défendre le multilatéralisme ............................................................................. 47
     3.2      Commerce international et croissance endogène ................................................ 48
     3.3      Une politique commerciale au service du développement humain ......................... 49
     3.4      Une politique commerciale au service du modèle de développement européen ...... 51

Conclusion............................................................................................................... 54

BIbliographie ........................................................................................................... 58
INTRODUCTION
INTRODUCTION

INTRODUCTION

Jusqu'à récemment, les accords de libre-échange (ALE) étaient pour la plupart un
phénomène Nord-Sud caractérisé par une forte asymétrie entre les parties concernées. Cette
asymétrie avait un impact à la fois sur le processus de négociation et sur le contenu des
accords. En effet, les négociations de ce type d’accords étaient souvent rapides et leurs
normes étaient largement reproduites à partir de la législation des pays de l'OCDE et
transplantées via ces accords aux pays en développement. En revanche, le CETA met
ensemble deux grandes économies avancées.
                                                                                          1
Le CETA est le plus important ALE signé par le Canada après l'ALENA et le premier projet
européen de zone de libre-échange avec un pays du G8.

Comme la plupart des ALE conclus dans les années 2000, le CETA est un accord bilatéral,
interrégional, global, guidé avant tout par une volonté politique et fondé sur des règles
            2
spécifiques . Il rassemble deux acteurs – l’UE et le Canada – qui sont des contributeurs actifs
à la multiplication actuelle d’accords de libre-échange.
Le Canada a récemment signé un Partenariat transpacifique (PTP) avec onze pays, à savoir
les États-Unis, le Japon, le Mexique, l'Australie, la Nouvelle Zélande, le Chili, le Pérou,
Singapour, la Malaisie, le Vietnam et Brunei ; l'UE est quant à elle en train de négocier un
partenariat de commerce et l’investissement avec les États-Unis (TTIP).

Le CETA ne se limite pas à traiter les questions commerciales telles que les droits de douane
                       3
et les règles d'origine ; mais il inclut également les questions socio-économiques telles que le
travail, les mesures sanitaires et environnementales. Comme la plupart des accords récents
de libre-échange, le CETA est à la fois plus large dans sa portée et caractérisé par une
                                                                                            4
intégration plus profonde que les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) .

On pourrait donc manifestement qualifier cette nouvelle génération d’accords de libre-
échange comme « globaux » ou du « XXI siècle ». Un champ d’application plus large
notamment sur les questions réglementaires et une certaine asymétrie économique entre les
partenaires commerciaux, sont les deux caractéristiques de ces nouveaux accords de libre-
        5
échange .

La présente contribution se focalise sur le contexte qui a conduit à la signature du CETA,
analyse dans le détail les principaux domaines couverts par l’accord, et les risques que la
ratification d’un tel accord pourrait avoir pour la défense du multilatéralisme commercial.

1
  Accord de libre-échange entre les USA, le Canada et le Mexique.
2
   Erick DUCHESNE, Jean-Frédéric Morin, “Negotiating the Next Generation of Bilateral Trade Agreements”,
International Negotiation, vol. 19, 2013.
3
  Les “règles d’origine” constituent les critères qui permettent de déterminer l’origine nationale d’un produit : pour
être considéré comme un « produit canadien » ou un « produit européen », une marchandise doit atteindre un
certain niveau de contenu national. S’il est considéré comme un « produit national », il peut bénéficier des
préférences établies par CETA.
4
   Henrik HORN, Petros C. MAVROIDIS et André SAPIR, “Beyond the WTO? An Anatomy of EU and US Preferential
Trade Agreement”, The World Economy, 33, 11: 1565–1588, 2010.
5
  Erick DUCHESNE et Jean-Frédéric MORIN,op.cit.

                                                                                                                    9
1. RESSERER LES LIENS
TRANSATLANTIQUES
RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES

    1. RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES

    1.1.           LES RACINES D’UN PROJET DE TRAITÉ

L’idée de mettre en place une zone de libre-échange entre le Canada et l'UE n’est pas
nouvelle, mais pendant de nombreuses années, l'UE a rejeté toute initiative mise en avant
par le Canada.

Lors du sommet Canada-UE de 2004, les autorités canadiennes et européennes décidaient
d’entamer des négociations pour le Trade and Investment Enhancement Agreement (l’Accord
de renforcement du commerce et de l’investissement). Cet accord était conçu pour aller au-
delà des questions d'accès au marché pour couvrir les services, les marchés publics,
l'investissement, la propriété intellectuelle, et les qualifications professionnelles. Après
seulement trois rounds de négociations, le Canada et l'UE annonçaient leur décision
d’interrompre le dialogue, invoquant la nécessité d’attendre l'issue du cycle de Doha de
l'OMC avant de le poursuivre. Peu de temps après la rupture des négociations, un certain
nombre d'acteurs politiques ont travaillé activement pour lancer un nouveau projet d’accord
commercial.

À l'automne 2006, le nouvel Ambassadeur de la Commission européenne à Ottawa faisait
savoir qu'une fenêtre d'opportunité était ouverte si le Canada était intéressé par un
                                       6
partenariat économique étroit avec l'UE . Le gouvernement du Québec, plus que tout autre,
a employé tous ses efforts pour prendre avantage de cette ouverture et réaliser un lobbying
actif auprès de la Commission, des principaux Etats membres de l'UE, ainsi que des autres
provinces canadiennes. L'alignement politique était particulièrement propice au sommet UE-
Canada tenu au Québec en octobre 2008. Du côté européen, la présidence tournante du
Conseil était à ce moment assurée par Nicolas Sarkozy, l'un des chefs d'État européens le
plus réceptif aux arguments du Québec pour la réouverture des négociations commerciales.

Du côté canadien, le Parti conservateur, traditionnellement plus favorable à la libéralisation
                                                                                                           En 2009, le
économique que le Parti libéral, a été réélu le 8 décembre 2008 à Ottawa. Le premier
                                                                                                           Canada et l’UE ont
ministre du Québec, Jean Charest, présidait le Conseil de la Fédération et avait avec succès
                                                                                                           annoncé
convaincu les provinces canadiennes de soutenir le projet. Le soutien des provinces était une
                                                                                                           officiellement le
condition préalable importante fixée par l'UE. Dans ce contexte, l'UE et les autorités
                                                                                                           lancement des
canadiennes ont convenu de travailler ensemble pour définir la portée d’un accord
                                                                                                           négociations pour
économique et commercial. Sept mois plus tard, au Sommet du mois de mai 2009, le Canada
                                                                                                           un accord
et l’UE ont annoncé officiellement le lancement des négociations pour un accord
                                                                                                           économique et
économique et commercial global.
                                                                                                           commercial global.
Pendant cinq ans, d’octobre 2009 à août 2014, les négociateurs européens et canadiens ont
tenu des cycles de négociations tous les trois mois. Le 26 septembre 2014, la fin des
négociations a été célébrée lors d’un sommet UE-Canada, suivi par la publication de
l’intégralité du projet d’accord. L’examen juridique du texte s’est achevé en février 2016. Il
s’agit à présent de procéder à la ratification et la mise en œuvre de l’accord.

6
 Patrick LEBLOND ., “The Canada-EU Comprehensive Economic and Trade Agreement: More to It Than Meets the
Eye.” Policy Options, July–August, 2010, 74–78.

                                                                                                      11
L’ACCORD UE-CANADA :    CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

                        Encadré 1 : La politique commerciale européenne

Qui conduit les négociations ?
En matière de politique commerciale, la Commission européenne négocie au nom de l’Union et
de ses 28 États membres, en consultation avec ces derniers et le Parlement européen (article
207 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Au sein de la Commission, c’est la
Direction générale du Commerce, placée sous l’autorité du commissaire chargé du Commerce,
qui mène les négociations en collaboration étroite avec l’ensemble des autres services de la
Commission. Dans le cadre du CETA, la Commission a mené les négociations sur la base d’un
mandat adopté à l’unanimité par les États membres en 2009.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Le CETA a été signé le 26 septembre 2014 par les responsables européens et canadiens, à
l'issue de cinq ans de négociations. Le 29 février dernier, le Canada et la Commission
européenne ont annoncé la fin de l’examen juridique du texte anglais de l’accord. Dans le cadre
de cet examen juridique, des modifications ont été apportées au chapitre sur l’investissement
et notamment au mécanisme de règlement des différends. Le texte sera soumis à l’approbation
du Conseil et du Parlement européen. La Commission espère pouvoir le signer lors du Sommet
UE-Canada de Bruxelles en octobre 2016.
Quel est le processus de ratification ?
Le processus de ratification pour ces accords diffère selon leur nature. Un processus simplifié
est réservé aux accords "non-mixtes" qui ne touchent qu'aux compétences de l'Union
européenne :
     1.   Une approbation à la majorité qualifiée par les gouvernements des Vingt-Huit Etats
          européens réunis en Conseil de l'UE (c'est à dire au moins 55 % des Etats
          représentant 65 % de la population européenne)
     2.   Un vote à la majorité du Parlement européen

Le processus est plus complexe pour les accords "mixtes", car ceux-ci s'introduisent dans les
compétences réservées aux Etats-membres (comme par exemple la propriété intellectuelle ou
l'énergie). La procédure est dès lors la suivante :
     1.   Une approbation à l'unanimité des Vingt-Huit gouvernements européens réunis en
          Conseil de l'UE ;
     2.   Ensuite, un vote à la majorité du Parlement européen ;
     3.   Enfin, il sera soumis à la ratification dans chacun des Vingt-Huit Etats européens, par
          voie parlementaire ou référendaire. C’est sans doute l’étape la plus délicate, car un
          “non” d’un seul parlement saborderait l’accord.

Notons qu’en Belgique, dans le cas où la « mixité » de l’accord est confirmée, la Belgique devra
également soumettre le texte de l’accord aux Parlements des entités fédérées.

En juillet dernier, la Commission a décidé de proposer le CETA comme un accord « mixte ».

Y aurait-il une application provisoire ?
L’Union européenne décide au cas par cas d’appliquer à titre provisoire la partie d’un accord qui
concerne les matières relevant des compétences de l’Union, dans l’attente de la ratification qui
permet l’entrée en vigueur de l’ensemble de l’accord. Cette technique est prévue par le droit
international des traités. Dans le cas d’un accord mixte, elle présente l’avantage de ne pas avoir
à attendre que toutes les procédures de ratification nationales, qui s’étalent sur plusieurs
années, soient achevées pour bénéficier des effets économiques de l’accord, car elle a en
pratique les mêmes effets que l’entrée en vigueur. Ce sont les Etats membres qui en
décideront : le Conseil européen doit se prononcer sur l’opportunité d’une application
provisoire.

12
RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES

    1.2.         LES OBJECTIFS POLITIQUES ET STRATÉGIQUES

Pour le Gouvernement canadien, le CETA a avant tout une valeur politique et stratégique
importante. Historiquement, la diversification du commerce a été un thème récurrent pour
les politiciens canadiens. Le CETA pourrait potentiellement rappeler que, si les États-Unis
adoptent un comportement protectionniste, le Canada a d'autres cartes dans sa main. Cela
dit, le gouvernement canadien ne veut certainement pas renoncer à la « relation spéciale »
qu'il entretient avec son puissant voisin.
Le CETA fournit une occasion pour le gouvernement canadien d’afficher une politique
commerciale indépendante. Jusqu'à récemment, la sélection des partenaires d'ALE de la part
du Canada n’était pas le résultat d'une stratégie identifiée, mais une simple réplique des
initiatives américaines. C’est ce qui explique que le Canada ait signé des accords avec le
Mexique, Israël, le Chili, le Costa Rica, le Pérou, la Colombie, la Jordanie et le Panama.
Du point de vue de l’Union européenne, le CETA présente surtout, pour ses défenseurs, un
intérêt stratégique. La volonté de créer une coopération économique plus étroite entre le
Canada et l'UE est encouragée par trois facteurs : 1) le blocage de l'Agenda de Doha pour le
développement à l'OMC ; 2) un changement fondamental dans la puissance économique vers
l’Asie ; et 3) l’importance du Canada en tant que producteur d'énergie, disposant d’un
gouvernement stable et démocratique.
Pour l’Europe, les négociations avec le Canada constituent un modèle archétypique de             Pour l’Europe, les
négociations pour les futurs accords de libre-échange. L'UE négocie actuellement des ALE         négociations avec
avec plusieurs autres partenaires, y compris l'Inde, l'ASEAN et le MERCOSUR. Il est              le Canada peuvent
certainement plus facile pour l'UE de parvenir à un accord avec un pays de l'OCDE comme le       servir de modèle
Canada qu'avec les économies émergentes en ce qui concerne notamment un certain                  pour les futurs
nombre de questions telles que l'accès aux marchés, les services, les normes du travail et la    accords de libre-
coopération environnementale.                                                                    échange
Les négociations dans le cadre du CETA ne peuvent donc s’analyser indépendamment des
autres négociations en cours. Ainsi, l'UE, par exemple, ne pouvait pas accepter une position
de compromis sur la protection des brevets pharmaceutiques dans le cadre du CETA, sachant
que l'Inde, avec qui elle est en train de négocier un ALE, est farouchement opposée à la
position européenne sur cette question. Dans ce dossier de la protection des brevets, la
position adoptée dans le cadre du CETA pourrait par conséquent constituer un précédent
important pour l’UE.

    1.3. LES OBJECTIFS ÉCONOMIQUES ET COMMERCIAUX

Pour le Canada, un accord bilatéral avec l'UE pourrait lui donner un meilleur accès au marché
européen qui représente 500 millions de consommateurs, et l'aider à attirer des
investissements supplémentaires, de la technologie et des travailleurs qualifiés provenant
d’Europe.

                                                                                           13
L’ACCORD UE-CANADA :   CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

                           Tableau 1 : Canada - Indicateurs principaux
Indicateurs      Unité               2012            2013                 2014                2015

Population       Millions            34,7            35,1                 35,5                35,8
                 d’habitants

PIB              Mds d’€             1.419,9         1.383,5              1.342,7             1.399,2

PIB              €                   40.920,7        39.413,7             37.862,2            39.055,4
par habitant
Croissance       %                   1,7             2,2                  12,5                1,2
réelle du PIB

                                                                            Source : World Economic Outlook

                                                                    ème
En ce qui concerne le commerce, le Canada est le 11         partenaire commercial le plus
important de l’UE, ce qui représente 1,8 % du commerce extérieur total de l’UE. A titre de
comparaison, les Etats-Unis et la Chine, les deux plus importants partenaires commerciaux
de l’Union, représentent 17,6% et 14,8% du commerce européen.

                         Tableau 2 : Canada – Indicateurs commerciaux
 Indicateur     Unité      Année     Importations          Exportations          Total         Balance
                                                                                             Commerciale
 2015           Md        2015         28.231               35.221               64.453         6.990
                 €
 Classement               2015              12                 13                   11
 comme
 Partner EU
 Part           %         2015             1,6                 2,0                1,8
 dans le
 commerce
 de l’UE
 Taux de        %         2014             2,9                 11,3
 croissance               2015
 annuel
                                                                                          Source : DG Trade, CE

Pour le Canada, l’UE représente le second marché en importance après les États-Unis, avec
9,2% environ du commerce extérieur. La valeur des échanges bilatéraux de marchandises
entre l’UE et le Canada s’est établie à 59 milliards d’euros en 2014. Les machines, les
équipements de transport et les produits chimiques représentent une part prédominante des
exportations de biens européens vers le Canada.

14
RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES

                       Graphique 1: Le commerce de biens UE-Canada

                                                                            Source : DG Trade, CE

Les échanges bilatéraux de services entre l’UE et le Canada se sont élevés à 28 milliards
d’euros en 2015. Parmi les services négociés entre le Canada et l’UE, il y a le transport, la
mobilité, les assurances et la communication.

                     Graphique 2 : Le commerce de services UE-Canada

                                                                            Source : DG Trade, CE

En 2014, les investisseurs européens détenaient des investissements représentant plus de
274 milliards d’euros au Canada alors que les stocks d’investissements directs canadiens dans
l’UE s’élevaient à près de 166 milliards d’euros. Ainsi, l’UE a été le deuxième investisseur au
                                                                                        ème
Canada, avec environ 26,3 % des afflux d’IDE du Canada, tandis que le Canada est le 4 plus
grand investisseur dans l’UE (environ 4,3 % de l’IDE de l’UE).

                                                                                             15
L’ACCORD UE-CANADA :   CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

                                         Graphique 3: Les investissements directs à l’étranger

                                                                                                    Source : DG Trade, CE

                      L’Union européenne et le Canada ont des relations économiques et commerciales de longue
D’un point de vue
                      date. Toutefois, d’un point de vue purement commercial, le Canada ne représente pas une
  commercial, le
                      priorité pour l’Europe. La signature d’accords de libre-échange entre l’UE et des économies
       Canada ne
                      émergentes offre un plus grand potentiel de croissance par rapport au CETA. Le volume
  représente pas
                      d'échanges actuels avec ces pays émergents est également plus grand que le commerce avec
pour l’Europe une
                      le Canada. L'Inde et le Brésil, deux pays avec lesquels l'UE négocie actuellement des ALE,
          priorité.                             ème       ème
                      sont respectivement le 9 et le 10 partenaire commercial de l’UE, avec 2,2% et 1,9% des
                      exportations de l'UE. Le Canada est rarement dans le top 5 des partenaires de l'UE pour
                      toutes les principales catégories de marchandises, sauf pour l'importation de minerais et de
                      métaux (notamment l’or, les diamants, les minerais de fer, l'uranium) et pour l'exportation de
                      produits pharmaceutiques.

                      Sans surprise, une communication de 2006 identifiait l'ASEAN, la Corée du Sud et le
                      MERCOSUR comme des partenaires prioritaires pour les négociations d’accords de libre-
                      échange, et non le Canada. Depuis lors, la Commission a poursuivi sa stratégie. Elle a signé
                      un ALE avec la Corée du Sud en 2010 et négocie actuellement des ALE avec un certain
                      nombre de pays y compris l'Inde, Singapour, la Malaisie, l'ASEAN et le MERCOSUR.

                           1.4. LES BÉNÉFICES ATTENDUS

                      Pour clarifier leurs gains respectifs attendus, le Canada et l'UE ont conjointement mené une
                                                                                            7
                      étude d'évaluation d'impact préalable à l'ouverture de négociations . Cette pratique, de plus
                      en plus commune dans les négociations commerciales, facilite les décisions politiques dans
                      un contexte d'incertitude en fournissant une base d’évaluation commune. La conclusion de

                      7
                        CANADA AND EUROPEAN COMMISSION, Assessing the Costs and Benefits of a Closer EU-Canada Economic
                      Partnership: A Joint Study by the European Commission and the Government of Canada, 2008.
                      http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2008/october/tradoc_141032.pdf

                      16
RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES

cette étude conjointe est que le Canada et l'UE pourraient bénéficier du CETA. Cet accord
devrait conduire sur le long terme à une augmentation globale du PIB réel, du total des
exportations, de la balance commerciale et des salaires du Canada et dans l'UE.
L’augmentation du niveau d'activité économique résultant de l’accord a été estimée à 11,6
                                                                      8
milliards d’euros pour l'UE et de 8,2 milliards d’euros pour le Canada .

Vu que le PIB de l'UE est environ dix fois plus grand que celui du Canada, les gains attendus
                                                                                                                    Les gains attendus
comme mesure du PIB ont été estimés à 0,08% pour le premier et 0,77% pour le deuxième.
                                                                                                                    comme mesure du
Néanmoins, les gains en termes absolus restent peu fiables et les évaluations des impacts du
                                                         9                                                          PIB ont été
CETA varient considérablement d'une étude à l'autre . Toutes les études d'évaluation,
                                                                                                                    estimés à 0,08%
cependant, convergent sur le fait que le degré de symétrie n’est pas constant dans les
                                                                                                                    pour l’UE et à 0,77
différents domaines couverts par l’accord.
                                                                                                                    pour le Canada
Toujours selon l’étude, la libéralisation du commerce pourrait amplifier les échanges
commerciaux canado-européens de 41,2 milliards de dollars entre 2007 et 2014, soit un
accroissement de 23 %. Près des trois quarts de cette augmentation (29,8 milliards de
dollars) seraient attribuables au commerce de biens. D’après l’étude, les exportations
canadiennes de biens vers l’UE pourraient grimper de 10,1 milliards de dollars (24,3 %)
pendant cette période et les exportations européennes vers le Canada, de 19,6 milliards de
dollars (36,6 %).

Dans l'ensemble, le CETA pourrait bénéficier simultanément tant à l'UE qu’au Canada. L'UE
serait le principal bénéficiaire de la libéralisation des marchés publics et du renforcement des
droits de propriété intellectuelle. Le Canada serait le principal bénéficiaire de la libéralisation
partielle des tarifs douaniers sur le porc, le poisson, les fruits de mer, le blé et le bœuf sans
hormone.

Les services représentent une part significative et comparable de la valeur ajoutée totale au
                                                                                     10
Canada (66,8% de l'activité totale) et dans l'UE (73,6% de l'activité totale) en 2010 . Comme
les obstacles aux échanges de services sont encore élevés dans les deux économies, les
exportations canadiennes et européennes dans les services pourraient se développer à un
                                                                       11
taux de croissance haute similaire (environ 14%) à la suite du CETA . Cependant, l’expertise
européenne dans les services est plus concentrée dans des secteurs spécifiques, tels que les
télécommunications, le transport maritime et les services financiers. Les fournisseurs de
services européens dans ces secteurs pourraient pénétrer significativement le marché
canadien. Pour le Canada, les gains attendus de la libéralisation des services seront
probablement plus diffusés sur l’ensemble des services.

La question des investissements est un autre domaine où les relations économiques sont
relativement symétriques. Plusieurs chapitres du CETA, y compris l'accès aux marchés, les
services et les droits de propriété intellectuelle, stimuleront probablement les flux

8
  Ibidem
9
   R. CAMERON., and Loukine KONSTANTIN, Canada-European Union Trade and Investment Relations: The Impact of
Tariff Elimination. Ottawa: DFAIT, 2011.
Colin KIRKPATRICK, et al.,A Trade SIA Relating to the Negotiation of a Comprehensive Economic and Trade Agreement
(CETA) Between the EU and Canada. 2011, Trade 10/B3/B06, 2011 (www.eucanada-sia.org).
10
   OECD, OECD Factbook Value Added by Activity, Paris, 2012.
11
   CANADA AND EUROPEAN COMMISSION, Assessing the Costs and Benefits of a Closer EU-Canada Economic
Partnership: A Joint Study, op. cit., 2008. Les importations canadiennes de services européens augmenteraient de
7,7 milliards de dollars (13,1 %), tandis que les exportations de services canadiens vers l’UE progresseraient de
3,5 milliards de dollars (14,2 %).

                                                                                                             17
L’ACCORD UE-CANADA :      CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

                   d'investissements directs à l'étranger (IDE) dans une grande variété de secteurs tels que
                   l'énergie, les ressources naturelles, l’aérospatiale, le transport, la communication et la
                   technologie.

                   Des zones d'incertitude demeurent, telles que l’impact de la protection des investissements
                   sur les flux d'IDE, l'harmonisation réglementaire et l'impact de la protection accrue des droits
                   de propriété intellectuelle au Canada.

                   Il faut néanmoins interpréter avec prudence les résultats d’une évaluation de l’incidence
                   économique d’un accord commercial. D’abord, dans le cas de l’étude citée, l’incidence prévue
                   du libre-échange se fonde sur des suppositions quant au résultat des négociations. Par
                   exemple, l’étude suppose que les augmentations prévues reposent notamment sur la
                   réussite des négociations du cycle de Doha de l'OMC. Par ailleurs, elle présume la complète
                                                                       12
                   élimination des tarifs et des contingents tarifaires dans tous les secteurs industriels et
                   agricoles, y compris les secteurs sensibles.

                   Une telle évaluation donne une indication de l’incidence qu’un tel accord commercial pourrait
                   avoir sur les pays participants, indépendamment de tout autre facteur et sous réserve de
                   certaines hypothèses.

                   Par ailleurs, l’étude présente des résultats globaux. Les gains totaux s’accompagnent
                   pourtant d’une addition de gains et de pertes à des niveaux plus micros, tant au niveau
                   géographique que sectoriel. Dès lors, quand bien même le résultat total serait positif, il
                   implique également une diminution d’activité significative dans certains secteurs d’activité. Il
                   n’est pas garanti que ces pertes soient, au niveau sociétal, compensées par les pertes ailleurs,
                   ni que les compensations soient observées pour chaque zone géographique.
                                                                     13
                   Une récente étude de la Tufts University contredit les projections de croissance et d’emplois
                                                                                           14
                   mises en avant par l’Union européenne depuis le début des négociations .

                   L’étude conjointe se base sur le modèle de simulateur, dit d’équilibre général calculable. Or
                   ce modèle utilise des hypothèses telles que le plein emploi et la stabilité dans l’allocation des
                   ressources. C’est pour cette raison que, d’après les chercheurs de la Tufts University, l’étude
                   commanditée par la Commission ne constitue pas une base solide permettant de prendre des
                   décisions politiques, dans la mesure où celle-ci repose largement sur un modèle économique
                   inapproprié.

                    Kohler et Storm proposent une évaluation du CETA basée sur un autre modèle et sur des
                    hypothèses plus probables en matière de coûts d’ajustement économiques et de directions
          Le CETA
                    politiques.
    entraînerait la
destruction de plus Leurs résultats se distinguent radicalement des estimations mises en avant par la
de 200.000 emplois Commission. D’après ces chercheurs, le CETA entraînerait des effets négatifs sur le long
         en Europe terme allant jusqu’à la destruction de plus de 200.000 emplois en Europe. Le CETA

                   12
                      Les contingents tarifaires sont des quotas d’importation qui permettent à une certaine quantité de marchandises à
                   droit nul de pénétrer le marché canadien ou européen (par exemple : la viande de bœuf).
                   13
                       Pierre KOHLER, Servaas STORM, CETA Without Blinders : How cutting Trade Costs and More Will cause
                   Unemploymen, Inequality and Welfare Losses, Tufts University, September 2016.
                   14
                      L’étude se base sur le même modèle utilisé par Jeronim CAPALDO pour analyser le TTIP. Cfr The Trans-Atlantic
                   Trade and Investment Partnership: European Disintegration, Unemployment and Instability, 2014, Tufts University.

                   18
RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES

entraînerait des pertes nettes en termes de PIB. L’Italie subirait une forte contraction de son
PIB (-0,78%), suivie par la France (- 0,65%) et l’Allemagne (- 0,37%).

Ces chiffres démontrent à quel point les résultats peuvent varier en fonction de l’utilisation
d’un modèle d’analyse différent. La décision d’entamer ou non des réformes commerciales
d’envergure ne peut se fonder uniquement sur des études mandatées.

Il est par conséquent d’une importance majeure d’encourager la mise en place de forums où
les hypothèses normatives peuvent être explicitées, les conclusions contradictoires
comparées, les recherches pro forma clairement mises au rebut, et les zones d'incertitude
reconnues. L'établissement d'un forum pour les chercheurs, parallèlement à des forums
existants pour la consultation des parties prenantes, pourrait donner à ce type d’accords
commerciaux de nouvelle génération, la crédibilité et la légitimité nécessaires.

         Tableau 3 : Les effets à long terme du CETA sur la croissance et l'emploi

                      Taux de croissance        Perte cumulative              Emplois
                           moyen
                                                     % du PIB                 En milliers
                               %

     Canada                  -0,12                     -0,96                     -23

   UE (totale)               -0,06                     -0,49                     -204

   Allemagne                 -0,05                     -0,37                     -19

     France                  -0,09                     -0,65                     -45

      Italie                 -0,11                     -0,78                     -42

 Royaume-Uni                 -0,03                     -0,23                      -9

 Autres pays de              -0,07                     -0,53                     -89
      l’UE

  CETA (totale)              -0,07                     -0,53                     -277

Reste du monde               -0,01                     -0,06                     -80

                                                                          Source : Kohler et Storm

                                                                                              19
2. UN ACCORD AUX FAILLES
MULTIPLES
UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES

        2. UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES
Le CETA comporte dans sa version consolidée 42 chapitres couvrant un large éventail de
matières. Les 2 premiers sont consacrés au préambule et aux définitions, les 7 derniers
clarifient une multitude de situations juridiques particulières à travers des déclarations
spécifiques (déclaration sur les Vins et spiritueux, sur la République de Saint-Marin, etc.). La
plupart des chapitres portent sur la libéralisation du commerce sur base des principes tels que
le « traitement national » et « la clause de la nation la plus favorisée ». On y retrouve
également des dispositions pour la facilitation du commerce et notamment des procédures
douanières grâce à un échange d’informations automatiques et la mise en place d’un
organisme conjoint pour simplifier les procédures.

        2.1        LIBÉRALISATION             DES SERVICES ET PROTECTION DES SERVICES
                   PUBLICS

La libéralisation du commerce des services exige des garanties solides afin d’assurer la
capacité des pouvoirs publics à fournir des services de haute qualité.
                    15
Dans le CETA , les négociateurs canadiens et européens ont décidé de se baser sur une
approche de liste dite négative en excluant les secteurs de services qui échapperont à la
libéralisation. Aucune restriction autre que celles qui sont explicitement mentionnées n'est
applicable.
Dans la plupart des accords commerciaux, ce sont des listes positives qui sont utilisées : dans
ce cadre, les législateurs listent explicitement les services qui seront libéralisés. Cette
approche positive permet donc aux autorités publiques de conserver un meilleur contrôle sur
les services publics y compris sur les services qui émergeront dans l’avenir. Cela n’est donc
pas le cas pour le CETA. En effet, dans le cadre de l’accord, non seulement les investisseurs
                                                                                            16
bénéficieront de toute libéralisation qui interviendra dans le futur – mécanisme de cliquet –
mais, de plus, aucun retour en arrière - mécanisme du statu quo- ne sera possible.
Ce processus menace la tendance croissante à la re-municipalisation des services de gestion
et de distribution de l'eau (en France, Allemagne, Italie, Espagne, Suède et Hongrie), et les
services de transport (au Royaume-Uni ou en France). Revenir sur les privatisations du passé
pourrait être considéré comme une violation des accords. Pourtant, les pouvoirs publics
doivent rester maîtres de leur espace et pouvoir éventuellement corriger certaines décisions
dans l’intérêt général, y compris, le cas échéant, en instaurant un cadre régulé.
La Commission minimise les effets des listes positives et prétend que, pour ce qui est des
listes, il s’agit de questions purement techniques. Or comme le souligne Krajewski, la
distinction des approches entre la liste positive et négative est cruciale pour la détermination
de l’impact des accords commerciaux sur les services publics. En particulier, alors qu’une
approche par liste positive permet dans un certain secteur de s’abstenir de prendre des
engagements dans ce secteur, tout simplement en ne l’incluant pas dans leur liste, une
approche par liste négative empêche cette technique : au lieu de cela, les pays doivent
spécifiquement dresser la liste des secteurs exclus dans leurs annexes et aussi mentionner

15
     Les dispositions relatives au commerce des services se trouvent dans le chapitre 9.
16
     Lorsqu’un gouvernement applique des mesures de libéralisation, ce niveau de libéralisation s’impose.

                                                                                                              21
L’ACCORD UE-CANADA :      CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

positivement les mesures qu’ils souhaitent maintenir, ou délimiter soigneusement une
                                                17
exclusion règlementaire pour des mesures futures .
Quant aux services publics, le CETA ne prévoit pas une exception générale pour les services
d'intérêt général et services d'intérêt économique général pour l'ensemble de l'application de
l'accord, seule une combinaison hiérarchique des exceptions et réserves, laissant des parties
                                                                            18
du groupe des SIG et SIEG vulnérables aux contestations en vertu de l'accord .

Le chapitre 8 sur « l’investissement » et le chapitre 9 sur « le commerce transfrontalier des
services » ne sont pas applicables, au sens des articles 8.2 et 9.2, aux « activités réalisées dans
l’exercice d’un pouvoir gouvernemental défini comme des activités qui ne sont exercées ni
sur une base commerciale ni en concurrence avec un ou plusieurs opérateurs économiques ».
Cette exemption, trop étroite, risque d’exposer des secteurs considérés pourtant comme des
services d’intérêt économique général aux obligations du CETA.
Toutes les réserves formulées par l’UE et le Canada au niveau des investissements se
retrouvent sur deux annexes. « L’annexe I » énumère toutes les mesures et restrictions
existantes que le Canada, d'une part, et l'UE et ses États membres, d'autre part, souhaitent
maintenir à l'égard des prestataires de services et des investisseurs de l'autre partie.
Le second correspond à « l’annexe II », qui énumère également les mesures et restrictions
existantes que les parties souhaitent continuer à appliquer, mais prévoit en outre la
possibilité d'adopter des mesures nouvelles ou différentes (même plus restrictives) à l'avenir.
C’est important pour les secteurs plus sensibles, dans lesquels les parties souhaitent
conserver leur capacité à réglementer l'activité économique, pour des raisons qui leur sont
propres, même si cela implique de limiter l'accès à leurs marchés ou de défavoriser des
prestataires de services et des investisseurs étrangers.
Il est donc légitime d’affirmer que les services publics sont inclus dans les règles de
l’accord. Les exclusions explicites prévues dans le CETA - les services réalisés dans
l’exercice d’une autorité gouvernementale et les services audiovisuels - ne sont pas
suffisantes pour les protéger sans aucun doute possible.

Des risques possibles
En raison de ce manque d'exclusion sans ambigüité des services publics de l'accord, il
semblerait que l'Allemagne ait choisi d'être rassurée en émettant dans l'Annexe II de larges
réserves à propos de la santé et des services sociaux de manière générale c’est-à-dire dans les
cinq domaines couverts par le CETA (Accès aux marchés, Traitement national, Traitement de
la nation la plus favorisée, Prescriptions de résultats, Dirigeants et conseils d’administration) :
« L’Allemagne se réserve le droit d’adopter ou de maintenir toute mesure relative à la
prestation du système de sécurité sociale de l’Allemagne, en ce qui concerne les services qui
peuvent être fournis par diverses entreprises ou entités sur une base commerciale et qui ne
sont donc pas des « services dispensés dans l’exercice exclusif de l’autorité
gouvernementale ». L’Allemagne se réserve le droit d’accorder un traitement plus
avantageux dans le cadre d’un accord commercial bilatéral en ce qui a trait à la prestation de
                                           19
services de santé et de services sociaux » .

17
   Markus KRAJEWSKI, Public services in bilateral free trade agreements of the EU. European Federation of Public
Service Union, 2011, p.31.
18
   Thomas FRITZ, Public services under attack .TTIP, CETA, and the secretive collusion between business lobbyists and
trade negotiators, eds., AITEC, CEO, EPSU, IGO, TNI, Vienna Chamber of Labour, War on Want, 2015.
19
   CETA, p. 1382.

22
UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES

La Commission a inclus dans l’accord une réserve applicable à toute l’UE pour l’accès au
marché de la fourniture d’eau potable. Cependant, cette réserve se limite à la collecte,
l’épuration et la distribution de l’eau ; les autres activités ne sont donc pas protégées. Une
liste positive excluant la fourniture d’eau potable aurait garanti la juste protection. Pour ce
qui est du traitement des eaux usées, seule l’Allemagne a demandé une réserve pour l’accès
au marché. Une protection générale du traitement des eaux usées n’est pas prévue dans le
cadre du CETA.

L’ouverture réciproque aux investissements est non seulement prévue de manière large
dans le CETA, mais en outre le principe de la liste négative et le mécanisme du cliquet
orientent l’évolution dans une seule direction : celle de la dérégulation et de la
libéralisation toujours accrue. Cette libéralisation toujours plus large porte préjudice à la
justice sociale et au bien-être de l’ensemble des citoyens.

     2.2     ACCÈS AUX MARCHÉS PUBLICS

Selon les estimations de l’OMC, l’achat de biens et services au travers des marchés publics
                                                            20
représente entre 10 et 15% du PIB dans les pays développés . Ce type de marchés constitue
donc un outil important de développement économique.
Dans le cadre du CETA, le Canada permettra un accès plus complet et plus favorable à ses
marchés publics que dans tous les autres accords de libre-échanges auxquels il participe.
L’UE a notamment obtenu l’ouverture des marchés publics par les provinces et municipalités
canadiennes qui en étaient jusqu’à présent exclues.
Seuls deux domaines dans deux provinces font l’objet de restrictions de la part du Canada :
d’une part les entreprises publiques du secteur de l’énergie dans les provinces de l’Ontario et
du Québec ; d’autre part le domaine des transports publics.
L’inclusion d’un chapitre sur les marchés publics dans le CETA aura une variété d’impacts
économiques qui sont positifs pour certains et négatifs pour d'autres. Le principal effet
attendu de ce chapitre est d'encourager la compétitivité dans le processus d'appel d'offres.
La concurrence accrue peut entraîner des économies pour les autorités publiques
canadiennes. Le CETA permettra probablement aux entreprises de l'UE d'acquérir une
certaine part des marchés publics auxquels elles ne pouvaient pas accéder auparavant, par
exemple dans certains services publics. L’accord permet également aux entreprises
canadiennes de faire quelques gains, bien que relativement moindre, dans le marché
européen.
Le CETA peut créer certains effets positifs en termes de choix plus large des fournisseurs de
services, bien qu’il n’existe pas d’éléments suffisants pour affirmer clairement que l’ouverture
des marchés publics améliorera la qualité des biens et services publics.
En revanche, les dispositions contenues dans le CETA risquent aussi d’empêcher les
municipalités d’utiliser les marchés publics pour respecter des objectifs sociétaux comme par
exemple le soutien à l’agriculture locale. Les engagements des provinces ont été aussi élargis
au-delà des engagements prévus dans le cadre de l’accord sur les marchés publics de l’OMC.

20
   WORLD TRADE ORGANIZATION, “Government Procurement — WTO and government procurement », 2014.
http://www.wto.org/english/tratop_e/gproc_e/gproc_e.htm

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L’ACCORD UE-CANADA :     CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

La plus grande ouverture des marchés publics bénéficiera surtout aux grandes entreprises
européennes. Le CETA ne mentionne que très peu les PME et ne prévoit pas de dispositions
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spécifiques pour les soutenir. Il ne comporte pas un chapitre spécifique pour les PME . Le
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Parlement européen, dans sa résolution sur le TTIP, recommandait une telle inclusion .
D’après l’UCM, en Belgique, seules 8,4% des entreprises de moins de 50 personnes réalisent
                                                      23
plus de 50% de leur chiffre d’affaires à l’exportation . Pour la plupart d’entre elles, il s’agit
d’exportations vers des pays frontaliers. Les pourcentages pour la « grande » exportation ne
représentent que 0,06%. 63% des entreprises de moins de 50 travailleurs déclarent ne pas
réaliser de chiffre d’affaire à l’exportation.
Quant à la chaîne de valeur, seules 18% tirent plus de 50% de leur chiffre d’affaires de la sous-
traitance de grandes entreprises.
Ces chiffres montrent donc que les PME susceptibles de bénéficier des grands accords tels
que le CETA et le TTIP ne représentent qu’une petite partie de l’ensemble des PME belges.
Au niveau européen, 99.3% des PME européennes n’exportent pas au-delà de l’Union
européenne. Cela veut dire que seule une petite partie des PME serait concernées par
l’accord. En plus, même si le CETA pourrait faciliter des flux commerciaux transatlantiques,
cela pourrait avoir des répercussions négatives sur les flux intra-européens.
L’accord permet de faciliter l’accès aux marchés publics de part et d’autre et pourrait
amener à des réductions de coûts pour les autorités publiques. Toutefois, cette ouverture
bénéficiera principalement aux grandes entreprises, les PME manquant de ressources
pour y accéder. Par ailleurs, aucune clause n’est prévue afin de favoriser
l’approvisionnement local, le développement de circuits courts ou le respect de critères
sociaux ou environnementaux (alors que ces clauses peuvent être aujourd’hui invoquées
au Canada et que nombreux sont ceux qui souhaitent le prévoir au niveau européen).

     2.3       LE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS

Dans la plupart des accords internationaux conclus ou en discussion, le règlement des
différends est assuré par l’Investor-state dispute settlement (ISDS), qui instaure des tribunaux
d’arbitrage ad hoc afin de protéger les entreprises d’abus de droit perpétrés par les Etats où
elles s’installent. Il existe actuellement près de 3.200 Traités Bilatéraux d’investissements
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(BITs) comprenant une clause ISDS . Ce mécanisme est cependant vivement critiqué,
notamment parce qu’il bénéficie largement aux grandes entreprises et par ailleurs parce qu’il
met sur un même pied les revendications commerciales des entreprises et la capacité de
régulation des Etats, menaçant constamment celle-ci.

21
   Ferdi DE VILLE, op.cit. p.15.
22
    EUROPEAN PARLIAMENT, European Resolution of 8 July 2015 containing the European Parliament’s
recommendations for the European Commission on the negotiations for the Transatlantic Trade and Investment
Partnership, Strasbourg, 8 July 2015.
23
   Cfr données de l’UCM, Note technique sur le TTIP, juillet 2015.
24
    Elvire FABRY et Giorgio GARBASSO, L’ISDS dans le TTIP : le diable se cache dans les détails, Notre Europe, 13
janvier 2015.

24
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